b) Les pathologies de l'amiante

« Les effets de l'amiante sont désormais parfaitement bien connus » a fait observer le Dr Ellen Imbernon, responsable du département santé et travail de l'Institut de veille sanitaire (InVS), lors de son audition, précisant qu'il s'agissait des effets d'une exposition professionnelle, car les effets qui sont liés aux expositions passives, le travail dans des locaux floqués par exemple, sont moins bien connus.

Comme le souligne le rapport du Gouvernement au Parlement, établi en application de l'article 6 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, « en l'état actuel des connaissances et des constats épidémiologiques, le risque amiante est essentiellement un risque professionnel ».

Les pathologies provoquées par l'amiante présentent des degrés de gravité et d'évolutivité très différents. Toutefois, selon le même rapport, « quelques caractéristiques communes les rapprochent : temps de latence généralement élevé entre la première exposition et les premières manifestations radio cliniques (le plus souvent situé entre 30 et 40 ans), persistance du risque tout au long de la vie après la fin de l'exposition et peu ou pas de traitement médical curatif ». De surcroît, « le manque de données épidémiologiques sur le risque amiante est souvent souligné. Plus exactement, les données disponibles sont partielles et de niveaux différents selon la pathologie considérée d'une part et selon le type d'exposition de l'autre », les pathologies les plus lourdes étant généralement mieux connues.

L'amiante est à l'origine de maladies bénignes mais aussi de maladies malignes particulièrement redoutables, les fibres retenues dans les poumons pouvant interagir localement avec les tissus et provoquer une inflammation du poumon et/ou du tissu qui l'enveloppe, la plèvre.

Ces maladies ont un bilan humain considérable. Non seulement 35.000 personnes sont mortes, en France, d'une maladie de l'amiante, entre 1965 et 1995, mais entre 50.000 et 100.000 décès sont encore attendus d'ici 2025. Selon l'Organisation internationale du travail, 100.00 personnes meurent chaque année, dans le monde, du fait de l'amiante.


L'amiante : entre 50.000 et 100.000 morts au cours des vingt prochaines années

Au cours de son audition, le docteur Ellen Imbernon a estimé qu'au regard du nombre de malades qui allaient apparaître au cours des années à venir, le terme « épidémie » pouvait être employé.

Le professeur Marcel Goldberg a dressé les perspectives accablantes de l'évolution du nombre de décès liés à l'amiante : « Deux études ont été réalisées à ce sujet. Leurs conclusions convergent sur les mêmes analyses. Nous attendons entre 50.000 et 100.000 décès par cancer en France durant les vingt prochaines années, dont les deux tiers seront causés par un cancer du poumon et le troisième tiers par les mésothéliomes pleuraux. Ces prévisions sont malheureusement inéluctables, à moins que survienne, entre temps, un progrès thérapeutique. Quoi qu'il en soit, le nombre de cas de cancers survenant jusqu'en 2025-2030 est fixé ».

Les pathologies bénignes

Si certaines pathologies provoquées par l'amiante sont bénignes, elles n'en sont pas moins caractérisées par une absence de traitement médical.

Il s'agit :

1°) des plaques pleurales et des épaississements pleuraux : les plaques pleurales sont des lésions, le plus souvent asymptomatiques, de la plèvre pariétale qui apparaissent en général plus de 15 ans après la première exposition à l'amiante. Le rapport précité du gouvernement au Parlement note que « la littérature disponible indique que leur prévalence est élevée 15 ( * ) mais leur évolutivité est lente, voire nulle dans la presque totalité des cas. Elle souligne également que leur présence ne semble pas liée à un niveau d'exposition particulier, ni constituer un facteur de risque supplémentaire de survenue d'un mésothéliome ou d'un cancer broncho-pulmonaire ». La question des plaques pleurales demeure toutefois controversée : véritable maladie pour les uns 16 ( * ) , en particulier les victimes et leurs associations 17 ( * ) , « simple » cicatrice pour les autres. En revanche, les épaississements pleuraux constituent une pathologie à l'origine de douleurs, voire d'une altération de la fonction respiratoire ;

2°) de l'asbestose : il s'agit d'une fibrose interstitielle diffuse et progressive qui s'étend des régions péribronchiolaires vers les espaces sous-pleuraux et qui provoque une sclérose du tissu pulmonaire. L'affection, spécifique de l'amiante, apparaît en général 10 à 20 ans après le début de l'exposition et semble nécessiter des expositions importantes et durables, dont l'intensité minimale n'est pas bien définie, les spécialistes n'étant pas toujours d'accord entre eux sur ce point. Les symptômes initiaux de l'asbestose ne sont guère significatifs et se développent progressivement, en particulier une dyspnée 18 ( * ) progressive, d'abord limitée à l'effort, parfois accompagnée d'une toux. Avec le temps, la capacité pulmonaire et la capacité de diffusion de l'oxyde de carbone sont réduites. L'asbestose peut être associée à d'autres maladies : des atteintes broncho-pulmonaires bénignes telles que des bronchites chroniques, des désordres immunologiques, voire une insuffisance cardiaque. Il n'existe pas de traitement susceptible de faire régresser le processus.

Par ailleurs, certains membres de la mission ont été alertés sur l'apparition d'un nouveau symptôme qui pourrait être lié à l'amiante, certaines victimes développant en effet des nodules dont la cause et l'évolution restent mal connues.

Les pathologies malignes

Les pathologies malignes causées par une exposition à l'amiante sont essentiellement de deux types :

1°) le mésothéliome est une tumeur maligne des surfaces mésothéliales touchant principalement la plèvre, moins souvent le péritoine et plus rarement le péricarde. La survenue de cette maladie, parfois qualifiée de « cancer de l'amiante », cette fibre étant le seul facteur de risque reconnu pour ce type de cancer , n'est pas indicative d'un seuil minimal d'exposition et son traitement médical a un impact limité sur l'espérance de vie des malades, en général de 12 à 18 mois. Les premières manifestations retrouvées à l'examen clinique sont des douleurs thoraciques, souvent associées à un essoufflement et à un épanchement pleural récidivant, en général hémorragique. Le temps de latence entre la première exposition et le développement du mésothéliome est rarement inférieur à 20 ans, souvent de l'ordre de 30 à 40 ans, voire plus. Il ne semble pas exister de valeur seuil d'exposition en rapport avec un risque d'apparition. Le tabac ne joue aucun rôle dans le risque de survenue d'un mésothéliome. Il a été décrit des cas de mésothéliomes pleuraux survenant dans l'environnement familial proche des travailleurs exposés à l'amiante, les sujets étant exposés du fait de la contamination des locaux d'habitation ou lors de l'entretien de vêtements empoussiérés. Le rapport précité du Gouvernement au Parlement note que « l'enquête de l'INSERM établit que l'incidence du mésothéliome dans le nombre de décès par cancer est en constante augmentation et cette augmentation est de 25 % tous les trois ans. [...] le rapport s'efforce néanmoins à élaborer une projection à l'horizon 2020 qui établit que les cas de décès par mésothéliome pourraient se situer autour de 1.000 décès annuels ». D'autres enquêtes 19 ( * ) sont venues compléter celle de l'INSERM, qui demeure une référence. Ainsi, entre 1996 et 2020, 20.000 décès dans la population masculine et plus de 2.900 décès dans la population féminine pourraient être directement liés à la survenue d'un mésothéliome. Selon une autre enquête, le pic de mortalité se situerait entre 2025 et 2040 avec une hypothèse basse de mortalité annuelle chez les hommes de 50 à 79 ans de 1.140 et une hypothèse haute de 1.300. Entre 1997 et 2050, elle projette une mortalité par mésothéliome de 44.480 à 57.020 décès.


Le risque de mésothéliome associé aux différentes circonstances d'exposition à l'amiante - Expositions professionnelles

Tous les arguments convergent pour attribuer aux expositions professionnelles l'étiologie de la quasi-totalité des cas de mésothéliome dans les pays industrialisés . Ces arguments proviennent de très nombreux travaux, mettant à contribution tous les types d'étude et toutes les méthodes épidémiologiques : études de cas, études de cohorte et cas-témoins, études « écologiques », analyses de tendances évolutives. Ces innombrables travaux ont été menés dans des pays différents et ont concerné des populations et des groupes professionnels extrêmement diversifiés. Ils ont porté aussi bien sur l'étude de la mortalité que sur celle de l'incidence du mésothéliome. Ils permettent de considérer que, à l'instar du cancer du poumon, tous les types de fibre d'amiante, y compris le chrysotile, sont susceptibles d'induire des mésothéliomes .

Une importante évolution des professions concernées s'est produite depuis quelques décennies, la majorité des mésothéliomes se rencontrant aujourd'hui, dans les pays industrialisés, dans des métiers très variés. Pour illustrer cette évolution, on peut rappeler que dans les années 60, les principales professions touchées étaient celles de la production et de l'utilisation de l'amiante : travailleurs du secteur de l'isolation, de la production et de la transformation de l'amiante, chauffagistes, travailleurs des chantiers navals . Par contraste, dans les années 80 et 90, le risque le plus élevé concerne les métiers impliquant des tâches d'intervention sur des matériaux contenant de l'amiante. Les professions les plus touchées sont les tôliers-chaudronniers (catégorie incluant les travailleurs des chantiers navals), et les carrossiers industriels ; on trouve ensuite les plombiers, les charpentiers et les électriciens. A eux seuls, les métiers du bâtiment contribuent actuellement au quart de tous les décès par mésothéliome , proportion considérée comme probablement sous-estimée. Actuellement, les expositions à l'amiante se rencontrent dans des professions extrêmement nombreuses ; à titre d'exemple, on peut citer parmi les métiers à risque élevé de mésothéliome, des professions aussi diverses que les soudeurs, les dockers, les techniciens de laboratoire, les peintres et décorateurs, les bijoutiers, les ajusteurs, les mécaniciens automobile, les travailleurs des chemins de fer, etc. Les niveaux d'exposition sont vraisemblablement moins élevés que dans le passé, mais ces professions occupent des effectifs importants, ce qui explique le grand nombre de cas de mésothéliomes qu'on y rencontre. De plus, ces professions n'étant habituellement pas considérées comme « à risque », elles font moins l'objet de surveillance et de mesures de protection adéquates.

L'évolution concernant les professions touchées par le mésothéliome se comprend si on se rappelle que le temps de latence de cette maladie est en moyenne de 30 à 40 ans. Il a, en effet, tout d'abord fallu produire, manufacturer et mettre en place l'amiante dans des installations et des matériaux divers : ce sont donc les travailleurs concernés par ces activités qui ont été atteints par les premiers mésothéliomes, d'autant que pendant cette période, les niveaux d'exposition ont été très élevés. A l'échelle de l'ensemble de la population, le nombre total de cas attribuables à ces activités est cependant resté restreint, pour cette « première génération » de mésothéliomes, en raison du faible nombre des travailleurs concernés par rapport à la population active. Ultérieurement, de nombreuses professions ont été mises en contact avec l'amiante ainsi très largement disséminé. C'est pourquoi, avec un décalage temporel dû à la latence de la maladie, bien que les niveaux d'exposition de ces professions étaient vraisemblablement moins élevés (et ont, dans l'ensemble régulièrement diminué du fait des réglementations successives), on a vu, du fait de l'importance des effectifs de ces professions, apparaître une « seconde génération » de mésothéliomes, bien plus nombreux à l'échelle de l'ensemble de la population dans les pays industrialisés.

Source : Effets sur la santé des principaux types d'exposition à l'amiante,
rapport de l'expertise collective de l'INSERM, 1997
.

2°) les cancers broncho-pulmonaires représentent la première cause de mortalité des sujets ayant été exposés à l'amiante . Le temps de latence entre la première exposition et le développement de la maladie dépasse en général 20 ans. Aucune particularité clinique ou radiologique ne les distingue des cancers broncho-pulmonaires d'autres origines et leur développement est indépendant d'une fibrose pulmonaire. Le risque d'atteinte tumorale est majoré par l'exposition à d'autres agents cancérogènes, le tabac en particulier. Il existe une relation dose/effet entre l'intensité de l'exposition à l'amiante et le risque de cancer bronchique, sans qu'il soit possible de proposer de valeur seuil. En l'état actuel des évaluations épidémiologiques, celles réalisées par l'INSERM et par l'InVS, on estime entre 1.800 et 4.000 l'incidence annuelle de cancers broncho-pulmonaires attribuables à l'amiante.

* 15 Les fibroses pleurales représentent plus de 50 % des dossiers reçus par le FIVA et 70 % des maladies prises en charge par le régime général en 2001.

* 16 Mme Martine Aubry, ancienne ministre de l'emploi et de la solidarité, a ainsi indiqué, devant la mission, que « nous savons aujourd'hui qu'un certain nombre d'éléments, par exemple les plaques pleurales, peuvent entraîner et entraînent malheureusement dans la plupart des cas des maladies qui sont fatales ».

* 17 Au cours de son audition, M. François Martin, président de l'ALDEVA de Condé-sur-Noireau, a estimé que « le monde médical est aujourd'hui dans l'incapacité de prouver que ces plaques sont une cause de mortalité », ajoutant que « des personnes ayant développé d'importantes plaques pleurales sont décédées à Condé-sur-Noireau ». De même, M. Didier Payen, représentant de la CGT, a noté que « la mort prématurée de nos camarades a pratiquement toujours commencé par des plaques pleurales et des épaississements pleuraux ». Lors du déplacement d'une délégation de la mission à Dunkerque, les représentants de l'association régionale des victimes de l'amiante (ARDEVA) ont eux aussi réfuté la distinction entre les maladies bénignes et les maladies malignes, estimant qu'elles étaient toutes invalidantes.

* 18 Difficulté de la respiration.

* 19 Notamment des études publiées en anglais en 1998 et 2000.

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