3. L'inscription des affections engendrées par l'amiante au tableau des maladies professionnelles
Comment peut-on affirmer qu'« on ne savait pas », quand l'amiante est inscrit comme source d'affections au tableau des maladies professionnelles depuis 1945 ? A cette question, la mission n'a pas reçu de réponse convaincante.
La nocivité de l'amiante, mise en évidence sur le plan médical depuis le début du XX e siècle, trouve en quelque sorte sa « consécration » dans le milieu professionnel par l'inscription des maladies engendrées par les poussières d'amiante au tableau des maladies professionnelles, le 3 août 1945 20 ( * ) . Inscrites dans un premier temps avec la silice, elles font ensuite l'objet, par décret du 31 août 1950, d'un tableau spécifique, le n° 30, qui sera plusieurs fois modifié, la dernière fois par un décret du 14 avril 2000.
Un décret du 5 janvier 1976 inscrit parmi ces maladies le mésothéliome primitif, tandis que la fabrication de l'amiante-ciment, principal produit amianté, est retenue comme travail susceptible de provoquer des affections liées à cette fibre.
Un décret du 19 juin 1985 ajoute, au titre des maladies engendrées par les poussières d'amiante, le cancer broncho-pulmonaire quand la relation avec l'amiante est médicalement caractérisée.
Un décret du 22 mai 1996 ajoute un tableau n° 30 bis qui intègre le cancer broncho-pulmonaire primitif, sous réserve d'une exposition de dix ans et à la condition que le salarié ait été employé dans l'un des travaux susceptibles de provoquer cette maladie, cette liste étant limitative et non plus indicative.
4. Des événements révélateurs qui auraient dû provoquer une prise de conscience
Certes, ces événements sont à l'origine de la publication du décret du 17 août 1977, première réglementation française concernant le risque amiante au travail. Pourtant, ils n'ont pas eu les répercussions suffisantes pour mettre en place des mesures de protection efficaces qui auraient considérablement limité le nombre de victimes. Si « l'entreprise artisanale a toujours fait une utilisation de l'amiante en toute bonne foi », comme l'a déclaré M. Daniel Boguet, membre de l'Union professionnelle artisanale (UPA), devant la mission, ces événements, pas plus que les informations scientifiques, n'auront réussi à entamer sa bonne foi.
a) L'affaire Amisol
Les conditions de travail déplorables dans l'usine de textile Amisol de Clermont-Ferrand vont donner à l'utilisation professionnelle de l'amiante, au début des années 1970, une visibilité certaine. Ces conditions de travail sont telles - les ouvrières travaillent dans une atmosphère saturée par les poussières d'amiante - qu'elles provoquent une grève de 31 mois, avec occupation de l'usine.
M. Daniel Bouige, rappelant, devant la mission, qu'il était intervenu dans l'usine Amisol, note que son rapport démontrait clairement le mauvais état sanitaire de cette entreprise : « Les chiffres étaient particulièrement alarmants. Au regard du chiffre que vous venez d'évoquer, le niveau d'empoussièrement était de cent à plusieurs centaines de fibres par cm 3 ».
Amisol ne s'en remettra pas, et la société sera liquidée.
Toutefois, les ouvrières constatent, pendant les mois d'inactivité de la grève, que nombre d'entre elles tombent malades et que certaines meurent. Ce que le médecin du travail de l'entreprise n'avait pas vu, les ouvrières le comprennent fort bien.
Le professeur Got a d'ailleurs rappelé que « les médecins du travail ne voyaient donc pas mourir les ouvriers de leurs entreprises ! C'est évident quand on lit le texte qui a été publié dans la Revue du praticien par un médecin du travail d'Amisol, une entreprise de Clermont-Ferrand, resté célèbre par son inaptitude totale à gérer le risque amiante dans ses usines textiles, qui dit qu'on surévalue le risque amiante et qu'il ne voit pas de personnes malades de l'amiante dans son entreprise ».
Or, l'affaire Amisol va se produire quasiment au même moment que celle de Jussieu. Les chercheurs qui travaillent sur ce campus, et qui s'inquiètent des conséquences sanitaires du flocage des bâtiments universitaires, entrent en contact avec les ouvrières d'Amisol. Ils se rendent sur place pour visiter l'usine et dénoncent ensemble le scandale, dont la presse s'empare.
* 20 On rappellera que l'asbestose est reconnue comme maladie professionnelle au Royaume-Uni depuis 1925.