4. Une situation peu favorable à la prévention des risques professionnels
Plusieurs interlocuteurs de la mission ont souligné que la forte mutualisation des dépenses incitait peu les entreprises à la prévention .
Pour Me Jean-Paul Teissonnière, « le jeu cumulé de la nouvelle jurisprudence sur la non-imputabilité de la charge de la faute inexcusable aux employeurs et de l'incapacité dans laquelle se trouve le FIVA d'exercer des actions récursoires, conduit à une déresponsabilisation des acteurs industriels » .
Le secrétaire général de la FNATH, M. Marcel Royez, et le représentant de la CFDT, M. Rémi Jouan, se sont appuyés sur le dernier ouvrage du sociologue Philippe Askenazy, Les désordres du travail 68 ( * ) , pour procéder à une comparaison entre le système français et le système américain d'assurance des risques professionnels. Philippe Askenazy montre en effet que les compagnies privées qui assurent les risques professionnels aux Etats-Unis ajustent très précisément le niveau de leurs primes au taux de sinistralité observé dans les entreprises, ce qui incite les employeurs a mener une politique vigoureuse de prévention, qui a permis de diminuer fortement le nombre d'accidents du travail et de maladies professionnelles dans le pays. Il semble, en d'autres termes, que la prévention constitue un investissement « rentable » aux Etats-Unis, ce qui ne serait pas le cas en France.
Aux Etats-Unis, les victimes de l'amiante qui désirent obtenir une indemnisation doivent obligatoirement emprunter la voie judiciaire. A ce jour, plus de 600.000 personnes ont déposé plainte dans des affaires relatives à l'amiante et certains experts estiment que le nombre de recours supplémentaires pourrait atteindre 2,7 millions.
Dans le système américain de procédure
accusatoire, il appartient aux plaignants de déterminer le produit
à l'origine de la contamination, de prouver le lien de causalité
entre cette contamination et la maladie et de démontrer la faute de
l'entreprise responsable de l'exposition à l'amiante. En pratique, ce
sont les avocats qui rassemblent les éléments nécessaires
à la tenue du procès, de sorte que les frais d'avocat atteignent
des montants élevés, pouvant représenter jusqu'à
40 % des indemnisations reçues par les victimes.
L'encombrement des tribunaux conduit à un allongement des délais de jugement préjudiciable aux victimes, notamment à celles atteintes de pathologies malignes. Le niveau des indemnisations accordées est très variable selon les tribunaux et certaines victimes ne reçoivent aucune compensation, parce que l'employeur à l'origine de la contamination a disparu ou parce que la source de la contamination ne peut être identifiée. Les recours ont été dirigés contre plus de 8.500 employeurs. Les entreprises condamnées, et leurs assureurs, ont déjà versé plus de 70 milliards de dollars de réparation. Plus de soixante-dix entreprises ont déposé le bilan en raison des frais occasionnés par ces condamnations, ce qui a entraîné la disparition de 60.000 emplois directs. Dans ce contexte, le président de la commission des affaires judiciaires du Sénat, M. Arlen Specter, a déposé une proposition de loi tendant à la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Ce texte a été approuvé par la commission compétente mais n'a pas encore été examiné par le Sénat en séance plénière. Ce fonds serait administré au niveau fédéral et indemniserait les victimes malades de l'amiante sans que celles-ci aient à prouver qu'une faute a été commise. Il serait doté de 140 milliards de dollars, financés, à hauteur de 90 milliards, par les entreprises à l'origine de la contamination et, à hauteur de 46 milliards, par les compagnies d'assurance. Le solde, de 4 milliards de dollars, serait prélevé sur les actifs des sociétés ayant déposé le bilan. Les versements exigés de ces contributeurs seraient fonction du montant des indemnités qu'ils ont déjà versé aux victimes de l'amiante.
Pour être éligibles au fonds, les demandeurs
devraient démontrer qu'ils ont été exposés à
l'amiante sur le territoire américain et établir, par un
diagnostic médical, qu'ils sont atteints d'une maladie causée par
l'amiante. Un barème déterminerait le montant des
indemnités qui leur seraient dues, montant compris entre une simple
prise en charge des frais médicaux, pour les personnes atteintes de
plaques pleurales sans restriction de leur capacité respiratoire, et une
somme de 1,1 million de dollars pour les personnes atteintes d'un
mésothéliome. Le montant de l'indemnisation serait réduit
lorsqu'il est établi que la maladie peut aussi trouver son origine dans
un comportement personnel de la victime : ainsi, un fumeur atteint d'un
cancer broncho-pulmonaire percevrait-il une somme moindre qu'un non-fumeur.
Pour les maladies les plus graves, les gestionnaires du fonds pourraient faire
varier le montant de l'indemnisation afin de tenir compte des
caractéristiques de chaque dossier, notamment de l'âge de la
victime. Les demandeurs disposeraient d'un délai de quatre-vingt-dix
jours pour contester les décisions du fonds devant la
Court of
Appeals
compétente.
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* 68 Les désordres du travail : enquête sur le nouveau productivisme. Philippe Askenasy, éditions du Seuil, 2004.