3. Des conséquences financières très lourdes pour les entreprises
A Saint-Gobain, le pôle de produits pour la construction, essentiellement à travers Saint-Gobain PAM, est aujourd'hui une « coquille vide » qui gère le passif d'Everite. En effet, la personne morale Everite existe toujours, mais seulement pour les besoins des procès en faute inexcusable intentés par d'anciens salariés. C'est, au sein du groupe Saint-Gobain, en France, l'entité qui doit assumer les conséquences de l'exploitation de l'amiante.
C'est d'ailleurs un souci majeur de Saint-Gobain en termes de procès puisque, du fait de l'activité historique de la société américaine Certain Teed, en grande partie avant son acquisition par Saint-Gobain, un certain nombre de procès complexes relevant du système juridique américain sont en cours.
D'ailleurs, la Compagnie a dû constituer des provisions pour indemniser les salariés. La plupart des provisions sont surtout destinées aux procès américains. Rappelons que, dans le système américain, qui est celui des « class actions », on n'est pas obligé d'avoir une pathologie déclarée pour pouvoir engager un procès.
Le cas de l'entreprise des Constructions mécaniques de Normandie (CMN), dont une délégation de la mission a rencontré les dirigeants au cours de son déplacement à Cherbourg, illustre également les difficultés auxquelles la charge de l'indemnisation des victimes expose les entreprises, et qui peut mettre en péril leur équilibre financier .
La reconnaissance d'un taux d'incapacité permanente partielle (IPP) de 100 % ouvre droit, pour un salarié ou ancien salarié, au bénéfice d'une rente égale à 100 % du salaire brut. En application des règles de tarification de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale, l'employeur se voit ensuite facturer une somme égale à 32 fois le salaire brut annuel du salarié, ce qui représente, en moyenne, entre 600.000 et 700.000 euros.
En cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, la victime d'une maladie liée à l'amiante peut notamment se voir attribuer une majoration de sa rente au titre de la faute de l'employeur qui vient s'ajouter à la réparation déjà intégrale accordée par le FIVA. Pour une personne dont le taux d'IPP est de 100 %, les réparations complémentaires accordées par les tribunaux des affaires de sécurité sociale au titre du préjudice physique, moral et d'agrément s'échelonnent entre 110.000 et 300.000 euros. Il s'agit là de montants indéniablement difficiles à prendre en charge pour une entreprise à la situation financière fragile comme les Constructions Mécaniques de Normandie, qui emploie actuellement 350 salariés, contre 1.100 dans les années 1980, et qui a été contrainte de restructurer et diversifier sa production. Or, dans cette entreprise, ce sont 2.200 salariés qui, occupés au flocage des vedettes, ont subi une forte exposition à l'amiante entre 1966 et 1978. D'autres salariés ont subi une exposition plus faible en utilisant, de 1978 à 1984, des tapis, gants ou coussins de protection en amiante. Jusqu'en 1996, des salariés ont enfin pu être soumis à des expositions sporadiques à l'amiante, contenu notamment dans des joints.
On voit donc les sommes potentielles qui sont en jeu. Me Philippe Plichon a d'ailleurs attiré l'attention sur le fait que « si un ou deux cas de mésothéliome apparaissent, les CMN disparaîtront. En effet, un tel recours représente un coût considérable ».
D'ailleurs, aux Etats-Unis, les faillites liées aux indemnisations de l'amiante sont déjà relativement nombreuses.
Or, la faute inexcusable est systématiquement reconnue à l'encontre des CMN et aucune compagnie n'accepte plus, de ce fait, d'assurer contre ce risque. L'entreprise a dû faire face, jusqu'ici, à 110 recours en justice, dont une partie est encore en attente de jugement.
Me Philippe Plichon s'est inquiété de ce que « les assureurs refusent de couvrir le risque amiante. Les arrêts du 28 février 2002 ont été suivis, aussi souvent que possible, d'une dénonciation des polices. L'amiante n'est donc plus assurable ».
Depuis le début des années 1990, la plupart des assureurs de risques d'entreprise prévoient, dans leurs contrats, l'exclusion des risques liés à l'amiante. En effet, ces derniers n'étant pas mesurables, les assureurs ont considéré qu'ils ne pouvaient les prévoir dans la détermination de leurs tarifs. Jusqu'alors, ce risque n'était pas réellement tarifé. Il faisait partie de l'ensemble des garanties offertes dans les contrats d'assurance.
En effet, comme l'a souligné M. Claude Delpoux, directeur des assurances de biens et de responsabilités de la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA), la jurisprudence de la Cour de cassation « a totalement bouleversé l'idée que l'assurance se faisait du risque de la faute inexcusable pour des maladies professionnelles » et a « amené les assureurs à s'interroger sur la possibilité de couvrir, dans le cadre des contrats de responsabilité civile générale, la faute inexcusable. Ils acceptent ce risque dans des conditions permettant de limiter leurs engagements en montants ». En effet, les assureurs se soucient principalement de la maîtrise financière de leurs engagements en montants et en temps. Lorsqu'ils garantissent la faute inexcusable, ils incluent dans leurs contrats des plafonds de garantie et, pour des sinistres sériels, c'est-à-dire liés au même phénomène, un plafond global.
Il a ajouté que cette jurisprudence « crée une appréciation totalement différente du risque de l'amiante ou d'autres maladies professionnelles. Par conséquent, cette jurisprudence provoque un problème d'assurabilité . L'assureur ne peut en effet couvrir un risque que dans la mesure où il est capable de prévoir son engagement. S'agissant de sinistres pouvant toucher un nombre considérable de victimes, le montant de l'assurance correspondant au niveau des risques encourus est très difficilement déterminable ».