3. Un projet de réglementation européenne bloqué par le lobby des industries chimiques

La mission constate que le poids des intérêts industriels freine l'évolution de la réglementation concernant les produits chimiques. C'est le cas en particulier pour la proposition de règlement européen REACH qui semble bloquée à Bruxelles par le lobby des industries chimiques.

Lors de la table ronde organisée avec les représentants des organisations syndicales, M. Serge Dufour de la CGT a dénoncé la position des autorités françaises face à cette proposition : « Comment voulez-vous que, dans cette société, nous, travailleurs, avec l'insolence et l'impertinence dont nous sommes coutumiers, nous acceptions que le Président de la République joigne sa signature à celles du Premier ministre britannique et du Chancelier allemand pour écrire à la Commission de Bruxelles que la directive REACH pose des problèmes de paperasse pour nos entreprises de la chimie, que cela va les handicaper dans leur compétitivité économique et qu'il faudrait avoir le moins possible de réglementation contraignante par rapport à cela ? », estimant qu'il s'agissait pour ce texte « ni plus ni moins de la mise en oeuvre du principe de précaution » .

Devant la mission, Mme Martine Aubry a rappelé que le ministère de l'industrie représentait la France à Bruxelles s'agissant des autorisations de mise sur le marché, notant qu'« il s'agit d'un ministère qui est plus en contact direct avec les entreprises et qui peut être davantage soumis à des pressions, y compris lorsqu'on dit que cela risque d'entraîner la perte de centaines de milliers d'emplois ».

a) La proposition de règlement REACH

La mission rappellera que l'objectif de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 octobre 2003, concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) est d'instaurer un nouveau système d'enregistrement, d'évaluation et d'autorisation des substances chimiques afin de mieux protéger la santé humaine et l'environnement.

30.000 produits fabriqués ou importés dans l'UE, représentant chacun plus d'une tonne par an, seraient testés et répertoriés dans une base de données centrale, alors qu'on ne connaît pas actuellement leurs effets. Les substances les plus dangereuses (environ 1.500) seraient soumises à une procédure spéciale d'autorisation.

Cette réforme, proposée par Bruxelles, devrait être examinée à la mi-novembre en première lecture par le Parlement européen.

Une des novations essentielles par rapport au droit existant réside dans le renversement de la charge de la preuve de la sécurité des produits chimiques commercialisés, qui passe des autorités publiques à l'industrie.


La proposition de règlement européen REACH

Les principales mesures de la proposition de règlement concernent :

L'enregistrement

L'enregistrement constitue l'élément fondamental de REACH. Les substances chimiques fabriquées ou importées dans des quantités de plus d'une tonne par an 150 ( * ) doivent être obligatoirement enregistrées dans une base de données centrale. Faute d'enregistrement, la substance ne peut être ni manufacturée ni importée.

L'industrie est ainsi tenue de se procurer des informations pertinentes sur les substances qu'elle produit et d'exploiter ces informations pour assurer une gestion sûre de ces substances. L'enregistrement comprendra les données relatives aux propriétés, aux utilisations et aux précautions d'emploi des produits chimiques. Les données requises seront proportionnées aux volumes de production et aux risques présentés par la substance.

Une nouvelle agence européenne des produits chimiques sera chargée de gérer la base de données, de recevoir les dossiers d'enregistrement, ainsi que d'élaborer des orientations en vue d'assister les producteurs et les importateurs, ainsi que les autorités compétentes, dans la mise en oeuvre de ces dispositions. Il est prévu que 80 % environ de toutes les substances enregistrées ne nécessiteraient aucune action plus poussée.

La création d'une Agence européenne des produits chimiques

Cette agence gère les aspects techniques, scientifiques et administratifs du système REACH, en veillant à la cohérence des décisions au niveau communautaire.

L'agence gère également le processus d'enregistrement, joue un rôle fondamental en veillant à la cohérence de l'évaluation, établit des critères destinés à guider les Etats membres dans leur sélection des substances qui devront être évaluées et prend des décisions nécessitant des informations complémentaires sur les substances en cours d'évaluation. Elle formule également des avis et des recommandations dans le cadre des procédures d'autorisation et de restriction et a un devoir de confidentialité.

L'inventaire des classifications et des étiquetages

Ces dispositions garantissent que les classifications de toutes les substances dangereuses fabriquées ou importées dans l'UE soient à la disposition de tous les acteurs concernés. Les entreprises sont ainsi tenues d'inclure toutes les classifications dans l'inventaire. Toutes les divergences entre les classifications d'une même substance devraient être éliminées au fil du temps. Des classifications harmonisées au niveau de l'UE ne sont requises que pour les propriétés suivantes : substances cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour le système reproductif ou allergènes respiratoires.

L'instauration d'une procédure d'autorisation pour les substances les plus dangereuses

Les substances très préoccupantes sont soumises à l'autorisation de la commission en vue d'utilisations particulières.

Ces substances comprennent :

- les CMR (substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction) ;

- les PBT (substances persistantes, bioaccumulables et toxiques) ;

- le vPvB (substances très persistantes et très bioaccumulables) ;

- les substances préoccupantes ayant des effets graves irréversibles sur l'être humain et l'environnement, telles que les perturbateurs endocriniens.

Si les risques émanant de l'utilisation d'une telle substance peuvent être adéquatement gérés, l'autorisation est accordée. Dans le cas contraire, la commission considère le niveau de risque et l'éventuel intérêt socioéconomique de l'utilisation de la substance et si des substituts existent. Sur la base de ces facteurs, la commission décide de l'autorisation de la substance.

Rappelons, comme on l'a déjà indiqué, que la charge de la preuve incombe au demandeur.

* 150 Quelques groupes de substances (énumérés dans la proposition de règlement) sont néanmoins exemptés de l'obligation d'enregistrement, tels que :

- certaines substances intermédiaires ;

- les polymères ;

- quelques produits chimiques gérés au titre d'une autre législation de l'Union européenne (UE).

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