(2) Les médecins du travail et la prévention
« Tant que le financement des médecins dépendra de l'entreprise et que le choix du médecin, quand il est individuel, relèvera uniquement de l'entreprise, on n'y arrivera pas », a déclaré Mme Martine Aubry devant la mission.
On rappellera qu'avec près de 7.000 médecins du travail agissant dans 350 services interentreprises (qui couvrent 90 % de la population salariée suivie), et dans 750 services d'entreprise, les services de santé au travail constituent le premier réseau de terrain au service de la prévention et de la connaissance des risques professionnels.
En effet, les organismes de sécurité sociale, acteurs centraux de la prévention des risques professionnels depuis 1946, s'appuient sur les informations des prélèvements réalisés auprès des entreprises, qui se nourrissent notamment des déclarations des maladies professionnelles. Le médecin du travail constitue par conséquent le premier « donneur d'alerte » des risques professionnels.
Pour Mme Martine Aubry, « alors qu'aujourd'hui, chacun est encore plus attaché aux problèmes de la santé au travail, nous devons avoir un corps de médecins du travail totalement indépendant qui doit entrer dans l'entreprise en sachant qu'il ne doit rien au chef d'entreprise, ni son choix, ni sa rémunération ».
Le plan santé au travail ne va pas jusque là et confirme simplement le rôle des services de santé au travail, dont les compétences ont été élargies depuis la loi du 17 janvier 2002 avec l'appui de techniciens et d'ingénieurs intervenant aux côtés des praticiens pour mesurer les risques liés à la nature et aux conditions de travail. Il prévoit, de façon expérimentale dans un premier temps et parallèlement à une politique rénovée d'agrément, d'accompagner l'évolution de ces services au moyen de « contrats d'objectifs » conclus avec les directions régionales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle. Ces contrats permettront de promouvoir des programmes de prévention des risques émergents en entreprise ou de contribuer à adapter l'organisation du travail pour viser la réduction de pathologies identifiées tels les troubles musculo-squelettiques ou psychologiques (stress, troubles dépressifs, maladies cardio-vasculaires...).
(3) Les entreprises et la prévention
L'évaluation des risques professionnels constitue une obligation à la charge de l'employeur 134 ( * ) . Le décret du 5 novembre 2001 crée un « document unique » : en vertu de l'article R. 230-1 du code du travail, l'employeur doit créer et conserver un document transcrivant les résultats de l'évaluation des risques à laquelle il a procédé. Mme Martine Aubry a rappelé à cet égard que c'est « le chef d'entreprise, qui est le responsable permanent de la sécurité des travailleurs et qui doit protéger les salariés non seulement en fonction de ce qu'il sait, mais aussi de ce qu'il doit savoir ».
D'après les informations fournies à la mission, cette obligation est en réalité peu respectée.
M. Daniel Bouige, président du Laboratoire hygiène de contrôle des fibres (LHCF Environnement) a indiqué que « l'évaluation objective du risque fait souvent défaut », en prenant l'exemple des poussières de bois qui sont à l'origine de maladies professionnelles, tel que le cancer de l'ethmoïde , « alors que cette maladie est répertoriée au tableau des maladies professionnelles et fait l'objet de réparations » .
Afin de remédier à ces insuffisances, le PST propose :
- d'accompagner les entreprises , et notamment les TPE et les PME, dans leur démarche d'évaluation des risques.
Le document de présentation du PST souligne que « l'évaluation des risques consignés par l'entreprise dans le cadre du « document unique » institué par le décret du 5 novembre 2001 constitue un support indispensable pour assurer une action préventive et de surveillance ».
A cet égard, lors de la table ronde organisée par la mission avec les représentants des organisations patronales, M. Daniel Boguet, membre de l'Union professionnelle artisanale (UPA), a indiqué que son organisation portait un avis positif sur le PST, estimant qu'il tenait compte des contraintes et des difficultés propres aux petites entreprises, notamment artisanales.
- de créer des conseils régionaux de la prévention des risques professionnels.
Associant l'État et les partenaires sociaux avec la participation des organismes et acteurs de la prévention au plan territorial (ARACT, OPPBTP, médecins du travail, ingénieurs...), des « conseils régionaux de la prévention des risques professionnels » seront créés dans chaque région dès 2006. S'appuyant sur les Observatoires régionaux de la santé au travail (ORST), ils auront pour mission de mieux coordonner, au plan territorial, tous les intervenants publics et privés dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail en partageant l'information, en dégageant les enjeux communs et en conduisant des actions partenariales. Cette instance de coordination, qui se substitue aux comités régionaux de coopération (État et partenaires sociaux) et aux commissions régionales de médecine du travail, définira, sur la base d'un diagnostic partagé, les priorités, les moyens et les actions à mettre en oeuvre dans le champ de compétence de chaque intervenant qui pourront prendre la forme d'un plan régional d'actions en santé au travail.
Pour Mme Martine Aubry, « le point faible de ce rapport sur la santé au travail, si tant est qu'il ait les moyens pour répondre à ses trois premiers objectifs, qui sont à l'évidence les bons, c'est bien la faiblesse de la partie concernant les entreprises ».
Notamment, elle a estimé qu'il fallait aller vers une individualisation plus grande des cotisations de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles, afin d'inciter les entreprises à renforcer la prévention : « Il faut savoir que les entreprises qui font tous les efforts dépensent beaucoup plus que celles qui n'en font aucun, parce que l'écart de cotisation ne remplit pas cette différence ». Dans le plan santé travail, il a été demandé aux organisations patronales et syndicales de négocier sur ce sujet. « J'espère que cela ira jusqu'au bout » , a-t-elle ajouté.
M. Gérard Larcher a estimé que la réussite du PST était liée à son caractère interministériel et décentralisé ainsi qu'à la coordination des acteurs de l'entreprise. De nombreux interlocuteurs de la mission ont en effet considéré que le cloisonnement des administrations était largement responsable de l'inertie des pouvoirs publics dans l'affaire de l'amiante.
Pour le professeur Marcel Goldberg, « l'une des [raisons] les plus importantes [du retard qui a été accumulé dans la connaissance de la toxicité de l'amiante] est la séparation très nette, en France, à l'échelon des pouvoirs publics et de l'État, dans l'accomplissement de leurs missions régaliennes, de ce qui relevait du monde du travail et de ce qui relevait du monde de la santé... Comme vous le savez, les risques professionnels étaient historiquement traités au sein du ministère chargé du travail alors que le ministère de la santé était chargé des problèmes de santé ».
Lors de son audition, M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, a particulièrement insisté sur l'importance de la mise en place d'une commission interministérielle d'orientation stratégique de la protection contre les risques professionnels , placée auprès du Premier ministre.
Dans le document de présentation du PST, il est indiqué que cette commission « instance de liaison à caractère opérationnel » , se réunira au moins une fois par an, et sera chargée de définir des recommandations stratégiques et des directives d'actions concrètes.
Par ailleurs, elle suivra la mise en oeuvre du plan santé au travail pour les sujets relevant de l'État.
Composition : Cette commission associera tous les ministères membres du conseil supérieur de la prévention des risques professionnels et de la commission nationale d'hygiène et de sécurité au travail en agriculture, ainsi que le ministère de la fonction publique et de la réforme de l'État (fonction publique d'État), le ministère de l'intérieur (fonction publique territoriale), le ministère en charge des hôpitaux (fonction publique hospitalière), le ministère de la recherche et le ministère des finances ; le recours à des experts sera possible. Des comités ad hoc pourront être constitués pour impulser et suivre ponctuellement la mise en oeuvre de recommandations et de directives émises par la commission. Saisine : Annuelle par les services du Premier ministre sur proposition du ministre chargé du travail. La commission pourra en outre être réunie sur proposition de l'un des ministères y siégeant. Présentation de l'action de la commission : Présentation une fois par an, devant le conseil supérieur de la prévention des risques professionnels ainsi que devant la commission centrale d'hygiène et de sécurité de la fonction publique, des orientations stratégiques décidées. |
S'agissant du caractère décentralisé du dispositif, M. Gérard Larcher a mentionné en particulier la constitution de pôles scientifiques régionaux, en partenariat avec le ministère de la recherche, indiquant qu'il avait participé au lancement d'une des premières cellules, dans le Nord de la France. Il a également souligné l'importance des cellules régionales de soutien méthodologique, scientifique et technique de l'inspection du travail, dont l'implantation territoriale devrait être généralisée d'ici à 2009.
Enfin, comme le préconise de l'IGAS, « si l'État stratège doit arrêter les priorités, il doit s'appuyer sur des opérateurs très divers pour les mettre en oeuvre, médecins libéraux, hôpitaux, élus, entreprises, enseignants... ».
C'est sur ces opérateurs que s'appuient les actions du PST, dont un des quatre objectifs vise à encourager les entreprises à être acteurs de la santé au travail, notamment au travers des instances représentatives du personnel.
* 134 Depuis la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991 relative à la prévention des risques professionnels.