3. Le nouvel équilibre des activités de l'Agence

L'équilibre entre les différentes missions de l'Agence fait l'objet de critiques multiples, mais qui peuvent néanmoins appeler des appréciations nuancées. C'est la détermination des priorités qui est ici en cause. Or, au-delà de grilles d'appréciation bien construites, on peut également considérer que le rôle dévolu « aux urgences » ne doit pas être excessivement réduit ab initio, faute de quoi l'actualité pourrait prendre sa revanche en cas de crise. C'est pourquoi les critiques souvent faites sur un nécessaire rééquilibrage entre les missions et activités peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un examen.

Il a été notamment reproché à l'AFFSAPS de consacrer trop de moyens aux missions traditionnelles héritées de l'Agence du médicament, à savoir les AMM, au détriment d'autres missions (secrétariat de la commission de la transparence, cosmétiques, dispositifs médicaux). Il n'est pas aisé et est même souvent impossible d'apprécier avec précision la justesse de ces critiques qui reposent sur la connaissance de données nombreuses et complexes à interpréter ; en revanche, certaines d'entre elles peuvent être efficacement remises en perspective pour les approuver ou au contraire les contester.

a) La part des procédures d'AMM

L'instruction des dossiers et les procédures d'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché des médicaments constituent « le coeur de métier » de l'AFSSAPS quelle que soit la procédure suivie : nationale, dans le cadre européen, de reconnaissance mutuelle ou centralisée ; dans ce dernier cas, c'est l'EMEA (Agence européenne d'évaluation des médicaments) qui charge l'AFSSAPS d'un dossier.

Il apparaît clairement que l'AFSSAPS remplit ses missions. La mission d'audit elle-même a porté une appréciation qui ne laisse pas de place au doute dans l'appréciation de la valeur et de l'efficacité de l'activité de l'Agence (op. cit. page 9) :

« Une procédure satisfaisante mais perfectible

Ce schéma général de l'instruction des demandes d'AMM apparaît satisfaisant à la mission. La mission ne peut pas se prononcer sur le fond des dossiers d'évaluation, ne disposant pas de compétence ni de légitimité médicale. Néanmoins, les procédures et l'organisation en matière d'évaluation du médicament sont maîtrisées.

En effet, la multiplicité d'intervenants dans cette procédure semble être une force du système d'évaluation. L'avis de très nombreux spécialistes permet d'aboutir à une conclusion la plus objective possible.

Par ailleurs, la nature des décisions prises à l'issue de l'instruction des nouvelles demandes nationales ou de reconnaissance mutuelle est un élément d'appréciation de l'activité. Ainsi en 2001, 42 % de ces décisions ont fait l'objet d'une suspension de la procédure dans l'attente d'informations complémentaires demandées aux laboratoires, et 15,7 % d'entre elles d'un refus d'autorisation.

Enfin, l'implication de l'Agence dans les procédures européennes est satisfaisante. L'AFSSAPS instruit toutes les nouvelles demandes en procédure centralisée. Le nombre d'évaluations produites en tant qu'Etat destinataire est en augmentation (68 en 2000 et 89 en 2001). L'instruction des variations de type II en procédure centralisée ou en reconnaissance mutuelle est également systématique, avec un degré d'investissement décidé au cas par cas.

Une nuance doit être apportée à ce tableau tout à fait positif en ce qui concerne les délais d'instruction pour les procédures nationales. En effet, l'Agence doit respecter les limites contraignantes fixées pour les procédures européennes (210 jours en procédure centralisée, 90 jours en reconnaissance mutuelle). Les procédures nationales sont traitées en seconde priorité et ont connu des retards importants, passant de 124 jours en 2000 à 205 jours pour les neuf premiers mois de 2002. Il en est de même pour les dossiers d'extension d'indications et de vaccinations thérapeutiques. Toutefois, comparer pour ces dernières, un délai de 150 jours (qui doit indiscutablement être sensiblement réduit) à un délai de 30 jours prévu par les dispositions européennes montre que ce dernier chiffre n'est pas réaliste. On peut s'inquiéter quant à la philosophie qui sous-tend un tel dispositif.

Dans sa lettre du 24 juin 2003 contenant ses observations sur le rapport d'audit, M. L. Abenhaïm contestait l'équilibre des moyens consacré aux différentes missions de l'AFSSAPS dans les termes suivants :

« Sans remettre en cause la qualité globale des décisions prises par l'agence, j'avais indiqué à la mission que je m'interroge beaucoup sur la pertinence de la répartition des moyens de l'agence entre ses missions :

- Importance de l'investissement sur la procédure d'octroi des AMM, en particulier sur la procédure centralisée.

- Apport insuffisant de moyens pour les commissions placées auprès du Ministre et dont elle assure le secrétariat, comme la commission de la Transparence ».

« Sur ce point aussi, le rapport ne se prononce pas et ne permet pas de disposer d'éléments factuels faisant le point avant la négociation du contrat d'objectifs et de moyens. (...)

S'agissant de l'implication de l'agence dans les procédures européennes d'AMM, je regrette que le rapport ne se prononce pas sur son niveau au regard des performances dans d'autres secteurs de l'activité de l'agence. On peut se demander si son degré est justifié. En d'autres termes, le rapport devrait poser la question de savoir si le maintien d'un haut niveau de compétence au sein de l'agence justifie qu'elle consacre à ces tâches une telle quantité de ressources humaines alors que dans le même temps, les ressources en matière d'évaluation font si cruellement défaut au secrétariat scientifique de la commission de la transparence. De plus, il faut souligner que ni l'AFSSAPS, ni l'EMEA, n'effectuent d'audit des données des études comme le fait la FDA, du fait de la qualité de ses ressources internes. En d'autres termes, le travail en reste au niveau de « l'opinion » d'expert, ce qui est largement insuffisant, et pour l'AMM et pour la Transparence. En général, ce processus qui est presque uniquement basé sur les données des laboratoires, est par nature insatisfaisant ».

On peut noter au passage que la référence aux travaux de la FDA, critique à l'égard de l'AFSSAPS et de l'Agence européenne, ne paraît pas corroborée par les révélations récentes sur la valeur des travaux de l'Agence américaine pour des autorisations de mises sur le marché préalablement déposées aux Etats-Unis, ni pour le suivi de ces médicaments après une première autorisation (cf. infra en particulier le cas du Vioxx et celui de la cérivastatine).

De son côté, M. Adrien Gouteyron, sénateur, dans son rapport d'information à la commission des finances (page 57), notait en juillet 2003 :

« Une trop grande priorité accordée aux missions traditionnelles de l'Agence

La Cour des comptes, au moment de son contrôle, c'est-à-dire entre la fin 2000 et le début de l'année 2001, avait jugé que l'AFSSAPS n'avait pas encore pris totalement le contrôle de son champ de compétences, ce qui avait notamment pour conséquence de handicaper la fixation des prix des médicaments par la commission de la transparence.

L'Agence avait surtout donné la priorité aux aspects qui engagent sa responsabilité alors que, dans les autres domaines, les produits cosmétiques par exemple, les moyens mis en oeuvre l'avaient été moins rapidement. De même, l'évaluation des dispositifs médicaux n'était pas en place alors que ce poste de dépenses a augmenté de 16 % en 2002.

Lors de son audition, le directeur général de la santé a fait le même constat. Il a, en effet, estimé que les moyens alloués par l'AFSSAPS aux autorisations de mise sur le marché sont beaucoup plus importants que ceux affectés à la commission de la transparence, alors que les AMM sont aujourd'hui très largement dictées par lé réglementation communautaire et délivrées par l'Agence européenne du médicament ».

Pour en rester à la seule place des procédures d'AMM dans l'ensemble des activités de l'Agence, il apparaît difficile de se satisfaire de la bonne implication de l'Agence dans les procédures européennes, de la consistance de ses travaux et méthodes, et de lui reprocher par ailleurs de consacrer trop d'énergie à ces missions essentielles, notamment « celles qui engagent sa responsabilité ». Sa responsabilité est d'ailleurs engagée aussi pour des domaines moins spectaculaires que sont les dispositifs médicaux et les cosmétiques.

Le souci de « tenir son rang » et de constituer une référence dans le concert des agences nationales en étroite liaison avec l'Agence européenne (EMEA), ce qui a précisément été assuré et relevé par les instances d'inspection, paraît au contraire tout à fait positif. L'apparition de risques nouveaux, dont les développements se précisent rapidement au niveau européen et mondial, justifient pleinement la recherche d'une vigilance et d'une efficacité au meilleur niveau. A titre d'illustration, pour le contrôle des médicaments sous AMM européenne centralisée, la France est, après l'Allemagne, le deuxième pays de l'Union européenne le plus souvent choisi pour effectuer ces contrôles.

Non seulement la place prise par les dispositions communautaires ne doit pas amener à affaiblir les dispositifs qui assurent un haut niveau de sécurité sanitaire, mais encore les risques d'une concurrence vers le bas entre agences, et l'existence de mécanismes communautaires contestables sur la sécurité des dispositifs médicaux ou de conditions inquiétantes de dispensation des médicaments par exemple, sans parler de la valeur des contrôles des laboratoires, apportent une justification supplémentaire aux efforts consacrés par l'Agence à ces activités. Les recommandations de la mission d'audit (rapport p. 60) se plaçant dans une perspective plus générale encore vont précisément dans le sens d'une implication européenne encore plus grande de l'AFSSAPS en renvoyant sans ambiguïté la responsabilité des décisions à la tutelle, c'est-à-dire au ministère chargé de la santé et donc à la D.G.S. :

« Engager une réflexion sur l'implication de l'Agence dans les travaux au sein de l'Union européenne.

Au regard de l'importance croissante des moyens consacrés aux activités européennes, même si la mission n'a pu les quantifier précisément dans toutes les directions, il est aujourd'hui important que cette question soit placée au coeur des débats entre l'Agence et ses tutelles.

Au-delà de la participation de l'Agence à des procédures européennes telles que les procédures d'AMM centralisées, le discours général de l'Agence justifiant son implication à l'échelle européenne, porte sur le niveau de sécurité sanitaire souhaité à terme au sein de l'Union.

De plus, comme la mission a pu le montrer, de réels sujets d'inquiétude peuvent d'ores et déjà être identifiés dans l'Union, compte tenu de la liberté de circulation des produits et de l'absence d'harmonisation effective des pratiques de sécurisation des produits de santé entre Etats. Des propositions de la France sur ces questions seraient de nature à accroître l'investissement européen de l'Agence.

La réponse explicite des pouvoirs publics sur cette question est naturellement déterminante sur les modalités de fonctionnement de l'Agence et sur ses priorités de travail à court et moyen terme. Au vu d'une identification précise des moyens actuellement dévolus aux travaux de nature européenne par l'Agence et d'une prévision d'activité graduée selon plusieurs scenarii, les autorités de tutelle doivent être en mesure de statuer sur le degré d'investissement européen de l'Agence ».

Ajoutons que le rapport d'évaluation de la loi du 1 er janvier 1998 des quatre inspections ne reprend en rien des critiques relatives au poids excessif des activités traditionnelles de l'AFSSAPS.

Pour terminer par un exemple spécifique en matière d'autorisation, mais important par ses implications de sécurité, le cas des ATU (autorisations temporaires d'utilisation) mérite d'être cité. L'ATU est une procédure autorisant dans un but thérapeutique (et non de recherche) l'utilisation de médicaments ne bénéficiant pas d'AMM. Le rapport d'audit (page 12) précise sur ce point :

« La gestion et le suivi des autorisations d'importation appellent un jugement particulièrement favorable de la part de la mission. L'effort de formalisation des processus d'autorisation mérite d'être souligné et s'est notamment traduit par des délais de traitement (entre 24 et 48 heures) systématiquement respectés pour les importations, même si pour les autorisations d'exportation, dont le nombre progresse, ils demeurent trop longs ».

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