II. AU-DELÀ DE LA REUSSITE GLOBALE, DES AJUSTEMENTS NECESSAIRES
La mise en oeuvre de la loi du 1 er juillet 1998 dans le domaine de la sécurité des aliments a nécessairement été une réalisation dans la durée car contrairement à l'AFSSAPS qui succédait à l'Agence du médicament où à l'InVs qui prenait la suite du réseau national de santé, l'AFSSA constituait un élément nouveau, même si l'intégration du CNEVA avec ses laboratoires et le pôle du médicament vétérinaire de Fougères lui donnaient au départ des éléments fonctionnels nécessaires comme le législateur l'avait d'ailleurs voulu.
Cette notion de durée va de pair avec le pragmatisme qu'exigeait l'ajustement des nouveaux mécanismes d'une sécurité sanitaire faisant intervenir d'autres acteurs que l'AFSSA. Cette observation justifie la nécessité de vérifier tout d'abord le principe de base sur lequel la sécurité sanitaire des aliments est fondé : la séparation de l'évaluation du risque et de la gestion du risque. Cette dernière notion pourrait être mieux exprimée par le terme de « décision » car c'est là l'élément fondamental de cette phase du processus. Tout en gardant cette nuance à l'esprit, on en restera à la distinction classique.
Cette vérification débouchera sur une confirmation du rôle de la plupart des autres acteurs, c'est-à-dire essentiellement les trois tutelles que l'on pourrait peut être maintenant qualifier plus exactement de « partenaires ministériels ». La DGCCRF (Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie), la DGAL (Ministère de l'Agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales), la DGS (Ministère de la santé et de la protection sociale).
S'agissant des relations entre ces différents acteurs, la confirmation des principes retenus et des compétences n'excluent pas, bien au contraire, des ajustements pour deux séries de raisons au moins. D'une part, les mécanismes d'information et de coopération prévus par les nouvelles dispositions ne fonctionnent pas toujours comme ils le devraient. D'autre part, des évolutions exigent que l'action publique soit sans cesse adaptée pour faire face à des exigences ou des risques nouveaux.
Des ajustements sont aussi nécessaires dans l'organisation interne dans l'activité fondamentale de l'AFSSA elle-même : l'évaluation du risque à travers les saisines qu'elle a à traiter.
Des lacunes de l'architecture générale de la sécurité de la sphère alimentaire exigent qu'il soit procédé à des ajouts et des précisions à la construction de 1998, dans des domaines qui n'ont sans doute pas à l'époque été perçus comme centraux, mais qui posent de réels problèmes : il s'agit notamment du domaine végétal avec les produits phytosanitaires.
Des mises au point ou d'autres clarifications sont nécessaires dans deux aspects très différents de l'action de l'Etat. Il s'agit d'une part du rôle des laboratoires qui appelle une réflexion d'ensemble, quel que soit leur ancrage administratif et, d'autre part, du « process européen » de la sécurité des aliments ; si la clarification à réaliser ne fait pas de doute, les moyens d'y procéder ne dépendent évidemment pas de la seule agence française, ni même du seul Etat-membre qu'est la France.
2.1. La séparation entre l'évaluation et la gestion : un principe vérifié
La vérification de ce principe est d'autant plus nécessaire qu'il a été récemment remis en cause alors qu'un consensus semblait s'être peu à peu établi, puis renforcé.
2.1.1. Un principe non universel
Indépendamment de toute nouvelle approche, on peut considérer que cette séparation ne se retrouve pas dans d'autres Etats, ou en tout cas pas organisée d'une manière aussi nette.
Ainsi en Grande-Bretagne, la création de la Food Standards Agency instaurée par la réforme de 1999 (Food Standards Act) a eu pour objet de restructurer complètement l'organisation de la sécurité sanitaire des aliments face à une « nécessité de reconquête de l'opinion » selon les termes du directeur exécutif de la FSA lui-même ; la confiance du public avait en effet été très atteinte à la suite de la crise de l'ESB et des épidémies de salmonellose. Pour reprendre les termes de Sir John Krebs, président de la FSA, la loi de 1999 a créé un « département gouvernemental, (c'est-à-dire un ministère sans ministre (...), la fonction de protection des consommateurs étant ainsi séparée de l'influence directe des ministres ». La FSA a repris les fonctions du ministère de l'agriculture et de la santé dans ces domaines et acquis de nouveaux pouvoirs qui relevaient précédemment directement du gouvernement ; en outre, elle participe concrètement à l'élaboration des actes normatifs, y compris les textes européens et internationaux et a le pouvoir de proposer au Parlement l'adoption de mesures susceptibles d'améliorer la sécurité dans ce domaine.
Enfin, et c'est évidemment essentiel, les avis rendus par la FSA en matière de sécurité des aliments suite à une saisine doivent être suivis par le Gouvernement sauf à en donner la motivation publiquement. Le président de la FSA résume ainsi le positionnement de l'Agence : « l'objectif de notre institution est de protéger la santé du public et les intérêts des consommateurs en matière alimentaire. Notre mandat va donc bien au-delà de la sécurité alimentaire ».
Le dispositif retenu en Grande-Bretagne doit donc être remis dans le contexte de la crise de confiance majeure des années 90. On est ainsi passé d'un fonctionnement confidentiel des instances administratives en charge de l'évaluation et de la gestion à une exposition publique des principales phases d'action de la nouvelle FSA. En outre, les spécificités permanentes de l'organisation du pays doivent être présentes à l'esprit ; ce sont les autorités locales qui sont chargées de l'application des lois et règlements sur le terrain ; par ailleurs, les analyses nécessaires aux contrôles sont presque toutes externalisées : il n'y a pas en Grande-Bretagne l'équivalent des laboratoires dont on dispose en France à l'AFSSA.
Sans aller plus avant dans l'analyse comparative entre la France et la Grande-Bretagne, il apparaît clairement, comme c'est souvent le cas, que la structuration des mécanismes décisionnels est très liée à une situation institutionnelle et historique spécifique, elle-même marquée par les conséquences d'une crise majeure. En conséquence la transposition n'aurait guère de sens.
D'autres pays d'Europe connaissent d'ailleurs une absence de séparation dans le domaine alimentaire entre l'évaluation et la gestion du risque. C'est ainsi le cas de la Belgique et du Danemark.
2.1.2. Des remises en cause récentes
L'évolution des situations, le « retour d'expérience » ou tout simplement l'observation et le pragmatisme pourraient légitimement justifier une remise en cause du principe de séparation auquel on ne saurait conférer un « caractère théologique ». Deux démarches en ce sens peuvent être signalées : la première apparaît à travers une « auto-évaluation » à laquelle il a été procédé au deuxième trimestre 2003 à la demande de l'AFSSA elle-même, la seconde est une prise de position énoncée en novembre 2003 par le Pr. Lucien Abenhaïm, ancien Directeur général de la santé, dans son livre « Canicules ».
La « démarche d'auto-évaluation de l'AFSSA »
Une rapide présentation et explication de texte sont ici nécessaires.
Cette démarche d'auto-évaluation de l'AFSSA est ainsi présentée par son directeur général (document daté du 25 août 2003).
« L'AFSSA a souhaité réaliser un travail d'évaluation interne de son activité, trois ans après sa création. Cette démarche décidée en Comité de direction s'inscrivait dans un double contexte, celui de la mise en oeuvre des missions d'inspection ministérielle et parlementaire liées à l'évaluation de la loi de 1998 et celui de la fin du premier mandat des comités d'experts spécialisés de l'AFSSA en août 2002.
Les objectifs principaux étaient de faire le point sur les réalisations de l'AFSSA, la manière dont elle avait rempli ses missions mais également les manques, les difficultés et les domaines à renforcer afin de préparer une nouvelle étape dans le développement de l'agence après les phases de création et de construction.
Le choix a été fait de faire appel à une équipe externe, reconnue pour son expérience en évaluation des systèmes ou politiques publiques, appartenant à un organisme public, le CNRS avec un travail conduit en plusieurs étapes comprenant une phase externe complémentaire de la réflexion conduite en interne par les équipes de l'agence notamment au sein de la Derns en vue du renouvellement des comités d'experts ».
La note de synthèse d'accompagnement du processus d'auto-évaluation, selon les termes de cette présentation « portait sur le diagnostic que cette équipe spécialisée dans la sociologie des organisations faisait des premières années de l'agence au regard de ses missions et devait ouvrir des perspectives et faire des recommandations pour l'avenir ».
La méthodologie adoptée mais surtout les conditions dans lesquelles cette « auto-évaluation » a été menée ne nous paraissent pas de nature à tirer des enseignements substantiels dans le cadre de l'évaluation à laquelle nous sommes amenés à procéder même si le recueil d'opinions individuelles et de rappels de certains éléments factuels, le plus souvent déjà connus, ne manque pas d'intérêt. L'absence de recul, inévitablement lié à ce genre d'exercice, limite déjà l'apport attendu, et le non respect de règles classiques d'analyse sociologique oblitère nécessairement le résultat. Le fait que deux des trois tutelles ministérielles aient refusé de participer à cet exercice en rend les enseignements attendus d'autant plus limités. Des appréciations sévères sur ces travaux ont d'ailleurs été formulées, y compris par des connaisseurs ou professionnels de la sociologie des organisations.
Concernant la « note de synthèse », celle-ci procède en effet à des « diagnostics » et « ouvre des perspectives et fait des recommandations ». On y trouve ainsi une observation selon laquelle « Au plan législatif, en somme, la situation semble claire. Si l'agence n'a pas de véritable pouvoir de gestion du risque, elle peut se considérer comme chargée d'une mission d'évaluation de cette gestion par les autorités compétentes » . Les suggestions implicites que comporte cette rédaction méritent déjà d'être remarquées car elles traduisent assez clairement la tentation d'aller nettement au-delà de l'évaluation du risque pour ce qui est du domaine de compétence de l'agence. Très logiquement, ce que l'on trouve dans la conclusion en est le prolongement : la situation diagnostiquée de l'agence comporterait un risque : « celui de maintenir l'agence dans le créneau étroit de producteur d'avis scientifiques et de gestionnaire déléguée d'un potentiel de recherche et d'appui scientifique et technique, créneau qui semble convenir à la fois à ses administrations de tutelle et aux professionnels, mais qui apporte une « fausse » garantie en matière de maîtrise des risques ». (...)
« La question que doit se poser la direction générale est donc la suivante : l'AFSSA peut-elle se contenter d'occuper ce créneau tout en remplissant son rôle de protection de la santé publique ? (...).
« En revanche, si la réponse à cette question est négative, la perspective change et un autre axe d'action prioritaire apparaît : il s'agit alors de rechercher un autre positionnement de l'agence dans le champ de l'évaluation et de la gestion de la sécurité sanitaire des aliments. Une telle recherche devra se faire dans deux directions principalement qui impliquent
- de reconstruire d'autres rapports avec les représentants et les acteurs du secteur privé, en instaurant des relations plus directes reposant sur une forme de réciprocité ;
- de clarifier et surtout de rééquilibrer les relations de l'agence avec ses tutelles ».
(...)
« Cette clarification et ce rééquilibrage renvoient enfin, et par-dessus tout, à la réalisation du rôle que la loi confère à l'Agence dans l'évaluation des activités de tous les acteurs concernés par la gestion du risque alimentaire (...).
Si l'AFSSA souhaite renforcer son influence dans l'évaluation et la gestion de la sécurité sanitaire des aliments, tout en diminuant la vulnérabilité inhérente à la situation qu'elle occupe aujourd'hui, il lui revient de repenser dans un sens plus ouvert et plus direct ses relations avec les acteurs privés de la chaîne agroalimentaire et, parallèlement, à rééquilibrer les relations avec ses tutelles dans les directions esquissées ci-dessus ».
On distingue assez difficilement ce que ce « rééquilibrage », dont la nécessité est plusieurs fois soulignée, laisserait dans la gestion du risque ou à la décision aux directions ministérielles de tutelle. Les « relations directes avec le secteur privé reposant sur une forme de réciprocité » reviendraient à une situation que l'on a précisément voulu supprimer pour éviter la confusion des genres. L'ensemble des fonctions serait ainsi regroupé, pour ne pas dire confondu, dans le périmètre de l'AFSSA, seule compétente en matière de sécurité des aliments.
Dans une perspective moins transparente, c'est dans le même sens que s'orientent les propositions du Pr. L. Abenhaïm dans son livre « Canicules » 24 ( * ) . .
Consacrant un chapitre (« la sécurité sanitaire inachevée ») entier à l'organisation de la sécurité sanitaire et à l'architecture constituée par les agences à partir de la loi de 1998, il précise d'emblée : « la faiblesse de la réforme majeure de la sécurité sanitaire qui a eu lieu ces dix dernières années est qu'elle reste inachevée ».
Présentant l'Etablissement français du sang, l'Institut de veille sanitaire et l'AFSSAPS comme des réussites accomplies de la loi de 1998 et des réformes qui l'avaient précédée, l'auteur s'appuie précisément sur l'exemple de cette dernière où l'évaluation et la gestion du risque sont dans une même main pour estimer que « le secteur alimentaire est à la traîne » , selon l'intitulé même du paragraphe où il détaille son point de vue.
Les remarques et l'analyse précises des enchevêtrements de compétences décrivent assez bien les difficultés rencontrées, les risques de retard et la position particulièrement inconfortable de la D.G.S. ; l'exemple des importations est d'ailleurs particulièrement intéressant : il cite à titre d'illustration une infection de poulets importés des Pays-Bas par un virus de grippe potentiellement très dangereux pour l'homme en mai 2003 dont il a été informé par le ministère de l'agriculture avec plusieurs semaines de retard. L'illustration la plus marquante des graves difficultés systémiques avec le ministère de l'agriculture est celle des épidémies ou épisodes de listeria en 1993 et 1997. Les preuves bactériologiques se faisant inévitablement attendre, il convenait, en effet, à partir des constatations épidémiologiques faites par l'InVS de prendre des mesures conservatoires d'urgence. Et ce n'est qu'après de longues tractations à l'occasion de cette crise à l'automne 1999 qu'un protocole sur la listériose a pu être adopté et mis en oeuvre avec des résultats concrets.
Ces exemples et de nombreux autres illustrent d'une part les extrêmes difficultés et acuité des crises auxquelles la D.G.S. et le Ministère de la santé ont à faire face, et d'autre part un comportement discutable du Ministère de l'agriculture fondé sur des réflexes et des pratiques inadaptées face à l'évolution des esprits (exigence de transparence) et des techniques ou des situations (rapidité et diversité de la distribution, multiplicité de produits et de circuits).
En fait, l'AFSSA (ou l'InVs, en tant que tel), n'est pas en cause ; la conclusion que tire le Pr. L. Abenhaïm de ces faits sur la réunification de l'autorité évaluatrice du risque et celle investie du pouvoir de décision, n'en résulte pas réellement. La majorité des crises citées à l'appui de cette thèse sont antérieures à la création de l'AFSSA ou directement concomitantes à sa mise en place (listériose - automne 1999).
En fait, ce qui apparaît clairement au début de ce paragraphe intitulé « La position difficile des agences sanitaires » est que l'auteur n'a pas admis le partage des tâches et l'équilibre institués par la loi de 1998 dans le domaine alimentaire : il conclut d'ailleurs sans ambages : « La mission laissée à l'AFSSA en matière de sécurité sanitaire se limite donc à l'évaluation des risques et à la vérification de la conformité des décisions générales des ministères - leurs arrêtés - aux principes découlant de cette évaluation. Sans qu'elle ait les moyens de vérifier si ces décisions sont bien appliquées, ni même la capacité de les définir de façon opérationnelle. C'est extrêmement regrettable ».
Cette présentation restrictive du rôle de l'AFSSA est exagérée. Ses travaux, ses activités et la conception que son directeur général affiche du rôle de l'AFSSA malmènent d'ailleurs quelque peu cette analyse et cette conclusion lapidaire, même si, et c'est un problème d'application sur le terrain et non de principe, l'association de l'agence aux activités de contrôle sur le terrain peut soulever de réelles difficultés qui doivent être résolues rapidement. C'est d'ailleurs la résolution de ces difficultés qui permettra précisément de supprimer ces situations où le décideur est confronté au dilemme du « tout ou rien » qui est effectivement celui du ministère de l'agriculture ou de la santé.
Rappelons enfin que le choix de la séparation entre l'évaluateur et le gestionnaire du risque dans le domaine alimentaire n'est pas une exception française et qu'il est même l'un des principes d'organisation préconisé dans le cadre du Codex alimentarius.
2.1.3. Une confirmation souhaitable
Les opinions paradoxales ont au moins un mérite : celui d'obliger à remettre en cause une approche qui s'impose comme une évidence « incontournable » et définitive. Cela posé, l'argumentaire en faveur de la suppression de la séparation entre l'évaluation et la gestion du risque dans le domaine alimentaire paraît bien mince, circonstanciel et attaché à la forme plutôt qu'à la réalité des problèmes et des évolutions. En outre, la proposition de création d'un « grand ministère des risques » (Pr. L. Abenhaïm) dépasse largement le cadre de l'AFSSA pour atteindre un niveau de généralités qu'on abordera par ailleurs si tant est que cette philosophie puisse avoir des prolongements opérationnels.
Force est de constater qu'à l'exception des deux remises en cause précitées, la totalité des nombreuses et fort diverses personnalités interrogés ont d'emblée confirmé la nécessité de ce principe de séparation et ce, quels que soient leur situation, leur rôle ou leur absence de rôle, dans l'architecture institutionnelle mise en place depuis 1998.
Parmi les praticiens les plus expérimentés de la question, M. Christian Babusiaux, qui a exercé longuement les fonctions de directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes du ministère de l'économie et des finances, a souligné qu'il avait voulu cette séparation dès le départ et qu'à l'usage son bien-fondé se confirmait sans ambages. Si la rédaction de certains avis de l'AFSSA par les préconisations qu'ils contenaient a pu susciter des difficultés (cas du mouton lors d'une épidémie de « tremblante » alors que l'essentiel de la consommation était alors issu d'importations), le principe est cependant justifié et opérationnel, ce qui n'exclut pas des ajustements dans certains types de situations.
Du côté des professionnels de la distribution, M. Jérôme Bédier (Président de la fédération des entreprises du commerce et de la distribution) a souligné que l'on tenait beaucoup à cette séparation qui était un acquis pour tout le monde en terme de sécurité.
Parmi les argumentations excluant le regroupement au sein de l'AFSSA, au-delà de l'évaluation du risque de l'ensemble des autres fonctions et notamment ce qu'on appelle la gestion du risque, la ministre en charge de la consommation, donc de la DGCCRF, Madame Marylise Lebranchu, avait indiqué en mai 2000, lors de la journée d'auditions publiques organisée par la commission des affaires sociales du Sénat sur la mise en oeuvre de la loi du 1 er juillet 1998 : « Avoir une seule entité impliquerait une supra structure avec à l'intérieur tous les laboratoires, le tout en étant au service de l'évaluation du risque. Je reste persuadée qu'il faut garder des outils au service de la gestion du risque. L'Agence n'a pas comme vocation de contrôler. Elle perdrait son temps et son efficacité. En effet, le souci, que vous avez bien développé, était d'avoir un outil structurel institutionnel garanti transparent travaillant en permanence sur l'évaluation des risques potentiels. Laissons la gestion aux administrations de telle manière que l'Agence ne soit pas encombrée de missions de contrôle et ne fasse plus de travail d'évaluation aussi souvent qu'elle le pourrait.
Par ailleurs, il me semble que l'Agence n'aura jamais tous les laboratoires sur toutes les compétences dans l'avenir. Qu'elle ait le droit, en tant que de besoin, d'avoir à sa disposition ces laboratoires et que ceux-ci soient obligés de lui répondre sur toutes les évaluations qu'elle demande, y compris les laboratoires universitaires - des universités travaillent sur de la recherche fondamentale qui, à un moment donné, peuvent être utiles à l'Agence - est un fonctionnement qui me paraît devoir être poursuivi ; sinon, l'Agence manquera de moyens ».
Cette analyse faite un an après la création de l'AFSSA garde toute sa valeur et illustre clairement les risques d'un tel regroupement. Mais le corollaire de la répartition des fonctions ainsi retenue apparaît aussi clairement : l'accès aux laboratoires extérieurs à l'Agence et l'obligation pour eux de répondre à ses questions doivent être assurés. Sur ce point, précisément, un effort réel reste à faire pour que l'équilibre d'ensemble instauré en 1998, et donc l'efficacité recherchée, soit atteint.
Enfin, s'agissant du pouvoir de décision dans le domaine alimentaire, on voit mal celui-ci exercé par l'autorité administrative qui aurait procédé préalablement à l'évaluation : les critiques sur la confusion des fonctions formulées avant 1998 retrouveraient alors toute leur justification.
Ce point essentiel du dispositif est aujourd'hui peu controversé. Au total, cette distinction entre évaluation et gestion du risque constitue un progrès marquant et si des aménagements dans la communication des avis peuvent apparaître nécessaires dans certains cas, l'architecture d'ensemble n'est pas remise en cause.
2.1.4. Une communication mieux cadrée
Dans un domaine de la vie quotidienne où la sensibilité de la population est très marquée et s'est même renforcée avec l'enchaînement de crises ou d'épisodes accidentels fort médiatisés, la communication est naturellement un élément essentiel. Non seulement elle a été longtemps insuffisante, voire inexistante, mais encore les difficultés qu'elle recélait constituaient le problème principal. La nouvelle architecture instituée par la loi de 1998 a d'ailleurs eu notamment pour objet de répondre à ce besoin de communication en fixant les rôles de chacun : - AFSSA, en tant qu'évaluateur du risque - tutelles ; l'Institut de veille sanitaire joue un rôle essentiel en amont (listérioses par exemple).
2.1.4.1. Le fondement juridique
« En vue de l'accomplissement de ses missions, l'AFSSA ... rend publics ses avis et recommandations », (art. L 1323-2 du code de la santé publique)
Les prérogatives de communication de l'Agence à cet égard ne font aucun doute comme cet extrait du texte fondateur de la loi de 1998 le montre. Mais si le domaine que traitent les avis de l'Agence est d'ordre scientifique, la communication, élément essentiel vis-à-vis de la population, n'est pas unanime ni même univoque ; elle semble avoir varié avec le temps.
Sur le principe, personne ne conteste le droit et même le devoir de l'Agence de communiquer sur ses travaux et en particulier sur les avis qu'elle rend : la prérogative précitée est conçue comme une pratique courante destinée notamment à mettre un terme aux silences du passé. Dès la mise en place de l'Agence, son directeur général a donné à la communication une vigueur, une rapidité et une efficacité appréciables. Le protocole signé en 1999 à la suite d'une épidémie de listériose avec les trois ministères de tutelle a précisé les conditions dans lesquelles l'information leur est transmise.
La mise en oeuvre semble être spécialement appréciée des journalistes, un peu moins de certaines administrations de tutelle. La qualité de l'information n'est pas en cause. Elle est reconnue et d'ailleurs procède normalement des comités d'experts qui réalisent l'évaluation elle-même. Sa lisibilité pour l'essentiel est appréciée, même si dans certains cas l'aide d'un scientifique paraît nécessaire pour décrypter sans risque d'erreur le texte de l'avis.
Le caractère centralisé, « cadré » de l'information ainsi donnée par l'Agence est parfois critiqué au nom d'une diversité scientifique d'analyse que l'on ne retrouverait pas dans l'avis. Il semble qu'il y ait là une confusion entre la diversité de la recherche et la nécessité d'une évaluation à des fins sanitaires. On imagine sans peine les critiques, très justifiées, de textes qui rendraient compte du balancement entre les différentes approches possibles et les gradations dans les appréciations de la situation.
2.1.4.2. Les reproches multiples
Les reproches sont par contre plus nombreux et, semble-t-il, plus consistants en ce qui concerne la rédaction des avis et la temporalité dans la communication.
Ces remarques concernent essentiellement les périodes de crises, les dossiers sensibles ESB, notamment les farines animales, tremblante du mouton par exemple. Cet aspect qui en fait illustre les limites du succès de l'AFSSA a été traité dans la première partie (l'évaluation globale).
La rédaction de l'avis : le contenu même de l'avis ne laisserait guère de marge de choix aux ministères chargés de la décision en aval : dans le cas des farines animales par exemple.
La multiplicité des avis successifs sur la même question contribue indiscutablement à « faire monter la pression » dans l'opinion et ce, sans réelle justification scientifique. Certes, la mise en garde rituelle et fondée le plus souvent « dans l'état actuel de nos connaissances scientifiques et de nos informations » peut fournir une telle justification, mais cela n'autorise pas pour autant une attitude qui peut aller à l'encontre de l'objectif de transparence et de sérénité affiché.
L'une des critiques la plus tangible est celle portant sur le délai insuffisant laissé aux autorités de tutelle pour prendre connaissance de l'avis avant sa diffusion dans le public.
Sur les questions les plus sensibles, cela a souvent été le cas. Il n'appartient évidemment pas au Parlement de préciser les règles de fonctionnement à cet égard. Mais on peut souhaiter que tout soit fait pour ne pas donner prise à ces critiques ; sinon le soupçon de la volonté de bousculer l'équilibre instauré par la loi entre l'Agence et les autorités ministérielle prendrait une consistance certaine, ce qui pourrait entraîner des attitudes regrettables par rapport aux progrès acquis en matière de transparence.
D'une manière générale, une certaine ardeur excessive de communication qu'a manifestée l'Agence pendant ses trois ou quatre premières années d'existence est retombée, ce qui apparaît positif.
Au-delà de règles de bon fonctionnement, de bon voisinage et de bon sens qui ne paraissent pas trop difficiles à trouver et à respecter, un ou deux principes simples peuvent être retenus : bannir le principe de la communication immédiate dès lors qu'il n'y a pas urgence : la capacité physique à tout présenter sur Internet ne justifie pas l'affichage automatique ; dans le même esprit une périodicité de publication régulière faciliterait la résolution de ce problème réel.
La conception de l'avis lui-même a fait l'objet de remarques de différents horizons. Les avis de l'Agence sont signés du directeur général personnellement engagé scientifiquement et juridiquement. Mais le texte de l'avis du comité d'expert n'est pas publié, ce que certains regrettent. Il reste que le directeur général peut disposer d'une marge d'appréciation. La lisibilité, la nécessité du caractère opératoire de l'avis rendu peuvent justifier ce décalage quand il existe. Toutefois, pour limiter la portée de cette difficulté, la mention sur l'avis de l'AFSSA de l'absence d'objection du président du comité (« nihil obstat ») serait à envisager.
De même, l'absence de coordination entre les avis des comités d'experts lorsque plusieurs d'entre eux sont concernés par une saisine devrait aisément être surmontée car elle est injustifiable. Par ailleurs, il serait souhaitable de faire fonctionner le Conseil scientifique en formation restreinte, ce qui est prévu par les textes (art. R794-22), cela permettrait de faciliter la cohérence entre les avis de dix comités d'experts spécialisés.
2.2. La coopération entre évaluateurs et gestionnaires : des progrès à réaliser
La fonction régalienne d'assurance de la sécurité des aliments dont l'Etat a la charge implique que les différents acteurs qui y participent oeuvrent d'une manière concertée, d'autant que la distinction qui a été établie entre agence chargée de l'évaluation du risque et services ministériels chargés de la gestion du risque et du contrôle (l'autorité ministérielle gardant le pouvoir de décision) est fonctionnelle et vise précisément à atteindre la meilleure efficacité. Les textes fondateurs ne laissent d'ailleurs aucun doute à ce sujet :
« Pour l'accomplissement de ses missions, les laboratoires des services de l'Etat chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments et ceux qui leur sont rattachés sont mis à disposition de l'Agence en tant que de besoin » (art. 1323-1, 4 ème alinéa du code de la santé publique) - L'art. R 794-2 de ce même code précise ce rôle et cette situation, notamment dans le domaine vétérinaire - L'appui scientifique et technique que l'Agence doit de son côté assurer au ministère de l'agriculture et aux autres ministères est également précisé.
Les différents avis et opinions recueillis conduisent à constater que cette coopération ne se vérifie pas dans le fonctionnement quotidien avec, sans doute, des variations selon les administrations de tutelle.
Une première remarque permet de relier cette observation à celles faites (cf. supra) sur la séparation entre l'évaluation et la gestion du risque. L'administration la plus réticente à la création de l'AFSSA, à savoir le ministère de l'agriculture, considère que cette séparation devrait être renforcée. Cette attitude est révélatrice d'une réticence, sinon d'un refus, de tirer toutes les conséquences de la création de l'Agence : associer le moins possible cette dernière au suivi des décisions, à la méthodologie des contrôles, aux plans de surveillance, aux questions technologiques qui apparaissent en aval. La D.G.A.L. transmet maintenant - enfin - les plans de surveillance, mais cela ne représente qu'une faible partie des éléments de l'ensemble de l'action de contrôle. La tentation pour l'Agence est alors réelle, devant ce qui peut se caractériser comme un mauvais vouloir, de tenter de s'approprier ce qu'elle appelle « l'évaluation de la gestion du risque ». La sémantique administrative est aussi un outil pour décrypter ces conflits de frontière qui sont d'abord des conflits de pouvoir.
Le ministère de l'agriculture n'est pas le seul à manifester ces réticences, mais c'est lui qui le fait le plus nettement. La position de la direction générale de la santé est par nature différente de celle des deux autres tutelles ; celle de la D.G.C.C.R.F. illustre au mieux la difficulté, mais aussi la possibilité réelle, d'établir un équilibre dans ces relations de coopération mutuelle entre l'Agence et les services des trois ministères de tutelle.
La D.G.C.C.R.F. envoie systématiquement les programmes, les plans de contrôle et la méthodologie utilisée à l'AFSSA. Ses remarques sont prises en compte et si à ses yeux le fonctionnement de ce système peut faire l'objet de retouches, il n'y a pas lieu de le modifier actuellement.
Par ailleurs, le système d'échange d'informations au niveau européen par le réseau Rapex, dont la direction générale « Santé des consommateurs » assure la régulation depuis Bruxelles, constitue un élément essentiel et des améliorations pourraient même être obtenues. Certains Etats-membres communiquent des données excessivement abondantes, d'autres à l'inverse des données lacunaires ou équivoques (cas de la dioxine dans les élevages de poulets en Belgique). La Direction générale de l'alimentation, comme la D.G.C.C.R.F. participent à ce réseau.
Les moyens de coopération pour une meilleure efficacité existent, mais là aussi plus qu'une science, la coopération dans la gestion du risque est un art dont la valeur réside essentiellement dans l'application ; si l'AFSSA a rendu immédiatement publique une appréciation en forme d'avis sur les premiers plans de contrôle de la viande bovine sans attendre la réponse des tutelles, il n'est pas étonnant qu'ensuite des réticences regrettables se fassent jour. Dans l'autre sens, il est à noter que deux ans avaient été nécessaires pour que l'AFSSA obtienne communication des modes opératoires d'enlèvement des produits dangereux dans les carcasses de bovins. S'il apparaît assez nettement que tous les torts ne sont pas du même côté, il est à craindre que la tentation du recours à l'argutie soit également bien répartie.
Le genre de blocages que l'on vient d'évoquer appelle des remises en cause de la séparation évaluation/gestion du risque du côté de l'AFSSA. On pointe alors l'argument selon lequel le format des données collationnées diffère selon la perspective d'utilisation : la logique du contrôle n'est pas forcément celle de l'évaluation du risque. La portée de cet argument ne paraît importante que si l'on se place dans une logique de conflit entre unités administratives. Des mécanismes d'échange de données fondés sur des moyens de traitement dans une perspective de coopération mutuelle ne constituent pas un objectif inaccessible ...
Par ailleurs, le contrôle et la répression ne peuvent être séparés et s'inscrivent nécessairement dans le suivi de la gestion du risque. Sauf à placer l'ensemble des unités administratives, laboratoires compris, dans le périmètre de l'AFSSA et à faire disparaître en conséquence la Direction générale de l'alimentation et la D.G.C.C.R.F., il n'apparaît pas aujourd'hui nécessaire de revenir sur l'équilibre établi par la loi de 1998. En revanche, les déviations ou les non-applications doivent être redressées. Des propositions seront faites en ce sens. Une synergie peut se réaliser entre les deux catégories d'acteurs : l'AFSSA d'un côté, les trois administrations chargées de la gestion, de l'autre. Une coopération structurée oblige chacun à préciser ses intentions, sa méthodologie et aussi les limites de sa capacité d'appréciation. A cet égard, un des éléments de la clarification à opérer peut être fourni par le contrat d'objectifs et de moyens (COM) dont l'AFSSA a demandé avec insistance la réalisation depuis longtemps et dont la conclusion a été reportée à plusieurs reprises pour des raisons obscures qui sont plutôt des prétextes. Un outil administratif de ce type n'est sans doute pas la panacée, mais en permettant de préciser les moyens, les exigences et les obligations de chacun, il contribue nécessairement à l'efficacité de l'ensemble des actions dans le cadre général de l'objectif commun qu'est la sécurité sanitaire alimentaire.
2.3. Les saisines : un mécanisme perfectible
Le mécanisme de fonctionnement par saisine illustre bien le caractère novateur de la loi du 1 er juillet 1998 par l'autonomie qu'elle confine aux agences sanitaires, notamment à l'AFSSA, et par la procédure formelle qu'elle établit ainsi (cf. supra première partie).
Au-delà de la satisfaction générale constatée sur ce dispositif, satisfaction que nous partageons, des améliorations sensibles paraissent pouvoir être apportées soit pour faire face à quelques imperfections, soit pour prévenir des risques de dérives actuellement discrets, mais qu'il convient précisément de repérer. Enfin, quelques interrogations demeurent sur certains points où des propositions concrètes peuvent être faites ou envisagées.
2.3.1. Des perfectionnements possibles
Rapidement après sa mise en place en 1999, l'AFSSA a su atteindre un rythme d'activité élevé et faire face aux nombreuses demandes qui lui étaient adressées et ce, au-delà des dossiers les plus brûlants et les plus médiatisés dans des délais très convenables. Pour que la procédure de saisine et de communication des avis garde toute sa valeur et son caractère opérationnel, plusieurs pistes de perfectionnement sont à envisager, notamment d'un point de vue quantitatif.
2.3.1.1. Un volume à maîtriser
Depuis 2000, le nombre de saisines est resté stable à un niveau que l'on peut qualifier d'élevé : entre 330 et 360 par an, mais il s'est élevé à 399 en 2003. Plus de la moitié portent sur des demandes d'autorisation (évaluation des risques dans le cadre d'une mise sur le marché), cette catégorie étant en baisse par rapport au début du fonctionnement de l'Agence ; une proportion stable de 25 % s'observe pour les saisines sur les textes réglementaires et assimilés ; on note une augmentation importante en 2001 des demandes d'évaluation dans des situations de contamination avérée ou potentielle. Le pourcentage de saisines à traiter en situation d'urgence reste constant.
La répartition selon les domaines visés par les saisines en moyenne au cours des trois dernières années est la suivante :
- 25 % sont relatives au domaine de l'eau
- 18 % celui de la nutrition
- 15 % celui de l'alimentation animale
- 10 % celui des ESST (encéphalopathie spongiforme subaigüe transmissible), le reste dans les différents autres domaines de compétence de l'Agence.
L'accent mis sur nombre de saisines par l'Agence elle-même, mais aussi la tendance générale à évaluer principalement une entité administrative à partir de tels critères quantitatifs comporte des risques. Tout en soulignant la nécessité de disposer d'éléments d'information concrets comme celui-ci, il convient d'en mesurer les limites et en tout cas d'introduire les nuances qui permettent d'affiner le jugement et d'abord d'éviter les erreurs.
L'énergie mobilisée au sein de l'Agence elle-même, y compris dans les comités d'experts spécialisés est évidemment très variable selon la nature du questionnement et le domaine concerné. Si l'on souhaite éviter que cette énergie soit diluée ou mise en oeuvre dans des conditions qui limitent l'efficacité de l'action de l'Agence, il convient de concentrer les saisines de l'Agence sur l'essentiel. Deux pistes pour ce cadrage quantitatif sont à envisager.
2.3.1.2. L'examen excessif des textes réglementaires
La consultation sur les projets de textes réglementaires
25 % des saisines sont relatives à l'analyse des projets de textes réglementaires y compris européens dans tous les champs de compétence qui relèvent de l'AFSSA, dont l'étendue, la variété et la technicité n'ont pas besoin d'être davantage explicitées. Le pouvoir qui a été donné à l'Agence se justifie aisément par la volonté de s'assurer le concours permanent d'une compétence reconnue qui a en charge le suivi des dossiers scientifiques visés par ces textes. La détermination de cette compétence d'une manière très explicite (art. L 1323-2, 2è alinéa du CSP peut aussi s'apprécier comme la volonté d'asseoir clairement le rôle de l'AFSSA dans l'élaboration des normes en supprimant dès l'origine toute occasion de querelle de frontières avec les différentes administrations de tutelle et autres.
La pratique en usage depuis maintenant plus de quatre ans montre que cette tâche tend à devenir excessive par l'énergie quelle exige et pas toujours justifiée quant à l'intérêt d'une intervention qui a pris un caractère systématique. C'est sans doute là que réside une partie de la difficulté, mais aussi l'élément de solution. Le texte précité indique que « l'Agence fournit au Gouvernement l'expertise et l'appui scientifique et technique qui lui sont nécessaires ... » ; est-il nécessaire dans tous les cas où l'Agence est saisie ? On peut en douter. Une sélection pourrait être effectuée afin de limiter sensiblement le nombre et éventuellement l'ampleur de ces saisines qui, à tort, sont devenues systématiques.
Dans certains domaines bien déterminés, la saisine de principe de l'Agence doit entièrement être maintenue. C'est le cas évidemment pour tout ce qui est relatif au médicament vétérinaire où l'AFSSA est détentrice de la décision (AMM), du pouvoir de police et de contrôle. La même démarche doit être retenue pour tous les projets de textes et de décisions dans le domaine européen et international : la nécessaire et souvent difficile coordination interministérielle sur des sujets qui sont scientifiquement complexes et commercialement disputés ne pourrait se passer de la compétence de l'AFSSA. C'est parmi ce qui reste qu'un allègement pourrait être opéré.
2.3.1.3. Des saisines contestables
-- A travers des consultations sur des projets de textes sont posées des questions dont la réponse est cadrée par les valeurs limites préexistantes (denrées alimentaires d'origine animale contaminées par des résidus de pesticides). D'autres cas relèvent de la gestion courante du risque et n'appellent pas autre chose que la confirmation de l'application des dispositions déjà applicables : c'est particulièrement le cas dans le domaine de la santé animale ; des textes relatifs au transport des animaux relèvent de la même analyse ; l'existence au sein de l'AFSSA d'un « directeur de la santé animale » disposant d'un statut particulier par rapport au ministère de l'Agriculture est peut-être l'explication de ce type de saisine.
-- Il arrive que l'intitulé de la saisine montre qu'une telle demande ne paraît pas relever de ce traitement administratif : ainsi en 2003, la saisine 124 : « demande d'avis relatif à trois projets d'arrêtés concernant la gestion des sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine » exposée par la DGAL.
-- Un tout autre problème est posé par celui des saisines visant à faire valider des justificatifs d'allégation nutritionnelle ou de santé proprement dite. C'est là un phénomène récent, en rapide développement que l'on abordera par ailleurs. Mais d'ores et déjà il apparaît que ces demandes dont l'admissibilité même pose problème, et qui émanent le plus souvent « d'entreprises fugitives », devraient être découragées ; et en tout cas elles devraient faire l'objet d'une « procédure accélérée » qui pourrait précisément être instituée à cette fin.
-- Certaines saisines relatives à des renouvellements d'agrément de matériaux dans le traitement des eaux peuvent relever d'une autre procédure administrative, car on est ici dans la gestion plus que l'évaluation.
-- Au total, en regroupant les différents éléments qui viennent d'être identifiés, il apparaît que le nombre de saisines pourrait être diminué de 15 % à 18 % sur la totalité (399) de celles enregistrées en 2003, qui est d'ailleurs en augmentation sensible sur les années précédentes.
2.3.1.4. Les moyens d'une maîtrise du volume des saisines
L'identification des imperfections donne d'elle-même les pistes d'améliorations possibles.
L'automaticité de saisine sur les textes, notamment ceux qui relèvent d'une routine d'application et non d'une évaluation scientifique ou technologique nouvelle, peut être évitée. Les administrations de tutelle ont évidemment leur part de responsabilité dans cette réorientation. Il en est de même pour des « saisines techniques » dont la recevabilité au titre de l'évaluation n'est pas évidente.
Dans les autres cas, c'est sans doute par un rôle accru, voire nouveau, du Conseil scientifique que des progrès substantiels dans ce domaine pourraient être obtenus. Une nouvelle tâche pourrait lui être donnée dans le cadre de l'art. R 794-22 du Code (formation restreinte) lui permettant de jouer un rôle de tamisage dans le flux des saisines. Les comités spécialisés d'experts pourraient être aussi amenés à intervenir selon une procédure simplifiée par rapport à la procédure normale, d'autant que le secrétariat scientifique de chacun de ces comités, dont le fonctionnement est jugé tout à fait satisfaisant, pourrait y contribuer.
La maîtrise quantitative des saisines contribuera à améliorer la qualité d'un dispositif qui répond sans aucun doute aux objectifs qui lui ont été fixés, mais qui, si l'on n'y prenait garde, pourrait connaître des dérives que l'augmentation excessive du nombre de saisines pourrait notamment susciter.
2.3.2. Des risques de dérives
2.3.2.1. La tendance naturelle de notre époque à considérer le risque zéro comme un objectif accessible, donc souhaitable 25 ( * ) , peut très naturellement amener à multiplier les précautions, les vérifications répétées dont l'intitulé de certaines saisines de l'AFSSA témoigne d'ailleurs clairement. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les administrations de tutelle contribuent à une augmentation sensible et pas toujours justifiée des saisines. Ce mouvement peut même avoir une origine directement ministérielle : la tentation de « se couvrir » reste forte dès lors que l'on sent l'opinion d'une extrême sensibilité à un problème. En outre, le mécanisme fonctionnant bien, il n'y a pas vraiment de régulation naturelle dans le sens de la maîtrise du flux qui puisse s'établir. La croissance constatée en 2003 peut procéder de ce phénomène, mais surtout elle pourrait être plus sensible dans l'avenir.
Par ailleurs, d'autres facteurs qui vont dans le même sens sont identifiés. L'AFSSA elle-même pointe la croissance que pourrait entraîner la réalisation effective de la séparation entre l'évaluation et la gestion du risque dans les domaines des produits biocides et phytosanitaires. C'est là un problème essentiel que l'on aborde plus loin dans le présent rapport (« des lacunes à combler ») mais dont on peut dès maintenant prévoir les implications éventuelles pour l'AFSSA.
2.3.2.2. Les organisations de consommateurs ont depuis décembre 2000 la possibilité de saisir l'AFSSA ; elles en ont fait un usage très limité (moins d'une dizaine par an). On peut penser que l'on observera ici une croissance, mais on ne dispose pas d'indication précise pour le moment.
2.3.2.3. Les industriels ne disposent pas du droit de saisine. L'ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires) et, plusieurs autres acteurs, souhaitent que ce droit leur soit reconnu. Il s'agirait d'un élément pouvant contribuer à la croissance du nombre des saisines, mais il conviendrait, le cas échéant, d'éviter une dérive dans cette perspective (cf. infra).
2.3.2.4. Enfin, si les auto-saisines de l'AFSSA ne sont pas statistiquement considérables (20 sur 347 en 2001), leur évolution et surtout la charge qu'elles représentent (cf. supra) sont de nature à mobiliser une part importante de l'énergie de l'Agence. Or l'autosaisine n'étant pas encadrée, elle peut apparaître et se développer dans des domaines et des modalités qui sont discutables. Les efforts qui y sont consacrés peuvent l'être au détriment de travaux plus nécessaires ou plus légitimes. Les évolutions inquiétantes caractérisées par l'augmentation de la prévalence de l'obésité, ont conduit à mettre l'accent sur les actions dans le domaine nutritionnel. Ce souci justifié ne saurait entraîner une déformation de l'outil qu'est l'Agence modifiant ainsi la répartition des moyens qui sont mis à sa disposition par rapport à l'ensemble de ses objectifs et de ses obligations.
2.3.3. Des interrogations
2.3.3.1. Sur le droit de saisine
La question du droit de saisine de l'AFSSA par les industriels (producteurs, distributeurs) est régulièrement soulevée par tous les acteurs : les intéressés bien sûr, mais aussi les administrations, les experts et les autres parties prenantes. L'ANIA (Association Nationale des Industries Alimentaires) avait demandé que cette faculté leur soit reconnue et en janvier 2003, le CNA (Conseil National de l'Alimentation) a émis un voeu en ce sens.
Dans la mesure où les organisations de consommateurs en bénéficient, on voit mal comment ce droit pourrait par principe être refusé à bien des acteurs essentiels du domaine, sauf à se fonder sur une idéologie d'exclusion des intérêts privés alors qu'il s'agit d'un droit de saisine et non d'une quelconque participation à la décision ou à la gestion.
Parmi les arguments invoqués, et en dehors des industriels eux-mêmes, on a souvent évoqué le fait que la nouvelle architecture de la sécurité sanitaire des aliments avait marginalisé les industriels et les experts du secteur privé. Au-delà des questions purement scientifiques, les applications technologiques semblent, de ce fait, avoir été moins prises en compte. Cette évolution pourrait avoir des conséquences sur la valeur de l'expertise sur l'ensemble des process et de ce fait dans l'appréciation des risques eux-mêmes. Le droit de saisine, logique au demeurant, serait donc un moyen de limiter les effets de cette séparation dommageable. Dans ses propositions, le CNA prend en compte lui-même les impératifs et les précautions qu'implique cette réforme :
Sur le champ du droit de saisine
La possibilité de saisine de l'AFSSA devrait porter sur l'évaluation des risques suspectables compte tenu des éléments dont disposent une ou plusieurs entreprises d'un même secteur. Les exploitants du secteur alimentaire devraient, dans ce cadre, pouvoir obtenir de l'AFSSA un avis sur les risques nutritionnels ou sanitaires qu'ils suspecteraient concernant les aliments destinés à l'homme ou aux animaux, les procédés et conditions de production, transformation, conservation, transport, stockage et distribution des denrées alimentaires, en informant simultanément les autorités sanitaires compétentes.
Cette saisine devrait dans tous les cas s'inscrire dans une perspective d'intérêt général de santé publique et non d'intérêt particulier.
Ce droit de saisine ne devrait pas pouvoir s'exercer dans les domaines où les textes en vigueur prévoient une procédure de dépôt de dossier ou de demande d'autorisation auprès d'une administration.
Sur l'exercice du droit de saisine
Pour éviter tout risque de saturation de l'Agence ou des saisines qui tendraient à détourner l'Agence de son rôle institutionnel et à lui faire jouer un rôle de conseil, le CNA recommande que cette possibilité soit ouverte aux seules organisations professionnelles ou interprofessionnelles.
S'agissant d'une simple faculté, il serait loisible à une organisation professionnelle ou interprofessionnelle, si elle estime que de telles saisines ne relèvent pas de son rôle ou qu'elle n'est pas en mesure de les prendre en charge, d'informer ses mandants de cette position de principe.
Ce n'est qu'au terme d'une période expérimentale, par exemple de deux ans, que la possibilité d'ouvrir le droit de saisine aux exploitants eux-mêmes pourrait être examinée, tout en tenant compte des mêmes préoccupations.
Ce texte prévoit la possibilité pour l'Agence de juger de la recevabilité de la saisine et, de ce fait, de la rejeter :
« Si la demande n'entrait pas dans le domaine de compétences de l'Agence, si elle ne relevait pas de l'évaluation du risque, si elle était insuffisamment motivée et/ou renseignée ou si elle ne relevait pas de l'intérêt général de santé publique, mais d'un intérêt strictement privé, il informerait le demandeur que sa demande n'est pas susceptible d'être examinée ».
L'ouverture d'un tel droit pose, en effet, quelques questions difficiles que le CNA a bien identifiées, notamment le risque d'instrumentalisation ou de saturation de l'Agence. Les précautions envisagées paraissent de nature à y répondre. Il reste que le fait de faire filtrer le droit de saisine par le canal des organisations professionnelles peut soulever des difficultés en terme de rapports de force d'une part, et au regard du secret industriel de l'autre. Ces réserves ne constituent pas une raison suffisante pour ne pas réaliser une réforme dont la quasi totalité des acteurs s'accordent à noter le bien fondé.
2.3.3.2. Sur le champ des saisines
On a vu que l'Agence elle-même notait clairement parmi les évolutions envisageables l'évaluation dans le domaine des produits phytosanitaires et celui des biocides. Sans nous prononcer actuellement sur le second, les questions soulevées par le premier ne peuvent qu'avoir des conséquences sur la tâche de l'Agence dans un domaine où elle est expressément chargée par les textes de la sécurité sanitaire.
L'aménagement des compétences de l'AFSSA et de l'AESA
La création effective de l'AESA, il y a près de deux ans, implique la détermination des champs de compétences avec les agences nationales. On traitera spécifiquement ce problème plus loin, mais il convient de noter dès maintenant que de réels problèmes se posent déjà et qu'ils ont des conséquences sur la conception des saisines donc des avis de l'AFSSA. Quant au nombre, il est sans doute beaucoup trop tôt pour délimiter les effets d'un changement dans l'ordonnancement institutionnel encore difficile à cerner.
2.4. L'expertise : des retouches nécessaires
L'expertise est l'élément essentiel de l'évaluation qui elle-même est le coeur de métier de l'AFSSA. Elle doit répondre aux exigences croissantes d'une population de plus en plus informée. La mise en place de l'Agence ayant été abordées précédemment, on se limitera ici aux appréciations relatives aux années récentes et aux questions plus durables, sachant d'ailleurs que celles-ci relèvent autant de mise en oeuvre de principes et d'organisation interne que de dispositions législatives. On est tout au plus dans le domaine réglementaire. Mais de toute façon, la réalité de terrain, celle du fonctionnement de l'expertise, présente davantage d'intérêt qu'une approche étroitement juridique.
Une précision liminaire doit enfin être donnée : il ne revient évidemment pas au rapporteur de l'Office de se livrer à une appréciation de la valeur scientifique des expertises réalisées ; il n'en a naturellement pas les moyens ; une telle appréciation ne saurait se faire à partir d'exemples limités. Les corps d'inspection (IGAS et IGF) eux-mêmes, saisis d'une demande d'audit sur l'AFSSAPS en 2002 ont de la même façon exclu toute capacité à procéder à une telle évaluation dans le domaine des produits de santé. En outre, l'évaluation dont nous sommes chargés ici n'est pas un audit.
Après ces remarques et quelques interrogations sur la situation des experts eux-mêmes, on abordera le fonctionnement des comités d'experts et leur place dans l'ensemble du dispositif d'évaluation du risque.
2.4.1. La question des experts
La qualité et l'indépendance des experts constituent des éléments acquis dont on a rappelé la réalité dans la première partie du présent rapport ; on abordera essentiellement ici les remarques que certains aspects de leur situation soulèvent.
2.4.1.1. La situation
La situation naturelle et les conditions de travail des experts ont été sensiblement améliorées par rapport à la période antérieure à la création de l'AFSSA. Ce progrès sensible n'est contesté par personne. Il répondait d'ailleurs à un besoin réel. Ceux qui ont connu l'époque de la section « alimentation nutrition » du conseil Supérieur d'hygiène publique de France en attestent. Il est vrai qu'on y a mis quelques moyens.
Cela posé, la rémunération ne semble pas être l'élément le plus susceptible d'attirer un grand nombre d'experts dans les comités spécialisés et l'AFSSA elle-même indique que dans l'analyse de coût des avis qu'elle a réalisée, les vacations des experts ne représentent que 6 % (et les frais de transport et de mission afférents 7 %).
La situation ne semble pas actuellement inquiétante ; toutefois, lors du premier renouvellement des comités d'experts (250 personnes au total) intervenu en 2003, on a enregistré un nombre de candidats en nette diminution par rapport au recrutement précédent.
La charge de travail peut être très lourde dans certains comités. Un président de comité d'experts indique, par exemple, qu'il a eu à rendre 120 avis en deux ans et demi. Il n'est pas rare que des experts estiment que leur activité pour l'AFSSA « relève du bénévolat », compte tenu de ces éléments.
Enfin, la reconnaissance que manifeste l'Agence elle-même aux experts ne semble pas être à la mesure des efforts importants qu'ils lui consacrent ; le rapport 2002-2003 de l'AFSSA en donne un signal très clair : l'activité des comités d'experts est évoquée d'une manière particulièrement elliptique, à travers le soutien que leur apportent les scientifiques de l'AFSSA et plus nettement par le faible volume de leurs vacations.
2.4.1.2. La carrière
La « motivation de carrière » n'existe pas réellement pour ce type d'activité et ce, d'une manière nettement plus marquée que pour le médicament. En effet, dans les disciplines scientifiques intervenant dans le domaine alimentaire, le travail d'expertise n'est absolument pas pris en compte à sa juste valeur ; il peut même être méprisé par rapport aux activités de recherche qui, d'un point de vue académique, n'ont évidemment pas le même « statut ». Certains scientifiques se voient ainsi reprocher de « faire trop d'expertise ». Le risque est aussi que progressivement on ne recrute pas les experts parmi les meilleurs. Enfin, un expert lui-même observe « cette activité constitue une responsabilité à une époque où l'on ne recherche pas tellement cela ».
Cette insuffisance de reconnaissance ne touche naturellement pas seulement l'AFSSA, ce qui n'est pas rassurant sur un plan général et pour l'avenir.
Il y a lieu de noter d'ailleurs que la France, malgré sa position dans le domaine agricole et alimentaire, n'est pas le pays européen qui fournit proportionnellement le plus d'experts : le Danemark, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, la dépassent en effet. Cette constatation devrait faire d'autant plus réfléchir pour que cette tendance ne n'accentue pas, compte tenu en outre du développement prévisible de l'expertise au niveau européen (AESA) et mondial (JECFA entre autres). Le Parlement n'a pas ici de pouvoir de décision, mais il a le devoir d'attirer l'attention sur la nécessité d'agir à différents niveaux et vis-à-vis des différents acteurs (administrations dont l'Agence, monde universitaire). Ces insuffisances de considération et dans certains cas d'effectifs ont une traduction plus aiguë dans certaines spécialités, notamment la toxicologie.
2.4.1.3. Les experts non académiques
L'absence d'experts « non académiques » travaillant dans le secteur industriel pose un problème réel. La clarification de la situation des experts par rapport aux intérêts industriels en est directement à l'origine. L'effectivité du mécanisme des « déclarations d'intérêt », la volonté de mettre un terme à des situations abusives dont l'existence était reconnue avant 1998, ont entraîné une coupure particulièrement marquée entre l'industrie et l'expertise dans le cadre de l'évaluation du risque. Ainsi, la « commission de technologie alimentaire de l'ancien CSHPF a été supprimée avec la création de l'AFSSA. Dans certains domaines comme celui des emballages ou des arômes, il est difficile de se passer de la participation d'experts oeuvrant dans la production. On est certainement allé trop loin en refusant de considérer les exigences des réalités techniques. En outre, cela limite considérablement les effectifs d'experts, aggravant encore le problème de la limitation du « vivier de recrutement » que l'on vient d'analyser. Les précautions à prendre exigent du soin dans l'édiction des règles et le recours des experts exige des précautions ; cela n'est pas une raison pour continuer à feindre d'ignorer un problème réel qui, avec le développement de technologies de plus en plus élaborées et le mouvement de mondialisation des échanges dans le domaine alimentaire, ne pourra que s'aggraver.
2.4.2. Le fonctionnement des comités d'experts
Leur mise en place réalisée, les comités d'experts ne connaissent pas de difficultés marquantes dans leur fonctionnement. Mais les experts eux-mêmes posent d'une manière récurrente des questions qu'il convient d'entendre.
L'ampleur du périmètre de compétences des comités d'experts spécialisés peut être l'objet d'une interrogation : comités de spécialistes ou comités plus « pointus » de spécialistes.
2.4.2.1. Des appréciations diverses
Le fonctionnement lui-même est apprécié de manière diverse. L'inégalité de situation des différents comités l'implique sans doute, mais quelques questionnements sont communs : variété du traitement des saisines, place de l'expertise interne, articulation entre l'avis du comité et celui de l'AFSSA.
Le document d'évaluation de l'AFSSA réalisé à la demande de celle-ci par le Centre de sociologie des Organisations (CNRS-FNSP) 26 ( * ) recèle sur ce point des informations précises qui semblent refléter la situation ressentie par les présidents de comités d'experts. Inséré dans un paragraphe « clarifier certaines étapes du processus d'expertise » ce développement dont on présente ci-après l'essentiel du texte est intitulé « un besoin de clarification du mode de traitement des saisines » :
« Un besoin de clarification du mode de traitement des saisines
Le choix des modalités de traitement des saisines n'est pas très bien compris, aussi bien par le personnel de l'Agence que par les présidents de CES. Le partage des saisines entre travail au sein de la DERNS et travaux en CES n'obéit pas à des procédures clairement établies et énoncées et le choix de l'expertise interne peut alors être mal vécu par les experts des CES ou les secrétaires scientifiques.
En plus de la charge de travail conséquente et d'une situation quasi-bénévole, les experts ont la sensation que le secrétariat scientifique ne fait pas toujours son travail de tri des saisines. Ainsi, ils traitent parfois malgré leur volonté des dossiers qu'ils estiment être non pertinents :
« Le seul problème est l'harmonisation des saisines, il faudrait parfois faire le tri des saisines ; le CES étant très chargé, il ne faudrait pas être sollicité par les mêmes questions trop souvent, ou des questions qui paraissent superflues ». (président de CES).
Certains présidents peuvent ressentir la frustration de ne pas être toujours associés à l'étape du choix de traiter ou non la saisine en CES. Cette étape serait nécessaire pour permettre au président de choisir des questions motivantes pour ses experts. Le flou autour de la procédure alimente les interprétations et le sentiment de non-reconnaissance du travail des experts :
« S'il existait une vraie démarche assurance qualité, le secrétaire scientifique avec les présidents de comité devraient faire une réunion de saisine à l'arrivée pour savoir qu'est-ce qu'on fait. Actuellement les présidents ne sont pas mis à contribution. Je cherche à ce que les experts soient motivés. Alors si on leur donne des sous-saisines, cela ne vaut pas la peine, ils ne viendront plus. Il faut qu'ils aient quelque chose à se mettre sous la dent, qu'ils sentent que leur expertise est mise à contribution. Pour être motivés, il faut qu'ils se sentent indispensables ». (président de CES).
« Il y a aussi un problème de nature des saisines, et de tri des saisines selon leur importance et dans la manière de les traiter. Des petites saisines sans importance dont je pense qu'elles ne devraient pas être traitées en comité passent dans le CES. Et des saisines importantes qui nous auraient intéressées sont traitées totalement par l'agence, sans référence aux CES ». (président de CES).
(...)
Les représentants des administrations de tutelle qui ont été interviewés 27 ( * ) , eux aussi, acceptent mal que l'expertise soit réalisée en interne, sans doute parce qu'elles ont alors moins de visibilité sur le travail effectué, alors que lorsque la saisine est traitée par le CES, du fait de leur présence en comité, elles peuvent suivre le traitement qui en est fait » :
Ces témoignages confirment des remarques déjà faites par ailleurs, mais d'abord elles soulignent effectivement un réel besoin de clarification. La qualité des secrétariats scientifiques assurés par la DERNS ne justifie pas que ses membres au sein des comités exercent une prérogative qui n'est pas forcément la leur, sans que les lignes de partage aient été clairement fixées à l'avance sur ce que traite le comité lui-même directement. Le principe d'une partie d'expertise interne n'est évidemment pas contestable, mais des règles claires doivent être posées, et notamment vis-à-vis des responsables de l'expertise externe que sont les présidents de comité et les rapporteurs.
Par ailleurs, l'avis de l'AFSSA est celui signé par le directeur général de l'Agence. Il peut comporter des différences avec celui rédigé par le comité d'experts spécialisés. Ces modifications éventuelles font généralement l'objet de discussions entre le président du comité et le directeur général, mais cela n'est pas toujours le cas et quelques situations conflictuelles se sont ainsi produites. Il arrive aussi - on l'a observé récemment sur des questions sensibles - que l'avis de l'AFSSA cite les termes de l'avis du comité d'experts, en cultivant l'ambiguïté afin d'imposer un point de vue qui n'est pas strictement celui des scientifiques
2.4.2.2. Les administrations dans les comités d'experts
La présence de représentants de la DGCCRF, de la DGAL et de la DGS dans les comités est assez régulièrement un sujet de discussion convenu, notamment entre non praticiens de ces procédures. Il n'est pas douteux que dans le passé (avant 1998), certaines administrations ont eu tendance, à peser sur l'expertise ou à tenter de le faire. Mais la loi de 1998 a précisément eu pour objectif de mettre fin à ces pratiques et en a donné les moyens. L'objectif a globalement été atteint et les praticiens, tant les experts que la DERNS elle-même, estiment que l'absence des administrations de tutelle dans les comités d'experts serait particulièrement dommageable au fonctionnement efficace de ceux-ci : lacune d'informations, impossibilité de remise en perspective, faisabilité des choix etc ... Peu à peu un modus vivendi s'est établi et les tutelles elles-mêmes se concertent beaucoup mieux. En cas de risque de débordement, le président de chaque comité a tous les moyens de rappeler chacun aux limites de son rôle.
On voit mal comment l'ensemble du mécanisme pourrait fonctionner sans la présence des représentants des administrations. Toute modification substantielle de ce fonctionnement efficace et équilibré compromettrait sérieusement un résultat très positif.
2.5. Une lacune à combler et des faiblesses à redresser
Au-delà des aménagements des procédures ou des pratiques que le comportement des différents acteurs a révélé nécessaires, le volume des saisines, l'exercice de l'auto-saisine ou la communication de l'Agence notamment, il est des secteurs dans lesquels on a à faire à des problèmes d'une autre ampleur.
Dans un cas, il s'agit d'une véritable lacune : les produits phytosanitaires ; dans d'autres, il s'agit plutôt de faiblesses. En témoignent avec les difficultés que pose le système complexe du traitement des dossiers d'OGM par de trop nombreux intervenants ; c'est aussi le problème posé par les allégations santé.
2.5.1. Le cas des produits phytosanitaires
La loi du 1 er juillet 1998, par l'art. L 1323-1 du code de la santé publique a clairement défini la compétence de l'AFSSA dans sa mission fondamentale « d'assurer la sécurité sanitaire dans le domaine de l'alimentation depuis la production des matières premières jusqu'à la distribution et au consommateur final ». Le texte précise ensuite :
« Elle évalue les risques sanitaires et nutritionnels que peuvent présenter les aliments destinés à l'homme ou aux animaux, y compris ceux pouvant provenir des eaux destinées à la consommation humaine, des procédés et conditions de production, transformation, conservation, transport, stockage et distribution des denrées alimentaires, ainsi que des maladies ou infections animales, de l'utilisation des denrées destinées à l'alimentation animale, des produits phytosanitaires, des médicaments vétérinaires, notamment les préparations extemporanées et les aliments médicamenteux, des produits antiparasitaires à usage agricole et assimilés, des matières fertilisantes et supports de culture, ainsi que des conditionnements et matériaux destinés à se trouver en contact avec les produits susmentionnés. De même, elle participe à la mission de défense nationale dans le domaine alimentaire ».
La lettre et l'esprit de la loi sont clairement exprimés ; les auteurs de la proposition de loi sénatoriale (MM. Charles Descours et Claude Huriet), et les différents intervenants au débat parlementaire ont toujours envisagé que ce domaine essentiel que sont les produits phytosanitaires, les produits antiparasitaires à usage agricole et assimilés, soient à l'intérieur du périmètre de la loi et de la responsabilité de l'Agence.
La réalité est éloignée de cette architecture générale voulue par le législateur. Il y a là une faiblesse majeure dans la mise en oeuvre de la loi, d'autant qu'il s'agit d'un sujet particulièrement transversal et que la participation des acteurs autres que le ministère de l'agriculture n'est pas mieux assurée que celle de l'AFSSA.
Des précisions en forme de rappel sont ici nécessaires, la subtilité des questions scientifiques s'ajoutant à la complexité de l'ordonnancement administratif et à l'opacité du fonctionnement de l'ensemble. Il convient donc de décrire le dispositif actuellement en fonction.
Les instances d'expertise intervenant pour l'évaluation des risques relèvent du ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Malgré la réforme que comporte la loi de 1998 (cf. texte supra), l'essentiel n'a pas changé, c'est-à-dire que la commission d'étude de la toxicité des produits phyto-sanitaires reste sous la tutelle du ministère de l'agriculture : il n'y a donc pas là séparation entre l'évaluation et la gestion du risque.
Cette commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et des produits assimilés (Comtox) est chargée de l'évaluation des risques pour la santé et l'environnement liés aux intrants en agriculture (produits phytopharmaceutiques - encore appelés pesticides - mais aussi matières fertilisantes soumises à autorisation). Elle comprend 35 experts et s'appuie sur son réseau de 50 experts associés ; des améliorations dans le sens d'une indépendance plus tangible ont été apportées avec l'exclusion des représentants des professionnels, des associations de consommateurs et de protection de l'environnement d'une part, et l'introduction d'un appel public à candidatures pour les experts d'autre part.
Le comité d'homologation, pour les mêmes produits, est compétent pour l'autorisation de mise sur le marché.
La Comtox s'appuie sur le travail d'une structure scientifique et technique (SSM) créée conjointement par l'INRA (Institut National de Recherche Agronomique) et le ministère de l'agriculture. La première partie de l'évaluation porte sur les préparations commerciales contenant une ou plusieurs substances actives.
Cette structure scientifique mixte, est le résultat d'une demande de l'Union européenne dans le cadre de la directive 91/414. Cette création a permis de faire passer de 3 à 15 le nombre de personnes en charge de cette phase d'évaluation, lors de la mise en place en 1997. C'est d'autant plus appréciable que la Comtox elle-même a en charge l'examen de 1200 dossiers par an environ, ce qui, même si l'on tient compte des « produits bis » ne manque pas d'étonner des scientifiques chargés de tâches d'évaluation des risques dans d'autres domaines.
La révision des produits phytosanitaires dans le cadre de la directive 91/414 constitue une tâche importante pour la SSM et donc pour la Comtox ; la structure compétente de l'Etat-membre pour un dossier communique son évaluation à l'Agence européenne de sécurité alimentaire (AESA) qui fait circuler la proposition de décision parmi les structures des Etats-membres n'ayant pas participé à l'évaluation, puis vers la D.G. Sanco (direction générale santé des consommateurs) avant la prise de décision par les représentants des Etats-membres au sein du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la sécurité animale (section produits phytopharmaceutiques).
Les exigences au niveau européen contribuent ainsi à cet accroissement de la charge de travail et dans des conditions peu satisfaisantes puisqu'on tente d'imposer une accélération des procédures. Ainsi, une première liste de 100 produits à réviser a été examinée en 5 ans et l'on se propose d'en faire autant dans un laps de temps plus court. Pour les nouvelles demandes, on se propose de passer de 3 mois à 1 mois. L'exigence n'est plus au niveau de la qualité de la décision, mais de la rapidité d'examen.
Le travail de cette structure scientifique mixte et de la commission d'étude de la toxicité n'est pas contestable ; en revanche, les conditions dans lesquelles s'établit le chaînage entre les expertises et les décisions, ainsi que leur suivi recèlent de graves difficultés dont les développements les plus récents ont pris le tour de mise en accusation de tout un système.
La mise en cause des deux produits phytosanitaires que sont, sous leur nom commercial le Gaucho (principe actif : imidaclopride) et le Régent (principe actif : fipronil), dans les troubles qu'enregistrent les apiculteurs dans leur essaims d'abeilles illustre d'une manière spectaculaire la consistance du problème. Sans traiter au fond une question qui relève de l'expertise scientifique, force est de constater les faiblesses, les insuffisances, et pour tout dire certains dysfonctionnements dont le refus de communication de documents. Dans son livre intitulé « Quand les abeilles meurent, les jours de l'homme sont comptés » paru en février 2003, le député Philippe de Villiers, décrit le développement de ce que l'on peut appeler au moins une série de graves dysfonctionnements qu'il qualifie de « scandale d'Etat ». Sans entrer dans le détail d'un enchaînement précis de faits et de pratiques en effet insolites dans des procédures de ce type, qui ont notamment amené des juges à exiger la communication de dossiers d'expertise dont le ministère de l'agriculture refusait la communication, on peut rappeler quelques faits dans une brève chronologie.
Dès décembre 1997, un rapport concernant le Gaucho présenté à la Commission d'étude de la toxicité s'inquiétait des imprécisions fournies par le producteur Bayer, et d'une durée de persistance du produit dans le sol totalement hors des normes européennes.
En janvier 1999, le ministre de l'agriculture retire provisoirement l'homologation du Gaucho pour le tournesol. Le Conseil d'Etat confirme cette décision en décembre 1999 en rejetant le pourvoi de Bayer (producteur du Gaucho). En octobre 2002, sur la requête d'un syndicat d'apiculteurs (d'avril 2001), le Conseil d'Etat annule la décision par laquelle le ministre de l'agriculture a refusé d'interdire le Gaucho pour le maïs et enjoint au ministre de réexaminer sa position dans un délai de trois mois. Le ministère en fait autorise le 21 janvier 2003 de nouvelles expérimentations dans un communiqué de presse que le Conseil d'Etat analysera comme un refus d'abroger l'AMM pour le Gaucho maïs. En effet, le 31 mars 2004, est rendu un arrêt qui annule ce refus (pour le maïs) dans des termes qui caractérisent bien l'acharnement de l'administration et du ministre, y compris après un premier arrêté.
Extrait de l'arrêt du Conseil d'Etat (séance du 17 mars, lecture du 31 mars 2004)
« Considérant que, par une décision en date du 9 octobre 2002, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé le refus du ministre de l'agriculture d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du produit dénommé « gaucho » pour les semences de maïs, délivrée pour dix ans le 6 février 1992 et renouvelée pour la même durée le 21 janvier 2002 ; qu'à la suite de cette décision, le ministre de l'agriculture a publié le 21 janvier 2003 un communiqué de presse qui doit s'interpréter comme maintenant son refus d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du gaucho pour les semences de maïs, conformément aux avis émis le 18 décembre 2002 et le 20 décembre 2002, respectivement par la commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires à usage agricole et par le comité d'homologation de ces produits (...).
« Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'appréciation à laquelle se sont livrés la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation et sur la base de laquelle le ministre a pris sa décision sont fondées sur une méthode d'évaluation du risque qui n'est pas conforme à celle qu'exige l'arrêté interministériel précité du 6 septembre 1994 ; que par ailleurs le ministre ne fait pas état de ce que l'autorisation qu'il a refusé de retirer aurait été elle-même fondée sur la méthode légalement exigée ; que par suite la décision attaquée est entachée d'erreur de droit et doit être annulée ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
« Considérant que la présente décision a nécessairement pour conséquence d'obliger le ministre à statuer à nouveau sur la demande d'abrogation présentée par les organisations requérantes ; que, compte tenu de l'état d'avancement des expertises et notamment du rapport de synthèse établi par le « Comité scientifique et technique de l'étude multifactorielle des troubles des abeilles » au mois de novembre 2003 et produit à l'instance par les requérants, cette décision devra intervenir dans le délai de deux mois ;
(...)
Décide
Article 2 : La décision du ministre de l'agriculture en date du 21 janvier 2003 refusant d'abroger l'autorisation de mise sur le marché du produit dénommé « gaucho » pour les utilisations relatives au maïs est annulée.
Les conditions de l'évaluation à laquelle ont procédé la commission d'étude de la toxicité et le comité d'homologation sont donc très directement mises en cause par l'arrêt ; l'analyse du texte des « considérants » entre dans le détail des critiques méthodologiques et juridiques que les travaux de ces instances et la procédure suivie par le ministre appellent.
La citation des expertises et du rapport de synthèse établi par le « comité scientifique et technique de l'étude multifactorielle sur les troubles des abeilles », montre comment le ministère face à des difficultés et des oppositions qu'il a largement sous-estimées a tenté de résoudre les problèmes par la création de ce comité ad hoc en 2000, à côté des structures existantes. Ce comité a remis son rapport final au ministre en septembre 2003 et il a notamment signalé les risques constatés par l'enrobage « Gaucho » tant pour les semences de maïs que celles de tournesol.
Sur ce sujet, les travaux des laboratoires du CNRS, de l'INRA et de l'AFSSA dont les résultats, déjà diffusés dans le public, avaient servi d'élément d'appréciation dans la première décision d'interdiction du Gaucho sur le maïs le 23 octobre 2002 et ils établissaient clairement la nocivité des deux produits (Gaucho et Régent) pour les abeilles. Il est donc d'autant plus étonnant que soit intervenu en janvier 2002 le renouvellement pour 10 ans de l'homologation du Gaucho, alors même que la procédure d'annulation devant le Conseil d'Etat était en cours ; l'enquête pénale déjà ouverte sur ce produit a d'ailleurs été étendue à ces faits.
L'atmosphère particulièrement lourde dans laquelle ces affaires se sont développées mérite d'être relevée et notamment les comportements de l'administration en cause, le ministère de l'agriculture et plus spécialement la direction générale de l'alimentation. Une proportion importante des chercheurs travaillant sur ces problèmes ont rencontré des difficultés ou ont été l'objet de pressions. Des rapports d'expérimentations des dossiers d'instruction de demandes d'homologation n'ont pu être connus qu'après réquisition des deux juges en charge des enquêtes pénales, particulièrement pour le Régent.
Parallèlement au problème du Gaucho, celui du fipronil, principe actif du Régent, a en outre illustré les dysfonctionnements des procédures au sein de la direction générale de l'alimentation, la faiblesse de la coopération avec les autres entités administratives dans un domaine où elle devrait s'imposer et sur un sujet qui a fini, au-delà des abeilles, par soulever le problème de la dangerosité pour l'homme.
Le Régent TS a bénéficié d'une autorisation provisoire de vente du 1 er décembre 1995 valable quatre ans et renouvelable une fois pour deux ans. Une « autorisation provisoire de vente » a été accordée le 11 mars 2003, à la société Cropscience, bien après l'expiration de celle de 1995 (quatre ans) et selon une procédure qui ne paraît pas conforme à celle qui est applicable à ce produit, compte tenu de certaines de ses caractéristiques. Il a en effet à la même date été classé « T + très toxique », alors qu'il était jusque-là classé comme « nocif ». L'arrêté qui devait être pris pour en encadrer l'usage n'a pas été pris.
Le rapport d'expertise judiciaire de décembre 2003 confirme le lien entre la mortalité des abeilles et les risques qui restent à préciser pour l'homme. C'est à la suite de ces développements qu'intervient le 23 février 2004 la suspension de la vente des insecticides à base de fipronil, au premier rang desquels le Régent TS (de BASF) par le ministre de l'agriculture. Cette suspension est décidée jusqu'à l'achèvement de la procédure communautaire d'évaluation prévue au plus tard le 31 décembre 2005. Toutefois un délai a été accordé pour les stocks de semences enrobées pour les semis de printemps 2004 (environ 95 % des besoins).
Parallèlement, les directions générales des trois ministères de tutelle de l'AFSSA ; DGAL, DGCCRF et DGS ainsi que deux directions du ministère de l'écologie et du développement durable sont amenées à saisir l'AFSSA et l'AFSSE « des risques pour la santé humaine liés au fipronil ». L'explicitation de la saisine rappelle comment, après qu'il ait été autorisé, le fipronil est en quelque sorte « mis en examen » dans le cadre d'une évaluation pour l'AESA, pleinement compétente au niveau communautaire pour ce type de produits, et par les expertises rendues tout récemment dans le cadre de l'ordonnance judiciaire sur le problème des abeilles (Pr Arnold et Narbonne) :
« La Commission d'étude de la toxicité des produits antiparasitaires et assimilés (Comtox), instance compétente au niveau national en matière d'évaluation de la toxicité des pesticides, s'était prononcée sur les préparations à base de fipronil. Dans le cadre de la directive 91/414/CEE du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et du règlement (CE) n° 451/2000 de la Commission du 28 février 2000 établissant des modalités de mise en oeuvre du programme de travail visé par la directive, elle a poursuivi ses investigations en vue de la transmission à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) du projet de rapport d'évaluation de cette substance active pour laquelle la France est l'Etat membre rapporteur. Ce projet contient une recommandation visant à la non inscription du Fipronil à l'annexe I de la directive 91/414/CEE, pour des raisons liées à des risques pour l'environnement, et ce, en l'attente d'un débat contradictoire avec le pétitionnaire et les Etats membres.
Parallèlement, un rapport récent d'expert sollicité par ordonnance judiciaire pose de nouvelles interrogations sur les risques pour la santé. Il fait état dans sa conclusion « d'effets possibles sur l'homme à court terme par inhalation et à long terme par ingestion (dépassements possible de la dose journalière admissible) ». ces éléments, portés à la connaissance des pouvoirs publics, ne recouvrent pas les conclusions élaborées par la Comtox. Ces incertitudes scientifiques actuelles doivent être levées pour des impératifs de santé publique et il convient de s'intéresser à l'ensemble des usages possibles du fipronil ».
Concernant l'imidaclopride (substance de base du Gaucho), une « procédure contradictoire » auprès de Bayer Cropscience et des utilisateurs concernés a été engagée en même temps par le ministre de l'agriculture (l'arrêt du Conseil d'Etat sur le Gaucho interviendra cinq semaines plus tard).
Les freins, les dissimulations et les opérations de diversion n'auront donc pas réussi à empêcher que les problèmes graves que recelaient ces deux dossiers soient enfin traités plus normalement. Il a fallu, en ce qui concerne le Gaucho, deux annulations successives par le Conseil d'Etat, et de l'ouverture d'enquêtes judiciaires pour apporter une lumière crue sur des mécanismes administratifs qui ont d'évidence besoin d'être réformés. Cette réforme indispensable permettrait que la loi du 1 er juillet 1998 soit enfin appliquée dans le domaine des produits phytosanitaires, en liaison avec celle du 9 mai 2001 pour ce qui concerne l'AFSSE. La saisine commune du 27 février 2004 sur le fipronil cité ci-dessus indique en quelque sorte le chemin.
Au-delà de l'illustration factuelle que constituent les affaires du Gaucho et du Régent, il convient de signaler que les entités que sont l'AFSSA et la DGCCRF ne peuvent, dans la situation actuelle non réformée, jouer le rôle nécessaire qui leur revient. En outre, dans le secteur agricole, à l'extérieur de la DGAL, des remarques critiques se sont aussi fait entendre. Ainsi le service central des enquêtes du ministère de l'agriculture s'est étonné de la non publication d'une étude consacrée à l'utilisation des pesticides sur le blé et le maïs en 2001.
L'organisation actuelle est marquée par de graves faiblesses :
-- La compétence restreinte de la DGCCRF ne lui permet pas, par exemple, d'effectuer des contrôles sur les produits d'origine animale en ce qui concerne une éventuelle teneur en pesticide.
-- La compétence de l'AFSSA dans ce domaine des produits phytosanitaires est également très restreinte, résiduelle si l'on ose dire, car c'est précisément par la mise en cause de résidus de ces produits dans les aliments qu'elle peut être amené à en connaître. Elle participe également à l'instruction des projets de textes européens et a, de ce fait, à connaître des dispositions existantes et envisagées.
Sur le plan de l'expertise, les laboratoires ne peuvent pas coopérer comme le fonctionnement normal des différentes unités scientifiques et administratives l'exigerait. Ces difficultés ont trouvé une illustration exemplaire avec la situation dans laquelle s'est trouvé le laboratoire de l'AFSSA de Sophia Antipolis, spécialisé notamment sur les abeilles et qui est bien sûr sollicité dans les problèmes soulevés par le Gaucho et le Régent.
En effet, les scientifiques ne sont que très partiellement associés à l'élaboration des protocoles et en aucun cas à la synthèse des résultats obtenus auprès des différents intervenants ; ils n'ont pas, de ce fait, accès à l'ensemble des informations.
Lorsqu'une mesure de retrait de plusieurs lots de semences traitées avec du fipronil a été prise en septembre 2003 par le ministère de l'agriculture, probablement en s'appuyant sur des travaux auxquels l'Agence a contribué, les résultats de ces études ne lui ont pas été transmis, ni en sa qualité de laboratoire, ni d'évaluateur des risques.
Des améliorations en cours ?
En matière de sécurité sanitaire, la grave lacune observée dans le domaine des produits phytosanitaires a fait l'objet depuis plusieurs mois d'un constat de plus en plus partagé. Depuis les événements du printemps 2004, ce constat fait l'unanimité des acteurs administratifs.
Ainsi, après une série de rapports sur la présence de résidus de pesticides dans les milieux avec lesquels l'homme est en contact, il a été décidé le 27 novembre 2003, par les quatre ministres concernés (écologie, santé, agriculture, commerce et consommation) de mettre en place un « observatoire des résidus de pesticides », concrétisant ainsi un projet préparé depuis deux ans.
La mission première confiée à cet observatoire est :
-- de rassembler, en vue de leur valorisation, les informations et résultats des contrôles et mesures de résidus de pesticides dans les différents milieux et produits consommés par l'homme ;
-- d'estimer les niveaux d'exposition des populations ;
-- d'identifier les actions de progrès pouvant être mises en place sur les systèmes d'informations et notamment la nature et le format des données collectées.
L'observatoire des pesticides est une structure mise en place sous la forme d'un comité de pilotage constitué des administrations concernées (DGS, DGAL, DE, DGCCRF). Il associera l'AFSSE, l'AFSSA et l'IFEN de même que les autres instituts et agences publics concernés en tant que de besoin.
Dans ce cadre, en vue d'alimenter les travaux de l'observatoire, il a été demandé d'engager un travail préparatoire à l'évaluation de l'exposition des personnes. Dans un premier temps, les travaux permettront :
-- d'analyser les conditions nécessaires (cohérence des plans d'échantillonnage, types de mesures et leur validité, format des données, mode de stockage, possibilité de centralisation ...) pour que les différentes bases de données identifiées puissent être combinées pour produire des indicateurs d'exposition globale intégrant les différentes sources et voies d'exposition.
-- de proposer les indicateurs utiles à la caractérisation de l'exposition (milieux ambiants et milieu professionnel) de la population et à sa surveillance ainsi que les données utiles à leur construction.
-- de faire des propositions pour homogénéiser les données disponibles et le cas échéant les corriger.
-- d'identifier les pistes d'amélioration des systèmes d'information existants.
A partir de ces données de base, une première évaluation de l'exposition des populations devrait être réalisée pour la fin du premier semestre 2004.
Les pratiques administratives, le contrôle sur le terrain notamment, connaissent depuis 1999 et la loi d'orientation agricole, une évolution positive. Les découvertes récentes et nombreuses d'importations frauduleuses de produits interdits en attestent. Cela dit, ces découvertes ont quelquefois un caractère « providentiel » qui d'une certaine manière montre que l'administration avait connaissance de certaines pratiques. Or, les risques dans ce domaine augmentent extrêmement vite actuellement.
A cet égard, le recul opéré sur le contrôle des pulvérisateurs est parlant. Ce contrôle devait être mis en place en 2002 ; l'entrée en vigueur effective de ce dispositif comparable au contrôle technique des automobiles a été reportée et n'a toujours pas eu lieu. Cette mesure permettrait pourtant d'éliminer les matériels vétustes et inadaptés. Les premiers bénéficiaires en seraient évidemment les agriculteurs à un moment où les risques qui pèsent sur eux sont de plus en plus souvent soulignés.
Ce recul regrettable pourrait amener à conclure que si les risques pour les agriculteurs, l'environnement, les habitants et les consommateurs se révélaient être d'une gravité réelle, on serait amené à changer d'organisation.
L'examen du dispositif global actuel de traitement des récoltes et du contrôle des résidus montre des faiblesses à plusieurs niveaux (évaluation des LMR, bonnes pratiques agricoles, sécurité des applicateurs, volume des contrôles, risque environnementaux ...).
Pour combler les lacunes, des efforts considérables mettant en jeu des intérêts divergents vont être nécessaires.
La même remarque vaut pour l'ensemble de la question posée par les produits phytosanitaires. Les améliorations qui viennent d'être évoquées sont réelles, mais insuffisantes à elles seules pour redresser la situation. Et la création d'une nouvelle agence ne peut être une solution alors même qu'elle a été évoquée par le ministère de l'agriculture.
Une agence pour la santé des végétaux
Dans un développement chronologique qui ne semble rien devoir au hasard, M. Hervé Gaymard, ministre de l'Agriculture avait annoncé devant le congrès de la FNSEA le 1 er avril 2004 qu'il souhaitait « mettre en place rapidement une agence pour la santé des végétaux qui réunisse des scientifiques de divers horizons. Je pense en particulier à des spécialistes de la santé publique, à des agronomes, à des experts de la sélection végétale. Nous nous donnerons ainsi les moyens d'orienter de façon cohérente et pérenne notre agriculture vers des pratiques à la fois plus respectueuses de notre environnement et économiquement performantes ».
Intervenant le lendemain de l'arrêt du Conseil d'Etat annulant la décision du ministre autorisant le Gaucho, cinq semaines après l'inévitable décision de suspension du fipronil, cette proposition inattendue a-t-elle pour objet de répondre aux critiques ou de créer une instance qui permette d'éviter l'application de la loi de 1998 dans ce domaine en s'assurant ainsi que l'AFSSA, notamment, n'aura pas à connaître du fond des questions posées. Joker ou opération de diversion, l'Agence pour la santé des végétaux semblerait procéder du réflexe : un problème - une agence. Avec le même raisonnement, les produits de contact alimentaire auraient pu faire l'objet d'une agence à eux seuls, compte tenu des développements complexes que connaît ce secteur. Sauf à ignorer l'esprit et la lettre de la loi du 1 er juillet 1998, une telle création ne paraît ni cohérente, ni viable.
Cette idée n'ayant pas été développée depuis, et le poste ministériel ayant changé de titulaire, on peut estimer que cette proposition n'est sans doute plus d'actualité.
En revanche, une réelle coopération entre administrations concernées avec une mutualisation des expertises, des contrôles et des recherches constituerait certainement la base d'une réforme qui permettrait de conduire à son terme de la loi de 1998. Le fonctionnement d'une unité comme la SSM illustre la possibilité d'une expertise sans doute améliorable, mais tangible et digne de ce nom. D'ailleurs, le détail de la saisine de l'AFSSA et de l'AFSSE par les directions des quatre ministères (cf. supra) du 27 février 2004, illustre tout à fait la faisabilité d'une organisation et d'une démarche d'expertise dans le cadre d'une interministérialité inévitable ; la formule expérimentale ainsi choisie préfigure ce que pourrait être une architecture pérennisée :
« Aussi, nous vous demandons de bien vouloir constituer un panel d'experts commun, qui sera composé de membres émanant tant du comité d'experts spécialisés « Résidus et contaminants chimiques et physiques » de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments que du comité d'experts spécialisés « Evaluation des risques liés aux substances chimiques » de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale, ceci permettant d'associer, en toute impartialité, des personnalités scientifiques qualifiées particulièrement concernées par l'évaluation demandée.
Nous vous précisons, par ailleurs, que l'ensemble des pièces du dossier dont nous disposons, vous seront transmises notamment par le président de la Commission d'étude de la toxicité, M. Daniel Marzin, et par M. Thierry Mercier, Directeur de la SSM (INRA de Versailles), chargé du secrétariat scientifique de la Commission d'étude de la toxicité, afin que les personnalités qualifiées qui seront conduites à se prononcer, dans le cadre de cette expertise collective, puissent le faire en disposant de tous les éléments en notre possession ».
L'évaluation des produits phytosanitaires serait la tâche d'un comité d'experts commun à l'AFSSA et l'AFSSE, la structure scientifique mixte continuant à jouer dans ce cadre son rôle essentiel gardant son lien avec l'INRA, mais évidemment pas avec la DGAL ; cette dernière pourrait garder une simple représentation au sein du comité d'homologation pour l'évaluation de l'efficacité des produits. Ce dernier, s'il était maintenu, devrait avoir un positionnement très différent, satisfaisant quant à la transparence.
Après l'expertise, la décision doit intervenir dans les conditions claires et tenir compte du retour d'expérience qui doit lui-même être loyalement partagé entre les différentes entités concernées, contrairement à ce qui s'est passé encore récemment.
Le périmètre de compétences de l'AFSSA n'a donc pas à être modifié : en revanche les dispositions réglementaires devraient être prises afin que la lettre et l'esprit de la loi soient respectés pour l'ensemble des produits phytosanitaires ; il convient de préciser en outre que le respect de cette compétence de l'AFSSA sur la filière végétale implique le transfert de la Comtox à l'Agence.
2.5.2. Les OGM : un domaine trop partagé
L'évaluation des risques en ce qui concerne les O.G.M. est répartie, pour des raisons contingentes, entre différentes instances. Cette répartition n'exclut pas l'AFSSA, mais la met en concurrence, avec d'autres instances, dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes et donnent lieu à des appréciations contradictoires.
La répartition des expertises est ainsi définie :
-- la commission du génie génétique (CGG) crée en 1989, rattachée au ministère de la recherche se prononce sur l'utilisation d'OGM en milieu confiné ;
-- la commission du génie biomoléculaire (CGB), crée en 1993, placée auprès des ministres de l'agriculture et de l'environnement, chargée de l'évaluation des risques liés à la dissémination volontaire d'OGM à des fins de recherche ou de mise sur le marché (16 dossiers examinés en 2002, concernant uniquement des expérimentations, dont 10 concernant des plantes et 6 concernant des essais de thérapie génique).
-- et le comité d'experts spécialisés sur la biotechnologie de l'AFSSA qui se prononce sur les OGM destinés à l'alimentation (article l. 1323-2, 7° alinéa du code de la santé publique).
L'articulation entre les compétences de la CGB qui a un large domaine de compétences et celles de l'AFSSA à travers son comité d'experts spécialisés biotechnologies (appréciation des seuls risques liés à la consommation de produits alimentaires avant leur mise sur le marché) n'est pas assurée. Ces deux instances d'expertise peuvent donc être simultanément ou successivement être saisies de la même question ; les exemples ne sont pas rares et cette configuration explique que des avis contradictoires puissent être rendus. Cela a été le cas récemment avec le maïs MON 863.
La CGB donne le 28 octobre 2003 un avis au terme duquel, à la suite d'expérimentations d'alimentation menées sur le rat, elle estime qu'elle n'est pas en mesure de conclure à l'absence de risque pour la santé animale et humaine. L'AFSSA, également saisie, rend un avis opposé quelques jours plus tard le 6 novembre 2003 estimant que les différences observées entre les deux groupes sont « sans signification biologique » et que, le maïs MON 863 ne présente pas de risque nutritionnel ». L'Autorité européenne conclut à son tour le 19 avril 2004 en donnant un avis favorable considérant que les différences enregistrées rentrent dans les variations normales des populations de contrôle. Outre le chevauchement des zones de compétence entre la CGB et l'AFSSA, apparaît une nouvelle interférence entre cette dernière et l'Autorité européenne.
Un autre cas s'est également posé récemment avec le maïs Bt 11. En avril 2002, le comité scientifique sur l'alimentation au niveau européen a donné un avis favorable estimant « qu'il n'y a pas d'indication que le maïs doux Bt 11 est moins sûr pour la consommation humaine qu'un maïs non transgénique ». L'AFSSA, rendant son propre avis le 3 décembre 2003, indique qu'afin d'éliminer des risques métabolique éventuellement liés à ce maïs spécifique, « il conviendrait d'évaluer l'impact d'une consommation régulière de celui-ci « considérant que les conclusions acquises sur le maïs réservé à l'alimentation d'élevage ne sont pas suffisantes ».
Deux dispositions européennes apportent encore un élément de complication supplémentaire. D'une part, la directive 2001/18 du 12 mars 2001 relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement dont le délai de transposition était fixé à octobre 2002 et pour laquelle un avant projet de loi est en cours de préparation. D'autre part, le règlement européen du 22 septembre 2003 sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés au terme duquel l'évaluation du risque est faite par l'Autorité européenne (AESA) qui peut demander aux agences nationales de s'assurer de l'innocuité alimentaire, mais aussi à la CGB (autorité compétente selon la directive 2001/18) pour évaluer le risque environnemental.
Le fonctionnement et la composition mêmes de la CGB sont problématiques au regard des principes posés par la loi de 1998 quant à la séparation entre l'instance d'évaluation et celle de gestion du risque. En effet, son secrétariat est assuré par la DGAL du ministère de l'agriculture avec la contribution du ministère de l'écologie. Par ailleurs, des représentants de la « société civile » sont prévus dans une commission qui est une instance d'expertise. L'atmosphère qui caractérise les débats sur les OGM n'y est peut-être pas étrangère ; il n'en reste pas moins que cette composition ne correspond pas aux principes d'organisation retenus par la loi.
Une clarification débouchant sur une restructuration s'impose donc. Comme on l'a envisagé pour les produits phytosanitaires, il convient d'une part de tirer les conclusions logiques de la séparation voulue entre l'évaluation et la gestion du risque, la DGAL n'intervenant plus dans le fonctionnement du dispositif, et d'autre part d'unifier en une seule commission ou comité d'experts, les deux instances actuellement existantes, en la plaçant conjointement auprès de l'AFSSA et de l'AFSSE.
Enfin, le lien prévu pour l'avant-projet de loi avec la surveillance des produits phytosanitaires à travers le comité de vigilance (art. L 125-1 du code rural) paraît en toute hypothèse à exclure.
2.5.3. Les allégations santé et les compléments à base de plantes : des compétences frontalières difficiles
Il s'agit ici de produits spécifiques dont l'importance peut paraître marginale si l'on s'en tient aux quantités en cause. Les questions qu'ils soulèvent sont d'une moindre ampleur que celles portant sur les produits phytosanitaires ou les OGM. Mais elles posent des questions totalement nouvelles qui justifient pleinement un examen particulier. Retenons un point de départ simple : pour l'essentiel, les conditions dans lesquelles elles sont traitées sont satisfaisantes, alors que la configuration des compétences et des circuits administratifs est complexe.
2.5.3.1. Les allégations santé des produits alimentaires
L'AFSSA et l'AFSSAPS ont ici des compétences partagées alors que la DGCCRF est en première ligne. C'est en effet au titre du code de la consommation (art. L 121-2) que les mentions alléguant d'un bénéfice pour la santé doivent pouvoir être prouvées scientifiquement. La DGCCRF, en charge de l'application et du contrôle, saisit donc l'AFSSA en vue d'expertise, laquelle est confiée au comité d'experts en nutrition humaine.
Parallèlement, les dispositions du code de la santé publique (art. L 5122-14) s'imposent : lorsque la publicité affirme, suggère ou suppose qu'un produit possède des propriétés curatives ou préventives à l'égard des maladies humaines ou des effets de restauration, correction ou modification de fonctions organiques, les producteurs ou distributeurs doivent soumettre une demande de vise à la commission administrative dite « du visa PP » (publicité produit) dont le secrétariat est assuré par l'AFSSAPS.
L'AFSSA et l'AFSSAPS ont établi une procédure conjointe de traitement pour garantir la cohérence du traitement de ces dossiers : l'AFSSA mène l'évaluation scientifique des dossiers déposés au titre du visa PP ; un représentant del'AFSSAPS se rend aux réunions du CES nutrition lorsque les dossiers d'allégations sont examinés ; un représentant de l'AFSSA se rend aux réunions préparatoires de la commission du visa PP.
Cette procédure, qui est bienvenue, ne permet pas néanmoins de résoudre les problèmes de fond qui se posent ici. Les entreprises peuvent engager le processus à différents niveaux, le cadre administratif de ces produits est éclaté. Il n'y a pas de référentiels scientifiques généraux d'évaluation sur les allégations santé même si l'AFSSA a publié des lignes directrices générales sur les dossiers industriels soumis au comité d'expert spécialisé « nutrition », et si un projet de règlement est à un stade d'élaboration avancé.
Par ailleurs, l'impossibilité juridique et matérielle de contrôler l'absence de demandes de visa affaiblit la portée du dispositif « publicité produit ». Quels que soient les efforts de la DGCCRF pour les contrôles qu'elle exerce effectivement, l'absence de tout mécanisme d'autorisation ou de déclaration ne permet pas un recensement, ni même une identification tangible du recours aux allégations. Les différents interlocuteurs interrogés à ce sujet ont tous fait part de l'insuffisance des réglementations, et notamment le Conseil national de l'alimentation. Il apparaît que le nombre de dossiers soumis à l'AFSSA est beaucoup trop faible et qu'une modification de la réglementation devrait s'attacher à rendre systématique la vérification des allégations.
En ce qui concerne la publicité, l'effectivité du rôle du BVP (Bureau de vérification de la publicité) a directement été mise en cause par tous les interlocuteurs interrogés.
Une amélioration de la situation est envisageable à partir d'une proposition de règlement européen concernant les allégations nutritionnelles et de santé. Ce texte, qui devrait entrer en vigueur en 2005 prévoit que l'usage d'allégations de santé dans l'étiquetage, la présentation et la publicité de denrées alimentaires sera soumis à une procédure d'autorisation, après évaluation scientifique par l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA). Si l'AESA saisit les agences nationales sur ces dossiers, l'AFSSA pourra procéder à une évaluation des allégations sur leur validité scientifique et leur formulation (sur le produit ou par la publicité).
Il serait souhaitable d'unifier la procédure en la confiant à l'AFSSA. A défaut, il est urgent et nécessaire de donner aux services de contrôle les moyens juridiques et administratifs d'intervenir efficacement dans ce domaine des « allégations santé ». En quelques années, ce qui n'était qu'une question marginale est en passe de devenir un réel problème car il faut bien admettre que des producteurs ou distributeurs très imaginatifs n'ont guère de difficulté à aller à la rencontre de publics avides de produits « miraculeux » en croyant être averti des réalités scientifiques.
C'est d'ailleurs la même tendance qui se retrouve pour les compléments alimentaires à base de plantes.
2.5.3.2. Les compléments alimentaires à base de plantes
L'AFSSA, mais aussi l'AFSSAPS intervenant dans ces domaines, les deux agences ont associé leurs personnels scientifiques et les experts des comités pour assurer la cohérence de l'évaluation de ces produits. Le rapport « Démarche pour l'évaluation de la sécurité, de l'intérêt et de l'allégation des denrées alimentaires à base de plantes pour l'alimentation humaine » a aussi été produit en collaboration. Ici aussi la vigilance face à certaines évolutions de consommation s'impose. On rejoint dans ce cas des problèmes qui relèvent de la pharmacie et plus exactement de l'herboristerie; certains témoignages d'interlocuteurs britanniques illustrent les risques que pour des plantes inconnues ou mal connues, la multiplication des points d'entrée y compris par internet, fait courir.
La collaboration satisfaisante entre l'AFSSA et l'AFFSSAPS s'est également illustrée avec le cas des aliments diététiques destinés à des fins médicales spéciales. Sans entrer dans le détail de la réglementation, les textes répartissent les compétences entre elles. Des améliorations restent à apporter, notamment quant à l'échange d'informations sur les dossiers évalués (composition, étiquetage).
2.6. Les laboratoires : une nécessité et des clarifications
2.6.1. Une configuration décidée par le législateur
Lors de l'examen de la loi du 1 er juillet 1998, le législateur s'est décidé en faveur de l'intégration de l'ensemble du CNEVA (Centre national d'études vétérinaires et alimentaires), au sein de la nouvelle agence, l'AFSSA. Cette décision a été précisée dans les termes suivants (art. L 1323-1 du code de la santé publique : « Dans le cadre du Centre national d'études vétérinaires et alimentaires, placé en son sein et géré par elle, l'agence fournit l'appui technique et scientifique nécessaire à la mise en oeuvre des mesures prévues par le code rural.
Pour l'accomplissement de ses missions, les laboratoires des services de l'Etat chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments et ceux qui leur sont rattachés sont mis à disposition de l'agence en tant que de besoin. (anc. Art. L. 794-1, I) ».
Cette intégration, dont le caractère « contingent » a été souvent souligné (cf. infra) a permis de constituer au sein de l'AFSSA un ensemble de laboratoires qui, dès le début du fonctionnement de la nouvelle agence, lui a donné les moyens nécessaires aux missions d'appui scientifique et technique et aux tâches de recherche qui lui ont été fixées, au-delà de l'évaluation des risques sanitaires des aliments.
En effet, la loi a explicitement énoncé que l'agence devait exercer des missions de recherche puisque l'article L. 1323-2, 5° du code de la santé publique dispose que l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments : « mène, dans le respect du secret industriel, des programmes de recherche scientifique et technique dans les domaines du génie vétérinaire, de la santé animale, du bien-être des animaux et de leurs conséquences sur l'hygiène publique, ainsi que de la sécurité sanitaire des aliments. A cette fin, elle mobilise ses propres moyens ou s'assure le concours d'organismes publics ou privés de recherche ou de développement, d'universités ou d'autres établissements d'enseignement supérieur, de collectivités territoriales ou de personnes physiques ».
De plus, le décret du 26 mars 1999 prévoit que le conseil scientifique de l'agence « concourt à la définition de la politique nationale de recherche en matière de sécurité sanitaire des aliments. A cet effet, il peut formuler des recommandations sur toute question scientifique et technique entrant dans le champ de compétence de l'établissement. Celles-ci sont transmises au directeur général et au Président du conseil d'administration ».
L'AFSSA est donc en charge de fonctions d'appui scientifique et technique et de missions de recherche, en particulier à travers les laboratoires dont elle a été dotée, sans qu'il y ait une coïncidence exacte entre le champ de compétence de l'Agence dans ces domaines et celui qui est le sien en matière d'évaluation des risques.
En outre, les activités relatives à la santé animale ont une place particulièrement développée, compte tenu notamment du fait que le CNEVA, a été intégré à l'Agence dans sa totalité. L'existence au sein de l'AFSSA d'un directeur chargé de la santé et du bien-être des animaux, nommé par arrêté du ministre de l'agriculture, sur proposition du directeur général, illustre cette particularité.
Aux laboratoires du CNEVA s'est ajouté le laboratoire d'hydrologie situé à Nancy qui lui relevait jusque-là de la DGS (Direction générale de la santé) et qui a été intégré directement à la structure de l'AFSSA. Les treize laboratoires de l'AFSSA sont répartis sur dix sites dont celui de Maisons-Alfort qui en compte trois. Sur les 900 agents de l'AFSSA, 684 soit 76 %, sont affectés aux laboratoires.
Cette situation particulière comporte des atouts pour l'Agence, et c'était le but recherché, même si la décision a été prise sans préparation à une très faible majorité (une voix au Sénat), et fortement discutée avant l'adoption définitive. Elle comporte aussi des contraintes qui, l'expérience le montre, sont gérables. L'AFSSA caractérise d'ailleurs elle-même cette situation dans son document « La recherche, missions et politique de l'AFSSA ; orientations 2002/2005 » :
« La coexistence de missions générales d'évaluation des risques, de missions de recherche et des missions d'appui scientifique est une originalité dans le dispositif sanitaire français : l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments est la seule agence issue des modifications législatives des dix dernières années à avoir la majorité de ses moyens et de ses effectifs situés dans des laboratoires qui accomplissent des activités de recherche et d'appui scientifique et technique.
Si cette originalité peut être source de difficultés, liées à la conciliation de fonctions différentes au sein d'un même établissement, elle représente également un atout essentiel qu'il convient de valoriser au mieux et de conforter. Elle permet en effet d'instaurer des interactions réciproques entre ces différents métiers de manière sans doute plus rapide, plus souple et plus fructueuse que s'ils étaient exercés dans des institutions différentes.
A l'appui de cette vision, il faut souligner qu'à l'étranger, d'autres organismes ayant des responsabilités dansle champ de la sécurité sanitaire ont développé des activités de rechercher dans leurs laboratoires (c'est le cas notamment de la FDA aux Etats-Unis) ou disposent de moyens spécifiques pour développer la recherche dans d'autres organismes (c'est le cas par exemple de la Food Standards Agency en Grande-Bretagne). (...)
Il convient enfin de souligner que les activités de recherche peuvent être un moyen privilégié de maintien d'un bon niveau scientifique pour d'autres activités. C'est ainsi que dans son analyse du fonctionnement du laboratoire d'hydrologie avant son rattachement à l'AFSSA par le décret du 26 mars 1999, l'Inspection générale des affaires sociales avait déploré que ce laboratoire se soit progressivement coupé des problématiques de recherche dans son domaine de compétence et avait évoqué le retentissement de cette situation sur la qualité des autres activités du laboratoire ».
Ces observations sont d'autant plus intéressantes que dans la perspective de clarifications inévitables, les configurations les plus diverses, quelque peu éloignées de ce tableau, sont avancées.
2.6.2. Un appareil tangible mais complexe
L'intégration du CNEVA, donc entre autres de la totalité des structures propres à la santé animale, a été plutôt bénéfique, voire très bénéfique. Les avis sont concordants. Contrairement aux craintes exprimées lors des débats de 1997-98 et pendant la période de mise en place, on s'accorde à reconnaître que la santé animale n'a pas du tout été négligée. La nouvelle agence a maintenu les acquis hérités au CNEVA et a même procédé à quelques développements. Les ressources n'ont pas pâti de cette intégration, au contraire ; les relations avec l'industrie ont été clarifiées, même si certains inconvénients sont ressentis par rapport à des coopérations qui ne peuvent plus s'établir autant que certains le souhaiteraient.
L'intégration et l'encadrement des laboratoires ont été illustrés par des progrès significatifs et des initiatives innovantes :
-- Développement des réseaux de surveillance épidémiologique ; ces réseaux - il convient de le souligner - étant gérés conjointement par l'AFSSA et la DGAL.
-- Propositions d'orientations des activités d'appui scientifique et technique, issues d'une analyse menée pendant deux ans par l'ensemble des scientifiques de l'Agence, le conseil scientifique, la DGAL ayant été associée.
-- Définition des orientations de recherches prioritaires 2002-2005, après inventaire dans les différents laboratoires. Cet inventaire réalisé pour la première fois pour l'ensemble des laboratoires de l'Agence a été utile à différents niveaux. Il a permis :
-- L'identification des domaines couverts et non couverts
-- La répartition des personnels scientifiques par thème et par axe stratégique
-- La définition de 13 axes de recherche
-- L'identification de thèmes et d'axes stratégiques prioritaires à renforcer
-- Les 3 axes stratégiques prioritaires retenus :
-- Les problèmes des filières bovines
-- La recherche dans le domaine de la pêche
-- La problématique liée à l'eau et aux végétaux
Les 5 thématiques prioritaires :
-- Les maladies émergentes et leur potentiel de transmission à l'homme
-- Les méthodes d'estimation qualitative des risques chez les consommateurs
-- L'alimentation animale et le risque pour l'homme
-- Les ESST
-- La composition des aliments et les risques nutritionnels
L'initiative importante concrétisée au niveau européen dans le cadre du 6è PCRD avec Med.Vet.Net. (prévention et contrôle des zoonoses transmissibles à l'homme) mérite d'être particulièrement remarquée. L'AFSSA est à l'origine du projet et en assure la coordination scientifique et administrative ; cette réalisation commune a été engagée avec quatre autres institutions intéressées (en Grande-Bretagne, Suède, Danemark, Pays-Bas) et s'étend maintenant à 16 institutions réparties dans 10 pays.
Des insuffisances ou des lenteurs dans la direction des laboratoires sont toutefois perceptibles en ce qui concerne la coordination des travaux et les accréditations. En outre, des choix ponctuels face à des problèmes que rencontrent deux unités sont contestables, le cas de l'abandon de la recherche en virologie bovine à Lyon étant le plus marquant.
Il faut souligner que les centres de recherche de l'AFSSA prennent place dans un dispositif plus large.
A côté des laboratoires de l'AFSSA, la santé animale est évidemment l'objet de travaux dans d'autres structures dont la finalité est précisément exclusivement la recherche. Ainsi en est-il avec l'INRA dont le département « santé animale » compte un effectif de 700 personnes, dont la moitié de scientifiques, répartis dans 23 unités sur neuf sites ; d'autres éléments de l'INRA (microbiologie), intervenant également dans le domaine animal.
Par ailleurs, le CIRAD (centre international de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) intervient aussi dans ce domaine par son département élevage et médecine vétérinaire tropicale (180 personnes).
Les laboratoires vétérinaires départementaux
Dans le domaine du contrôle et de la surveillance, les 78 laboratoires de contrôle (2500 personnes environ) réalisent la majorité des analyses rentrant dans ce cadre pour le compte de la DGAL. L'AFSSA rencontre ici de sérieuses difficultés pour obtenir la transmission des analyses réalisées par ces laboratoires, malgré des relations correctes avec les laboratoires de l'AFSSA. C'est là un problème évoqué par ailleurs et qui illustre la nécessité d'une réelle harmonisation des relations entre l'AFSSA et la DGAL dans l'usage commun des plans de contrôle et de surveillance.
Les laboratoires des ministères de tutelle : DGAL et DGCCRF
-- On rappellera au préalable que le laboratoire dépendant de la troisième tutelle qui est le ministère de la santé (à travers la DGS), à savoir le laboratoire d'hydrologie de Nancy, essentiellement centré sur le contrôle des eaux minérales, a été intégré à l'AFSSA en 2001. Un élargissement de ses compétences à toute la filière eau est actuellement souhaité par l'Agence et la DGS.
-- Le laboratoire national de la protection des végétaux compte un effectif de 450 personnes (dont un peu plus d'une centaine dans les laboratoires). Intégré dans la structure de la DGAL, il relève directement de sa sous-direction protection des végétaux. Il n'a pas été établi de lien entre lui et l'AFSSA.
-- La direction des laboratoires de la DGCCRF coiffe huit laboratoires sur l'ensemble de la France comptant au total 363 agents. La collaboration avec l'AFSSA est à développer même si les difficultés rencontrées dans la transmission des plans de contrôle et de surveillance n'est pas du même ordre qu'avec la DGAL.
2.6.3. La répartition des laboratoires : une nécessité confirmée
2.6.3.1. De multiples hypothèses
Compte tenu des difficultés que l'éparpillement des laboratoires fait naître, notamment pour l'Agence elle-même et sachant que tout schéma complexe suscite nécessairement des appétits de simplification, les propositions ne manquent pas. Ont ainsi été envisagées :
-- Concernant directement les laboratoires de l'AFSSA, le transfert pur et simple à d'autres organismes dont ceux centrés sur la recherche, à commencer par l'INRA.
-- Une redéfinition de la répartition thématique avec des établissements à caractère scientifique et technique : transferts des laboratoires n'ayant pas de compétences en matière de sécurité des aliments vers d'autres organismes ; transfert à l'AFSSA de laboratoires de recherche en sécurité des aliments venant de l'extérieur ;
-- Un regroupement des laboratoires ayant des compétences d'appui scientifique et technique (AFSSA, DGCCRF, protection des végétaux de la DGAL) au sein de l'Agence ou dans un autre organisme avec une compétence couvrant l'ensemble des champs de l'appui scientifique et technique : produits animaux, santé animale, médicament vétérinaire, produits végétaux, produits phytosanitaires, eau.
-- Une réorganisation des laboratoires en charge des missions de référence dans le secteur de la sécurité alimentaire avec la mise en place d'un double réseau : un réseau de centres de référence pour les maladies humaines sous la responsabilité de l'Institut de Veille Sanitaire et un réseau de référence pour la surveillance des aliments, de l'eau, des maladies animales sous la responsabilité de l'AFSSA.
La suppression de la distinction entre l'évaluation et la gestion du risque et en confiant cette dernière à l'AFSSA, amènerait à intégrer l'ensemble des laboratoires de la DGAL et de la DGCCRF à l'AFSSA. Dès lors que l'on décline cette orientation, une telle configuration ne peut être envisagée.
2.6.3.2. L'inévitable répartition
Lors de la journée d'auditions organisée en mai 2000 par la commission des affaires sociales du Sénat, un an après la mise en place du dispositif de la loi du 1 er juillet 1998, plusieurs échanges avaient permis de rappeler les nécessités d'organisation et d'articulation dans ce domaine de la sécurité sanitaire des aliments entre l'évaluation et la gestion du risque en soulignant l'élément essentiel qui est le positionnement des laboratoires. L'analyse faite alors par Mme Marylise Le Branchu, ministre en charge de la DGCCRF garde toute sa pertinence même si les « mise à disposition » de l'AFSSA doivent faire l'objet d'une sérieuse mise à niveau pour devenir effective en toute circonstance :
« Mme Marylise Le Branchu : Par rapport à ce que vous avez dit sur les deux agences, qui pourraient d'ailleurs être trois agences, puisqu'il s'agit d'environnement également maintenant, je vais essayer de regrouper les questions pour être plus brève.
J'ai l'intime conviction que l'on travaille dans un pays par étape. On ne coule pas dans le marbre une fois pour toutes des outils. Compte tenu du caractère récent de cette volonté d'avoir une évaluation transparente du risque, il n'est pas mauvais de séparer les fonctions. Il est probable, possible, que, dans quelques années, nous soyons amenés à revoir la structure des agences. Je pense qu'il faut d'abord faire fonctionner ce que nous sommes capables de faire fonctionner.
La co-tutelle nous a semblé être une nécessité au départ dans la mesure où nous voulions continuer à affirmer un principe fort : celui de la séparation absolue de l'évaluation et de la gestion du risque. A-t-on le même outil pour évaluer et gérer le risque ? A mon avis, non. Les organismes de contrôle doivent applique le résultat de l'évaluation du risque, prendre les processus d'évaluation qui leur ont été donnés et, pendant qu'ils contrôlent, l'Agence évalue d'autres risques potentiels, etc ... C'est un mouvement continu.
Les comités d'experts vous préoccupent. La loi sur l'Agence dit : « Pour l'accomplissement de ses missions, les laboratoires des services de l'Etat chargés du contrôle de la sécurité sanitaire des aliments et ceux qui leur sont rattachés sont mis à disposition de l'Agence en tant que de besoin ». Un premier mouvement a été décidé : le CNEVA n'est plus un laboratoire d'un service, mais est devenu un service de l'Agence, donc indépendant et agissant en transparence. Sa relation n'est que budgétaire. Pour les laboratoires, les résultats sont donnés à l'Agence pour ses évaluations constitutives. Elle a à sa disposition, quand elle veut formuler une question, tous les laboratoires de l'Etat.
Avoir une seule entité impliquerait une supra structure avec à l'intérieur tous les laboratoires, le tout en étant au service de l'évaluation du risque. Je reste persuadée qu'il faut garder des outils au service de la gestion du risque. L'Agence n'a pas comme vocation de contrôler. Elle perdrait son temps et son efficacité. En effet, le souci, que vous avez bien développé, était d'avoir un outil structurel institutionnel garanti transparent travaillant en permanence sur l'évaluation des risques potentiels. Laissons la gestion aux administrations de telle manière que l'Agence ne soit pas encombrée de missions de contrôle et ne fasse plus de travail d'évaluation aussi souvent qu'elle le pourrait.
Par ailleurs, il me semble que l'Agence n'aura jamais tous les laboratoires sur toutes les compétences dans l'avenir. Qu'elle ait le droit, en tant que de besoin, d'avoir à sa disposition ces laboratoires et que ceux-ci soient obligés de lui répondre sur toutes les évaluations qu'elle demande, y compris les laboratoires universitaires - des universités travaillent sur de la recherche fondamentale qui, à un moment donné, peuvent être utiles à l'Agence - est un fonctionnement qui me paraît devoir être poursuivi ; sinon, l'Agence manquera de moyens ».
2.6.3.3. Les besoins des services de contrôle
La nécessité pour les services en charge des contrôles de disposer de laboratoires s'impose. Cette question préalable ne constitue pas le seul argument qui justifie la répartition des laboratoires entre différentes entités administratives. Dès lors, c'est cette répartition qui doit être organisée, mieux organisée. Les doublons (dans le domaine de la santé animale par exemple) ne devraient pas perdurer et surtout les mécanismes qui imposent la collaboration entre administrations sont réalisables.
-- Par ailleurs, le transfert des laboratoires de l'AFSSA, soit à d'autres structures administratives existantes, soit à une structure nouvelle qui serait à créer, étant exclu, deux orientations complémentaires peuvent être envisagées ; elles constituent la voie d'une amélioration de l'outil créé par la loi de 1998 aux objectifs fixés. L'une consiste à procéder à des retouches, à des changements de rattachement, l'expérience enregistrée étant souvent le meilleur critère, l'autre consiste à instaurer des mécanismes de coopération entre administrations ou à les étendre lorsqu'ils existent déjà.
? Le transfert du Laboratoire national de protection des végétaux du ministère de l'agriculture à l'AFSSA apparaît comme une réponse envisageable et donc souhaitable face aux difficultés notées précédemment, particulièrement dans le domaine des produits phytosanitaires. L'appui scientifique et technique pour les fonctions de surveillance et de contrôle devrait naturellement continuer à être assuré au ministère de l'agriculture.
? L'absence de contrat d'objectifs et de moyens entre l'AFSSA et les administrations de tutelle a été pointée comme une gêne, sinon un obstacle, à une harmonisation des relations entre ces entités. Il est maintenant devenu une condition préalable à toute clarification, y compris pour l'Agence elle-même ; cela est d'autant plus urgent que la perspective de concrétisation de la LOLF s'approche. Mais pour le ministère de l'agriculture, ce préalable doit être complété par l'établissement de rapports d'ensemble dans le cadre d'une convention générale ; les réformes à opérer ne retireront pas au ministère de l'agriculture sa fonction de tutelle et celle de partenaire de l'Agence qui doivent être clairement distinguées.
Les laboratoires de la DGCCRF, de par leur positionnement et leur mission de contrôle ne soulèvent pas à notre sens de questionnement quant à leur rattachement ou à leur structuration. En revanche, des améliorations notables devraient être apportées dans le cadre d'une convention générale dont on peut s'étonner qu'elle n'ait pas encore été rédigée alors que les domaines d'action sont pour le moins connexes.
Les sujets concernés pourraient être, d'après les propositions de l'AFSSA : les programmes de surveillance des résidus de pesticides, les programmes de surveillance des résidus d'antibiotiques, les programmes de surveillance phytotoxines/mycotoxines, la recherche de la présence d'OGM et les résultats des contrôles de l'eau.
2.6.3.4. Les besoins de l'AFSSA pour la recherche
Une clarification dans les rapports avec le ministère de l'agriculture s'impose également en ce qui concerne la recherche. En effet, les tutelles ne jouent pas actuellement un rôle consistant dans l'orientation de la recherche au sein de l'AFSSA, ce qui laisse à celle-ci une marge d'appréciation, donc de choix, plutôt large. Or l'Agence ne peut revendiquer, tout au moins à elle seule, l'orientation de la recherche car elle est à la fois juge et partie. Les priorités liées à son « coeur de métier », l'évaluation du risque, peuvent au mieux être appréciées par elle, mais pour tout le reste, c'est différent. L'analyse faite par l'Agence elle-même des choix de la recherche dans le document précité 28 ( * ) ne manque pas de pertinence et mérite d'être citée, mais elle montre aussi la nécessité d'une implication plus grande du ministère dans l'orientation de ces choix :
« Les champs de la recherche
Pour aborder la question des champs de la recherche, deux approches sont possibles : l'une qui partirait des compétences actuelles des laboratoires ; l'autre qui analyserait les besoins généraux dans l'ensemble du champ de compétence de l'agence. Réflechir à une stratégie, c'est croiser ces deux approches, en déterminant comment les compétences actuelles de l'agence peuvent contribuer à répondre à des besoins de recherche.
C'est en partant des activités actuellement réalisées au sein des laboratoires, en renforçant les logiques transversales, qu'il convient d'examiner dans quels secteurs il serait nécessaire d'en faire plus ou moins, en se fondant sur les principes suivants :
-- une relation étroite entre secteurs de recherche et d'appui scientifique et technique et secteurs d'évaluation est souhaitable ;
-- compte tenu de son rôle et de sa mission de service public, il n'est pas envisageable que l'agence interrompe des activités considérées comme répondant à un besoin qu'elle est la seule ou la mieux à même de satisfaire ;
-- par symétrie, il est important que l'agence conserve une capacité de développer des activités de recherche répondant à un besoin non satisfait et renforcer une capacité d'adaptation à des thématiques émergentes ;
-- compte tenu de sa taille, le développement des activités de recherche de l'agence ne peut se faire que sur des objectifs précis.
L'autre approche consiste à partir de l'examen des missions de l'Agence pour identifier les quatre champs majeurs dans lesquels on pourrait considérer que l'AFSSA se doit de réaliser des recherches. Il s'agit :
-- des risques sanitaires des aliments destinés à l'homme et aux animaux d'élevage (y compris les eaux de boissons), ces risques pouvant résulter de contaminations microbiennes ou chimiques, délibérées (produits de traitements) ou fortuites (polluants) ;
-- de la valeur nutritionnelle et organoleptique des aliments destinés à l'homme ;
-- de la santé des populations animales élevées ou exploitées par l'homme, la notion de santé intégrant non seulement les pathologies, mais aussi les aspects liés aux conditions d'élevage et au bien-être animal ;
-- des risques sanitaires pour l'homme liés à la faune sauvage ou domestique, même lorsqu'ils ne constituent pas un problème direct de santé animale (phénomènes de portage) ou lorsque la transmission n'implique pas forcément un vecteur alimentaire (cas de la rage par exemple).
Dans la mesure où l'agence n'a pas vocation à couvrir l'ensemble des sujets de recherche dans ces différents domaines, elle se doit de stimuler des recherches dans des thèmes jugés prioritaires et pour lesquels il apparaît nécessaire de favoriser la complémentarité entre organismes.
C'est donc cette double démarche de réflexion que l'agence s'est proposée de mettre en oeuvre ».
2.7. Une agence dans l'Agence : l'Agence nationale du médicament vétérinaire
2.7.1. Histoire de l'ANMV
Issue d'un long processus qui a commencé avec la création à Fougères du laboratoire des médicaments vétérinaires en 1975, l'Agence nationale du médicament vétérinaire a été créée en 1994, puis intégrée à l'AFSSA en 1999 lors de la mise en place de celle-ci tout en gardant ses structures, son organisation et ses compétences. Son directeur est l'un des directeurs placé auprès du directeur général de l'AFSSA, mais il est nommé, sur proposition de ce dernier, par arrêté des ministres chargés de l'agriculture et de la santé ; l'Agence nationale du médicament vétérinaire est placée sous la tutelle conjointe de ces deux ministres alors que l'AFSSA elle-même, dont elle constitue un élément, est sous la triple tutelle déjà décrite (la troisième étant celle du ministre chargé de la consommation à travers la DGCCRF).
Compte tenu du caractère particulier de sa mission spécifique sur le médicament vétérinaire, l'ANMV a des compétences étendues et précisées dans le code de la santé publique à travers le directeur général de l'AFSSA ; l'Agence est chargée : « d'assurer auprès du ministère de l'agriculture et des autres ministres intéressés l'appui scientifique et technique nécessaire à l'élaboration, à l'application et à l'évaluation des mesures prises dans les domaines de la santé animale, du médicament vétérinaire, du bien-être des animaux et de leurs conséquences sur l'hygiène publique, ainsi que la sécurité sanitaire des aliments destinés à l'homme ou à l'animal. Elle participe au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés, en ce qui concerne les médicaments vétérinaires dans les conditions prévues parle décret n° 95-1173 du 6 novembre 1995 pris pour l'application du titre III de la loi n° 92-654 du 13 juillet 1992 relative au contrôle de l'utilisation et de la dissémination des organismes génétiquement modifiés, en ce qui concerne les médicaments vétérinaires » (art. R. 794-2 du code de la santé publique).
A ce titre, le directeur de l'AFSSA, est chargé non seulement de l'évaluation du médicament vétérinaire, mais également de mesures de gestion au nom de l'Etat par les articles L 1323-5 et R 794-16 (autorisation des médicaments vétérinaires et des établissements pharmaceutiques vétérinaires, activités d'inspection et de contrôle par exemple). Par contre, les mesures de police sanitaire à l'égard des médicaments non soumis à autorisation préalable relèvent toujours des ministres chargés de l'agriculture et de la santé, à la différence de l'AFSSAPS pour le médicament à usage humain.
Les missions confiées à l'AFSSA relevant de l'ANMV visent :
-- les autorisations de mise sur le marché de ces médicaments, ainsi que d'autres décisions qui y sont plus ou moins liées : autorisations des essais cliniques, autorisations temporaires d'utilisation, autorisations des autovaccins, autorisations d'importation, certifications à l'exportation ;
-- la pharmacovigilance, le contrôle de la publicité et de la qualité des médicaments sur le marché ;
-- les autorisations relatives à différentes catégories d'établissements : fabrication, importation, exportation, distribution en gros de médicaments vétérinaires, fabrication d'aliments médicamenteux ;
-- l'inspection de ces établissements ;
-- l'appui à la conception de textes législatifs et réglementaires.
L'organisation des travaux de l'ANMV s'est donc structurée depuis longtemps et ce, autour de ces compétences bien précises. Les différents services ou comités techniques fonctionnent et selon des schémas adaptés et clairs. Il y a lieu de noter que l'ANMV est, après ses homologues britannique et allemand, la troisième entité en Europe en terme d'effectifs.
2.7.2. Les effets de l'intégration
Les effets de l'intégration de l'ANMV dans l'AFSSA ne paraissent pas avoir été très tangibles ; les avantages qu'elle aurait pu y trouver restent encore à prouver.
On peut certes considérer qu'on n'a pas en sens inverse enregistré d'inconvénients notoires, mais cela reste peu satisfaisant même si l'ANMV s'acquitte d'une mission essentielle dans le cadre des processus européens et est reconnue à ce titre.
Ce défi important pour l'Agence, identifié dès la création en 1995 de l'Agence européenne du médicament (EAMA) explique que les autorisations de mise sur le marché (AMM) sont traitées d'une manière et dans des délais satisfaisantes.
La reconnaissance de l'ANMV est illustrée par ses responsabilités européennes :
-- Pour la procédure de reconnaissance mutuelle, la France a été choisie comme Etat-membre de référence dans 40 % des cas pour la période 1995-1998 et 19 % en 2001 et 2002, l'importance prise par l'Irlande expliquant en partie cette diminution.
-- Pour la procédure centralisée, la France a été rapporteur (ou co-rapporteur) dans 30 % des cas pour la période 1995-1998 et 40 % pour 1999-2002.
Les efforts importants consentis dans les procédures européennes semblent avoir pour contrepartie des retards dans procédures d'enregistrement et de traitement des dossiers (pré-AMM, médicaments immunologiques).
Par ailleurs, la pharmacovigilance et le contrôle de la qualité ne sont pas assurés dans des proportions satisfaisantes. Il en est de même pour l'inspection où seule sont suivis les soixante établissements ayant une activité exclusive de production de médicaments vétérinaires.
On doit aussi faire un signalement particulier pour la publicité. Son contrôle (art. R. 146-43 à 47 du code de la santé publique) n'est pas assuré. Cette lacune est d'autant plus préoccupante que les faiblesses et les abus dans le domaine de la prescription et de la distribution des médicaments vétérinaires perdurent dans des proportions inquiétantes et ce, après avoir été clairement mis en évidence par le rapport commun IGAS-COPERCI de mars 2002.
2.7.3. Les raisons des faiblesses
-- L'insuffisance des moyens, notamment en personnel, est l'une des principales raisons des faiblesses de l'ANMV. C'est un élément important dont il a été pris acte à différentes reprises et à tous les niveaux, y compris bien sûr celui des inspections générales. On n'a pas à en donner l'analyse ici, mais il doit évidemment en être tenu compte pour redresser la situation. Or, les tutelles (agriculture et santé) ne portent pas toute l'attention qu'elles devraient alors que pourtant les enjeux sont importants en termes économiques et en termes de santé publique. La crise de l'ESB devrait au moins le rappeler. En outre, les moyens supplémentaires demandés restent en valeur absolue, sinon en pourcentage, d'une modestie qui rend les discussions quelque peu dérisoires (30 emplois permanents et 10 temporaires demandés depuis 2002).
La faiblesse de la synergie que l'on pourrait envisager avec l'intégration dans l'AFSSA a souvent été soulignée. Cela s'illustre de différentes manières. L'une qui mérite plus particulièrement d'être soulignée ici est l'absence d'évolution dans la conduite de l'expertise. En effet, il est souvent constaté, que contrairement à d'autres instances, l'ANMV a une « expertise interne forte et une expertise externe faible ». Cela correspond à une culture d'entreprise où, compte tenu de la spécificité du secteur, l'expert extérieur est considéré avec une certaine méfiance. La composition des commissions d'experts n'a pas évolué, les conditions de recrutement des experts non plus (pas d'appel à candidature ni de comité de sélection).
La localisation de l'ANMV à Fougères est également un élément avancé pour expliquer certaines des difficultés que l'ANMV rencontre dans l'accomplissement de ces tâches ; l'absence de voisinage, d'une école vétérinaire est soulignée dans ce cadre. Le transfert de l'ANMV dans une grande ville universitaire où elle pourrait être « adossée » à une école vétérinaire avec tous les moyens scientifiques et humains que cela signifie, et bénéficier de dessertes rapides nécessaires à l'exercice de ses missions (liens avec Paris et Londres pour l'Agence européenne du médicament) est clairement désigné, comme la condition préalable au succès des mesures de mise à niveau et de réorganisation de certaines fonctions de l'Agence, en particulier pour les différentes facettes de l'expertise, l'inspection et la pharmacovigilance.
Le transfert posera nécessairement des problèmes à l'ensemble des personnels de l'ANMV qui pour beaucoup ont dû consentir un effort personnel pour s'installer à Fougères et seront amenés à en faire d'autres pour un éventuel déménagement. En outre, les conséquences en terme économique et social pour le pays de Fougères doivent être prises et compte et compensées pleinement par un plan d'ensemble, ce qui, à l'échelle des ministères de tutelle concernés, est envisageable.
Il serait plus raisonnable d'améliorer l'intégration de l'ANMV dans le dispositif général de l'AFSSA et de renforcer son articulation avec les centres de recherche vétérinaire, en particulier ceux de l'Ouest.
2.7.4. Une remise en cause de l'intégration dans l'AFSSA ?
L'intégration de l'ensemble du CNEVA à l'AFSSA lors de la création de cette dernière par la loi du 1 er juillet 1998 n'est pas remise en cause aujourd'hui alors que beaucoup doutaient de sa réussite et pour certains de sa faisabilité même. Pour l' ANMV elle-même, la question apparaît sous un jour différent. Lors de l'examen de la proposition de loi sénatoriale, le positionnement institutionnel de l'ANMV fut discuté et l'option d'une intégration à l'AFSSAPS envisagée.
Un tel rattachement, qui est la seule alternative existante à la situation actuelle, s'appuie sur quelques arguments. Le premier est fourni par la comparaison avec la configuration du niveau européen. Le médicament vétérinaire est traité au sein de l'Agence européenne de Londres pour l'ensemble des médicaments (EMEA) et dans la majorité des Etats-membres, les deux catégories de médicaments relèvent dela même structure, étant entendu que la Grande-Bretagne et l'Allemagne ont une entité spécifique au médicament vétérinaire. En second lieu, certaines difficultés que rencontre l'ANMV sembleraient pouvoir être résolues par l'intégration au sein d'une agence dont la priorité des fonctions et de l'objet (le médicament) faciliterait l'approche et le traitement ; en outre, il convient de garder à l'esprit que l'ANMV comme l'AFSSAPS, contrairement à l'AFSSA, ont des compétences qui vont au-delà de l'évaluation du risque puisqu'elles comprennent la gestion du risque.
A l'encontre d'une intégration dans l'AFSSAPS, les arguments sont davantage tirés de l'analyse des situations réelles et des risques potentiels que de considérations juridiques ou liées à l'architecture des structures administratives.
Les spécificités du médicament vétérinaire risqueraient d'être marginalisées, voire négligées, dans un ensemble administratif entièrement dédié à l'application humaine qui doit en outre se consacrer à de nouveaux domaines extérieurs au médicament : dispositifs médicaux, cosmétiques, produits relevant des allégations. On peut concevoir la crainte qu'une certaine culture du médicament vétérinaire se dilue dans l'opération.
Les liaisons de plus en plus d'actualité avec d'autres problèmes de la sphère agricole auraient d'autant moins de chances d'être privilégiées : résidus, l'écotoxicité alors même que les questions des produits phytosanitaires, engrais, biocides, doivent faire l'objet, par ailleurs, de réformes nécessaires.
Sur le plan structurel, le positionnement de la tutelle du ministère de l'agriculture deviendrait problématique, une tutelle partagée sur l'AFSSAPS étant inenvisageable. Enfin, le choc que constituerait le transfert géographique de l'ANMV couplé à un changement de structure de ce type rendrait sans doute l'ensemble de l'opération par trop délicate. Au total, malgré les difficultés et insuffisances constatées, la pertinence de l'appartenance à l'AFSSA se vérifie.
La confirmation de l'intégration au sein de l'AFSSA ne devrait donc pas faire de doute. C'est plutôt l'effectivité de celle-ci qui devrait être renforcée, les progrès à réaliser se situant aussi du côté de la direction générale de l'AFSSA, la question des moyens, quant à elle, interpellant directement les tutelles.
* 24 Canicules - novembre 2003 Fayard Editeur.
* 25 Cf. supra 1 ère partie du présent rapport.
* 26 Cf. supra page 78
* 27 On rappellera que seule la DGCCRF parmi les trois tutelles a accepté de participer à ces travaux.
* 2 La recherche : missions et politique de l'AFSSA - orientations 2002/2005, page 7.