DEUXIÈME
PARTIE :
L'AFSSA ET LA SÉCURITÉ SANITAIRE DES
ALIMENTS
En matière de sécurité sanitaire des aliments, la mise en oeuvre de la loi n° 98-535 du 1 er juillet 1998 s'est réalisée principalement avec le décret n° 99-242 du 26 mars 1999. La mise en place de l'AFSSA s'est faite rapidement ensuite, après la nomination de son directeur général. Celui-ci a créé une organisation provisoire de l'Agence en octobre 1999, puis en novembre 2000. Une nouvelle organisation a été pérennisée, les modifications ayant essentiellement touché les structures scientifiques : le nombre de directions opérationnelles a aussi été ramené à trois au lieu de quatre : la DERNS (direction de l'évaluation et des risques sanitaires et nutritionnels, la direction de la programmation des laboratoires et l'ANMV (Agence nationale du médicament vétérinaire).
L'évaluation d'ensemble de l'AFSSA repose sur le résultat global du nouveau dispositif, l'adéquation aux objectifs fixés par une loi très novatrice dans un domaine ou il n'y avait pas d'instance opérationnelle préexistante. Le terme de dispositif doit être souligné car l'AFSSA a pour tâche l'évaluation du risque. Le principe retenu dans le domaine alimentaire a été celui de la séparation entre l'évaluation du risque sanitaire et nutritionnel d'une part, et sa gestion d'autre part, laquelle continue à relever des trois tutelles que sont la DGS, la DGAL et la DGCCRF. L'Agence n'est pas la seule partie prenante dans le domaine de la sécurité alimentaire.
On présentera tout d'abord les éléments de cette évaluation globale du dispositif en rappelant brièvement les objectifs et les principes de la loi de 1998, puis comment l'atteinte de ces objectifs atteste d'un succès incontestable, pour l'Agence en premier lieu.
Dans un second temps, on analysera plus largement comment ce succès appelle néanmoins des confirmations, des ajustements, des clarifications, des ajouts et des mises au point, sans préjudice d'autres retouches.
Enfin, on fera le point sur la dimension européenne du dispositif et de la coordination qu'il implique.
I. UNE ÉVALUATION GLOBALEMENT POSITIVE
1.1. Rappel des objectifs et des principes
? Les crises et les premières réflexions
Les objectifs de la loi de 1998 dans son ensemble découlent directement des crises sanitaires qu'ont connues la France et les pays européens dans le domaine alimentaire : vache folle (ESB), listeria pour les plus importantes. Au-delà de ces événements les plus spectaculaires, des inquiétudes durables avaient attiré l'attention de spécialistes, des responsables politiques et administratifs et des consommateurs eux-mêmes, tel le recours aux antibiotiques dans l'élevage comme facteur de croissance et non comme médicament. Les travaux de la mission d'information sénatoriale sur le renforcement de la sécurité sanitaire en France, présidée par M. Charles Descours et dont M. Claude Huriet était le rapporteur en 1996-1997 et qui sont à l'origine de la loi de 1998, avaient résumé les défauts des dispositions antérieures en des termes précis et dépourvus d'indulgence : « les procédures applicables à l'alimentation ne sont pas satisfaisantes au regard des principes qui doivent guider toute politique de sécurité sanitaire : 1/la réglementation applicable aux produits alimentaires n'est pas nécessairement orientée vers la protection de la santé de l'homme 2/le principe de précaution n'est pas toujours appliqué, l'indépendance des contrôles est insuffisante ».
Les termes même du rapport de cette mission indiquent comment dès l'origine la nouvelle agence a été conçue (Sénat n° 196 (1996-97 page 65) :
« Votre commission propose la création d'un nouvel établissement public, l'Agence de sécurité sanitaire des produits alimentaires. Elle aurait une double mission : d'une part, assurer le contrôle et garantir la sécurité des produits alimentaires, au lieu et place des services du ministère de l'agriculture et de l'alimentation et du ministère de l'économie et des finances et, d'autre part, assurer le contrôle du médicament vétérinaire, à la place de l'Agence du médicament vétérinaire qui y serait intégrée.
Cette Agence serait placée sous la tutelle des ministères de la santé, de l'agriculture, de l'économie et des finances et de l'industrie.
Elle aurait compétence pour proposer aux ministres chargés de la santé et de l'agriculture toute modification de la réglementation concernant la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Il serait ainsi mis fin à ce qui peut s'analyser comme un « mélange des genres » et qui est préjudiciable, tant à la confiance des consommateurs qu'à la réalité de la sécurité sanitaire des produits alimentaires.
Au sein de l'Etat, la légitime représentation des intérêts des producteurs serait ainsi séparée de celle des intérêts de la santé publique, non moins légitimes mais parfois contradictoires des premiers ».
? Les acquis antérieurs
Il ne faudrait cependant pas laisser croire que l'on partait de rien et que l'Etat s'était complètement désintéressé de ces questions. Par rapport à d'autres pays européens, on peut même considérer que le niveau de sécurité en France se comparait favorablement. Par exemple, le nombre d'intoxications aux salmonelloses y était plutôt bas et, par ailleurs, on n'y avait pas connu des crises d'une gravité telle que celle de l'huile d'olive frelatée (Espagne) ou du vin blanc édulcoré au glycol (Autriche) sans parler plus tardivement des volailles contaminées par des dioxines (Belgique).
Le Comité Supérieur d'Hygiène Publique de France, dont la création remonte à une loi de 1902, à travers de l'une de ses quatre sections spécialisées « alimentation et nutrition » était, avant la loi de 1998, en charge des expertises maintenant réalisées par l'AFSSA. Il avait contribué à atteindre un niveau qui n'était certes plus satisfaisant au regard des exigences et des défis des années quatre vingt dix, mais qui avait permis d'éviter le pire. Un nombre substantiel des experts qui le constituaient a d'ailleurs été retenu après une sélection sévère lors de la constitution des premiers comités d'experts de l'AFSSA en 2001.
Par ailleurs, les trois administrations en charge des contrôles ont contribué substantiellement, à maintenir une pression qui s'est souvent révélée fort efficace pour éviter ou limiter certaines crises. Mais à l'évidence le cadre administratif n'était plus adapté et la culture de l'évaluation du risque ne pouvait pas vraiment s'y développer.
Pour assurer un niveau élevé de sécurité sanitaire des aliments en rapport avec les risques constatés et les défis identifiés, plusieurs nécessités ont été particulièrement pointées : la rationalisation, la réactivité et l'indépendance. Il s'agit des objectifs principaux qui sous-tendent ensuite une organisation et des moyens à leur hauteur. C'est dans ces perspectives que l'AFSSA a été conçue au niveau parlementaire et gouvernemental, puis construite par les responsables gouvernementaux et administratifs au premier rang desquels sa direction. C'est aussi dans cette perspective qu'elle est gérée et s'est développée. La concertation prévue par la loi avec les autres parties prenantes dans ce domaine fait aussi partie de son cadre d'action.
1.2. Les choix du législateur
1.2.1. Une agence spécialisée
Le premier point de discussion apparu dès le début des travaux de la mission d'information de la commission des affaires sociales du Sénat en 1996 sur l'ensemble de la sécurité sanitaire a été celui du choix : agence unique ou agences spécialisées par risque ou par domaine. En première approche, la FDA américaine (Food and Drug Administration) sans s'imposer vraiment comme modèle, apparaissait comme une référence incontournable à partir de laquelle les différents schémas pouvaient s'ordonnancer. Malgré l'intérêt évident de cette instance et de ses modes de travail, il s'est rapidement avéré qu'il y avait beaucoup d'idées inexactes, sinon fausses, sur la FDA. En outre, compte tenu des différences considérables de tous ordres entre les Etats-Unis et la France, elle ne pouvait pas être considérée comme un modèle. Or sur la question de l'agence unique détenant l'ensemble des compétences, plusieurs mises au point doivent préalablement être faites.
Ainsi la FDA est en charge des produits destinés à l'homme : produits thérapeutiques et produits alimentaires principalement. Mais, dans ce dernier domaine, le contrôle de la viande et des oeufs est assuré par le département de l'agriculture ; en outre, l'Agence fédérale de l'environnement intervient de son côté sur certains points.
Plusieurs interlocuteurs responsables ou anciens responsables américains avaient à l'époque eux-mêmes estimé que « si c'était à refaire, on créerait deux agences au lieu d'une seule ».
Le principe de l'agence unique pour les produits de santé et les aliments a des défenseurs même après l'affaiblissement de « l'argument américain ». Mais au fur et à mesure de l'élaboration de la réflexion, la proposition a été abandonnée. Le changement de majorité à l'Assemblée nationale suite à la dissolution en avril 1997 n'entraînera pas de longue interruption comme on aurait pu le craindre, mais la perspective de l'agence unique redevint d'actualité. M. Claude Huriet, lors de la journée d'audition du 29 mai 2000 à la commission des affaires sociales du Sénat rappela dans les termes suivants cette nouvelle phase de réflexion qui aboutit à la situation que nous connaissons avec deux agences :
« Après le changement de gouvernement, le nouveau Premier ministre, M. Lionel Jospin, a évoqué la création d'une Agence de Sécurité Sanitaire dans sa déclaration de politique générale au Parlement. D'ailleurs, pendant que nous présentions notre proposition de loi sous le gouvernement précédent, notre ami Bernard Kouchner avait écrit un article dans lequel il défendait la création d'une seule agence, alors que nous en proposions deux.
Nous avons écouté ce que disait M. Jospin et, le 12 août, des conseillers de M. Jospin ont demandé à nous rencontrer pour parler de cette affaire. Cela montre qu'au-delà des affrontements normaux en démocratie, de grandes questions transcendent les courants politiques.
Le cabinet du Premier ministre nous a indiqué que notre proposition de loi figurerait à l'ordre du jour du Parlement.
Ils nous ont cependant suggéré de créer une agence plutôt que deux. Nous leur avons dit : « Vous allez voir que faire une agence est plus compliqué que ce que vous croyez. Si vous arrivez à faire une agence, nous n'en faisons pas une affaire de paternité, nous voulons bien n'en faire qu'une, mais vous verrez que vous serez obligés d'en faire deux ».
C'est là une question sur laquelle il n'y aura guère à revenir en détail car, a priori, aucun argument ne conduit aujourd'hui à revenir sur ce choix qui s'est révélé être le bon. D'ailleurs, certaines évolutions ou réformes internes dans d'autres pays vont dans le même sens.
1.2.2. La séparation entre l'évaluation et la gestion du risque.
Thème important, spécifique au domaine alimentaire, ce principe est préconisé par le Codex alimentarius, organisme placé sous l'égide de la FAO et de l'OMS. Mais sa nécessité a surtout été soulignée à partir de certains contre-exemples mettant en cause des administrations ou des instances d'expertises ou autres dans lesquelles on avait relevé un regrettable mélange des genres : représentation de branches économiques et évaluation du risque.
Il avait été envisagé que l'AFSSA se voit doter, au-delà de l'évaluation, de la gestion des risques, comme c'est le cas pour l'AFSSAPS, mais le principe de la séparation a prévalu. Ce thème qui est revenu parfois en discussion, sera analysé en deuxième partie de cette évaluation.
1.2.3. Le format de l'Agence
Une conception défendue avant 1998 aurait fait de l'Agence une entité légère, dont le principal rôle aurait été de structurer les diverses instances d'expertises existantes alors, mais qui étaient très dispersées et fonctionnaient souvent dans des conditions rudimentaires, notamment en raison de l'évidence insuffisance de moyens.
C'est une conception beaucoup plus ample qui a prévalu, notamment avec l'intégration complète des laboratoires du CNEVA (centre national d'études vétérinaires et alimentaires) et de l'ANMV (Agence nationale du médicament vétérinaire). Cette intégration, qui n'était pas prévue à l'origine, a de l'avis général, donné la masse critique à l'AFSSA lui permettant de répondre aux demandes qui lui sont adressées et aux objectifs qui lui sont fixés.
Il doit être rappelé que dans le domaine du médicament vétérinaire, les mécanismes n'ont pas été modifiés par rapport à la situation antérieure et que, par conséquent, l'AFSSA dispose d'un pouvoir de police sanitaire et est donc compétente pour la gestion du risque et la fonction de contrôle. Cette exception au principe en vigueur dans le domaine des produits alimentaires eux-mêmes s'explique aisément au niveau des principes et à celui de la mise en oeuvre sur le terrain : on est d'ailleurs là dans une situation très comparable à celle de l'AFSSAPS avec le médicament humain.
1.2.4. Les domaines affectés à l'AFSSA
Le cas du secteur vétérinaire venant d'être précisé, le domaine général de l'Agence est donc large : il concerne tous les produits alimentaires « de la fourche à la fourchette ». L'agence dispose en outre des moyens nécessaires à sa mission d'évaluation par les laboratoires et ses services techniques et à travers les 10 comités d'experts qu'elle anime.
1.2.4.1. Les missions de l'AFSSA
Précisées pour l'essentiel par le code de la santé publique en ses articles L. 1323-1 et L. 1323-2, ainsi que le R. 794-2, elles sont principalement au nombre de trois, cette classification n'étant pas indiscutable :
-- la mission d'évaluation des risques sanitaires et nutritionnels.
Couvrant donc l'ensemble de la chaîne alimentaire, cette mission :
concerne chacune des étapes de cette chaîne : production, transformation, conservation, transport, stockage et distribution ;
s'applique aussi bien aux aliments destinés à l'homme qu'aux aliments destinés aux animaux, qu'ils soient d'origine animale ou végétale, mais aussi les eaux destinées à la consommation humaine ;
outre les aliments eux-mêmes, l'évaluation englobe les différents produits dont l'utilisation peut avoir des conséquences sur la sécurité des aliments : produits phytosanitaires, médicaments vétérinaires, matières fertilisantes, matériaux en contact avec les aliments ou produits de conditionnement ;
Toutefois, l'existence de « zones frontières » rendent plus floues les compétences de l'Agence en ce qui concerne notamment les « intrants » : produits phytosanitaires, engrais et les OGM où il n'y a pas là exclusivité de l'évaluation. D'importantes difficultés ont pour origine ces configurations incertaines et justifient des propositions adaptées.
Il convient également de souligner que cette mission vise les risques nutritionnels, au-delà des risques sanitaires.
-- la mission d'appui scientifique et technique
L'appui scientifique et technique comporte principalement la recherche et l'expertise pour l'élaboration et l'application de la réglementation sanitaire, de méthodes diagnostiques et thérapeutiques et la mise au point d'essais et de contrôles.
Elle recouvre les missions qui incombaient auparavant au CNEVA. Elle s'organise autour des 13 laboratoires qui lui étaient rattachés (les 12 du CNEVA et le laboratoire d'hydrologie et d'études thermales). Ces missions étaient définies par le décret du 29 avril 1988, portant création du CNEVA et comportaient :
le soutien scientifique et technique à l'élaboration, à l'application et à l'évaluation des mesures prises par le ministre de l'agriculture, ou d'autres ministres intéressés, dans les domaines du médicament vétérinaire, de la santé animale, du bien-être des animaux et de leurs conséquences sur l'hygiène publique, ainsi que de la sécurité de l'alimentation humaine liée à la consommation de denrées d'origine animale ;
la conception et l'utilisation de nouvelles techniques ;
l'établissement de normes applicables aux aliments pour valoriser leur qualité ;
la mise en oeuvre et le développement de programmes tendant à la protection sanitaire et à la salubrité alimentaire.
Les activités menées dans les laboratoires de l'AFSSA dans le cadre de l'appui scientifique et technique ne coïncident donc pas avec les domaines de compétence de l'agence en matière d'évaluation des risques, mais elles sont très largement complémentaires.
-- la recherche
Si la recherche n'est pas nécessairement une mission de l'Agence en soi, elle est constitutive de plusieurs de ses activités et prioritairement, bien sûr, de l'appui scientifique et technique qui lui est indispensable. Elle ne saurait toutefois se limiter à cela. C'est toute l'ambiguïté de la place et de l'orientation de la recherche à l'AFSSA et son l'articulation avec la recherche menée par d'autres entités administratives dans ces domaines alimentaires et nutritionnels. Une amélioration des synergies doit donc être envisagée.
1.2.4.2. L'évaluation de la gestion du risque
L'évaluation de la gestion du risque est apparue comme une mission propre que caractérisent l'évaluation des études et contrôles réalisés par les services ministériels (art. L. 1322-2 9°), le soutien et la concertation mutuelles que l'AFSSA et les trois tutelles ont à assurer notamment à travers les plans de surveillance et de contrôle, la communication des résultats des contrôles et enquêtes. Cette mission n'est plus aujourd'hui identifiée d'une manière autonome, ses éléments constitutifs sont souvent présentés comme le prolongement de l'évaluation du risque (pour les plans de surveillance et de contrôle) et comme une part des échanges au titre de l'appui scientifique et technique. Il s'agit là d'un ensemble de modalités d'action où des difficultés demeurent et où des mises au point sont à réaliser.
1.3. La réalisation des objectifs : un succès incontestable
1.3.1. L'appréciation globale
Par rapport aux objectifs plutôt ambitieux que la loi de 1998 a fixés, l'AFSSA a, de l'avis général, atteint l'essentiel de ceux qui lui ont été fixés. Cette constatation est le fait tant des connaisseurs les plus expérimentées du domaine, experts, hauts fonctionnaires, responsables et anciens responsables que de ceux, extérieurs aux circuits administratifs, qui ont a en connaître par leurs fonctions professionnelles ou associatives : monde agricole, industrie, distribution, associations de consommateurs ; en outre, la considération générale dont l'AFSSA jouit s'observe également chez des acteurs et observateurs plus lointains au niveau européen dans les pays voisins.
Les acquis préexistants à la loi de 1998 ont été réunis avec profit. La nouvelle structure, la seule qui dans cette réforme d'ensemble a été être créée ex-nihilo, a rapidement pris corps en atteignant d'emblée un niveau opérationnel. La dotation en moyens, humains notamment, était l'une des conditions de cette efficacité ; elle a été convenable ainsi que les travaux des inspections l'ont vérifié. Par exemple, l'augmentation significative des effectifs consacrés à l'organisation d'une expertise a été de pair avec le recrutement de personnel scientifique de niveau élevé et spécialisé.
La crédibilité de l'Agence dans son ensemble s'est rapidement établie notamment en tant qu'autorité indépendante de l'évaluation des risques. Dans l'ensemble du domaine de compétences fort large qui est le sien, ses avis sont attendus, appréciés et rendus dans des conditions réellement satisfaisantes, de rapidité notamment. La constitution et l'animation des comités d'experts spécialisés recueillent aussi des appréciations favorables et les comparaisons que l'on peut faire sous cet éclairage sont à l'avantage de l'AFSSA.
L'usage du droit d'auto-saisine a été apprécié par de nombreuses personnes consultées. Les échanges et les productions auxquels il a donné lieu ne sont néanmoins pas exempts de critiques qui mettent en cause la concrétisation d'un droit dont le principe reste incontestable ; la communication qui l'accompagne fait l'objet de quelques reproches parfois justifiés.
La communication de l'Agence est d'ailleurs l'un des thèmes qui soulève le plus de controverses. On en donnera quelques indices. Mais il est clair que la volonté d'établir une nouvelle autorité autonome, et même indépendante, dans l'évaluation des risques, située sous la tutelle de trois directions générales ministérielles plaçait d'emblée les responsables, et principalement le directeur général de l'AFSSA, dans une situation délicate. La personnalisation dont il fait preuve correspond ainsi à une nécessité et comporte de fait des risques. On ne saurait donc s'étonner que dans le cadre général d'un succès très tangible, le risque se soit concrétisé à travers des positionnements, des annonces et des chronologies parfois discutables, en tout cas sujets à interrogations.
L'autonomie de l'Agence, souhaitée par tous à l'origine et encore aujourd'hui, a un prix. Cela posé, le risque de la communication doit être le plus limité possible et certaines leçons que l'on pourra tirer de l'expérience de cinq années ne doivent pas être négligées.
1.3.2. L'atteinte des buts principaux
* La DERNS : son fonctionnement
La DERNS, direction de l'évaluation des risques nutritionnels et sanitaires, est au coeur de l'activité de l'Agence : c'est la structure nouvelle, spécifique, qui a été créée avec l'Agence. Son rôle, son organisation et ses moyens doivent être précisés pour pouvoir mieux saisir l'ensemble du mécanisme. Elle assure les actions d'évaluation dans le domaine des risques nutritionnels et sanitaires en faisant appel aux comités d'experts spécialisés et aux groupes de travail constitués auprès de l'Agence, aux compétences scientifiques dont elle dispose parmi ses personnels, en travaillant en liaison avec les autres directions de l'Agence.
A ce titre, la DERNS est notamment chargée d'instruire, dans le champ des risques nutritionnels et sanitaires, l'ensemble des demandes d'avis ou de consultations adressées à l'Agence. Elle assure le recueil des informations nécessaires à ses missions et élabore, dans son domaine de compétence, les recommandations ou propositions aux autorités compétentes.
Elle est chargée du secrétariat des comités d'experts spécialisés et des groupes de travail, à l'exception de ceux dont le secrétariat est assuré par l'Agence nationale du médicament vétérinaire ou par le directeur de la santé animale et du bien-être des animaux. Elle est composée des unités suivantes :
- Unité d'appui scientifique et technique à l'expertise
- Unité d'appui épidémiologique à l'analyse du risque
- Unité chargée de l'évaluation sur la nutrition et les risques nutritionnels
- Unité chargée de l'évaluation des risques biologiques
- Unité chargée de l'évaluation des risques physico-chimiques
- Unité chargée de l'évaluation des risques liés à l'eau
- Observatoire des consommations alimentaires et Centre informatique sur la qualité des aliments.
* La DERNS : les experts
La DERNS compte soixante-dix personnes, en majorité des scientifiques, ce qui lui permet de procéder à une expertise interne qui vient en support de l'expertise réalisée ensuite par les comités d'experts spécialisés. Dans certains cas, l'expertise est réalisée seulement en interne, mais il est clair que cela ne doit avoir lieu qu'à titre exceptionnel et lorsque l'objet de l'expertise le permet.
Les activités d'appui du travail des experts sont essentielles et, de l'avis général, bien menées.
L'animation et la procédure dans les comités d'experts spécialisés sont également assurées dans des conditions satisfaisantes et dans lesquelles le secrétariat scientifique, par un membre de la DERNS, joue un rôle essentiel. Mais les critiques ne sont pas absentes ici. Celles qui visent les groupes de travail, notamment dans le cadre d'auto-saisines sur des sujets de fond, de par leur spécificité, seront abordées après le présent développement. En revanche, les critiques sur la lenteur ou l'opacité du calendrier de travail liées au processus d'expertise proprement dit ne paraissent pas dénuées de fondement ; elles sont exprimées nettement par les professionnels.
Les experts externes, bien qu'appréciant l'appui et l'animation des comités spécialisés formulent quelquefois des critiques qui peuvent paraître contradictoires, mais ne le sont pas nécessairement. Ainsi, on a noté que dans un comité, le secrétariat scientifique a du mal à rester dans son rôle et tente de modifier le projet d'avis des experts. Il a été signalé dans un autre domaine que l'aide apportée aux experts par le secrétariat scientifique était insuffisante et que de ce fait la charge de ceux-là devenait de plus en plus lourde en raison de la nécessité d'avoir une rédaction des avis de plus en plus serrée pour éviter toute interprétation douteuse.
Enfin, mais cela n'est pas élément spécifique à l'AFSSA, les conditions et l'atmosphère de travail varient beaucoup d'un comité à l'autre et les « effets rapporteur ou président » sont signalés par de nombreux participants, risquant parfois de limiter excessivement les échanges et les délibérations.
Les conditions d'examen dans les comités pourraient donc être améliorées concrètement : cela fera l'objet de quelques remarques et propositions dans le deuxième développement de la présente partie. Mais on peut déjà indiquer que des modes d'organisation plus efficaces pour une plus grande densité des travaux pourraient s'inspirer des comités d'experts du JECFA (Joint expert committee on food addictives), l'un des trois comités d'experts de la commission du Codex alimentarius (FAO-OMS). Il est à noter d'ailleurs que dans le domaine alimentaire, la France fournit aujourd'hui au niveau international proportionnellement moins d'experts que le Danemark, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas ; les capacités d'expertise des instances de ces pays, dont certaines ont fait l'objet d'ajustement récents, sont en effet appréciées. Un renforcement de la présence des experts français dans les instances internationales semble indispensable.
Des avis qui font référence
Les avis d'évaluation du risque rendu par l'AFSSA, « production centrale » de l'Agence, constituent des références appréciées que l'ensemble des observateurs s'accorde à considérer comme un progrès tangible. Si les objectifs généraux sont atteints, il reste que certains avis, rares mais voyants, ont donné lieu à des controverses qui n'étaient pas injustifiées. Selon les cas, il s'agissait des modalités de communication de l'avis, de sa rédaction, avec notamment le problème de la marge laissée au gestionnaire du risque, décideur ministériel, dans l'espace intellectuel et dans le temps médiatique. L'essentiel de ces questions sera abordé ultérieurement. Toutefois, pour que le signalement ne soit pas incomplet, on se doit de rappeler l'existence de quelques avis controversés.
Il ne saurait être question, bien sûr, d'apprécier ici la valeur et le sens de l'expertise, base de l'avis, mais les échanges qui ont eu lieu ou les différentes positions sont à rappeler. Un exemple « incontournable » doit être présenté ici. L'avis du 25 juin 2001 sur « l'évolution possible des modalités d'abattage des troupeaux » (de bovins dans lesquels un cas d'ESB a été diagnostiqué) est incontestablement celui qui a entraîné les controverses les plus vives et où l'autorité de l'AFSSA a été le plus visiblement contestée.
La Cour des Comptes, dans son relevé de conclusions définitives sur la mise en place de l'AFSSA (en 2002) en donnait la présentation ci-après :
« Un exemple particulièrement significatif est représenté par l'avis émis le 25 juin 2001 relatif à l'abattage total ou partiel des troupeaux de bovins dans lesquels un cas de vache folle avait été diagnostiqué.
L'agence a rendu un avis, qui est apparu particulièrement confus aux tutelles, tout en outrepassant le simple domaine de l'évaluation du risque. Face à cette situation, le ministre de l'agriculture a décidé de saisir le Conseil National de l'Alimentation (CNA) 21 ( * ) et, sur la base de l'avis émis par celui-ci, a considéré qu'il convenait de s'orienter vers l'abattage sélectif mais de préparer les conditions de sa mise en oeuvre et donc de maintenir temporairement, pendant un délai de l'ordre de six mois, la décision d'abattage total de ces troupeaux, tout en indiquant qu'un nouvel avis serait demandé à l'AFSSA quelques mois plus tard sur la base d'un projet de texte.
L'agence a, en effet, été saisie par le ministère de l'agriculture et de la pêche, le 19 décembre 2001, sur un projet d'arrêté.
Elle a, cette fois, émis un avis favorable à ce que le ministre signe un arrêté mettant fin à l'abattage systématique des troupeaux dans lesquels un cas d'ESB a été détecté, notamment en excluant de l'abattage les animaux nés après le 1 er janvier 2002 ; l'AFSSA s'appuyant sur le fait que, dans la saisine, l'administration considérait que, compte tenu des différentes mesures réglementaires prises, elle pouvait exclure tout risque de contamination par voie alimentaire pour les animaux nés à compter de cette date.
Le ministre, avant de prendre sa décision, a décidé de consulter de nouveau le CNA. Celui-ci, tout en approuvant le principe de l'arrêté a, pour tenir compte des conditions réelles d'élevage et de commercialisation des animaux, soulevé des points qui n'avaient pas été prévus par l'arrêté. Il a été suivi par le ministre ».
De son côté, M. Martin Hirsch (directeur général de l'AFSSA), a fait part en 2002 de ses impressions sur les questions les plus marquantes qu'il avait déjà eu à connaître depuis 1999 dans un livre « Ces peurs qui nous gouvernent - Sécurité Sanitaire, faut-il craindre la transparence ? » 22 ( * ) . Consacrant un chapitre d'une dizaine de pages à cet avis, il le présente tout d'abord ainsi :
« Le 25 juin 2001, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments a transmis au gouvernement et rendu public un avis sur « l'évolution possible des modalités d'abattage des troupeaux ». Cet avis indiquait qu'il était possible de suivre une démarche par étapes permettant de faire évoluer les stratégies d'abattage tout en maintenant le même niveau de sécurité pour le consommateur.
Cet avis n'avait rien d'inquiétant. Il ne recommandait pas une mesure supplémentaire à mettre en oeuvre. Il ne mettait pas l'accent sur un risque que l'on n'aurait pas vu jusqu'à présent. Eh bien, pourtant, que de colères provoquées par cet avis ! Il a été vilipendé. Le ministre de l'Agriculture l'a lui-même qualifié de « pas clair » et d'avis dont on ne pouvait rien tirer. Le nouveau président de la FNSEA de « très confus ». Les responsables de la Confédération paysanne de « décevant » ... La question était toute simple : quand on trouve un cas d'ESB dans un troupeau, faut-il abattre la totalité du troupeau ? ou peut-on n'en abattre qu'une partie ? L'abattage total avait été décidé en France lorsque étaient apparus les premiers cas. Il présentait alors plusieurs avantages. Compte tenu des doutes sur l'origine de la maladie, il permettait de ne pas négliger un phénomène particulier qui se serait passé dans un élevage et aurait exposé plusieurs animaux à la maladie. Il montrait la détermination dans la lutte contre l'ESB, par son côté radical, aisément compréhensible. Il donnait l'espoir d'accélérer l'éradication de la maladie dans le cheptel français. La situation est devenue plus compliquée quand l'augmentation du nombre de cas a impliqué un nombre élevé d'abattages, quand les éleveurs ont indiqué que l'abattage total avait quelque chose d'infamant et de pénalisant, et quand les montants annuels des indemnités ont commencé à peser sur les finances publiques. (...)
Cet avis présentait plusieurs particularités, par rapport aux six cents avis que l'agence avait rendus depuis sa création en avril 1999 et à la quarantaine d'avis rendus sur l'ESB. Si ces derniers ne sont pas les plus nombreux, ils ne sont pas les plus simples ni à l'élaborer, ni à interpréter, ni parfois à suivre. Et qu'il s'agisse de l'avis défavorable rendu sur la levée de l'embargo britannique à l'automne 1999, de l'avis recommandant d'étendre la liste des produits bovins (dont les boyaux) au printemps 2000, des premiers résultats des tests sur les animaux à risque à l'automne 2000 ou de l'avis sur les mesures de précaution chez les moutons, les exemples ne manquent pas de difficultés soulevées par le choix de la transparence. Publication obligatoire, d'ailleurs, par la loi. Ces difficultés étaient souvent liées au sentiment que face à un problème pour lequel des mesures importantes avaient déjà été prises, sans que le recul permette d'en apprécier l'efficacité, le fait de les renforcer était davantage perçu comme de l'acharnement de précaution que comme la réponse à une nécessité de prévention. Et que, décidément, le prix à payer pour cette maladie, à tous les sens du terme, était bien élevé.
L'avis sur l'abattage a soulevé, lui, de tout autres questions. Cette fois - pour une fois, auraient pu dire certains ! - l'Agence ne recommandait pas une mesure supplémentaire, mais envisageait un assouplissement dans l'une des mesures actuellement en place. Et pas n'importe laquelle : la première mise en oeuvre lors de l'apparition du premier cas en France ; la mesure la plus symbolique ; la mesure la plus facile à comprendre. Abattre la totalité d'un troupeau, cela frappe plus les esprits que retirer les ganglions para vertébraux chez les animaux pour lesquels un test est négatif et qui sont censés ne pas avoir été nourris avec des farines animales ».
Après ces éléments d'explication du problème et du positionnement du débat, M. Martin Hirsch résume d'autres données plus détaillées, à la lumière des évolutions en cours à l'époque, puis il justifie le cadrage de l'avis rendu en juin 2001 dans ces termes :
« C'est dans ce contexte que les scientifiques ont estimé que l'on pouvait tendre vers un abattage sélectif par des mesures « graduées ». Et ils ont décrit les deux bornes possibles de ce que pouvait être un tel abattage : d'un côté, un abattage « subtotal », seuls les veaux nés après la sécurisation effective de toute l'alimentation animale étant exclus ; de l'autre, un abattage du seul animal malade.
Sur cette base, l'Agence n'a pas formulé de recommandations, contrairement à ce qu'elle fait régulièrement, en application de la loi, quand elle estime que l'analyse d'un risque rend nécessaire de proposer une mesure supplémentaire. Mais, sachant que si le gouvernement décidait de faire évoluer l'abattage total, l'Agence serait obligatoirement amenée à se prononcer sur le nouveau projet de réglementation, elle a indiqué à l'avance dans quelles conditions elle le ferait en cherchant à montrer les différentes options qui, pour les scientifiques, permettaient de maintenir un niveau équivalent de sécurité pour le consommateur ».
Ce cas d'école sur un problème très complexe mais très médiatisé, illustre le danger de solliciter quelque peu la notion « d'évaluation du risque » pour l'Agence même si, se plaçant dans la perspective d'une situation d'évidence évolutive, elle souhaitait en quelque sorte borner pour l'avenir l'évaluation du risque dans un nouveau dispositif.
Très logiquement, à la suite de cette controverse, la Cour des comptes soulignait « l'intérêt d'une procédure claire, ne laissant pas la place aux interventions discrétionnaires de la part des diverses autorités compétentes dont chacune doit intervenir dans son domaine propre, afin d'éviter qu'une instance puisse apparaître comme la chambre d'appel de l'autre ».
Les avis de l'Agence dans d'autres domaines ont pu être mis en cause par exemple sur la méthodologie scientifique (complément de créatine en 2000) ou par la portée réelle de l'avis avec celui « relatif à la réactualisation de la liste des matériaux à risque spécifié chez les ovins et les caprins » du 14 février 2001. L'AFSSA recommandait d'écarter de la consommation humaine les intestins de tous les animaux, quel que soit leur âge et le statut sanitaire du troupeau dont ils proviennent.
Ce dernier cas fut à l'origine d'une violente polémique puisque le Président de la République, inaugurant le Salon de l'Agriculture trois jours plus tard, reproche à l'AFSSA d'avoir crée la panique sur le mouton. Les propos du Président sont sans appel : « les responsables de l'AFSSA sont des irresponsables. Ils ont fait preuve au moins de bêtise et de mauvais goût. Que les scientifiques parlent quand ils ont quelque chose à dire » 23 ( * ) .
Concrètement, il s'agissait pour l'essentiel des intestins d'ovins qui ne sont pas consommés en l'état, mais après un traitement mécanique sont utilisés en tant que boyau pour la production de saucisses ou de merguez. Cette recommandation procédait clairement du principe de précaution, le risque n'étant pas avéré, mais son existence n'étant pas non plus exclue. Dans un avis du 8 novembre 2001, l'AFSSA maintint ses recommandations de l'avis de février 2001 suggérant, en outre, si les intestins ne sont pas retirés de la consommation humaine, qu'une identification soit prévue pour l'information du consommateur. Le comité d'experts spécialisés sur les ESST continuait d'ailleurs ses travaux sur ce sujet.
Ces avis de l'AFSSA s'inscrivent dans la longue série qu'elle est amenée à rendre sur saisine des administrations de tutelle, notamment sur les ESST. Ciblant précisément la réponse, il n'appelait pas une réaction brutale, y compris dans le contexte si particulier du Salon de l'Agriculture et sous la pression des lobbys économiques sur les responsables politiques. Cet événement illustre la difficulté de l'exercice de définition et de communication des avis dès lors qu'une médiatisation aléatoire fait tomber le projecteur sur une précision factuelle qui ne mérite pas cet excès d'honneur.
Ces avis sur les « intestins d'ovins » posaient néanmoins un problème quant à leur portée réelle compte tenu de la situation concrète du secteur : les abattages nationaux ne représentent que 40 % dans les viandes ovines consommées en France. C'est précisément l'objection que fit le Conseil National de l'Alimentation (CNA) le 10 janvier 2002 dans son « avis sur les conséquences socio-économiques du renforcement des mesures de précaution face au risque de ESST chez le mouton » :
« Outre les difficultés juridiques éventuelles à prendre des dispositions nationales isolées, les membres du Conseil, compte tenu de la très forte internationalisation des courants commerciaux pour cette filière, des lacunes existant dans l'identification et la traçabilité des animaux, et de la difficulté particulière à contrôler des produits transformés, s'interrogent sur l'efficacité de mesures nationales qui ne seraient pas relayées par des dispositions identiques aux plans communautaire et international. Leurs interrogations valent à la fois pour les mesures de police sanitaire et de santé publique. Ils se demandent, compte tenu du niveau des importations de produits ovins et des possibilités d'augmentation de ces importations, si une mise en oeuvre unilatérale des préconisations de l'AFSSA conduirait à une réduction effective du risque pour les consommateurs ».
Par ailleurs, « ils s'interrogent sur la contribution de cette mesure de précaution, prise isolément, à la réduction effective des risques qui seraient liés à la présence d'ESB dans le cheptel ovin si elle venait à être démontrée. Si cette limitation de l'avis résulte des circonstances mêmes dans lesquelles il a été rendu, le Conseil estime nécessaire de le signaler (...) ».
« Enfin, certains membres s'interrogent sur la cohérence entre la mise en oeuvre de mesures de précaution au regard du risque d'ESST et le rétablissement parallèle de l'autorisation d'importation de viandes ovines britanniques motivé par la fin de l'épizootie de fièvre aphteuse, alors même que la prévalence de l'ESB en Grande-Bretagne demeure très forte ».
La mesure recommandée par l'AFSSA pouvait donc se révéler excessivement limitée dans ses effets.
1.3.3. Le positionnement nutritionnel de l'AFSSA
* La compétence de l'AFSSA
La compétence générale de l'AFSSA sous l'angle nutritionnel indiqué à l'article L 1323-1 du code de santé publique est précisée sans ambages à l'art. L 1323-2-6 : « l'Agence évalue la pertinence des données spécifiques transmises en vue de fournir une expertise sur les propriétés nutritionnelles et fonctionnelles des aliments ... ». L'AFSSA accorde depuis l'origine toute l'importance qu'elle mérite à l'accomplissement de ces tâches dans ce domaine vaste et essentiel. L'Agence précise ainsi elle-même la prise en charge et le traitement de ces questions (rapport d'activité 2001-2002) :
« L'unité d'évaluation sur la nutrition et les risques nutritionnels est chargée d'évaluer les risques nutritionnels et les propriétés nutritionnelles et fonctionnelles des substances et denrées entrant dans l'alimentation humaine, de proposer des avis et recommandations sur des grands thèmes de santé publique dans le domaine de la nutrition, d'élaborer des références nutritionnelles dans le cadre d'une politique de santé publique, et de participer à la mission d'information de l'Agence.
L'unité nutrition assure le secrétariat scientifique du comité d'experts spécialisé « Nutrition » dont les compétences couvrent les principaux aspects de la nutrition humaine, dans ses dimensions métaboliques ou psycho comportementales. L'AFSSA est, dans le domaine de la nutrition, saisie sur de nombreux dossiers industriels d'autorisation : mise sur le marché, revendication d'une allégation, enrichissement d'un aliment de consommation courante, utilisation d'un nouvel aliment ou d'un nouvel ingrédient.
Dans le cadre de saisines ou d'autosaisine, l'unité nutrition a, par ailleurs, conduit au cours de la période 2001-2002 des réflexions scientifiques sur divers sujets de fond au sein de huit groupes de travail : consommation de sel et santé, intérêt nutritionnel et risques pour la santé de l'enrichissement des denrées alimentaires en acide gras omega 3, adjonction de pré et pro biotiques dans les préparations pour nourrissons, enrichissement des aliments courants en vitamines et minéraux, apports nutritionnels conseillés chez l'enfant sportif, compléments alimentaires à base de plantes, etc ... ».
* Son rôle et ses priorités
L'AFSSA est donc un acteur important du « Plan national nutrition santé » lancé fin janvier 2001 : elle a ainsi assuré la rédaction du fond scientifique des guides alimentaires grand public et professionnels et a préalablement participé à l'élaboration des différents objectifs prioritaires et axes stratégiques :
Les neuf objectifs prioritaires ont été ainsi définis :
- augmenter la consommation de fruits et légumes
- augmenter la consommation de calcium
- réduire la contribution moyenne des apports lipidiques totaux
- augmenter la consommation de glucides lents
- réduire l'apport d'alcool
- réduire la cholestérolémie moyenne
- réduire de 10 mm de mercure la pression artérielle systolique chez les adultes
- réduire la prévalence du surpoids et de l'obésité
- augmenter l'activité physique quotidienne
Parmi les cinq thématiques transversales retenues par l'Agence pour la période 2002-2005 au niveau de la recherche, « la composition des aliments et les risques nutritionnels » illustre aussi l'importance donnée à ce domaine.
La pondération des efforts et des actions en proportion des enjeux de santé publique, donc in fine en terme de vies, est pleinement justifiée par les réflexions et remarques maintes fois entendues de différents interlocuteurs. Abaisser un risque sanitaire de 1 pour 100.000 à 1 pour 1 million de cas peut exiger des études considérables (et incertaines) en impliquant à terme des mesures aux coûts socio-économiques énormes. Dans le même temps, des dérives nutritionnelles ou comportementales, qui n'ont rien d'hypothétique, peuvent être aisément identifiées pour être combattues et concernent des millions de personnes, l'obésité juvénile en étant l'exemple le plus frappant. Le directeur général de l'AFSSA ne manque d'ailleurs pas de rappeler cette nécessaire mise en perspective en rapprochant par exemple le nombre de victimes de listériose à celui des accidents de la route pendant un week-end.
Au passage, soulignant la gravité de la situation en matière d'obésité, on ne saurait trop insister sur la nécessité d'en faire aujourd'hui l'objectif premier de toute action dans le domaine nutritionnel : les données les plus récentes (enquête Obépi etc ...), heureusement largement répandues, suffisent comme argumentaires, mais l'effort actuellement consacré est tout à fait insuffisant, en France comme ailleurs en Europe. Les mesures récemment prises dans le cadre de la loi de santé publique et prévoyant notamment l'interdiction de la distribution de confiseries et boissons sucrées par automates dans les établissements d'enseignement relèvent de la même nécessité urgente, mais sont largement inadaptées à l'ampleur du fléau qui s'installe dans notre société.
Le besoin d'appui scientifique et d'action vers le grand public justifie donc pleinement les activités et efforts que l'AFSSA a déployés et déploie dans le domaine nutritionnel. Sans être aussi complexe que l'analyse des risques sanitaires, notamment face à des risques émergents, l'organisation des travaux dans ce domaine exige une certaine méthode et aussi un ciblage justifié de travaux qui peuvent rapidement prendre une ampleur incontrôlable. L'Agence intervient le plus souvent ici sur la base d'une auto-saisine. Elle a généralement recours à la constitution de groupes de travail qui sont le cadre logique d'une telle activité et ce, sans préjudice de l'appel à contribution d'experts d'autres cadres. En outre, elle peut être amenée à intervenir conjointement avec d'autres entités, au premier rang desquels l'InVS.
* Des avis parfois débattus
La formation, la composition et le fonctionnement des groupes de travail ont paru poser problème dans certains cas à nombre d'interlocuteurs. L'avis sur le sel dans l'alimentation en est une illustration. Un premier avis de l'AFSSA a été rendu le 13 juin 2000 ; ses conclusions étaient les suivantes :
« Le manque de certitudes scientifiques sur la consommation optimale de sel n'incite pas, à l'heure actuelle, à des recommandations définitives : une moyenne d'apports réels de 6 - 8 g de sel par jour permettrait de modifier la distribution des consommations de sel en France de telle sorte que la proportion des forts consommateurs (plus de 12 g/j) diminuerait.
Il n'apparaît pas nécessaire de lancer des campagnes publiques alarmistes et médiatiques sur le sel, au détriment d'autres enjeux de santé publique (tabac, alcool, obésité) et au risque de focaliser la nutrition sur un élément et non sur l'ensemble du régime.
Il est important d'associer l'industrie agroalimentaire dans cet objectif sanitaire dans la mesure où il semble qu'une grande partie du sel consommé proviendrait des produits industriels transformés. Un groupe de travail spécifique associant les industriels pourra être mis en place dans le cadre de l'AFSSA afin de poursuivre la réflexion sur le sujet. Ces travaux avec les industriels permettraient d'évaluer la faisabilité d'une réduction progressive de la teneur en sel des aliments transformés. Les conséquences des éventuelles mesures de réduction qui seront prises devront être évaluées après quelques années pour juger de leur pertinence.
Dans ce contexte, les études concernant la perception gustative qu'ont les consommateurs de la réduction des teneurs en sel des aliments devraient être complétées. Une communication devra accompagner toute mesure éventuelle de réduction des teneurs en sel des aliments transformés afin d'éviter leur sur-salage a posteriori. Enfin, il serait opportun que l'étiquetage renseigne davantage sur le contenu en sel des aliments : ces informations pratiques sont en effet indispensables aux personnes soumises à des régimes hyposodés (dits « sans sel).
Pour une meilleure estimation des apports sodés, il est important que la recherche soit développée à différents niveaux : mise à jour régulière des tables de composition des aliments concernant leur teneur en sel et détermination des apports sodés réels (natriurèse de 24 h) sur un échantillon représentatif de la population française.
Un recueil de données au long cours et régulier doit être mis en place, en relation avec les habitudes alimentaires, l'état nutritionnel, l'incidence de nouveaux cas de maladies cardiovasculaires et la mortalité cardiovasculaire. Au sein de ce système d'information, le sel prend sa place, au même titre que d'autres variables. Seul ce programme de surveillance rendra possible l'évaluation correcte des conséquences de l'environnement sur la population française en termes de maladies cardiovasculaires.
La réflexion sur le sodium va de pair avec celle sur le calcium et le potassium, l'objectif étant d'optimiser l'apport alimentaire de ces derniers, tout en maîtrisant celui du sodium ».
Le rapport sel de l'AFSSA (janvier 2002) lui-même présente la génèse des travaux de l'Agence à partir de « l'avis provisoire » précité :
« Suite à son avis provisoire sur le sel (rendu le 13 juin 2000) dans le prolongement des travaux menés dans le cadre de la rédaction des apports nutritionnels conseillés l'AFSSA s'est fixée une stratégie visant à :
1. proposer des actions ciblées sur la diminution des apports en sel ;
2. entreprendre des travaux pour connaître la consommation réelle individuelle de sel ;
3. entreprendre des recherches sur la teneur réelle en sel des aliments ;
4. faire un point des connaissances scientifiques sur les relations entre sel et santé.
Les différents axes de cette stratégie visent à fournir des données scientifiques validées qui servent de base à des recommandations de santé publique, contribuant notamment à atteindre l'objectif de réduction de l'hypertension artérielle fixé dans le cadre du programme national nutrition santé (PNNS).
L'avis de l'AFSSA du 13 juin 2000 annonce, dans sa conclusion, « la mise en place d'un groupe de travail spécifique, dont la mission sera d'évaluer la faisabilité d'une réduction progressive de la teneur en sel des aliments transformés ».
Ce groupe de travail a été formé en mars 2001, à la demande de l'AFSSA et de son directeur général, M. HIRSCH, associant l'ensemble des partenaires concernés : administrations, agences, acteurs économiques, associations de consommateurs et scientifiques ».
Les objectifs qui lui ont été fixés alors sont textuellement les suivants :
1. proposer des mesures à mettre en oeuvre pour respecter une distribution statistique de consommation de chlorure de sodium de 5 à 12 g/j ;
2. identifier les aliments vecteurs de l'essentiel de l'apport sodé alimentaire ;
3. proposer des recommandations effectives d'abaissement de la teneur en sodium de certains aliments vecteurs tout en respectant l'approche organoleptique, sécuritaire et technologique et réfléchir aux substituts potentiels du sel ;
4. effectuer des études de simulation de l'apport sodé de la population française ;
5. réfléchir sur les moyens de communication à adopter pour accompagner les mesures d'abaissement de la consommation de sodium.
L'objectif central des recommandations du groupe de travail qui constitue le rapport de janvier 2002 (100 pages) est une réduction de 20 % de l'apport alimentaire moyen de sel établie sur 5 ans (soit 4 % par an).
Le « principe général des recommandations » est ainsi explicité :
« Principe général des recommandations du groupe de travail :
*Stratégie
Pour modifier la distribution des consommations de sel ingéré dans la population française de manière à respecte une distribution statistique de consommation de sel comprise entre 5 et 12h/j, le groupe de travail propose de développer des actions générales dont l'impact se fera ressentir de façon préférentielle au niveau des grands consommateurs (c'est-à-dire les sujet consommant plus de 12 g/j). Les actions proposées doivent permettre de resserrer la distribution statistique des consommations de sel aux dépens des forts consommateurs.
Compte tenu de la définition des missions confiées au groupe de travail, il ne s'agit pas de proposer des recommandations visant à décaler globalement la distribution des consommations vers les consommations les plus basses par une simple translation (ce qui voudrait dire que l'effet des actions serait équivalent aussi bien pour les grands que les moyens ou petits consommateurs de sel). Il s'agit, en fait, de réduire proportionnellement plutôt la partie haute de la courbe de distribution statistique, correspondant aux grands consommateurs.
Le principe de la stratégie proposée dans ce rapport, pour tendre vers une distribution statistique de consommation de sel de 5 à 12 g/j, est donc de mettre en place des actions générales pour l'ensemble de la population devant avoir un impact plus net sur les grands consommateurs. Ces actions générales amèneront à diminuer raisonnablement la consommation moyenne de sel de la population tout en réduisant proportionnellement la fréquence des grands consommateurs de sel ( 12 g/j). Les actions de communication pourront particulièrement être ciblées de manière à avoir un impact plus fort sur les plus grands consommateurs. Les mesures générales de réduction de la teneur en sel de certains aliments vecteurs importants de sel ou la communication sur la limitation de leur consommation, agiront sur la consommation moyenne de sel, mais surtout sur les plus grands consommateurs de sel. Cet effet sur les forts consommateurs paraît assuré par le fait que les principaux aliments vecteurs de sel chez ces forts consommateurs (résultats similaires des études Inca et SU.VI.MAX) sont les mêmes que ceux de l'ensemble de la population, consommés en plus grandes quantités (pain/biscottes, charcuterie, soupes, plats composés, fromages et snacks). Les études de simulation présentées dans le chapitre 12 (page 68)) confirment la validité de cette hypothèse.
Les données disponibles sur la consommation de sodium dans la population française (enquêtes alimentaires, études spécifiques de natriurèse) suggèrent de façon cohérente des apports moyens de sel (provenant des aliments et ajouté) entre 9 et 10 g/j.
Compte tenu de ces estimations, il apparaît raisonnable de proposer des recommandations, en terme de santé publique, permettant de se fixer comme objectif une réduction de 20 % étalée sur 5 ans de l'apport moyen de sel, soit une réduction d'environ 4 % des apports sodés moyens par an. Les recommandations proposés au niveau de la réduction de la teneur en sel des aliments et de la communication visent à avoir un impact proportionnellement plus fort chez les grands consommateurs de sel.
La réduction de l'apport sodé moyen de 20 % étalée sur 5 ans (environ 4 % par an) :
• permettra d'atteindre en 5 ans, un
apport moyen de l'ordre de 7 à 8 g/j et d'avoir un impact en terme de
réduction de la prévalence des consommations supérieures
à 12 g/j.
• est suffisamment progressive pour rester
dans une limite acceptable pour le consommateur sur le plan
organoleptique,
• peut être atteinte par l'ensemble
des actions proposées dans ce rapport.
Cette approche est en cohérence avec l'avis de l'AFSSA concernant le sel qui, dans sa version provisoire, proposait dans ses conclusions « qu'une moyenne d'apports réels de 6-8 g de sel par jour, permettrait de modifier la distribution des consommations de sel en France, de telle sorte que la proportion des forts consommateurs (plus de 12 g/j) diminuerait ».
Les recommandations concernant le sel doivent s'intégrer dans le cadre de la politique nutritionnelle globale, visant à la prévention des grands problèmes de santé publique, qui sont à l'évidence des maladies multifactorielles.
Les recommandations ne visent pas à diaboliser le sel, mais à resituer le rôle de l'excès de consommation du sel parmi l'ensemble des facteurs nutritionnels de risque impliqués dans le déterminisme des maladies ».
Le groupe de travail est en effet « en cohérence » avec l'avis provisoire de l'AFSSA de juin 2000. On peut se demander si l'ensemble de cette activité qui s'est déroulée de juin 2000 à janvier 2002 n'avait pas pour objectif principal de valider ces recommandations préalables, ce qui est tout à fait normal, mais aussi des recommandations qui avaient de toute façon été décidées. Les conditions dans lesquelles le groupe de travail a fonctionné semblent parfois avoir été difficiles. Le développement de campagnes médiatiques qui pouvaient paraître synchronisées avec le calendrier du groupe a été remarqué d'autant que certains de ceux qui y apparaissaient étaient eux-mêmes les militants les plus convaincus d'une des thèses en présence au sein du groupe de travail et ce, d'une façon assez éloignée des rigueurs de la démarche scientifique.
Dès lors, il n'est pas étonnant que plusieurs « positions minoritaires » soient apparues sous forme de résumés à la suite du rapport.
-- celle du Dr Tilman B. Drueke (Directeur de recherche - unité 507 de l'INSERM et service de néphrologie, hôpital Necker-Paris :
1. « Je ne donne pas ma caution à la recommandation de réduire progressivement la consommation de sel chez l'ensemble de la population française de 4 % par an et ce pendant cinq années consécutives, en utilisant l'argument qu'il n'y a guère d'autre moyen pour parvenir à une réduction des ingesta chez les sujets qui consomment des quantités excessives, c'est-à-dire plus de 12 g de sel par jour. Cette recommandation est d'autant plus surprenante qu'on ne connaît pas de façon précise le pourcentage de la population française qui consomme plus de 12 g par jour. De plus, il n'est pas démontré qu'une telle mesure générale améliore la santé de la population, à l'exception peut-être des sujets obèses. Pour ces derniers, mieux vaut maigrir en augmentant l'exercice physique et en mangeant de façon plus équilibrée que consommer moins de sel.
2. L'imposition à l'ensemble de la population d'une réduction de la consommation de sel de 20 % implique un régime pratiquement désodé pour la frange de la population qui se trouve dans le quartile inférieur de la distribution des ingesta sodés. Je ne donne pas un avis favorable à ce type de mesure ».
-- Celle de M. Léon Guéguen, directeur de recherches honoraire INRA
Avertissement pour le CES « Nutrition humaine » :
« Le présent commentaire ne constitue nullement une critique du fonctionnement du groupe « sel » ni une remise en cause de la qualité et de l'importance du travail effectué. Le mérite du Président Serge Hercberg dans une situation aussi conflictuelle doit être souligné ! Ce commentaire vise seulement à exprimer un point de vue largement évoqué au cours des débats et qui n'apparaît pas bien dans le rapport.
Avis exprimé :
« Sans remettre en cause l'importance et la qualité du travail effectué par le groupe, ni l'intérêt pour la santé publique d'une réduction d'apports sodés toujours très supérieurs aux besoins, L. Guégen émet des doutes sur l'efficacité de certaines actions envisagées. Il préfère les actions incitatives aux mesures réglementaires et considère que le « libre choix éclairé et responsable » du consommateur, qu'il faut améliorer par l'éducation, l'information (dont l'étiquetage), le conseil diététique et médical, doit être privilégié. Il doute de la portée réelle d'une faible réduction des teneurs en sodium de quelques aliments imposée à l'ensemble de la population et considère que, pour bien atteindre la cible visée, des recommandations plus fortes devraient concerner les gros consommateurs de sel à risque avéré et facilement identifiables (hypertension, obésité, insuffisance cardiaque ou rénale). »
-- Celle du Pr Pierre Louisot - Laboratoire de biochimie INSERM Unité 189 CNRS - Faculté de médecine Lyon-Sud :
« 1. Le Président et les membres du groupe de travail ont fait un effort méritoire et important de documentation, sur un sujet complexe, dont il convient incontestablement de les remercier.
2. Si j'apprécie comme il se doit cet effort, à l'opposé, je me désolidarise fondamentalement de la recommandation visant à réduire pour l'ensemble de la population la consommation de sel de 20 % en cinq ans. Les raisons en sont les suivantes.
3. Malgré des tempêtes médiatiques anciennes ou récentes, il n'est nullement prouvé, sur des bases scientifiques incontestables, que la réduction de la consommation de sel soit en relation de cause à effet directe avec la prévention de l'hypertension artérielle et des maladies cardiovasculaires chez l'homme pour la population courante. Le sujet demeure très largement controversé.
4. Les gros consommateurs de sel sont généralement des gros consommateurs de tout. Ils ne représentent probablement qu'environ 20 % de la population, alors que 80 % de celle-ci se situent dans des normes de consommation en sel tout à fait raisonnables. Il est illogique de s'attaquer à l'ensemble de la population, surtout par voie réglementaire, par une mesure qui est loin d'être anodine, alors qu'une fraction minoritaire de cette population est seule concernée.
5. Tous les spécialistes savent que le métabolisme chez l'homme est un ensemble complexe, finement régulé, et d'ailleurs équilibré de manière très différente dans les diverses régions du monde. C'est un domaine où le multifactoriel est de règle. La tentation de normaliser ce métabolisme par une action sur un seul paramètre considéré comme coupable, est grande. L'exemple des obèses, qui se refusent à modifier l'ensemble de leur comportement et espèrent que la correction d'un seul paramètre améliorera leur sort, est tristement d'actualité. Encourager la population à la correction nutritionnelle monofactorielle n'est pas adapté à la situation, alors que tout devrait au contraire converger vers des attitudes d'ensemble portant aussi bien sur l'alimentation que sur l'activité physique.
6. Enfin, l'habitude du sel à concentration raisonnable induit normalement des comportements nutritionnels au quotidien qui pourraient être significativement déséquilibrés par une modification sensible des qualités organoleptiques des nouveaux produits proposés. Personne ne peut sous-estimer d'éventuels effets pervers de cette mesure : la restriction de la consommation de pain - que l'on recommande par ailleurs d'augmenter dans l'alimentation - étant le premier exemple qui vient à l'esprit, mais il y en aura sans doute bien d'autres, y compris à conséquences économiques, touchant les fromages ou la charcuterie, lesquels font partie intégrante et bien comprise de l'équilibre nutritionnel des Français ».
Bien que le souci nutritionnel soit au coeur des compétences de l'AFSSA, on touche là, avec cet « avis provisoire » puis le rapport qui suit, les limites de la compétence de l'Agence. Elle peut subrepticement devenir un enjeu dans des « luttes militantes » où des intérêts de tous ordres peuvent l'amener à être quelque peu manipulée et à s'éloigner de l'appréciation du risque, fut-il nutritionnel. Le rapport sur l'agriculture biologique semble, dans une autre tonalité, avoir posé aussi quelques problèmes, la pratique du « rapport intermédiaire » introduisant un élément de trouble qui est peut-être à éviter. Lorsque le directeur général de l'AFSSA évoquait lors de l'audition de mai 2000 à la commission des affaires sociales du Sénat, l'importance à accorder aux travaux de fond, on ne peut qu'être d'accord avec son analyse, mais un peu moins avec l'exemple choisi :
« La deuxième perspective est la nécessité de pouvoir maintenir une capacité à développer des travaux approfondis. Si nous voulons bien guider l'action des pouvoirs publics, il faut pouvoir lancer des réflexions de fond mettant en perspective les risques, les vulnérabilités, les enjeux.
Il n'y a aujourd'hui aucune situation de crise dans certains domaines où nous pensons qu'il faut quand même mettre à plat un certain nombre de sujets : c'est ce que nous faisons par exemple pour l'agriculture biologique, en nous disant que la situation est suffisamment précoce pour que l'on soit capable de faire une analyse objective. Si nous n'avions pas les moyens de mener ces travaux de fond, si tous les moyens étaient obérés par la réponse aux crises, nous serions revenus à la case départ ».
En conclusion, il reste à préciser des règles pour ce type de tâche qui est essentielle afin notamment de cadrer les choix d'auto-saisine et les conditions de fonctionnement des groupes de travail.
* 21 Le CNA, Conseil National de l'Alimentation, est un organisme consultatif créé par décret du 27 novembre 1985 et placé auprès des ministères de l'agriculture, de la santé et de la consommation.
Composé de 47 membres, il réunit tous les partenaires de la filière agro-alimentaire : consommateurs, professionnels du secteur et de la distribution et experts qualifiés.
Selon les informations portées sur son site internet, il ne se substitue pas aux instances qualifiées en matière scientifique. Il a pour vocation, aux termes du décret de 1985, d'émettre des avis, sur consultation des ministres, sur les questions se rapportant à la politique gouvernementale en matière alimentaire, qu'il s'agisse d'hygiène, de qualité ou de nutrition. Il formule des appréciations socioéconomiques sur la gestion des risques
* 22 Publié chez Albin Michel - mars 2002 - pages 215-225
* 23 Cité par M. HIRSCH ibidem Page 184.