III. UNE CLARIFICATION NÉCESSAIRE

La problématique de la sécurité sanitaire dans ses multiples facettes a été bien appréhendée, que ce soit lors des travaux préparatoires de la loi de 1998, par les dispositions de la loi elle-même et pour les grandes orientations de sa mise en oeuvre. En revanche, les faiblesses non négligeables qui ont été observées montrent que certains éléments de l'architecture institutionnelle reliant les différents acteurs dans la veille et l'action ont besoin d'être révisés, voire modifiés. C'est ce qui est proposé dans le développement suivant et conclusif (IV - L'exhaustivité sans l'éparpillement). Au préalable, il convient ici de résumer les quelques principes nécessaires pour conférer à l'action publique une meilleure efficacité. Ils correspondent pour l'essentiel à une clarification méthodologique dont certaines crises ont montré l'urgence.

3.1. La distinction fondamentale : veille sanitaire/épidémiologie

La crise de la canicule a illustré de manière dramatique (cf. supra) les conséquences de l'oubli de cette règle de base. Au-delà des responsabilités des différents acteurs quant à l'inadéquation de certains mécanismes et le cloisonnement étonnant des structures administratives (au sein du ministère de la santé, avec l'administration préfectorale, notamment à Paris etc ...), c'est l'insuffisance de cette distinction qui doit être mise en cause. Un exemple particulièrement éclairant, a été fourni par la transmission des certifications de décès. Conçue dans une perspective d'analyse épidémiologique, la procédure de transmission avec les délais quelle comportait pour une formalisation complète (plus d'un an) ne pouvait évidemment en rien contribuer à quelque alerte ou même veille que ce soit. C'est encore un problème qui n'avait pas été signalé par les nombreux experts consultés dans le cadre de l'élaboration du plan national de sécurité sanitaire. Cette lacune est d'autant plus étonnante que la canicule avec l'hyperthermie maligne n'est pas le seul fléau pour lequel des données opérationnelles de décès en temps réel sont nécessaires. La mission d'évaluation des quatre inspections (op. cit. page 57) a fait de son côté la même observation dans les termes suivants :

« La mission a pu constater à maintes reprises, à l'occasion de ses investigations et des nombreuses auditions auxquelles elle a procédées, combien l'absence de cadre conceptuel partagé était source de malentendus et de désaccords entre les acteurs. Des notions aussi fondamentales que celles de surveillance, d'alerte, de mesure et d'évaluation du risque, sont susceptibles de recevoir une acception ou une portée différentes selon les interlocuteurs en présence, les textes en vigueur, la spécificité des domaines concernés, ou la traduction que l'on retient des concepts utilisés au niveau international ».

Le prix bien lourd de la crise de 2003 a été nécessaire pour découvrir cette exigence. On a tardivement retenu la leçon dès septembre 2003 puis dans la loi de santé publique elle-même. L'InVS lui-même semble avoir tiré des conclusions en ce sens ; cela apparaît clairement à travers son rapport annuel 2003 paru en octobre 2004, tout d'abord dans l'introduction du chapitre « Evolution des fonctions de veille et d'alerte de l'InVS à la suite des événements de l'année 2003 » (page 43) :

« L'année 2003 a connu beaucoup d'alertes sanitaires qui ont mis en tension les capacités de réponse de l'InVS. Le déroulement des événements et la manière dont ils ont été traités par la structure ont permis la réalisation d'analyses scientifiques et la rédaction de propositions utilisables pour la mise en oeuvre de politiques de santé.

La démarche suivie a conduit l'InVS aux conclusions suivantes :

-- premièrement, de nombreux événements qui se déroulent dans le monde peuvent avoir un retentissement sur la santé des habitants de la France (cette remarque paraît évidente pour les maladies infectieuses - Sras, grippe  - mais elle concerne également d'autres phénomènes, notamment environnementaux). Il est donc indispensable de développer une veille internationale.

Parallèlement, les échanges rapides réalisés sur la planète, l'évolution climatique, l'augmentation de la pollution, les changements d'alimentation, le vieillissement de la population amènent à une évolution sensible de la santé humaine. Il nous faut anticiper la survenue de ces phénomènes que nous appelons « émergents ». Pour la prévision de phénomènes sanitaires à plus long terme, un regard large et multi-disciplinaire mettant en lien les sciences médicales avec les sciences sociales et de nombreuses autres disciplines permettrait d'appréhender l'évolution de notre environnement et son implication sur la santé humaine.

La « veille prospective » ainsi définie pourrait être mise en oeuvre dans les années à venir. Veille internationale, veille sur les phénomènes émergents et veille prospective aboutiront à la définition des priorités de travail de l'InVS à moyen et long terme.

-- deuxièmement, et de façon plus rapidement opérationnelle, l'InVS doit améliorer sa réponse à la mission d'alerte et de participation à la gestion des situations d'urgence. Il l'a fait dès l'année 2003 en mettant en place un système de surveillance spécifique à partir des services d'urgences et des données de mortalité, et il assure une organisation régionale de cette fonction d'alerte au travers d'un renforcement des CIRE qui se poursuivra dans les années à venir ».

Sans entrer ici dans le détail des mécanismes nouveaux mis en oeuvre ou en état d'être finalisés 45 ( * ) par l'InVS, celui-ci présente « l'intérêt d'une veille scientifique sur les phénomènes émergents prévisibles et d'une réelle prospective pluridisciplinaire sur les risques non identifiés ».

L'articulation nécessaire, mais aussi la distinction stricte entre la veille sanitaire et l'épidémiologie apparaissent ainsi clairement. Cela est d'autant plus important que l'acteur essentiel du système de sécurité sanitaire qu'est l'inVS a naturellement en charge à travers des unités différentes, des fonctions d'épidémiologiste (directes ou indirectes) et des fonctions de veille et d'alerte ; il n'est d'ailleurs pas seul dans ce cas.

C'est là une problématique que l'on est amené à retrouver par exemple dans la sphère de la santé du travail. En outre, la distinction doit s'imposer dans le cadre de l'affectation des moyens budgétaires car si le domaine de la veille sanitaire peut faire l'objet d'une délimitation relativement aisée une fois établi un système efficace, il n'en va pas de même avec l'épidémiologie pour laquelle des choix devront toujours faire l'objet d'arbitrages forcément difficiles.

3.2. La détermination des objectifs

* Les moyens mis à disposition des différentes instances doivent l'être d'une manière claire, rationnelle dans une perspective opérationnelle ; l'outil d'un tel ordonnancement est le COM (contrat d'objectifs et de moyens). On a noté la nécessité de son élaboration pour l'AFSSA et l'AFSSAPS (cf. supra) ; on a remarqué aussi qu'il ne saurait résoudre toutes les difficultés, mais qu'il reste en quelque sorte une « condition préalable » au fonctionnement de chacune des unités. Certaines, et notamment l'AFSSA, sont directement concernées par ce que l'on peut appeler « les ratés de l'interministérialité ». La partie « objectifs » du COM est essentielle dans la clarification de la démarche de procédure sanitaire qu'il s'agisse de l'action de chaque intervenant ou de la démarche d'ensemble.

* Cette détermination concertée des objectifs appelle une amélioration de l'exercice de la tutelle et des ministères qui, n'ayant pas juridiquement un pouvoir de tutelle, sont néanmoins des parties prenantes majeures dans la veille sanitaire, et ensuite dans l'action elle-même.

L'appareil d'analyse des situations concrètes et de quantification de l'action administrative doit être développé dans le cadre de ce COM. Les « capteurs » dont l'absence ou le non-fonctionnement ont été soulignés par le ministre de la santé en août 2003 se révèlent en effet indispensables. La démarche qui impliquera la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) pourrait contribuer à de tels progrès. Cela posé, elle ne règlera pas les conflits récurrents de la conception et de la gestion interministérielle de certains domaines.

3.3. Un pragmatisme rationalisé

Les concepts étant clarifiés et les objectifs définis, les perspectives de retouches ou de modifications de l'architecture institutionnelle peuvent logiquement s'envisager sous réserve qu'en dernier lieu quelques règles simples, pour ne pas dire des recettes, restent présentes à l'esprit ; le terme de « pragmatisme rationalisé », aux antipodes d'un esprit de système théorique et complexe peut constituer le fil directeur de la démarche.

* Les résultats seuls constituent l'échelle d'évaluation d'une organisation et d'un jeu de mécanismes. Cette constatation peut paraître banale, mais doit être rappelée lorsque la qualité de l'organigramme et la complétude des procédures, tout à fait nécessaires, semblent le faire oublier. L'activité de l'AFSSA et de l'AFSSAPS, l'essentiel de celle de l'InVS (SRAS, légionellose, biotox notamment) en fournissent une illustration positive.

* La constatation d'un besoin de réforme ne saurait justifier des modifications de structures faites au coup par coup. L'expérience montre d'ailleurs que pour corriger un dysfonctionnement, on a parfois tendance à commettre une première erreur, puis pour corriger celle-ci une seconde. Ce qui s'est passé avec le FOPIM, avec les transferts de la commission de la Transparence dans le domaine du médicament, avec le CNSS et l'ensemble des organes consultatifs dans le domaine de la santé publique est éclairant.

* La complexité doit donc être évitée car elle peut être fatale. Cette remarque peut d'ailleurs s'appliquer utilement à des procédures européennes où les risques de contradictions internes et/ou communautaires sont réels (domaine alimentaire notamment) et où l'efficacité des contrôles et de leur coordination est problématique. Or, il s'agit là d'éléments essentiels de la sécurité sanitaire. On peut tout à fait admettre que des opérations d'expertise exigent pour être efficaces et sûres des procédures subtiles ; en revanche lorsque la complexité n'est pas due à la nature même du problème posé, elle est d'autant moins acceptable qu'elle devient nécessairement source de risque.

* La faisabilité des modifications institutionnelles implique aussi de la part des autorités ministérielles et d'une manière générale du Gouvernement, un réalisme dans les projets et les exigences.

La fixation de calendriers irréalistes pour satisfaire des « effets d'affiche », même si cela n'est certes par nouveau, reste à écarter.

Les moyens, budgétaires notamment, ne sauraient être considérés comme secondaires ; cela peut d'ailleurs s'apprécier de différentes manières ; on pense naturellement à l'insuffisance, mais la surestimation de la capacité d'organisation ou l'exigence d'un calendrier excessif peuvent amener une situation d'excès de crédits : la mise en place de l'AFSSAPS en fournit un exemple. L'appréciation des moyens humains exige aussi que la faisabilité soit bien cernée. Dans certains domaines et/où certaines fonctions, il a été noté que l'insuffisance du vivier d'experts pouvait constituer un frein, voire une menace, comme dans le cas de la toxicologie. Le problème est là très difficile car la situation exige d'agir avec obligation de résultats, sans que l'on puisse intervenir sur une partie du mécanisme où les instances administratives n'ont pas prise. La dimension essentielle du problème n'est d'ailleurs pas ici d'ordre budgétaire, mais méthodologique.

Enfin, l'appréciation des moyens doit nécessairement se faire en rapport avec la perspective des plans de charge. De ce point de vue, une création comme celle de l'AFSSE montre clairement que ces quelques recettes de « pragmatisme rationalisé » ont une valeur permanente.

* 45 Il Il s'agit là notamment de ce que l'InVS appelle « la mise en chantier de la surveillance d'événements non spécifiques à partir des services d'urgence et de veille sur les données de mortalité émises par l'INSEE » (ibidem page 49)

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