IV. UNE ACTUALITÉ LOURDE D'INTERROGATIONS
Au-delà de l'évaluation du fonctionnement de l'AFSSAPS, ainsi que des mécanismes auxquels elle participe avec d'autres acteurs français et européens, des interrogations se posent dans son « coeur de métier », essentiellement sur la iatrogénie médicamenteuse et les essais cliniques dont l'expertise est dépendante. L'ampleur des problèmes qui rentrent dans ce cadre dépasse largement non seulement l'AFSSAPS elle-même, mais toutes les agences et administrations compétentes en matière de médicaments. Il ne s'agit donc en aucun cas d'une mise en cause ciblée de l'AFSSAPS qui, n'a guère à craindre les comparaisons internationales, mais de la présentation d'une vaste question qui constitue le fondement même de la sécurité des produits de santé, en l'occurrence des médicaments.
Dans le cadre limité de cette évaluation, on rappellera d'abord la nécessité de la pharmacovigilance renforcée par les accidents iatrogènes et on indiquera les inquiétudes pointées par les praticiens. Plusieurs cas de médicaments soulevant de véritables crises au niveau mondial depuis 2000 constitueront ensuite des illustrations de cette problématique difficile.
4.1. La iatrogénie médicamenteuse
Le médicament est ambivalent, mais doit par principe présenter un bilan d'utilisation positif. Ce constat conduit à poser le problème des conséquences néfastes de son usage, « la iatrogénie médicamenteuse ».
La définition du concept doit être précisée. Celle présentée par le rapport de mission ministérielle sur « la iatrogénie médicamenteuse et sa prévention » 34 ( * ) vise les éléments suivants (sachant que la iatrogénie en général est définie par le dictionnaire Robert de la langue française comme « toute pathologie d'origine médicale ») :
« - les effets indésirables sans mauvais usage des thérapeutiques ou aléas non fautifs ;
- les effets indésirables avec mauvais usage des thérapeutiques, que ce « mauvais usage » soit le fait du médecin ou, d'autres soignants ou encore du malade lui-même, par automédication inappropriée ou mauvaise observance du traitement.
Cette conception s'éloigne du sens premier et étymologique, mais il respecte l'esprit de notre démarche : la meilleure connaissance des effets indésirables des thérapeutiques dans le but de rechercher tous les moyens de les prévenir ou à défaut de les limiter ».
4.1.1. Des références américaines
* La question de l'iatrogénie médicamenteuse est identifiée depuis longtemps comme essentielle. Ainsi, une méta-analyse d'études a évalué à 100.000 environ le nombre annuel de décès par effet indésirable médicamenteux aux Etats-Unis chez les malades hospitalisés (J. Lazarou - incidence of adverse drug reactions in hospitalized patients. JAMA 1998.279.
Dans son rapport précité (mars 1998, page 27), le Pr. Patrice Quéneau donne un éclairage de la dimension médico-économique du problème à travers une étude américaine de 1997 qu'il cite dans les termes suivants :
« L'approche médico-économique est difficile et les données épidémiologiques précises peu nombreuses. Cependant, les enjeux financiers sont majeurs. Aux Etats-Unis, un travail récent de D.W. Bates et huit autres chercheurs (The costs of adverse drug events in hospitalized patients JAMA 1997/277) rapporte que le coût annuel de la morbi-mortalité liée aux effets indésirables des médicaments serait de l'ordre de 76,6 milliards de $ US, dont la majorité (47 milliards de $ US) serait due à l'hospitalisation pour accident thérapeutique ou absence de traitement approprié. Ces auteurs soulignent que :
- ce coût dépasse de beaucoup celui du diabète, évalué à 45,2 milliards de $ US.
- Le coût des accidents qu'ils jugent « évitables » (« preventable ») est plus élevé que celui des accidents inévitables. En effet :
- pour l'ensemble des accidents médicamenteux, l'allongement moyen de la durée de l'hospitalisation est de 2,2 jours, et le surcoût total moyen par malade de 3244 $ US.
- pour les accidents médicamenteux jugés « évitables », l'allongement moyen de la durée de l'hospitalisation est de 4,6 jours et le surcoût total moyen par malade de 5857 $ US.
- ce coût élevé justifie à lui seul des efforts de prévention, indépendamment des raisons humanitaires qui les justifient en toute priorité ».
Dans l'article cité ci-dessous, résumant l'étude faite dans les services d'accueil et d'urgence français en 1999, le même auteur, le Pr. Patrice Quéneau, indique :
« Des études récentes de cohorte ont par ailleurs estimé le nombre annuel de décès liés aux complications digestives graves (hémorragies, perforations) des anti-inflammatoires non stéroïdiens à environ 2000 en Grande-Bretagne et 16.500 en Amérique du Nord, chiffre voisin du nombre de décès dus au Sida. Par extrapolation, Tramer émet l'hypothèse d'un décès par complication digestive grave pour 1220 patients traités par AINS pendant deux mois ou plus. En outre, le « surcoût iatrogène » lié aux effets indésirables médicamenteux est considérable ».
* L'ampleur de la iatrogénie médicamenteuse se constate naturellement en dehors des Etats-Unis. Toutefois deux éléments d'inégale importance méritent d'être rappelés.
D'une part la philosophie dans laquelle les procédures d'AMM s'insèrent n'est pas exactement la même qu'en Europe et en France en particulier. L'accent est prioritairement mis pour l'efficacité dans le cadre de l'analyse bénéfice/risque. Ce que l'on observe dans les cas examinés ci-après au sujet de la cérivastatine, du traitement hormonal substitutif et actuellement du Vioxx montre clairement que les préoccupations et limitations d'emploi, les contre-indications impératives et l'exigence d'un réel bénéfice par rapport à d'autres spécialités, ne se recouvrent pas des deux côtés de l'Atlantique.
D'autre part, les conditions de dispensation du médicament sont encore plus différentes entre les Etats-Unis et la France. Le système de distribution particulièrement contrôlé qui est le nôtre à travers le monopole de la vente du médicament en officine a nécessairement des effets importants sur la iatrogénie médicamenteuse. C'est là une donnée essentielle.
4.1.2. Des études françaises
Dans le prolongement du rapport précité du Pr. Patrice Quéneau, deux études permettent de préciser le phénomène en France.
* En mai 1999 a été publiée l'étude engagée au printemps 1997 sur « les hospitalisations dues à un effet indésirable médicamenteux », et fondée sur une enquête réalisée auprès d'un échantillon représentatif des services de spécialités médicales des hôpitaux publics français par les Centres régionaux de pharmacovigilance, le rapport final étant rédigé par les Pr. Pierre Pouyanne, Françoise Maramburu, Jean-Louis Imbs. Ce dernier est en outre l'auteur de la présentation donnée dans la revue Thérapie (1999-54) dont sont extraites les citations ci-après :
« Le réseau des Centres régionaux de pharmacovigilance a estimé la prévalence des effets indésirables médicamenteux sur un échantillon représentatif (sondage en grappe stratifié à trois degrés, par tirage au sort) des malades hospitalisés dans des services de médecine, chirurgie et long séjour publics. L'enquête a été effectuée un jour donné, au cours du printemps 1997. Chaque cas d'effet indésirable a fait l'objet d'une validation. L'échantillon d'étude porte sur 2132 malades dont 969 hospitalisés en Centre Hospitalier Universitaire et 1163 en Centre Hospitalier Général. Sa répartition selon les spécialités et les structures d'hospitalisation est représentative de l'ensemble des hospitalisations dans les hôpitaux publics métropolitains. Au moins un effet indésirable validé était présent chez 221 patients le jour de l'enquête, soit un taux de prévalence de 10.3 pour cent (IC pour cent : 26 à 42 pour cent), ces effets étaient graves. A partir d'un taux d'incidence un jour donné de 1.8 pour cent (IC 95 pour cent : 1.0 à 2.5 pour cent), il est possible de calculer que chaque année environ 1.300.000 patients présentent un effet indésirable médicamenteux au cours d'une hospitalisation ».
La conclusion de l'étude elle-même remet en perspective le problème dans les termes suivants :
« Cette étude, la première menée à l'échelon d'un pays, sur un échantillon représentatif de services de médecine et spécialités médicales, met en évidence l'importance du problème des hospitalisations secondaires à la survenue d'un effet indésirable médicamenteux. Le nombre d'hospitalisations (128 768 entrées), le nombre de journées d'hospitalisation (1.146.035), le coût généré par ces hospitalisations (2,1 milliards de francs) montre bien qu'il s'agit d'un problème majeur de santé publique, au même titre que les accidents de la route. Cependant, ces chiffres ne sont le reflet que d'une partie du problème. En effet, ils ne prennent pas en compte tous les aspects de la iatrogénie médicamenteuse, en particulier tous les accidents graves qui ne sont pas hospitalisés notamment les décès, les hospitalisations dans des établissements privés et enfin tous les accidents survenus en cours d'hospitalisation qui vont être à l'origine d'une prolongation d'hospitalisation ou même d'un décès.
* Abordant la question sous un angle un peu différent, celui des signalements par les services d'accueil et d'urgence d'hôpitaux publics français, l'étude réalisée sous la conduite du Pr. Quéneau avec six autres médecins universitaires et l'APNET (Association pédagogique nationale pour l'enseignement de la thérapeutique) a fait l'objet d'une publication dans le Bulletin de l'académie nationale de médecine (2003-187 n° 4 page 647-670 intitulée « Effets indésirables médicamenteux observés dans les services d'accueil et d'urgences françaises ».
« L'importance de la pathologie médicamenteuse comme cause d'hospitalisation est un problème majeur de santé publique. Notre étude a consisté à recueillir systématiquement toutes les observations d'effets indésirables médicamenteux pendant deux semaines (la première en juin 99 et la seconde en décembre 99) dans 10 Services d'Accueil et d'Urgences (SAU) de 10 Centres Hospitaliers : 5 Centres Hospitaliers Universitaires (CHU) et 5 Centres Hospitaliers non universitaires (CH). Sur un total de 1937 patients admis aux 10 SAU pendant ces deux périodes, nous avons retenu les 1562 patients ayant pris au moins 1 médicament au cours de la semaine précédente. Parmi eux, 328 (21 % ; intervalle de confiance à 95 % : 19 %-23 %= avaient consulté en raison d'un effet indésirable médicamenteux (EIM). Au total, 410 médicaments furent incriminés dans la survenue des 328 EIM. Les psychotropes (n = 84 : 20,5 %), les diurétiques (n = 48 : 11,7 %), les anticoagulants (n = 38 : 9,3 %), d'autres médicaments cardiovasculaires (n = 63 : 15,4 %), les antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (n = 57 : 13,9 %) furent les classes médicamenteuses les plus fréquemment incriminées. Dans 106 cas (37,9 %), l'EIM fut considéré comme évitable en raison d'un mauvais usage du médicament ».
4.2. Quelques exemples de crises récentes
Les accidents ou les incidents graves enregistrés à une large échelle à partir de médicaments sont sans doute aussi anciens que les médicaments eux-mêmes. La pharmacovigilance a précisément permis qu'ils soient mieux et plus vite repérés. Il convient donc de rappeler d'abord cette évidence souvent oubliée pour éviter que se répandent des idées fausses de type : « il y a de plus en plus d'accidents avec les médicaments » ou « les médicaments sont de plus en plus dangereux ». Le bismuth, médicament retiré depuis près de trente ans après avoir été utilisé par des millions de personnes pendant près d'un siècle en est un bon exemple. Sa dangerosité, constatée lors de son retrait dans la forme galénique sous laquelle il était alors vendu, demeure indiscutable, illustrant le caractère permanent de cette question.
Trois cas récents dont l'un se développe actuellement sous nos yeux (le Vioxx) peuvent servir d'éléments de référence pour apprécier le fonctionnement de l'AFSSAPS et les mécanismes de sécurité sanitaire au niveau national, européen et mondial.
4.2.1. Le retrait de la cérivastatine
La cérivastatine est une molécule parmi l'ensemble des statines ; celles-ci visent à réduire l'hypercholestérolémie dans le sang et constituent un des progrès médicaux les plus substantiels des quinze dernières années. Les produits de cette classe thérapeutique ont été et sont considérés comme très bien tolérés, le cas de la cérivastatine étant mis à part depuis la révélation d'accidents qui ont entraîné son brusque retrait le 8 août 2001.
La cérivastatine a été mise en cause en raison d'atteintes musculaires (rhabdomyolyse) qui peuvent revêtir un caractère sévère, voire fatal. Cette molécule était produite par les laboratoires Bayer en France sous les noms des spécialités Staltor et Cholstat.
Dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle au niveau de l'Union européenne, le Royaume-Uni était l'Etat-membre de référence et l'AMM européenne délivrée en 1997 portait sur des dosages de 0,1 et 0,3 mg ; un dosage de 0,4 mg avait été autorisé en 2001. Il est important de noter qu'un dosage de 0,8 mg avait été autorisé en août 2000, puis retiré le 1 er août 2001, quelques jours avant le retrait mondial.
Plusieurs éléments d'alerte avaient précédemment été enregistrés depuis décembre 1999 en focalisant progressivement les deux facteurs de risque dans l'utilisation de cette molécule : le dosage supérieur à 0,4 mg d'une part, l'association avec le gemfibrozil (hypo-cholestérolémiant de la classe des fibrates, commercialisé en France sous le nom de Lipur) ; la FDA américaine avait décidé de contre-indiquer cette association en décembre 1999 ; la contre-indication a été insérée à la demande de l'Agence britannique du médicament.
En avril 2001, les autorités européennes compétentes signalent à l'Agence britannique des cas de rhabdomyolyse (67 % d'association cérivastatine -gemfibrosil) dont 3 décès.
Le 8 août 2001, Bayer annonce unilatéralement le retrait mondial des spécialités à base de cérivastatine à l'exception du Japon où précisément le gemfibrozil n'était pas commercialisé, donc sans risques d'association. Ce retrait sera toutefois étendu au Japon, la commercialisation de ce dernier devenant prévisible.
Les différentes agences du médicament annoncèrent alors le retrait et le Secrétaire d'Etat à la Santé du gouvernement allemand critiqua vivement l'attitude de Bayer en la qualifiant « d'inacceptable » car l'Agence allemande du médicament n'avait reçu le rapport de pharmacovigilance fait par le laboratoire et daté du 15 juin 2001 que le 8 août et n'avait pas été informée du retrait de la cérivastatine en même temps que l'Agence britannique. D'une façon générale, Bayer s'est vu reprocher des faiblesses face à ses obligations d'information, transmettant tardivement et incomplètement, d'une manière dispersée, des éléments qu'il était seul à détenir dans leur globalité.
Le retrait mondial était justifié par un nombre important de rhabdomyolyses fatales, notamment aux USA. Le laboratoire Bayer annonçait 59 cas de rhabdomyolyses fatales en août 2001, puis 99 cas en octobre 2001. La survenue d'un tel effet indésirable fatal était évidemment incompatible avec le bénéfice potentiel d'un médicament hypocholestérolémiant (6 millions de patients dans le monde).
Il est à noter que sur les 59 cas de rhabdomyolyses graves rapportés en août 2001, la posologie était souvent élevée : 21 cas à 0,8 mg, 1 cas à 0,6 mg. L'association gemfibrozil était retrouvée dans 12 cas.
En France, la cérivastatine était prescrite à environ 500.000 patients et représentait 12 % du marché des statines. Un seul décès, d'ailleurs très mal documenté par le laboratoire Bayer et dont l'imputabilité était incertaine, était connu.
En pratique, il apparaissait à cette époque que les dangers de l'utilisation de la cérivastatine étaient plus importants aux USA et dans d'autres pays européens qu'en France.
Les raisons en sont les suivantes :
- les posologies unitaires du marché français étaient à 0,1 - 0,3 et 0,4 mg. Depuis 2000 aux USA et 2001 au Royaume-Uni, une dose unitaire était proposée à 0,8 mg. Cette dose n'a pas eu d'AMM en France. Les recommandations françaises comportaient une prescription initiale à 0,1 mg par jour et, le cas échéant, une montée progressive en fonction de la cholestérolémie avec une dose maximale de 0,4 mg.
- l'association avec le gemfibrozil : les RMO françaises, depuis de nombreuses années, précisaient qu'il n'y avait pas lieu d'associer statine et fibrate du fait du risque d'addition des effets indésirables. Dans le cas particulier de la cérivastatine, l'association avec le gemfibrozil était contre-indiquée du fait du risque d'effets indésirables graves. Tel n'était pas le cas aux USA et dans certains autres pays.
Il est à noter d'ailleurs qu'une étude réalisée spécialement pendant l'été 2001 par la CNAMTS sur 360.000 ordonnances de cérivastatine a montré que la posologie maximale de 0,4 mg n'était dépassée que dans 1,61 % des cas et qu'il n'y a eu qu'un pourcentage négligeable d'association au gemfibrozil (0,0035 %).
La gestion du dossier de la cérivastatine par l'AFSSAPS appelle des appréciations positives, voire très favorables, plutôt que des critiques qui ne pourraient qu'être marginales dans un paysage mondial où d'autres ont manifestement eu du mal à prendre en temps utile la mesure du problème.
Les experts associés à la mission des quatre inspections générales pour l'évaluation de la loi du 1 er juillet 1998 ont choisi le cas du retrait de la cérivastatine parmi les neuf exemples sur la « sécurité sanitaire en action ». La conclusion (page 100) qu'ils en tirent, citée intégralement ci-après, illustre la nécessité d'actions pour améliorer la pharmacovigilance, en soulignant que celle-ci doit être coordonée au niveau européen et mondial. Les limites de l'exercice sont d'ailleurs évoquées à la fin de ce texte et obligent, en effet, à une certaine modestie si l'on veut rester dans le domaine des propositions réalisables :
« Conclusion :
Le cas du retrait de la cérivastatine illustre l'importance de la diversité des expertises et de la responsabilisation des industriels.
On peut poser deux sortes de jugements d'ensemble sur cette affaire, si l'on part du postulat (que nous ferons) que le retrait de la cérivastatine était scientifiquement justifié et non prématuré pour la sécurité sanitaire étant donné la disponibilité sur le marché de molécules d'efficacité identique et de risque moindre.
Le premier jugement porte sur l'intérêt et l'efficacité de l'expertise interne au laboratoire pharmaceutique qui a su, contre son intérêt immédiat apparent, prendre une décision qui s'est avérée, même si l'on peut contester la mise en oeuvre et le plan de communication l'accompagnant, rapide, nécessaire, efficace et définitive. Doit-on laisser les industriels décider seuls sur ces questions ?
Le second jugement, sans doute plus sévère, concerne la pharmacovigilance et la pharmaco-épidémiologie au niveau international. Ces structures n'ont pas su prendre une décision avant celle de l'industriel, alors qu'elles étaient en possession de (presque) tous les éléments du dossier. Les structures de recueil de la pharmacovigilance ont eu de petites défaillances de part et d'autres et un certain flottement a entouré l'annonce du retrait, notamment sur le nombre exact de décès rapportés dans le monde, mais on peut dire que globalement elles ont bien rempli leur première mission de recueil et d'échange d'informations. Si les personnes en charge de la pharmacovigilance n'ont pas mesuré l'urgence de la gestion du risque, il se pose alors la question de l'accessibilité des bases de données à un plus grand nombre de partenaires, voire à tous les citoyens, comme cela est réalisé aux USA, dans le cadre du « Freedom of Information Act ». Le pays rapporteur de l'AMM d'un produit (le Royaume-Uni dans le cas de la cérivastatine) était désigné comme le pays responsable de la coordination de la vigilance de ce produit une fois commercialisé ; il n'a pas eu la même évaluation que le laboratoire sur l'urgence du risque. Il apparaît clairement qu'il ne disposait pas de l'estimation comparative du risque avec les produits de la classe. Dans la situation particulière de ce produit qui présentait davantage d'effets indésirables graves que les alternatives d'efficacité équivalente, il n'existait pas de procédure pré-établie permettant de balayer systématiquement et rapidement (éventuellement de façon automatisée) les données rapportées afin de détecter un éventuel signal au niveau de la classe. Il n'existait pas non plus de procédure permettant de décider à partir de quand il fallait retirer le produit. Aucune méthode n'a été mise en oeuvre pour permettre de se prononcer sur le caractère tolérable ou non du risque, ni sur le degré d'urgence de la décision qu'il convenait éventuellement de prendre. Il est probable que l'investissement recherche soit largement insuffisant dans ce domaine d'analyse et d'interprétation du signal.
En annonçant par voie de presse le 8 août 2001 le retrait mondial de la cérivastatine, le laboratoire Bayer provoquait la surprise, mais aussi l'inquiétude. Les patients exposés et les prescripteurs, mais aussi les autorités de santé n'avaient pas pu être informés avant le reste du public - pour des raisons qui semblent liées aux lois du marché boursier - ce qui pose évidemment un réel (et peut-être inédit) problème de communication et d'information sur le risque sanitaire dans le domaine du médicament (et bientôt sans doute des dispositifs médicaux). L'industrie du médicament souffre d'un déficit d'image auprès du public, et sait peu tirer profit de son métier et de sa contribution à l'amélioration de l'état de santé de la population. Ce type de crise ne fait qu'aggraver cette image, semblant donner raison à tous les stéréotypes convenus et durablement négatifs : la bourse passe avant la vie, le profit avant la sécurité sanitaire, le secret avant la transparence, la dissimulation avant l'exhaustivité et la clarté des informations transmises, etc ... Or, sans la décision des laboratoires Bayer le 8 août au matin, il n'est pas exclu que la cérivastatine aurait pu rester encore plusieurs semaines, mois ou années sur le marché, exposant de ce fait un nombre encore plus grand de patients au risque de rhabdomyolyse d'évolution parfois fatale. Il manque clairement un arbre décisionnel permettant d'aider la prise de décision lorsqu'un niveau de risque est atteint (niveau absolu, niveau relatif aux autres médicaments de la classe, fraction attribuable du risque). Mais qui est capable de réaliser un tel arbre ? A-t-on jamais fixé un seuil tolérable de risque pour les médicaments dans l'absolu (comme dans le domaine environnemental, où des seuils de 10 -5 ou 10 -10 ont été proposés selon les contextes) ? Enfin, on peut suggérer que le Conseil Scientifique de l'AFSSAPS se saisisse de ce type de dossiers pour en faire plus systématiquement l'analyse du retour d'expérience, ce qui permettrait de tirer les enseignements et les leçons du passé et d'améliorer le système à l'avenir ».
4.2.2. La remise en cause du traitement hormonal substitutif
La publication des résultats d'enquêtes de grande ampleur réalisées principalement aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne 35 ( * ) a entraîné des interrogations, puis une remise en cause du caractère presque systématique des troubles de la ménopause et de la prévention de l'ostéoporose. On estimait en effet pour la France, qu'en août 2003, 30 % à 50 % des femmes âgées entre 48 et 64 ans suivaient un THS (traitement hormonal substitutif). D'autres bénéfices avaient été progressivement attribués, un peu vite semble-t-il, à ces traitements. Or, si certains avantages ont été confirmés, la mise en évidence de nouveaux risques de cancer (sein notamment, endomètre) et d'accidents cardiaques et circulatoires ont amené la plupart des autorités sanitaires des pays concernés à réévaluer le rapport bénéfice/risque des THS.
La question se complique du fait que ces études ayant été réalisées hors de France, le caractère transposable des conclusions n'est pas évident car, là encore, les pratiques peuvent varier sensiblement et, en outre, les doutes ont renforcé les préconisations qui différencient la France de la situation américaine :
- plus faible dosage des produits ;
- durée limitée du traitement (le plus souvent trois ans) ; objectif de limitation systématique à l'âge de 60 ans ;
- exclusion systématique de femmes présentant un seul facteur de risque.
Les controverses très vives qui ont eu lieu aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne sur ce sujet se retrouvent en France, mais selon des termes différents. Ce qui peut être souligné ici, c'est la position difficile dans laquelle l'AFSSAPS s'est retrouvée. Ainsi, celle-ci a eu à faire face à la publication (Le Monde du 8 février 2003) d'un appel émanant d'une partie des membres d'un de ses comités d'experts qui estimaient « que les recommandations de l'Agence ne reflétaient ni notre opinion, ni la nature des débats et discussions qui se sont déroulés lors d'une réunion multidisciplinaire en octobre 2003. Nous invitons les médecins prescripteurs à consulter les recommandations de l'association française pour l'étude de la ménopause, plus conformes et plus adaptées à la situation actuelle » (cité par le rapport des experts des quatre inspections générales).
Sur une question où les certitudes scientifiques sont en cours de constitution et où, de l'avis de certains, on s'attend à une diminution importante des prescriptions par crainte de poursuites judicaires contre les médecins, on se contentera de citer la conclusion des experts des inspections générales (rapport des experts page 107). Elle pose avec franchise à la fois les données spécifiques de cette question sous l'angle médico-social, et précise les limites ontologiques de la pharmacovigilance, et donc des agences sanitaires :
« Conclusion
Cette affaire pose plus largement le problème de la sécurité sanitaire des produits « politiquement corrects ». Fruits d'une sorte de conquête en partie féministe pour retarder les conséquences de la ménopause, ces produits ont - un peu rapidement et sur la base d'études de faible niveau de preuve - été considérés comme inoffensifs, voire comme ayant des effets protection sur le risque cardio-vasculaire, sur la démence sénile ou sur le cancer du colon. Aujourd'hui, en dehors de l'indication relative aux troubles du climatère, il n'est pas certain que ces produits aient de réels bénéfices, ni n'améliorent la qualité de vie des femmes traitées, mais il est devenu clair qu'ils favorisent le risque de cancer du sein, peut être aussi celui de l'ovaire, vraisemblablement aussi le risque cardio-vasculaire et celui de démence sénile. La question n'est pas tranchée vis-à-vis de la protection contre le cancer colo-rectal.
Cependant ces produits sont toujours sur le marché, sans doute parce qu'il aurait été considéré comme un séisme social de retirer brutalement des produits prescrits chez 30 à 50 % d'une tranche d'âge de la population féminine française. Probablement disparaîtront-ils complètement de la prescription au fil du temps après avoir causé des dégâts lourds en terme de sur morbidité et surmortalité par cancer (plus de 20 000 cas supplémentaires de cancers du sein attendus chez les femmes britanniques de 50 à 64 ans à cause de l'usage des THS durant la dernière décennie) et de maladies cardiovasculaires.
Cette affaire illustre le caractère inapproprié dans ce cas du modèle de la pharmacovigilance fondé sur la notification spontanée. Seules des études épidémiologiques et des vastes essais randomisés post-AMM conduits par de très grandes équipes scientifiques ont été capables de faire la lumière sur ce problème. Ces équipes ont été co-financées par le National Heart Lung and Blood Institute des NIH et des laboratoires pharmaceutiques aux USA, par le Cancer Research UK et le MRC au Royaume Uni, par l'INSERM, la FRM et des laboratoires pharmaceutiques en France, et non par des équipes issues d'agences de sécurité sanitaire ou des systèmes de veille sanitaire. Ni la FDA, ni l'EMEA, ni l'AFSSAPS ne peuvent s'enorgueillir d'avoir participé au financement de ces récentes études.
Dans une certaine mesure, on peut reconnaître que ces résultats obtenus vis-à-vis des THS justifient la pratique récemment introduite en France de proposer des études post-AMM pour encadrer le lancement de nouveaux produits, tout en soulignant l'importance de les confier à des consortiums à haute valeur ajoutée sur le plan scientifique ».
4.2.3. Le retrait du Vioxx
Le développement après leur mise sur le marché à la fin des années 1990 des médicaments de la classe des anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS) 36 ( * ) de la catégorie des « coxibs » (inhibiteurs de la cyclo-oxygénase (cox) de type 2 a été très rapide. Leur nouveauté, les avantages qu'on leur prêtait (moins d'effets indésirables) ainsi que d'intenses campagnes de promotion par les fabricants, sans parler de « prix d'appel » en milieu hospitalier, expliquent cet essor considérable.
En France, à la date du 1 er juillet 2004, deux coxibs utilisés par voie orale étaient commercialisés : le celecoxib (nom de spécialité Celebrex) et le rofécoxib (Vioxx), indiqués dans le traitement symptomatique de l'arthrose et de la polyarthrite rhumatoïde. Un troisième, le valdécoxib (Bextra) commercialisé en Amérique du Nord ne l'est pas en France.
Le laboratoire Merck-Sharp fabricant du Vioxx, de sa propre initiative en a suspendu et en fait cesser la commercialisation le 30 septembre 2004. L'analyse du problème peut être précisée à l'aide de la note de « mise au point sur la sécurité d'emploi des coxibs » diffusée par l'AFSSAPS le 1 er juillet 2004.
* Des questionnements et des doutes.
L'AFSSAPS rappelle tout d'abord les conditions du développement rapide des coxibs :
« Très rapidement après commercialisation, les coxibs auxquels on attribuait l'avantage de provoquer moins d'effets indésirables digestifs, ont atteint des niveaux de prescription élevés avec :
. un taux de prescription faites dans des indications non validées par l'autorisation de mise sur le marché (AMM)évalué à 11 % du total
. un taux de co-prescription avec les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) aussi important, voire plus, qu'avec les AINS dits « conventionnels », ceci alors qu'il n'existe aucune donnée clinique comparant l'association coxib + IPP à l'association AINS conventionnel + IPP
. de nombreuses notifications d'effets indésirables, parfois graves, amenant le système national de pharmacovigilance à s'interroger sur le profil de sécurité réel des coxibs ».
Elle aborde ensuite « ce qui a motivé le réexamen des données de sécurité des coxibs ».
« Parallèlement à la commercialisation des premiers coxibs, des publications ont fait penser que la réduction du risque de lésions gastro-intestinales serait moins importante que ce que laissaient supposer les études ayant conduit à l'AMM. Il est également apparu, dans des essais cliniques réalisés avec certains coxibs, que leur utilisation pouvait être associée à une augmentation du risque cardiovasculaire (hypertension artérielle, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux).
Risque digestif : en France, les résultats du suivi national de pharmacovigilance des coxibs ont montré que le risque de lésions gastro-intestinales restait une préoccupation, en raison de la survenue d'accidents graves à type d'ulcères, de perforations et d'hémorragies digestives. De novembre 2000 à juin 2002, 320 cas ont été notifiés sous célécoxib (taux de notification : 3,5/10 000 patients-années) et, de juillet 2001 à juin 2002, 70 cas sous rofécoxib (taux de notification : 2,5/10 000 patients-années). Ces complications digestives, d'évolution parfois fatale, sont le plus souvent observées chez des patients présentant les facteurs de risque suivants :
. âge supérieur à 71 ans
. antécédents digestifs, en particulier ulcère
. prise concomitante d'aspirine, d'un autre anti-agrégant plaquettaire ou d'un anti-coagulant
Risque cardiovasculaire : au cours de ces mêmes périodes, des décès d'origine cardiovasculaire (infarctus du myocarde, arrêt cardiaque, trouble du rythme, insuffisance cardiaque, oedème aigu du poumon ou accident vasculaire cérébral) ont été notifiés au système national de pharmacovigilance : les taux de notification de ces décès sont respectivement de 2,6/100 000 patients-années, sous célécoxib et de 2,85/100 000 patients-années sous rofécoxib.
Risque cutané : suite à la survenue d'effets indésirables graves, sous valdécoxib et parécoxib, la question du risque cutané a été soulevée pour l'ensemble des coxibs.
Enfin, d'autres effets indésirables connus avec les AINS conventionnels, notamment des atteintes rénales, ont également été rapportés, confirmant que les coxibs présentent un profil de risque qualitativement identique à celui des AINS classiques.
L'AFSSAPS précise d'emblée (toujours le 1 er juillet 2004) que :
« Face à cette situation, la France a initié un arbitrage au niveau européen. Sur la base de l'ensemble des données disponibles, une réévaluation du rapport bénéfice/risque des coxibs a donc été entreprise en 2002, dont les résultats ont été avalisés par la Commission européenne, en avril 2004, et viennent d'être mis en ligne sur son site ».
* Elle présente alors « les résultats de la réévaluation européenne du rapport bénéfice/risque :
« Risque digestif
. l'utilisation des coxibs expose, de manière dose-dépendante, aux mêmes types d'effets indésirables gastro-intestinaux, parfois graves (ulcères, perforations, hémorragies) que les AINS conventionnels.
. d'un point de vue quantitatif, l'avantage des coxibs sur les AINS conventionnels n'apparaît pas constant, d'après les données disponibles. Pour le célécoxib, ces données sont en faveur d'un avantage par rapport au naproxène, mais la sécurité gastro-intestinale concernant les ulcères compliqués est similaire à celle de l'ibuprofène et du diclofénac. Quant au rofécoxib, il présente un avantage gastro-intestinal par rapport au naproxène et, dans une moindre mesure, par rapport au diclofénac et à l'ibuprofène. Il est toutefois difficile d'extrapoler les résultats obtenus avec ces comparateurs à l'ensemble des AINS conventionnels ; d'une part, parce que le risque relatif d'effets indésirables digestifs varie considérablement entre deux AINS conventionnés (dans un rapport qui peut aller de un à dix) et, d'autre part, parce qu'il dépend aussi des doses utilisées.
. Comme pour les autres AINS, le risque de complications digestives avec les coxibs est plus élevé chez les patients présentant un ou plusieurs des facteurs de risque suivants : âge avancé, prise concomitante d'un autre AINS ou d'aspirine (même à faibles doses), antécédents de lésions gastro-intestinales.
Risque cardiovasculaire
. Certaines données pré-cliniques suggèrent la possibilité d'une augmentation du risque cardiovasculaire, en particulier de survenue d'infarctus du myocarde ; cependant, en clinique, des résultats contradictoires ont souvent été observés. Au total, on ne peut pas exclure que les coxibs augmentent le risque cardiovasculaire par rapport aux AINS conventionnels.
. Comme les AINS conventionnels, les coxibs peuvent augmenter la pression sanguine artérielle chez certains patients (notamment en cas d'altération de la fonction rénale ou de prise de médicaments antihypertenseurs).
Risque cutané
. les coxibs, comme les AINS conventionnels, peuvent être la cause de réactions cutanées très rares, mais graves, à type de syndromes de Lyelle ou de Stevens-Johnson.
. En ce qui concerne le célécoxib, les études cliniques pré et post AMM montrent que le risque de réactions à type d'éruptions cutanées pourrait être plus élevé qu'avec les autres AINS.
Au total, il est nécessaire de renforcer les mises en garde et précautions d'emploi pour améliorer la sécurité des patients. Dans les indications autorisées, la balance bénéfice/risque des coxibs reste favorable à la condition de respecter les contre-indications et les mises en garde, en particulier celles qui viennent d'être ajoutées aux résumés des caractéristiques des produits concernés.
Ces nouvelles mesures visent la sécurité digestive, cardiovasculaire et cutanée ; cependant les coxibs présentent également d'autres types d'effets indésirables qui doivent être pris en compte même s'ils n'ont pas fait l'objet d'une réévaluation spécifique. Il convient notamment de rappeler le risque de survenue d'une insuffisance rénale aiguë comme avec d'autres médicaments connus pour inhiber la synthèse des prostaglandines ».
Cette réévaluation européenne s'est faite à la demande de la France dans des conditions qui, on le verra, ne semblent pas répondre à celles qui avaient été souhaitées au départ (méta-analyse). L'AFSSAPS concluait ainsi sa « mise au point » du 1 er juillet 2004 :
« Sur la base de l'ensemble des données disponibles à ce jour, la sécurité d'emploi des coxibs n'est pas remise en cause dans les indications qui ont été approuvées par l'AMM, tout en sachant qu'ils exposent, qualitativement, aux mêmes risques d'effets indésirables que les AINS conventionnels. En conséquence, les recommandations de bon usage des AINS s'appliquent également aux coxibs ».
* La mise au point de l'AFSSAPS avait été précédée et s'appuyait donc aussi sur l'avis de réévaluation de la commission de la transparence (du 16 juin 2004) rendu à la suite de la saisine conjointe de la direction de la sécurité sociale et de la D.G.S. du ministère en 2002 et suite à la réévaluation des coxibs par le comité d'experts de l'Agence européenne (EMEA) de février 2004.
Les conclusions de cet avis de la commission de la transparence annexées à la mise au point de l'AFSSAPS sont les suivantes (texte intégral) :
« Conclusions de la commission de la transparence
1) Service médical rendu :
La polyarthrite rhumatoïde et l'arthrose sont des maladies chroniques invalidantes.
Le rapport efficacité/effets indésirables est :
. moyen dans l'arthrose
. important dans la polyarthrite rhumatoïde
Il s'agit d'un traitement symptomatique.
Il existe de nombreuses alternatives thérapeutiques : l'ensemble des AINS (excepté les pyrazolés).
Le niveau de service médical rendu est important.
2) Amélioration du service médical rendu :
L'analyse des résultats disponibles montre que la meilleure tolérance digestive du Vioxx par rapport aux AINS anti-cox1 est minime en l'état actuel des données et du niveau de preuve présentés.
Il n'a pas été retenu de différence cardio-vasculaire notable par rapport aux AINS. Par conséquent, compte tenu d'une probable meilleure tolérance digestive, cette spécialité apporte une amélioration du service médical rendu mineure (niveau IV) par rapport aux AINS conventionnels.
3) Place dans la stratégie thérapeutique :
Arthrose : dans le cadre d'un traitement symptomatique de l'arthrose, il convient de débuter le traitement symptomatique par le paracétamol. En cas d'échec, les AINS sont prescrits, en commençant par des doses faibles. Ils doivent être réservés aux poussées douloureuses et ne pas être prescrits au long cours. La place du rofécoxib, comme celle de tous les AINS, se situe donc en deuxième intention. La prescription de cette spécialité aux patients à risque digestif (antécédents ulcéreux, sujet âgé, traitement anti-coagulant ...) justifie de prendre les mêmes précautions que celles recommandées pour l'ensemble des AINS.
Polyarthrite rhumatoïde : le traitement de la polyarthrite fait le plus souvent appel à des séquences successives de médicaments. Les anti-inflammatoires sont un traitement de première intention, associés aux traitements de fond. La prescription de cette spécialité aux patients à risque digestif (antécédents ulcéreux, sujet âgé, traitement anti-coagulant ...) justifie de prendre les mêmes précautions que celles recommandées pour l'ensemble des AINS.
4) Population cible :
Population cible dans l'arthrose : l'arthrose touche essentiellement les personnes de plus de 60 ans, les femmes plus fréquemment que les hommes (2 femmes pour1 homme). Sa prévalence en France est très mal connue et repose souvent sur des données anciennes et approximatives. Selon les données de l'enquête SPS du CREDES (rapport du Haut Comité de la Santé Publique, 2002) et les données du panel THALES (2001-2002), la population des arthrosiques symptomatiques serait de l'ordre de 4 à 5 millions de patients. Les AINS ne sont ni un traitement de première intention, ni un traitement au long cours de l'arthrose. Les seules données épidémiologiques disponibles sur le recours aux AINS sont celles du panel THALES 2001-2002. D'après ce panel, environ 60 à 65 % des arthrosiques seraient traités par AINS.
Population cible dans la polyarthrite rhumatoïde : sur la base des données épidémiologiques disponibles, la prévalence de la polyarthrite rhumatoïde peut être estimée à 130 000 à 240 000 patients. Selon les experts, la très grande majorité de ces patients est susceptible d'être traitée par des AINS.
5) Données d'utilisation (en annexe) :
6) Recommandations de la Commission de la transparence :
Avis favorable au maintien de l'inscription sur la liste des spécialités remboursables aux assurés sociaux et sur la liste des médicaments agréés à l'usage des collectivités et divers services publics.
Conditionnement : il est adapté aux conditions de prescription.
Taux de remboursement : 65 % »
* Le retrait lui-même
Le 30 septembre 2004, les autorités sanitaires sont informées simultanément, au niveau mondial, de la décision de retrait du fabricant. L'AFSSAPS publie le communiqué suivant le jour même :
Retrait mondial de la spécialité Vioxx
« L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) vient d'être informée ce jour, comme toutes les autorités réglementaires concernées, de la décision des laboratoires Merck Sharp & Dohme-Chibret de l'arrêt mondial de la commercialisation de leur spécialité Vioxx (rofécoxib).
Cette décision intervient à la suite d'une analyse des résultats intermédiaires d'un essai clinique ayant mis en évidence un doublement du risque relatif d'événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde et accidents vasculaires cérébraux) par rapport au placebo. L'agence note que cette étude :
- utilise la dose de 25 mg/jour, posologie maximale autorisée en France,
- est réalisée dans une indication en développement (polypose colique),
- que l'augmentation du risque n'est significative qu'au-delà de 18 mois de traitement continu, ce qui n'est le cas que d'un petit nombre de patients en France.
L'Agence rappelle que le rofécoxib est un anti-inflammatoire non-stéroïdien (AINS) de la famille des coxibs (inhibiteur sélectif de la cyclo-oxygénase-2) utilisé essentiellement dans le traitement symptomatique d'affections rhumatismales (arthrose et polyarthrite rhumatoïde).
Très rapidement après leur commercialisation, les coxibs, dont le rofécoxib, en raison d'un taux de prescription et de nombreuses notifications d'effets indésirables, ont fait l'objet d'un arbitrage au niveau européen, initié par la France en 2002. La réévaluation a confirmé le rapport bénéfice/risque favorable de cette classe an avril 2004 tout en renforçant les mises en garde et les précautions d'emploi pour limiter les effets indésirables gastro-intestinaux et cardio-vasculaires, notamment à long terme. En effet, l'hypothèse d'une élévation du risque cardiovasculaire avec les coxibs et plus particulièrement avec le rofécoxib a été évoquée à plusieurs reprises et la prudence recommandée chez les patients ayant des antécédents coronariens. Pour la première fois, une étude apporte des éléments complémentaires sur le sur-risque à long terme.
Aujourd'hui, le titulaire de l'autorisation de mise sur le marché (AMM), le laboratoire Merck Sharp & Dohme-Chibret, en accord avec l'Agence, procède au retrait des lots commercialisés. De même, les essais cliniques en cours sont suspendus.
Aussi, l'Agence recommande à tous les patients traités par Vioxx de consulter leur médecin pour modifier leur prise en charge thérapeutique. Cette démarche ne nécessite pas d'être réalisée dans l'urgence, compte tenu du fait que le risque de complication cardiovasculaire reste cependant faible et n'apparaît qu'à long terme ».
A ce communiqué, s'ajoute une mise au point détaillée sur la sécurité d'emploi des coxibs pour les praticiens et les patients. Les essais cliniques cités étaient entrepris dans le cadre de la recherche d'une nouvelle indication pour ce médicament et ne sont pas liés aux travaux que, par ailleurs, menait la FDA américaine (cf. infra sur les controverses mettant en cause la FDA).
Tout récemment (le 18 novembre 2004), le président directeur général de Merck a déclaré devant une instance du Sénat américain où il était auditionné, que Merck avait pris sa décision de retrait « quatre jours après avoir eu connaissance de la dernière étude montrant qu'une utilisation prolongée du produit faisait encourir au patient un risque cardiaque accru » (cité par Le Monde du 20 novembre 2004).
* Les études antérieures et la méta-analyse suisse
-- Plusieurs études portant sur les coxibs, et particulièrement sur le rofécoxib, avaient soulevé de sérieux doutes tant d'abord sur les avantages réels de meilleure tolérance par rapport aux AINS traditionnels, puis sur les risques cardiaques et circulatoires que pouvaient recéler les médicaments issus de ces nouvelles molécules dans une prise au long cours.
La revue Prescrire par la plume de son rédacteur en chef M. Gilles Bardelay, avait pris date d'une manière pour le moins prémonitoire dans un article de presse intitulé « Pharmacovigilance : d'une affaire à l'autre » (opinion dans le Monde daté du 11 septembre 2001). Traitant de l'affaire de la cérivastatine qui venait de trouver son épilogue (retrait du Staltor et du Cholstat le 8 août 2001) il détaillait ses doutes sur les « nouveaux AINS » dans des termes qui méritent d'être rappelés :
« Quelle sera la prochaine affaire ? Va-t-elle concerner un anti-inflammatoire non stéroïdien ?
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont de plus en plus souvent prescrits, dispensés et consommés, essentiellement comme antidouleur. Les campagnes de promotion des « nouveaux » AINS concentrent l'attention sur une hypothétique meilleure tolérance digestive. Mais qui parle actuellement des effets indésirables extradigestifs des AINS, auxquels n'échappent pas les substances les plus récentes ? Ces effets indésirables sont pourtant enregistrés aussi bien en cardiologie (insuffisances cardiaques et hypertensions artérielles iatrogènes) qu'en néphrologie (insuffisances rénales), en urologie (cystites, en particulier avec l'acide tiaprofénique), en dermatologie (réactions cutanées parfois graves au kétoprofène en gel ou crème), en gynécologie-obstétrique (infertilités, atteintes du nouveau-né à la suite d'une utilisation malgré la contre-indication au troisième trimestre de la grossesse), etc ... Sans parler de l'interaction avec les anticoagulants oraux.
Pour limiter les risques pris par les patients, les médecins et les pharmaciens mal documentés ne doivent pas attendre la prochaine affaire de pharmacovigilance : il leur faut réagir et se documenter correctement.
Une formation régulière à partir d'outils fiables, et donc forcément indépendants financièrement des firmes pharmaceutiques, est la condition indispensable pour que les médicaments soient utilisés au mieux : quand il faut et seulement quand il faut ; à la dose nécessaire et suffisante ; en pesant bien les risques possibles et les effets bénéfiques espérés ».
Le même auteur, qui avait ainsi pris date trois ans avant que le retrait brutal du Vioxx intervienne, rappelait sa position précédente dans un article de presse (Le Monde daté du 8 octobre 2004) où il mettait brutalement en cause la plupart des intervenants dans le domaine de l'information et de la formation à la thérapeutique, en première ligne les laboratoires pharmaceutiques, puis les professeurs de médecine, les autorités chargées de la fixation des prix ainsi que « la plupart des médias grand public ».
-- La publication le 5 novembre 2004 dans la revue médicale « The Lancet » de la méta-analyse d'une équipe de chercheurs de l'Université de Berne, en Suisse, a apporté un élément important, voire décisif, dans l'approche du problème posé par le Vioxx et surtout sur celui de son maintien sur le marché. L'équipe de l'Université de Berne, dirigé par M. P. Junï et le professeur Matthias Egger (département de médecine sociale et préventive et département de rhumatologie et d'immunologie clinique) a en effet procédé à une méta-analyse qui a consisté à passer en revue l'ensemble des données disponibles parues avant la décision de retrait du 30 septembre 2004 et accessibles sur les bases de données et dossiers informatisés de la FDA, soit 18 études sous contrôle placebo et 11 études d'observation.
Le texte de la dépêche d'Associated Press (en français) sur l'article du « Lancet » en donne le résumé suivant :
« Selon Peter Jüni, « l'analyse confirme ce que l'on suspectait, à savoir que l'on disposait dès la fin de 2000 de données prouvant un risque accru de maladies cardiovasculaires sous Vioxx ». A cette époque, 52 cas d'infarctus du myocarde se sont produits chez les 20.742 patients observés, dont 41 étaient traités avec Vioxx.
Les chercheurs suisses critiquent en particulier l'interprétation de l'étude « Vigor » de 2000, qui comparaît l'efficacité et les effets indésirables du rofecoxib (Vioxx) aec un autre antalgique, le naproxène, entre autres. L'étude avait mis en évidence des différences majeures dans les effets cardiovasculaires des médicaments. Les différences avaient alors été attribuées à des propriétés protectrices supposées du naproxène et non pas à des effets négatifs du Vioxx.
Les chercheurs bernois n'ont pour leur part trouvé aucune raison objective à cette interprétation. Dès lors, selon Matthias Egger, on aurait dû soupçonner une fréquence accrue des infarctus sous rofecoxib.
Selon l'équipe suisse, le groupe pharmaceutique Merck aurait dû ou pu retirer son médicament « plusieurs années » avant septembre 2004, c'est-à-dire dès qu'il a disposé des données utilisées par la méta-analyse. Or, à cette époque, Merck a confirmé la sécurité cardiovasculaire du Vioxx.
La méta-analyse a remis en cause d'autres déclarations du fabricant, notamment celle selon laquelle seuls les patients prenant du Vioxx depuis 18 mois au moins étaient concernés. « Les données montrent une augmentation de risque d'infarctus après seulement quelques mois de traitement et ce risque est indépendant de la dose », affirment les chercheurs bernois.
En outre, la méta-analyse met en évidence le fait que les études indépendantes du fabricant montrent de manière plus nette les effets négatifs du Vioxx. A l'avenir, selon les chercheurs, il s'impose que les données des études soient dépouillées de manière extérieure.
Les autorités de contrôle devraient revoir leurs procédures d'admission des médicaments. Les nouvelles données et informations relatives à un médicament devraient être reprises systématiquement dans la documentation et analysés en permanence. « Comme le montre l'exemple du Vioxx, c'est loin d'être le cas aujourd'hui », selon Junï. Seul un suivi continu des médicaments peut protéger la population.
« Dans le cas du Vioxx, un organisme indépendant devrait examiner les raisons pour lesquelles le fabricant et les autorités de contrôle n'ont pas assuré ce suivi dans la saisie des nouvelles données et informations », souligne encore le scientifique »..
* La position de la FDA
Le 3 novembre 2004, la FDA a rendu publique une étude selon laquelle le Vioxx pourrait, aux Etats-Unis, avoir été à l'origine de 27.785 infarctus du myocarde ou de décès par crise cardiaque entre 1999 et 2003.
La dépêche AFP du même jour (3 novembre à 18 h 30) en donne la le résumé ci-après :
« Quelque 53 % de ces accidents pourraient avoir été provoqués par la prise de doses standard de Vioxx, autant de cas qui auraient pu être évités si les patients avaient utilisé du Célébrex, l'anti-inflammatoire de Pfizer, souligne l'étude comparative du Dr David J. Graham, disponible sur le site internet de l'agence américaine chargée du contrôle des produits pharmaceutiques.
La prise d'une dose standard de Vioxx augmenterait les risques de 1,5 fois et la prise de fortes doses de 3,7 fois, précise l'étude menée entre 1999 et 2001 sur des patients californiens âgés de 18 à 84 ans.
Entre 1999 et 2003, environ 92,7 millions de prescriptions de Vioxx ont été faites aux Etats-Unis, dont 17,6 % de fortes doses, c'est-à-dire supérieures à 25 milligrammes par jour.
Le nombre d'infarctus et de décès attribuables à la prise de doses standard de Vioxx a été sur cette période de 14.845 et celui lié à des doses fortes de 12.940.
C'est pourquoi « l'utilisation de fortes doses de rofecoxib (Vioxx) devrait être abandonnée et les faibles doses ne devraient pas être utilisées par les médecins ou leurs patients », préconise le Dr Graham.
« Si les faibles doses devaient rester sur le marché, médecins et patients devraient comprendre que le risque d'infarctus du myocarde et de décès par crise cardiaque est augmenté substantiellement et qu'il existe des alternatives moins risquées », ajoute-t-il.
L'agence fédérale attaque également les affirmations du fabricant du Vioxx, Merck, selon lesquelles les risques supérieurs liés à la prise du médicament mis en évidence par une étude le comparant à un autre anti-inflammatoire, le Naproxen, résultaient d'un effet protecteur du Naproxen encore jamais reconnu ».
Or, souligne la FDA dans son étude, « aucun effet protecteur (du Naproxen contre les risques cardiaques) n'a été démontré ».
Dans son édition de lundi, le Wall Street Journal affirmait que Merck était au courant des dangers encourus par les patients utilisant le Vioxx et aurait lutté pendant des années pour étouffer les inquiétudes sur les dangers du médicament ».
Ces révélations successives interpellent évidemment très durement le fabricant (Merck) dont la vigilance n'a pas été à la mesure du risque qu'il pouvait soupçonner depuis longtemps et ce par plusieurs études différentes. Le fait que le Vioxx, lancé et promu commercialement avec des moyens importants, était à l'origine de 11 % du chiffre d'affaires du groupe en 2003 (1,9 milliards d'euros) constitue un élément dont il a pu être excessivement tenu compte. Il convient d'ailleurs de rappeler qu'au moment de la prise de décision du retrait du Vioxx, le souci s'est clairement manifesté de prévenir en priorité les actionnaires du groupe Merck et les autorités boursières, l'impératif de santé publique paraissant passer au second plan.
Mais la FDA elle-même se retrouve en position délicate pour n'avoir pas elle-même réexaminé le cas d'un médicament dont les risques apparaissaient à travers ces études, au-delà de l'AMM qu'elle avait donnée. En outre, une polémique très violente se développe depuis plusieurs semaines à partir de suspicions de pressions, au sein même de la FDA sur le directeur adjoint du service chargé d'évaluer l'innocuité des médicaments (le Dr Graham). Le président de la commission des finances du Sénat américain procède depuis le début du mois de novembre 2004 à des auditions sur ce sujet. De son côté, le Wall Street Journal consacre, en suivant cette actualité de très près, de nombreux articles à cette affaire. Tout en se gardant de tirer des conclusions hâtives sur ces aspects de l'affaire, la mise en cause de la FDA, de son fonctionnement et de la philosophie de son action incitent à se poser des questions de principe sur les mécanismes d'autorisation et de suivi (pharmacovigilance). Un enseignement doit être tiré de tels événements. Avant d'y procéder, plusieurs précisions restent à apporter sur les « aspects collatéraux » de la décision de retrait du Vioxx, car l'ampleur du problème a immédiatement soulevé des questions de parallélisme avec d'autres médicaments de cette classe thérapeutique à commencer par le besoin de remplacement.
* On a noté les prescriptions de l'AFSSAPS lors du retrait (cf. supra, orientations vers le paracétamol, médicament « classique » et ancien). La réaction naturelle a été par ailleurs une mise en cause sur d'autres « coxibs », mais aussi paradoxalement une tentation de se reporter sur ceux qui restaient en vente. C'est évidemment le cas du Celebrex (le seul en France, le Bextra quant à lui étant autorisé aux Etats-Unis, mais pas en France. Le jugement du Pr Nicholas Moore 37 ( * ) (Service de pharmaco-épidémiologie - Bordeaux II), chargé de la surveillance des coxibs en France synthétise le problème : « Si le risque cardio-vasculaire, comme on le croit, est lié à la sélectivité des coxibs, le Bextra, comme le Vioxx, est justement très sélectif et à l'inverse, le Celebrex, qui n'est pas plus sélectif que le Voltarène, est indemne d'effets secondaires sur le coeur ».
L'auteur de l'article, J.M. Bader, fait suivre cette citation de la remarque suivante : « Les coxibs, comme le martèle depuis 2001 la revue médicale Prescrire, n'auraient donc aucun avantage par rapport aux anciens médicaments associés à un protecteur gastrique et seraient en tout cas beaucoup plus chers. Six firmes dont Novartis, Yamanouchi et Glaxosmithkline, ont encore des molécules de la famille des coxibs à mettre sur le marché ».
En ce qui concerne la France, pendant le mois qui a suivi le retrait du Vioxx, c'est-à-dire le mois d'octobre 2004, les ventes de Celebrex ont augmenté de 30 %, ce qui compte tenu du besoin et de la tentation de report n'est qu'apparemment paradoxal.
La version révisée des données préliminaires communiquées en novembre 2004 par le Dr Graham (FDA) a été publiée par la revue britannique « The Lancet » le 25 janvier 2005 et fait état d'un total de 88.000 à 140.000 cas supplémentaires de « maladie cardiaque sévère » aux Etats-Unis entre 1999 et 2004 (période de commercialisation). Ces chiffres, résultats d'une extrapolation réalisée à partir de deux essais cliniques restent entachés d'une « grande marge d'incertitude » selon les commentateurs spécialisés 38 ( * ) . Le Pr Nicholas Moore (déjà cité) qui doit publier prochainement l'étude attendue sur la France, considère de son côté « que cette étude est fragile et manque de puissance » 39 ( * ) .
4.3. Quels enseignements pour les agences du médicament ?
L'extrême acuité d'une question dont le développement ne fait sans doute que commencer avec le Vioxx ne permet pas de tirer des « enseignements stabilisés » et en tout cas pérennisés. Mais sa remise en perspective avec les problèmes de fond qui ont été identifiés autorise à pointer les difficultés et, d'autre part, à rappeler les impératifs auxquels les procédures et les instances doivent rester soumises.
4.3.1. Des difficultés croissantes
* Identifiées depuis longtemps pour la plupart, elles sont devenues plus aigues au fur et à mesure des développements scientifiques et technologiques, notamment de la puissance des médicaments, de la capacité à en mesurer les effets, de la lourdeur et de la longueur des recherches, de la complexité des procédures d'expertises, ainsi que celles d'autorisation de mise sur le marché. En outre, l'évaluation, les exigences de sécurité se situent à un niveau de plus en plus élevé alors qu'on attend en même temps une efficacité de plus en plus grande.
Or, on se trouve ici dans un domaine spécifique avec la nécessité de tirer des éléments de comparaison exprimés en terme de souffrance, maladie et mort. Le rapport n'est pas en termes de « coût/avantage », mais cela doit être souligné de « bénéfice/risque ». Si le risque zéro n'existe nulle part, dans le domaine pharmaceutique le risque non négligeable est généralement avéré, en rapport avec le bénéfice médical attendu. Il n'est donc pas anormal que des médicaments puissent être risqués, voire dangereux (certains anticancéreux par exemple). Le point d'équilibre est donc difficile à déterminer et l'évolution naturelle renforce cette difficulté.
* Le poids de la dimension financière des exigences du marché n'est pas moindre et, on le voit avec le cas du Vioxx, la stratégie de recherche et de développement commercial d'un nouveau médicament a éclipsé brutalement le critère premier qui devait rester celui du bénéfice médical ajouté.
On retire l'impression fort inquiétante que la procédure du retrait du Vioxx par Merck devait surtout satisfaire les procédures boursières en réservant, comme la SEC le prévoit, la primeur de l'information aux actionnaires.
* Enfin, ne doivent pas être oubliées non plus les contraintes que représentent pour l'industrie pharmaceutique la longueur des procédures d'AMM, le coût des recherches et des besoins cliniques qui justement doivent apporter davantage de garanties que par le passé, la durée de vie commerciale limitée des médicaments et la judiciarisation peut décourager l'innovation scientifique. On aura garde d'oublier aussi le poids de la promotion auprès du corps médial qui s'illustre en France entre autres par l'existence d'un réseau de 23.000 visiteurs médicaux pour 206.400 médecins (de ville et hospitaliers).
4.3.2. Les impératifs confirmés
4.3.2.1. Les principes généraux
* Les principes fondamentaux des procédures d'expertise d'autorisation et de surveillance des médicaments ont naturellement des objectifs de sécurité et d'efficacité qui sont par essence universels, mais leur délivrance selon les cultures et les époques peut enregistrer des variations. En plein développement de la crise du Vioxx, l'adjointe au directeur général de l'AFSSAPS, Mme Emmanuelle Wargon, indiquait ainsi (dépêche AFP du 24 novembre 2004) : «L'AFSSAPS est au service de la sécurité sanitaire et de la protection des patients. La FDA dit explicitement qu'elle est au service de l'innovation, de la rapidité d'accès des produits au marché, ce qui est un peu différent ».
* Dès lors, ce sont les conceptions mêmes de la fonction des autorités investies des procédures d'autorisation et de surveillance qui ne se recoupent pas exactement. Une telle distinction apparaît d'ailleurs au sein même de l'Union européenne lorsque l'on observe une tendance récente « à faire vite » et peut conduire à une concurrence entre les agences nationales dans le cadre de la procédure de reconnaissance mutuelle. On a ainsi toutes les raisons d'être inquiets pour l'avenir sachant que lorsqu'il y a vote, chaque Etat-membre dispose du même poids.
* S'agissant de la sécurité de la procédure d'AMM, la conception et les pratiques du dispositif français à travers l'AFSSAPS et dans le cadre européen, en partie inspirée précisément de l'expertise et des procédures françaises, doivent être confortées et non remises en cause. Il y a lieu de rappeler que les crises majeures enregistrés à ce jour n'ont pas impliqué directement les autorités françaises dont la prudence où le jugement ont été moins mis en cause que d'autres (cérivastatine, THS et Vioxx).
Des exigences de renforcement des essais cliniques peuvent être recevables, mais les limites physiques, financières et cliniques risquent d'être rapidement atteintes compte tenu du niveau déjà élevé. On sait que la majorité des essais sont plutôt faits sur des hommes majeurs, non âgés et indemnes d'affections autres que celles visées par le médicament. Le spectre est donc à élargir ; mais on devine sans peine les difficultés, surtout éthiques, que cela pose avant même toute considération méthodologique et financière. C'est précisément lorsque la diffusion d'un médicament dépasse nettement les quelques milliers d'essais pour être ensuite répandu dans le public, que l'on peut « espérer » réparer des effets indésirables ou des insuffisances qui ne sont pas identifiables avant.
4.3.2.2. La transparence des essais cliniques
La transparence des essais cliniques est une exigence essentielle qui avait été formulée de différents côtés, notamment aux Etats-Unis, et à différentes reprises. Pour la satisfaire enfin, il aura fallu le bouleversement entraîné par l'affaire du Vioxx. En effet, le 6 janvier 2005, la fédération internationale des associations de producteurs pharmaceutiques (IFPMA) avec les trois fédérations continentales de l'industrie pharmaceutique (Amérique - Europe - Japon) ont dans une démarche commune annoncé qu'elles « s'engagent à augmenter la transparence des essais cliniques menés par leurs membres ».
Ces associations reconnaissent l'importance de la diffusion des informations en la matière pour les praticiens des soins de santé et pour les patients. Les informations sur les essais cliniques en cours, qui doivent permettre de déterminer les effets thérapeutiques d'un médicament, devront être consignées dans un registre accessible au public, gratuitement, dans les 21 jours suivant le démarrage de ces essais. Ce registre contiendra les informations de base pour chaque essai, de sorte que les patients et leurs médecins disposent de toutes les données nécessaires sur la manière d'y participer. Les résultats des essais cliniques menés sur des médicaments qui ont obtenu une autorisation de mise sur le marché et qui sont commercialisés, dans au moins un pays, devront ensuite être consignés dans une base de données également accessible au public. Lorsque ces résultats seront publiés dans un journal médical, la base de données devra inclure une citation de cet article ou un lien vers cet article.
En France, le LEEM (Les entreprises du médicament) a confirmé et précisé le 11 janvier 2005 la mise en oeuvre de ces engagements pour ce qui le concerne en indiquant que la création du « registre d'essais cliniques » serait mis en place le 1 er juillet 2005.
4.3.2.3. La pharmacovigilance
C'est donc en outre par un développement d'une pharmacovigilance systématisée, d'un suivi post-AMM formalisé à rendez-vous fixes et contraignants que l'on peut espérer réaliser des progrès substantiels. On a vu également que la iatrogénie médicamenteuse « classique » exigeait elle aussi de nouveaux efforts (cf. supra). Cela implique que la formation et l'information du corps médical soient renforcées par rapport à celles observées aujourd'hui en France.
4.3.2.4. L'information du corps médical
Ce point étant naturellement important, mais éloigné de l'évaluation de la loi de 1998 qui est l'objet du présent rapport, on se gardera de tout diagnostic définitif. Il convient simplement de rappeler que l'on ne saurait accepter que l'essentiel de l'information thérapeutique soit distribuée par les 23.000 visiteurs médicaux que la France compte aujourd'hui. C'est pour le moins unilatéral et insuffisant.
L'enseignement de la thérapeutique n'a pas dans le milieu hospitalo-universitaire la place qu'il devrait avoir. Alors que la puissance des médicaments se développe à un rythme accéléré, il devient encore plus urgent que les responsables mettent un terme à cette lacune.
L'AFSSAPS elle-même a une perspective de développement considérable et son intervention est tout à fait nécessaire et attendue : les différents intervenants s'accordent à reconnaître que l'Agence dispose sinon de « trésors », du moins de ressources considérables qui sont actuellement inexploités et dont les médecins, généralistes notamment, pourraient tirer le plus grand profit. On peut espérer que la résolution des problèmes informatiques (cf. supra) permettra d'atteindre cet objectif.
4.3.2.5. La position des experts
La résolution des conflits d'intérêts s'apparente rapidement à la quadrature du cercle. On ne reviendra pas sur les rapports entre l'expertise interne et l'expertise externe qui a déjà été traitée (cf. supra) et qui n'apporte pas de réponse au problème ; la situation des pays dont les Etats-Unis, où l'expertise interne a une beaucoup plus grande place montre que les conflits d'intérêts y posent des difficultés considérables.
La publication des listes de déclarations d'intérêts des experts membres de comités spécialisés entraîne des remarques critiques, mais c'est précisément l'absence de déclarations antérieures qui est d'abord la plus critiquable ! Le respect de la déontologie élémentaire passe d'abord par la transparence.
La possibilité de recourir à un vivier fourni d'experts nombreux et compétents est certainement l'un des moyens d'éviter des dérives. La promotion de la fonction d'expertise au niveau des curriculum vitae des chercheurs dans ce domaine scientifique aussi, comme dans d'autres où la situation est grave (toxicologie), est un impératif ; l'expertise passe malheureusement souvent après la prise en compte de publications dont le statut et la valeur mériteraient dans certains cas d'être sérieusement vérifiés. La responsabilité en incombe ici directement aux autorités universitaires.
4.3.2.6. La dimension économique de la recherche pharmaceutique
La récente fusion absorption Aventis/Sanofi-Synthelabo a permis de noter que la première de ces entités, elle-même issue de fusions successives, n'indiquait pas un nombre de projets de nouveaux médicaments en rapport avec ce que ces regroupements antérieurs auraient pu laisser supposer. C'est la une illustration d'une manière générale des limites de l'argument que l'on avance systématiquement en faveur de la contribution de « grands groupes ».
La réduction du nombre de nouveaux médicaments lancés au cours de la dernière décennie est aussi à remarquer, dans le domaine des antibiotiques par exemple.
La diminution des prix, la baisse des prix de remboursement, les menaces de procès systématiques pèsent aussi sur les perspectives. Or une crise considérable comme celle du Vioxx est de nature à réduire encore les perspectives de développement donc de recherche. Certes des perspectives nouvelles comme celles des bio-médicaments peuvent apporter des éléments favorables à une évolution inverse, mais leur importance reste à apprécier.
Aussi, mais il s'agit là d'une observation plus que d'une prescription, on peut craindre un ralentissement de nouvelles découvertes pharmaceutiques, ce qui constitue une préoccupation sérieuse qui doit rentrer en ligne de compte dans l'orientation des politiques, tout en prenant place dans une vision sanitaire plus large intégrant des actions de prévention fortes et organisées.
* 34 Rapport établi en mars 1998 par le Pr Patrice Quéneau, professeur de thérapeutique, médecin des hôpitaux CHU de St Etienne, Président de l'association pédagogique nationale pour l'enseignement de la thérapeutique.
* 35 Enquête américaine conduite par la Women's Health Initiative et en Grande-Bretagne sous le nom de Women Million Study.
* 36 Outre les AINS « classiques » utilisés comme anti-inflammatoires ou antalgiques, cette classe pharmacologique comprend également l'acide acétylsalicylique (aspirine) quand il est utilisé à des doses supérieures à 500 mg/jour.
* 37 Cité dans Le Figaro du 11 novembre 2004 par M. J.M. Bader.
* 38 Le Monde du 25 janvier 2005.
* 39 Le Figaro (25 janvier 2005).