3. Une politique de protection confrontée à de nouveaux défis
a) Le bilan positif de l'action du Conservatoire du littoral malgré des moyens encore insuffisants
L'objectif du « tiers nature », mentionné par le rapport Piquard, s'est traduit par une multiplication des zonages protecteurs pour deux raisons. En premier lieu, le droit communautaire est de plus en plus prégnant : deux directives européennes, sur la protection des oiseaux en 1979 et sur la protection des habitats de la faune et de la flore en 1992, transposées dans le code de l'environnement, élargissent le cadre des mesures nationales en faveur de la protection de la nature. Par ailleurs, la convention de Ramsar , entrée en vigueur le 21 décembre 1975, joue un rôle important dans la conservation des zones humides littorales : sur un total de 22 zones ayant fait l'objet d'une désignation au titre de cette convention, 16 sont situées sur des territoires relevant de la « loi littoral ». En second lieu, les espaces littoraux font l'objet de nombreuses protections : arrêtés de protection de biotope , réserves naturelles (sur un total de 154 réserves naturelles, 29 sont littorales, couvrant une superficie de 39.976 hectares, soit 7 % de la surface totale des réserves naturelles), parcs naturels régionaux , sites classés au titre de la loi du 2 mai 1930 sur les sites (700 sites classés sur le littoral sur 2.700), directives paysagères . Ces quelques données ne permettent pas d'établir un bilan exhaustif des espaces protégés, qui n'existe pas à l'heure actuelle, alors qu'il constituerait un outil précieux pour évaluer les effets de la loi en terme de protection. Il n'existe pas non plus de données exhaustives actualisées sur la proportion d'espaces remarquables sur l'ensemble du littoral, les derniers chiffres disponibles remontant à 1994 (plus de 300.000 hectares, soit 14 % de la superficie des communes littorales).
Compte tenu de l'ampleur des pressions foncières évoquées, le bilan de l'intervention du Conservatoire du littoral apparaît globalement positif . Son patrimoine, en augmentation moyenne de l'ordre de 2.500 hectares par an depuis 1975, recouvre environ, au 1 er janvier 2004, 71.000 hectares, soit 11 % du linéaire côtier. On observe d'importantes variations d'une région à une autre, puisque cette part s'élève à 21 % en Corse, et à seulement 8 % sur la façade Atlantique. Dans les départements d'outre-mer, les superficies acquises par le Conservatoire depuis 1975 représentent au total 705 ha à la Guadeloupe, 1.596 ha à la Martinique, 3.417,5 ha en Guyane, 777,5 ha à La Réunion et 715 ha à Mayotte, soit un total de 7.211,5 ha. S'agissant de la remise en gestion au Conservatoire des parcelles des espaces naturels de la zone des cinquante pas géométriques, si le processus est avancé dans certains départements , comme la Guadeloupe , où environ 1.000 hectares (132 km de rivage) ont été remis en gestion en 2003, en Martinique, en revanche, le travail engagé n'a pas encore abouti. En Guyane, il est prévu de remettre en gestion au Conservatoire environ 70 ha d'espaces naturels , tandis qu'à La Réunion, le travail reste entièrement à réaliser .
Les collectivités territoriales participent activement à la protection de ce patrimoine puisque les communes et leurs groupements assurent la gestion des deux tiers des sites , cette part étant portée à 90 % si l'on ajoute les départements et les syndicats mixtes (sous forme de conventions de gestion, actuellement au nombre de 308). Comme le relevait notre collègue M. Louis Le Pensec dans son rapport de 2001 6 ( * ) , c'est le partenariat avec les collectivités territoriales qui explique en grande partie le succès et le bilan du Conservatoire . Outre les conventions de gestion, ce partenariat résulte de la consultation des communes avant les acquisitions, de celle des conseils de rivages, et, enfin, de la contribution de nombreux départements et régions aux dépenses d'acquisition et d'aménagement. Les élus locaux, maires, conseillers généraux et régionaux reconnaissent de façon presque unanime l'intérêt de l'action du Conservatoire.
Malgré ce bilan positif, la question des moyens financiers et humains de l'établissement se pose de manière récurrente et avec de plus en plus d'acuité en raison, d'une part, du renchérissement du foncier, d'autre part, du coût de gestion croissant occasionné par les acquisitions . La préservation des espaces acquis par le Conservatoire implique en effet des travaux qui, d'après ses indications, sont aujourd'hui freinés par la faiblesse des effectifs de l'établissement. A titre d'exemple, la valorisation du patrimoine bâti, notamment, est conduite à un rythme très inférieur aux besoins. En outre, l'extension de l'activité du Conservatoire outre-mer, qui pourrait aboutir à une zone d'intervention potentielle de 70.000 hectares, rend encore plus aigue la question de ses moyens.
Ce constat invite, en premier lieu, à faire preuve de pragmatisme en n'étendant pas outre mesure le champ d'intervention du Conservatoire afin de lui permettre de se consacrer à ses missions fondamentales , position adoptée par les parlementaires qui ont, lors de la discussion du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, restreint l'extension du champ d'intervention de l'établissement public aux seules zones humides littorales. Il doit conduire, en second lieu, à une réflexion sur une modification de l'architecture institutionnelle du Conservatoire.
b) De nouveaux risques
La question de l'érosion des côtes, certes ancienne, se pose désormais avec acuité. D'après le bilan de l'Institut français de l'environnement (IFEN) établi en 2002, qui déplore l'absence de vision nationale sur le sujet, « le littoral est soumis à des phénomènes naturels comme l'engraissement ou le recul, qui sont parfois aggravés par l'action humaine. L'érosion côtière, par exemple, qui concerne l'ensemble des façades maritimes françaises, préoccupe un grand nombre de communes littorales. »
A titre d'exemple, on rappellera que, dans la région Nord-Pas-de-Calais, l'érosion la plus spectaculaire frappe la commune de Wissant, en particulier dans le secteur de la dune d'Aval, où un recul de deux mètres par an a été observé de 1971 à 1995. De même, le recul moyen sur l'ensemble du littoral à falaises haut-normand et picard est de six mètres sur la période 1966-1995, soit un recul moyen annuel de l'ordre de vingt centimètres par an.
Le problème de l'érosion pourrait en outre être accentué par la hausse du niveau de la mer liée au changement climatique : les évaluations récentes prévoient une accélération avec, d'ici la fin du XXI e siècle, une hausse du niveau planétaire de la mer comprise entre 14 et 80 cm d'après l'avant-projet de rapport de la DATAR.
Une étude réalisée par le Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF) en septembre 2001, montre une hausse tendancielle d'environ 1,3 mm par an sur les côtes européennes, ce que confirme l'analyse statistique pour les côtes françaises. Les effets de cette hausse sont importants : augmentation de la fréquence et de la force des tempêtes, pénétration en amont des coins salés des estuaires, érosion des falaises et des plages. Tous ces phénomènes ont et auront des répercussions sur le coût d'entretien des ouvrages d'eau et sur le dimensionnement des ouvrages à venir qu'il importe de prendre en compte.
Aussi est-il indispensable de développer la recherche en renforçant la synergie entre les différents organismes qui en ont la charge (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer, service hydrographique et océanographique de la marine, bureau des recherches géologiques et minières, universités...) et les collectivités territoriales. Cette nécessité est également soulignée au niveau communautaire, comme en témoigne la liste des recommandations établies par les experts européens adressée aux Etats membres sur ce sujet 7 ( * ) .
* 6 Vers de nouveaux rivages. Sur la refondation du Conservatoire du littoral - La Documentation française - 2001.
* 7 Ces recommandations, publiées mi-mai 2004, préconisent la prise en compte du coût de l'érosion dans la planification et les décisions d'investissement, l'élaboration de plans régionaux de gestion des sédiments à long terme et la production de données techniques et scientifiques sur le phénomène d'érosion. Elles devraient être intégrées dans la stratégie sur la protection des sols en cours d'élaboration.