B. DES MESURES D'APPLICATION TARDIVES ET INCOMPLÈTES
Un certain nombre d'articles de « loi littoral » sont longtemps restés lettre morte, faute de mesures d'application. Le plus symbolique est sans doute l'article 41 , qui prévoyait le dépôt d'un rapport annuel par le Gouvernement devant le Parlement sur l'application de la loi et sur les mesures spécifiques prises en faveur du littoral. Un seul rapport a été déposé en dix-huit ans, en 1999 ! En outre, la marge d'interprétation de la loi en fonction des situations géographiques rendait nécessaire sa traduction en fonction des réalités locales, rôle imparti aux documents de planification, dont le bilan est également très insatisfaisant.
Si plusieurs décrets d'application ont été publiés dix-huit ans après la publication de la loi, d'autres ne sont toujours pas parus et les décrets relatifs aux espaces remarquables sont contestés.
1. Des décrets parus dix-huit ans après la loi
La « loi littoral » renvoyait, pour la détermination de son champ d'application, à trois décrets, sur la fixation de la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas (article L. 321-2 du code de l'environnement), celle des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux (article L. 146-1 du code de l'urbanisme), et enfin celle des estuaires les plus importants (article L. 146-4 du code de l'urbanisme).
Dans un arrêt du 28 juillet 2000, le Conseil d'Etat a d'abord jugé que la publication des décrets d'application de la loi constituait une obligation , et a enjoint l'Etat de les publier dans un délai de six mois, sous peine d'une astreinte de 152 € par jour de retard, ce délai ayant expiré au mois de février 2001 8 ( * ) . Le juge administratif a ensuite indiqué que le décret prévu par l'article L. 321-1 du code de l'environnement n'était pas nécessaire pour que la loi s'applique : il s'est donc reconnu le pouvoir de vérifier si une commune estuarienne doit ou non être qualifiée de commune littorale , à partir du critère de participation aux équilibres écologiques ou économiques littoraux prévu par la loi. En revanche, le juge a indiqué que l'absence de décret faisait obstacle à l'application de la loi aux rives des estuaires plus importants 9 ( * ) . Dans son rapport remis en 1999, le Gouvernement s'est contenté d'exposer, pour expliquer les motifs de ce retard, que la préparation de ces décrets avait dû faire l'objet de longues concertations, et a conclu ainsi : « au cours de la procédure, il est apparu qu'un certain nombre de communes ont émis des avis défavorables sur l'application de ces dispositions à leur territoire ce qui a conduit à ne pas prendre les décrets. »
Le décret fixant la liste des communes riveraines des estuaires et deltas, et celle des estuaires les plus importants a finalement été publié le 29 mars 2004 (décret n° 2004-311 du 29 mars 2004).
Le décret susceptible de préciser les modalités de délimitation du domaine public maritime prévu par l'article 26 de la « loi littoral » , qui aurait dû réduire les contestations et contentieux issus de l'inadaptation des procédures, n'est paru qu'en mars 2004 . En conséquence, depuis dix ans, très peu de délimitations ont été effectuées, en raison de l'ancienneté des textes applicables, tels que le décret du 21 février 1852. La procédure traditionnelle, datant d'une circulaire de 1920 , exigeait la convocation d'une commission à un jour donné, qui ne pouvait donc presque jamais coïncider avec les conditions correspondant à la définition du Conseil d'Etat fixant la limite du domaine public maritime « au point jusqu'où les plus hautes eaux de la mer peuvent s'étendre, en l'absence de perturbations exceptionnelles » , quel que soit le rivage et la période de constatation 10 ( * ) .
Le décret n° 2004-309 du 29 mars 2004, qui modifie ou abroge les textes antérieurs, prévoit que le préfet prend l'arrêté de délimitation, sauf avis défavorable du commissaire-enquêteur, et propose une liste de procédés scientifiques acceptables pour délimiter le rivage de la mer ( critères topographiques, critères morpho-sédimentaires et botaniques, critères historiques).
Enfin, un décret n° 2004-308 du 29 mars 2004 relatif aux concessions d'utilisation du domaine public maritime en dehors des ports a remplacé et abrogé le décret n° 79-518 du 29 juin 1979 relatif aux concessions d'endigage et d'utilisation des dépendances du domaine public maritime en dehors des ports, afin :
- d'abroger des dispositions devenues obsolètes, de simplifier et de déconcentrer les procédures ;
- de mettre un terme à la priorité reconnue aux communes pour les concessions d'endigage non translatives de propriété, qui était dépourvue de base légale ;
- de prendre en compte les articles 25 et 27 de la « loi littoral » du 3 janvier 1986, qui interdisent, en dehors des ports et des zones industrialo-portuaires et sauf exceptions limitées, qu'il soit porté atteinte à l'état naturel du rivage de la mer.
* 8 Conseil d'Etat, 28 juillet 2000, France-Nature-Environnement. D'après les informations fournies par le ministère de l'équipement, l'astreinte a été liquidée à hauteur de 10.000 €.
* 9 Conseil d'Etat, Avis, 5 octobre 1998, Préfet du Finistère c/ M. Le Hir.
* 10 Conseil d'Etat, 12 octobre 1973, Kreitman.