2. Des conséquences préjudiciables
La « loi littoral » n'a pu, à elle seule, maîtriser ces mutations, laissant ainsi un certain nombre de problèmes sans réponse : conflits d'usage, réduction de l'activité agricole sous l'effet de la pression foncière, saturation des ports de plaisance, occupations illégales du domaine public maritime.
a) Des conflits d'usage
La « loi littoral » n'a pas permis de résoudre les conflits d'usage , qui concernent aussi bien l'usage de la mer que de la terre. Bien plus, l'accentuation des pressions sur le rivage terrestre se traduit par une croissance des revendications sur la partie immergée du domaine publique maritime.
Ainsi, la pêche, activité dont on connaît par ailleurs les difficultés structurelles liées à la baisse tendancielle de la ressource halieutique, souffre des travaux et aménagements côtiers urbains et industriels lorsqu'ils mettent en cause des zones de frayères : endiguements, opérations de poldérisation, travaux liés à l'enfouissement de câbles sous-marins, aux extractions de matériaux et granulats marins .
La multiplication prévisible des implantations d'éoliennes en mer suscite de nouveaux conflits. Le développement de la filière éolienne « offshore » est en passe de devenir une priorité, comme le souligne le rapport du secrétariat général de la mer de 2002. Or un tel développement pose des questions majeures . A titre d'exemple, le projet d'implantation d'un parc éolien offshore sur la côte d'Albâtre entre Dieppe et de le Tréport suscite l'inquiétude de nombreux pêcheurs.
Autre type de conflit, celui qui oppose, en mer, les plaisanciers et conchyliculteurs sur l'usage des plans d'eau, notamment à l'occasion d'un projet de création d'une concession de cultures marines sur un plan d'eau très fréquenté en matière de loisirs nautiques . Le problème essentiel de l'aquaculture reste en effet celui de l'espace littoral et de la qualité du milieu, indispensable pour un site d'élevage, qui dépend en grande partie des rejets agricoles, industriels et domestiques , tout au long des bassins versants. Certains secteurs devenus non productifs ou inexploitables devant être en contrepartie abandonnés, la conchyliculture a besoin d'emprises nouvelles . La plaisance souffre quant à elle d'un déficit structurel de places . Or l'insuffisance des instruments de régulation de ces conflits est préjudiciable pour ces deux activités, l'augmentation du nombre de mouillages sauvages étant particulièrement gênante pour le développement des activités aquacoles.
Enfin, dernier exemple de conflits, et non des moindres, celui qui oppose, à terre, les activités traditionnelles et le tourisme, les résidents permanents et les résidents secondaires, qui fait monter la pression foncière à des niveaux très élevés. Le développement d'une « économie résidentielle » induit de fortes tensions foncières, qui pèsent sur le développement des activités productives. Deux sociétés se « percutent » dans une confrontation qui, pour les raisons évoquées précédemment (âge des exploitants, difficulté à trouver un repreneur), ne s'exerce pas vraiment à armes égales. Les chambres d'agriculture le soulignent : lorsque l'espace agricole est convoité par l'urbanisation, l'agriculture peine à lutter contre les changements de destination et à se maintenir . Celle-ci joue pourtant, à l'inverse du développement des résidences secondaires, un rôle majeur de préservation et d'aménagement du territoire par le maintien et la création d'emplois permanents.
b) La saturation des ports de plaisance
Comme le souligne la Fédération française des ports de plaisance : « Avec 54.000 places manquantes dans les ports de plaisance maritime, lacustres ou fluviaux, la situation est un véritable casse-tête pour les communes dotées de tels équipements » . Ce phénomène est plus accentué dans certaines zones, notamment dans le Sud de la France, puisqu'on compte 54.000 places manquantes dont 33 % en région PACA, 24 % sur le littoral Atlantique, 16 % en Bretagne, 9 % en Languedoc Roussillon, 9 % en Corse, et 9 % sur le littoral de la Manche.
Les conséquences de cette saturation sont extrêmement préjudiciables. La plupart des ports présente souvent des listes d'attentes considérables, avec des durées de l'ordre de plusieurs années , ce qui entraîne une surenchère du prix des anneaux. Ces listes d'attente occasionnent, pour les gestionnaires de ports, un coût de gestion de plus en plus important . De plus, la demande très forte qui s'exerce sur les ports français, pour le stationnement résidentiel des bateaux peut amener à réduire la capacité d'accueil des bateaux en escale, phénomène renforcé par la présence de « bateaux-ventouses » dans certains ports . Par ailleurs, le manque de places peut conduire au développement de mouillages sauvages qui dégradent le milieu naturel. Enfin, comme le relève la direction du transport maritime, des ports et du littoral (DTMPL), le déficit de places commence à peser sur l'industrie nautique française, secteur qui emploie plus de 9.000 personnes .
Une étude réalisée à l'initiative de la direction du transport maritime des ports et du littoral et de l'Agence française de l'ingénierie touristique, avec la participation de la Fédération française des ports de plaisance et de la Fédération des industries nautiques, et présentée au mois de novembre 2003 au Palais du Luxembourg retient plusieurs pistes intéressantes pour remédier à ces difficultés : reconversion à la plaisance de zones portuaires, densification des mouillages, développement des ports à sec, création de parcs à bateaux avec rampes de mise à l'eau, développement des pratiques locatives ou collectives, optimisation de la gestion des capacités et mise en réseau des ports. Avec la création d'un comité pour le développement des capacités d'accueil de la plaisance réunissant les principaux acteurs concernés, elle témoigne de la volonté d'élaborer une politique globale pour ce secteur .
Celui-ci manque encore aujourd'hui d'une vision d'ensemble et, surtout, de la possibilité d'élaborer des solutions en partenariat avec les autres activités , comme en atteste l'échec des schémas de mise en valeur de la mer . Un document permettant, en amont de la décision de création ou d'extension d'un port de plaisance, à une échelle géographique satisfaisante, c'est-à-dire sur l'ensemble d'un bassin littoral donné, d'étudier l'impact des différents projets, leurs effets économiques et leurs effets sur l'environnement s'avère nécessaire .
c) L'occupation du domaine public maritime
Le littoral français en métropole comme dans les départements d'outre-mer est touché par un phénomène important d'urbanisation illégale, forme de réponse spontanée à une demande sociale très forte . Celle-ci est visible à travers le « durcissement » de l'habitat précaire , notamment par la transformation des campings en mobile homes. Le problème est également aigu dans les DOM, puisque, d'après les informations recueillies par votre rapporteur, on estime à 1.500 le nombre de constructions irrégulières réalisées en Guadeloupe depuis 1995.
Or, comme l'a relevé M. Yvon Bonnot, président de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL), lors de son audition, la transformation progressive des terrains de camping en lotissements est préoccupante, les maires n'ayant bien souvent pas les moyens de surveiller ces terrains ni d'imposer la destruction des constructions illégales. C'est également ce que relevait M. Xavier Bertrand, alors député, dans une question écrite du 6 octobre 2003 : « nombreux sont ceux qui profitent d'autorisations normalement temporaires pour contourner la loi. Il en est ainsi de la création ex nihilo de villages permanents dans des zones pourtant inconstructibles avec l'installation de « mobile homes » qui, disposant de roues, échappent à la législation en vigueur et portent un préjudice grave à notre patrimoine national 5 ( * ) » . D'après la DTMPL, seules 400 contraventions de grande voirie pour occupation illégale du domaine public maritime sont dressées chaque année. On relèvera à cet égard que, si la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a donné un statut législatif aux gardes du littoral et leur a attribué des fonctions de police judiciaire , ceux-ci n'ont pas de compétence pour dresser des contraventions de grande voirie , alors même qu'une telle extension permettrait de renforcer la protection du domaine public. Le régime des contraventions de grande voirie présente en effet des avantages nombreux : obligation de poursuite, responsabilité objective, possibilité de condamner à une remise en état, imprescriptibilité des poursuites visant à la réparation des dommages causés.
Le problème de l'occupation illégale se pose à une toute autre échelle outre-mer , puisque le domaine public maritime a fait l'objet, depuis longtemps, d'occupations précaires peu à peu devenues définitives. Le bilan des diverses mesures visant à remédier à ce problème des constructions illégales sur le domaine public maritime est mitigé. Ainsi, s'agissant des dispositions relatives à la régularisation des titres dans le cadre de la « loi littoral » , il s'écoule souvent de nombreuses années entre la date d'examen d'un dossier par la commission des cinquante pas géométriques et l'arrêté préfectoral de déclassement . Le délai moyen est d'environ 40 mois , signe de problèmes administratifs rencontrés dans les services chargés des cinquante pas géométriques (service maritime de la direction départementale de l'équipement et service des domaines de la direction des services fiscaux) et surtout des difficultés des bénéficiaires à produire les documents de bornage des parcelles et les pièces prouvant qu'ils ont réuni la somme nécessaire au règlement du prix de la cession. S'agissant des dispositions relatives à la régularisation de titres dans le cadre de la loi du 30 décembre 1996 , les demandes déposées ont quasiment toutes été traitées : à titre d'exemple, en Martinique, sur les 601 demandes déposées, 600 ont à ce jour fait l'objet d'une décision de la commission départementale de vérification des titres, dont 451 validations de titres.
Or la validation des titres d'occupation des 50 pas, en limitant la continuité des sentiers côtiers, pose aujourd'hui avec acuité la question de la préservation de l'accès du public au rivage de la mer . De très nombreuses interventions émanant des préfets de Guadeloupe et de Martinique, des élus locaux et nationaux demandent ainsi l'extension par décret en Conseil d'Etat des dispositions législatives relatives aux servitudes de passage applicables en métropole prévues par l'article L. 160-6-1 du code de l'urbanisme.
* 5 Question écrite n° 26054 du 6 octobre 2003.