B. LA CJCE OU LE TRIOMPHE DU JURIDISME
L'intervention des institutions européennes dans le secteur du football la plus retentissante a été le fait de la Cour de Justice des communautés européennes , à travers l'arrêt Bosman de 1995 .
Par cet arrêt, la CJCE portait à son comble le processus de banalisation du football professionnel, en déréglementant entièrement le marché du travail des footballeurs, et, ainsi, du fait des caractéristiques propres au secteur, ouvrait la voie à l'amplification des déséquilibres sportifs et économiques observables.
La logique de l'arrêt Bosman découle entièrement de ses prémisses, qui sont les suivantes : le football professionnel est une activité économique ; il convient de lui appliquer les règles européennes du droit économique.
Cette logique est tempérée par la considération d'un champ particulier au football, le champ spécifique des valeurs sportives. Mais précisément, l'arrêt Bosman borne ce champ à très peu de choses.
L'analyse détaillée de l'arrêt permet de dégager quelques enseignements importants :
l'arrêt fait prévaloir les principes européens d'organisation économique sur les valeurs politiques attachées au football comme activité culturelle largement répandue, et, ce, au nom de la défense du principe des normes juridiques européennes ;
l'arrêt comporte, en filigrane, une appréciation très critique des conditions de régulation du football européen .
Cet aspect rarement souligné mérite un peu d'attention . L'arrêt abonde, en effet, en observations sur le fonctionnement du football européen. Ces observations ne peuvent être considérées comme étant le fruit du hasard puisqu'aussi bien la Cour aurait pu ne pas les produire, se contentant de faire application du principe de libre circulation, qualifiée par elle de « liberté fondamentale ». Il faut donc y voir la volonté de la Cour de stigmatiser le fonctionnement du football en Europe et, tout particulièrement, le rôle des associations en charge de sa réglementation, dont les arguments sont, un à un, contestés.
Deux messages principaux doivent être mis en évidence.
Tout d'abord, la Cour relève l'existence de situations financières très inégalitaires et, soulignant les liens entre ces inégalités et l'équilibre compétitif, elle estime que ce dernier est « considérablement altéré ». Ce diagnostic paraît, dans l'absolu, au moins aussi important que l'appréciation qu'il soutient selon laquelle les règles relatives aux transferts alors en vigueur n'apportent aucune correction à la situation décrite, appréciation, au demeurant, très discutable, comme on l'a déjà indiqué.
En outre, la Cour observe que l'équilibre sportif est tout autant compromis par la possibilité des clubs les plus riches d'acheter les meilleurs joueurs nationaux que par celle d'acheter les meilleurs joueurs étrangers . Cet argument débouche sur une conclusion plus que surprenante , la Cour absolvant une solution déséquilibrante par l'existence d'une autre source de déséquilibre, d'autant plus surprenante d'ailleurs que la Cour ne dispose pas de compétence sur les règles des transferts internes. Cette approche pour extrêmement critiquable qu'elle soit, n'est pas évoquée ici pour ce motif. Elle l'est parce qu' elle se réfère implicitement aux règles d'acquisition des joueurs qui prévalent dans le sport américain. Il est évidemment très remarquable que la Cour paraisse considérer que ces règles, qui accordent une priorité de recrutement des meilleurs joueurs aux équipes les moins bien classées, sont plus protectrices de l'équilibre sportif que l'absence de règles observable en Europe. En effet, l'ensemble de la réglementation prévalant aux Etats-Unis repose sur un principe et des instruments juridiques qui consacrent pleinement l'exception sportive et écartent l'application des règles de droit commun de la concurrence et du marché du travail.
Dans ces conditions, il est stupéfiant que la Cour, par l'arrêt Bosman , ait éliminé les quelques règles restantes , à moins de considérer son arrêt comme un appel à une pleine consécration juridique de l'exception sportive dans le droit européen.