2. Des compléments à apporter à partir d'une approche raisonnable
La problématique, en fonction de laquelle il convient d'apprécier l'état du régime juridique des clubs, est des plus simples. Elle consiste à partir du souci de concilier le respect de l'éthique sportive et liberté de développement économique qui, dans le secteur du football professionnel, est de plus en plus indispensable à l'affirmation de l'identité sportive.
Parmi les restrictions existantes, certaines semblent correspondre à cette préoccupation, d'autres ne le semblent pas.
a) L'interdiction de la multipropriété, une règle justifiée à compléter
L'interdiction de la multipropriété privée dans une même discipline sportive part de l'idée que la propriété par un même opérateur financier de plusieurs clubs sportifs participant à des compétitions dans une même discipline est de nature à porter préjudice à l'équité sportive.
Pour cette raison, elle est généralement interdite au niveau de chaque Etat membre de l'Union européenne, soit par le biais de règlements fédéraux, soit par le biais de dispositions étatiques.
LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA MULTIPROPRIÉTÉ DE CLUBS DE FOOTBALL DANS LES PAYS EUROPÉENS
Au Portugal , l'article 19 du décret-loi du 3 avril 1997 interdit à une société à objet sportif de détenir des parts du capital social d'une société de même nature. Son article 20 limite quant à lui l'exercice des droits sociaux des personnes qui sont actionnaires dans plus d'une société à objet sportif. Cette limitation s'étend à la famille de l'actionnaire ainsi qu'aux sociétés qu'il contrôle.
En Espagne , la loi du 15 octobre 1990 sur le sport prohibe la possession, directe ou indirecte, par une même personne d'actions de plusieurs sociétés anonymes sportives engagées dans la même compétition et représentant plus de 1 % du capital.
En Italie , elle n'est autorisée que si elle concerne des clubs appartenant à des divisions différentes.
Au Royaume-Uni , elle est possible à condition toutefois de ne pas détenir plus de 9,9 % du capital de deux ou plusieurs clubs.
En Allemagne , ce pourcentage est de 49,9 %.
En outre, tenant compte du caractère éminemment international du sport professionnel, certaines fédérations sportives européennes ont pris des dispositions en ce sens. Tel est le cas de l'Union européenne de football (UEFA) qui a pris, le 28 avril 1998, la décision suivante : « dans le cas où deux ou plusieurs clubs se trouvent sous un contrôle commun, seul un de ces clubs peut participer à la même compétition ».
Il est à souligner que le Tribunal arbitral du sport, par une sentence arbitrale du 23 août 1999, a eu l'occasion de donner raison à l'UEFA dans la mesure où ce règlement permettait de préserver l'intégrité sportive des compétitions et évitait toute confusion dans l'esprit du public.
Dans le même sens, la Commission européenne a pu préciser, en octobre 1998 que les règles des organisations sportives, visant à empêcher des clubs appartenant au même propriétaire de participer aux mêmes compétitions nationales ou internationales, pouvaient se justifier en raison de la nécessité de garantir l'incertitude des résultats sportifs, à condition que la mesure d'interdiction soit proportionnée au but recherché.
En France, le principe d'interdiction est contenu à l' article 15-1 de la loi du 16 juillet 1984 qui dispose qu'il est « interdit à toute personne privée, directement ou indirectement, d'être porteur de titres donnant accès au capital ou conférant un droit de vote » dans plus d'une société sportive française et dont l'objet social porte sur la même discipline. Le non-respect de cette disposition est sanctionné par la nullité des cessions contraires.
En outre, la loi française prohibe les aides financières apportées par un actionnaire à une autre société sportive française relevant de la même discipline. En vertu de l' alinéa 2 de l'article 15-1 de la loi du 16 juillet 1984 , il est interdit à tout actionnaire privé d'une société sportive de consentir un prêt, de se porter caution ou de fournir un cautionnement à une autre société relevant de la même discipline. Toute personne physique violant cette disposition encourt une amende de 300.000 F et un an d'emprisonnement.
L'objet du présent rapport n'est pas d'apprécier finement la qualité juridique des textes réglementant le football professionnel. Votre rapporteur considère que les dispositions actuellement en vigueur vont dans le bon sens. Toutefois, plusieurs problèmes restent en suspens.
Les premiers concernent les règles elles-mêmes . Au regard du principe d'utilité rappelé plus haut, il apparaît tout d'abord excessif d'étendre l'interdiction de participer au capital d'une entreprise sportive autant que le fait la loi. Plutôt que d'appliquer cette interdiction sans considération portée à la participation des entités concernées à une même compétition, il serait préférable de la contenir à cette hypothèse. Mais cette objection n'est pas la plus importante. Sous ce dernier angle, il apparaît nettement plus utile d'étendre les dispositions en vigueur à toute situation de dépendance financière entre clubs, au-delà de celles pouvant naître de la confusion des actionnaires . Des situations de cet ordre ne sont aujourd'hui pas couvertes, qu'il s'agisse de la possibilité pour l'actionnaire d'une société sportive d'être parallèlement membre d'une association sportive gérant un secteur professionnel, de la facilité ouverte à une même société de parrainer plusieurs clubs ou athlètes de la même discipline, de la conclusion de contrats de prêts de joueurs entre des clubs participant aux mêmes compétitions, ou encore de l'hypothèse de versements de dons ou de contrats sans véritable équilibre des contreparties.
Tel semble être le cas, selon les informations de presse disponibles, d'un contrat par lequel un groupe de télévision aurait pris l'engagement, en échange d'un droit d'option prioritaire d'acquisition de droits d'exploitation de tous leurs matches, de verser à quelques clubs de football une somme de plusieurs millions d'euros (250) sur sept ans. L'équilibre d'un tel contrat n'apparaît pas évident. Il dépend en effet de la probabilité de voir les clubs récupérer les droits en cause, qui, faut-il le rappeler, supposerait une modification de la loi.
En conclusion, il apparaît nécessaire à votre rapporteur de réformer le droit existant afin de l'ajuster plus étroitement aux finalités entièrement légitimes qu'il poursuit aujourd'hui. Une interdiction plus générale devrait être posée visant à prévenir toute situation de dépendance financière susceptible de jeter le doute sur l'intégrité des compétitions sportives.
Reste le problème , récurrent en matière de réglementation , de son application .
Celle-ci peut d'abord rencontrer des difficultés en raison de la complexité de certaines questions liées à l'interprétation des textes. Un exemple en est fourni dans le rapport du gouvernement sur la situation du sport professionnel rendu en 2001 à propos de la notion de participation indirecte.
Rappelant le rapprochement opéré entre les sociétés Vivendi et Pathé, dans un contexte où Pathé est actionnaire du club de football de l'Olympique Lyonnais à hauteur de 34 %, et où Canal Plus, filiale de Vivendi, détient 56,7 % des actions du Paris Saint-Germain, le rapport pose la question de savoir si Vivendi pourrait être considéré comme étant indirectement présent dans le capital de deux clubs professionnels français de football.
Etant remarqué que le rapport ne répond pas à cette question, il faut encore observer que nulle action n'a, semble-t-il, été, depuis, entreprise de la part des pouvoirs publics pour clarifier ce problème. Votre rapporteur ne peut que le déplorer.
b) Mettre fin au tabou de l'appel public à l'épargne
Comme on l'a précédemment relevé, la loi du 28 décembre 1999 instituant les sociétés sportives leur a dénié le droit de faire appel public à l'épargne, confirmant sur ce point la règle de principe posée par la loi du 16 juillet 1984 en son article 13.
En outre, l'autorité en charge des marchés financiers (AMF) a eu, récemment, l'occasion de se prononcer défavorablement sur une demande de l'Olympique Lyonnais visant à autoriser la cotation d'une holding
Cette décision fait suite à une précédente « jurisprudence », la Commission des opérations de Bourse s'étant opposée à l'accès au marché libre d'Euronext Paris d'un club belge au motif que les sources de revenus très aléatoires du club et la structure financière particulièrement faible de son bilan rendait l'opération trop risquée.
Cette dernière jurisprudence renvoie à l'une des difficultés que pose la cotation des clubs de football professionnel.
En pratique, leurs performances économiques apparaissent globalement médiocres , et leurs bilans ne présentent pas de véritable attractivité pour un investisseur raisonnable, pour des motifs tant juridiques qu'économiques . Autant les obstacles juridiques peuvent être levés par les pouvoirs publics, à condition d'opter pour des solutions techniquement adaptées 54 ( * ) , autant les handicaps économiques ne sont maîtrisables que par l'action combinée des pouvoirs publics mais aussi des acteurs eux-mêmes, ce qui suppose de résoudre un certain nombre de problèmes abordés dans le présent rapport.
Il reste que la mauvaise performance économique de nombreux clubs ne devrait pas être considérée comme constituant un argument définitif opposable à la cotation des clubs offrant des perspectives financières les rendant dignes d'accéder à l'épargne du public. Les contrôles effectués a priori par les autorités du marché sont précisément destinés à trier le bon grain de l'ivraie, comme le montre l'affaire du club belge précédemment mentionnée.
La capacité d'un club à traduire dans les faits des perspectives de développement a priori convenables demeure, il est vrai, un objet légitime de préoccupations .
Dans le présent rapport, le diagnostic sur l'économie du football est très mitigé. Il fait valoir que les clubs adoptant des stratégies de différenciation ambitieuses, qui sont aussi ceux ayant le plus d'intérêt pour la possibilité d'appeler publiquement à l'épargne, sont en situation de risques financiers et que cette situation est particulièrement accusée pour les clubs français du fait de leurs handicaps de compétitivité à l'échelle européenne. Cependant, quelques exemples étrangers, et hexagonaux, semblent montrer que des stratégies de gestion adaptées peuvent exister. Enfin, certains clubs bénéficient déjà, mais indirectement, des ressources de l'appel public à l'épargne. Il s'agit des clubs dont l'actionnariat est constitué en tout ou partie par des sociétés ayant accès aux marchés financiers. Votre rapporteur estime donc qu' il n'est pas raisonnable de les sanctionner en leur appliquant une interdiction , qui apparaît excessive dans sa généralité .
De la même manière, l' argument selon lequel l' accès à l'épargne publique pourrait engendrer un creusement des disparités économiques entre quelques clubs d'élite et les autres clubs ne lui paraît pas déterminant . Tout d'abord, il semble difficile, au vu des données disponibles, de retenir un scénario où les seuls « clubs à gros budgets » pourraient accéder à l'épargne publique ; les résultats économiques des « petits clubs » sont fréquemment meilleurs que ceux des « grands clubs ». Ensuite, si la solidarité financière entre les différents acteurs est un principe qu'il faut défendre, il serait mal venu de lui attribuer une portée qu'il n'a pas, ce qui serait le cas si on le traduisait dans une interdiction adressée aux clubs financièrement performants de réunir les moyens de leur développement. A cet égard, une diversification réussie des ressources de certains clubs apparaît, au contraire, comme un gage , au moins relatif, de maintien du système actuel de syndication des ressources communes .
La vraie difficulté est ailleurs, elle tient dans la préoccupation de protection du petit épargnant-supporteur .
Certaines expériences étrangères montrent que les risques de forte volatilité, voire d'effondrement des cours en cas de cotation en bourse, ne sont pas minimes. Au demeurant, la vive sollicitation financière supportée par nombre des actionnaires actuels de clubs professionnels de football montre que l'investissement dans un tel secteur est un « risky business ».
Evolutions du cours de bourse de deux grands clubs anglais sur trois ans
MANCHESTER UNITED PLC
LEEDS UNITED PLC
Cette caractéristique , que partagent d'autres activités économiques ayant accès à l'épargne du public, suffit-elle à justifier le maintien de l'interdiction en vigueur ? Votre rapporteur ne le pense pas .
En premier lieu , il partage le diagnostic du rapport de M. Jean-Pierre Denis tel qu'énoncé ci-après :
« Ce qui ne fait pas de doute, en revanche, c'est que l'appel public à l'épargne, en ce qu'il comporte une obligation de transparence comptable et de communication financière renforcée, sanctionnée par les autorités en charge des marchés financiers, est une garantie forte, même si elle ne peut bien sûr, à elle seule, prévenir de mauvais résultats économiques, dans le sport comme dans les autres domaines d'activité.
Une société souhaitant faire appel public à l'épargne pour financer sa croissance doit remplir un certain nombre de conditions qui l'obligent, selon le marché concerné, à la présentation de deux ou trois années de comptes certifiés et à la publication d'un prospectus visé par la COB (l'AMF désormais) comprenant toutes les informations nécessaires aux investisseurs pour fonder leur jugement sur le patrimoine, l'activité, la situation financière, les résultats et les perspectives attendues. Et dès lors qu'elle a été admise à faire appel public à l'épargne, la société est tenue de porter à la connaissance du public tout fait susceptible d'avoir une incidence significative sur le cours du titre. En cas de risques particuliers, il revient à l'autorité de marché d'alerter les investisseurs et de les appeler à la vigilance.
Ces règles générales protectrices de l'épargne en France, et les disciplines qu'elles impliquent, ne pourraient avoir, selon nous, que des effets positifs sur la gestion des clubs professionnels qui s'engageraient dans la voie de l'appel public à l'épargne.
Ce que l'on ne parviendra pas à éviter, cependant, c'est le fait que tout épargnant qui investit en bourse prend, inévitablement, un risque qui n'est que la contrepartie de son espérance de plus-value.
... Il appartiendra, en toute hypothèse, aux autorités de marché de dire, dans chaque cas d'espèce, si les sociétés sportives candidates à l'appel public à l'épargne disposent de la taille critique pour prétendre à une introduction sur un marché réglementé et détiennent des actifs suffisants pour se développer de façon équilibrée. »
En second lieu , il lui semble souhaitable de rechercher des voies d'adaptation au football de l'appel public à l'épargne limitant les risques encourus par l'épargnant.
Incontestablement, le démarchage financier de tels titres devra connaître un encadrement particulier .
Surtout, il apparaît possible de diluer le risque en proposant les titres des clubs dans des véhicules financiers adaptés . Un grand nombre de particuliers sont d'ores et déjà actionnaires indirects de clubs de football à travers la détention d'actions de sociétés cotées propriétaires de clubs. Il serait donc parfaitement envisageable d'adopter des solutions permettant d' aménager la négociation des titres représentatifs de la propriété des clubs de sorte que ceux-ci soient réunis à d'autres actifs financiers d'organismes intervenant dans d'autres secteurs économiques. En bref, la négociation directe du capital des clubs pourrait être réservée aux investisseurs institutionnels, ceux-ci les proposant au grand public dans des véhicules réunissant une diversité d'actifs, du type SICAV ou fonds communs de placement.
* 54 Votre rapporteur ne peut à ce sujet que renvoyer aux développements consacrés à la récente loi sur les activités physiques et sportives et, en particulier, à ses observations sur les conditions de transfert aux clubs de la propriété des droits de retransmission télévisée.