III. LA POLITIQUE EXTÉRIEURE DE LA RUSSIE
En dépit de ses difficultés économiques et de la diminution de son potentiel militaire, la Russie demeure présente sur la scène internationale. Soucieux de préserver ce statut de puissance mondiale, Vladimir Poutine conduit une politique extérieure moins imprévisible et plus active que celle de son prédécesseur, en s'appuyant pleinement sur les ressorts de la communication.
Deux ans après la crise du Kosovo, au cours de laquelle la Russie s'était retrouvé marginalisée, le rapprochement engagé avec les Etats-Unis après les attaques terroristes du 11 septembre 2001 marque la volonté d'établir une communauté d'intérêts avec l'occident et de se voir reconnaître comme un partenaire majeur, dans la perspective notamment d'une meilleure intégration dans l'environnement économique international. Cette approche pragmatique n'exclut pas la manifestation de désaccords parfois vifs, dès lors que la Russie estime ses intérêts nationaux en jeu, et l'utilisation de tous les autres moyens d'accroître son influence, en premier lieu dans les pays de la CEI.
A. UNE GRANDE PUISSANCE AUX MOYENS LIMITÉS
1. Un statut de grande puissance amoindri mais réel
Bien qu'en pratique, sa politique extérieure semble désormais dictée par deux priorités - la défense de ses intérêts économiques et le maintien dans son orbite des Etats issus de l'Union soviétique - la Russie entend préserver, avec des moyens économiques et militaires limités, son statut de puissance mondiale.
Ce statut provient en premier lieu de sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies qui lui permet d'aborder tous les grands dossiers de politique internationale et d'être associé à leur règlement. C'est le cas par exemple pour le conflit israélo-palestinien, dans lequel elle est impliquée comme membre du « quartet », mais également pour un grand nombre de crises régionales dans lesquelles sa diplomatie est engagée, que se soit en Asie, au Moyen-Orient ou dans les Balkans.
Lors de son séjour à Moscou, la délégation a appris que la Russie venait d'opposer son veto, le 21 avril dernier, à une résolution américano-britannique soutenant le plan de réunification de Chypre de M. Annan. Portant sur un texte approuvé par les 14 autres membres du Conseil de sécurité et officiellement justifié par des « raisons techniques », ce veto était le premier émis par la Russie en près de dix ans. Il peut apparaître comme un rappel à l'adresse de la communauté internationale et des autres membres permanents que la Russie n'entend pas se priver des droits que lui confère son statut.
La défense de l'autorité des Nations Unies dans la prévention et la gestion des conflits constitue un axe primordial de la politique étrangère de la Russie, moins par attachement conceptuel au multilatéralisme, que parce qu'elle y voit le moyen de limiter les possibilités d'action unilatérale des Etats-Unis. La crise irakienne a été l'occasion de réaffirmer son opposition à une opération militaire entreprise sans l'aval du Conseil de sécurité, même si l'on a pu remarquer qu'elle a tardé à dévoiler sa position, semblant vouloir laisser l'initiative, et donc la gestion de l'affrontement avec les États-Unis, à d'autres membres du Conseil et singulièrement à la France.
Pour un pays comme la Russie, très attaché à sa souveraineté et plus réticent à l'idée de supranationalité, assimilée à celle d'ingérence étrangère, le soutien aux institutions multilatérales apparaît comme choix tactique, visant à éviter le risque d'isolement et à préserver ou renforcer son influence. Cela est vrai des Nations Unies, mais l'action diplomatique de Vladimir Poutine s'est orientée en direction de bien d'autres enceintes internationales, comme l'OMC où la Russie souhaite entrer, ou groupes plus restreints de pays, comme le G8, dont elle assurera la présidence en 2006. À l'été 2003, il annonçait également de manière inattendue son intention de faire adhérer la Russie à l'Organisation de la Conférence islamique (OCI). Enfin la Russie joue un rôle majeur dans deux organisations régionales importantes pour sa sécurité et ses intérêts : la Communauté des Etats indépendants (CEI) et l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), où elle traite avec l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghiztan, le Tadjikistan et la Chine des questions communes de sécurité, notamment la surveillance des frontières et la lutte contre le terrorisme.
Les questions stratégiques et de contrôle des armements constituent l'autre levier permettant à la Russie d'affirmer son rôle mondial, en discutant d'égal à égal avec les Etats-Unis. Elle conserve un arsenal nucléaire conséquent, comportant environ 5.000 têtes nucléaires stratégiques et sans doute environ 3.000 têtes nucléaires tactiques en condition opérationnelle. En dépit des difficultés liées à la maintenance des forces nucléaires et à leur modernisation, la situation des armes nucléaires russes reste une question majeure pour la sécurité mondiale. Toutefois, la parité avec les Etats-Unis procurée par ce dialogue stratégique est plus apparente que réelle. Après plusieurs mois de négociations avec l'administration Clinton au sujet d'une révision du traité ABM afin de la rendre compatible avec les projets américains de défense antimissiles, la Russie n'a pu que prendre acte du retrait unilatéral de ce traité décidé par l'administration Bush. De même, la réduction parallèle des arsenaux russes et américains prévue par le traité de Moscou de mai 2002 n'a pas résulté d'une réelle négociation entre les deux puissances, puisqu'elle ne faisait qu'entériner des décisions déjà annoncées par les Etats-Unis dans leur Nuclear Posture Review de janvier 2002.