COMPTE-RENDUS DES AUDITIONS
EFFECTUÉES PAR LA
MISSION D'INFORMATION
Audition de M. Jean-Pierre BESANCENOT,
directeur de
recherche au CNRS,
(29 octobre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission a d'abord procédé à l'audition de
M.
Jean-Pierre Besancenot, directeur de recherche au CNRS
.
Après avoir indiqué que M. Jean-Pierre Besancenot
était chargé d'un enseignement de climatologie à la
faculté de médecine de Dijon,
M. Jacques Pelletier,
président
, lui a demandé de dresser un tableau d'ensemble de
l'évolution des phénomènes climatiques en France.
M. Jean-Pierre Besancenot
a précisé que la synthèse
des études qu'il a menées depuis trente ans sur une soixantaine
de vagues de chaleur avait récemment été publiée
dans la revue «
Environnement, risques et
santé
». Cette étude permet de replacer la canicule
de l'été dernier dans un contexte plus large, les interrogations
portant sur le fait de savoir si la situation a été correctement
gérée et s'il aurait été possible de réduire
l'importance de la surmortalité enregistrée.
Il a insisté sur le caractère sans précédent,
à plusieurs titres, de cette canicule :
- l'intensité de la chaleur (record absolu de température
dans plus de trente départements) ;
- le record des températures nocturnes (25,5 degrés
relevés à Paris, sans doute 5 à 7 degrés de plus
dans les quartiers d'habitat dense) ;
- la durée de l'anomalie thermique, la vague de chaleur
s'étant prolongée de fin mai à mi-août. Les
températures élevées du mois de juin ont été
bien supportées, à l'exception d'un pic de morbidité et de
mortalité passé inaperçu le 17 ; les températures
ont été très élevées durant la
deuxième décade de juillet, pour battre ensuite des records du 4
au 12 ou 13 août ;
- l'extension géographique : pour la première fois,
l'ensemble de la France métropolitaine s'est trouvée
simultanément concernée par une vague de chaleur (celles
de 1976 et de 1983 avaient été limitées aux deux
tiers nord pour la première, à l'extrême sud est et au
Massif central pour la seconde) ;
- la date du paroxysme thermique (la première quinzaine
d'août, alors que nombre de Français étaient en vacances et
les personnes âgées plus isolées) ;
- la vulnérabilité de la population du fait de son
vieillissement. A cet égard, citant l'exemple de la Touraine, il a
relevé la corrélation étroite entre la carte de
surmortalité et la carte d'espérance de vie.
M. Jean-Pierre Besancenot
a souligné les difficultés de
gérer une situation à laquelle la France n'avait encore jamais
été confrontée.
Évoquant ensuite les polémiques relatives à la gestion de
la crise par les pouvoirs publics, il a précisé que les
premières notifications de décès liés à la
chaleur, auprès des autorités de tutelle, avaient
émané, le 6 août, de médecins urgentistes du
Morbihan. Il a estimé que le communiqué de la Direction
générale de la santé du 8 août, techniquement
parfait, était cependant sans doute trop tardif et inefficace sur le
plan politique et médiatique : non relayé, il est
passé inaperçu. Il a toutefois jugé que, même si ce
communiqué avait été parfaitement relayé, le bilan
final n'aurait pas changé significativement, dans la mesure où
une crise de cette ampleur ne peut se gérer dans l'urgence. Il convient
de s'y préparer en mettant en place des dispositifs d'accompagnement des
personnes âgées et, à plus court terme, des systèmes
d'alerte sanitaire, le problème étant qu'on ne dispose pas
d'informations centralisées en temps réel, non seulement sur la
mortalité, mais aussi sur la morbidité.
Il a souligné la nécessité de disposer de
prévisions médico-météorologiques, à
l'instar de l'Allemagne -même si son dispositif mis en place depuis
cinquante ans est perfectible- et d'un certain nombre d'autres pays
étrangers qui s'en sont dotés plus récemment. Il s'agit de
transformer les prévisions météorologiques classiques en
prévisions de risques pour la santé, afin de permettre le
lancement d'alertes justifiées. Il a annoncé la mise en place,
à la demande du ministre de la santé, d'un groupe de travail sur
l'ensemble des urgences climatiques, associant Météo France,
l'Institut de veille sanitaire et le laboratoire
«météorologie et santé » de la faculté de
Dijon.
Répondant à
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, il a
indiqué qu'il ne disposait pas d'informations précises sur
l'évolution de la mortalité au-delà des 28 ou 30
août, mais que le bilan net de l'année 2003 devrait
s'avérer bien inférieur aux 15 000 décès
enregistrés, dans la mesure où les premières indications,
non encore validées, laissent penser que la mortalité du mois de
septembre a été sensiblement inférieure à celle du
même mois des années précédentes.
Il a relevé la diversité des schémas selon les vagues de
chaleur; ainsi, le bilan de la surmortalité constatée en Belgique
pendant l'été 1994 s'est révélé moindre
qu'annoncé initialement ; à l'inverse, après la canicule
enregistrée par la ville de Marseille fin juillet 1983, la
mortalité est restée excédentaire jusqu'au 15
décembre. Il a noté qu'il n'était pas pertinent de
comparer d'emblée les étés 2002 et 2003, sachant que la
première quinzaine d'août 2002 avait été
caractérisée par une sous-mortalité relativement forte.
M. Jean-Pierre Besancenot
a également indiqué au
rapporteur qu'il était hasardeux d'affirmer ou d'infirmer l'existence
d'une relation entre le changement climatique annoncé par les milieux
scientifiques et la canicule de l'été dernier. Il a
évoqué une récente estimation du président de
Météo France selon lequel, à l'horizon de la
deuxième moitié du XXI
e
siècle,
l'occurrence de telles vagues de chaleur pourrait quintupler. Rappelant que les
gaz à effet de serre agiront dans les décennies à venir,
il a jugé l'évolution du climat comme inéluctable.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est enquis des causes de ces
phénomènes et du rôle joué par la pollution
atmosphérique.
M. Jean-Pierre Besancenot
a estimé
difficile d'évaluer les relations entre l'évolution de la
température et la pollution, la vague de chaleur favorisant la formation
d'ozone et s'opposant à la dispersion, tant « verticale
qu'horizontale », de ses composants. Selon deux études,
l'ozone aurait contribué de façon non négligeable à
la vague de chaleur qu'a connue Bruxelles en 1994 ; la contribution de la
pollution atmosphérique à la surmortalité
enregistrée dans l'agglomération londonienne
corrélativement aux vagues de chaleur de 1995 et 1999 a
été évaluée à environ 7 %. Cette
évaluation n'est toutefois pas transposable, le taux d'ozone londonien
étant sensiblement inférieur à ceux de
l'agglomération parisienne ou des villes méridionales.
Il a ensuite constaté que l'ensemble des mesures adoptées par la
ville d'Athènes, à la suite des 2 000 décès
surnuméraires de 1987, avaient permis de réduire ce nombre
à 20 en juillet 1988 (interdiction de la circulation automobile,
réduction de l'activité industrielle...).
Compte tenu de la prise de conscience tardive de la gravité de la
canicule de l'été dernier,
M. Claude Domeizel
s'est
interrogé sur les moyens qui auraient pu être mis en oeuvre. Il a
également demandé si la fiabilité des données
météorologiques du printemps aurait permis d'anticiper les
problèmes et de quelle façon. Dans le même sens,
M. Daniel Eckenspieller
a indiqué que la mise en place d'un
système médico-météorologique supposait des
données suffisamment objectives pour que les moyens soient mis en oeuvre
de manière pertinente.
M. Jacques Pelletier, président
, a
évoqué à cet égard la multiplicité des
alertes intervenues depuis la tempête de décembre 1999.
M. Jean-Pierre Besancenot
a indiqué que, si les prévisions
à sept jours étaient susceptibles d'être utilisées,
les prévisions à échelle saisonnière restaient,
quant à elles, très largement perfectibles. Il a
précisé que les vagues de chaleur étaient toutefois plus
faciles à prévoir que les tempêtes, les situations
anticycloniques évoluant plus lentement que les situations
dépressionnaires. En outre, l'évolution de la température
est plus prévisible que la vitesse du vent ou le degré
d'humidité, ce dernier pouvant difficilement être prévu
au-delà de 48 heures. En cas de situation anticyclonique, existe en
outre un risque de pic de pollution par ozone et oxyde d'azote. Des mesures
d'alerte, sept jours à l'avance, permettraient de mettre en place en
temps utile des mesures efficaces. Ceci n'exclut pas des mesures
préventives, telles que la climatisation des maisons de retraite, par
exemple.
Répondant ensuite à
M. Bernard Angels
, qui l'interrogeait
sur les conditions climatiques et l'éventuelle surmortalité
constatée dans des pays proches de la France au cours de
l'été dernier, il a souligné qu'une vague de chaleur
devait s'apprécier par comparaison avec les niveaux habituels, et non
absolus, de températures. Ainsi, si la Belgique enregistre une
surmortalité à partir de 27 à 28 degrés, pour le
sud de l'Espagne, ce n'est le cas qu'à partir de 41 ou 42 degrés,
en raison notamment des adaptations biologiques, comportementales, et des
caractéristiques architecturales. Les dispositifs sanitaires sont
eux-mêmes plus ou moins adaptés à la gestion de ces
situations. En Allemagne, par exemple, où les associations pour
personnes âgées sont nombreuses, la surmortalité semble
avoir été faible.
Mme Gisèle Gautier
a mis en avant l'intérêt qu'il y
aurait à affiner les statistiques en fonction de critères
sociologiques, tels que le caractère rural ou urbain de l'environnement,
l'isolement plus ou moins important des personnes restées à
domicile, afin, en particulier, de mesurer la solidarité relative dont
ont bénéficié, ou non, les personnes âgées.
Elle s'est également interrogée sur les mesures qu'auraient pu
prendre les maisons de retraite si elles avaient été
alertées, et sur l'insuffisance des effectifs des médecins
urgentistes.
M. Jean-Pierre Besancenot
a répondu que, si l'on ne disposait pas
de données permettant de différencier milieu rural et milieu
urbain, une courbe qu'il venait d'établir en fonction de la taille des
ensembles urbains marquait en revanche un point d'inflexion très brutal,
indiquant un véritable envol de la courbe de surmortalité,
au-delà de 200 000 habitants. Il a, par ailleurs, souhaité
que les « cartes de vigilance » tiennent désormais
compte des risques pour la santé des évolutions climatiques.
M. Jean-François Picheral
a demandé si Météo
France aurait pu prévoir, deux semaines à l'avance, que la
chaleur augmenterait jusqu'au 15 août. Il a regretté que le
communiqué du 8 août soit resté huit jours sur le bureau du
ministre de la santé, alors que les médecins urgentistes avaient
réagi dès le 15 juillet. Il s'est toutefois montré
optimiste pour l'avenir, évoquant la faible surmortalité
enregistrée à Marseille, en raison notamment des leçons
tirées par le Professeur San-Marco de la canicule de 1983.
M. Jean-Pierre Besancenot
a rappelé que l'annonce faite par
Météo France le 1
er
août, d'une vague de
chaleur devant s'intensifier dans les dix à quinze jours suivants
était passée relativement inaperçue.
Mme Gisèle
Gautier
et
M. Jean-François Picheral
ont souligné le
caractère, en tout état de cause, tardif de cette annonce.
M. Claude Domeizel
s'étant enquis des comparaisons avec d'autres
pays européens,
M. Jean-Pierre Besancenot
a indiqué que la
canicule de l'été 2003 avait fortement touché le Portugal,
largement épargné l'Espagne, l'Italie centrale et
méridionale (mais non les villes italiennes du nord), l'Angleterre
(à l'exception de l'extrême sud-est) ; les informations provenant
de Belgique apparaissent contradictoires et l'Allemagne présente des
chiffres apparemment très faibles par rapport à la France, mais
avec un nombre assez élevé de décès chez les jeunes
adultes.
Audition de M. Pierrick GIVONNE, directeur scientifique
adjoint
du Centre national du machinisme agricole du génie
rural,
des eaux et forêts
(29 octobre
2003)
La
mission a ensuite procédé à l'audition de
M. Pierrick
Givonne, directeur scientifique adjoint du Centre national du machinisme
agricole du génie rural, des eaux et des forêts (CEMAGREF)
.
M. Pierrick Givonne
a tout d'abord précisé qu'il
centrerait son propos sur les problématiques liées à l'eau
et à l'irrigation, et qu'il ne traiterait donc pas de l'ensemble des
facteurs de la canicule.
A titre liminaire, il a distingué la canicule (événement
météorologique dont l'intensité varie) de l'étiage
(conséquences du climat sur le niveau des fleuves et rivières
sans intervention humaine) et de la sécheresse (même
définition que l'étiage, mais en y ajoutant la
référence aux interventions humaines, et notamment aux
prélèvements).
Partant de ces définitions, il a estimé que les
événements de cet été correspondaient, certes,
à une forte canicule, mais pas à une sécheresse à
proprement parler, les réserves en eau étant
généralement restées à un niveau satisfaisant.
Comparant les pluviométries respectives des premiers semestres 1976 et
2003, il a remarqué que le déficit de pluie en 1976 touchait
surtout le nord et l'ouest, alors qu'il affectait cette année
principalement le centre est, le sud-est et la Corse.
En dépit de ces carences géographiquement localisées, il a
indiqué que l'« histoire hydrique »
précédant la canicule de 2003 était plutôt favorable
(les crues importantes du printemps ayant permis de remplir début
juillet les réserves d'eau à 80/95 % de leur niveau
maximal), alors que celle précédant la canicule de 1976
était plutôt défavorable.
M. Patrick Givonne
a ensuite relativisé les conséquences
environnementales de la canicule, aussi bien sur le milieu aquatique (la petite
faune microscopique s'étant enterrée et les poissons ayant
migré) que sur le milieu terrestre (la physionomie actuelle des espaces
forestiers, relativement inquiétante à première vue, ne
préjugeant en rien de leur état futur).
Il a en revanche regretté que n'existe pas un système permettant
de mesurer en permanence et sur l'ensemble du territoire la température
des cours d'eau.
Répondant à
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, qui
l'interrogeait sur les conséquences de la canicule sur la production
agricole et sur les possibilités de stocker l'eau provenant des
précipitations,
M. Pierrick Givonne
a précisé :
- que si les chiffres n'étaient pas encore tous connus,
apparaissaient néanmoins de profondes différences, notamment en
Aquitaine, entre les agriculteurs ayant irrigué leurs terres (qui ont
subi des pertes de production de 20 à 30 %) et ceux n'ayant pas pu
irriguer (qui ont essuyé de bien plus lourdes pertes) ;
- que la gestion de l'eau pouvait se fonder soit sur un modèle de
restriction des quantités (régulation
a posteriori
, peu
efficace), soit sur un modèle reposant sur la création de
réseaux de retenue et l'établissement, après
réflexion entre tous les acteurs concernés, de quotas pouvant
faire l'objet de contrôles (régulation
a priori
, plus
efficace).
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, ayant déploré que les
réserves d'eau, dans le cadre de ce second modèle, ne soient pas
davantage abondées, alors que le territoire français
bénéficie d'une pluviométrie annuelle moyenne de 700 mm,
M. Pierrick Givonne
a remarqué que la moitié
seulement de cette eau était utilisable après évaporation
et que le second modèle n'était en rien figé car pouvant
conduire à décider d'augmenter les réserves en eau selon
les besoins.
Répondant ensuite au rapporteur, qui s'était interrogé sur
l'intérêt qu'auraient les agriculteurs à utiliser des
plants et des méthodes de culture moins exigeantes en eau,
M.
Pierrick Givonne
a noté :
- que le choix des plants était orienté par le marché
et répondait donc avant tout à des impératifs de
rentabilité économique ;
- que les pratiques culturales, bien que largement optimisées
à cet égard, devraient veiller davantage à
économiser les ressources en eau, l'irrigation diurne en période
de forte chaleur étant de ce point de vue néfaste aux plantations.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que le bassin
fluvial au nord-est de Paris, largement rempli durant la canicule, était
au plus bas depuis début octobre.
M. Pierrick Givonne
a expliqué que les barrages et retenues sur
la Seine et sur la Marne maintenaient un étiage satisfaisant durant
l'été et le réduisaient ensuite afin de prévenir
les crues.
M. Claude Domeizel
a indiqué que les « Alpes
sèches » (c'est-à-dire le département des
Alpes-de-Haute-Provence) avaient connu un sort très différent
selon que les territoires étaient ou non irrigués. Il s'est
demandé si les prévisions météorologiques
étaient suffisamment fiables et surtout suffisamment précoces
pour prévenir les incendies.
M. Daniel Soulage
a indiqué que le département du
Lot-et-Garonne, très concerné également par la canicule,
était parvenu à stocker les 9/10e de l'eau nécessaire
à l'irrigation grâce à un maillage de barrages et de
petites retenues. Il a souhaité, par ailleurs, que soit suffisamment
prise en compte la nécessité de réalimenter les fleuves et
les rivières en eau.
Mme Gisèle Gautier
s'est interrogée sur le bilan
écologique de la canicule concernant le domaine maritime.
M. Louis Grillot
s'est inquiété des conséquences
des méthodes culturales, qui tendent à supprimer les retenues
naturelles et contribuent ainsi à augmenter le ruissellement des eaux de
pluie.
M. Alain Gournac
s'est interrogé sur les conséquences de
l'apparition de nouvelles algues dans la Seine.
Répondant à ces interventions,
M. Pierrick Givonne
a
notamment apporté les précisions suivantes :
- l'apparition des algues est due à l'eutrophisation des eaux
causée par la canicule, ces algues d'origine exotique risquant de
perdurer si l'hiver est doux. Il a toutefois estimé que leur
prolifération précoce durant l'été avait permis
d'oxygéner suffisamment l'eau pour que les poissons survivent, la mise
en place de dispositifs d'« aération » de la Seine
n'ayant donc pas été nécessaire ;
- la prévision des incendies de forêt en est encore au stade
de la recherche, les cartes de combustibilité étant peu fiables,
peu « prospectives » et surtout peu utiles, la
majorité des incendies étant d'origine humaine et non pas
naturelle. Il a ajouté que la régénération des
arbres ayant été touchés par les incendies serait
délicate du fait que l'ouverture des cônes avait été
plus précoce cette année en raison de la canicule et que leurs
graines avaient été brûlées dans les feux de
forêt. Il s'est également inquiété des risques
d'érosion liés aux prochaines précipitations, en
dépit des aménagements importants effectués par l'Office
national des forêts ;
- aucune pollution majeure dans le domaine maritime, qui aurait
justifié une interdiction générale de la consommation de
crustacés, n'a été constatée. Il a ajouté
que la surmortalité des poissons en rivière et en estuaire avait
été faible, sauf cas ponctuels (anguilles dans le Rhin et
éperlans en Gironde) ;
- certaines pratiques agricoles sont effectivement néfastes pour
les réserves d'eau, même si de telles pratiques sont de plus en
plus rares et compensées par des pratiques correctrices.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est étonné de
l'impossibilité d'effectuer des prévisions
météorologiques fiables au-delà de quelques jours, alors
que celles consignées dans l'almanach des Postes donnaient autrefois
d'assez bonnes informations sur les tendances climatiques pour la saison
à venir. Il a également évoqué l'apparition de
nouvelles espèces animales du fait de la canicule et s'est
interrogé sur l'efficacité des coupes feu pour lutter contre les
incendies de forêt.
M. Pierrick Givonne
a fait observer que l'utilité de ces derniers
avait été très relative du fait de la force des
vents.
Audition de M. Emmanuel LE ROY LADURIE
historien,
professeur au Collège de France,
président de
l'Académie des sciences morales et politiques
(29 octobre
2003)
La
mission d'information a enfin procédé à l'audition de
M. Emmanuel Le Roy Ladurie, historien, professeur au
Collège de France, président de l'Académie des sciences
morales et politiques
.
M. Jacques Pelletier, président
, a souhaité la
bienvenue au Professeur Le Roy Ladurie en rappelant que son ouvrage
sur l'«
Histoire du climat depuis l'an mil
»
demeurait une référence en la matière et a souligné
l'intérêt d'une mise en perspective historique pour les travaux de
la mission d'information.
M. Emmanuel Le Roy Ladurie
, après avoir
rappelé qu'il n'était pas un « scientifique de sciences
exactes » a dressé un bilan chronologique des
événements climatiques exceptionnels ayant touché la
France depuis le Moyen Age. Il a précisé qu'un indice mis au
point par un chercheur hollandais, permettait d'appréhender l'ampleur
des « coups de chaleur » sur une échelle allant de 1
à 9. Il a ajouté que l'étude des vendanges et des
récoltes constituait aussi un bon critère pour évaluer
l'importance des étés chauds.
Il a rappelé que ces derniers, à l'exemple de l'été
1351, avaient été la plupart du temps marqués par des
vendanges et des moissons précoces, ajoutant que l'échaudage des
blés constituait un bon indice d'été caniculaire.
Après avoir décrit le treizième siècle comme celui
des étés chauds, il a indiqué que des coups de chaleur
s'étaient ensuite produits successivement en 1326, en 1351,
en 1420, cette dernière année étant marquée
par un été chaud et sec et des céréales
brûlées sur pied dans le contexte difficile de la Guerre de Cent
Ans.
Évoquant la famine de Bruges en 1438 où «
des
enfants en jeune âge avaient été dévorés par
des chiens affamés
»,
M. Emmanuel
Le Roy Ladurie
a ajouté que certaines années
avaient été à l'inverse touchées par des
« famines de pluie », le mauvais temps provoquant la
pourriture des récoltes et une hausse considérable de la
mortalité.
Il a indiqué que le « doux seizième
siècle » allant de 1500 à 1560 avait connu des
séries estivales de sécheresse et d'échaudage des
blés, notamment en 1516, entre 1523 et 1525, en 1540, 1545 et 1556.
Il a rappelé que les années sèches entre 1523 et 1525
avaient été à l'origine de l'une des grandes crises de
subsistance du seizième siècle, caractérisées aussi
par des incendies importants comme à Troyes, où
1 500 maisons furent brûlées. A titre d'anecdote, il a
ajouté que les Parisiens avaient prié en procession pour obtenir
de la pluie en «
sortant la châsse de
Sainte-Geneviève
».
Concernant l'année 1540, il a précisé qu'un anticyclone,
dont le noyau dur se situait au pays basque, avait été à
l'origine d'une forte chaleur estivale sur l'ensemble de l'Europe Occidentale,
asséchant les fleuves, faisant reculer les glaciers et transformant le
vin en boisson apéritive sucrée. Il a ajouté que cet
été pouvait se comparer à celui de 1947,
décrit par Thomas Mann séjournant alors en Suisse en tenue
légère.
Après avoir souligné le caractère exceptionnel de
l'année 1556 où des incendies de forêt avaient
embrasé la Normandie et où les vendanges avaient eu lieu
dès le 1
er
septembre,
M. Emmanuel
Le Roy Ladurie
a indiqué qu'à partir de 1560,
période dite du petit âge glaciaire maximal, la température
avait été plus fraîche, comme le témoignait par
exemple la correspondance de Mme de Sévigné à sa
fille pour l'été 1695.
Il a cependant noté que des épisodes de forte chaleur estivale
avaient été constatés en 1636, 1639, 1705, 1706, 1718,
1719 et 1779, indiquant que les conséquences des étés
pluvieux avaient été souvent plus graves que les
étés chauds pour les populations. Il a toutefois insisté
sur les pics de mortalité résultant de chaleurs estivales et de
la dysenterie provoquée par la baisse du niveau des cours d'eau et de
leur pollution. Il a ajouté que ces dysenteries avaient
été à l'origine de millions de décès lors
des étés chauds du dix-huitième siècle.
Rappelant les travaux de son maître Ernest Labrousse sur le lien entre
les grandes époques de surproduction agricole de 1778-1781 et la crise
prérévolutionnaire, tout en nuançant ses conclusions, il a
estimé que les variations climatiques brutales avaient parfois
contribué au déclenchement d'événements
historiques. Il a rappelé que le climat de l'année 1788,
marqué par l'échaudage des blés, puis un hiver rigoureux
et donc de mauvaises récoltes et une hausse des prix agricoles, avait
contribué au déclenchement de la Révolution
française.
Il a également souligné que ce constat semblait valable pour
l'été 1794, débouchant sur les journées
révolutionnaires de Prairial, de l'année 1816 marquée par
des émeutes à Lyon et de l'année 1846,
caractérisée par six mois de sécheresse et une situation
économique difficile, aggravée en Irlande par la maladie de la
pomme de terre qui a été à l'origine d'un million de morts.
Après avoir noté que la période d'âge glaciaire
avait pris fin en 1858-1859, avec le début de la fonte des glaciers
alpins,
M. Emmanuel Le Roy Ladurie
a rappelé que
la crise de surproduction viticole issue des étés chauds de 1904
à 1906 avait contribué à la révolte des vignerons
du Midi.
Il a ensuite fait observer que les températures s'étaient
stabilisées entre 1950 et 1970 mais que depuis cette époque,
la France avait connu une succession de coups de chaleur et de
sécheresse en 1976, en 1982-83, en 1987, en 1989, en 1992, en 1994, en
1995 ou encore en 1997.
M. Jacques Pelletier, président
, a vivement remercié
M. Emmanuel Le Roy Ladurie pour la qualité de son
exposé et a rejoint ses conclusions sur le réchauffement du
climat constaté dans la dernière décennie.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a souligné que la sagesse
populaire confirmait les explications du professeur Le Roy Ladurie en
rappelant les adages : «
une année de foin est une
année de rien
» et qu'«
une année de
sécheresse n'a jamais provoqué de disette
», avant
de s'interroger sur le caractère exceptionnel de la canicule de
l'été dernier dans l'histoire du climat.
Il a insisté sur l'intérêt, pour la mission d'information,
de connaître l'impact de tels phénomènes climatiques sur
les réactions individuelles et collectives des citoyens et sur la
capacité de réaction des autorités publiques. Il s'est
enfin inquiété des mesures de prévention, d'anticipation
et d'adaptation qui devraient être prises afin d'éviter une
catastrophe à l'avenir.
M. Emmanuel Le Roy Ladurie
a constaté que la
canicule de l'été 2003 constituait bien une rupture dans
l'histoire du climat en France, compte tenu de l'importance des
températures et des émissions de dioxyde de carbone
constatées par les scientifiques. Il a confirmé que les
épisodes caniculaires avaient souvent provoqué des émeutes
de subsistance, mais aussi une recrudescence des manifestations religieuses
comme les prières, les invocations aux saints et les processions au
cours desquelles on brûlait la statue de Saint Médard.
Concernant la capacité d'adaptation des autorités publiques,
après avoir souligné que les autorités locales avaient
toujours agi rapidement pour limiter les conséquences et tirer les
leçons de tels phénomènes climatiques, il a indiqué
que l'intervention du pouvoir central avait été croissante au
cours des siècles passés.
Après avoir rappelé que nos rois, à l'exemple de Louis X
le Hutin qualifié de « roi de la famine », avaient
été longtemps indifférents aux effets de la canicule, il a
évoqué l'action déterminante de Louis XI, tentant
d'organiser un « maximum », c'est-à-dire un
contrôle des prix, en période de sécheresse, ou de Louis
XIV et de Colbert, interdisant les importations de blé et créant
des réserves dans des greniers spécifiques. A cet égard,
il a rappelé que la population est alors devenue progressivement plus
exigeante à l'égard des pouvoirs publics, dénonçant
l'inaction de l'Etat ou « le complot de famine »,
c'est-à-dire la spéculation sur les prix agricoles. Il a
ajouté que la mise en cause des autorités politiques lors
d'événements climatiques exceptionnels était une
spécificité française.
Il a précisé que la sécheresse de l'été
dernier, conjuguée à « l'hyper canicule »,
constituait peut-être un signe avant-coureur de l'effet de serre. A cet
égard, il a souligné l'incertitude de la situation actuelle avec
les inquiétudes dues à l'isolationnisme américain en ce
domaine, mais également le constat d'évolutions positives comme
l'écroulement de l'industrie soviétique, forte productrice de
dioxyde de carbone.
Il a ajouté qu'un changement de comportement individuel et collectif
semblait nécessaire pour lutter contre l'effet de serre mais que le
choix d'un mode de croissance alternatif était difficile.
En réponse à
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, qui
s'interrogeait sur l'existence éventuelle de périodes chaudes
comparables à l'été 2003 dans l'histoire climatique de la
France,
M. Emmanuel Le Roy Ladurie
a souligné le
caractère exceptionnel des températures constatées
l'été dernier et de la durée de la période de
chaleur au regard des épisodes caniculaires passés. Il a
indiqué que les « beaux étés » du
treizième et du seizième siècles étaient
incontestablement moins chauds.
En réponse à
M. Daniel Eckenspieller
, qui s'était
enquis de l'importance de la surmortalité due à l'activité
volcanique au regard de celle provoquée par l'activité humaine et
l'effet de serre,
M. Emmanuel Le Roy Ladurie
a
noté que les grandes explosions volcaniques, comme celle du Tambora en
Indonésie en 1815, qui a envoyé un voile de poussière sur
la planète, avaient toujours été suivies d'un
rafraîchissement de l'atmosphère alors que le
phénomène actuel du réchauffement climatique allait
croissant et concernait désormais l'ensemble de notre
planète.
Audition de M. Édouard COUTY
directeur de
l'hospitalisation et de l'organisation des soins
(5 novembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a tout d'abord procédé à
l'audition
de
M. Édouard Couty, directeur de
l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS)
.
M. Jacques Pelletier, président
, a demandé si la DHOS
avait lancé des « signaux de détresse » au
moment de la canicule de l'été dernier et, dans l'affirmative,
comment ceux-ci avaient été reçus. Il s'est
également enquis des mesures envisagées par la direction pour
améliorer l'efficacité de ses réactions, au cas où
une telle situation se reproduirait.
M. Édouard Couty
a rappelé que sa direction, ancienne
direction des hôpitaux, avait été créée
en 2000 : son champ de compétences, plus large, couvre
désormais l'ensemble de l'offre de soins. Elle exerce également
une compétence partielle sur les établissements
médicosociaux, s'agissant de leur financement et de leur organisation.
Il a ensuite retracé la chronologie des événements, du
début de la crise le 7 août jusqu'à son terme le
22 août. Il a précisé que le suivi de cette crise
avait été, dans un premier temps, assuré par son adjointe,
Mme Danielle Toupillier, conseiller technique, lui-même étant
absent du 4 au 13 août, mais informé de la situation à
partir du 11 août :
- le 7 août au soir, la direction reçoit un premier signal
venant du responsable du service des urgences de l'hôpital Saint-Antoine,
le docteur Patrick Pelloux, avec lequel les contacts sont fréquents.
Celui-ci participe en effet à des groupes de travail créés
depuis dix-huit mois au sein de la DHOS, et notamment à celui visant
à améliorer la prise en charge des malades par les services
d'urgence. Mme Danielle Toupillier contacte alors la Direction
générale de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris
(AP-HP), ainsi que l'agence régionale de santé d'Ile-de-France,
pour vérifier que cette information est corroborée par d'autres
signaux. Elle a confirmation que ces difficultés sont partagées
par plusieurs hôpitaux dépendant de l'AP-HP, ainsi que par
d'autres hôpitaux parisiens. Le soir même, est créée
au sein de la direction une cellule de veille, afin d'enquêter
systématiquement auprès des correspondants ;
- le 8 août au matin, le secrétaire général de
l'AP-HP met en place une cellule de crise ;
- le week-end des 9 et 10 août, aucune difficulté
particulière n'est enregistrée hors de Paris. Un
communiqué de presse formule toutefois certaines recommandations
relatives à la canicule ;
- le dimanche 10 août au soir, le docteur Patrick Pelloux fait une
première déclaration très médiatisée ;
- le lundi 11 août au matin, la DHOS crée une cellule de
crise plus développée qu'une cellule de veille, à l'image
des cellules déjà créées lors de
précédentes crises (explosion de l'usine AZF à Toulouse,
inondations du Gard, tempête de 1999, par exemple). La direction
prépare alors un questionnaire destiné aux directions des agences
régionales d'hospitalisation, afin de disposer, deux fois par jour, de
remontées systématiques d'informations. Il en ressort, le 11
août, un constat très contrasté, la situation étant
très diverse selon les régions, seules certaines d'entre elles
faisant état de difficultés : la région Ile-de-France
(Paris en particulier), dans une moindre mesure, la Bourgogne (Dijon et
Auxerre), la Champagne-Ardenne (Reims) et la Franche-Comté
(Besançon) ;
- le lundi 11 août au soir, la situation est identifiée et
fait apparaître des difficultés localisées et non un
phénomène d'ampleur nationale. Dès cette date, des
contacts sont établis avec la Direction générale de la
santé (DGS) et le cabinet du ministre, ainsi qu'avec l'Agence
régionale de la santé (ARS) d'Ile-de-France. L'ARS invite Mme
Danielle Toupillier à une réunion interne, à laquelle elle
participe après accord du cabinet. L'AP-HP met en place une formule de
« plan blanc », appelé « plan action
chaleur extrême » (PACE).
Mme Danielle Toupillier
a souligné la solidarité dont ont
fait preuve les établissements hospitaliers, certains apportant leur
concours aux autres, dans des conditions difficiles du fait de l'afflux de
personnes âgées venant de maisons de retraite, et qui a
été probablement à l'origine de l'engorgement des services
d'urgence. La DHOS joue, dans ce contexte, un rôle de
« facilitateur », consistant à lever les obstacles
financiers, juridiques et administratifs afin de permettre l'adaptation du
système. Des instructions sont très rapidement données en
ce sens ; la direction apporte également son soutien aux
établissements et aux commissariats de police concernés ;
elle accorde notamment des dérogations afin d'autoriser les morgues
hospitalières à accueillir les personnes
décédées à l'extérieur des
hôpitaux ;
- le 12 août, les premiers signaux inquiétants sont
enregistrés : saturation des hôpitaux en région
parisienne, signalement de très grandes difficultés dans les
services des urgences de Dijon et Auxerre. La DHOS propose alors la mise en
oeuvre du « plan blanc ». Ce dernier est destiné
à faire face à l'afflux massif de personnes dont l'état
nécessite une hospitalisation. Il prévoit la suppression ou le
report d'activités hospitalières programmées, le rappel de
personnels en congés ou en repos, la libération de lits dans les
services ;
- le 14 août, à l'occasion d'une réunion
interministérielle, présidée par le Premier ministre, il
est décidé de généraliser le « plan
blanc », les préfets recevant instruction de le mettre en
place en cas de nécessité. En réalité, nombre de
médecins hospitaliers ayant déjà spontanément
organisé leurs services en conséquence, la mise en place du
« plan blanc » s'est révélée le plus
souvent inutile.
M. Édouard Couty
a noté la
quasi-simultanéité entre la prise de conscience de la situation,
qui a entraîné le déclenchement officiel du
« plan blanc », et le désengorgement des services
d'urgences à partir des 14 et 15 août. Il a rappelé
que le ministre avait demandé une analyse scientifique approfondie
auprès de deux chercheurs de l'Institut national de la santé et
de la recherche médicale (INSERM) sur les aspects démographiques
et médicaux de cette crise. Cette enquête confirme les
disparités caractérisées par une surmortalité de
l'ordre de 190 % dans les départements périphériques
de Paris, de 120 à 130 % dans la capitale et faible ou nulle dans
les autres régions. Le ministre a, par ailleurs, demandé aux
spécialistes américains d'Atlanta, ayant travaillé sur la
canicule constatée à Chicago en 1995, de lui faire part de
leurs conclusions : ceux-ci ont relevé que des dispositifs de type
« plan blanc » étaient efficaces et que l'alerte
était essentielle. En effet, et la canicule de l'été
dernier l'a confirmé, il existe un décalage d'environ
72 heures entre le moment où un tel phénomène est
avéré et celui où l'on constate un afflux significatif,
voire un engorgement, dans les services d'urgence. De fait, alors que des pics
de décès étaient enregistrés autour des 8 et
9 août, l'alerte n'avait pas encore été donnée.
M. Édouard Couty
a souligné le caractère trop
tardif des alertes hospitalières, M. Jean-François Mattei
ayant indiqué qu'il était prioritaire de disposer d'une alerte la
plus précoce possible. La DHOS s'y emploie, avec l'Institut de veille
sanitaire (InVS), la DGS, les médecins de ville et les services sociaux
municipaux.
Il a par ailleurs constaté que, dans les régions les plus
touchées, la permanence des soins ambulatoires laissait à
désirer, alors qu'elle devrait être assurée tous les jours
de l'année.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que
l'obligation faite à Mme Danielle Toupillier de demander
l'autorisation du cabinet de son ministère pour assister à la
réunion évoquée, était révélatrice
d'un cloisonnement administratif excessif.
M. Édouard Couty
a toutefois souligné que sa
direction et l'AP-HP entretenaient des relations régulières.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, s'est enquise des
préconisations de la DHOS en vue de dépasser ces cloisonnements
administratifs et de la répartition des compétences entre les
différentes administrations sanitaires.
M. Édouard Couty
a indiqué que les relations
traditionnelles entre sa direction et la direction générale de la
santé avaient encore été renforcées et
institutionnalisées par le biais de rencontres hebdomadaires.
Il a rappelé en outre que la direction générale de
l'action sociale (qui exerce la tutelle sur les établissements
médicosociaux, les maisons de retraite et les services de soins
infirmiers à domicile) était rattachée au ministère
des affaires sociales, du travail et de la solidarité, la DHOS jouant,
quant à elle, un rôle de comptable et de payeur de ces organismes.
La DGAS exerce également la tutelle des agences sanitaires, de
l'Institut de veille sanitaire et, conjointement avec le ministère de
l'écologie et du développement durable, de l'Agence
française de sécurité sanitaire environnementale. Les deux
directions travaillent donc de concert. Il existe d'autres relations au niveau
interministériel, avec par exemple la direction de la
sécurité civile du ministère de l'intérieur.
Répondant ensuite à
Mme Valérie Létard,
rapporteur
, qui l'interrogeait sur l'organisation et la gestion de la
capacité hospitalière, il a indiqué que, depuis trois ans,
il était demandé aux responsables des hôpitaux de les
informer dès les mois de mai ou juin de la programmation des fermetures
de lits prévues pour l'été suivant, afin de les inscrire
dans une approche régionale. Regrettant toutefois un certain nombre de
distorsions entre les déclarations et la réalité,
révélées par les contrôles, il a jugé qu'une
plus grande vigilance était nécessaire, une réflexion
étant actuellement menée sur un renforcement des contrôles
et la mise en place d'éventuelles sanctions financières.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, lui a demandé
de préciser la répartition des compétences entre les
autorités chargées de la planification (l'ARH) et de la gestion
des crises.
M. Édouard Couty
lui a confirmé que le préfet
restait responsable de la gestion des situations de crise. Il a, par ailleurs,
rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté un
amendement au projet de loi sur la santé publique, tendant à
légaliser le « plan blanc » et à
étendre les pouvoirs de réquisition du préfet aux
médecins libéraux.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a enfin insisté sur
la nécessité de disposer d'une connaissance en amont, et de
proximité, des populations fragiles et isolées, afin qu'en cas
d'alerte, il soit possible d'agir sur le terrain aussi rapidement que possible.
M. Alain Gournac
a partagé ce point de vue et a fait part de
l'expérience de sa ville en la matière.
Mme Sylvie Desmarescaux
, après avoir souligné le
rôle joué dans le département du Nord par les concertations
gérontologiques, s'est interrogée sur leurs développements
futurs.
Soulignant la difficulté d'appréhender les populations à
risque,
M. Édouard Couty
a indiqué que le plan
« solidarité vieillesse », qui devrait prochainement
être présenté par le gouvernement, mettra l'accent sur
cette question de la coordination, qui a été
étudiée avec le problème de l'alerte, par l'un des six
groupes de travail constitués.
Il a ensuite déclaré ne pas être en mesure de
répondre à la question de
M. Hilaire Flandre,
rapporteur
, qui s'interrogeait sur le nombre de décès qui
auraient pu être évités si le phénomène de la
canicule avait pu être anticipé.
Après s'être étonné que l'alerte ne soit venue que
d'un médecin urgentiste,
M. Bernard Cazeau
s'est enquis des
améliorations susceptibles d'être apportées au dispositif
d'alerte, la DHOS étant, comme son nom l'indique, chargée de
l'organisation des soins.
M. Édouard Couty
a rappelé que les hôpitaux,
établissements publics autonomes, bénéficiaient d'une
liberté de gestion sous la responsabilité de leur conseil
d'administration et de leur directeur. Il a ensuite évoqué la
pratique hospitalière qui explique que les professionnels s'efforcent
d'abord de répondre à la demande de soins, et ne donnent l'alerte
que lorsqu'ils se trouvent en grande difficulté. Le médecin
urgentiste concerné, qui exerce par ailleurs des responsabilités
syndicales, alerte très régulièrement la DHOS de ces
difficultés et celle-ci tente à chaque fois de vérifier
ses informations.
M. Alain Gournac
s'est étonné que les médecins
libéraux ne soient pas intégrés dans le « plan
blanc » et a stigmatisé la dérive du système des
urgences qui est encombré par trop de fausses urgences.
Mme Monique Papon
a également souligné le
détournement des services d'urgences.
M. Édouard Couty
a confirmé que 80 % des
urgences étaient en réalité de simples demandes de
consultation, 15 % relevant de la « bobologie » et
seules 5 % étant d'ordre vital. Depuis sept ou huit ans, le nombre
de passages dans les services d'urgences des hôpitaux publics a
augmenté de 4 à 5 % par an, pour atteindre aujourd'hui
13 millions chaque année. Il a insisté sur le fait que ces
services ne pouvaient être conçus isolément, et que les
autres services de l'hôpital devaient répondre aux diverses
demandes de prise en charge, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.
Selon le plan « urgences », ce service devrait être
organisé selon une approche territoriale afin de fonctionner en
réseau avec l'ensemble des établissements hospitaliers
concernés, en étroite relation avec la médecine
libérale ; cette organisation devrait tenir compte des services
hospitaliers en aval, dont l'activité programmée est
privilégiée par les centres hospitaliers universitaires.
Évoquant les perspectives annoncées par le ministre de recruter
un grand nombre de professionnels supplémentaires,
Mme Monique
Papon
a demandé si le récent élargissement du numerus
clausus des professions concernées suffirait à répondre
aux besoins, en particulier s'agissant des infirmières.
Après avoir rappelé que le manque d'infirmières
résultait des quotas fixés antérieurement à 1999 et
des nombreux départs à la retraite,
M. Édouard
Couty
a précisé que les promotions qui étaient de
18 000 en 1997 et de 26 000 en 1999 (pour des diplômes
délivrés fin 2003) étaient passées à
30 000 depuis 2001 pour des sorties à partir de 2005.
Audition de M. Jean-Paul PROUST
préfet de
police de Paris
(5 novembre
2003)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M
. Jean-Paul Proust
,
préfet de police de Paris
.
Après avoir rappelé le caractère sans
précédent de la canicule du mois d'août 2003,
M.
Jean-Paul Proust
a considéré que ce drame nous interpellait
tous au-delà de nos responsabilités et au-delà de nos
fonctions. Il a estimé que cette crise constituait avant tout un
véritable drame de société, auquel les personnels de la
préfecture de police avaient fait face avec courage et abnégation.
Il a précisé qu'il voulait tout d'abord exposer à la
mission d'information ce qu'avaient été le rôle et la
mission de la préfecture de police et des services rattachés
durant cette période. Il a ajouté qu'il se proposait de
présenter ensuite les dispositions qu'il a décidé de
mettre en oeuvre pour que ses services soient mieux préparés,
à l'avenir, à faire face à de telles situations de crise.
M. Jean-Paul Proust
a rappelé, au préalable, que la
préfecture de police, les services de police et la brigade de
sapeurs-pompiers de Paris, n'étaient pas en charge de la veille
sanitaire, de la régulation hospitalière ou du recensement du
nombre de décès dans la capitale.
Il a indiqué que la mission de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris
consistait tout d'abord à porter aide et assistance, par un secours
immédiat, aux personnes se trouvant sur la voie publique ou à
leur domicile. Il a précisé que cette unité avait ensuite
pour rôle, après avoir pris les premières mesures
d'urgence, de transporter, si nécessaire, ces victimes dans les services
d'urgence hospitaliers. Il a noté que les sapeurs-pompiers ignoraient,
le plus souvent, ce que devenaient alors les victimes transportées.
Il a observé que ni les sapeurs-pompiers, ni les services de police
n'avaient connaissance des décès intervenus dans les maisons de
retraite ou à l'hôpital, comme d'ailleurs de la majorité
des décès à domicile qui sont constatés par un
médecin de ville.
Il a constaté que tous les rapports quotidiens adressés par la
brigade des sapeurs-pompiers de Paris à son cabinet n'avaient
mentionné que le bilan des interventions de secours à victimes
sur la voie publique, sans ajouter de commentaire particulier.
M. Jean-Paul Proust
a déclaré que, pour cette raison,
contrairement à ce qui avait pu être indiqué, la brigade
des sapeurs-pompiers de Paris n'avait pas eu, avant le 12 août, tout
comme d'ailleurs les services de police, les moyens d'appréhender le
phénomène de surmortalité.
Il a observé qu'en ne transportant que 15 % environ des personnes
se présentant aux urgences et en ne disposant d'aucune information
particulière sur l'activité des hôpitaux ou des maisons de
retraite, la brigade des sapeurs-pompiers n'avait eu qu'une vision très
partielle des événements. Il a souligné
l'impossibilité pour elle, dans ces conditions, de disposer
d'informations fiables quant au nombre de morts et sur le lien pathologique
entre les décès et la canicule.
Il a insisté tout particulièrement sur le fait qu'aucun service
ne disposait alors d'un outil statistique permettant de suivre en temps
réel et de façon précise l'évolution de la
mortalité. Il en a conclu qu'avant le 12 août, ni les
sapeurs-pompiers ni les services de police n'avaient eu les moyens de
prévenir l'ampleur du phénomène qui se préparait.
M. Jean-Paul Proust
a précisé que la préfecture de
police avait mis en place trois séries de mesures, qui ont correspondu
aux trois phases chronologiques du déroulement de la crise.
Il a distingué, en premier lieu, la période du 5 au 12 août
au cours de laquelle personne n'avait pu mesurer l'ampleur et la gravité
de la crise qui allait survenir à compter du 12 août.
Il a rappelé que dès le début de la première phase,
c'est-à-dire le 5 août, un dispositif de suivi de
l'activité opérationnelle quotidienne de la brigade des
sapeurs-pompiers avait été mis en place à l'initiative de
la préfecture de police. Il a indiqué que l'origine de cette
initiative résultait de l'évolution du nombre des interventions
pour secours à victimes, dont faisaient état les rapports
quotidiens adressés chaque matin par la brigade des sapeurs-pompiers de
Paris au cabinet du préfet de police.
Le préfet de police de Paris a déclaré que la brigade des
sapeurs-pompiers disposait alors, en mobilisant pleinement ses effectifs, des
capacités pour répondre à ces demandes. Il a
indiqué que, face à l'intensification des secours à
victimes, une série de mesures complémentaires avait
été arrêtée.
Il a mis en avant, à ce titre, la mobilisation, dès le 8
août, des moyens des associations de secouristes, notamment de la Croix
Rouge et de la Fédération nationale de protection civile,
destinée à renforcer les centres de secours ou à soutenir
l'activité de l'AP-HP, dans l'hypothèse d'une demande de celle-ci.
Il a précisé que, dans le même temps, la brigade des
sapeurs-pompiers faisait appel à ses réservistes. Il a
déclaré qu'ainsi renforcée, cette unité avait eu
les moyens de répondre à tous les appels de secours et accomplir
sa mission.
Il a indiqué que la préfecture de police avait en outre
demandé à la brigade des sapeurs-pompiers d'engager, notamment
lors du week-end des 9 et 10 août, une action de communication
destinée au grand public consacrée aux risques liés
à la persistance de la canicule et aux mesures pratiques de
prévention qu'il convenait de mettre en oeuvre.
M. Jean-Paul Proust
a considéré que la seconde phase de la
canicule avait débuté le 12 août, c'est-à-dire
le jour où l'Institut médicolégal (IML) avait
constaté un afflux considérable de défunts et avait
alerté son cabinet.
Il a jugé que cette information émanant de l'IML,
confirmée à partir de cette date par les services de police,
s'était avérée être le facteur décisif de la
prise de conscience de l'ampleur de la crise.
Il a indiqué que, dès le 13 août, le cabinet de la
préfecture de police et le secrétariat général de
la zone de défense avaient organisé une série de contacts
et de réunions entre les services de la préfecture de police, les
représentants de la ville de Paris et les autres partenaires.
M. Jean-Paul Proust
a précisé que trois séries
de mesures ont été immédiatement prises dans les domaines
des capacités d'intervention de secours, de la prise en charge des
personnes isolées et de l'accueil des défunts.
S'agissant de la prévention des risques d'hyperthermie, il a noté
que des postes de secours avec des équipes de secouristes ont
été implantés sur cinq sites à forte
fréquentation de la capitale. Il a ajouté que ces mêmes
équipes de secouristes avaient également renforcé les
centres de secours les plus sollicités.
Il a observé que la préfecture de police, bien que n'ayant pas la
responsabilité de l'action de proximité en direction des
personnes âgées, avait cependant mis ses services à la
disposition de la ville de Paris. Il a précisé que cette
dernière, qui ne disposait pas alors de moyens humains suffisants au
niveau des CCAS, avait communiqué une liste de plusieurs milliers de
noms de personnes âgées supposées isolées.
Il a salué l'action de la cellule d'appels, composée de
bénévoles de la préfecture de police et de secouristes,
qui a été alors mise en place. Il a constaté que cette
structure avait passé, entre le vendredi 15 août et le lundi 18
août, 3 500 appels téléphoniques et
contacté 1 882 personnes âgées pour
s'enquérir de leur état de santé et de leurs besoins.
Il a noté que, parallèlement, avaient été mises en
place, sous l'égide de la Police urbaine de proximité, des
patrouilles avec des secouristes afin de prendre contact sur le terrain ou
à domicile avec les personnes âgées.
Il a mis en avant que ce dispositif, rassemblant 1 400 policiers et
secouristes, avait permis de contacter des personnes isolées en
détresse, mais aussi de visiter 391 maisons de retraite, foyers ou
associations. Il a ajouté que 2 231 personnes
âgées avaient, par ailleurs, été directement
contactées sur la voie publique.
M. Jean-Paul Proust
a annoncé que, grâce à ces
deux actions, plusieurs dizaines de personnes âgées avaient
été secourues.
Rappelant qu'il avait fallu veiller à ce que les structures d'accueil
des défunts puissent faire face à cet afflux, il a observé
que les capacités d'accueil de l'IML avaient été
doublées par l'ouverture d'un site à Villejuif et qu'un autre
site avait été mis en place à Rungis en collaboration avec
les Pompes funèbres générales.
Il a considéré que la troisième phase de la gestion de la
crise de la canicule s'était déroulée entre le
19 août et le 3 septembre, et avait consisté à mettre
en place un processus spécifique d'inhumation des défunts.
Le préfet de police a rappelé qu'il lui appartenait, en vertu des
dispositions législatives particulières à Paris, de
veiller à la prévention de tout risque
épidémiologique et qu'il avait pris, à ce titre, deux
mesures.
Il a indiqué, qu'après avoir consulté l'ensemble des
acteurs et les autorités judiciaires, il avait ainsi été
amené à porter le délai d'inhumation de six à dix
jours pour permettre aux familles d'organiser des funérailles dignes aux
victimes.
Il a précisé, d'autre part, que la fin du délai
d'inhumation des corps déposés à l'IML et aux pompes
funèbres de la ville avait été fixée au 1er
septembre, puis repoussée finalement au 3 septembre.
Après ce rappel des faits,
M. Jean-Paul Proust
a
exposé les mesures qu'il a décidées de prendre afin
d'améliorer, à l'avenir, le dispositif de gestion de crise.
Il a annoncé qu'il avait tout d'abord décidé
d'élaborer un plan d'intervention « chaleur
extrême », dont le champ d'intervention avait été
élargi pour prendre en compte les périodes de grand froid.
Il a déclaré que ce plan, visant désormais les
« températures extrêmes » était d'ores
et déjà opérationnel pour la partie « grand
froid », et que le volet « chaleur
extrême » serait mis en oeuvre au cours des prochains mois.
D'une manière plus générale,
M. Jean-Paul Proust
a
observé que les crises et catastrophes que connaît notre
société prennent des formes multiples et peuvent survenir
à tout moment.
Il a considéré que le drame de cet été soulignait
la nécessité d'une coordination active de tous les services en
charge d'une mission de service public, dans le respect des compétences
de chacun. Il a jugé qu'une coordination efficace ne s'improvisait pas
le jour de l'apparition de la catastrophe, mais qu'elle se préparait en
amont, par des contacts permanents et réguliers et par l'habitude de
travailler en commun.
Il a indiqué qu'il avait décidé, en sa qualité de
préfet de la zone de défense de Paris, et conformément aux
récents textes donnant des compétences élargies au
préfet de zone en la matière, de renforcer le dispositif de
gestion de crise de la Préfecture de police de Paris. Il a ajouté
que la décision de créer un état-major de
sécurité civile doté d'un organisme de veille
opérationnelle permanente, le « centre opérationnel
zonal », avait même déjà été prise
avant la crise de la canicule.
Il a précisé que ce centre, dont le rôle consistera
à recueillir au niveau régional, 24 heures sur 24, toutes les
informations provenant à la fois des sapeurs-pompiers, des policiers,
des gendarmes, des autorités sanitaires, des différents services
déconcentrés de l'Etat, des entreprises publiques de transports,
d'EDF et de Gaz de France, de la météo, des opérateurs de
télécommunications et des collectivités territoriales.
Il a indiqué qu'un état-major de sécurité civile,
ayant une dimension interministérielle au niveau régional, sera
constitué avec pour mission d'analyser les informations, d'en faire la
synthèse et de les croiser ou de les compléter
éventuellement par des consultations d'experts. Il a mis en avant la
possibilité ainsi créée par cette nouvelle structure de
mobiliser un réseau d'experts dans des domaines très
variés, comme les risques technologique, sanitaire, alimentaire ou
routier.
M. Jean-Paul Proust
a considéré que cet
état-major devrait permettre d'anticiper les crises et d'intervenir
comme structure d'aide à la décision. Il a relevé que ce
réseau d'experts s'appuiera sur les services de la préfecture de
police, mais aussi sur les directions départementales et
régionales des services déconcentrés de l'Etat relevant du
préfet de la région d'Ile-de-France. Il s'est
félicité à ce propos que le préfet de région
lui ait apporté son entier soutien dans cette démarche nouvelle.
Il a également indiqué que les collectivités
territoriales, qui ont un rôle majeur à jouer dans la gestion de
crise, seront associées à la constitution de ce réseau
d'experts et bénéficieront en retour des informations
nécessaires pour mobiliser toutes les compétences de leurs
services.
Il a observé que ces deux structures, l'état major d'une part et
le centre opérationnel zonal d'autre part, seront opérationnelles
au tout début de l'année 2004.
Il a annoncé que ses services mettraient, dès l'année
prochaine, à la disposition de l'ensemble des maires d'Ile-de-France,
chaque matin par courrier électronique, un bulletin synthétique
d'information ayant pour objet de souligner les risques prévisibles.
Le préfet de police de Paris a déclaré que la crise que
nous venons de traverser n'avait fait que conforter son entière
détermination à moderniser le dispositif de
sécurité civile de Paris, comme de celui de sa zone de
défense, et de l'étendre aux risques sanitaires. Il a
affirmé qu'il tiendrait le plus grand compte des recommandations ou
propositions de la mission d'information.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié M. Jean-Paul
Proust pour son intervention. Il a noté que, lors de la canicule du mois
d'août, aucun service n'avait pu disposer d'une vision globale de la
crise. Il s'est également félicité des décisions
d'ores et déjà prises pour renforcer les dispositifs de gestion
de crise.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est demandé si, face à
un phénomène climatique d'une telle ampleur, un meilleur
fonctionnement de l'ensemble des services aurait réellement pu
réduire de façon sensible ce bilan tragique.
Mme Évelyne Didier
a considéré, lorsque l'on
évoque le sort des personnes isolées victimes de la canicule,
qu'il convenait de ne pas culpabiliser les familles. Elle a également
souligné que les catastrophes climatiques des dernières
années étaient souvent survenues la nuit, en fin de semaine ou
lors des périodes de vacances. Elle a salué le rôle des
maires qui ont alors fait preuve d'une grande disponibilité et
répondu à l'attente spontanée de la population.
M. Alain Gournac
s'est félicité du renforcement des moyens
d'alerte. Il a toutefois mis en garde contre le risque qui consisterait, une
fois l'alerte donnée, à se défausser sur les élus
locaux pour agir. Il a exprimé le besoin, pour les maires, de pouvoir
compter, dans ce type de circonstances, sur des interlocuteurs disponibles.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est demandé si le nouveau
dispositif d'alerte mis en oeuvre à l'initiative de M. Jean-Paul Proust
ne risquait pas de s'avérer trop centralisé.
Au-delà de la difficulté à accéder à
l'information et à la faire remonter à l'intérieur des
services publics,
M. Claude Domeizel
s'est interrogé sur
l'utilisation qui avait pu être faite des informations fournies par la
presse. Il a considéré, par ailleurs, qu'il convenait de faire
preuve d'une grande prudence dans la gestion de l'information. Mettant en avant
son expérience d'élu local, il a regretté la
multiplication des alertes météo correspondant à des
phénomènes météorologiques mineurs. Il a
noté que, si les maires étaient bien souvent destinataires de
messages d'alerte, ils se retrouvaient fréquemment seuls pour agir.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a estimé qu'il
convenait que les systèmes d'alerte soient organisés pour
identifier au préalable les personnes isolées ou fragiles. Elle a
salué l'action des intervenants sociaux sur le terrain et
souligné la nécessité d'accroître la densité
du maillage du territoire par les réseaux de proximité.
M. Francis Giraud
est revenu sur les propos rapportés par M.
Edouard Couty, lors de son audition, qui faisaient part d'un exemple de
méconnaissance, par un directeur d'hôpital, des
événements survenus dans son établissement. Il a
considéré, d'une façon générale, que le
problème de la responsabilité se trouvait posé dans notre
pays.
Répondant à M. Hilaire Flandre, rapporteur,
M. Jean-Paul
Proust
a estimé que la canicule n'était pas une
fatalité face à laquelle toute action apparaissait vaine. Il a
néanmoins considéré que, dans une situation de ce type, le
bilan final n'aurait pas été très différent si la
réaction à la crise avait été mieux adaptée.
Répondant à M. Serge Lepeltier, rapporteur,
M. Jean-Paul
Proust
a précisé que les dispositifs qu'il souhaitait mettre
en place en Ile-de-France existaient déjà ailleurs. Il a mis en
avant, à cet égard, l'exemple de la zone de défense du
sud-est où fonctionne un système d'alerte qui a fait ses preuves.
Il a également considéré, qu'au lieu de multiplier les
différents dispositifs d'alerte, il convenait plutôt de mettre en
place une structure unique associant l'ensemble des services concernés.
Répondant à plusieurs intervenants,
M Jean-Paul Proust
a
considéré qu'il fallait veiller à ne pas banaliser le
déclenchement des alertes.
Répondant à M. Claude Domeizel,
M. Jean-Paul Proust
a
observé que la presse n'était pas apparue, lors de la crise de la
canicule, comme une source d'informations plus fiable que les autres.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est interrogé sur l'isolement
d'une partie des victimes et sur l'absence de réaction de certaines
familles.
M. Jean-François Picheral
et
Mme Évelyne Didier
ont
estimé qu'il convenait de ne pas généraliser des exemples
isolés et qu'il n' y avait pas eu d'abandon des familles.
M. Jacques Pelletier, président
, a jugé que les exemples
d'abandon par les familles étaient très minoritaires.
Répondant à l'ensemble des intervenants,
M. Jean-Paul
Proust
a observé que, pour un total de 2 000
décès constatés à Paris, seuls 100 corps n'avaient
pas été réclamés, du fait pour l'essentiel de
l'absence totale de famille.
Audition de Mme Michèle
PAPALLARDO
président de l'Agence de l'environnement et de la
maîtrise de l'énergie
(5 novembre
2003)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
de
Mme
Michèle Papallardo, présidente de l'Agence de l'environnement et
de la maîtrise de l'énergie (ADEME)
.
M. Jacques Pelletier, président
, a invité l'intervenante
à exposer les interactions entre le réchauffement climatique et
la canicule, ainsi qu'à présenter les actions menées par
l'ADEME en la matière.
Mme Michèle Papallardo
a expliqué que l'ADEME
s'intéressait aux effets sur la santé de la chaleur et de la
pollution de l'air, notant que la canicule de cet été avait
provoqué les pics de pollution les plus importants depuis que sont
effectuées des mesures. Elle a indiqué que l'ADEME
étudiait également les problèmes liés à la
production d'électricité en période de forte chaleur,
rappelant à cet égard que l'été 2003, et plus
particulièrement la semaine du 15 août, avait connu un
« effet de ciseau » alliant une réduction de l'offre
(du fait que certaines centrales nucléaires ne fonctionnaient pas car
des opérations de maintenance y étaient menées, mais aussi
en raison de l'élévation de la température des cours d'eau
rendant problématique le refroidissement des réacteurs
nucléaires) à une augmentation de la demande (les besoins en
climatisation ayant fortement augmenté). Elle a souligné
toutefois que beaucoup de pays avaient connu un tel phénomène
(Espagne, Italie, Pays-Bas, Etats-Unis ...) et que la France avait
été comparativement plutôt moins affectée.
Elle a ensuite décrit les trois types d'activités menées
par l'ADEME concernant la canicule. La première de ces actions, a-t-elle
indiqué, consiste à anticiper le phénomène pour
chercher à obtenir le meilleur « confort
d'été » possible. S'agissant de la climatisation, elle
a déclaré que l'action de l'ADEME visait à en limiter
l'utilisation (en informant le citoyen des effets négatifs des fluides
frigorigènes sur l'effet de serre, et donc sur le changement
climatique), à la réguler (en préconisant un
étiquetage des climatiseurs indiquant leur puissance ou la fixation de
l'écart optimal entre température intérieure et
température extérieure) et à en améliorer les
performances (en soutenant la recherche et l'innovation pour des climatiseurs
fonctionnant à l'énergie solaire). Elle a
révélé par ailleurs que l'ADEME remettrait prochainement
à son ministère de tutelle un rapport proposant un certain nombre
de mesures (informatives ou normatives) en la matière.
S'agissant des activités concernant d'autres domaines que la
climatisation, elle a précisé que l'ADEME soutenait notamment les
actions menées en matière d'architecture bioclimatique, qu'il
s'agisse de la construction, de la réhabilitation ou de
l'équipement des bâtiments publics et privés. Elle a
estimé par ailleurs que la canicule était liée au
changement climatique, tout en reconnaissant qu'aucune relation entre les deux
phénomènes n'avait encore été scientifiquement
établie.
Elle a ensuite décrit le deuxième domaine d'intervention de
l'ADEME, lié à la pollution de l'air. Constatant que les gaz
d'échappement provenant des transports étaient majoritairement
responsables de ce phénomène, elle a souligné que la prise
de mesures lors des pics de pollution estivaux intervenait trop tard, les
restrictions de circulation des véhicules ne pouvant notamment avoir
d'effets substantiels du fait que la circulation est à cette
époque beaucoup moins dense que le reste de l'année. Elle a mis
en exergue l'importance d'une politique globale qui serait
développée tout au long de l'année et concernerait des
sujets tels que le gazole, les transports en commun ou les véhicules
propres.
Abordant enfin le troisième domaine d'intervention de l'ADEME,
concernant l'alimentation électrique, elle a annoncé une
augmentation inévitable de la consommation d'électricité
ces prochaines années, liée à des besoins de
rafraîchissement accrus et rendant nécessaire la mise en place
d'une véritable politique d'efficacité énergétique,
indiquant à cet égard que le plan climat contenait des mesures de
maîtrise de la demande d'énergie qui figureraient dans le futur
projet de loi d'orientation de l'énergie.
Elle s'est félicitée que les conseils d'économie
d'énergie préconisés par l'ADEME auprès de la
population durant la canicule aient permis d'économiser, selon les
estimations du Réseau de transport d'électricité (RTE),
300 mégawatts, soit l'équivalent de la consommation quotidienne
d'une ville comme Rennes, auxquels se sont ajoutés 1 000
mégawatts économisés par les entreprises.
Elle a insisté sur la nécessité de développer les
énergies renouvelables, et tout particulièrement l'énergie
solaire, qu'elle soit géothermique ou photovoltaïque, afin de
réduire l'utilisation d'énergie électrique d'origine
nucléaire à chacun des pics quotidiens de consommation (soit vers
13 h 00 et vers 22 h 00).
Elle a fait observer que l'ensemble de ces réflexions, qui concernent en
l'occurrence les périodes de forte chaleur, pourraient tout aussi bien
s'appliquer à celles de grand froid.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est alors interrogé sur
l'existence d'un lien entre un réchauffement climatique
général se traduisant par un accroissement de la
température moyenne de 1,5 à 5 degrés au cours du
siècle à venir et une augmentation potentielle des pics de
chaleur tels que celui de l'été 2003. Il a souhaité savoir
à quelle échéance les mesures engagées ou
préconisées par l'ADEME produiraient leurs effets, se demandant
s'il ne faudrait pas nécessairement trouver un équilibre entre
des mesures d'anticipation et des mesures d'adaptation. Il a regretté
que la construction des bâtiments publics (mairies, hôpitaux,
maternités, maisons de retraite ...) privilégie l'utilisation de
surfaces vitrées favorisant l'élévation de la
température. Il a envisagé de réserver
systématiquement des pièces climatisées pour accueillir
des personnes malades ou âgées dans les bâtiments les
hébergeant.
Mme Monique Papon
s'est inquiétée de l'absence d'une
véritable politique de santé environnementale en France, estimant
que d'autres pays, à l'instar de la Grèce, avaient beaucoup
travaillé en ce domaine.
Constatant que les effets de la canicule avaient été accrus par
le peu d'amplitude relevée entre les températures diurnes et les
températures nocturnes, empêchant tout rafraîchissement
durant la nuit,
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est demandé si
ce phénomène risquait de se reproduire et si des mesures
pourraient être prises à cet égard.
Mme Évelyne Didier
s'est interrogée sur la fatalité
d'un tel phénomène, que l'on ne rencontre pas dans les
régions désertiques telles que le Sahara, et sur la façon
dont d'autres populations parviennent à le supporter
régulièrement.
En réponse à ces interventions,
Mme Michèle
Papallardo
a apporté les éléments de précision
suivants :
- s'agissant du peu d'écart de température constaté
entre la nuit et le jour en période de canicule, elle a reconnu qu'il
était impossible de prédire si ce phénomène
perdurerait ;
- s'agissant des relations entre élévation de la
température moyenne et rémanence des pics de chaleur, elle a
observé qu'une année donnée pouvait enregistrer une
moyenne des températures normale tout en ayant connu de forts pics de
chaleur ou de froid. Elle a considéré qu'il y avait d'importants
risques d'accentuation de ces phénomènes paroxystiques, en toute
région, estimant qu'ils seraient particulièrement difficiles
à supporter ;
- s'agissant des informations fournies à la population, elle est
convenue qu'il était délicat d'expliquer que le
réchauffement pouvait être à la fois naturel et
provoqué par des activités humaines, ainsi que de faire la part
entre les deux phénomènes ;
- s'agissant des actions préconisées ou engagées par
l'ADEME, elle a reconnu qu'elles n'auraient pas d'effet immédiat, tout
en insistant sur l'urgence de prendre des mesures dès à
présent afin d'anticiper les conséquences des
dérèglements climatiques à venir ;
- s'agissant des bâtiments publics, elle a regretté que leur
construction s'inspire trop rarement de considérations bioclimatiques,
préconisant certaines mesures allant en ce sens (formation des
architectes, fixation de normes et référents dans les cahiers des
charges ...). En ce qui concerne le bâti existant, elle a
estimé qu'il était possible d'en améliorer l'isolation
à peu de frais (par exemple en équipant les bâtiments
d'auvents ou de volets). Elle a par ailleurs précisé que l'ADEME
travaillait actuellement à intégrer dans la réglementation
thermique 2005 des éléments se rapportant à la canicule.
Elle a regretté de ne pouvoir chiffrer la proportion des salles qu'il
faudrait climatiser dans les bâtiments collectifs accueillant des
personnes malades ou âgées. Indiquant toutefois que le taux de
climatisation était actuellement quasi nul pour les particuliers et
d'environ un tiers dans les entreprises du secteur tertiaire, elle a mis en
garde contre un risque de prolifération de systèmes de
climatisation dont la qualité ne serait pas toujours satisfaisante ;
- s'agissant de l'absence d'une politique de santé
environnementale, elle a regretté que les relations entre les
ministères de la santé et de l'environnement soient aussi
distendues et a indiqué que l'ADEME travaillait en liaison avec l'Agence
française de sécurité sanitaire environnementale (AFSSE)
récemment mise en place.
Mme Françoise Henneron
s'est inquiétée des
conséquences d'un hiver très froid cette année, rappelant
qu'un grand nombre de foyers et de maisons de retraite est chauffé
à l'électricité et supporterait très difficilement
des coupures d'alimentation.
Mme Michèle Papallardo
est convenue que des problèmes
d'alimentation en électricité risquaient de se poser de la
même façon en cas de pic de chaleur comme de froid, un
« effet de ciseau » alliant une hausse de la demande
à une baisse de la production se produisant dans les deux cas. Elle en a
déduit qu'il serait souhaitable de réduire la consommation
d'électricité d'origine nucléaire et de développer
les sources d'énergie renouvelable, afin de ne pas être
entièrement dépendant d'un système d'alimentation
électrique très sensible aux fortes augmentations de la demande
en énergie. Elle a indiqué qu'EDF préparait actuellement
des plans d'action visant à gérer de tels
phénomènes.
Audition de Mme Dominique DRON,
présidente de
la mission interministérielle de l'effet de serre
et de M. Marc
GILLET, directeur de l'Observatoire national
sur les effets du
réchauffement climatique
(12 novembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a tout d'abord procédé à
l'audition
de
Mme Dominique Dron, présidente de la
mission interministérielle de l'effet de serre (MIES), et de
M. Marc Gillet, directeur de l'Observatoire national sur les effets du
réchauffement climatique (ONERC)
.
Après avoir précisé qu'il suivait les travaux du groupe
intergouvernemental d'experts sur l'évolution des climats (GIEC),
M. Marc Gillet
a rappelé les caractéristiques du
changement climatique observé au cours du dernier
millénaire :
- une très légère décroissance des
températures, d'un ou deux dixièmes de degré, de l'an mil
jusqu'au début de l'ère industrielle ;
- depuis le début de cette période, une augmentation moyenne
des températures du globe, par paliers, d'environ 0,6 degrés,
avec une température annuelle moyenne plus faible près des
tropiques et de l'équateur, plus importante vers les continents et les
latitudes plus élevées ;
- en France, une hausse de la température de 1°C en moyenne
depuis 1900 ;
- des températures minimales variant de façon plus
importante que les températures moyennes (1,2 à 1,3
degré), le contraire étant observé pour les
températures maximales.
Analysant les causes de cette évolution depuis 1989, les experts du GIEC
ont écarté les cycles astronomiques, dont les effets sur la
température sont extrêmement lents, les variations de constantes
solaires ainsi que les aérosols, dont les effets thermiques tendent
à se compenser.
Il a indiqué que les recherches n'avaient pas permis de relever d'autres
causes au réchauffement climatique que l'effet de serre dû aux
activités humaines. Les modèles élaborés par le
GIEC permettent d'extrapoler l'évolution du climat sur 100 à
200 ans en procédant à des simulations retenant
différents scénarios d'évolution de la
société. Ces scénarios prévoient tous une
augmentation de la concentration de gaz carbonique (CO
2
), de
50 % à 300 %, soit entre 450 et 1 000 parties par
million (ppm), contre 375 aujourd'hui et 280 avant l'ère
industrielle.
M. Marc Gillet
a, par ailleurs, indiqué que les modèles
climatiques (qui prennent en compte l'interaction des océans, des
forêts...) faisaient apparaître une augmentation de
températures sur le globe de 1,5 à 6° degrés,
correspondant à un scénario pessimiste d'une concentration de
CO
2
de 1 000 ppm : les températures moyennes
devraient ainsi augmenter en France entre 2,5 et 10 degrés et
pourraient s'accroître de 3 degrés d'ici 20 ou 30 ans, et
5 degrés en 2100.
M. Marc Gillet
a estimé que de nouvelles canicules étaient
susceptibles de se manifester dans les 50 ans à venir en rappelant
que Météo France estimait auparavant que des canicules du type de
celle de l'été dernier étaient tout à fait
improbables.
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé que notre
planète avait connu par le passé des périodes de
glaciation et de réchauffement qui ne s'étaient cependant pas
accompagnées d'émissions de gaz à effet de serre,
d'où l'interrogation de certains sur le rôle des activités
humaines et industrielles.
Mme Dominique Dron
a ensuite exposé les circonstances de la
création du GIEC, en 1988-1989, à l'initiative du
président Bush et de Mme Margaret Thatcher, ceux-ci ayant pris
conscience du problème de l'augmentation de la consommation
énergétique et de la vulnérabilité croissante des
pays industrialisés, alors que les travaux des scientifiques
américains soulignaient le rôle probable des émissions de
CO
2
dans le changement climatique.
Après avoir rappelé que le GIEC rassemblait les climatologues et
les océanologues mondiaux les plus réputés, elle a
insisté sur le caractère rigoureux de l'évaluation, par
leurs pairs, de leurs travaux, dont les résultats sont désormais
acceptés par l'ensemble des Etats, y compris les Etats-Unis (et leur
Académie des sciences) et les membres de l'Organisation des pays
exportateurs de pétrole (OPEP).
Mme Dominique Dron
a ensuite évoqué les travaux concernant
l'impact des gaz à effet de serre. Elle a expliqué que les
variations de ces émissions et des températures
évoluaient, depuis un siècle, selon une ampleur et une vitesse
inédites et que notre planète entrait ainsi dans une ère
inconnue. Aussi, les émissions entropiques de CO
2
seront-elles déterminantes dans l'évolution du climat au cours du
XXI
e
siècle. Elle a estimé tout à fait
improbable qu'un événement naturel vienne contrebalancer la
tendance au réchauffement, faute de perspectives glaciaires,
étant rappelé que nous vivons une période interglaciaire
extrêmement longue.
Elle a précisé les conséquences de cette
évolution : une probabilité de 90 à 99 % que les
latitudes tempérées connaissent des régimes de
précipitations de plus en plus intenses et variables, et des
épisodes (en particulier nocturnes) de forte chaleur,
caractérisés par leur fréquence, leur durée et leur
intensité. Il faut également s'attendre à une violence
croissante des cycles hydrologiques se traduisant par une sècheresse et
des inondations dans des pays tempérés. Il a indiqué que
la température moyenne de 2003 ne devrait être
supérieure que d'un demi-degré par rapport à 2002,
alors même que les températures extrêmes de
l'été ont dépassé de quatre degrés celles de
l'année précédente.
Mme Dominique Dron
a ensuite insisté sur le fait que la variation
des températures dépendait pour moitié des politiques qui
seront mises en oeuvre. Elle a déclaré que ce risque
n'était donc pas irrémédiable et que ces politiques
devraient viser les secteurs les plus concernés par les émissions
de gaz à effet de serre, à savoir par ordre
décroissant : les transports, le secteur résidentiel
tertiaire, les secteurs industriel et énergétique. A cet
égard, elle a rappelé que si 80 % de
l'électricité française était d'origine
nucléaire, non émettrice de CO
2
, ceci ne
représentait que 30 % de l'énergie consommée, et que
le pétrole constituait le principal problème. Cette situation est
d'autant plus préoccupante que l'appareil de production
énergétique est de plus en plus sollicité du fait de
l'augmentation de la consommation, en particulier pour les transports.
Elle a souligné que les pays industrialisés disposaient d'ores et
déjà des technologies permettant de maîtriser cette
évolution et avaient vocation à servir de modèle à
l'ensemble de la planète pour modifier les comportements.
Elle a rappelé que la gestion des aléas climatiques devrait
s'effectuer dans des conditions très différentes du passé,
les contraintes en termes d'espace étant désormais bien
supérieures, compte tenu de la démographie mondiale, toutes les
terres « vivables » étant occupées.
Répondant ensuite à
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, qui
l'interrogeait sur les perspectives d'évolution des courants marins, et
sur leur éventuelle influence en termes de refroidissement du climat,
M. Marc Gillet
a indiqué que, si certaines modifications du cours
du Gulf Stream avaient été observées dans le passé,
en raison de l'apport d'eau douce lié à la fonte des glaciers,
ceci était peu probable pour ce siècle, la fonte des glaciers du
continent antarctique étant insuffisante et compensée par des
chutes de neige. Il a ajouté que certains scientifiques estimaient que
le climat européen serait davantage modifié par les courants
atmosphériques qu'océanographiques.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a ensuite demandé dans
quelle mesure les politiques mises en oeuvre en France permettraient de
réduire l'incertitude quant à l'évolution du climat.
Mme Dominique Dron
a précisé que les deux facteurs
principaux de variabilité pour le GIEC tenaient, d'une part, aux
politiques mises en oeuvre et, d'autre part, au degré de
réactivité de l'atmosphère aux émissions de gaz
à effet de serre pondérées.
M. Marc Gillet
a ajouté que le GIEC avait pour objectif
prioritaire de réduire l'incertitude dans les modèles climatiques.
Répondant à
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, qui
s'interrogeait sur les préconisations de la MIES,
Mme Dominique
Dron
a jugé que les dix années à venir étaient
cruciales pour infléchir nos politiques. Il importe de commencer
dès aujourd'hui dans la mesure où la mise en oeuvre de
décisions structurantes est très lente dans les secteurs des
transports et du bâtiment. Les mesures devraient concerner notamment le
parc de logements existant, puisque celui-ci représentera encore
50 % du parc en 2050. Il convient également de tenir compte du fait
que le parc des véhicules ne sera renouvelé que trois fois dans
les cinquante ans à venir.
Elle a ajouté que le dérèglement climatique recouvrait
à la fois des épisodes extrêmes, sur lesquels il convient
de ne pas se focaliser, et une évolution continue affectant les
précipitations et les récoltes. Cette situation nécessite
la mise en place d'un réseau d'observation (l'ONERC en particulier) et
une analyse de la vulnérabilité sectorielle à ces
évolutions afin de déterminer ce qui mérite d'être
sécurisé. En effet, l'Europe ayant connu jusqu'à
maintenant des conditions climatiques tempérées, celle-ci a
optimisé en conséquence l'organisation de son économie, de
ses technologies, de ses transports et de ses pratiques agricoles.
Mme Dominique Dron
a indiqué que la Grande-Bretagne accordait une
attention toute particulière aux conséquences de
l'évolution climatique, qui est plus facile à cerner du fait de
sa position géographique, et notamment aux inondations qui sont
susceptibles de menacer 10 % de son patrimoine bâti.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est interrogé sur la
nécessité d'une mise en cohérence des diverses structures
administratives concernées, notamment au regard de leurs propositions et
de leur communication respective.
Mme Dominique Dron
a indiqué que la MIES et l'ONERC travaillaient
en partenariat avec les ministères concernés et avec les
professionnels en vue de proposer des mesures pour le « plan climat
2003 » du gouvernement.
Elle a rappelé que si le XX
e
siècle avait
profité d'un pétrole abondant et bon marché, encourageant
l'explosion des transports et ses corollaires (étalement urbain,
spécialisation du commerce mondial, économie à flux
tendus...), tel ne serait pas le cas du XXI
e
siècle. Elle a
souligné que les schémas culturels devraient en être
profondément modifiés et qu'il fallait élaborer de
nouveaux modèles de croissance plus adaptés et moins
émetteurs de CO
2
, car ce n'est qu'après 2050
qu'apparaîtront des technologies non émettrices de carbone.
Répondant ensuite à
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, sur le
rôle de la MIES en matière de communication,
Mme Dominique
Dron
a insisté sur l'urgence d'une vision prospective relative
à l'évolution de notre société et de notre
économie pour les vingt ans à venir. Selon elle, il convient
à la fois de développer la communication et la
« co-construction participative », tant l'adhésion
de tous à cette modification des représentations est
indispensable.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a ensuite demandé quel pourrait
ou devrait être le rôle des élus face aux
phénomènes climatiques.
Mme Dominique Dron
a jugé ce rôle fondamental dans la
mesure où les décisions de proximité ont un impact
déterminant notamment dans le domaine des transports, des
énergies décentralisées et de la gestion des
déchets. La moitié des émissions de gaz à effet de
serre résultant de la vie quotidienne des ménages, elle a
estimé essentiel que les élus participent à la mise en
cohérence de l'ensemble des décisions.
Mme Évelyne Didier
s'interrogeant sur les pics de froid que la
France pourrait connaître à l'avenir,
M. Marc Gillet
a
indiqué qu'on ne pouvait écarter cette éventualité.
Cependant, la France devrait connaître moins de gelées, mais
celles-ci produiront probablement davantage de dégâts sur les
récoltes, en raison de la fragilité de la
végétation. En outre, les hivers devraient être plus
humides.
Mme Évelyne Didier
a ensuite demandé des précisions
sur la politique menée par les Etats-Unis et les pays arabes.
Mme Dominique Dron
a souligné les grandes différences
entre la politique fédérale (opposée au
multilatéralisme) et celle engagée par de nombreux Etats
américains. Elle a souligné l'inquiétude des entreprises
américaines face à l'attentisme du gouvernement
fédéral, dans la mesure où la forte consommation
d'énergie (2,5 fois supérieure à celle des
Européens) risque de porter atteinte à leur
compétitivité. Elle a relevé que deux voix seulement
avaient manqué au Sénat américain pour l'adoption d'une
loi relative au changement climatique, alors que 80 % des sénateurs
s'y étaient opposés quelques années auparavant.
S'agissant des pays arabes, elle a évoqué l'Arabie Saoudite, qui
connaît un problème de politique intérieure, la rente
pétrolière lui permettant de contenir les extrémismes. Sur
le moyen terme, il est cependant probable que ce pays préfèrera
gérer cette rente de manière plus satisfaisante, en vendant
à un prix plus élevé de moindres quantités de
pétrole.
Évoquant le rôle des élus,
Mme Monique Papon
a
demandé comment recueillir l'adhésion de la population sans
l'affoler.
Mme Dominique Dron
a estimé que les citoyens étaient en
mesure de prendre leurs responsabilités, à condition que la
vérité leur soit expliquée, que les arbitrages
nécessaires leur soient clairement exprimés et que
l'équité dans les efforts à fournir soit garantie.
En conclusion, elle a insisté sur le risque d'appropriation du
changement climatique et de son instrumentalisation par des groupes
d'intérêt.
Audition de Mme Françoise LALANDE,
inspecteur
général des affaires sociales
(12 novembre
2003)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
Mme
Françoise Lalande, inspecteur général des affaires
sociales
.
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé que Mme
Françoise Lalande était l'auteur du rapport de la mission
d'expertise et d'évaluation sur la crise sanitaire liée à
la canicule de l'été dernier, rédigé à la
demande du ministre de la santé, et qui avait mis à jour certains
dysfonctionnements des administrations sanitaires. Il a en outre
précisé que la mission d'information n'avait pas à
effectuer une « chasse aux sorcières » quant aux
éventuelles négligences dans la gestion de la canicule, mais
qu'elle avait pour objectif de comprendre les réactions de la
société et des institutions face à un tel
phénomène en vue d'améliorer les dispositifs existants.
Mme Françoise Lalande
a rappelé que la mission d'expertise
et d'évaluation, qu'elle avait coordonnée, composée
également du Professeur Sylvie Legrain, chef du service de
gériatrie de l'hôpital Bichat, du Professeur Alain-Jacques
Valleron, épidémiologiste à l'hôpital Saint-Antoine
et du Professeur Dominique Meyniel, chef du service des urgences
médicales de l'hôpital Tenon, avait rempli sa tâche dans des
délais très courts, ajoutant que sa création avait
été décidée par lettre du ministre de la
santé en date du 20 août 2003 et que ses conclusions avaient
été rendues publiques au début du mois de septembre.
Elle a indiqué que ce rapport de synthèse devrait permettre au
ministre de la santé de disposer des principales données sur la
réponse du système de santé français à la
canicule, en vue d'informer le Parlement et constituait un préliminaire
aux travaux d'enquête ultérieurs. Précisant que la mission
avait en conséquence procédé à l'audition des
principaux acteurs impliqués dans les différentes étapes
de la crise et que certaines polémiques sur le rapport final avaient pu
résulter de ce choix de méthode, elle a souligné que les
problèmes de l'alerte et de l'anticipation des services
concernés, de l'organisation des soins et de la prise en charge
sanitaire des personnes âgées avaient fait l'objet d'un examen
tout particulier.
Elle a noté que l'établissement d'une chronologie de la crise et
des réponses des administrations avait permis de conclure à une
impossibilité, pour les services compétents, de déceler
l'ampleur du phénomène caniculaire jusqu'au
6 août 2003. Elle a ajouté qu'en dépit de
multiples indices concordants « sur le terrain »
après cette date, la réaction des différents
échelons administratifs impliqués avait été tardive
et décalée. Notant qu'une littérature scientifique de
qualité sur les vagues de chaleur existait dans les revues
spécialisées de nombreux pays, en particulier aux Etats-Unis, en
Espagne ou en Italie, elle a regretté les retards français en la
matière ainsi que l'absence d'étude par l'Institut national de la
santé et de la recherche médicale (INSERM) sur les
expériences étrangères de Chicago, Saint-Louis, New-York,
Toronto, Athènes ou Londres.
Évoquant la surmortalité constatée à partir d'une
température relativement modérée lors de la vague de
chaleur de Londres et les 700 morts constatés à Chicago
en 1995,
Mme Françoise Lalande
a rappelé que les
conséquences sanitaires de la canicule étaient variables selon
les pays. Elle a ensuite précisé que la conception des grands
ensembles urbains, la solitude et l'isolement social, la consommation de
médicaments tels que les diurétiques ou les neuroleptiques ainsi
que certaines pathologies, à l'exemple des troubles neurologiques ou des
insuffisances cardiaques et rénales, constituaient des facteurs de
risque pour la population lors de fortes chaleurs. Elle a souligné,
à l'inverse, la protection apportée pour les personnes
dépendantes par la climatisation des locaux en période de
canicule et s'est interrogée sur les réticences de notre pays
à l'égard de son développement.
Elle a évoqué l'expérience des spécialistes du
Center for disease Control and Prevention (CDC) d'Atlanta en matière
d'alerte sanitaire, en indiquant que des programmes spécifiques
élaborés avec les entreprises privées permettaient le
repérage des personnes isolées, l'amélioration de
l'habitat, la généralisation de l'accès à la
climatisation au moins une fois par jour, l'ajustement des traitements
médicaux en fonction des besoins ainsi que l'hydratation des personnes
fragiles lors des épisodes caniculaires. Elle a déploré
l'absence de diffusion de ces bonnes pratiques en France, à l'exception
des dispositions prises à l'initiative du Professeur San Marco, qui ont
permis de limiter la surmortalité dans l'agglomération
marseillaise, malgré des températures élevées et un
niveau de pollution très important.
Évoquant l'exemple de Montpellier,
Mme Françoise Lalande
a
toutefois remarqué que certaines villes, où aucun programme
spécifique n'avait été mis en oeuvre, mais où la
population avait une connaissance certaine des pratiques efficaces pour
supporter les effets de la chaleur, n'avaient pas été
touchées par un phénomène de surmortalité.
Elle a constaté que les systèmes d'alerte et les institutions qui
auraient dû prévoir le déclenchement de la canicule,
à l'exemple de l'institut de veille sanitaire (InVS), avaient
été défaillants. Elle a ajouté que l'organisation
de l'institut lui avait permis dans le passé de se montrer très
efficace dans la détection des maladies infectieuses mais qu'il avait
échoué dans ses missions d'alerte, de veille et d'information,
l'été dernier, réagissant seulement aux demandes des
différentes administrations concernées. Elle a également
noté que le dispositif de garde avait été
défectueux en particulier lors du week-end des 9 et 10 août
2003. Elle a souligné l'urgence de créer au sein de l'institut un
véritable système de veille quotidienne à partir des
statistiques des services des urgences médicales des hôpitaux et
des certificats de décès, ainsi qu'une cellule de prospective
susceptible de tirer les leçons des expériences
étrangères.
Elle a ensuite insisté sur le caractère trop tardif de l'alerte
donnée par les urgences médicales des hôpitaux et par la
brigade des sapeurs-pompiers de Paris en précisant que ces services
n'avaient pas été en mesure d'évaluer l'étendue de
la situation et qu'ils s'étaient efforcés avant toute chose de
remplir, coûte que coûte, leur mission de sauvetage et
d'assistance, conformément à leur vocation, avec les moyens dont
ils disposaient, sans requérir d'assistance extérieure.
Mme Françoise Lalande
a indiqué que l'absence de
coopération entre les ministères compétents et le
cloisonnement des administrations sanitaires avaient aggravé les
dysfonctionnements du système de santé, estimant par ailleurs que
le cabinet du ministre de la santé n'était pas la structure
adéquate pour assurer la coordination permanente des acteurs
concernés. Elle a observé que les hôpitaux, les
funérariums et les maisons de retraite avaient dû trouver des
solutions dans l'urgence pour limiter les conséquences sanitaires de la
canicule. Elle a rappelé que la mortalité avait été
forte dans certains établissements accueillant des personnes
âgées en situation de grande dépendance, touchés par
des problèmes de personnels et de locaux, mais que d'autres
institutions, à l'exemple de la maison de retraite Oasis à Paris,
avaient su anticiper la crise en procédant à des traitements
contre la déshydratation par perfusions massives de leurs pensionnaires
dès le mois de juin.
Elle a ajouté que la canicule avait provoqué des situations de
crise dans les hôpitaux des régions Centre et Ile-de-France qui ne
disposaient pas des personnels médicaux et para-médicaux
nécessaires en raison des congés, de la diminution du temps
médical disponible, liée à l'application de la
réduction du temps de travail, d'une démographie médicale
préoccupante ainsi que des difficultés récurrentes dans la
répartition géographique et professionnelle des
infirmières. Elle a ajouté que le départ en vacances de
nombreux médecins libéraux avait favorisé un afflux massif
de personnes âgées vers les services d'urgence, de
réanimation et d'anesthésie fragilisés par des fermetures
de lits mais elle a reconnu que la mise en place du « plan
blanc » avait permis un redéploiement efficace des personnels.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, s'est demandée si
certains éléments portés à la connaissance de la
mission d'expertise et d'évaluation, mais non incorporés dans son
rapport, pouvaient éclairer les réflexions du Sénat. Elle
s'est interrogée sur les critiques émises par le rapport à
l'encontre du contenu du communiqué de presse envoyé par la
direction générale de la santé (DGS) le 8 août,
sur les moyens d'améliorer la diffusion dans les médias de tels
communiqués et sur l'efficacité de la direction de
l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) pendant la crise. Elle
s'est demandé si les liens entre les directions du ministère de
la santé et l'Institut de veille sanitaire étaient suffisants, si
la création d'une structure opérationnelle placée
auprès du Premier ministre n'était pas nécessaire et si la
prévention et l'information sur les bonnes pratiques ne pouvait pas
être facilitée à travers l'action des
« réseaux villes-hôpitaux » et des centres
locaux d'information et de coordination gérontologique (CLIC). Elle a
ajouté que les annonces récentes du gouvernement relatives
à la mise en place d'un plan spécifique en faveur des personnes
dépendantes semblaient tenir compte des enseignements du rapport.
Mme Françoise Lalande
a indiqué que la faiblesse de la
communication entre le ministère de la santé et le
ministère de l'intérieur, ainsi que le manque de temps
laissé à la mission pour rendre son rapport, n'avaient pas permis
d'analyser les circonstances de décès lors de la période
de canicule, alors que l'augmentation soudaine des demandes de certificats de
décès, l'engorgement des chambres mortuaires, la
réquisition de personnels et de locaux en urgence ainsi que
l'instauration de délais supplémentaires pour les inhumations
avaient mis en évidence un problème majeur.
Concernant le communiqué de presse précité de la direction
générale de la santé,
Mme Françoise Lalande
a souligné qu'il aurait dû préciser les consignes minimales
de santé publique, en particulier en matière d'hydratation des
personnes, d'accès à la climatisation, d'évolution des
traitements médicaux et inciter les familles à être
attentives aux besoins de leurs personnes âgées comme elles ont su
le faire à l'égard des très jeunes enfants.
Elle a constaté que l'action de la direction de l'hospitalisation et de
l'organisation des soins (DHOS) avait été relativement
satisfaisante et que la forte mobilisation de l'assistance publique
hôpitaux de Paris (AP-HP) avait contribué à limiter
l'impact sanitaire de la vague de chaleur. Elle a noté que la faible
communication entre l'Institut de veille sanitaire et les directions du
ministère de la santé, ainsi que la restructuration permanente de
la direction générale de la santé, n'avaient pas
facilité la réactivité du système de santé.
Elle a rappelé que le Premier ministre et les ministres avaient plus
vocation à faire face à une crise sanitaire majeure qu'une
structure interministérielle spécifique sans autorité.
Elle a souligné le rôle essentiel des maires dans l'anticipation
des crises et l'information des populations ainsi que l'intérêt de
la coopération croissante entre Météo France et les
administrations sanitaires en matière d'alerte comme en
témoignait la diffusion de cartes de vigilance en cas
d'intempérie. Elle a ajouté que le réseau des centres
locaux d'information et de coordination gérontologiques devait
être encore développé.
Mme Gisèle Gautier
a souligné la
responsabilité de l'ensemble des institutions et des individus
s'agissant des carences constatées dans la réponse
apportée l'été dernier au phénomène
caniculaire et la nécessité de tirer les enseignements de la
crise, insistant sur la nécessité de diffuser les bonnes
pratiques. Elle s'est interrogée sur l'ampleur réelle de la
surmortalité due à la canicule au regard des taux de
mortalité éventuellement relevés en septembre et en
octobre ainsi que sur les raisons d'une mortalité plus faible en
Belgique et au Royaume-Uni pendant la période estivale.
M. François Fortassin
et
Mme Évelyne
Didier
ont estimé que la mission d'information, sans procéder
à une « chasse aux sorcières », devrait
établir les responsabilités de chacun dans les dysfonctionnements
constatés dans la gestion des conséquences de la canicule.
M. François Fortassin
a souligné que le nombre de
décès attribués à la canicule était
exceptionnel et qu'il justifiait une analyse attentive des réponses
apportées à la crise. Il a ajouté que le
département des Hautes-Pyrénées avait su anticiper le
déclenchement de la vague de chaleur en diffusant des informations
simples concernant les gestes essentiels pour lutter contre les effets des
fortes températures et qu'il avait aussi bénéficié
d'une réelle solidarité intergénérationnelle qui
avait dû certainement faire défaut dans les grandes villes. Il a
enfin stigmatisé les défaillances de l'Institut de veille
sanitaire.
Mme Sylvie Desmarescaux
s'est interrogée sur les raisons
pour lesquelles certaines maisons de retraite parisiennes, à l'inverse
d'autres, avaient pu mettre en place un dispositif efficace.
Mme Françoise Lalande
a indiqué que
« l'effet de moisson » connu des spécialistes, selon
lequel une crise sanitaire de grande ampleur accélère la
mortalité d'individus fragiles, n'avait pas été
identifié pour le moment, ajoutant que le décès de
nombreuses personnes âgées bien portantes avait été
constaté pendant les quinze premiers jours du mois d'août. Elle a
rappelé que la surmortalité de l'été dernier avait
été provoquée par une vague de chaleur sans
précédent depuis le début des mesures
météorologiques en France, en 1873. Elle a ajouté que
l'insuffisance des dispositifs de garde de certaines institutions sanitaires en
raison des départs en vacances, constatée par une étude de
la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), et la surconsommation
médicamenteuse de certaines personnes âgées avaient
certainement accru le risque pour ces dernières. Elle a noté que
la solidarité intergénérationnelle dans les familles
était réelle, mais qu'elle n'avait pas été assez
sollicitée l'été dernier et que la capacité
d'anticipation de la maison de retraite Oasis avait été
facilitée par l'expérience individuelle passée des
médecins de l'établissement.
M. Jacques Pelletier, président
, a enfin souligné les
graves carences dans l'organisation du système de garde de l'Institut de
veille sanitaire.
Audition de M. Marcel DENEUX, sénateur
auteur
du rapport
« Les changements climatiques à l'horizon 2025,
2050, 2100 »
de l'Office parlementaire d'évaluation des
choix scientifiques et technologiques
(12 novembre
2003)
La
commission a enfin procédé à
l'audition
de M.
Marcel Deneux, sénateur, auteur du rapport « Les
changements climatiques à l'horizon 2025, 2050, 2100 » de
l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et
technologiques (OPECST)
.
M. Jacques Pelletier, président
, l'a invité à
exposer et éventuellement à actualiser le contenu de son rapport,
qu'il a qualifié de prémonitoire.
M. Marcel Deneux
a tout d'abord expliqué les conditions dans
lesquelles avait été élaboré le rapport. Il a
rappelé que le Président Poncelet avait à l'origine saisi
l'OPECST à la demande de M. Jacques Oudin, sénateur, pour
rédiger un rapport sur l'eau. Ayant accepté d'être
nommé rapporteur, il a indiqué qu'il s'était rendu compte
au cours de l'étude de faisabilité que le sujet méritait
d'être étendu et qu'il avait alors déposé une
demande d'autosaisine élargie auprès de l'Office, peu avant que
les présidents respectifs de l'Assemblée nationale et du
Sénat de l'époque ne déposent à leur tour une
demande de saisine en ce sens.
Il a précisé que l'OPECST s'était entouré d'un
conseil scientifique de haut niveau dès le début des travaux,
afin d'analyser avec un maximum d'objectivité les évolutions
climatiques. Il a observé que l'extrême prudence des scientifiques
sur le sujet n'avait pas empêché le déclenchement à
l'époque de polémiques dans l'opinion publique comme chez les
décideurs politiques. Il a toutefois précisé que la
publication en 2001 d'un rapport du Groupe intergouvernemental d'experts sur
l'évolution des climats (GIEC) avait largement confirmé les
analyses du conseil scientifique. Il a ajouté que les systèmes de
modélisation scientifique utilisés pour l'étude des
climats avaient significativement gagné en fiabilité ces
dernières années en effectuant des carottages dans les glaces des
lacs jurassiques ou du Groenland.
Il a exposé ensuite les principaux constats du rapport, indiquant que
l'on se trouvait actuellement en fin de période glaciaire, que la
température était susceptible d'augmenter de 1,5 à
4 degrés d'ici la fin du siècle et que les océans,
qui représentent 72% de la surface terrestre et jouent le rôle de
régulateurs de l'atmosphère, se
« dilateraient » et risqueraient de submerger certaines
régions. Il a souligné que si une pollution à l'ozone
existait parallèlement à celle à l'oxyde de carbone, la
première était relativement circonscrite et n'avait pas
d'influence directe sur l'effet de serre. Remarquant que sur les 12 gaz
à effet de serre identifiés, seuls 6 avaient été
intégrés dans le protocole de Kyoto à la convention cadre
des Nations-Unies sur les conditions climatiques, il a estimé que la
résorption des gaz actuellement émis n'aurait lieu que d'ici 70
à 80 ans et qu'il serait donc difficile de satisfaire aux engagements
dudit protocole, c'est à dire de revenir en 2010 à un niveau
d'émission de gaz à effet de serre comparable à celui de
1990.
Relevant que les quatre pics de chaleur enregistrés au XX
e
siècle avaient été enregistrés en 1976 et durant
les années 90, puis rappelant que l'année 2003 avait connu des
records de chaleur historiques, il a souligné que l'action de l'homme
sur l'environnement, par le rejet de gaz à effet de serre, était
responsable d'un réchauffement à l'échelle
planétaire dont les épisodes de canicule étaient les
manifestations les plus visibles et dont on ne savait pas actuellement s'il
s'arrêterait ni à quel moment.
Insistant sur un manque d'anticipation vis-à-vis de la canicule qu'il a
estimé surprenant pour un pays développé, il a
regretté que les acteurs concernés n'aient pas pris conscience du
fait que le climat se déréglait en raison de l'augmentation des
émissions de gaz à effet de serre. Rappelant que 80 % de la
population habitait aujourd'hui dans des villes et n'avait plus de
réelle connaissance des éléments naturels, il a
déploré que l'opinion publique ne soit pas davantage
sensibilisée à l'ensemble de ces phénomènes. Il
s'est interrogé à cet égard sur l'usage qui était
fait des 18 000 CD-rom accompagnant son rapport, dont 4 600
exemplaires ont été envoyés dans des lycées :
en effet, ceux-ci semblent sous-utilisés alors qu'ils sont
agréés pour les travaux personnels encadrés (TPE) des
classes de première et de terminale.
Estimant qu'il revenait aux décideurs politiques et économiques
de prendre eux-mêmes conscience et de faire prendre conscience des enjeux
en matière d'évolution climatique, il a regretté que les
responsables politiques soient plus enclins à agir en direction des
industriels qu'en direction des particuliers, alors que les comportements
individuels concernant le transport, notamment, avaient une incidence
significative sur les concentrations de gaz à effet de serre. Expliquant
à cet égard que les constructeurs automobiles français
avaient les capacités techniques de produire des véhicules plus
légers et économes en carburant, il a déploré que
les consommateurs ne soient pas plus réceptifs à ce type de
progrès.
Convenant que les décideurs économiques prenaient peu à
peu conscience des enjeux environnementaux, comme en témoignait par
exemple l'organisation par le MEDEF en juillet 2002 de journées
d'étude consacrées à l'environnement, il a jugé
nécessaire de discuter du modèle de développement
économique et du type d'énergie à retenir pour les
années à venir. Soulignant que les ressources en pétrole
montreraient bientôt leurs limites, il a appelé à un
travail à long terme sur les différents types d'énergie,
regrettant que le rapport d'orientation sur l'énergie de la ministre
déléguée à l'industrie, Mme Nicole Fontaine, ne
développe pas davantage ce sujet.
Il a ensuite détaillé certaines des mesures
préconisées dans son rapport pour limiter les changements
climatiques : renforcement de la veille sanitaire, recherche
d'éléments de comparaison avec les départements
d'outre-mer, multiplication des indicateurs prenant en compte la vie
quotidienne de la population, diffusion de mesures hygrométriques,
rédaction de bulletins d'information
médico-météorologiques, prise en compte d'aspects de
sécurité civile en relation avec les évolutions
météorologiques, intégration d'éléments
bioclimatiques dans la conception ou la rénovation des bâtiments
(formation des architectes, choix de couleur n'absorbant pas la chaleur, pose
de volets, renforcement de l'isolation, mise en place de systèmes de
rafraîchissement, plantation d'arbres autour des maisons ...).
Évoquant les préconisations qui avaient fait l'objet de mises en
application, il a regretté que le dispositif consistant à colorer
les cartes météorologiques en fonction du degré d'alerte
prévisible ne soit par davantage connu de la population. Il a par
ailleurs déploré qu'une circulaire ait prévu l'envoi de
bulletins régionaux d'alerte météorologique (BRAM) aux
centres interrégionaux de coordination des opérations de
sécurité civile (CIRCOSC) dépendant des zones de
défense, alors que certains de ces centres n'avaient pas
été créés, ajoutant qu'il était prévu
dans ce cas que ces bulletins soient communiqués aux services
départementaux d'incendie et de secours (SDIS), alors que certains
d'entre n'en étaient pas informés.
Affirmant pour conclure que les répercussions sanitaires de la canicule
pouvaient être évitées à condition de s'en donner
les moyens, il a appelé à renforcer les mesures en faveur de la
recherche, notamment en augmentant les crédits y étant
consacrés et en incitant les épidémiologistes à
s'intéresser aux problèmes climatiques. Il a également
évoqué un programme d'étude sur les océans
actuellement en cours afin de mieux connaître l'évolution des
courants marins, dont il est acquis qu'ils ont des effets sur le climat.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a souligné le bien fondé
des propos de l'intervenant, considérant qu'ils ne pouvaient qu'inciter
les élus à agir. Il a estimé que le rapport de l'OPECST
sur les changements climatiques constituait une véritable
« bible » regroupant l'ensemble des connaissances et
réflexions sur le sujet. Il a insisté sur la qualité des
modèles scientifiques servant de base aux prévisions climatiques,
rappelant qu'ils avaient notamment prévu les tempêtes de 1999.
Mme Gisèle Gautier
, relayée par
M. Jacques Pelletier,
président
, s'est étonnée à titre d'anecdote
significative que les bureaux des sénateurs ne soient pas
climatisés.
Mme Évelyne Didier
a noté que la forte participation des
sénatrices aux travaux de la mission témoignait de leur
intérêt pour les questions liées à l'environnement.
En réponse à
M. Jacques Pelletier, président
, qui
le questionnait sur les effets néfastes éventuels de la
climatisation et sur l'opportunité de réserver dans chaque
hôpital ou maison de retraite une pièce en
bénéficiant,
M. Marcel Deneux
a observé que
l'Académie de médecine était effectivement
réservée sur les effets de la climatisation, tout en
reconnaissant que l'idée d'en faire bénéficier certaines
salles dans les bâtiments collectifs était opportune.
Enfin,
Mme Sylvie Desmarescaux
a déclaré avoir reçu
dans son département, durant la canicule, des bulletins d'alerte
météo provenant de la préfecture.
Audition de MM. Pierre PORTET et Alain LE
JAN
inspecteurs généraux du génie rural des eaux et de
la forêt,
chargés de la coordination sécheresse au
ministère de l'agriculture
(19 novembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission a d'abord procédé à
l'audition
de
MM.
Pierre Portet et Alain Le Jan, inspecteurs généraux du
génie rural des eaux et de la forêt (GREF), chargés de la
coordination sécheresse au ministère de l'agriculture.
M. Pierre Portet
a indiqué qu'il avait exercé les fonctions
de « coordinateur sécheresse » au sein du
ministère de l'agriculture durant le mois de juillet, avant d'être
relayé par
M. Alain Le Jan
durant le mois d'août, et de
s'occuper conjointement de la coordination durant le mois de septembre.
Il a rappelé que le ministre de l'agriculture s'était
entouré dès le début du mois de juillet
d'ingénieurs généraux du GREF ayant exercé des
fonctions de terrain et connaissant tout particulièrement les
événements climatiques exceptionnels, et avait effectué de
nombreux déplacements sur l'ensemble du territoire pour visiter des
exploitations agricoles touchées par la sécheresse. Il a
ajouté que les réunions interministérielles s'étant
déroulées à cette époque avaient rassemblé
des représentants du ministère de l'agriculture, mais aussi de
l'intérieur (pour les incendies de forêt), de l'écologie
(pour les problèmes d'eau) et des finances.
Soulignant que la sécheresse, à la différence de la
canicule, ne constituait pas un phénomène nouveau pour le monde
agricole, il a précisé que l'action du ministère de
l'agriculture avait eu essentiellement pour objet d'éviter que cet
événement climatique exceptionnel n'entraîne une
« décapitalisation de bétail » de la part des
éleveurs, jugeant que cet objectif avait été atteint dans
la mesure où le cours de la viande bovine n'avait pas baissé.
Il a ensuite exposé les diverses mesures prises dès le mois de
juillet par le ministère, et notamment l'allocation exceptionnelle de 25
millions d'euros consacrée au transport de fourrages. Observant que le
peu d'informations disponibles à l'époque avait rendu difficile
sa délimitation géographique, il a expliqué que celle-ci
avait été déterminée par les services centraux du
ministère pour chaque département en référence
à des critères tels que l'existence de mesures
préfectorales de restriction d'eau, ainsi que la plus ou moins grande
présence d'animaux, de fourrages et de paille. Précisant que 40
départements relativement dispersés avaient été
retenus à l'origine, avant que ne soit délimitée une zone
plus homogène de 49, puis de 53 départements, il a estimé
que les mesures consacrées au transport de fourrages avaient
été favorablement accueillies par les personnes
concernées, ajoutant que des crédits supplémentaires
étaient prévus en loi de finances rectificative.
M. Alain Le Jan
a ensuite déclaré que les mesures avaient
déjà été prises lorsqu'il avait relayé son
collègue comme coordinateur sécheresse début août,
à une période où une partie des effectifs du
ministère était en congé, et que sa tâche avait
consisté à développer les contacts avec les directions et
services déconcentrés des ministères
intéressés, les préfets, les parlementaires, les
organismes professionnels et la presse.
Il a insisté sur le fait que la procédure de reconnaissance et de
dédommagement des calamités agricoles avait été
mise en oeuvre de façon accélérée afin que les
premières indemnisations puissent avoir lieu courant septembre.
Il a indiqué avoir reçu et transmis aux services
compétents de très nombreux appels téléphoniques
suite à la lettre du ministre de l'agriculture adressée le 29
juillet aux agriculteurs, celle-ci traitant de la réforme de la PAC,
mais aussi des problèmes liés à la sécheresse, en
fournissant le numéro de téléphone du
« coordinateur sécheresse » au ministère.
Il a reconnu que l'intervention des transporteurs en vue de l'acheminement du
fourrage vers les départements sinistrés avait posé
problème, du fait que la profession, peu habituée à ce
type d'activité, était en « service
réduit » durant l'été. Il a toutefois
considéré que la situation s'était améliorée
à la suite d'une meilleure coordination entre les ministères de
l'agriculture, des transports et de la défense, ainsi qu'après la
mise en place dès la fin du mois de juillet d'un comité de suivi
hebdomadaire avec les principaux services administratifs et organisations
professionnelles (Assemblée permanente des chambres d'agriculture,
Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles,
Jeunes agriculteurs, Coordination rurale, Confédération paysanne
et Confédération nationale des syndicats d'exploitants
familiaux), dont les comptes rendus ont été adressés
à tous les départements, sinistrés ou non.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que les stocks
de paille étaient demeurés en place jusqu'au 20 octobre dans son
département et avaient ainsi été exposés aux
intempéries. Il s'est également interrogé sur les
incidences de la canicule quant aux rendements des diverses productions
végétales et animales.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a déploré que les
leçons de la sécheresse de 1976 n'aient pas conduit à
mieux se préparer à la survenance d'un tel
événement, en ayant recours par exemple à des
réquisitions et aux entreprises de transport dont les capacités
sont portées à la connaissance des administrations. Il s'est
demandé si la sécheresse de cette année était
seulement superficielle ou bien plus profonde, et quelles en seraient les
conséquences sur l'agriculture, notamment sur le long terme. Il s'est
enfin enquis des réflexions éventuellement engagées au
sein du ministère de l'agriculture afin d'analyser les
conséquences potentielles du réchauffement climatique sur
l'agriculture.
En réponse à ces deux interventions,
M. Pierre Portet
a
apporté les précisions suivantes :
- s'agissant des niveaux de récolte, il a indiqué que les
baisses atteindraient, selon les premières estimations, 36 % pour
le sorgho, 30 % pour le maïs grain, 21 % pour le maïs
semence, 16 % pour les céréales, 11 % pour les
oléagineux et 5,5 % pour les protéagineux. Il a
ajouté que la sécheresse avait également eu d'importants
effets sur la production animale, et notamment sur les élevages de porcs
et de volailles ;
- il a souligné que les mesures prises par le ministère de
l'agriculture étaient à la fois de nature européenne
(avancement de la liquidation des aides surfaces et des primes animales,
autorisation du pâturage des jachères) et nationale (aide au
transport de fourrages, abondement du Fonds national de garantie des
calamités agricoles -FNGCA- par un décret d'avance de 149
millions d'euros). Il a ajouté que la réunion de la commission
nationale des calamités agricoles dès le 29 août, puis
à d'autres reprises, avait permis de faire bénéficier
presque tous les départements français de dossiers
d'indemnisation pour tous les types de productions concernés, ajoutant
que les services déconcentrés n'avaient pas signalé une
quelconque insuffisance des dotations ;
- il a indiqué que la sécheresse de l'été
dernier était uniquement « de surface », assurant
que l'état des nappes phréatiques n'avait jamais soulevé
d'inquiétude ;
- il a annoncé que le GREF mettait actuellement en place un groupe
de travail sur les conséquences du réchauffement climatique sur
l'agriculture ;
- s'agissant des mécanismes d'assurance, il a rappelé que le
FNGCA avait vocation à couvrir exclusivement les risques non assurables.
Reconnaissant que cette disposition posait problème pour les
élevages intensifs, dont les pertes sont considérées comme
assurables, il a indiqué que certains dispositifs avaient permis de leur
venir en aide, notamment par l'intermédiaire de fonds d'action
conjoncturelle.
Revenant sur le problème du transport de fourrages, qui devrait
être réglé avant l'hiver,
M. Alain Le Jan
a
répété que les transporteurs et les agriculteurs se
connaissaient mal, ajoutant que le coût du transport était
excessivement élevé pour un produit aussi volumineux et bon
marché que la paille, et que l'intervention de l'armée avait
été limitée du fait qu'elle ne possédait pas les
véhicules adaptés. Estimant que le recours à la
réquisition était difficilement envisageable dans la mesure
où celle-ci n'avait jamais été décidée
depuis la dernière guerre, il a souligné que d'autres mesures
plus adaptées (autorisations de transport le week-end, aides fournies
par des transporteurs retraités, actions menées dans les centres
de formation professionnelle des transporteurs ...) avaient
été engagées suite aux réunions de concertation
organisées par les préfets et que la coopération des
différents acteurs avait été satisfaisante.
Après avoir rendu hommage au ministre de l'agriculture pour la
façon dont il avait réagi face à la sécheresse,
M. Daniel Soulage
a remarqué qu'outre les pertes de
récoltes, les pertes de fonds, ayant des incidences pendant plusieurs
années sur l'équilibre des exploitations agricoles, risquaient
d'être importantes. Il a souhaité que le montant global de ces
dégâts soit évalué et que des moyens d'indemnisation
appropriés soient dégagés, ce qu'il a estimé
problématique compte tenu notamment de la ponction des crédits
destinés aux offices.
Convenant que la question du dédommagement de ces dégâts,
concernant les productions fruitières et viticoles, mais aussi les
forêts, se posait effectivement,
M. Pierre Portet
a
indiqué que l'indemnisation par la procédure des calamités
agricoles était possible dès lors que le dégât
était éligible, ce qui, a-t-il reconnu, n'était pas
systématiquement le cas. Répétant qu'il était
exceptionnel que la quasi-totalité du territoire soit
déclarée sinistrée, il a observé que l'aide au
transport de fourrage avait été financée pour
moitié par des redéploiements budgétaires, à la
demande du ministère des finances.
M. Jacques Pelletier, président
, a estimé pour conclure
que le ministère de l'agriculture avait réagi vite et bien, tout
comme le monde agricole, familier de ce type d'événements
climatiques.
Audition de M. Gilles BRÜCKER,
directeur
général de l'Institut de veille sanitaire
(19 novembre
2003)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M.
Gilles Brücker, directeur général de l'Institut de veille
sanitaire
.
En préambule,
M. Gilles Brücker
a exprimé son
émotion concernant les conséquences dramatiques d'un
événement que personne n'a été en mesure
d'appréhender en temps utile et a estimé qu'il convenait
d'analyser les raisons d'une telle catastrophe sanitaire qui a
été à l'origine de 15 000 décès.
Il a rappelé que l'Institut de veille sanitaire (InVS) avait
été créé en 1998 à partir du
Réseau national de santé publique, qui s'intéressait aux
maladies infectieuses. Il a indiqué que les missions de l'InVS
étaient considérables, puisqu'il était chargé de
surveiller l'état de santé de la population en tout temps, en
tous lieux, et en toutes circonstances, ce qui l'a conduit à effectuer
des choix.
Il a indiqué qu'une réflexion avait été
menée afin d'établir des priorités et que de nombreux
experts avaient été consultés, en précisant que
seul l'un d'eux avait mentionné les phénomènes climatiques
comme thème de surveillance prioritaire et qu'il n'avait pas
été suivi. Il a relevé que le contrat d'objectifs et de
moyens de l'Institut de veille sanitaire, qui définit ses
priorités, ne mentionnait pas les phénomènes climatiques,
soulignant par ailleurs que notre pays avait peu d'expérience en ce
domaine.
Il a en effet rappelé que les conséquences sanitaires de la vague
de chaleur survenue aux mois de juin et juillet 1976 étaient
passées totalement inaperçues, alors que celle-ci avait
entraîné 6 000 décès en surnombre. Il a fait la
même observation concernant la vague de chaleur de 1983 à
Marseille, en regrettant que les travaux du Professeur San-Marco n'aient pas
été suffisamment pris en compte au niveau national.
M. Gilles Brücker
a noté que, si l'InVS n'avait pas su
appréhender les risques liés à la canicule, l'Institut
avait su anticiper nombre d'autres problèmes, comme le syndrome
respiratoire aigu sévère (SRAS).
Il a ensuite rappelé que la question de la canicule n'avait jamais
été abordée lors des réunions de
sécurité sanitaire qui se tiennent régulièrement
sous l'égide du directeur général de la santé, y
compris au cours de celle du 30 juillet 2003.
Il a précisé qu'il était présent à
l'Institut de veille sanitaire jusqu'au 5 août et qu'il avait joint sa
collaboratrice qui assumait la direction de l'InVS les 6, 7 et 8 août,
celle-ci ne lui ayant fait part d'aucune information alarmante.
Retraçant la chronologie de la canicule, il a indiqué que trois
décès par coup de chaleur avaient été
signalés à l'InVS par la direction départementale des
affaires sanitaires et sociales du Morbihan le 6 août, information qui a
ensuite été validée par l'Institut.
M. Gilles Brücker
a précisé que de nombreux
échanges avaient eu lieu avec la direction générale de la
santé, qui est l'interlocuteur naturel de l'InVS en cas d'alerte, au
cours des 6, 7 et 8 août, et que l'Institut avait été
consulté pour la rédaction du communiqué de presse de la
DGS. Par ailleurs, il a noté que l'InVS avait préparé
dès le 8 août la méthodologie de l'enquête sur
les effets sanitaires de la canicule qui devait être engagée la
semaine suivante.
Il a ensuite indiqué que, contrairement à ce qui avait
été affirmé par le rapport Lalande, l'InVS était en
mesure d'assurer une veille permanente avec un système d'astreinte
téléphonique, mais qu'aucune information alarmante n'était
remontée le week-end.
Il a précisé que la mise en place de la procédure
d'enquête engagée par l'Institut à partir du 11 août
s'était heurtée à des difficultés pour obtenir des
informations de la sécurité civile, cet
« embargo » n'ayant été levé que le
13 août à la suite d'un appel direct au ministère de
l'intérieur, et à la lenteur des remontées des certificats
de décès.
Il a noté que le 14 août avait eu lieu une réunion avec le
directeur général de la santé, le cabinet du ministre de
la santé et l'assistance publique des hôpitaux de Paris, au cours
de laquelle avait été évoqué le chiffre de
1 500 décès, l'InVS l'estimant supérieur.
Il a indiqué qu'une certaine confusion avait marqué la
communication de ces données au cours des jours suivants, et en
particulier le 17 août, où il a avancé le chiffre de
5 000 morts. Il a précisé qu'il était intervenu
à la télévision ce même jour, en accord avec
M. Lucien Abenhaïm, directeur général de la
santé.
Il a déploré les difficultés de communication avec le
cabinet et indiqué que l'Institut de veille sanitaire n'était pas
en ligne directe avec le ministre.
Il a rappelé que la canicule avait entraîné en
définitive environ 15 000 décès
supplémentaires et que cette vague de chaleur avait été
d'une intensité exceptionnelle, avec des températures nocturnes
inédites pendant deux jours, encore aggravée par la pollution
atmosphérique.
Rappelant que 80 % des victimes de la canicule étaient des
personnes âgées de plus de 75 ans, il s'est
déclaré troublé par le fait que plus de 60 % des
personnes décédées par coup de chaleur à
l'hôpital provenaient d'institutions pour personnes âgées,
au sein desquelles elles sont censées être prises en charge.
Il a ensuite relevé l'importance de la question des pathologies
associées et de l'adaptation de la posologie au phénomène
climatique, ce qui nécessiterait de la part de l'InVS d'autres
enquêtes plus approfondies, ainsi que la diversité des taux de
surmortalité constatés sur le territoire national et dans les
grandes villes françaises.
M. Gilles Brücker
a ensuite évoqué les effets de la
canicule dans les autres pays de l'Union européenne, qui semblent avoir
été de moindre ampleur. Il a relevé que le Royaume-Uni
avait enregistré 2 045 décès en surnombre,
l'Allemagne de 3 500 à 7 000, l'Italie 4 175, le Portugal
1 316, selon des chiffres ne portant pas sur la totalité de la
population. Il a toutefois précisé que les autres pays
européens n'avaient pas mis en place un système d'analyse aussi
complet qu'en France.
Il a enfin indiqué que l'Intitut de veille sanitaire devait tirer quatre
grandes leçons de cette crise : la nécessité de revoir ses
missions, ce qui devrait être réalisé dans le cadre du
projet de loi de santé publique, la mise en place d'un partenariat avec
Météo France, une meilleure coordination avec les médecins
urgentistes, dans la mesure où aucune information n'est remontée
à l'InVS de leur part, et la mise en place d'études au niveau
européen pour mieux comprendre les facteurs déterminants de la
mortalité due à la canicule.
Un large débat s'est alors instauré.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a souhaité obtenir
des précisions sur les raisons pour lesquelles l'InVS n'a pas rempli sa
mission d'alerte au cours de cette crise, en se demandant si ces carences
étaient imputables à son mode de fonctionnement, à la
faiblesse de ses réseaux, et notamment des cellules
interrégionales d'épidémiologie, ou à une
coordination imparfaite avec les autres acteurs.
Elle a ensuite observé que l'InVS et la DGS donnaient l'impression de se
renvoyer la balle à propos de ce défaut d'alerte. Elle a
rappelé que le docteur Françoise Lalande avait regretté
devant la mission d'information l'absence de service de garde au sein de
l'Institut de veille sanitaire, estimant que cela ne lui permettait pas
d'être opérationnel en toutes circonstances, et notamment lors des
week-ends, et elle a demandé si un tel service était
dorénavant envisagé. Elle a également souhaité
savoir si le directeur général s'était tenu au courant de
la situation au cours de ses congés. Elle s'est interrogée sur
les liens existant avec l'Institut, les agences de sécurité
sanitaire et Météo France, et a souhaité obtenir des
précisions sur les partenariats envisagés par l'InVS.
Enfin, après avoir relevé que l'InVS avait rencontré des
difficultés pour obtenir certaines informations notamment auprès
du ministère de l'intérieur, elle s'est enquise des
aménagements susceptibles d'être apportés à
l'Institut pour améliorer notre système de veille sanitaire.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a demandé des précisions
sur la notion même de veille, en faisant observer qu'il pouvait s'agir
d'une veille passive ou d'une veille active. Il s'est également
interrogé sur les possibilités de prévoir les
conséquences des phénomènes climatiques, et d'agir plus
rapidement, par le biais notamment d'un renforcement de la coopération
avec Météo France.
Mme Monique Papon
a souligné la multiplicité des
partenaires de l'InVS. Elle s'est enquise de la place accordée aux
observatoires régionaux de santé et de leur articulation avec les
cellules interrégionales d'épidémiologie.
M. Jean-François Picheral
a souhaité obtenir des
informations complémentaires sur les dispositions
préconisées par le professeur San-Marco à Marseille.
M. Jacques Pelletier, président
, a regretté le
cloisonnement excessif des services concernés et a estimé que
l'InVS devrait être en contact direct avec les services
déconcentrés de l'Etat afin de réagir dans les meilleurs
délais.
En réponse à ces interventions,
M. Gilles Brücker
a
indiqué que la DGS et l'InVS ne se renvoyaient pas la balle et qu'il
avait très rapidement reconnu les carences de l'Institut, même si
cette crise n'entrait pas dans le cadre de ses missions.
Il a estimé que le système actuel d'alerte fonctionnait de
manière satisfaisante, mais qu'il n'y avait pas eu de remontées
d'informations globales pour identifier précisément l'ampleur du
phénomène au cours de cette crise.
Il s'est interrogé sur les actions qui étaient susceptibles
d'être menées et sur les autorités qui auraient pu
être saisies si la gravité du phénomène avait pu
être appréhendée plus rapidement. Il a estimé qu'un
plan d'action devait exister en amont pour que la surveillance et l'alerte
aient une réelle efficacité.
Répondant à
Mme Valérie Létard, rapporteur
,
qui lui faisait observer qu'il était toujours possible d'intervenir dans
les médias,
M. Gilles Brücker
a indiqué qu'il fallait
élaborer des plans canicule d'urgence, en précisant que les
prévisions climatiques de Météo France n'étaient
réellement fiables qu'à 3-5 jours, délai qui ne permettait
pas d'improviser des actions efficaces.
Il a précisé qu'il avait été informé de la
situation par son directeur-adjoint et qu'il avait décidé
d'interrompre ses vacances et de regagner l'Institut le 16 août.
Concernant le système de garde, il a estimé qu'une permanence
effectuée par un épidémiologiste, 24 heures sur 24,
n'était pas nécessaire et a assuré qu'aucune alerte
n'avait pris en défaut, depuis 1998, le système de permanence de
l'Institut, qui dispose d'un numéro de téléphone unique
avec renvois.
Il a noté qu'un groupe de travail avait été mis en place
avec Météo France pour améliorer la coopération
entre l'InVS et cet organisme, la difficulté consistant à
convertir des indicateurs climatiques en indicateurs sanitaires.
Il s'est refusé à tout commentaire sur le contenu de l'ouvrage
récent du Professeur Lucien Abenhaïm, ancien directeur
général de la santé, qui a présenté sa
démission le 18 août après une réunion houleuse
avec le ministre de la santé.
En dépit des critiques adressées par le docteur Pelloux au
système de veille, il a estimé que le rôle des
médecins urgentistes était essentiel pour donner l'alerte et
saisir systématiquement l'InVS. Il a toutefois noté que
l'intérêt de l'InVS n'était pas tant d'obtenir des
informations quantitatives, le plus souvent inutilisables, que des informations
qualitatives, afin d'en tirer des conséquences
épidémiologiques.
Concernant la définition de la veille sanitaire, il a relevé
l'ampleur de l'objectif assigné à l'Institut et indiqué
qu'il était impossible de tout surveiller, ce qui imposait de faire des
choix. Il a réfuté l'accusation de passivité
attribuée à l'InVS, comme en témoignaient ses travaux sur
les conséquences du bioterrorisme, de la téléphonie mobile
ou de la pollution hydrique et atmosphérique.
Il a ensuite indiqué que l'articulation entre l'InVS et les
observatoires régionaux de santé publique n'était pas
optimale et qu'une clarification des compétences de différents
acteurs à l'échelon régional serait nécessaire.
Enfin, s'agissant de l'évaluation du dispositif mis en place à
Marseille par le Professeur San-Marco, il a précisé que la
cellule interrégionale d'épidémiologie de
Provence-Alpes-Côte-d'Azur serait chargée d'évaluer
l'efficacité des mesures pratiques prises pendant la période de
canicule afin d'en tirer toutes les conséquences.
En conclusion,
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié
M. Gilles Brücker pour son intervention et a exprimé le
souhait qu'une éventuelle nouvelle vague de chaleur n'ait pas les
conséquences tragiques de l'été dernier.
Audition de M. Pascal BERTEAUD
directeur de l'eau au
ministère de l'écologie et du développement durable
et
de M. Jean-Claude VIAL, directeur-adjoint
(19 novembre
2003)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
de
M. Pascal Berteaud, directeur de l'eau au ministère de
l'écologie et du développement durable, accompagné de
M. Jean-Claude Vial, directeur-adjoint
.
M. Pascal Berteaud
a souligné le caractère, à la
fois ordinaire et extraordinaire, du phénomène climatique de
l'été dernier, avec une sécheresse
« classique », de longue durée mais moins grave que
celle de 1976 par exemple, et une canicule brève mais dont
l'ampleur a contraint à des réactions rapides et à des
modifications de procédures.
Il a précisé que cet épisode climatique n'avait pas eu
d'incidence sur les débits d'eau, mais avait provoqué une hausse
forte et rapide de la température des eaux de rivières, qui avait
nécessité des mesures exceptionnelles pour la gestion des
centrales nucléaires. La sécheresse n'a pas eu de
caractère préoccupant, compte tenu de la forte
pluviométrie des années précédentes et, par
conséquent d'un remplissage satisfaisant des nappes
phréatiques ; contrairement à la moitié sud de la
France, la moitié nord a subi des conséquences moindres
qu'en 1976, du fait notamment des investissements réalisés
depuis vingt-cinq ans.
M. Pascal Berteaud
a indiqué qu'un bilan précis
était en cours de réalisation et que l'on pouvait d'ores et
déjà conclure au bon fonctionnement des procédures dans
les régions habituées à la sécheresse, comme le
bassin de la Loire et le Sud-Ouest, mais qu'une modernisation des outils
s'imposait pour la gestion des situations de crise.
A cet égard, il a informé la mission de la création d'un
comité national de suivi, chargé d'établir un bilan
prévisionnel dès le mois de mars, afin de mobiliser l'ensemble
des acteurs concernés et de préparer, si nécessaire, des
actions de sécurisation de la ressource.
Il a souligné que la politique de soutien d'étiage engagée
depuis 1976 permettait aujourd'hui de gérer de manière
satisfaisante les débits d'eau et noté le développement
des interconnexions du réseau d'eau potable. Depuis 1988, les agences de
l'eau ont consacré à ce programme 3,9 milliards d'euros
d'investissement : 25 000 kilomètres de canalisations ont
été ainsi connectés sur les
800 000 kilomètres du réseau. Il a
précisé qu'un tel programme nécessitait des
investissements sur cinq à quinze ans alors que ce type de dispositif
n'est utilisé qu'une fois tous les quatre ou cinq ans.
Il a ensuite évoqué les arrêtés de restriction de
consommation d'eau pris par les préfets, qui sont passés de 17 au
1er juin à 77 au 22 août dernier, dont 60 étaient
encore en vigueur début octobre. Ces arrêtés, dont
l'efficacité est en cours d'analyse, visaient à la fois
l'irrigation des cultures, les usages domestiques et les
prélèvements industriels.
M. Pascal Berteaud
a jugé que des marges de manoeuvre existaient
encore en matière de gestion de l'eau et qu'il était en
particulier nécessaire de travailler avec les producteurs
d'électricité d'origine hydraulique, détenteurs de la
majorité des ouvrages de stockage, notamment sur la Loire, afin que ces
derniers puissent être sollicités en période de
sécheresse.
Il a ensuite évoqué les conséquences de la canicule
d'août 2003 sur l'eau des rivières. A partir du
8 août, s'est posé le problème des rejets des
centrales nucléaires dans un contexte de demande
énergétique assez forte. A la demande de Réseau de
transport d'électricité (RTE), un arrêté a
autorisé, à titre dérogatoire, des rejets d'eau d'une
température de 1 à 1,5°C supérieure à la
normale pour les centrales comportant des tours
aéroréfrigérantes et de 3°C pour les autres. Un
comité de suivi, comportant des scientifiques et le président du
conseil supérieur de la pêche, a analysé l'impact de la
canicule sur le milieu aquatique, sachant que la survie des poissons est
aléatoire si la température de l'eau est supérieure
à 30° C et a constaté des dommages assez faibles sur ce
milieu. Il a par ailleurs souligné le succès de la politique mise
en oeuvre, Electricité de France (EDF) ayant usé avec parcimonie
du système dérogatoire.
M. Pascal Berteaud
a ensuite exposé les initiatives
engagées pour améliorer la situation :
- lancement de travaux destinés à remédier à
la fragilité du réseau hydroélectrique ;
- études visant à réduire la consommation d'eau
utilisée pour le refroidissement des centrales nucléaires et pour
diminuer la température de l'eau rejetée ;
- remise à plat des arrêtés autorisant le rejet d'eau
par les centrales, ceux-ci posant des difficultés
d'interprétation ;
- réflexions sur une gestion globale de l'eau à
l'échelle du bassin avec les différents utilisateurs ;
- pérennisation du dispositif national de veille sur la
sécheresse afin de surveiller les températures des
rivières et définition d'un programme de recherche sur les
milieux aquatiques dans la perspective d'une meilleure gestion des
réserves d'eau.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est enquis des conséquences de
la sécheresse sur les cultures, tant irriguées que non
irriguées. Il s'est interrogé sur l'évolution des
réserves d'eau et s'est demandé si celles-ci seraient en mesure
de répondre aux besoins en cas de réchauffement climatique. Il a
également souhaité obtenir des précisions sur les
méthodes culturales qui permettraient d'économiser l'eau.
M. Jacques Pelletier, président
, s'est également
inquiété des conséquences du réchauffement
climatique sur l'agriculture, l'irrigation et sur la population piscicole qui
semble avoir été moins touchée qu'en 1976.
M. Pascal Berteaud
a jugé ces questions essentielles car
l'irrigation représente 40 % des prélèvements,
dont 70 % ne sont pas récupérés. Sous réserve
d'un bilan en fin d'année, il a estimé que les difficultés
pour les irrigants n'avaient pas été insupportables et que les
pertes de rendement agricole étaient probablement davantage dues
à la canicule qu'à la sécheresse.
Il a regretté que le débat actuel porte essentiellement sur la
création de nouvelles réserves, estimant qu'il devrait d'abord
concerner les méthodes culturales et l'adaptation des
spéculations à la situation climatique. Il a relevé,
à cet égard, que l'augmentation des réserves d'eau au
cours des quinze dernières années s'était
accompagnée d'une hausse de la demande et n'avait pas répondu au
problème de la gestion collective de la ressource. Il a donc
souhaité qu'une logique de responsabilité l'emporte sur la fuite
en avant. Tout en jugeant indispensable le maintien d'un système
d'irrigation, qui remonte à la nuit des temps, il a souligné les
conséquences pour l'environnement de la création de nouveaux
barrages et retenues.
M. Daniel Soulage
a attiré l'attention de l'orateur sur les
réactions des exploitants agricoles face à un tel raisonnement et
souligné leur responsabilité dans la multiplication des retenues,
même s'il a jugé possible de modérer et de mieux cibler
l'irrigation avec de nouvelles méthodes culturales ; il a
illustré son propos en citant l'important réseau de petits lacs
créés, depuis 1976 dans son département, qui permet
de maintenir des activités, notamment agricoles, en zone rurale.
M. Pascal Berteaud
a estimé qu'il convenait de sortir d'un
débat passionnel, la question essentielle devant porter sur le mode de
développement agricole compatible avec l'environnement. Il a ensuite
confirmé à M. Jacques Pelletier, président, la faible
mortalité de la population piscicole, mais il a indiqué qu'il
convenait d'attendre les résultats des analyses d'ici un ou deux ans et
que la réduction de cette population pouvait expliquer partiellement ce
constat.
M. Daniel Eckenspieller
s'est inquiété de la
dégradation de la qualité de l'eau de consommation et s'est
interrogé sur les incidences de la canicule sur les nappes
phréatiques, compte tenu de la concentration d'engrais chimiques sur des
sols asséchés.
M. Pascal Berteaud
a estimé que ces incidences étaient peu
importantes, les craintes ayant plutôt porté sur l'érosion
du sol et sur les risques d'inondations à l'automne, ces derniers
s'étant en l'occurrence révélés infondés.
M. Jean-Claude Vial
a précisé qu'aucun problème
n'avait été signalé quant aux conséquences de la
canicule sur la qualité de l'eau.
Répondant enfin à
M. Jacques Pelletier,
président
, qui soulignait le bas niveau des besoins de retenue sur
la Seine,
M. Pascal Berteaud
a indiqué que des mesures
restrictives pourraient être envisagées en cas d'hiver sec, du
fait de la difficulté de réalimenter le barrage de la Marne, qui
est vidé tous les dix ans.
Audition de Mme Roselyne BACHELOT-NARQUIN,
ministre
de l'écologie et du développement durable
et de Mme Tokia
SAÏFI, secrétaire d'Etat au développement
(25
novembre 2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a d'abord procédé à
l'audition
de
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de
l'écologie et du développement durable
et de
Mme Tokia
Saïfi, secrétaire d'État au développement
.
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé, à titre
liminaire, l'esprit dans lequel travaillait la mission d'information, en
soulignant que son objectif ne consistait pas à conduire une
« chasse aux sorcières », mais à comprendre
les événements et à faire des propositions. Il a
précisé que, si le ministère de l'écologie et du
développement durable ne s'était pas trouvé en
première ligne face à la crise de la canicule, il était
néanmoins apparu concerné à plus d'un titre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a déclaré, en
préambule, que personne ne pouvait affirmer que la canicule de cet
été était le prélude à un
réchauffement climatique, mais qu'à l'inverse, personne ne
pouvait non plus exclure cette hypothèse.
Elle a affirmé qu'il était en revanche certain que cette crise
permettait d'anticiper les problèmes auxquels nous devrions faire face
si les estimations prévoyant le réchauffement de
l'atmosphère venaient à se confirmer.
Elle a noté que le troisième rapport d'évaluation du
Groupe intergouvernemental d'experts sur le climat (GIEC) avait confirmé
la perspective d'un dérèglement climatique dont les
manifestations devraient être l'augmentation des températures
maximales, l'accroissement de la variabilité du climat et l'augmentation
de la fréquence et de l'intensité des phénomènes
extrêmes comme les vagues de chaleur, les inondations et les
tempêtes.
Elle a rappelé que les conséquences de la crise s'étaient
traduites par une surmortalité des personnes vulnérables, un
accroissement des feux de forêts, des problèmes pour les
réseaux de transport et d'énergie et de stress thermique pour les
animaux d'élevage. Considérant que cet épisode devait
susciter une véritable prise de conscience de la part des pouvoirs
publics, elle a estimé que le caractère prolongé du choc
thermique, conjugué à une sécheresse prononcée,
constituait la principale caractéristique de cette crise.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a jugé que ce
phénomène climatique avait présenté un
caractère exceptionnel tout à la fois par sa durée, par
son intensité et par son étendue géographique sur une
grande partie de l'Europe et qu'il devait, en conséquence, être
interprété comme un signal d'alarme soulignant la grande
vulnérabilité de notre société.
Elle a rappelé qu'elle avait eu à faire face, en sa
qualité de ministre de l'environnement, à une phase
exceptionnelle de pollution atmosphérique, notamment par l'ozone,
à des incendies de forêts ayant ravagé plus de
60 000 hectares, à une situation hydrologique ayant atteint
des niveaux critiques sur une proportion du territoire plus importante
qu'en 1976 et à des difficultés pour la production
d'électricité en raison des températures
élevées des cours d'eau.
Faisant observer que l'ensemble des ministres avaient dû faire face
à des situations difficiles dans leur domaine respectif de
compétence, elle a considéré que la crise de cet
été avait constitué une vraie crise systémique.
Elle a ensuite exposé les mesures prises par le ministère de
l'environnement et du développement durable pour y faire face.
Elle a indiqué, au préalable, que ses services avaient mis en
oeuvre les procédures prévues pour ce cas de figure, mais qu'ils
avaient dû aussi, très souvent, sortir de ce cadre existant, en
raison du caractère exceptionnel des événements.
S'agissant de la pollution atmosphérique, elle a observé que la
phase critique s'était étendue du 4 au 12 août,
période durant laquelle la France avait connu des concentrations en
ozone élevées, supérieures dans bien des endroits aux
maxima historiques.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a précisé que les
procédures permettant d'informer le public et de prévenir les
personnes les plus vulnérables des précautions sanitaires
à prendre face à la pollution, avaient été mises en
oeuvre dans toutes les régions touchées.
Elle a indiqué que des communiqués de presse avait
été diffusés le lundi 4, puis le jeudi 8
août 2003 et qu'elle avait demandé que des mesures de
réduction de la pollution soient mises en place, alors même que le
seuil d'alerte européen n'avait pas été franchi. Elle a
également relevé que les préfets des zones les plus
concernées avaient imposé une réduction de la vitesse
automobile et fait procéder à des vérifications de
contrôle technique des véhicules. Elle a également
précisé que les directions régionales de l'industrie de la
recherche et de l'environnement (DRIRE) avaient demandé une
réduction des émissions des principaux industriels polluants.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a noté que le rôle de son
ministère avait été double en matière
d'approvisionnement électrique, en précisant, en premier lieu,
que ses services avaient examiné les demandes de dérogation
présentées par EDF, afin de continuer à utiliser l'eau des
fleuves pour refroidir ses centrales thermiques et nucléaires. Elle a
rappelé que l'augmentation de température engendrée par
les centrales était relativement faible, mais que, dans une situation
déjà très dégradée, cette faible
élévation pouvait être fatale à une partie de la
faune aquatique. Compte tenu de la faiblesse des marges de manoeuvre d'EDF et
de l'impact écologique prévisible, elle a indiqué qu'elle
avait décidé, avec Mme Nicole Fontaine, ministre de l'industrie,
d'accorder des dérogations en mettant simultanément en place un
comité de suivi des milieux aquatiques, présidé par le
président du Conseil supérieur de la pêche.
Soulignant l'absence de surmortalité piscicole attribuable aux
centrales, elle a noté que ces dérogations n'avaient
été utilisées sur une période significative que par
deux centrales, Tricastin et Golfech, et très ponctuellement par deux
autres unités. Elle a évalué à 300 mégawatts
l'économie réalisée suite à l'appel à la
maîtrise des consommations lancé par le gouvernement le
11 août, date à laquelle elle avait décidé de
revenir à Paris compte tenu de l'évolution et de l'urgence de la
situation.
En second lieu, elle a ajouté qu'elle avait fait appel, dès le
28 août, au réseau national de données sur la nature,
pour dresser un premier bilan des impacts sur les milieux naturels, la faune et
la flore.
S'agissant de la lutte contre la sécheresse, elle a indiqué que
les procédures de gestion des ressources en eau avaient
été mises en oeuvre en précisant que des
arrêtés de restriction d'utilisation avaient été
pris dans 77 départements et que certains d'entre eux
étaient encore en vigueur ou avaient été récemment
réactivés comme dans la Marne.
Elle a par ailleurs présenté le plan de restauration des espaces
forestiers détruits par le feu en notant que ce dernier s'attachait, en
complément de la régénération naturelle des
peuplements forestiers, à protéger les sols de l'érosion
et à assurer la restauration des espèces et des milieux.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a estimé que la crise de la
canicule confirmait que, pour faire face à la multiplication
d'événements météorologiques extrêmes, il
convenait de suivre trois axes d'action.
Le premier d'entre eux consiste à réduire la
vulnérabilité de notre société aux changements
climatiques : elle a précisé que l'Observatoire national des
effets du réchauffement climatique élaborera dans cette
perspective une méthodologie d'évaluation des seuils de
vulnérabilité des différents secteurs et engagera une
première étude de planification des actions à conduire.
Le deuxième objectif consiste à poursuivre et à renforcer
la réduction des émissions de gaz à effet de serre :
elle a rappelé que la France s'était engagée à
maintenir, à l'horizon 2010, le niveau de ses émissions à
hauteur de celui de 1990. Elle a précisé à cet
égard que le troisième rapport du GIEC indiquait que, pour
simplement limiter l'augmentation moyenne de la température de la
planète à 2°C, il faudrait réduire de moitié
à l'échelle planétaire ces émissions, ce qui
impliquait une division par quatre ou cinq pour les seuls pays
industrialisés.
Elle a précisé que les efforts engagés visaient tout
d'abord à renforcer les actions nationales, notamment dans les secteurs
des transports et du bâtiment qui ont enregistré une croissance
préoccupante de leurs émissions (+ 21 % et + 17 %
par rapport à 1990). Elle a évoqué l'entrée en
vigueur prochaine, en 2005, du futur marché européen des permis
d'émissions, la fixation des plafonds d'émission aux entreprises,
la transposition de la directive européenne ainsi que du futur plan
national d'allocation des quotas d'émission.
Le troisième axe concerne l'innovation technologique, dont elle a
souligné le rôle essentiel, elle a rappelé que le
gouvernement avait adopté, le 15 septembre dernier, un plan
« véhicules propres » correspondant à un
soutien supplémentaire de près de 40 millions d'euros en
faveur de la recherche et du développement.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a indiqué qu'elle s'était
impliquée, au niveau international, dans des actions diplomatiques
auprès de pays comme le Maroc et la Chine pour qu'ils adoptent des
mesures visant à limiter la production de carbone et auprès de la
Russie pour que celle-ci ratifie le protocole de Kyoto.
Elle a estimé qu'il convenait désormais de tirer les
leçons de la crise de la canicule pour la conduite de l'ensemble des
politiques publiques, en exposant ensuite les actions entreprises dans le cadre
de son département ministériel.
Elle a rappelé qu'elle avait présenté le 5 novembre
dernier une communication en Conseil des ministres proposant, d'une part,
d'accentuer la réduction de la pollution par des actions
préventives, d'autre part, d'améliorer l'information du public
et, enfin, de réduire la pollution en dehors des pics exceptionnels par
la limitation de certaines activités individuelles ou la
réduction de la vitesse des automobiles. Elle a noté que si la
question de l'efficacité de la circulation alternée faisait
toujours débat parmi les pays de l'Union européenne, les
règles applicables en France avaient néanmoins été
considérablement renforcées, pour en faire une vraie mesure de
réduction du trafic.
Elle a également fait observer qu'elle avait proposé à ses
collègues européens une coordination des actions à
entreprendre lors des pics de pollution, mais l'efficacité des efforts
de la France était réduite malheureusement par l'inertie de
l'Allemagne ou du Royaume-Uni qui ne souhaitaient pas, pour des raisons tant
politiques que techniques, engager des mesures restrictives.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a ensuite estimé qu'il convenait
d'adapter les politiques de prévention et de lutte contre les incendies
de forêts et précisé que les ministères
concernés avaient demandé conjointement une mission
d'évaluation sur ces questions. Elle a annoncé que ce rapport
devrait être rendu à la fin de ce mois et devrait servir de base
à l'élaboration du plan du gouvernement qui comprendra un
important volet consacré à la « reconstruction
écologique ».
Constatant l'importance de la maîtrise de l'urbanisme, de la
planification régionale et la nécessité de
généraliser les plans de prévention des risques incendies
de forêts (PPRIF), elle a regretté que certains maires
dénoncent l'insuffisance des moyens financiers de l'État et
autorisent une urbanisation anarchique sur le territoire de leur commune.
S'agissant des ressources hydrauliques, elle a noté qu'un bilan national
de la gestion de la sécheresse était en cours de
réalisation et qu'il lui apparaissait d'ores et déjà
nécessaire d'étendre la planification des restrictions et de
renforcer la coordination entre l'amont et l'aval des bassins ainsi que la
corrélation rejets-débits.
Elle a précisé qu'un suivi renforcé de la
température et de l'oxygène des cours d'eau sera effectué
dès 2004 pour parvenir à mieux gérer les milieux
aquatiques et que l'impact des dérogations accordées pendant la
crise de la canicule sera analysé à cette occasion. Elle a
indiqué que la transposition en droit français de la
directive-cadre européenne sur l'eau allait se traduire dans les bassins
hydrographiques par un important travail d'analyse, et que les
conséquences du changement climatique sur la biodiversité et sur
le fonctionnement des écosystèmes devaient faire l'objet de
recherches accrues et être prises en compte dans l'élaboration de
la stratégie nationale de biodiversité qui sera adoptée au
premier semestre 2004.
S'agissant de la production d'électricité, elle a
précisé qu'elle avait demandé à
Électricité de France (EDF), l'établissement d'un
« plan canicule » destiné à améliorer
le planning d'entretien de ses centrales et la qualité de la
prévision de la température des fleuves. Elle a estimé
ensuite qu'il convenait dans le cadre du « plan climat »,
de mieux maîtriser la demande en électricité à la
fois en renforçant la réglementation des appareils et des
installations, en développant les énergies renouvelables et en
encourageant l'isolation des bâtiments.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a rappelé que notre pays avait
été confronté ces dernières années à
une série exceptionnelle de crises : pollutions maritimes,
inondations torrentielles meurtrières ou inondations de plaines,
accident technologique, feux de forêt, canicule. Elle a fait observer que
le dénominateur commun de beaucoup d'entre elles était le facteur
climatique. Elle a ainsi souligné que, depuis sa prise de fonction, il y
a 15 mois, elle avait eu elle-même à faire face à la
vague de froid de janvier, aux inondations torrentielles du sud de la France,
à la pollution du Prestige puis à la crise de la canicule. Elle a
indiqué que la réponse appropriée se situait au niveau
interministériel et que des initiatives allaient être prises dans
ce domaine, estimant que le souci de mieux faire face aux défis de
l'avenir supposait de prendre en compte toutes les informations, de mobiliser
l'ensemble des services, et d'écarter la tentation de rechercher en
permanence des boucs émissaires.
Elle a souligné que la crise de cet été avait
révélé des dysfonctionnements qui auraient pu être
catastrophiques et que nous avions évité de justesse un manque de
substances anti-incendie, des menaces sur les lignes électriques dans le
Verdon, des délestages massifs ou même des accidents ferroviaires.
Elle a insisté sur le rôle du ministère de l'environnement
dans la prévention des risques, estimant que ses
prédécesseurs, à l'exception notable de M. Michel
Barnier, avaient maintenu, souvent pour des raisons idéologiques, ce
ministère dans un « ghetto » et que cet isolement
avait limité l'efficacité des politiques de prévention
ainsi que leur influence sur les collectivités publiques. Elle a
affirmé que toute son action, depuis qu'elle était à la
tête de ce ministère, visait précisément à le
faire sortir de cet isolement.
Un large débat s'est ensuite instauré.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a demandé à Mme Roselyne
Bachelot-Narquin si elle s'était heurtée dans son action à
d'éventuels cloisonnements administratifs. Il est convenu par ailleurs
qu'elle avait alerté avec force et rapidité l'opinion publique
des dangers de la canicule sur le plan de l'environnement et s'est
interrogé sur la possibilité d'évaluer les comportements
de nos concitoyens. Il a également demandé si l'on pouvait
évaluer la part des décès attribuables directement aux
effets de la pollution. Il a souhaité obtenir des précisions sur
les conséquences environnementales de la canicule pour les forêts.
Il a également estimé qu'il serait souhaitable de définir
une stratégie sur les modes d'énergie à privilégier
à l'avenir pour faire face à l'évolution des
« pics » de besoins énergétiques.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a déclaré qu'elle ne
s'était pas heurtée, dans son action, à de tels
cloisonnements et elle a souligné, au contraire, la mobilisation de ses
services, ainsi que la grande disponibilité de ses collègues du
gouvernement, à commencer par celle du Premier ministre.
Elle a noté que les appels au civisme visant à limiter la
consommation d'électricité avaient été suivis
puisque 300 mégawatts avaient été ainsi
économisés, regrettant cependant que certains médias aient
dénigré ce type de message en le qualifiant de
« conseils de ménagère », alors même
qu'ils sont au contraire très utiles. Elle s'est également
inquiétée du développement de la climatisation dans les
automobiles, qui risque de réduire l'impact des efforts engagés
par les Français.
Elle a souligné la difficulté d'évaluer avec
précision l'impact de la pollution dans le total des
décès, tout en précisant que le niveau de l'ozone
était, à l'évidence, un facteur de mortalité.
S'agissant des « pics » de besoins
énergétiques lors de crises du type de celle de la canicule, elle
a estimé qu'il convenait de prendre en compte le fait que le mois
d'août risquait désormais de devenir une période de forte
consommation et que le planning d'entretien des centrales nucléaires
devrait être revu en conséquence. Elle a souhaité,
qu'à l'horizon 2020, la place des énergies renouvelables
augmente, jusqu'à représenter le tiers de la production
d'électricité.
Mme Tokia Saïfi, secrétaire d'État au
développement durable
, a complété les propos de Mme
Roselyne Bachelot-Narquin en soulignant le développement satisfaisant du
plan d'action en faveur de développement durable, la création
d'un correspondant attitré dans chaque ministère et la
nécessité, pour être efficace, de changer les comportements
des citoyens dans leur vie quotidienne.
M. Alain Gournac
a remercié Mme Roselyne Bachelot-Narquin pour la
qualité de son intervention et a noté que la France était
encore en retard dans le domaine de la prévention. Évoquant son
expérience d'élu local, il a estimé que ces actions
devaient être correctement conduites, déplorant,
a
contrario
, la banalisation des avis d'alerte et la disponibilité
insuffisante de certains services publics en période de vacances.
M. Claude Domeizel
a souligné la nécessité de
restaurer les espaces forestiers incendiés et l'importance des actions
de prévention, se déclarant par ailleurs préoccupé
des délais de fiabilité des prévisions
météorologiques. Il a demandé si le ministère de
l'environnement avait alerté en temps utile les services du
ministère de la santé et ceux du ministère de
l'intérieur, rappelant que, dès le mois de juillet, on pouvait
craindre une situation difficile pour le reste de l'été.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a souligné que l'agriculture
française avait eu la chance de traverser la crise de
l'été 2003 en disposant au préalable d'importantes
réserves d'eau. Il a insisté sur l'impact négatif pour
l'environnement des appareils de climatisation et s'est demandé quelle
était la possibilité de voir évoluer la position de
certains pays pollueurs comme les Etats-Unis. Sur les aspects sanitaires de la
crise de la canicule, il s'est demandé si les décès qui
sont intervenus correspondaient à un supplément de
mortalité ou plutôt à une anticipation de celle-ci.
Répondant à ces interventions,
Mme Roselyne
Bachelot-Narquin
a tout d'abord rappelé que la responsabilité
du ministère de l'environnement se situait au niveau de la
prévention, et que les services de Météo France relevaient
du ministère de l'équipement.
Précisant que son action s'inscrivait au coeur de plusieurs
démarches convergentes, avec notamment la future prise en compte de
l'impératif de protection de l'environnement dans la Constitution, la
stratégie nationale pour le développement durable, et la loi du
30 juillet 2003 sur les risques technologiques et naturels, elle a
indiqué d'une façon générale qu'elle avait pour
préoccupation d'anticiper les phénomènes susceptibles de
se produire, comme par exemple le risque d'inondation à l'automne
après la sécheresse de cet été.
Elle a estimé qu'il sera difficile de distinguer parmi les victimes de
la canicule, les décès anticipés de ceux qui seraient
imputables à une surmortalité avérée. Elle a
ensuite affirmé qu'en tout état de cause toute approche
statistique était inadmissible en ce domaine. Elle a observé par
ailleurs qu'il convenait de lutter contre les habitudes de gaspillage et que la
future loi sur l'eau s'efforcera de les combattre. Elle a jugé que
l'attitude des Etats-Unis d'Amérique consistant à refuser de
ratifier le protocole de Kyoto ne s'expliquait pas seulement par la simple
influence du lobby pétrolier mais résultait aussi de l'absence de
prise de conscience par les citoyens américains des impératifs de
la protection de l'environnement dans leur vie quotidienne.
Mme Sylvie Desmarescaux
a insisté sur la nécessité
de sensibiliser la population aux actions de prévention à
commencer par les enfants, et ce dès le plus jeune âge.
M. Jacques Pelletier, président
, a souligné la
réactivité du ministère de l'environnement, mais aussi le
manque de coordination au niveau européen, souhaitant que les
parlementaires français puissent sensibiliser, à l'occasion de
leurs missions, leurs homologues étrangers.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin
a déclaré que la dimension
européenne de son action lui tenait particulièrement à
coeur, considérant qu'il s'agissait de l'espace permettant aux
politiques publiques d'être le plus efficace. Elle a
précisé qu'elle veillait à être
particulièrement présente dans les négociations
européennes et à collaborer, en particulier, avec ses
collègues allemands et anglais sur des sujets concrets comme par exemple
les normes d'émission des gaz d'échappement des véhicules
automobiles. Elle a rappelé que nos partenaires avaient souvent
critiqué la faible implication de ses prédécesseurs dans
les instances communautaires et que cette situation devait cesser.
Audition de Mme Nicole FONTAINE,
ministre
déléguée à l'industrie
(25 novembre
2003)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
de
Mme
Nicole Fontaine, ministre déléguée à
l'industrie
.
Mme Nicole Fontaine
a d'abord procédé à un
récapitulatif chronologique de l'action de son ministère durant
la canicule, en indiquant que le directeur général de la
sûreté nucléaire et de la radioprotection (DGSNR), agissant
en tant qu'autorité de sûreté nucléaire, avait
adressé fin juillet à ses trois ministères de tutelle
(économie, finances et industrie ; écologie et
développement durable ; santé, famille et personnes
handicapées) une note, publiée sur Internet, retraçant les
difficultés rencontrées concernant les rejets thermiques des
centrales nucléaires et précisant, d'une part que ces rejets sont
réglementés par des arrêtés fixant des
températures maximales des eaux fluviales en aval des centrales, et
d'autre part que des dérogations peuvent être autorisées
par l'autorité de sûreté nucléaire sous de strictes
conditions.
Elle a indiqué que le directeur-adjoint de son cabinet, qui assurait
l'intérim du directeur de cabinet en congé, l'avait
informée de la situation le 4 août et avait demandé
à la direction générale de l'énergie et des
matières premières (DGEMP) d'en assurer le suivi. Elle a
observé qu'Electricité de France (EDF), le Réseau de
transport d'électricité (RTE) et la DGSNR avaient confirmé
le caractère délicat de la situation les 5, 6 et
7 août, tout en jugeant qu'il était possible d'y faire face
en édictant des dérogations. Elle a précisé que le
directeur-adjoint de son cabinet, alerté sur ce point, l'avait
informée le 8 août, ainsi que le cabinet du Premier ministre,
du fait que la persistance de conditions climatiques extrêmes conduisait
à augmenter de manière significative les autorisations de
dérogation nécessaires pour maintenir en activité les
centrales de production électrique. Elle a rappelé la situation
à ce moment, marquée par une consommation supérieure aux
normales saisonnières et un risque d'incapacité à fournir
l'électricité nécessaire pour y faire face, susceptibles
d'entraîner des coupures brutales de courant ou des délestages non
maîtrisés. Elle a indiqué qu'il avait alors
été décidé de demander à EDF de mettre en
oeuvre l'ensemble des possibilités de génération
accessibles, de tenter d'agir sur la consommation, d'envisager
d'éventuelles modifications réglementaires et d'informer le
public.
Précisant que les responsables d'EDF, de RTE, de la DGSNR, de la DGEMP
et de son cabinet, en contact permanent depuis le début de la semaine,
avaient mis en place une cellule de crise, elle a ajouté qu'elle avait
demandé dès le 11 août que se tienne une réunion
interministérielle afin que les ministres évoquent
l'éventuelle modification de l'arrêté sur les rejets
thermiques des centrales. Elle a déclaré qu'une réunion
technique de préparation s'était tenue le 10 août et
qu'elle avait personnellement informé l'opinion publique à
travers une interview au
Journal du Dimanche
publiée ce
même jour et des interventions dans différentes radios, avant
d'être relayée par la ministre de l'écologie et du
développement durable, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, le 11
août.
Elle a ensuite fait état des décisions auxquelles avait abouti la
réunion interministérielle du 11 août :
- s'agissant de l'offre d'électricité : l'engagement
d'EDF à acheter sur les marchés européens toute
l'électricité disponible, à réduire au minimum ses
exportations, à obtenir l'« effacement » d'un
maximum d'entreprises clientes lors des pics de consommation, à
mobiliser son parc de groupes électrogènes, à recourir
à la cogénération et à reporter, dans la mesure du
possible, les travaux de maintenance ;
- concernant la consommation des ménages : l'amplification de
l'appel aux économies d'énergie lancé la veille ;
- s'agissant de la réglementation relative aux rejets : le
remplacement des températures maximales autorisées pour les eaux
fluviales en aval des centrales nucléaires et thermiques par un
différentiel maximal de température entre l'amont et l'aval ;
- concernant la coordination : la pérennisation du dispositif
d'alerte et de gestion de crise mis en place la semaine
précédente et la tenue d'une réunion
interministérielle au minimum tous les deux jours.
Rappelant que l'arrêté interministériel signé par la
ministre de l'écologie et du développement durable, le ministre
de la santé, de la famille et des personnes handicapées,
M. François Mattei, ainsi qu'elle même, le 12 août,
puis publié le lendemain par le Journal officiel, avait permis le
maintien en activité de plusieurs centrales telles Blayais sur la
Gironde, Golfech sur la Garonne, Tricastin sur le Rhône et Cattenoz sur
la Moselle, elle a ensuite indiqué qu'elle avait multiplié les
interventions dans les médias les 11, 12, 13 et 14 août.
Reconnaissant que la cellule de crise constituée autour de son cabinet
avait envisagé, à partir du 13 août, d'éventuels
délestages sélectifs au cas où il n'aurait plus
été possible de répondre à la demande à
partir du 18 août, date de la reprise de l'activité
économique après la période principale de congés et
le long week-end du 15 août, elle a précisé qu'une
réunion interministérielle s'était tenue à Matignon
le 14 août sous la présidence du conseiller technique pour la
sécurité intérieure afin d'étudier les
différents scénarios envisageables pour la semaine suivante. Les
prévisions de Météo France ayant confirmé la baisse
des températures, il a alors été estimé, a t-elle
ajouté, que les capacités de production disponibles seraient
suffisantes pour faire face à la demande et qu'il ne serait donc pas
nécessaire de mettre en oeuvre le plan de délestage qui avait
été élaboré pour le 18 août, la cellule de
crise continuant de fonctionner de façon permanente tandis que le
gouvernement rassurait l'opinion publique sur l'évolution de la
situation.
Constatant que les prévisions, tant météorologiques que
relatives à la production d'électricité, avaient
été confirmées le 18 août, elle a
précisé qu'une réunion interministérielle
s'était tenue à Matignon le 19 août afin de préparer
le conseil des ministres du 21 août, consacré notamment à
un premier bilan de l'évolution climatique et de l'action du
gouvernement.
Exposant ensuite les premières conclusions concernant la gestion de la
crise, elle s'est félicitée du bon fonctionnement du dispositif
technique et administratif en matière énergétique,
malgré des conditions climatiques exceptionnelles, observant qu'EDF,
RTE, l'autorité de sûreté nucléaire et les diverses
administrations concernées avaient parfaitement réagi. Elle a par
ailleurs jugé que la concertation interministérielle, sous son
impulsion et sous l'autorité du Premier ministre, avait
fonctionné de manière satisfaisante. Précisant que le
surcoût global avait été chiffré à 300
millions d'euros, elle a constaté que les dérogations
accordées l'avaient été de façon aussi restrictive
que possible et qu'aucun dommage sanitaire ou environnemental n'avait
été relevé à ce jour.
Elle a reconnu cependant que la situation avait été à
plusieurs reprises extrêmement tendue et que des mesures
préventives devraient être prises à l'avenir. Rappelant
qu'elle avait demandé à EDF et à RTE d'établir un
« plan canicule » qui serait très prochainement
présenté, elle a déclaré avoir contacté son
homologue italien afin qu'il sensibilise la présidence de l'Union
européenne sur la nécessité de mener une réflexion
quant aux moyens de renforcer le dispositif européen d'alerte et de
coordination en cas de situation climatique exceptionnelle. Précisant
que cette initiative avait été accueillie de manière
positive, elle a annoncé qu'elle serait discutée lors du prochain
conseil européen de l'énergie, le 15 décembre, sur la base
d'un document préparé par la Commission européenne.
Convenant par ailleurs que la préparation du processus de
délestage sélectif avait fait apparaître des insuffisances
et des lacunes, s'agissant notamment de l'information préalable des
autorités concernées, telles les préfectures et les
collectivités territoriales, ainsi que du ciblage des coupures afin de
limiter au maximum leurs effets, notamment pour les personnes fragiles et les
utilisateurs prioritaires, elle s'est félicitée de ce que l'appel
au civisme ait été entendu et ait permis de réduire la
consommation d'énergie de 300 mégawatts.
Estimant que cette crise rendait nécessaire une meilleure maîtrise
de nos consommations énergétiques sur le long terme, elle a
annoncé que le futur projet de loi d'orientation sur l'énergie,
soumis au Parlement au début de l'année 2004 après une
large concertation, intégrerait ce paramètre dans ses trois
piliers relatifs à la maîtrise de l'énergie, à la
diversification du bouquet énergétique par le
développement des énergies renouvelables et à la
préparation de l'horizon 2020 par le maintien de l'option
nucléaire.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a interrogé la ministre sur la
place respective de chaque type d'énergie dans les « pics de
besoin » et la possibilité d'y faire face en augmentant la
part des énergies renouvelables, ainsi que sur la qualité du
réseau électrique français et sa capacité à
faire face à ce type de phénomène climatique. Il a
également demandé des précisions sur les
conséquences de la canicule pour l'ensemble du secteur industriel et sur
son éventuelle estimation en termes de points de PIB, sur les mesures
prises, notamment à l'égard des industriels, pour réduire
l'émission de gaz à effet de serre, et sur les enseignements
susceptibles d'être tirés de la sécheresse de 1976 et
de la réaction des différents pays européens à la
crise de cet été.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est enquis du surcoût
résultant de la canicule et de la façon dont aurait
évolué la situation en matière énergétique
si elle avait perduré, des risques potentiels de rupture du
réseau électrique national, des estimations en termes de pertes
de croissance et de l'opportunité de conserver une place prioritaire
à l'énergie nucléaire alors que le risque de nouvelles
canicules n'était pas à écarter.
En réponse à ces interventions,
Mme Nicole Fontaine
a
apporté les précisions suivantes :
- il n'y a pas eu d'étude précise sur la part de chaque
énergie, et notamment des énergies renouvelables, dans les pics
de besoins, étant précisé que l'objectif fixé par
l'Union européenne consistant à augmenter la part des
énergies renouvelables à hauteur de 21 % d'ici 2010 serait
inscrit dans la loi d'orientation sur l'énergie et requerrait un
renforcement significatif de l'effort de recherche en la matière ;
- aucune conséquence significative de la canicule n'a
été relevée pour l'ensemble du secteur industriel (hors
énergie), sachant que le fait qu'elle soit intervenue durant la
période estivale a sans doute largement contribué à en
restreindre les conséquences ;
- la continuation de la canicule aurait provoqué la mise en place
du plan de délestage, qui se serait sans doute déroulée
dans des conditions satisfaisantes en raison de sa bonne préparation et
d'une sensibilisation satisfaisante du public ;
- le maintien de l'option nucléaire conduira à repenser la
localisation des centrales et notamment à préférer celles
situées sur les bords de mer, qui subissent moins les effets de la
canicule ;
- la sécheresse de 1976 n'était en rien comparable, quant
à ses effets sur la production énergétique, à la
canicule de cet été ;
- tous les pays européens, au-delà de leurs
spécificités, ont des réseaux de production et de
distribution d'électricité vulnérables (comme l'a
illustrée la rupture du réseau italien), ont envisagé de
recourir au délestage (sauf l'Allemagne et la Suisse) et devront donc
réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour renforcer
leur système énergétique en vue d'une prochaine
canicule ;
- des actions ont été engagées avec la ministre de
l'écologie et du développement durable afin de réduire les
émissions de gaz à effet de serre, que ce soit à travers
la transposition de la directive européenne sur les permis à
polluer instaurant des « quotas de carbone » d'ici 2005, la
signature par 24 grandes entreprises d'engagements volontaires à
réduire de 20 millions de tonnes leurs rejets de CO
2
d'ici
2007, ou encore le projet de loi d'orientation sur l'énergie
prévoyant de diviser par quatre les émissions de gaz à
effet de serre d'ici 2050.
Remerciant la ministre pour la clarté de son exposé,
M. Alain Gournac
l'a interrogée sur l'existence d'une
réflexion au sein de son ministère sur la gestion d'autres
aléas climatiques extrêmes tels que des grands froids, sur la
faculté qu'avait EDF, au point de vue juridique, de rompre brutalement
ses contrats commerciaux, sur le degré de mise à jour des plans
de délestage et sur la nécessité de communiquer davantage
en ce qui concerne l'importance des économies d'énergie.
En réponse,
Mme Nicole Fontaine
a apporté les
précisions suivantes :
- une campagne de sensibilisation de l'opinion publique sur la
maîtrise de l'énergie sera lancée au début de
l'année prochaine ;
- un plan « canicule », outre les plans
« grand froid » et « tempête »,
sera bientôt élaboré, sachant que l'ensemble des mesures
prises par EDF durant la canicule constitueraient à elles seules un
véritable plan si elles étaient formalisées ;
- le plan de délestage devra effectivement être mis à
jour ;
- les contrats liant EDF à ses clients comportent des seuils de
fourniture minima qu'il n'est pas possible d'ignorer, même si des marges
de manoeuvre existent.
M. Jacques Pelletier, président
, a conclu en remarquant que la
concertation et la coordination pour la gestion du volet
énergétique de la canicule avaient été très
satisfaisantes et en faisant observer qu'il faudrait y sensibiliser les autres
pays, et notamment ceux, tels les Etats-Unis, qui se montraient
réticents à prendre des engagements en matière de
maîtrise de l'énergie.
Audition du colonel Richard VIGNON et du médecin
colonel Jean-Yves BASETTI
président et vice-président de la
Fédération nationale
des sapeurs-pompiers de France
(26
novembre 2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a tout d'abord procédé à
l'audition
du
colonel Richard Vignon
et du
médecin
colonel Jean-Yves Bassetti, président et vice-président de la
Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France
.
Le colonel Richard Vignon
a rappelé que sa
Fédération représentait les sapeurs-pompiers territoriaux,
les 96 services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) couvrant
l'ensemble du territoire, à l'exclusion de Paris, de la petite couronne
parisienne et de Marseille. Il a précisé que les sapeurs-pompiers
avaient été doublement sollicités l'été
dernier, au titre à la fois de la crise sanitaire et des incendies qui
ont ravagé la forêt méditerranéenne.
S'agissant de la crise sanitaire, il a souligné que les SDIS n'avaient,
à aucun moment, été sollicités comme l'a
été la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. En région,
les moyens humains et matériels ont en effet permis de répondre
aux besoins, l'augmentation importante du nombre des interventions ayant pu
être régulée dans un cadre normal, sans qu'il soit
nécessaire d'alerter les états-majors de zone de la
sécurité civile. Leur mission s'est bornée au transfert
des victimes de la canicule dans les services d'urgence.
Il a souligné que, parallèlement à cette activité
opérationnelle, nombre de sapeurs-pompiers avaient joué
spontanément et bénévolement un important rôle de
lien social au niveau local, en fournissant notamment de l'eau et un soutien
psychologique à de nombreuses personnes âgées. Il y a vu la
confirmation de l'importance d'une revitalisation du volontariat dans les corps
de sapeurs-pompiers et du maintien d'un maillage étroit du territoire
par les centres d'incendie et de secours. Il a estimé que ce type de
crise mettait également en exergue la nécessaire diffusion d'une
véritable culture du risque au sein de la population, par
l'intermédiaire des écoles ou des médias.
Il a ensuite regretté que, face à la situation de saturation et
de débordement des structures sanitaires, il n'ait pas été
fait appel aux moyens matériels et humains de la sécurité
civile, pourtant disponibles et rapidement mobilisables, du fait d'un
cloisonnement administratif excessif et d'un déficit de coordination
entre les différents ministères. Il a estimé qu'avait
manqué un organe de décision capable de prendre
« à chaud », en temps réel, la dimension de
la crise et de coordonner les réponses des différents acteurs des
secours. En particulier, la dimension interministérielle du Centre
opérationnel de gestion interministérielle de crise (COGIC), qui
relève du ministère de l'intérieur, a été
très largement ignorée.
Dans ces conditions, il a fait part des réserves de son organisation
concernant la proposition de création d'un « COGIC
santé », formulée en septembre dernier dans le rapport
de la mission présidée par le docteur Lalande : il lui a
paru préférable, dans une logique de décloisonnement et de
simplification administrative, de renforcer et d'optimiser la dimension
interministérielle de l'actuel COGIC.
Il a également observé un manque de transversalité dans la
transmission et dans l'interprétation de l'information. Il a cependant
insisté sur le fait qu'il n'appartenait pas aux sapeurs-pompiers, qui
n'en avaient d'ailleurs pas les moyens, de donner plus rapidement l'alerte sur
l'augmentation alarmante de la mortalité. En effet, seuls les services
d'aide médicale d'urgence (Samu) pouvaient avoir une vision
précise de la situation globale en la matière, les
sapeurs-pompiers n'étant que des intervenants parmi d'autres pour les
missions de transport sanitaire. Il a ainsi justifié la grande
circonspection de sa Fédération face à la proposition
formulée en septembre dernier par la mission d'information de
l'Assemblée nationale sur les causes et conséquences de la
canicule, tendant à confier aux SDIS une mission permanente de veille
sanitaire. Il a estimé, sauf à étendre sensiblement le
champ de compétence de la sécurité civile et à en
tirer les conséquences en termes d'organisation et de moyens financiers,
qu'on ne pouvait considérer cette crise sanitaire comme une crise de
sécurité civile. Il a, à cet égard, relevé
le retard pris dans la publication de la circulaire visant à clarifier
les missions des acteurs de l'aide médicale urgente, ainsi que pour
l'élaboration du projet d'arrêté d'application de la loi
« démocratie de proximité » relatif au
remboursement aux SDIS des transports de malades. Il a jugé qu'un tel
transfert de compétences s'exercerait au détriment de
l'efficacité opérationnelle, du volontariat et des finances
locales.
Le colonel Richard Vignon
a estimé en conséquence
irréaliste de confier aux SDIS une mission de veille sanitaire, mais a
noté que ces services pouvaient être appelés en renfort en
cas de crise sanitaire importante et qu'ils avaient vocation à
être associés à la préparation de plans
« chaleur » adaptés localement par les
préfets, en coopération avec les élus locaux.
Il a ensuite évoqué les dommages causés par les incendies
de forêt : plus de 2.000 départs de feu, plus de
60 000 hectares de forêt détruits, 10 victimes, dont
4 sapeurs-pompiers, ce bilan étant le plus lourd des
30 dernières années.
Il a indiqué que, compte tenu des conditions
météorologiques des mois précédents, et donc de la
prévisibilité des difficultés de cette campagne de lutte,
sa Fédération était intervenue le 30 juillet dans le
débat public pour dénoncer les graves carences constatées
dans la gestion de cette crise, liées en particulier à un manque
d'anticipation et la mise en oeuvre très insuffisante de moyens de
prévention. Le colonel a estimé que l'occurrence du risque aurait
justifié une anticipation très en amont et a jugé à
la fois tardive, erratique et parcimonieuse, la gestion des colonnes de renfort
de 1 500 sapeurs-pompiers venant d'autres départements.
Il a regretté qu'une vision trop strictement comptable et à court
terme ait conduit, au début de la crise, à suspendre le
départ de nombreuses colonnes déjà mises en alerte et
à provoquer de trop nombreux mouvements d'allers et retours,
éprouvants tant pour les personnels que pour les matériels.
Le colonel Richard Vignon
a indiqué en outre que cette crise
avait mis en lumière l'insuffisance et la vétusté de la
flotte aérienne dédiée à ces actions, ainsi que la
nécessité d'une meilleure prise en compte des risques liés
aux feux dans les politiques en matière d'urbanisme et de gestion des
forêts.
Il a ensuite évoqué les importantes mesures récemment
annoncées par le ministre de l'intérieur, qui prennent en compte
les principaux enseignements de cette crise : déploiement de
colonnes préventives et prépositionnement stratégique de
moyens d'intervention dès le début de l'été ;
acquisition de deux avions gros porteurs ; emploi
d'hélicoptères lourds pour accroître la polyvalence de la
flotte aérienne de la sécurité civile ;
négociation engagée pour recourir aux moyens de pays
étrangers ; renforcement du contrôle et de la prise en compte
des risques de feux de forêt par les collectivités territoriales
lors de la révision des documents d'urbanisme et du respect par les
propriétaires de leurs obligations en matière de
débroussaillement ; généralisation des plans de
prévention des risques liés aux incendies de forêt...
Le colonel Richard Vignon
a regretté l'absence de culture de
sécurité civile en France, où prime une approche curative
des crises, toujours dramatique et plus coûteuse pour la
collectivité, sur une approche préventive et responsable. Il a
souhaité que les colonnes de renfort soient affectées
prioritairement à la gestion des risques courants, ce qui permettrait
aux sapeurs-pompiers locaux de se consacrer à la lutte contre les feux
de forêt. Il a jugé, par ailleurs opportun d'assouplir la gestion
de ces colonnes, notamment en abandonnant le principe d'indivisibilité
d'une colonne, pour un dispositif fondé sur des groupes d'intervention
plus mobiles. Évoquant le projet de loi de finances pour 2004 et le
projet de loi relatif à la modernisation de la sécurité
civile, en préparation, il a appelé de ses voeux une
programmation budgétaire adaptée aux enjeux, respectée
dans la durée et ne reposant pas sur les seules collectivités
territoriales.
Il a enfin souhaité que les investissements en matière de
sécurité civile ne soient pas seulement considérés
comme une charge, mais s'inscrivent dans une approche de gestion
économique des risques.
Après avoir remercié l'orateur pour la précision et la
franchise de son discours,
M. Jacques Pelletier, président
,
a demandé si le COGIC n'aurait pas pu se saisir lui-même de la
situation de l'été dernier.
Le colonel Richard Vignon
lui a indiqué qu'il aurait
été difficile au COGIC de s'autosaisir en l'absence
d'informations, estimant qu'une responsabilité claire devait être
affichée, soit au niveau interministériel, soit avec un
ministère chef de file.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a exprimé la crainte que beaucoup
de temps soit consacré à régler les problèmes de
conflits de compétences. Puis il a demandé si les personnels
avaient bénéficié de formations leur permettant de
répondre utilement aux besoins, si la coordination des acteurs
concernés sur le terrain et la diffusion des informations entre eux
avaient été satisfaisantes et, enfin, quel était le
sentiment de la Fédération sur les difficultés
rencontrées en région parisienne et sur les divergences
d'interprétation auxquelles elles avaient donné lieu entre la
préfecture de police et la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.
Le colonel Richard Vignon
n'a pas souhaité répondre
à cette dernière question, la région parisienne n'entrant
pas dans le champ de compétence de son organisation.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a regretté que les
différents acteurs semblent « se renvoyer la balle »
et a rappelé que le préfet représente l'ensemble des
ministères dans le département, où il exerce une mission
transversale. Il n'y a donc pas lieu, selon lui, de désigner une
administration qui aurait la suprématie sur les autres.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a demandé des
précisions sur les préconisations de la Fédération
en matière de prévention et d'anticipation des crises.
Le colonel Richard Vignon
a assuré que les sapeurs-pompiers ne
revendiquaient aucune suprématie ni exclusivité en matière
de sécurité civile, laquelle devrait être l'affaire de
tous. Il a souhaité que les sapeurs-pompiers, dont les effectifs -de
l'ordre de 250 000 hommes- sont composés
à 85 % de volontaires, puissent se concentrer sur leur mission
principale, liée aux urgences et aux secours. Il a fait part de la
démotivation de ces personnels, dans la mesure où ils se voient
confier de trop nombreuses missions de transport sanitaire, sans lien avec ces
urgences et, en outre, coûteuses pour les collectivités
territoriales. Il a souhaité qu'au-delà d'une vision comptable
soit effectué un bilan économique global des actions de
prévention et d'anticipation, qu'il a jugées très
insuffisantes en France.
Il a indiqué qu'en l'absence de feux de forêt de cette ampleur
depuis 7 ou 8 ans, son organisation avait souligné les risques
découlant de l'abandon du débroussaillement et du vieillissement
des avions. Après avoir salué l'efficacité et
l'implication de l'ensemble des acteurs sur le terrain, il a estimé que
la mise en place de moyens préventifs permettrait de diviser par deux
les dommages liés aux incendies. Il s'est interrogé sur les
moyens dont disposaient réellement les préfets pour coordonner
les différents services concourant à la sécurité
civile, moyens qu'il a estimé très insuffisants pour assurer une
nécessaire transversalité et mobiliser, le cas
échéant, les acteurs concernés 24 heures sur 24.
Le médecin colonel Jean-Yves Bassetti
a confirmé ce propos
et relevé que, dans le midi de la France, le préfet de zone
n'avait pas réussi à se faire entendre du ministère de
l'intérieur, qui n'avait réagi qu'après l'alerte
donnée par la Fédération, elle-même saisie par le
président de l'union régionale du sud. Il a ensuite
rappelé que les sapeurs-pompiers devaient obligatoirement recevoir une
formation à la lutte contre les feux de forêt, un diplôme de
premier niveau étant exigé d'eux et un contrôle
étant réalisé en cas d'accident avec un véhicule.
Il a jugé nécessaire une gestion au niveau national, le cadre
départemental étant dépassé et s'est enfin
étonné qu'aucune information ne soit remontée des
états-majors de zone, comme c'est le cas, par exemple, pour les noyades.
M. Paul Girod
s'est proposé de communiquer à la mission
d'information le livre blanc du Haut comité français de la
défense civile relatif à la coordination
interministérielle. Il a souligné qu'en l'absence de moyens,
l'article 17 de l'ordonnance de 1959 sur l'organisation de la
sécurité civile, placée sous l'égide du
ministère de l'intérieur, n'était pas appliqué et
que les problèmes de coordination entre les administrations
concernées résultaient pour l'essentiel d'un manque de
concertation.
M. Paul Girod
a, par ailleurs confirmé la faiblesse des
moyens dont disposent les préfectures pour assurer leur mission de
coordination transversale. Il a, enfin, regretté la rupture du lien
sociétal et familial ainsi que l'absence de culture du risque des
Français.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a dénoncé les conflits de
compétences entre services publics dans le domaine du transport
sanitaire, et le manque de coordination notamment lors des accidents de la
route.
Le colonel Richard Vignon
a jugé effectivement nécessaire
de clarifier les missions des différents acteurs concernés,
l'imbroglio actuel ayant un coût en termes humain et financier. Dans
l'hypothèse où le secteur privé et les structures
hospitalières ne sont pas en mesure de répondre à
l'ensemble des besoins dans le domaine du transport sanitaire, il conviendrait
alors, selon lui, de demander clairement au service public de la
sécurité civile de combler ces carences et d'en assumer les
conséquences, notamment en adaptant ses moyens humains, matériels
et financiers.
Il a, par ailleurs, préconisé le développement d'une
culture du risque au sein de la population ainsi que l'organisation d'exercices
de sécurité civile et d'évacuation en grandeur
réelle, comme c'est le cas à l'étranger. De tels exercices
auraient le mérite de mettre les problèmes en lumière,
inciteraient à la clarification des missions et compétences des
différents acteurs, et permettraient par conséquent des
économies de moyens.
Il a insisté sur la nécessité d'envisager une approche
économique globale de la sécurité civile, avec un
changement de culture privilégiant la prévention, à
l'instar des pays anglo-saxons qui y consacrent les deux tiers de leur budget,
contre environ un tiers pour la France, un tel changement ne devant pas
entraîner de coût supplémentaire.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a demandé si, en cas
d'incendie de forêts, l'aide de brigades de sapeurs-pompiers d'autres
départements pouvait être sollicitée sans autorisation de
l'administration centrale.
Le médecin colonel Jean-Yves Bassetti
lui a précisé
que, le caractère national de la gestion des moyens et de l'organisation
en zones, n'autorisait que des partenariats entre départements d'une
même région.
M. Jacques Pelletier, président
, a souhaité qu'une
meilleure coordination soit organisée entre les départements et
entre les régions, les crises dépassant
généralement l'échelle d'un département.
Évoquant ensuite le soutien volontaire apporté
l'été dernier aux personnes âgées par les
sapeurs-pompiers, il a demandé si ces derniers pourraient disposer de
listes des personnes à risque afin de pouvoir les aider efficacement
dans une situation de crise.
Le médecin colonel Jean-Yves Bassetti
a indiqué que de
nombreux acteurs étaient présents dans les départements,
tels que la Croix-Rouge qui dispose de moyens importants. Il a regretté
qu'en l'absence de remontée d'informations et de relations transversales
entre administrations, les sapeurs-pompiers de Paris n'aient pas
sollicité ceux de départements voisins, qui auraient pu mettre
des moyens à leur disposition. Il a estimé possible de
développer au niveau des départements et des
agglomérations, des plans d'action couvrant les différents
risques majeurs.
Audition de M. Pascal COSTE,
secrétaire
général adjoint de la FNSEA
(26 novembre
2003)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M.
Pascal Coste, secrétaire général adjoint de la
Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles
(FNSEA).
Après s'être félicité de la
création, par le Sénat, d'une mission commune d'information
prenant en compte les effets de la canicule sur le secteur agricole, il a
remarqué que celle-ci avait été bien
appréhendée par le monde rural, animé de valeurs fortes
liées à la famille et à la solidarité. Observant
que l'agriculture était plus sensible à la sécheresse
qu'à la canicule et que l'année précédente avait
déjà été marquée, dans certaines
régions, par un manque de précipitations ayant réduit les
ressources en eau, il a ensuite insisté sur le manque de fourrages
ressenti durant l'été, qu'il a attribué notamment aux
conséquences de la crise récente de l'ESB.
Indiquant que la sécheresse et la canicule, exceptionnelles par leur
durée, leur intensité et leur couverture territoriale, avaient
lourdement affecté l'agriculture au cours de cet été, il a
rappelé que les pertes étaient estimées à 4
milliards d'euros pour le monde agricole, précisant que les pertes les
plus importantes concernaient le déficit en fourrages (1,5 milliard
d'euros) et en rendements de céréales (1 milliard d'euros).
Indiquant que la production de blé avait reculé de 21 % en
volume par rapport à celle de 2002, contre 29 % pour celle de
maïs, il a observé que la production de fruits et de légumes
avait été également très affectée, tout
comme les élevages hors-sol, qui ont perdu 4 millions d'animaux.
Il a ensuite évoqué le dispositif d'aide mis en place en faveur
des victimes de la sécheresse. S'agissant du Fonds national de garantie
des calamités agricoles (FNGCA), il a déploré que l'Etat
n'ait pas versé sa quote-part durant les cinq dernières
années et qu'il n'ait pas prévu de le doter dans le projet de loi
de finances pour 2004, alors qu'il connaît cette année un
déficit de financement de l'ordre de 30 % de son budget. Il a
estimé qu'il faudrait envisager, en conséquence, de faire appel
à la solidarité nationale les années où des besoins
se feraient sentir.
Concernant l'aide au transport de fourrages, il a estimé que le
ministère avait bien réagi en débloquant une enveloppe de
plus de 50 millions d'euros, déplorant toutefois l'absence de relations
satisfaisantes entre les agriculteurs et les transporteurs, ainsi que la
très faible réactivité de la SNCF et de
l'armée : il a regretté à cet égard que la
fermeture de nombreuses petites gares en milieu rural ait compliqué
l'acheminement du fourrage.
S'agissant du Fonds d'allègement des charges (FAC), il a indiqué
qu'il était doté de 20 millions d'euros, estimant ces
crédits insuffisants, au regard notamment des pertes importantes de la
filière élevage.
Après avoir insisté sur l'importance pour la politique agricole
nationale de posséder des corps intermédiaires forts et
rappelé à cet égard que la FNSEA avait organisé le
transport de 350 000 tonnes de paille, il a exposé les
stratégies à mettre en oeuvre à l'avenir. Abordant le
thème des ressources en eau et évoquant la création de
nouvelles retenues collinaires, il a reconnu que le milieu agricole suscitait
une certaine incompréhension de l'opinion publique lorsqu'il recourait
à une abondante irrigation en période de canicule, alors
qu'étaient édictées des restrictions d'eau, tout en
observant que le secteur industriel devrait également être inclus
dans une réflexion plus large sur la gestion de l'eau.
Jugeant que le mécanisme de l'assurance récolte, dont il a
rappelé qu'il faisait l'objet d'une gestion tripartite associant l'Etat
aux agriculteurs et aux assureurs, devrait être étendu à
toutes les productions et à toutes les régions afin de mutualiser
les risques et de gérer ainsi tous les aléas, il a
également insisté sur la nécessité de renforcer
l'aide aux personnes âgées en milieu rural, en
décloisonnant notamment l'intervention des divers acteurs et en
réexaminant leur statut et leur formation.
Convenant que la solidarité jouait plus fortement en milieu rural qu'en
milieu urbain,
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer
que les campagnes avaient bénéficié de températures
nocturnes plus fraîches que les villes durant la canicule.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est demandé dans quelle mesure
l'expérience des sécheresses précédentes avait
été utile et quels enseignements pourraient être
tirés des mesures prises par les principaux pays agricoles
européens. Il s'est également interrogé sur les
inconvénients potentiels du mécanisme de l'assurance
récolte, occasionnant des frais de gestion bancaires et susceptible de
déresponsabiliser les exploitants agricoles, ainsi que sur le premier
bilan qui pouvait être tiré du mécanisme de la
« provision pour aléas ». Il a enfin
évoqué la possibilité de recourir à des
spéculations, des techniques de production et des méthodes de
culture et d'irrigation plus économes en eau.
En réponse,
M. Pascal Coste
a apporté les
précisions suivantes :
- répétant que les exploitants agricoles ne
possédaient pas de réserves de fourrage suffisantes du fait des
conséquences de la crise de l'ESB, il a évoqué
l'idée de constituer des stocks dans les régions
céréalières tout en veillant à en contrôler
les prix ;
- s'agissant des méthodes de production, il a critiqué
l'évolution de la politique agricole commune (PAC), estimant qu'elle
avait conduit les paysans à abandonner contre leur gré la
polyculture élevage, laquelle aurait permis d'échanger de la
paille au niveau local, pour les contraindre à se spécialiser de
manière excessive. Reconnaissant que les élevages intensifs
pouvaient parfaitement être « extensifiés »,
il a toutefois mis en garde contre les risques de délocalisation de la
production susceptibles d'en résulter, et s'est demandé dans
quelle mesure le consommateur serait prêt à payer davantage pour
bénéficier de produits d'une plus grande qualité ;
- concernant l'assurance récolte, il a évoqué
l'idée d'utiliser une faible part des 40 milliards d'aides
européennes à l'agriculture pour mettre en place un dispositif
d'assurance revenu qui ne couvrirait qu'une partie du chiffre d'affaires de
l'agriculteur et requerrait un financement suffisant de sa part, afin de
prévenir toute déresponsabilisation ;
- observant que 80% des agriculteurs ne pouvaient profiter du
mécanisme de la provision pour aléas en raison de leur
régime fiscal, il a également souligné que les exploitants
ayant des niveaux de revenus suffisamment élevés pour en
bénéficier n'appartenaient pas aux zones d'élevage, qui en
avaient le plus besoin ;
- enfin, s'agissant des enseignements tirés des dernières
sécheresses, il a considéré qu'ils avaient permis
d'augmenter les ressources en eau et de mieux maîtriser les techniques
d'irrigation, même si des problèmes liés à la
sécheresse subsistaient dans le nord, mais pas d'améliorer les
pratiques agricoles
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que la
résistance des semences aux conditions climatiques extrêmes avait
enregistré de gros progrès depuis la sécheresse de 1976.
Il a par ailleurs regretté que les meules de paille constituées
dans son département dès le début de la canicule n'aient
été acheminées que vers la fin du mois d'octobre,
après avoir été exposées aux diverses
intempéries.
Partageant ce constat,
M. Pascal Coste
a déploré que le
transport de paille ne soit pas plus rapide, ce qu'il a expliqué par
divers facteurs tels que l'insuffisance de rames de trains disponibles, le
nombre important de ruptures de charge ou encore les contraintes de service des
personnels de la SNCF.
Répondant ensuite à
M. Alain Gournac
, qui s'était
interrogé sur une éventuelle relation entre la canicule et la
hausse du prix des fruits et légumes, ainsi que sur l'existence d'une
réflexion globale sur la gestion des personnes âgées en
milieu rural,
M. Pascal Coste
a indiqué :
- que la canicule et les pertes de récolte en résultant
n'avaient joué qu'un rôle accessoire dans l'augmentation du prix
des fruits et légumes, laquelle procédait principalement d'une
hausse des marges des distributeurs ;
- que si son département avait mené une action globale et
concertée pour venir en aide aux personnes âgées en milieu
rural, une telle réaction était demeurée exceptionnelle
à l'échelle du pays, les différents acteurs
concernés n'ayant pas suffisamment assumé leurs
responsabilités.
S'est alors engagée une discussion sur la nécessité
d'établir un protocole d'action, tant au niveau national qu'au niveau
local, destiné à gérer des crises de ce type.
M. Alain
Gournac
a fait observer que si la constitution d'une « check
list » destinée à alerter et à informer
était souhaitable, il faudrait éviter qu'elle ne se traduise par
des normes excessivement contraignantes et prévoir son application aux
épisodes de grands froids.
M. Pascal Coste
a souligné
que des actions de bon sens (prévoir, par exemple, qu'un groupe
électrogène puisse être branché sur le réseau
électrique de chaque village pour l'alimenter en cas de rupture)
vaudraient mieux que de vastes plans difficilement applicables. Enfin, tirant
les enseignements du déficit d'alerte et des carences en termes de
sécurité dont elle avait été victime dans sa
commune suite à un problème de pollution des eaux,
Mme
Gisèle Gautier
a souligné que l'établissement d'un
protocole à appliquer en cas de grave crise climatique devrait
nécessairement s'accompagner de son actualisation
régulière.
Audition de MM. Christian de LAVERNÉE,
directeur de la défense
et de la sécurité civile au
ministère de l'intérieur, Didier MONTCHAMP,
sous-directeur de
l'organisation des secours et de la coopération civilo-militaire
et
André DUCAS, lieutenant-colonel, responsable du centre
opérationnel
de gestion interministérielle des
crises
(26 novembre 2003)
La
mission a enfin entendu
MM. Christian de Lavernée, directeur de la
défense et de la sécurité civiles au ministère de
l'intérieur, Didier Montchamp, sous-directeur de l'organisation des
secours et de la coopération civilo-militaire, et André Ducat,
lieutenant-colonel, responsable du centre opérationnel de gestion
interministérielle des crises (COGIC)
.
M. Christian de Lavernée
a présenté
successivement les conséquences de la canicule de l'été
dernier dans les domaines sanitaire, des feux de forêt, de la
sécurité électrique, du patrimoine bâti et de
l'agriculture.
S'agissant du volet sanitaire, il s'est demandé s'il aurait
été possible de mieux prévenir, prévoir et
atténuer les effets d'une vague de chaleur d'une ampleur et d'une
intensité aussi exceptionnelles. Il a indiqué que le
système de centralisation des informations par sa direction était
alimenté par le réseau des préfectures, mais que les
décès ayant été enregistrés par divers types
de structures, aucune mesure exhaustive de l'ampleur de la surmortalité
n'avait été effectuée ni, par conséquent, d'alerte
précoce. Il a précisé qu'une forte proportion des
décès était survenue dans des maisons de retraite ou des
hôpitaux et que les sapeurs-pompiers n'intervenaient pas dans ce cadre.
Il a regretté, par ailleurs, l'absence de systèmes d'observation,
même par sondage, l'Institut de veille sanitaire n'ayant pas
recensé dans ses listes des risques épidémiologiques ceux
liés à la grande chaleur.
Il a relevé la faiblesse des travaux scientifiques sur ce sujet, citant
un seul article paru dans une revue médicale en 1992, à la suite
de la canicule enregistrée à Marseille en 1982. Il a
estimé que l'absence de préparation collective à ce risque
de surmortalité constituait le plus grand enseignement de cette crise et
que la population attendait une prise en charge collective plus
organisée.
M. Christian de Lavernée
a évoqué une
réunion entre sa direction et des représentants du
« Center for Disease Control » d'Atlanta, ville qui a connu
de fréquentes vagues de chaleur et qui a mis en place -ainsi qu'une
vingtaine d'autres grandes villes américaines- un plan
« canicule » prévoyant notamment
l'établissement de listes des personnes vulnérables et leur
transport vers des lieux climatisés.
Il a ensuite évoqué deux mesures, en cours d'élaboration,
destinées à tirer les leçons de la crise de
l'été dernier :
- une nouvelle convention signée avec Météo France,
à l'instigation du ministère de la santé, tendant à
mettre en oeuvre, dans une quarantaine d'agglomérations, des plans
« grand froid » et « grande chaleur »,
et à prévoir des formes de vigilance météo qui,
au-delà de la description des phénomènes climatiques,
préciseraient leur caractère plus ou moins supportable pour
l'organisme, en fonction de paramètres tels que le vent ou le
degré d'humidité ;
- l'élaboration de plans visant plus spécifiquement les
personnes vulnérables, en cas de canicule, de grand froid ou de rupture
dans la fourniture d'électricité.
M. Christian de Lavernée
a ensuite estimé qu'en
dépit des dommages provoqués l'été dernier par les
feux de forêt, la campagne de lutte contre ces incendies s'était
correctement déroulée, compte tenu du caractère
exceptionnel des conditions climatiques, et qu'une catastrophe -du type de
celles qu'ont connues le Portugal, les Etats-Unis et le Canada- avait
été évitée.
Il a précisé qu'une carte de vigilance avait été
établie dès le mois de juin et que des enseignements devaient
néanmoins être tirés de cette crise :
nécessité de renforcer le potentiel d'intervention
aérienne (avec le remplacement de deux avions gros porteurs), meilleure
application de la réglementation en matière de
débroussaillement. Pourrait également être envisagé,
dans le projet de loi sur la sécurité civile, un mécanisme
qui inciterait les propriétaires fonciers à modifier leur
comportement en matière de débroussaillement, en autorisant les
compagnies d'assurances à imposer une lourde franchise ou des
pénalités en cas de sinistre, dans l'hypothèse où
le propriétaire concerné n'aurait pas respecté ses
obligations dans ce domaine.
Il a préconisé, par ailleurs, un aménagement des
procédures concernant les colonnes de renfort permettant de
définir le positionnement des colonnes supplémentaires en
fonction de cartes de prévision des risques à 48 heures et
d'assurer une prise en charge financière de ces opérations par
l'Etat.
M. Christian de Lavernée
a ensuite indiqué que notre
pays avait frôlé une crise électrique majeure en août
dernier, qui avait suscité des opérations de délestage
entraînant des coupures de certaines lignes, et que le COGIC n'avait pas
eu à intervenir du fait de la baisse des températures.
Il a ensuite évoqué les conséquences de la
sécheresse sur le patrimoine bâti ainsi que le problème du
classement en « catastrophe naturelle » de nombreux
départements aux sous-sols argileux. Il a indiqué que les
critères retenus pour cette reconnaissance ne s'appliquaient pas
à la crise de l'été dernier, puisqu'elle suppose un
déficit hydrique manifeste pendant un an, et que sa direction
travaillait avec le ministère de l'environnement et du
développement durable et le ministère des finances à une
redéfinition de ces critères.
Évoquant enfin les conséquences de la canicule sur l'agriculture,
il a indiqué que le transport de fourrage avait été
assuré à l'initiative des ministères en charge de
l'agriculture et des transports, et que le problème de l'assurance des
élevages hors-sol avait fait l'objet d'un examen attentif.
Évoquant les communiqués de presse de Météo France
sur la canicule ainsi que l'alerte donnée par la direction
départementale de l'action sanitaire et sociale (DDASS) du Morbihan sur
des décès suspects,
M. Jacques Pelletier,
président
, a indiqué que les premières auditions de la
mission semblaient montrer une réaction tardive des différents
acteurs. Il a invité M. Christian de Lavernée
à préciser à quel moment la direction de la
défense et de sa sécurité civiles a pris conscience de la
gravité de la canicule et s'est interrogé sur les relations de
cette direction avec l'institut de veille sanitaire (IVS) et les services des
pompes funèbres.
Rejoignant les propos de M. Jacques Pelletier,
Mme Valérie Létard, rapporteur
, s'est
interrogée sur les dispositifs de veille de la sécurité
civile pour faire face à une telle catastrophe naturelle et sur
l'incidence des congés d'été sur l'organisation des
services pendant la crise. Elle a noté que certaines
personnalités auditionnées par la mission, à l'exemple de
Mme Lalande ou de M. Brücker, avaient insisté sur le
« cloisonnement » des administrations des ministères
de la santé et de l'intérieur et sur la difficulté de
diffusion des informations entre elles. Elle a demandé des
précisions sur le rôle du centre opérationnel de gestion
interministériel des crises (COGIC) et s'est enquise des moyens
d'améliorer la coordination des différents acteurs
concernés et le travail de prévention, au niveau national comme
territorial.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a rappelé que l'ampleur
des conséquences sanitaires de la canicule n'avait pas été
perçue par les services compétents du 4 au 12 août et
s'est interrogé sur les moyens de mieux anticiper de tels
phénomènes climatiques.
M. Christian de Lavernée
a constaté que la
prise de conscience de la sécurité civile avait été
sans doute tardive, précisant qu'elle avait été
provoquée par l'alerte donnée par les urgences médicales
des hôpitaux et notamment par le docteur Pelloux quant à
l'éventuelle saturation des services concernés.
Il a noté que ce dernier risque avait été
évoqué lors d'une réunion interministérielle le
14 août, au cours de laquelle le Premier ministre a
décidé la généralisation du « plan
blanc », permettant un rappel des personnels hospitaliers en vacances
et leur redéploiement pour répondre à l'urgence.
Il a constaté que la deuxième alerte sur l'importance de la crise
avait résulté de l'encombrement des services de pompes
funèbres qui avait nécessité la fourniture de groupes
électrogènes et de lits ainsi que la réquisition de locaux
supplémentaires pour entreposer les corps, ajoutant que la direction de
la défense et de la sécurité civiles était alors
bien informée et réactive sans pour autant appréhender
totalement l'ampleur du phénomène caniculaire. Il a relevé
que, même en période de vacances, la veille était
permanente dans les services de la sécurité civile et que ceux-ci
étaient animés par une culture de la disponibilité.
M. Didier Montchamp
a indiqué que le ministère
de la santé était entré en relation avec la direction de
la défense et de la sécurité civiles le 11 août
au matin, en vue d'obtenir des informations sur l'appréciation des
conséquences sanitaires de la canicule et sur la surmortalité
constatée. Il a ajouté que les préfets de zone avaient
été sollicités par la direction et que les
premières données fournies par eux le 12 août
n'avaient pas permis d'appréhender la gravité de la situation.
M. Christian de Lavernée
a souligné que si l'alerte
avait été tardive, il n'y avait pas eu, en revanche, de
défaut de coordination entre les différents acteurs
compétents et que la gestion de la crise avait été
ultérieurement satisfaisante, insistant sur l'installation en urgence
par la préfecture de police de Paris de centres d'appel pour informer
les personnes fragiles et la mise en place de patrouilles mixtes,
composées de policiers et de secouristes, afin de leur venir en aide.
Évoquant ses contacts avec des responsables de maisons de retraite, il a
reconnu que la faiblesse des administrations concernées avait
été de ne pas évaluer correctement la
vulnérabilité des personnes âgées et qu'il convenait
d'améliorer la prévision et la planification à l'avenir.
M. Alain Gournac
a noté le décalage entre ces
propos et la perception de la population et des élus « sur le
terrain ».
Il a constaté que les messages d'alerte lancés par le docteur
Pelloux n'avaient pas été immédiatement pris en compte par
les administrations concernées. Remarquant qu'il ne semblait pas y avoir
de liens entre l'importance des effectifs dans les établissements
spécialisés et le nombre de morts constatés dans son
département, il a souligné l'efficacité de la mise en
oeuvre du « plan blanc ». Il s'est demandé si une
actualisation des plans de délestage d'électricité avait
été entreprise depuis l'été dernier pour prendre en
compte les besoins des maisons de retraite et des personnes sous assistance
respiratoire.
Tout en prenant acte des propos de
M. Christian de Lavernée sur la disponibilité des
personnels de la sécurité civile, il a souligné que
l'absence de médecins et les fermetures massives de lits dans les
hôpitaux avaient été constatées pendant la canicule.
Il a noté que l'absence de consignes aux sapeurs-pompiers, qui avaient
arrosé les toits des maisons de retraite de sa commune sur sa seule
initiative, ou la diffusion de statistiques contradictoires entre les
préfectures et les pompes funèbres sur le nombre de morts
liées à la chaleur pendant la crise ne donnaient pas l'impression
d'une maîtrise de la situation par les services compétents.
Il a ajouté que la politique tendant à permettre aux personnes
âgées de demeurer à domicile était certes
fondée, mais qu'elle avait posé des difficultés
importantes lors de la canicule, ces personnes étant la plupart du temps
isolées et fragiles. Il a enfin souligné la
nécessité d'une réflexion urgente sur l'adaptation de
dispositifs existants d'anticipation et de prévention des risques aux
conséquences prévisibles de phénomènes climatiques
extrêmes.
Mme Gisèle Gautier
a constaté que les auditions
de la mission d'information avaient mis en évidence un manque d'alerte,
d'information et de coordination, mais aussi un défaut de
décisions face à l'urgence, celles-ci étant
reportées en raison de l'absence des principaux responsables pendant la
canicule pour cause de vacances.
Rappelant que la plupart des décès liés à la
chaleur avaient eu lieu sur une période de quelques jours, elle a
souligné que ces dysfonctionnements avaient contribué au
caractère tardif de certaines réponses apportées aux
conséquences sanitaires de la canicule. Elle a demandé à
M. Christian de Lavernée si une liste des personnels
présents dans les services concernés pendant la période de
canicule pouvait être fournie à la mission d'information. Elle a
estimé qu'une réflexion sur l'étalement des vacances des
personnels des administrations essentielles en cas de crise était
souhaitable. Elle a ajouté qu'un changement de mentalité
était nécessaire afin que les départs en vacances de la
période du mois d'août ne paralysent pas l'action administrative.
M. Paul Girod
s'est enquis de la pertinence des propos tenus
par M. Bassetti, indiquant à la mission d'information que certaines
colonnes de sapeurs-pompiers envoyées en renfort dans le sud du pays
pour lutter contre les feux de forêt de l'été, avaient
été momentanément bloquées dans la vallée du
Rhône pour des raisons budgétaires.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a estimé que les
adjoints des responsables partis en vacances devaient être en mesure de
prendre les décisions nécessaires à la bonne marche du
service et a fait observer que la présence de l'ensemble des
décideurs lors de la crise estivale n'aurait probablement pas permis de
limiter la surmortalité liée à la chaleur.
M. Christian de Lavernée
a indiqué que la
bonne coopération entre les administrations du ministère de la
santé et du ministère de l'intérieur avait
été renforcée depuis la canicule avec des rencontres plus
fréquentes entre leurs experts respectifs dans divers domaines. Il a
rappelé que la direction de la défense et de la
sécurité civiles avait un rôle de mobilisation et de
coordination interministérielle en cas de crise et qu'elle ne pouvait se
substituer aux administrations sanitaires.
Concernant le délestage de l'électricité, il a
indiqué qu'aucun document de synthèse n'était disponible
et qu'un travail d'adaptation des dispositifs existants était
actuellement en cours, ajoutant qu'une collecte des bonnes pratiques pour faire
face à la canicule avait été aussi engagée.
Il a souligné que la crise de l'été dernier avait permis
de compléter le projet de loi relatif à la modernisation de la
sécurité civile, présenté prochainement au
Parlement, qui prévoit la création d'un Conseil national de la
sécurité civile constituant un lieu d'échange et
d'actualisation des connaissances sur les risques. Il a ajouté que
l'ensemble des risques prévisibles en France et à
l'étranger seraient recensés par cette instance qui sera en outre
chargée de fixer les mesures appropriées de prévention et
d'organisation des secours.
Il a confirmé un certain « grippage » dans la
gestion des colonnes de secours appelées en renfort pour relever les
sapeurs-pompiers luttant contre les incendies de l'été dernier et
a indiqué qu'une réflexion avait été entreprise
pour améliorer les dispositions en vigueur. Il a ajouté que la
sécurité civile, tout comme les présidents de conseils
généraux dans la gestion des services départementaux
d'incendie et de secours (SDIS), devaient tenir compte des contraintes
budgétaires.
Il a insisté sur l'obligation de continuité du service des
personnels du ministère de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales
attachés à la direction de la défense et de la
sécurité civiles, celle-ci se traduisant notamment par la
présence permanente d'un membre du corps préfectoral dans les
préfectures pour faire face à une crise éventuelle.
Mme Gisèle Gautier
a nuancé cette affirmation en
rappelant, à titre d'anecdote, la pollution d'un château d'eau
dans sa commune, il y a dix ans, et les difficultés qui s'ensuivirent
pour contacter la personne compétente à la préfecture du
département.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié
M. Christian de Lavernée pour son intervention et
souligné l'intérêt d'un recensement des personnes fragiles
afin d'anticiper les conséquences sanitaires probables des variations
climatiques. Il a précisé que la mission d'information avait pour
objectif de faire la lumière sur la gestion de la crise estivale pour en
tirer les leçons et permettre à notre pays de répondre
plus efficacement à de telles catastrophes à l'avenir.
Audition de M. Hubert FALCO,
secrétaire d'Etat
aux personnes âgées
(2 décembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition
de
M. Hubert Falco, secrétaire d'État aux personnes
âgées
.
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé, à titre
liminaire, que la mission d'information du Sénat ne s'était pas
fixé pour objectif de conduire une « chasse aux
sorcières », mais de comprendre les événements
de l'été dernier et de formuler des propositions.
M. Hubert Falco, secrétaire d'État aux personnes
âgées
, a tout d'abord déclaré qu'il
s'était senti profondément affecté par le tragique bilan
humain de la canicule et qu'il partageait l'émotion des familles et des
proches des victimes.
Rappelant que la constitution de la mission commune d'information du
Sénat visait à contribuer à ce qu'une telle catastrophe ne
se reproduise pas à l'avenir, il a précisé qu'il entendait
lui apporter tous les éléments d'information sur l'action qu'il
avait menée pendant la crise et lui présenter les dispositions
nouvelles prises depuis lors.
M. Hubert Falco
a rappelé que le champ de compétences du
secrétariat d'État aux personnes âgées couvrait la
prise en charge sur le plan social des personnes âgées et que,
dès sa prise de fonctions, il avait fait de la prévention l'un
des axes majeurs de sa politique. Il a ensuite exposé quelques-unes des
actions menées à ce titre en mentionnant la circulaire du
12 juillet 2002, adressée aux directions départementales de
l'action sanitaire et sociale (DDASS), qui formulait, avant même la
période de canicule, un ensemble de recommandations sur « la
qualité de la prise en charge des personnes âgées pendant
la période d'été ». Il a précisé
que cette circulaire, destinée à tous les directeurs
d'établissement pour personnes âgées, insistait
précisément sur la nécessité d'assurer
« la prévention de la déshydratation », de
« rafraîchir les locaux » et de « donner
à boire, plusieurs fois par jour, aux personnes
âgées ».
Il a fait valoir que ces dispositions avaient ensuite été
reprises et renouvelées cette année, dans le cadre de la
circulaire du 27 mai 2003, qui attirait l'attention sur le risque
d'isolement des personnes âgées durant la période
d'été.
M. Hubert Falco
a regretté que, dans un grand nombre
d'établissements, ces instructions n'aient pas été suivies
et a déploré qu'elles aient suscité, au moment de leur
annonce, des remarques ironiques de la part de certains médias et de
certains gériatres pourtant éminents. Il en a conclu que la
culture de la prévention était encore très insuffisante
dans notre pays.
Il a observé que le bilan de la canicule s'expliquait aussi, dans une
large mesure, par l'absence de soins prodigués aux personnes
âgées, ce qui peut être considéré comme une
forme particulière de maltraitance, ajoutant qu'au-delà de ces
phénomènes d'omission ou d'ignorance, les personnes
âgées souffraient aussi souvent de maltraitances physiques,
financières ou médicamenteuses et que près
de 800 000 personnes dans notre pays étaient susceptibles
d'être confrontées à l'une ou l'autre de ces situations.
Il a rappelé à cet égard que la création, le
19 novembre 2002, du Comité national de vigilance contre la
maltraitance des personnes âgées, était intervenue dans
l'indifférence générale, tout comme d'ailleurs le
lancement, en janvier 2003, d'un programme de prévention dans ce domaine.
M. Hubert Falco
a noté que, depuis son arrivée au
gouvernement, le signalement des cas de maltraitance en établissement
avaient systématiquement fait l'objet d'une enquête, qu'une
évaluation d'ensemble de ces phénomènes était en
cours, et qu'un système spécifique de recueil et de traitement de
ce type d'informations sera mis en place. Il a noté enfin que le
programme « Bien vieillir » lancé, avec le Premier
ministre le 12 mars 2003, visait précisément à
encourager les personnes âgées de plus de 60 ans
à se préparer à leur vieillissement, pour rester le plus
longtemps possible actives et en bonne santé.
Il a ensuite détaillé la chronologie des événements
de la crise de la canicule.
Il a ainsi rappelé qu'une vague de chaleur exceptionnelle s'était
installée en France vers le 2 août mais, comme l'avait
d'ailleurs établi la mission d'expertise et d'évaluation
confiée à Mme Lalande, inspecteur général des
affaires sociales, que rien n'avait été perceptible jusqu'au
6 août 2003. Il a précisé que les premières
indications tendant à accréditer l'hypothèse d'une
surmortalité importante avaient été signalées par
les services du Samu, ainsi que les urgences hospitalières, à
l'occasion d'une augmentation inhabituelle des cas de patients
âgés souffrant d'hyperthermie, mais que, pour autant, aucun compte
rendu faisant part de décès massifs n'avait été
adressé jusqu'au 8 août à la direction
générale de l'action sociale et ce, tant par les DDASS que par
les institutions d'hébergement de personnes âgées ou par
les associations d'aide à domicile.
M. Hubert Falco
a indiqué que le premier appel parvenu le
10 août à la permanence de son cabinet provenait du
département des Hauts-de-Seine et faisait état d'un manque de
place dans le funérarium de Suresnes. Il a noté qu'une croissance
très forte des décès avait ensuite été
constatée le lundi 11 août, et surtout le mardi
12 août, date qui avait marqué le paroxysme de la crise, avec
un nombre d'hospitalisations cinq fois supérieur à celui de la
même période, l'année précédente.
Il a précisé que, dès le 11 août, le conseiller
technique de permanence avait pris contact avec les membres du cabinet du
ministre de la santé pour leur signaler des cas de surmortalité
anormale dans les maisons de retraite et pour entreprendre de coordonner la
conduite des actions. Après avoir relevé que ses services avaient
appelé plusieurs maisons de retraite pour apprécier la situation,
le secrétaire d'État a fait observer qu'il s'était
lui-même rendu le lundi 11 août aux urgences de
l'hôpital de la ville de Toulon, tandis qu'était publié un
communiqué de presse rappelant à la fois les risques encourus et
les recommandations à suivre face au risque de déshydratation.
Il a indiqué que, dès le lendemain, un nouveau communiqué
de presse avait été diffusé pour, au-delà des seuls
professionnels, appeler à mettre en oeuvre une véritable
mobilisation collective nationale en faveur des personnes âgées et
pour renforcer les conseils et recommandations déjà
diffusés.
Après avoir mentionné qu'il s'était rendu le
13 août, avec le ministre de la santé, dans les
hôpitaux de Bordeaux et de la Pitié-Salpêtrière
à Paris,
M. Hubert Falco
a noté que la Direction
générale de l'action sociale avait demandé le 14
août, aux DRASS et DDASS, une première évaluation
quantitative de la mortalité des personnes âgées
hébergées en établissement. Il a rappelé qu'il
s'était déplacé avec le Premier ministre, le
16 août, à la maison de retraite de Fleurey-sur-Ouche en
Côte-d'Or et qu'il avait adressé, le même jour, une nouvelle
circulaire tendant à sensibiliser les communes et les centres communaux
d'action sociale sur l'importance d'un accompagnement des personnes
âgées isolées, à l'occasion de leur retour à
domicile après la phase d'hospitalisation.
Il a également précisé qu'une réunion avait
rassemblé, le 19 août, les membres de son cabinet, ainsi que
des représentants des établissements d'hébergement et des
services d'aide à domicile, et qu'à cette occasion, il avait
été constaté à la fois une très forte
disparité des cas de surmortalité dans les établissements
d'hébergement pour personnes âgées dépendantes
(EHPAD), ainsi que l'absence d'un système d'alerte sanitaire efficace
dans le secteur médicosocial.
Au terme de ce rappel chronologique, il a constaté que, dès le
début de la canicule, aucune remontée officielle de
difficultés n'était venue des DDASS, des conseils
généraux, des mairies ou des associations de maintien et de soins
à domicile.
Il a considéré que bien que tous les établissements et
services aient travaillé au mieux et au maximum des moyens humains
disponibles, la réaction des services publics à la crise de la
canicule était intervenue avec un réel décalage par
rapport aux événements. Il en a conclu que la situation des
personnes âgées dans les institutions ou à domicile avait
dès lors été fonction de leur état
général, du degré d'anticipation et des moyens disponibles
de leur environnement immédiat.
M. Hubert Falco
a par ailleurs précisé que les dispositifs
d'alerte susceptibles de s'appliquer à la prise en charge des personnes
âgées dans les établissements d'hébergement
différaient sensiblement de celui des établissements
hospitaliers.
Il a ainsi constaté, qu'à l'inverse des hôpitaux, la
gestion des 10 000 maisons de retraite de notre pays était
très décentralisée et, qu'en l'absence d'une organisation
pyramidale, les informations ne pouvaient efficacement remonter vers les
instances nationales, qu'à la condition qu'existe un partenariat
étroit avec l'échelon local. Il a, par ailleurs, insisté
sur la grande variété des régimes juridiques des maisons
de retraite, certains établissements relevant d'un statut privé,
d'autres étant des associations ou des établissements publics
communaux ou départementaux, ce qui complique considérablement la
remontée des informations.
Il a considéré qu'au moment du drame, aucun mécanisme de
prévention et aucun dispositif d'alerte satisfaisant n'existait dans
notre pays pour prévenir et faire face à un tel
événement. Il a en revanche salué le dévouement et
l'efficacité des services de secours et des services d'urgence, qui ont
fait face à la situation dans les meilleurs délais.
Il a noté que l'analyse de la crise mettait aussi en évidence la
nécessité d'assurer la prévention et la veille sanitaire,
en liaison avec les services de Météo France et indiqué
qu'un nouveau dispositif, baptisé « plan Vermeil »,
sera mis en oeuvre à cet effet et adapté, avec les acteurs
locaux, aux spécificités de chaque département. Il a
précisé que ce plan s'inscrivait dans le cadre de la
réforme d'ensemble, annoncée par le Premier ministre le
6 novembre dernier, en faveur des personnes dépendantes.
Il a indiqué que ce plan d'alerte concernera plus
particulièrement les personnes très âgées ou
atteintes d'une polypathologie, ou qui se trouvent en situation d'isolement. Il
a ensuite décrit les trois niveaux d'alerte prévus : la
pré-alerte qui interviendra entre 3 et 7 jours avant les
événements, lorsqu'il existe un risque de vague de chaleur dans
la semaine à venir ; l'alerte proprement dite qui sera
donnée lorsqu'une vague de chaleur apparaîtra et enfin l'annonce
d'une situation de danger qui sera diffusée lorsqu'un risque sanitaire
sera confirmé, notamment en raison de températures minimales
élevées ou d'un fort degré de pollution
atmosphérique.
M. Hubert Falco
a annoncé qu'une chaîne d'alerte entre
Météo France, l'Institut de veille sanitaire (InVS) et le
ministère de la santé (direction générale de la
santé) sera mise en place et que des référentiels de
bonnes pratiques préventives applicables aux risques sanitaires
liés à la canicule et à la pollution seront
élaborés.
Il a détaillé les trois niveaux de déclenchement et
d'organisation de ce plan d'alerte, en soulignant tout d'abord qu'au niveau
national, les ministres chargés de la santé et des personnes
âgées mobiliseront tout ou partie des préfets de
département et des directeurs d'agence régionale
d'hospitalisation (ARH) en fonction des différents seuils d'alerte,
tandis qu'au niveau départemental, l'autorité du préfet
sera renforcée avec le double appui du président du conseil
général, responsable de la politique gérontologique dans
le département, et du directeur de l'agence régionale de
l'hospitalisation, ce qui permettra enfin, au niveau communal ou intercommunal
d'engager concrètement les actions de ce plan.
Il a en outre particulièrement insisté sur la
nécessité de procéder, à l'avenir, au recensement
préalable et au suivi à domicile des personnes âgées
fragiles ou se trouvant en situation d'isolement. Rappelant, a contrario, que
les personnes âgées, n'ayant plus aucun lien familial et social,
et confinées à leur domicile n'avaient pu être
sauvées lors de la crise de la canicule, faute précisément
de contacts ou de secours appropriés, il a considéré que
la première priorité consistait à pouvoir intervenir
rapidement auprès d'elles, y compris à titre préventif et
ce grâce à la mobilisation des relais de proximité.
M. Hubert Falco
a également annoncé que des
« plans bleus », qui sont l'équivalent du
« plan blanc » pour l'hôpital, seront mis en place
dans toutes les institutions accueillant des personnes âgées et
que ces dernières signeront aussi obligatoirement une convention avec un
établissement de santé. Il a indiqué que ces
« plans bleus », qui devront, dans chaque cas,
prévoir un mode général d'organisation de
l'établissement pour toute situation de crise sanitaire, s'inscrivaient
dans le cadre plus vaste de la réforme de la politique en faveur des
personnes dépendantes.
Il a remarqué que, pour la première fois, un gouvernement
présentait ainsi un plan interministériel global concernant tous
les aspects de la vie des personnes âgées et disposant des moyens
financiers de ses ambitions dans la mesure où il était
doté de 4,1 milliards d'euros au total pour la période
de 2004 à 2007.
Au terme de son intervention, il a déclaré que ce plan n'avait
rien d'un effet d'annonce mais constituait une mesure structurelle qui sera
financée et pérennisée grâce à la
création d'une caisse spécifique affectée à la
perte d'autonomie des personnes âgées et des personnes
handicapées.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié M. Hubert
Falco pour la précision avec laquelle il avait relaté le
déroulement de la crise ainsi que les mesures déjà prises
pour que celle-ci ne se renouvelle pas.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a tout d'abord
salué l'implication personnelle de M. Hubert Falco lors de la crise de
la canicule et la priorité qu'il avait accordée, de longue date,
au travail de prévention. Elle a également rappelé que
42 % des décès étaient survenus à
l'hôpital et 19 % dans les maisons de retraite. Se fondant sur
l'exemple d'une maison de retraite visitée lors du déplacement de
la mission d'information à Orléans dans laquelle, pour un total
de 85 personnes âgées, les effectifs de personnels soignants
ne dépassaient pas 6 personnes le matin (5 auxiliaires de garde et
une infirmière), 4 personnes l'après-midi (3 auxiliaires de
garde et une infirmière) et 2 personnes la nuit (une
auxiliaire de garde et une infirmière), elle a souligné la
faiblesse des moyens humains dont disposent les maisons de retraite dans notre
pays. Elle a également fait référence à l'accueil
d'un nombre croissant de personnes âgées de nationalité
française dans des structures d'hébergement situées en
Belgique, en soulignant que ces dernières semblaient présenter un
coût de fonctionnement moindre qu'en France et, en même temps, un
taux d'encadrement supérieur en personnel. S'agissant des suites de la
crise, elle a demandé à M. Hubert Falco s'il disposait
déjà d'informations sur l'évolution de la mortalité
dans les semaines et les mois qui ont suivi la période de canicule.
M. Hubert Falco
a fait observer que le fort pourcentage de
décès survenus dans les maisons de retraite ou à
l'hôpital s'expliquait avant tout par la politique consistant à
maintenir le plus longtemps possible les personnes âgées à
leur domicile, qui implique que les personnes hébergées ou
hospitalisées sont le plus souvent très âgées et
affaiblies, donc particulièrement vulnérables.
Dépassant ce simple constat, il a reconnu que notre pays souffrait d'un
manque de 25 000 à 30 000 lits médicalisés,
alors qu'en même temps, 20 % des lits existant actuellement sont
inadaptés et que le taux d'encadrement en personnel des personnes
âgées était à l'évidence insuffisant. Sur ce
dernier point, il a toutefois observé que si la France, avec en moyenne
0,4 personne soignante pour une personne âgée, affichait un retard
par rapport à l'Allemagne (1,2), la Finlande (0,6) ou l'Espagne (0,5),
notre pays n'occupait pas, pour autant, la dernière place en Europe dans
la mesure où le Royaume-Uni et la Belgique présentaient des
ratios voisins du nôtre.
Il a constaté, alors qu'une polémique est engagée en
France sur l'opportunité de consacrer un jour férié au
financement de la dépendance, que l'Allemagne envisageait de supprimer
une deuxième journée fériée à cet effet.
M. Hubert Falco
a souligné l'ampleur de l'effort engagé
dans le cadre du plan dépendance -480 millions d'euros- pour rattraper
le retard français dans les domaines de la médicalisation et de
la rénovation des établissements d'hébergement pour
personnes âgées dépendantes (EPHAD), tout en notant que le
système actuel des conventions tripartites entre l'État, la
caisse nationale d'assurance maladie et ces EPHAD devrait être à
l'avenir revu et simplifié.
S'agissant de l'évolution de la mortalité après le mois
d'août, il a indiqué que les données statistiques devraient
être disponibles au cours du premier trimestre 2004 et qu'il ne sera pas
possible, avant cette date, de confirmer ou d'infirmer
l'éventualité d'un « effet retard » chez les
personnes fragilisées par la canicule.
M. Alain Gournac
a demandé des précisions sur les
contours du plan Vermeil, en précisant qu'à ses yeux, ce dernier
ne devait pas se limiter à un simple plan chaleur. Il a estimé
qu'au-delà des personnes âgées dépendantes, il
convenait de prendre en compte l'ensemble des personnes fragiles, les jeunes
enfants et les malades à domicile. Faisant référence aux
évaluations conduites dans son département, il a observé
que les établissements dans lesquels la surmortalité avait
été la plus forte n'étaient généralement pas
ceux les moins dotés en personnel, ce qui l'a amené à
faire état d'autres facteurs, comme la consommation de
médicaments, l'absence d'air conditionné et l'organisation des
vacances, rendue encore plus difficile avec le passage aux 35 heures. Il a
ensuite insisté, d'une façon plus générale, sur la
nécessité de tirer toutes les conséquences du
vieillissement de la population.
En réponse,
M. Hubert Falco
a précisé que le
« plan Vermeil » concernera les maisons de retraite et
viendra ainsi compléter le dispositif du « plan
Blanc », qui s'adressait déjà aux hôpitaux. Il a
également indiqué que le « plan Vermeil »
sera renforcé par un « plan Bleu »,
spécifique aux personnes âgées, qui permettra de mobiliser
le personnel soignant pour faire face aux situations d'urgence, et ce, en
fonction des particularités de la situation locale.
M. Alain Gournac
est convenu de la complémentarité de
ces différents dispositifs et s'est félicité de cette
démarche tendant à privilégier les capacités de
riposte sanitaire au plus près du terrain.
Mme Sylvie Desmarescaux
a souligné l'importance des structures de
coordination gérontologique pour faire face aux situations de crise du
type de la canicule. Faisant référence à la couverture,
par les médias nationaux, de l'encombrement des services d'urgences des
hôpitaux franciliens, consécutif à l'épidémie
de grippe et de bronchiolite de la semaine dernière, elle s'est
interrogée sur les disparités régionales en ce domaine.
M. Hubert Falco
a avancé comme élément de
réponse le poids particulier de la population de l'Ile-de-France dans
notre pays. S'agissant de la coordination gérontologique, il a
indiqué qu'il partageait l'analyse de
Mme Sylvie
Desmarescaux
, en indiquant que 22 millions d'euros de financement
seront affectés l'année prochaine à la poursuite du
développement des centres locaux d'information et de coordination
gérontologique (CLIC) .
M. Gilbert Chabroux
a déclaré qu'il avait suivi
l'exposé de M. Hubert Falco et le fait que le secrétaire
d'État inscrivait son action en privilégiant la prise en compte
des aspects humains. D'une façon générale, et tout en
prenant en compte les explications déjà présentées
par d'autres intervenants devant la mission d'information, il s'est
étonné de la prise de conscience tardive de la gravité de
la crise sanitaire de cet été. Après avoir indiqué
qu'il se refusait à entrer dans une démarche polémique, il
a réfuté l'argumentation développée par
M. Alain Gournac, tendant à imputer à la législation
sur les 35 heures une part de responsabilité dans le bilan de la
canicule. Après avoir déploré la mise en cause de
l'attitude des familles, il a considéré que cette forme de
culpabilisation n'était pas fondée et que l'ampleur de la crise
de l'été dernier s'expliquait surtout par les dysfonctionnements
intervenus au stade de l'alerte.
Affirmant également ne pas vouloir engager de polémique,
M. Claude Domeizel
s'est interrogé sur la possibilité
de gagner du temps en amont de la crise, pour autant que la fiabilité
des prévisions météorologiques le permette. Il a
également demandé au secrétaire d'État à
quel moment ses services ont été alertés par ceux des
ministères chargés de la santé et de l'intérieur ou
par ceux de Météo France.
M. Hubert Falco
a rappelé la brutalité avec laquelle
la crise était survenue et le caractère exceptionnel des
températures nocturnes relevées entre les 10 et
15 août. Il a déclaré qu'il partageait avec
M. Gilbert Chabroux la conviction qu'il convenait de ne pas culpabiliser
les familles et que si des cas d'indifférence avaient bien
été observés, ils ne constituaient pas un
phénomène général.
Il a également observé que la crise de la canicule avait permis
plus généralement de prendre conscience de la situation des
personnes âgées à la fois dépendantes et malades. Il
a déclaré, à ce titre, que la maladie d'Alzheimer, dont
souffraient déjà aujourd'hui 730 000 personnes,
constituait le « cancer des dix ans à venir »
et que notre pays manquait cruellement de structures d'accueil pour y faire
face.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié
M. Hubert Falco pour la précision de son exposé, ainsi que
pour l'humanisme avec lequel il s'était exprimé devant la mission
d'information. Il s'est félicité des dispositions d'ores et
déjà prises, comme le plan « Vermeil », le
plan « Blanc », pour améliorer, à l'avenir,
les capacités de riposte aux crises sanitaires. Il a souhaité que
le vieillissement général de la population soit pris en compte et
que les personnes âgées fragiles puissent être plus
précisément identifiées.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a souligné que les
personnes décédées dans les hôpitaux étaient
pour la plupart arrivées tardivement aux urgences et dans un état
physiologique qui ne permettait déjà plus de les soigner. Elle a
jugé qu'une meilleure coordination de l'action gérontologique
aurait permis de les recenser plus tôt, avant que la crise ne se
déclenche.
Mme Françoise Henneron
a relevé que ce type de
difficulté concernait surtout les milieux urbains et qu'à
l'inverse, dans les zones rurales, l'élan de solidarité
spontanée de la population avait permis de remédier efficacement
à l'isolement des personnes âgées.
M. Jacques Pelletier, président
, a estimé enfin qu'il
convenait, pour mieux anticiper les situations de crise, de renforcer les liens
entre les services météorologiques et le système de
santé de notre pays.
Audition de MM. Denis HÉMON et Éric
JOUGLA,
directeurs de recherche à l'Institut national de la
santé
et de la recherche médicale
(3 décembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a tout d'abord procédé à
l'audition
de
MM. Denis Hémon et
Éric Jougla, directeurs de recherche à l'Institut national
de la santé et de la recherche médicale (INSERM).
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé que
MM. Denis Hémon et Éric Jougla avaient remis, le
25 septembre dernier, un rapport d'étape au ministre de la
santé sur l'estimation de la surmortalité liée à la
canicule. Il a indiqué que la mission souhaitait connaître les
conclusions de ce rapport, non pas dans une perspective de « chasse
aux sorcières », mais afin de tirer les enseignements de la
canicule de l'été dernier.
Après avoir précisé que M. Eric Jougla
était directeur à l'INSERM du centre
d'épidémiologie sur les causes médicales de
décès et que lui-même y était directeur de
l'unité de recherches épidémiologiques et statistiques sur
l'environnement et la santé,
M. Denis Hémon
a
indiqué que tous deux avaient été chargés le
20 août dernier, par le ministre de la santé, d'une mission
d'expertise tendant à permettre une estimation de la surmortalité
du mois d'août 2003 ainsi que de ses principales
caractéristiques épidémiologiques. Il a ajouté que
cette mission allait poursuivre ses travaux dans les années à
venir afin de mieux appréhender les facteurs de la vague de chaleur et
de formuler des propositions sur les systèmes d'alerte et d'information.
Il a rappelé qu'une littérature scientifique
étrangère avait étudié les vagues de chaleur ayant
frappé l'Espagne, la Grèce, les Etats-Unis, la Belgique et
l'Allemagne. Il a noté que l'on constatait une hausse des
décès liés à la chaleur, par hyperthermie ou
déshydratation et, plus généralement, de la
mortalité des personnes fragiles lors des vagues de chaleur. Il a
observé que, tout comme ces dernières, la canicule du mois
d'août 2003 avait été marquée par une
augmentation brutale des températures suivie d'une croissance aussi
brutale du nombre de décès.
M. Éric Jougla
a indiqué que la méthode
utilisée pour l'élaboration du rapport avait consisté
à comparer les décès constatés en
août 2003 par rapport à la moyenne des décès
enregistrés pendant la même période, les années
précédentes. Après avoir rappelé que les
certificats de décès établis par les médecins
étaient transmis par des voies différentes à l'Institut
national de la statistique et des études économiques (INSEE) et
au centre d'épidémiologie sur les causes médicales de
décès de l'INSERM, il a précisé que le
système français d'information sur les décès
était complexe et recherchait avant tout la qualité des
données transmises. Il a ajouté que des instructions
données aux préfets pour accélérer provisoirement
la procédure de transmission des certificats de décès
avaient permis à la mission d'expertise de croiser les données de
l'INSEE, de l'INSERM et de l'InVS (Institut de veille sanitaire) et, ainsi,
d'établir dès le 17 septembre un bilan précis de la
surmortalité relevée en août 2003.
Il a noté que 56 000 décès avaient
été constatés durant cette période contre 40.000
lors d'un mois d'août « ordinaire » et que la
canicule avait donc provoqué une forte surmortalité de l'ordre
de 15 000 décès.
Il a rappelé qu'une élévation rapide des
températures jusqu'à 35°C avait été
enregistrée du 1er au 4 août 2003 et que ce niveau
élevé s'était maintenu jusqu'au 14 août. Il a
ajouté que la durée et l'intensité de cette vague de
chaleur étaient exceptionnelles, celles-ci n'ayant jamais
été constatées en France depuis la création du
service de la météorologie.
Soulignant que 300 décès en excès avaient
été constatés pour la journée du 4 août,
puis 1 200 et 2 200 décès pour les journées
des 8 et 12 août, il a noté que la surmortalité
constatée à partir de 45 ans était importante et
croissante avec l'âge, avec un excès de 20 % chez les
individus âgés de 45 à 54 ans, de 40 % chez les
personnes âgées de 55 à 74 ans et de plus de
120 % chez les sujets âgés de 95 ans. Il a
insisté sur l'importance de la surmortalité féminine et a
indiqué que les causes de ce phénomène devraient
être examinées au cours d'études ultérieures.
Après avoir noté que la vague de chaleur avait touché
l'ensemble de l'Europe et du territoire national, il a précisé
que la surmortalité liée à la chaleur avait
été particulièrement importante dans certaines
régions au climat plus continental, qui ont connu une hausse brutale des
températures et une vague de chaleur de longue durée, à
l'exemple des régions Ile-de-France et Centre, où la
surmortalité a été respectivement de 130 % et de
100 %.
Il a indiqué que les régions côtières, où les
masses d'eau importantes permettent de diminuer les effets de la chaleur,
avaient connu une moindre mortalité, y compris dans le sud du pays,
où les populations sont habituées aux températures
élevées. Il a ajouté que deux régions, la Haute
Normandie et la Picardie, avaient enregistré une vague de chaleur en
deux phases, du 4 au 6 août et du 8 au 12 août,
séparées par une régression partielle et temporaire des
températures, et que la surmortalité présentait deux pics
synchronisés avec l'évolution de ces températures. Il a
précisé que le degré d'urbanisation semblait influer sur
la surmortalité, comme en témoigne l'exemple de
l'agglomération parisienne et de la région Ile-de-France.
M. Éric Jougla
a ensuite rappelé que 42 %
des décès constatés étaient survenus dans les
hôpitaux contre 35 % à domicile, 19 % dans les maisons
de retraite et 3 % en clinique privée, ajoutant que le nombre
de décès en maison de retraite et à domicile avait presque
doublé par rapport aux étés précédents et
que cette première étude descriptive serait
complétée par une analyse plus fine de l'origine des personnes
décédées.
Concernant les causes médicales des décès, il a
indiqué que la mission d'expertise, en raison des délais qui lui
avaient été impartis, s'était concentrée sur la
région Centre, particulièrement touchée par la
surmortalité estivale. Il a constaté que la canicule avait
fortement modifié la répartition habituelle des causes de
décès, que les augmentations les plus importantes concernaient
les décès directement attribuables à la chaleur (coup de
chaleur, déshydratation, hyperthermie), les décès dus aux
cancers et résultant de mort violente n'ayant pas augmenté
pendant la période concernée.
Il a indiqué que la surmortalité de l'été 2003
avait été comparée aux vagues de chaleur ayant
frappé la France en 1976 et 1983 à partir des données
fournies par Météo France. Il a ainsi noté que la vague de
chaleur de 1983 avait provoqué un excès de mortalité dans
le sud du pays mais que celle de 1976 présentait des similitudes avec la
canicule de l'été dernier dans la dispersion du
phénomène sur le territoire national et la répartition des
décès par lieu, par âge et par sexe. Il a rappelé en
outre que la vague de chaleur de 1976 avait été à
l'origine de 6 000 décès supplémentaires.
M. Éric Jougla
a fait observer que la remise du rapport
au ministre de la santé le 25 septembre dernier avait constitué
la première étape du travail de la mission d'expertise avant que
celle-ci procède à l'analyse de l'ensemble des certificats de
décès constatés au mois d'août 2003 et confirme
l'importance de la surmortalité féminine.
Il a précisé que l'examen attentif des décès qui
seront constatés en France jusqu'à la fin de l'année est
susceptible de révéler une baisse de la mortalité
témoignant d'un éventuel « effet de moisson »
tendant à accélérer la disparition de personnes fragiles,
ou au contraire, une augmentation des décès en raison d'un effet
retard de la canicule. Il a indiqué qu'une analyse croisée de la
mortalité et des vagues de chaleur et de froid en France sur les
trente-cinq dernières années serait également
établie.
Il a souligné l'intérêt d'un dispositif de certification
électronique des décès, d'ailleurs amorcé par le
ministre de la santé pour améliorer l'alerte et la
réactivité du système de santé en cas de crise,
ajoutant que la rigueur des procédures actuelles, garante de la
qualité de la certification, était en revanche source de lenteur
et n'assurait pas une confidentialité parfaite des données.
M. Denis Hémon
a estimé nécessaire de
tirer les leçons de la canicule de l'été dernier pour
améliorer les dispositifs d'alerte et préserver
l'espérance de vie. Il a précisé que le constat d'une
évolution simultanée des températures et de la
mortalité devait permettre d'établir une politique de
prévention simple lors des épisodes caniculaires. Il a
rappelé à ce titre que la ville de Chicago avait
été frappée par deux épisodes de vagues de chaleur
en 1995 et que les conséquences sanitaires du second avaient
été limitées par la mise en oeuvre rapide de mesures de
précaution tendant, en particulier, à abriter les personnes
fragiles dans des endroits rafraîchis, à les baigner et à
les faire boire fréquemment.
Il a indiqué que la fiabilité à soixante-douze heures des
prévisions climatiques de Météo France devait être
utilisée pour mettre en place des plans de prévention efficaces
contre les conséquences sanitaires des variations climatiques. Insistant
sur la forte probabilité et sur la fréquence de vagues de chaleur
semblables à celle du mois d'août 2003 dans les vingt
prochaines années, il a souligné la nécessité
d'améliorer la mise en commun des connaissances et la coordination entre
scientifiques et autorités publiques en matière de recueil des
informations relatives aux décès, de surveillance des
températures et de veille sanitaire.
M. Jacques Pelletier, président
, a constaté
l'absence d'étude scientifique française sur la vague de chaleur
de 1976 et a demandé des précisions sur les dispositifs mis en
place à Chicago en 1995 entre les deux vagues de chaleur.
M. Éric Jougla
a précisé que les travaux
du Professeur San-Marco avaient porté sur l'analyse de la canicule de
1983 à Marseille et que le Professeur Jean-Pierre Besancenot de
l'Université de Dijon avait élaboré en 2002 une
synthèse remarquable des vagues de chaleur.
Concernant la canicule de 1995 à Chicago,
M. Denis Hémon
a indiqué qu'un recensement des
personnes âgées et la diffusion par téléphone de
conseils de prévention aux services d'aide à domicile, aux
responsables des maisons de retraite et des établissements de soins
avaient permis d'anticiper la deuxième vague de chaleur, ajoutant que
ces mesures avaient été mises en place à la suite de
critiques formulées sur la réponse apportée par les
autorités à la première vague de chaleur. Il a
ajouté que la fréquence de ces phénomènes
climatiques violents aux Etats-Unis avait contribué à la prise de
conscience de la population.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que
les premières auditions de la mission semblaient montrer un manque de
coordination entre les différents acteurs. Il a précisé
qu'en dépit des communiqués de presse des 1
er
et
8 août de Météo France, permettant de déceler
la gravité de la canicule, les services compétents avaient
réagi tardivement. Il s'est interrogé sur la forme et le choix
des destinataires de tels communiqués afin d'en permettre la plus grande
diffusion.
M. Denis Hémon
a noté que les
spécialistes de Météo France semblaient être
conscients de la nécessité du renforcement de leur collaboration
avec les services du ministère de la santé et du ministère
de l'intérieur, ainsi qu'avec l'Institut de veille sanitaire (InVS).
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a estimé que le niveau
élevé des températures nocturnes, empêchant la
récupération des organismes, et les habituels congés du
mois d'août avaient pu contribuer à l'aggravation des
conséquences exceptionnelles de la crise. Insistant sur l'importance de
la prévention, il s'est demandé si une version définitive
du rapport serait bientôt disponible et a souhaité en
connaître les recommandations.
Après avoir souligné que l'organisation actuelle de la
transmission des certificats de décès pouvait nuire à
l'efficacité de l'alerte, il s'est enquis de l'existence de
données sur la mortalité de l'automne qui confirmeraient
éventuellement la théorie de l'« effet de
moisson » et du rôle de la pollution dans la
surmortalité estivale.
M. Denis Hémon
a indiqué que les informations du
rapport d'étape du 25 septembre pouvaient être
considérées comme fiables et qu'elles seraient peu
modifiées par les travaux à venir. Après avoir
rappelé que 1 300 à 1 400 décès
étaient constatés chaque jour, il a confirmé le suivi de
la mortalité par la mission d'expertise jusqu'à la fin de
l'année 2003 afin de détecter d'éventuelles autres
conséquences de la canicule et a indiqué que ses conclusions
seraient remises au ministre de la santé au premier semestre 2004.
Il a précisé que le souci de rigueur dans l'analyse des
certificats de décès permettait de surveiller les multiples
causes de mortalité en France mais qu'il convenait d'améliorer
les modalités de contrôle des décès pour
réagir rapidement à une crise sanitaire.
Il a noté que la mission ferait également des recommandations
plus précises en vue de renforcer la collaboration entre l'Institut de
veille sanitaire, l'INSERM et Météo France, d'améliorer la
veille à partir de l'activité des urgences médicales ainsi
que la surveillance des variations climatiques. Il a ajouté que des
études comparatives avec les vagues de chaleur passées allaient
être menées.
M. Éric Jougla
a également insisté sur la
fiabilité des certificats de décès comme indicateurs des
causes de mortalité. Il a indiqué que la France était en
retard pour la prévention des « morts
évitables », liées par exemple à l'alcool ou aux
accidents de la route, mais qu'en revanche, l'espérance de vie des
personnes âgées de plus de 65 ans était l'une des plus
élevées du monde.
Tout en rappelant que la certification électronique des
décès imposerait d'importants efforts d'équipement aux
médecins, il a souligné l'intérêt de la mise en
place progressive d'un tel dispositif, en 2005 pour le système
hospitalier et en 2009 pour l'ensemble du corps médical, afin
d'améliorer l'efficacité de l'alerte par une
accélération des échanges d'informations entre praticiens
et services spécialisés. Il a ajouté qu'il aurait
souhaité que la future loi sur la santé publique fasse
explicitement mention à cette réforme.
Constatant que certains décès, particulièrement de
personnes âgées, avaient de multiples causes,
M. Éric Jougla
a indiqué que l'INSERM
intervenait auprès des médecins pour qu'ils mentionnent
l'ensemble de ces causes sur les certificats de décès.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a constaté la
complexité et la lenteur du dispositif actuel d'information sur les
décès et s'est demandé s'il ne pouvait pas être
complété par un système statistique simple permettant de
détecter rapidement des anomalies en termes de mortalité. Il a
constaté que le quotidien « La Nouvelle
République » avait, dès le 7 août,
annoncé huit décès liés à la canicule,
insistant sur l'intérêt d'une remontée instantanée
des données locales pour favoriser une prise de conscience et une alerte
rapides. Il a également demandé des précisions sur la
répartition de la surmortalité entre monde urbain et milieu rural.
M. Denis Hémon
a indiqué qu'un délai
minimum était nécessaire pour s'assurer de la pertinence des
données transmises et que l'Institut de veille sanitaire recevait
désormais des renseignements quotidiens sur l'activité des
urgences hospitalières, des services d'aide médicale d'urgence
(Samu) et des sapeurs-pompiers.
M. Jacques Pelletier, président
, a souligné la
nécessité d'une transmission des données des services de
pompes funèbres aux organismes en charge de la veille et de l'alerte.
M. Éric Jougla
a constaté l'absence de
différence notable entre villes et zones rurales quant à la
répartition des décès en excès liés à
la canicule, tout en insistant sur la situation particulière de la
région Ile-de-France, qui a enregistré une surmortalité
exceptionnelle.
M. Denis Hémon
a indiqué que le
rafraîchissement des personnes fragiles dans des locaux climatisés
pendant quelques heures pouvait limiter considérablement l'impact
sanitaire d'une vague de chaleur. Il a ajouté que l'étude des
vagues de chaleur survenues à Athènes avait permis de souligner
le rôle de facteur aggravant de la pollution et que l'impact
spécifique de cette dernière lors de l'été 2003
serait examiné.
Mme Gisèle Gautier
s'est interrogée sur l'importance des
décès à domicile en août dernier et sur la
réponse apportée par les médecins de ville. Elle a
constaté la brutalité et la rapidité de la
surmortalité liée à la canicule. Après avoir
souligné l'urgence de la mise en place de plans de prévention
contre les conséquences sanitaires des vagues de chaleur et des
phénomènes climatiques violents, elle a insisté sur la
nécessité d'une information en ce sens des personnels en charge
des personnes fragiles.
M. Éric Jougla
a indiqué que la forte
surmortalité constatée à domicile concernait en partie
des personnes décédées avant toute intervention
médicale, ce qui pose le problème de la détection et du
repérage préventif des personnes à risques.
M. Denis Hémon
a souligné la nécessité
d'avoir à la fois des systèmes d'alerte rapide à partir
des données fournies par Météo France et des dispositifs
d'alerte permanente, précisant les bonnes pratiques aux personnels en
charge des individus fragiles.
M. Jacques Pelletier, président
, a constaté à
cet égard que les circulaires de juillet 2002 et de mai 2003
diffusées par M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux
personnes âgées, rappelant quelques conseils
élémentaires de prudence, n'avaient pas été prises
au sérieux par les médias et certains gériatres pourtant
éminents. Il a insisté sur la nécessité de recenser
les personnes fragiles au niveau local pour améliorer la
prévention des risques.
Audition de M. Jean JOUZEL,
directeur de recherches
au laboratoire de sciences du climat
et de l'environnement à
l'Institut Pierre-Simon Laplace
(3 décembre
2003)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
de
M. Jean
Jouzel, directeur de recherches au laboratoire de sciences du climat et de
l'environnement à l'institut Pierre-Simon Laplace (CEA - CNRS)
.
M. Jean Jouzel
a d'abord précisé qu'il intervenait
également au titre de membre du bureau du Groupe intergouvernemental
d'experts sur l'évolution des climats (GIEC), organisme émanant
de l'ONU et qui a publié trois rapports depuis sa création, en
1988.
Il a ensuite fait état des certitudes scientifiques ayant trait au
réchauffement climatique, considérant désormais comme
avéré le fait que l'homme contribuait à modifier la
composition de l'atmosphère (notamment en dioxyde de carbone, en oxyde
d'azote et en méthane). Il a, par ailleurs, souligné
l'incontestable élévation de la température moyenne depuis
le début du siècle dernier, précisant que ce
réchauffement était de l'ordre de 0,5 degré sur
l'ensemble de la planète et d'un degré sur le territoire
national, qu'il était moins important sur les océans que sur les
continents, et plus marqué la nuit que le jour.
Il a indiqué que la communauté scientifique avait
évolué concernant l'influence de l'action de l'homme sur
l'augmentation de la teneur de l'atmosphère en gaz à effet de
serre et sur l'élévation de la température moyenne,
rappelant que les trois rapports du GIEC avaient eu des approches
différentes à cet égard. Si le premier rapport, de 1990,
ne s'est pas prononcé sur ce point, en rappelant la variabilité
naturelle du climat, le deuxième, publié en 1995, a reconnu que
l'activité humaine avait une influence perceptible sur le climat, tandis
que le troisième, datant de 2000, a jugé ce lien très
probable.
Il a indiqué que la convention climat de l'ONU, signée en 1992,
visait à stabiliser l'effet de serre à un niveau permettant
d'éviter un réchauffement trop rapide, tout en assurant
l'alimentation des populations et en prenant en compte le développement
durable. Il a précisé que le volume de gaz carbonique,
estimé aujourd'hui à 7 milliards de tonnes équivalent
carbone, s'élèverait à 20 milliards d'euros à la
fin du siècle si rien n'était fait d'ici là, notant que ce
volume se répartissait pour moitié entre l'atmosphère
d'une part, les océans et la végétation d'autre part.
Il a souligné les incertitudes concernant l'intensité du
réchauffement à venir, celui-ci étant susceptible de
varier de 1,5 à 6 degrés en 2100, soit une augmentation
jusqu'à cinq fois supérieure à celle enregistrée
depuis le début du XX
e
siècle, ce qu'il a
expliqué tant par le manque de précision des modèles
scientifiques que par les difficultés de prévoir le volume des
rejets futurs de gaz à effet de serre.
Il a estimé qu'une augmentation intermédiaire, de 3 degrés
en 2100, serait significative (étant rappelé que le passage de la
période glaciaire à la période interglaciaire, il y a
20 000 ans, a été suscité par une augmentation
de la température de 6 degrés), affecterait
inégalement les continents et les rivages des océans et serait
lourde de conséquences (des étés tel que celui de 2003
devenant la norme au cours de la seconde moitié du XXI
e
siècle).
Il a noté que la stabilisation des rejets de gaz à effet de serre
s'accompagnerait cependant, à la fin du siècle, d'une
légère augmentation de la température et d'une
élévation du niveau des mers de l'ordre de 50 centimètres,
en raison de la dilatation des océans plutôt que de la fonte des
glaciers alpins.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est interrogé successivement
sur la réalité du lien entre réchauffement du climat et
effet de serre, sur les conséquences climatiques de l'évolution
prévisible des courants marins comme le Gulf Stream, sur le nombre de
pics de chaleur du type de cet été susceptibles de se produire au
cours du XXI
e
siècle et sur la façon dont les
médias relaient l'information sur le changement climatique.
M. Jean Jouzel
a apporté sur ces faits, les
éléments de réponse suivants :
- le réchauffement climatique apparaît
inéluctable ;
- les scientifiques considèrent qu'une modification du Gulf Stream
au cours de ce siècle est improbable : si ce courant devait
être perturbé au siècle suivant, cela ralentirait sans
doute le réchauffement du continent européen mais ne modifierait
pas la tendance au réchauffement de la planète ;
- des pics de chaleur du type de ceux de l'été 2003 sont
susceptibles de se reproduire une trentaine de fois au cours de ce
siècle ;
- les scientifiques et les responsables politiques, qui entretiennent
désormais des relations plus étroites, doivent veiller à
ne pas communiquer aux médias des informations excessivement pessimistes
et à ne pas se prononcer avec trop d'assurance sur des sujets qui sont
encore controversés.
Répondant à
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, qui
l'interrogeait sur les implications du protocole de Kyoto,
M. Jean
Jouzel
a rappelé que ce protocole comportait des engagements de
réduction des gaz à effet de serre sur la période
2008-2012 pour les seuls pays développés. Il a estimé
qu'il ne constituait qu'une étape et qu'il devrait être
ratifié par un nombre suffisant d'Etats pour entrer en vigueur et
entraîner une véritable prise de conscience. Déplorant que
les Etats-Unis aient refusé de le ratifier, il a observé que son
entrée en vigueur était subordonnée à sa
ratification par la Russie, qu'il a toutefois estimée improbable.
Constatant la constitution d'un front commun entre les Etats-Unis et les pays
en développement pour la gestion de l'« après
Kyoto », il a exprimé la crainte que la réunion
prochaine à Milan d'une conférence chargée d'examiner
l'application de la convention climat de l'ONU soit essentiellement technique
et méthodologique et n'apporte pas d'avancées politiques.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est interrogé sur
l'augmentation de l'effet de serre qui résulterait d'une plus grande
utilisation de la climatisation en période de canicule et sur les effets
de la reforestation.
M. Jean Jouzel
a indiqué que les climatiseurs provoquaient
effectivement une augmentation des rejets de gaz à effet de serre,
ajoutant, sur un plan général, qu'il conviendrait de
privilégier des énergies ne provoquant pas de tels rejets,
d'économiser l'énergie utilisée et de
« piéger » le gaz carbonique avant sa diffusion dans
l'écosystème.
Il a, par ailleurs, noté que les programmes de reforestation ne
faisaient que décaler le problème pour une période de 30
à 50 ans, et qu'il fallait s'interroger sur l'utilisation des
forêts devenues adultes.
En réponse à
M. Jacques Pelletier, président
, qui
l'interrogeait sur la pertinence de l'argument selon lequel le
réchauffement climatique proviendrait essentiellement d'une
variabilité naturelle du climat,
M. Jean Jouzel
a reconnu qu'une
telle variabilité existait mais s'ajoutait à une
variabilité d'origine humaine beaucoup plus importante. Relativisant la
réalité des mécanismes de compensation, il a
également rejeté l'argument, défendu par certains
scientifiques, selon lequel le protocole de Kyoto ne servirait à rien,
en soulignant que si ce protocole n'aurait effectivement pas d'effets sur
l'évolution climatique des 30 prochaines années, sa mise en
oeuvre aurait en revanche des conséquences bénéfiques pour
la période suivante.
Après avoir fait observer que la moitié environ de la
dégradation atmosphérique dépendrait de l'action humaine,
Mme Gisèle Gautier
a évoqué les effets de la
croissance démographique et de l'augmentation de l'espérance de
vie, celles-ci induisant des besoins en énergie supplémentaires,
notamment dans les pays en développement qui, telle la Chine, vont
adopter des modes de vie comparables à ceux des pays occidentaux. Elle a
également regretté le manque d'information et de sensibilisation
du public sur les avantages des énergies ne produisant pas de gaz
carbonique, et notamment l'énergie d'origine nucléaire.
M. Jean Jouzel
a reconnu que si l'énergie nucléaire ne
produisait pas de gaz à effet de serre, elle suscitait en revanche des
oppositions dans l'opinion publique. Observant qu'une partie croissante des
élites chinoises prenait désormais conscience des
problèmes liés au réchauffement de la planète, il a
souligné l'importance de la problématique nord/sud dans la
gestion des changements climatiques, tout en considérant que les pays en
développement, dont l'économie est fragile, devraient
bénéficier de l'aide des pays développés.
Répondant enfin à
M. Hilaire Flandre
, qui demandait des
précisions sur l'élévation du niveau des mers,
M. Jean
Jouzel
a souligné que cette élévation avait
été de l'ordre de 15 centimètres au cours du
siècle passé et qu'elle devrait être de
50 centimètres à la fin du XXI
e
siècle et
concerner 200 millions d'habitants de la planète. Observant que ce
phénomène était irréversible une fois intervenu, du
fait de la dilation des océans, il a souligné les incertitudes
concernant les conséquences de la fonte des grands glaciers de
l'Antarctique.
Audition de M. Lucien ABENHAÏM,
ancien directeur
général de la santé
(10 décembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission a d'abord procédé à
l'audition
de
M. Lucien Abenhaïm, ancien directeur général de la
santé
.
M. Jacques Pelletier, président
, a indiqué en
préambule que cette audition était importante pour la mission
d'information, dont l'objectif n'était pas de conduire « une
chasse aux sorcières », mais de comprendre les
réactions de la société et des institutions face à
la canicule pour améliorer les dispositifs existants, au cas où
une telle situation se reproduirait. Il a ajouté que les auditions et
les déplacements déjà organisés avaient mis
à jour les difficultés des acteurs concernés à
prévoir les effets de la vague de chaleur de l'été dernier.
Après avoir rappelé qu'il avait démissionné de son
poste de directeur général de la santé le
18 août dernier,
M. Lucien Abenhaïm
a
précisé qu'il avait tenté d'analyser la gestion des
conséquences sanitaires de la canicule dans un ouvrage récent
afin d'expliquer son rôle pendant la crise et de contribuer au
débat actuel sur la politique de santé publique. Notant que la
littérature scientifique avait étudié de manière
approfondie les vagues de chaleur d'Athènes et de Chicago, il a
souligné que la canicule d'août 2003 constituait un
phénomène climatique exceptionnel et sans
précédent, tant par sa durée que par son intensité.
Il a déploré l'utilisation abusive du terme de canicule dans la
presse dès le mois de juin pour évoquer l'élévation
des températures et a qualifié la vague de chaleur de
l'été dernier de canicule épidémique. Après
avoir rappelé que le nombre de morts liés à la vague de
chaleur de 1976 n'avait été évoqué qu'avec les
travaux de l'institut national de la santé et de la recherche
médicale (INSERM) publiés le 25 septembre dernier, il a
constaté que tous les acteurs concernés avaient été
surpris par l'ampleur de la canicule du mois d'août 2003.
Notant qu'aucun élément d'alerte n'avait été
adressé à la direction générale de la santé
(DGS) lors de la première semaine d'août, et que
l'ingénieur météorologiste qui avait affirmé le
contraire devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale
avait rectifié ultérieurement ses propos, il a indiqué que
le cabinet du ministre de la santé, Météo France et la
direction générale de la santé avaient tardé
à prendre la mesure et à comprendre un phénomène
caniculaire inédit du 6 au 8 août.
Il a ajouté que les contacts pris par la DGS le 8 août avec
les responsables du service d'aide médicale d'urgence (Samu) de Paris,
de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) n'avaient pas permis de détecter un
nombre de décès en excès. Il a indiqué que les
divers acteurs avaient d'abord cru faire face à l'augmentation d'une
mortalité traditionnelle des personnes âgées en
période estivale et que la prise en compte de l'encombrement des
urgences médicales avait masqué la gravité de la
catastrophe. Il a fait observer que l'Institut de veille sanitaire (InVS)
n'avait donné aucune information permettant de déceler une
situation anormale du 8 au 13 août, ajoutant que la prise de
conscience de la catastrophe avait eu lieu le 13 août au vu des
statistiques partielles des Pompes funèbres générales
(PFG) sur les décès des premiers jours d'août, qui
dépassaient largement les estimations. Il a rappelé qu'il avait
annoncé à la télévision le jour même un
nombre de 3 000 décès en excès liés
à la canicule.
Il a ensuite insisté sur le caractère exceptionnel de la
corrélation entre l'évolution de la température et celle
de la surmortalité, constatée en particulier en Ile-de-France et
en Picardie. Après avoir souligné que la stabilité de la
température corporelle autour de 37°C était vitale et qu'une
faible variation de cette température était suffisante pour
mettre la vie en danger,
M. Lucien Abenhaïm
a
précisé que la durée de la vague de chaleur, et
particulièrement la persistance de températures nocturnes de
l'ordre de 25°C pendant quelques jours, avaient empêché la
récupération des organismes.
Il a noté que la durée et l'intensité de la canicule en
France, exceptionnelles au regard de celles constatées dans le reste de
l'Europe, avaient constitué le principal facteur de décès.
Il a souligné l'efficacité de la climatisation des locaux pour
limiter les conséquences sanitaires de la chaleur, ajoutant que le
risque de mortalité était cinquante fois moindre dans les maisons
de retraite ou les hôpitaux équipés que dans les
établissements dépourvus de tout système de climatisation.
Rappelant que la mission d'information s'était rendue au siège de
Météo France à Toulouse, et que les communiqués de
presse de cette institution en date des 1
er
et 7 août
semblaient avoir été peu pris en compte par les services
compétents,
M. Jacques Pelletier, président
, s'est
interrogé sur la forme et le choix des destinataires de ces documents
afin d'en permettre la diffusion à l'ensemble des acteurs
concernés et de faciliter l'alerte.
Tout en rejoignant les propos du président,
M. Lucien Abenhaïm
a constaté l'insuffisance, en
termes d'alerte, du bulletin de Météo France du
7 août et du communiqué de la DGS diffusé le lendemain
à la presse.
Rappelant cependant l'existence d'une réflexion préalable sur les
risques sanitaires liés aux phénomènes climatiques, avec
les travaux de la commission santé biométéorologie du
conseil supérieur de la météorologie qui avait
organisé un colloque en mars 2002 au cours duquel
M. Jean-Pierre Besancenot avait présenté les
caractéristiques de la surmortalité liée aux
précédentes vagues de chaleur, il a souligné qu'aucun
expert n'avait contacté la DGS lors de la première semaine
d'août pour signaler l'imminence d'une canicule exceptionnelle. Il a
également observé que la consultation d'une centaine de
scientifiques en 2002 et 2003 afin de dégager les cent objectifs
prioritaires de la politique de santé publique, destinés à
devenir la base de plans de prévention et d'intervention, n'avait pas
retenu la prévention des risques liés à une canicule.
Il a rappelé que, selon l'étude de l'INSERM du 25 septembre
dernier, 400 décès en excès liés à la
canicule avaient été constatés pour la journée du
4 août et que 80 % des décès
supplémentaires constatés à Paris avaient eu lieu à
partir du 11 août. Comparant la canicule de l'été 2003
à une tornade,
M. Lucien Abenhaïm
a insisté sur
l'impossibilité de prévoir une telle catastrophe. Ayant
rappelé que les études comparatives sur les vagues de chaleur
devaient prendre en considération les températures diurnes et
nocturnes ainsi que la différence de celles-ci avec la moyenne
constatée les années précédentes sur un lieu
donné, il a indiqué que l'Italie du nord avait connu la
même hausse brutale des températures que la région
lyonnaise et une augmentation similaire de la mortalité de 108 %.
M. Lucien Abenhaïm
a précisé que le communiqué
de presse de la DGS du 8 août rappelant les bonnes pratiques en
faveur des personnes âgées, avait été diffusé
aux directions départementales de l'action sanitaire et sociale (DDASS),
dont la mobilisation rapide avait permis de limiter les conséquences
sanitaires de la canicule. Il a souligné que ces mesures d'alerte utiles
n'étaient pas suffisantes pour lutter avec efficacité contre la
surmortalité liée à cette canicule, ajoutant que les
températures élevées avaient contribué à une
augmentation importante des décès à l'hôpital et
dans les maisons de retraite et que la climatisation des locaux devait
être développée.
M. Jacques Pelletier, président
, s'est interrogé sur
la possibilité technique d'installer la climatisation dans l'ensemble
des locaux des hôpitaux et des maisons de retraite dans les cinq
années à venir, précisant que l'existence d'une
pièce climatisée spécifique dans chaque
établissement pourrait permettre de rafraîchir les personnes
fragiles.
Tout en rejoignant ces propos,
M. Lucien Abenhaïm
a fait
observer que les températures élevées et la durée
de la canicule de l'été dernier avaient provoqué une
surmortalité de 15 000 décès, mais que
six millions de personnes pouvaient être considérées
comme dépendantes. Il a précisé qu'un million d'individus,
âgés de plus de 80 ans ou souffrant de cancers, de
maladies cardiaques et respiratoires, pouvaient être qualifiés de
très fragiles et qu'il convenait de les identifier rapidement pour les
protéger en cas de crise, ajoutant que le développement de la
climatisation pouvait être favorisé par son coût peu
élevé et par d'éventuelles incitations fiscales.
Mme Françoise Henneron
a noté que les nouveaux
nés et les enfants en bas âge étaient également
vulnérables lors d'une vague de chaleur et que la climatisation
n'était pas autorisée dans certains services hospitaliers. Elle a
constaté que dans son département, la vague de froid actuelle
avait incité les services préfectoraux à multiplier les
alertes, risquant de provoquer un sentiment d'inquiétude dans la
population.
M. Lucien Abenhaïm
a précisé que le rapport
d'étape de l'INSERM n'avait pas constaté une surmortalité
liée à la canicule parmi les nourrissons, ajoutant que leurs
mères avaient parfaitement suivi les conseils élémentaires
de prudence. Après avoir noté que la crainte de la
légionellose avait pu entraver le développement de la
climatisation, il a précisé que le risque de diffusion des
légionelles était sérieusement pris en compte, mais qu'il
était limité et concernait surtout les systèmes de
climatisation collectifs des tours aéroréfrigérantes de
conception ancienne.
Constatant que l'alerte sanitaire permanente tendait à devenir la
règle, il a souligné que les acteurs de l'urgence n'avaient pu
saisir immédiatement la gravité de la catastrophe lors de la
première semaine d'août, rappelant que le nombre d'interventions
du Samu de Seine-Saint-Denis du 8 août était
équivalent à ceux des 8 et 24 juin ou du 15 juillet. A
titre d'anecdote, il a précisé que le Samu de Paris avait
indiqué à la DGS qu'il maîtrisait la situation le
8 août au matin et que le docteur Carli, son principal responsable,
n'avait pris conscience de l'importance de l'épidémie que le soir
même. Il a ajouté que la France manquait des moyens
nécessaires pour élaborer une politique de prévention des
risques efficace.
Après avoir insisté sur la nécessité de tirer pour
l'avenir les leçons de la canicule estivale,
Mme Gisèle
Gautier
a constaté que les premières auditions de la mission
d'information semblaient révéler un
« cloisonnement » excessif des administrations sanitaires.
Rejoignant les propos de l'intervenant sur la protection offerte par la
climatisation, elle a noté que l'installation d'équipements
idoines pouvait se heurter, notamment en région parisienne, aux
règles d'urbanisme en vigueur et a souligné l'urgence de la mise
en place d'un système de veille et d'alerte sanitaires efficace.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que la
coordination des services compétents pour faire face à la
canicule semblait avoir été tardive.
Soulignant le bilan positif de l'action des acteurs concernés au cours
de l'été,
M. Lucien Abenhaïm
a indiqué
que les relations entre la DGS et l'Institut de veille sanitaire avaient
été permanentes, matérialisées par des
réunions fréquentes et des messages électroniques ou
avaient suscité le lancement d'études. Il a noté que la
collaboration avec la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des
soins (DHOS) avait pâti d'une erreur commune d'appréciation sur la
gravité de la situation, et qu'il y avait eu des carences dans la
coordination interministérielle au début de la crise. Il a
insisté, à cet égard, sur les difficultés
rencontrées par la DGS pour obtenir les statistiques relatives aux
interventions quotidiennes de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris.
Il a rappelé que les services d'urgences hospitalières avaient
été les premiers à détecter l'ampleur de la
surmortalité, mais que ces difficultés, signalées par un
appel téléphonique du docteur Patrick Pelloux à la DHOS en
date du 7 août avaient d'abord été
considérées comme des problèmes structurels d'organisation
des soins en période de fermeture de lits. Il a rappelé que la
DGS n'avait pas été informée de ces contacts ni de la mise
en place d'un plan « chaleurs extrêmes » par l'AP-HP.
M. Alain Gournac
a déploré la multiplication des messages
d'alerte depuis la canicule et a remarqué qu'il ne semblait pas y avoir
de liens dans son département entre l'importance des personnels
présents dans les établissements spécialisés et le
nombre de morts constatés. Indiquant que des conseils
élémentaires de prévention des risques liés
à la chaleur avaient été diffusés dans sa commune,
à sa seule initiative, il a déploré l'absence de
communication par les autorités sanitaires sur les bonnes pratiques et
la limitation de certaines prescriptions médicales incompatibles avec la
chaleur.
Notant que les propos tenus par l'ancien directeur général de la
santé semblaient révéler une grande fragilité de la
société française,
M. Serge Lepeltier
,
rapporteur
, s'est interrogé sur le bien-fondé des
accusations portées contre les médecins libéraux et sur la
coordination entre la médecine de ville et la médecine
hospitalière pour répondre à la crise. Rappelant que son
quotidien régional avait, dès le 7 août,
annoncé huit décès liés à la canicule, il a
estimé que l'erreur d'appréciation des administrations
sanitaires, évoquée par le Professeur Abenhaïm,
s'était accompagnée d'erreurs de communication auprès de
la population. Il a souligné qu'une analyse attentive des données
constatées au plan local aurait permis de comprendre plus rapidement
l'ampleur de la catastrophe et que ces difficultés trahissaient
probablement certains travers de la culture administrative française.
M. Lucien Abenhaïm
a constaté en effet que la prise de
médicaments psychotropes et hypertenseurs constituait un facteur de
risque important en cas de chaleur. Il a noté que les médecins
libéraux s'étaient mobilisés pour faire face aux
conséquences sanitaires de la canicule, mais que de nombreuses personnes
étaient mortes sans appeler au secours. Il a déploré
l'absence de données fiables venant confirmer éventuellement le
rôle de la consommation de médicaments dans la surmortalité
ainsi que la mise en cause trop rapide des médecins libéraux.
Rappelant, à titre d'exemple, que l'examen des causes de suicide et
l'élaboration de réponses pratiques adaptées avait permis
de diminuer sensiblement le nombre de suicides au Royaume-Uni, il a
insisté sur la nécessité de connaître avec
précision les circonstances du décès des victimes de la
canicule afin d'élaborer une politique de prévention pragmatique
et efficace, estimant sur un plan général que la
société française était vulnérable face aux
nouveaux risques sanitaires. Évoquant les multiples informations
recueillies par le docteur Yves Coquin pour la DGS auprès des acteurs
concernés lors de la vague de chaleur, il a constaté que la
veille sanitaire n'avait pas été satisfaisante.
Après avoir rappelé que l'Institut de veille sanitaire avait
été créé en 1998 alors que le Center for Disease
Control and Prevention (CDC) d'Atlanta était en place depuis 1951 et que
l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale
(AFSSE) était dotée de 25 personnes contre plus de
2 000 pour son équivalent américain, il a souligné
l'urgence d'un renforcement de la politique de sécurité sanitaire
et des moyens qui y sont consacrés.
En réponse à
M. Jacques Pelletier, président
,
qui l'interrogeait sur les propos tenus par M. Patrick Pelloux devant la
commission d'enquête de l'Assemblée nationale,
M. Lucien
Abenhaïm
a indiqué que ce dernier n'avait jamais appelé
la DGS pendant la crise, que ses appels quotidiens à la DHOS à
partir du 28 juillet ne signalaient que des difficultés
structurelles d'organisation des soins et que certaines des déclarations
du médecin urgentiste constituaient des
« contrevérités ».
Audition de M. Jean-Jacques TRÉGOAT,
directeur
général de l'action sociale
(10 décembre
2003)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M.
Jean-Jacques Trégoat, directeur général de l'action
sociale
.
Avant de l'inviter à exposer comment la direction générale
de l'action sociale (DGAS) avait fait face à la canicule,
M. Jacques
Pelletier, président
, a rappelé que M. Jean-Jacques
Trégoat n'avait pris ses fonctions qu'au début du mois de juillet
et qu'il était resté à son poste pendant toute la
durée de la crise.
M. Jean-Jacques Trégoat
a tout d'abord déclaré
qu'il avait été profondément affecté par les
conséquences dramatiques de la crise sanitaire de cet été.
Après avoir confirmé qu'il n'avait pris ses fonctions que le
10 juillet 2003, il a souligné que, jusqu'au dimanche
10 août, aucune information n'avait laissé supposer que notre
pays traversait une crise sanitaire de grande ampleur. Il a
précisé que la première information reçue par ses
services avait été un message transmis dans l'après midi
du 10 août, par une maison de retraite de Suresnes, suite à
plusieurs décès intervenus parmi les résidants, et faisant
état d'un manque de place en chambre funéraire. Il a
indiqué que la permanence de sa direction, qui avait été
également contactée le même jour par un journaliste du
«
Parisien
» signalant un afflux de personnes
âgées dans les services d'urgence des hôpitaux franciliens,
avait alors immédiatement pris contact avec le cabinet du
secrétaire d'État aux personnes âgées.
Soulignant que, dès le lundi 11 août, une réunion de
travail s'était tenue avec le cabinet, il a précisé qu'une
première circulaire avait été adressée le jour
même aux services déconcentrés, tandis qu'un
communiqué de presse était publié le lendemain, suivi
d'une nouvelle circulaire adressée aux directions départementales
des affaires sanitaires sociales (DDASS) le 14 août. Il a
également insisté sur les recommandations visant à
prévenir la déshydratation et l'isolement des personnes
âgées, qui avaient été diffusées avant la
crise, avec les circulaires des 12 juillet 2002 et 27 mai 2003, tout
en notant que les conseils pratiques et de bon sens qu'elles contenaient
avaient trop souvent été jugés inutiles dans les
établissements d'hébergement.
M. Jean-Jacques Trégoat
a estimé que, dès que la
nature de la crise sanitaire a été perçue, les DDASS ont
fait preuve d'une grande réactivité, tandis que les centres
locaux d'information et de coordination (CLIC) apparaissaient comme des
structures particulièrement utiles. Il a précisé qu'une
première étude réalisée auprès des foyers
logement et des établissements d'hébergement pour personnes
âgées dépendantes (EPHAD) avait mis en évidence une
forte surmortalité, alors évaluée à 43 %,
accompagnée de grandes disparités entre les régions et
même à l'intérieur de celles-ci. Rappelant que la
réunion du 19 août 2003 avait rassemblé, outre les
représentants du cabinet du secrétaire d'État et de la
DGAS, un nombre important de professionnels des établissements
d'hébergement et de l'aide à domicile, il a souligné que
les participants s'étaient accordés sur deux points : une
forte mobilisation de chacun des acteurs, mais une mauvaise perception de
l'évolution du nombre des décès en temps réel.
Il a noté que les mesures destinées à favoriser le retour,
à leur domicile ou dans les EPHAD, des personnes hospitalisées en
raison de la canicule avaient été prises très rapidement,
en liaison avec la direction de l'hospitalisation et de l'offre de soins (DHOS)
et qu'une enveloppe financière de 40 millions d'euros, dont
13 millions consacrés aux services d'aide à domicile et
27 millions aux EPHAD, avait été débloquée
à cet effet.
M. Jean-Jacques Trégoat
a ensuite rappelé qu'après
la réunion du 28 août 2003 avec le Premier ministre, les
ministères de la santé, des affaires sociales et de
l'intérieur avaient constitué, le 2 septembre,
six groupes de travail thématiques qui ont rendu leurs conclusions
dès le 25 septembre. Il a observé que ce travail
préparatoire avait largement inspiré les dispositions du plan
« vieillissement et dépendance »,
présenté le 6 novembre par M. Jean-Pierre Raffarin.
Évoquant les conséquences qui doivent être tirées de
la crise de la canicule, il a insisté, d'une part, sur la
nécessité, pour la DGS, la DHOS et la DGAS de travailler en
commun et, d'autre part, sur la nécessaire amélioration de la
circulation et de la « remontée » des informations.
Il a précisé que les trois directions avaient, d'ores et
déjà, entrepris de renforcer les liens personnels et
administratifs existants.
Il a déclaré qu'il avait demandé à se voir transmis
directement un maximum de données et qu'il veillait lui-même
à communiquer à ses collègues de la DGS ou de la DHOS les
informations se situant à la marge de son propre champ de
compétences. S'agissant de la problématique de la gestion et du
traitement des informations, il a souligné que les services des DDASS
étaient désormais particulièrement sensibilisés
à l'impératif de faciliter et d'accélérer la
remontée des informations. Il a estimé, toutefois, que ce
problème était général et concernait tout autant
les collectivités locales que les administrations centrales.
Au-delà de l'enchevêtrement des compétences des
différents acteurs, il a également mis l'accent sur le grand
nombre des services de soins infirmiers à domicile (1 700) et des
maisons de retraite (plus de 10 000), ainsi que sur la diversité
des statuts juridiques de ces dernières. Il a jugé que ces
caractéristiques étaient de nature à ralentir la
circulation de l'information, mais que les moyens modernes de
télécommunications devraient permettre d'améliorer la
situation. S'agissant du recensement des personnes fragiles, il a
souligné que les impératifs de la veille sanitaire devaient
également prendre en compte le nécessaire respect de la
liberté individuelle de ces personnes.
M. Jean-Jacques Trégoat
a également fait observer qu'il
n'avait reçu, pendant la crise de la canicule, aucune information
émanant des DDASS, des maisons de retraite ou des structures d'aide
à domicile, ces services n'ayant pas eu, sur le moment, le sentiment de
traverser une crise sanitaire majeure.
Après avoir noté que M. Jean-Jacques Trégoat avait
été, sans doute, l'un des rares responsables à ne pas
être en congé lors de la crise de la canicule,
M. Jacques
Pelletier, président
, s'est félicité des initiatives
déjà prises pour renforcer la coordination entre les
différentes administrations concernées. Revenant sur le faible
impact des communiqués de presse du mois d'août, il s'est
interrogé sur les méthodes à employer pour faire en sorte
que ces informations soient largement reprises par la presse et portées
à la connaissance du grand public.
M. Jean-Jacques Trégoat
a reconnu que la démarche qui
prévalait jusqu'alors, consistant à envoyer un communiqué
à l'Agence France Presse, apparaissait insuffisante. Il a estimé
qu'il convenait d'aller à la rencontre des médias et d'organiser
notamment de véritables points de presse, tout en renforçant les
liens avec Météo France, au-delà du seul dispositif du
plan « grand froid ».
M. Jacques Pelletier, président
, a demandé des
précisions sur les obstacles juridiques susceptibles de s'opposer
à un recensement de l'ensemble des personnes fragiles, qui peuvent,
à l'avenir, être victimes d'une crise du type de celle de la
canicule.
M. Jean-Jacques Trégoat
a considéré qu'il
s'agissait d'un problème difficile et que la rédaction du projet
de loi relatif au dispositif de solidarité pour l'autonomie des
personnes âgées et des personnes dépendantes, actuellement
en cours d'élaboration, devra tenir compte des travaux de la commission
nationale informatique et libertés (CNIL). S'agissant des relais devant
permettre d'identifier et d'atteindre les personnes âgées, il a
cité les caisses d'allocations familiales, les centres communaux
d'action sociale et les caisses primaires d'assurance maladie.
Mme Évelyne Didier
a observé que l'organisation du
système sanitaire et social français était très
hiérarchisée et s'est demandée si les échelons
intermédiaires faisaient « remonter » toutes les
mauvaises nouvelles jusqu'au sommet de la pyramide administrative. Observant
que les différents intervenants de la crise de la canicule avaient tous
souligné les limites de leur champ de compétences, elle s'est
demandée si les problèmes se situant aux frontières des
zones d'intervention des uns et des autres pouvaient être traités
efficacement. Elle a considéré qu'il convenait d'éviter de
se trouver en situation d'être submergé par des informations
écrites, alors même que les messages transmis verbalement aux
personnes fragiles constituent le mode d'action le plus facilement utilisable
et le plus efficace.
M. Alain Gournac
a insisté sur la nécessité de ne
pas limiter la réflexion engagée aux seules personnes
âgées, mais de prendre en compte l'ensemble des personnes fragiles
et, notamment, les handicapés. Il a jugé que la priorité
devait être accordée aux conseils pratiques, sans pour autant
s'exposer au risque de « surmédiatisation ».
S'agissant du débat entre le besoin de recenser les personnes fragiles
et le respect des libertés individuelles, il a considéré
que l'impératif de sauver les personnes en danger devait primer.
Mme Françoise Henneron
a déclaré partager cette
opinion. Elle a, par ailleurs, précisé qu'il convenait, notamment
en milieu rural, d'utiliser les centres communaux d'action sociale, ainsi que
les bulletins municipaux, comme autant de relais efficaces pour toucher les
personnes âgées.
S'agissant de la nécessité d'améliorer la circulation de
l'information dans l'appareil administratif,
M. Serge Lepeltier,
rapporteur
, a estimé qu'il convenait, non pas d'attendre passivement
que des données soient transmises, mais, à l'inverse, de
rechercher ces informations, au besoin en adoptant une démarche
intuitive. Il a également mis en garde contre le risque, pour les
décideurs, de « crouler sous les statistiques », en
estimant qu'un fonctionnement en réseau devrait permettre
d'éviter ce risque de « suradministration ».
Répondant à ces interventions,
M. Jean-Jacques
Trégoat
a rappelé qu'il n'avait reçu aucune
information des échelons intermédiaires témoignant de
l'émergence d'une crise de cette ampleur. Sur la question du croisement
des champs de compétences des différentes administrations
centrales, il a estimé que la mise en oeuvre de la loi organique
relative aux lois de finances permettra de favoriser le travail en commun. Il a
également estimé que l'absence de culture d'évaluation
dans le service public permettait difficilement d'apprécier
l'efficacité du circuit de l'information.
M. Alain Gournac
a rappelé sur ce point que la maîtrise de
l'information impliquait non seulement de diffuser un message, mais
également de s'assurer qu'il était bien reçu et bien
compris.
M. Jean-Jacques Trégoat
a également précisé
qu'il convenait d'avoir une approche de l'action sociale dans le cadre d'un
territoire bien défini et que l'analyse de la précarité en
milieu rural n'était pas assez développée. Il a
considéré qu'il ne fallait pas que les décideurs se
trouvent submergés par un flux d'informations devenues inexploitables.
Il a noté que les contacts avec les personnes âgées,
handicapées ou fragiles devaient intervenir au niveau des structures de
proximité, c'est-à-dire des communes, mais qu'il fallait
également mieux utiliser deux relais fréquemment
oubliés : les gardiens d'immeuble et, en zone rurale, les facteurs.
Il a reconnu que la DGAS n'avait pas encore une culture de crise, qu'elle
devait désormais acquérir, et a souligné qu'il avait mis
en place une cellule de veille qui n'existait pas jusqu'alors.
Audition de M. Pierre-Olivier drège,
directeur
général de l'Office national des forêts
(10
décembre 2003)
La
mission a ensuite entendu
M. Pierre-Olivier Drège, directeur
général de l'office national des forêts (ONF)
.
M. Pierre-Olivier Drège
a tout d'abord rappelé que la
forêt française couvrait 28 % du territoire
métropolitain et que cette forêt a été
significativement affectée par les deux phénomènes de la
canicule et de la sécheresse de l'été dernier.
Il a noté à cet égard que les forêts du sud de la
France ont subi, au cours de l'été, de nombreux incendies, et que
les dommages ainsi occasionnés ont été trois fois
supérieurs à ceux des dernières années, avec
63 000 hectares touchés ; ces dommages sont toutefois
très inférieurs à ceux enregistrés au Portugal
(400 000 hectares) et au Canada (4 millions d'hectares). Il a
indiqué que les 3 000 départs de feu avaient
été maîtrisés, pour la plupart d'entre eux, dans les
minutes ayant suivi l'alerte, par les équipes d'intervention rapide
composées de pompiers et de forestiers.
Il a souligné que l'été dernier a été
marqué par une sécheresse importante, bien que non
exceptionnelle, en raison de la reconstitution des nappes et des
réserves résultant de la pluviométrie abondante de l'hiver
précédent, et par une canicule d'une intensité et d'une
durée sans précédent.
Il a ensuite détaillé les conséquences de cette crise sur
les massifs forestiers français : les arbres ont réagi
normalement à cette situation, en s'y adaptant, même si des
individus ont dépéri, sans que cela constitue pour autant une
menace pour la forêt ; des difficultés plus importantes ont
toutefois été enregistrées pour certaines essences peu
adaptées : 40 % des plantations ont enregistré des
dégâts contre 15 % des massifs à
régénération naturelle, soit 1.200 hectares pour les
forêts domaniales et 13 500 hectares pour les forêts
à régénération naturelle, étant
rappelé que la forêt française compte 13 millions
d'hectares.
M. Pierre-Olivier Drège
a considéré que les
dégâts immédiats de la canicule ont donc été
limités, mais que des initiatives publiques seront nécessaires
pour encourager le renouvellement des plantations. Il n'a toutefois pas
écarté le risque que des sujets affaiblis
dégénèrent progressivement, cette interrogation ne pouvant
être levée qu'au printemps prochain. Il a indiqué que,
contrairement à l'Allemagne, la forêt française n'avait
été que peu touchée par les attaques de scolytes, qui sont
des insectes coléoptères se développant sous
l'écorce des arbres, en y creusant de nombreuses galeries.
Il a ensuite évoqué les conséquences à plus long
terme de la canicule, estimant probable la dégénérescence
d'un nombre non négligeable d'arbres en 2004. A cet égard,
si le dépérissement d'un certain nombre d'individus participe
à un éclaircissement bienvenu des peuplements, il impose aussi
une vente rapide du bois concerné. En outre, cet élément
risque de peser sur les prix du marché du bois, qui commence à
peine à sortir de la crise liée à la tempête de
décembre 1999.
M. Pierre-Olivier Drège
a ensuite évoqué
l'évolution du climat qui est susceptible d'avoir des
conséquences sur certains massifs forestiers, dont l'équilibre
pourrait être menacé. Il a indiqué que, si la production de
bois en volume était médiocre en 2003, le
réchauffement climatique avait un impact positif pour les forêts.
L'Inventaire forestier national a constaté à cet égard,
depuis 10 ans, une augmentation de la production de bois par rapport à
celle enregistrée il y a 25 ans. Il s'est toutefois
inquiété des conséquences de la répétition
éventuelle d'épisodes climatiques extrêmes et brutaux, qui
pourraient affecter l'équilibre entre les essences, dans certaines zones
géographiques.
Il a évoqué les recherches menées par l'Institut national
de la recherche agronomique (INRA) sur la résistance des essences aux
à-coups climatiques, ainsi que la mise en place d'un observatoire de la
santé des forêts.
M. Pierre-Olivier Drège
a ensuite indiqué que
l'année 2004 présenterait un risque d'incendie supérieur
à la normale, même avec des conditions climatiques habituelles, en
raison de l'accumulation de broussailles dans les sous-bois pouvant favoriser
les démarrages de feux. Il a indiqué que les différents
ministères concernés (intérieur, agriculture,
écologie et développement durable) préparaient à
cet égard un dispositif adapté, prévoyant deux types
d'actions préventives : le débroussaillage des zones
limitrophes des forêts accueillant des activités humaines
(25 mètres pour les axes de circulation et 50 mètres
pour les habitations), ainsi que le renforcement des patrouilles
légères d'intervention rapide.
Il a indiqué, par ailleurs, qu'un certain retard avait été
pris dans la mise en oeuvre des plans de prévention des incendies de
forêts et que les préfets avaient été chargés
de solliciter les maires à ce sujet, l'ONF ayant pris les dispositions
nécessaires pour mettre ses services à la disposition des
collectivités territoriales.
Il a ensuite évoqué le risque d'érosion des sols
fragilisés par les incendies et le fait que tous les travaux de lutte
contre cette érosion n'ont pas été réalisés.
Il a souhaité que les dotations budgétaires prévues
à cet effet soient rapidement mobilisées par l'Etat et les
collectivités territoriales.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est enquis de l'évolution des
massifs forestiers des pays étrangers et du rôle joué par
la forêt au regard de la pollution atmosphérique. Il s'est
interrogé sur les conséquences de la canicule sur la
qualité des bois et sur la résistance des arbres situés en
ville et en milieu rural. Après avoir noté que les experts
semblaient ne plus avoir de doute sur la réalité du
réchauffement climatique, il a demandé quelles étaient les
réflexions de l'ONF sur l'évolution de la politique
forestière et de plantation, selon les régions. Il s'est enfin
interrogé sur les conséquences de ce réchauffement et des
replantations sur la biodiversité de l'espace forestier.
Après avoir confirmé la réalité du
réchauffement climatique,
M. Pierre-Olivier Drège
a
rappelé que la forêt française métropolitaine
était en expansion (elle est deux fois plus étendue qu'à
la fin du XVIII
e
siècle) et n'était donc pas
menacée, à la différence de certaines forêts
tropicales qui font l'objet de déboisement. Il a indiqué que
cette évolution était appelée à
s'accélérer en raison de la réduction des activités
agricoles et de l'évolution de la démographie dans certaines
zones rurales, et que la réduction des activités humaines dans
les massifs forestiers conduirait à une disparition des
clairières et à une « fermeture » de ces
massifs, notamment dans la zone méditerranéenne et, plus
particulièrement, dans le Haut Var, ce phénomène
étant de nature à porter atteinte à la biodiversité.
Il a ensuite regretté les insuffisances de la recherche française
concernant le rôle de la forêt au regard de la pollution
atmosphérique et il a souhaité que ce sujet soit
intégré dans la problématique du développement
durable. Il a rappelé que les forêts contribuaient à la
lutte contre les gaz à effet de serre, dans la mesure où elles
fixent le carbone, et que leur expansion permettait d'amplifier cet effet. Il
a, par ailleurs, insisté sur la sous-utilisation du bois comme source
d'énergie, alors qu'il pourrait se substituer, en partie, aux
énergies fossiles pour le chauffage individuel ou collectif d'immeubles
ou de constructions de petites dimensions.
Il a précisé que les handicaps du bois comme source de chauffage
tenaient, d'une part, à l'investissement initial -qui peut cependant
être réduit par une participation financière de l'Etat ou
des collectivités territoriales- et, d'autre part, au coût de
mobilisation de la matière première. Ce coût est lié
à la distance entre le massif forestier et le lieu d'utilisation, le
seuil de rentabilité se situant en deçà d'une dizaine de
kilomètres.
Après avoir souligné tout l'intérêt de ce type
d'énergie en termes de développement local et d'emploi rural,
M. Pierre-Olivier Drège
a précisé que les
difficultés techniques liées à l'utilisation du bois comme
énergie de chauffage étaient aujourd'hui levées, notamment
avec l'utilisation de « plaquettes » de copeaux permettant
de traiter cette ressource quasiment « comme un fluide ».
Un tel dispositif suppose cependant une organisation rigoureuse et une
continuité d'approvisionnement, qui se heurtent au morcellement de la
forêt privée, laquelle représente 75 % des massifs
forestiers, qui ne sont que peu ou pas exploités. Il a
déclaré que l'ONF était prêt à s'impliquer
dans des opérations associant acteurs publics et privés et il a
insisté sur les avantages de cette solution énergétique
très déconcentrée, techniquement justifiée et dont
le coût supporterait aisément la comparaison avec celui d'autres
sources d'énergie renouvelable plus médiatisées. Il a
cité à cet égard l'exemple des éoliennes, dont la
rentabilité n'est assurée qu'en raison du prix d'achat
élevé de ce type d'électricité, fixé par EDF.
Il a par ailleurs indiqué que les arbres des forêts étaient
plus résistants que les arbres urbains et que le département
« arbres-service » de l'ONF -à la disposition des
maires- était notamment spécialisé dans la santé
des arbres en ville.
Mme Françoise Henneron
a demandé si l'ONF avait
étudié les dégâts causés par la canicule
selon les régions.
M. Pierre-Olivier Drège
a précisé que
l'observatoire récemment créé publierait, à la fin
du premier semestre 2004, des statistiques plus complètes que les
données dont dispose actuellement l'ONF, qui ne prennent en compte que
les conséquences immédiates de la canicule. Il a noté que
les régions qui avaient enregistré les températures les
plus élevées n'étaient pas celles où les
forêts avaient le plus souffert, compte tenu de l'adaptation de leurs
essences. Il a insisté sur les précautions à prendre avant
tout changement d'essences, qui peuvent se révéler moins
inflammables, mais plus sensibles au gel, tel l'eucalyptus dans les collines de
l'arrière-pays méditerranéen.
Après avoir observé, sous forme de boutade, que le
réchauffement climatique pouvait être susceptible de permettre
l'exploitation des bois tropicaux sous nos climats, M. Jacques Pelletier,
président, a remercié l'orateur pour la précision de son
intervention et ses indications plutôt optimistes sur l'avenir de la
forêt française.
Audition de M. Nicolas SARKOZY,
ministre de
l'intérieur, de la sécurité intérieure et des
libertés locales
(16 décembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission d'information a procédé à
l'audition
de
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales
.
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé,
à titre liminaire, que la mission d'information du Sénat ne
s'était pas fixé pour objectif de conduire une « chasse
aux sorcières », mais de comprendre les
événements de l'été dernier et d'en tirer les
leçons pour l'avenir.
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales
, a
précisé qu'il souhaitait expliquer l'action de son
ministère lors de la canicule de l'été 2003 et que la
réflexion, entamée avec les conclusions de la mission
d'information de l'Assemblée nationale présentées le
24 septembre dernier, devait se poursuivre.
Indiquant qu'il comptait proposer à la mission quelques orientations
afin qu'un aléa climatique en France ne se traduise plus par un drame
sanitaire, il a estimé que les pouvoirs publics devaient avoir un devoir
d'humilité pour hier, d'humanité pour aujourd'hui et
d'efficacité pour demain.
Déplorant les nombreuses polémiques faisant état de
querelles administratives et juridiques, il a souligné que de nombreuses
familles avaient été meurtries par la catastrophe et que des
personnes étaient mortes seules dans l'indifférence.
Rappelant que la canicule de l'été 2003 était sans
précédent, comme le montraient les relevés
météorologiques établis depuis 1873, et qu'elle avait
provoqué une surmortalité exceptionnelle,
M. Nicolas Sarkozy
a noté que le travail de la mission
d'information de l'Assemblée nationale, estimant que la catastrophe
n'avait été ni anticipée, ni perçue rapidement
comme telle, devait servir de base aux réflexions en cours.
Il a ajouté que ce n'était pas tant l'impuissance,
inévitable, de l'Etat à faire face à ce
phénomène climatique qui était l'objet de critiques, que
son incapacité à en prévenir les conséquences
sanitaires. Après avoir indiqué qu'il détaillerait dans un
premier temps le rôle des services, dont il a la charge, pendant la
crise, il a rappelé que son ministère était responsable de
la gestion des crises de sécurité civile et de la
réglementation funéraire. Notant qu'il fallait distinguer deux
périodes dans l'action du ministère, il a souligné que
personne n'avait mesuré les conséquences sanitaires de la
canicule entre le 5 et le 12 août et que les problèmes
rencontrés par les services funéraires à cette
dernière date avaient amené les services concernés
à prendre conscience de l'ampleur de la catastrophe.
Précisant que la réponse aux crises de sécurité
civile était apportée par le centre opérationnel de
gestion interministériel des crises (COGIC), intervenant soit dans le
champ propre du ministre de l'intérieur, soit à la demande
d'autres ministères, il a constaté que cette structure avait
prouvé son efficacité lors des tempêtes de 1999, des
inondations ou encore des pollutions dues aux naufrages de l'Erika et du
Prestige.
Notant que le COGIC était en formation renforcée
l'été dernier pour lutter contre les incendies de forêt,
les plus importants en France depuis 30 ans, et que ceux-ci avaient
touché plus de 60 000 hectares et provoqué la mort de
neuf personnes, il a fait observer que l'efficacité de son rôle de
coordination et de son appui logistique aux moyens de secours avait permis de
limiter les conséquences de cette catastrophe.
Estimant que le COGIC aurait pu intervenir pour mesurer et gérer les
effets de la canicule, il a souligné qu'il aurait fallu pour cela qu'il
ait connaissance des événements. A ce titre, il a indiqué
que le COGIC avait récemment organisé avec succès une
remontée d'information spécifique, à la demande du
ministère de la santé, pour analyser la gravité de
l'épidémie de bronchiolite et permettre aux services hospitaliers
de s'y adapter dans les meilleurs délais.
Concernant la canicule, il a rappelé que le COGIC ne disposait jusqu'au
12 août d'aucun élément pour percevoir l'existence
même de la crise, qu'il n'avait pas été saisi par les
ministères concernés et qu'il était dépourvu de
tout système de renseignements spécifique.
Après avoir précisé qu'il avait eu la
responsabilité opérationnelle des sapeurs-pompiers au coeur de la
crise,
M. Nicolas Sarkozy
a insisté sur
l'efficacité de la gestion de l'urgence par ces derniers, par les
services d'aide médicale d'urgence (Samu), par les services hospitaliers
et les structures d'accueil des personnes âgées, soulignant que ce
constat était partagé par la mission d'information de
l'Assemblée nationale.
Rappelant que le rôle des sapeurs-pompiers était de secourir les
personnes en détresse pour les conduire rapidement dans des centres de
soins et non de formuler un diagnostic sur leur état de santé, il
a précisé que les sapeurs-pompiers disposaient certes de
quelques médecins, mais qu'ils n'étaient mobilisés dans
les interventions qu'à la demande du Samu lorsque ce dernier estimait
leur présence nécessaire pendant le temps de transport des
victimes. Il a souligné que les sapeurs-pompiers n'avaient pas la
responsabilité et les compétences nécessaires pour
effectuer une régulation médicale ajoutant que, même s'ils
constataient parfois des décès, ils n'avaient ni les moyens, ni
la mission d'assurer un suivi exhaustif des personnes transférées
dans les établissements hospitaliers et de la mortalité.
Indiquant que son directeur adjoint de cabinet avait assuré une
permanence au mois d'août et que son cabinet n'avait eu connaissance de
la crise que le 12 août, il a rappelé que les rapports
d'activité de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), transmis
chaque jour avant cette date au ministère, ne permettaient pas de
détecter la gravité de la situation. A ce titre, il a cité
les commentaires accompagnant les rapports d'intervention concernant les
événements particuliers à signaler pendant cette
période : le 5 août, « une personne
décédée sous le RER » ; le 6
août, « rien de particulier à
signaler » ; le 7 août, « un militaire
décédé, une intoxication au chlore dans une piscine et
deux feux d'entrepôts » ; le 8 août,
« deux feux signalés » ; le 9 août,
« deux feux signalés » ; le 10
août, « un feu signalé » ; le 11
août, « rien à signaler ».
Notant que les préfets n'avaient pas non plus signalé
d'événement particulier à son cabinet,
M. Nicolas Sarkozy
a cependant indiqué qu'il avait eu
connaissance de l'augmentation du nombre d'interventions et des cas de
« secours à victime », avec mille interventions le
8 août contre 800 par jour en moyenne annuelle, mais que ce
nombre ne constituait pas en lui-même un motif d'alerte. A cet
égard, après avoir indiqué que 950 interventions par
jour pour secours à victime ont été recensées au
cours de la semaine passée, et que des fluctuations importantes sont
habituelles dans l'activité des sapeurs-pompiers, il a fait observer
qu'il n'avait été informé à aucun moment d'une
surmortalité importante ou de difficultés particulières
rencontrées par les sapeurs-pompiers pour remplir leurs missions.
Rappelant qu'il était en vacances en Gironde pendant cette
période, il a indiqué qu'il avait visité une brigade de
gendarmerie le 8 août et présidé une réunion
portant sur l'organisation d'une « rave party » à
Toulouse le 13 août, précisant qu'il était alors en
contact téléphonique avec son cabinet au minimum cinq fois par
jour. Il a insisté sur le rôle déterminant de ce dernier
pour gérer les conséquences de la canicule sur la pollution de
l'air, les réserves en eau, l'activité agricole et le
fonctionnement des centrales nucléaires, avant de souligner qu'il
n'aurait pas hésité à revenir à Paris pour faire
face à la crise sanitaire s'il avait su qu'il y avait une telle crise.
Évoquant les mesures d'urgence prises à son initiative pour
permettre aux services de police de conduire des personnes sans domicile fixe
dans des centres d'hébergement lors de l'hiver dernier et les
polémiques qui en résultèrent, il a indiqué qu'il
préférait surestimer un risque plutôt que de le
sous-estimer lorsque des vies humaines sont en jeu.
Rappelant que son ministère avait été également
concerné par la crise au titre de la réglementation des
activités funéraires, il a constaté qu'à la suite
des premières difficultés signalées le 12 août,
son cabinet avait donné dès le lendemain des instructions aux
préfets de la région Ile-de-France par deux circulaires tendant,
d'une part, à les informer des disponibilités funéraires
et, d'autre part, à leur demander de déclencher « le
plan blanc » et de réquisitionner les locaux
nécessaires à proximité des chambres funéraires,
ainsi que tout véhicule permettant le transport des bières.
Notant qu'une circulaire plus précise avait été
envoyée le 14 août à tous les préfets de
France, leur demandant de s'assurer de la bonne marche des services publics, de
déclencher le « plan blanc » en cas de
nécessité et d'adopter la réglementation funéraire
à la situation, il a fait observer que son directeur adjoint de cabinet,
sur demande du directeur adjoint de l'Institut de veille sanitaire (InVS), leur
avait également donné instruction de recenser, auprès des
services de l'état civil des mairies, les décès survenus
chaque jour depuis le 25 juillet. Il a ajouté que l'Institut avait
ainsi pu procéder, dans un premier communiqué de presse, à
une estimation de la surmortalité, de l'ordre
de 3 000 décès et qu'il avait fallu ensuite
attendre plus d'un mois pour avoir des chiffres précis.
Il a souligné que les services de son ministère avaient rempli
leur tâche de manière satisfaisante, insistant sur le fait que
celle-ci ne couvrait ni le suivi statistique de la mortalité ni celui du
fonctionnement des services de santé et s'est interrogé sur
l'opportunité d'inclure le risque sanitaire humain dans leurs missions.
A cet égard,
M. Nicolas Sarkozy
a rappelé que
l'ordonnance du 24 avril 1996 avait explicitement exclu la tutelle
hospitalière du champ de compétence des préfets pour la
confier aux agences régionales d'hospitalisation (ARH), responsables de
l'organisation hospitalière, de la planification et de
l'allocation des ressources.
Déplorant l'absence des préfets dans les conseils
d'administration des centres hospitaliers et leur manque d'information sur la
situation sanitaire, il a constaté que les préfets n'avaient pas
besoin d'un plan préétabli pour répondre avec
efficacité à une crise, ainsi que la gestion des
conséquences des tempêtes de 1999 le prouvait, mais qu'ils
devaient avoir conscience des difficultés pour agir. Il a indiqué
que son ministère n'avait pas été informé, ajoutant
que ni les directions départementales et régionales des affaires
sanitaires et sociales (DDASS et DRASS), ni les ARH, ni les maisons de retraite
et l'InVS n'avaient détecté la catastrophe.
Estimant qu'il était normal de chercher à comprendre les
événements de l'été dernier, il est convenu de la
défaillance de l'ensemble des pouvoirs publics pour identifier la crise
et tenter de la limiter. Soulignant qu'il fallait réfléchir
à l'avenir pour que cette situation d'impréparation et de manque
de réaction ne se reproduise plus, il a fait observer que la crise
estivale avait mis en lumière un manque de planification, de vigilance
et de coordination dans le domaine sanitaire. S'agissant de la planification,
il a précisé qu'il avait demandé à ses services de
réfléchir à un « plan canicule », sur
le modèle du « plan grands froids ». Insistant sur
les exigences de la vigilance et de la coordination, il a constaté que
la dispersion des responsabilités entre les ARH, les différents
instituts de veille et les agences sanitaires, à l'exemple de l'Agence
nationale d'accréditation et d'évaluation en santé
(ANAES), de l'Agence nationale française de sécurité
sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) ou de l'Agence
française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA),
avait contribué au cloisonnement des services. Il a ajouté que ce
cloisonnement avait été à l'origine d'une situation, comme
celle de cet été, où chacun est responsable de son domaine
de compétence et ne communique pas avec les autres et où personne
n'a une vision globale de la situation.
Estimant que le rapprochement entre les préfets et la chaîne
sanitaire, constituée des ARH, des DRASS et des DDASS, était
urgent,
M. Nicolas Sarkozy
a estimé nécessaire
de placer le corps préfectoral en situation de travailler au quotidien
avec toutes les administrations sanitaires compétentes pour
détecter une crise et coordonner la réponse opérationnelle.
Après avoir précisé que les ARH devaient être seules
responsables de la planification hospitalière et de la gestion des
crédits, il a insisté sur la légitimité du
préfet pour rassembler et coordonner les différents acteurs de
santé en tant que représentant de tous les ministères
ainsi que sur l'utilité d'affirmer l'autorité du préfet
sur les ARH en cas de crise. Après avoir rappelé qu'il avait
présenté ces propositions, visant en particulier à
créer un pôle régional de santé publique, dans le
cadre de la réflexion actuellement menée pour réorganiser
l'administration territoriale de l'Etat dans la perspective d'un
approfondissement de la décentralisation, il a fait observer que les
querelles sur l'indépendance des administrations sanitaires face aux
préfets étaient déplacées en situation de crise
comme au quotidien. Notant que la gestion de crise ne se préparait pas
dans l'urgence mais par des relations régulières entre les
différents acteurs, il a constaté que le préfet
était en position de centraliser l'information venant des services de
l'Etat et des collectivités locales et qu'il bénéficiait
de l'expérience et des structures nécessaires pour coordonner les
interventions face à des situations exceptionnelles.
Refusant la création d'une nouvelle structure nationale de coordination
pour faire face à une crise sanitaire, il a proposé
d'étendre le champ d'intervention du COGIC à la santé.
Rappelant que ce dernier, composé de 40 membres, était
à la disposition de tous les ministères et que des
représentants des ministères de l'écologie, de la
santé, de l'équipement, de l'agriculture et de la défense
y avaient travaillé ensemble il y a quinze jours, dans le cadre de la
lutte contre les inondations,
M. Nicolas Sarkozy
a fait observer
qu'il convenait de renforcer au quotidien les relations du centre avec les
services du ministère de la santé, l'Institut national de la
santé et de la recherche médicale (INSERM) et l'InVS.
Après avoir constaté que de véritables choix politiques
étaient indispensables pour répondre à une crise d'une
telle ampleur, il a souligné la nécessité d'une instance
spécifique de décision, à l'image de celle existant pour
le plan Vigipirate qui prévoit des réunions
régulières des directeurs de cabinet des ministres, à
Matignon, en cas de crise. Il a estimé que le COGIC pourrait servir de
« bras armé » opérationnel à cette
instance.
Il a indiqué que la canicule de l'été dernier posait en
outre la question de la solidarité de la société face
à la vieillesse et celle du bon équilibre entre solidarité
privée et solidarité publique. Estimant que ce débat
devait être relancé, il a constaté que toute notre
société avait été interpellée par la crise
et que la recherche des responsabilités publiques ne devait pas
écarter la responsabilité individuelle. Il a rappelé que
l'organisation de la solidarité envers les personnes âgées
était surtout assurée par les acteurs publics aujourd'hui et
qu'il fallait l'adapter pour que de tels drames ne se reproduisent pas
à l'avenir, ajoutant qu'il partageait le sentiment général
de douleur et d'humilité devant cette catastrophe.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait observer que les
problèmes issus de la dépendance des personnes âgées
et les exigences de solidarité pour la société envers ces
dernières allaient croître dans les années à venir
en raison de l'augmentation régulière de l'espérance de
vie. Il a indiqué que les auditions antérieures de la mission
semblaient montrer des difficultés de coordination entre les
différents acteurs concernés et que les communiqués de
presse des 1er et 7 août de Météo France n'avaient pas
permis d'alerter les services compétents sur la gravité de la
canicule, en dépit de leur pertinence.
Après avoir rappelé qu'il présidait le conseil
d'administration d'un centre hospitalier,
M. Serge Lepeltier,
rapporteur
, a constaté que le préfet de son
département avait des relations permanentes avec la DDASS et que
celle-ci le saisissait de difficultés éventuelles. Il s'est en
revanche interrogé sur l'absence de liens actuels entre le corps
préfectoral et les ARH.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a
remercié le ministre pour la précision de son constat et de ses
propositions, ajoutant qu'elle partageait son souci d'améliorer la
prévention des risques et de mettre fin au cloisonnement des services
pour faire face à ces crises. Elle a souligné qu'il convenait de
réfléchir aux moyens les plus efficaces d'alerter rapidement la
population en cas de crise et s'est interrogée sur la possibilité
d'une transmission rapide des certificats de décès aux
préfets afin de faciliter la détection d'une situation anormale.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a insisté sur la
nécessité de renforcer la coopération entre les
différents acteurs et sur l'utilité d'une coordination par le
préfet en situation de crise. Notant que la vague de chaleur de
l'été dernier annonçait probablement d'autres canicules
dans les années à venir, en raison du réchauffement
climatique, et que la réaction tardive des services avait
été liée à un décalage entre l'augmentation
des températures et la surmortalité, il a souligné
l'importance de la mise en place rapide de dispositifs spécifiques et de
la diffusion de bonnes pratiques pour anticiper les prochaines crises.
Constatant que son quotidien régional avait annoncé huit
décès liés à la canicule dès le
7 août,
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est
demandé si le dispositif actuel d'information sur les
décès ne pouvait pas être complété dans les
préfectures par un système d'indicateurs simples permettant une
détection précoce des anomalies en termes de mortalité et
une remontée d'informations rapide au niveau national.
M. Nicolas Sarkozy
a indiqué qu'il n'avait pas eu
connaissance de messages d'alerte des DDASS aux préfets lors de la
canicule et qu'en dépit de nombreux articles de presse, les indices
sérieux de la catastrophe n'étaient remontés que le
12 août à son cabinet. Constatant que la réforme de
1996 avait provoqué une césure entre les administrations
sanitaires et les préfets, il a indiqué que de bonnes relations
pouvaient exister entre ces derniers et les DDASS, mais qu'elles ne
concernaient pas l'organisation hospitalière. Il a souligné que
les responsables des ARH étaient devenus de véritables
« préfets sanitaires » et que les acteurs du secteur
sanitaire et social ne pouvaient à la fois revendiquer leur
indépendance et dénoncer la responsabilité des
préfets en cas de crise.
Il a ajouté que les préfets étaient les seuls à
pouvoir coordonner les services de manière satisfaisante en situation de
crise. Après avoir rappelé que la mairie de l'Häy-les-Roses
avait attiré l'attention du préfet du Val-de-Marne sur le nombre
important de décès lors de la canicule, il a rappelé que
le quotidien «
Le Parisien
» avait
évoqué sept morts liées à la canicule dès le
9 août mais que l'alerte ne pouvait résulter de la seule
prise en compte d'articles de presse. Indiquant que la préfecture de
police de Paris avait en charge la sécurité de six millions
d'habitants, il a fait observer que ses décisions devaient s'appuyer sur
des données tangibles et que les sept morts liées à la
canicule relevées par la brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) le
8 août étaient bien en deçà de la
surmortalité de ce jour, constatée ultérieurement, avec
109 décès en excès à Paris et 525
décès en Ile-de-France. Il a noté que la détection
de la catastrophe et la coordination des acteurs ne s'étaient pas
effectuées de manière satisfaisante dans le contexte difficile du
mois d'août, marqué par de nombreux départs en vacances et
l'activité ralentie de certains services, rappelant que 66 % et
42 % des décès liés à la canicule avaient eu
lieu respectivement dans les maisons de retraite et dans les hôpitaux.
Rejoignant les propos du ministre,
M. Paul Girod
a
souligné l'importance de l'anticipation et de la prévention de
certaines épidémies et s'est interrogé sur la
capacité de veille de notre pays face à une éventuelle
attaque bioterroriste.
M. Nicolas Sarkozy
a fait observer que l'InVS était en
charge de la détection d'éventuelles épidémies et
de la diffusion de l'alerte, ajoutant qu'il n'était pas souhaitable que
son ministère élargisse ses compétences à la
prévention et à la veille sanitaire. Rappelant que ses services
intervenaient en revanche par la mobilisation des forces de
sécurité intérieure, en cas de trouble à l'ordre
public, ou pour coordonner et renforcer les moyens de secours locaux, en cas de
crise sanitaire exceptionnelle, il a indiqué qu'il était
impossible de prévenir l'ensemble des risques potentiels.
Soulignant l'intérêt des préconisations du ministre,
M.
François Fortassin
a déploré les défaillances
dans l'alerte et la réaction tardive des services compétents, en
particulier de la DDASS de son département. Il a rappelé que les
médias avaient évoqué les risques liés à la
chaleur dès la fin du mois de juillet, ajoutant que, sur son initiative
et après contact avec les pompes funèbres et la presse locale,
son département avait su anticiper le déclenchement de la vague
de chaleur en diffusant des informations simples sur les gestes essentiels pour
lutter contre les effets des fortes températures. Estimant que les
départs en vacances massifs du mois d'août avaient
contribué aux dysfonctionnements constatés en étant
à l'origine d'une absence de personnels à un moment critique, il
a indiqué que son conseil général avait mis en place un
système de congés permettant en permanence le maintien
d'effectifs suffisants dans les services. Il a ajouté que le
renforcement de la coordination et de la planification des services
concernés nécessitait une disponibilité accrue des
personnels.
M. Nicolas Sarkozy
a rappelé qu'il n'était pas
responsable du fonctionnement des maisons de retraite ni de celui des
hôpitaux et qu'il n'avait aucun pouvoir de tutelle sur les DDASS. Il a
ajouté qu'il avait la responsabilité opérationnelle des
sapeurs-pompiers, mais pas des médecins, des Samu et des
infirmières et qu'une réflexion était en cours pour
établir des plans départementaux de liaison entre préfets,
médecins généralistes et directeurs d'hôpitaux.
Constatant que la canicule avait frappé la France alors que la
sécurité civile et les sapeurs-pompiers étaient
mobilisés dans la lutte contre les incendies de forêt qui
ravageaient le sud du pays, il a noté que la gestion de la crise
après le 13 août avait été satisfaisante.
En réponse à M. Jacques Pelletier, président,
M. Nicolas Sarkozy
a indiqué qu'au début du mois
d'août, la préfecture de police de Paris, tout comme la mairie de
Paris, ne disposaient pas des indices nécessaires pour
appréhender l'ampleur de la catastrophe et que la décision des
collaborateurs du préfet de police de ne pas rendre publiques les sept
morts constatées par la BSPP le 8 août était
peut-être regrettable a posteriori mais qu'il n'y avait eu, à sa
connaissance, aucune volonté de dissimulation de leur part. Il a
ajouté que la communication en temps de crise nécessitait de
bénéficier d'informations fiables et suffisamment larges, et que
les commentaires annexés aux rapports d'intervention de la brigade
n'étaient pas assez précis pour détecter une
surmortalité anormale.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a ensuite demandé au
ministre de préciser l'action de ses services dans le cadre de la lutte
contre les incendies de forêt et s'est interrogé sur le bilan de
la coopération internationale en la matière ainsi que sur le
renforcement des capacités opérationnelles de la
sécurité civile. Il a par ailleurs constaté que la plupart
des feux de l'été avaient une origine criminelle.
M. Nicolas Sarkozy
a rappelé que la mobilisation
importante de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers avait
été renforcée par des moyens venus d'Italie, d'Allemagne
ou de Russie. Il a ajouté que les feux de forêt avaient eu lieu
simultanément dans de nombreux pays, empêchant l'envoi de renforts
français au Portugal comme la venue de renforts canadiens en France.
Concernant les incendiaires, il a précisé que l'action
conjuguée des forces de police, de la gendarmerie et des parquets, qui
s'est traduite par la création d'une cellule spécifique dans le
Var, avait permis d'interpeller 88 personnes et d'en écrouer 25.
Précisant que les deux avions Fokker 27, trop vétustes, seraient
prochainement remplacés et qu'une réflexion était en cours
pour doter la sécurité civile d'hélicoptères
supplémentaires, il a souligné que ces acquisitions supposaient
des investissements lourds et que les nouveaux appareils devraient permettre
d'augmenter la polyvalence de la flotte aérienne de la
sécurité civile.
Il a rendu hommage au dévouement des sapeurs-pompiers en faisant
observer qu'ils avaient été fortement sollicités dans la
lutte contre les incendies de forêt puis dans la gestion des
conséquences de la canicule et des inondations. Constatant que
« la catastrophe devenait quelque chose de naturel » en
France, avec la multiplication des crises récentes, il a estimé
qu'il convenait d'améliorer la prévention des risques pour
répondre aux exigences des Français.
M. Jacques Pelletier, président
, a vivement remercié
le ministre pour son intervention et a souhaité que les propositions de
la mission contribuent à atteindre ce dernier objectif.
Audition de M. Patrick PELLOUX,
président
de l'association des médecins urgentistes hospitaliers
de
France
(17 décembre
2003)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président, puis de
M. Alain GOURNAC
et de Mme Gisèle GAUTIER, vice-présidents
La
mission a d'abord procédé à
l'audition
de
M.
Patrick Pelloux, président de l'association des médecins
urgentistes hospitaliers de France
.
Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information
commune du Sénat consistait, non pas à conduire une
« chasse aux sorcières », mais à comprendre
ce qui s'était passé lors de la canicule,
M. Jacques
Pelletier, président
, a invité M. Patrick Pelloux à
présenter son récit de la crise et à exposer les
enseignements qui devraient, à ses yeux, en être tirés.
M. Patrick Pelloux
s'est tout d'abord félicité que le
Sénat se soit saisi de cette question. Soulignant que, face à
cette crise sanitaire d'une ampleur sans précédent depuis la
Seconde guerre mondiale, il avait été le premier à
souhaiter publiquement que le Parlement entame des investigations, il a
affirmé qu'il partageait l'opinion du président Jacques Pelletier
et que les démarches engagées ne devaient pas conduire à
une « chasse aux sorcières ». Pour autant, il a
relevé, d'emblée, que la crise de la canicule avait mis en
évidence le caractère inadapté et dépassé
des structures du ministère de la santé.
Il a indiqué que l'Association des médecins urgentistes
hospitaliers de France, qu'il préside depuis sa création il y a
cinq ans, rassemblait aujourd'hui environ 850 adhérents, ce qui en
fait la première organisation représentative de la profession qui
figure, à ce titre, parmi les interlocuteurs de référence
des pouvoirs publics.
Il a noté que son organisation était intervenue depuis deux ans
à de multiples reprises, tant auprès de M. Bernard Kouchner que
de M. Jean-François Mattei, pour souligner l'impact négatif des
fermetures de lits sur les services d'urgence des établissements
hospitaliers. Soulignant que les mois d'août 2001 et d'août 2002
avaient tous deux été caractérisés par un
véritable encombrement des urgences, il a rappelé qu'il avait,
dès le mois de mai 2003, exprimé la crainte que trop de lits
soient fermés lors de la prochaine période estivale, en
particulier en réanimation. Il a observé qu'il avait fait part au
ministre de la santé, lors de la réunion du 23 juillet, de ses
inquiétudes en estimant alors que 20 % à 30 % des lits
risquaient d'être fermés au cours du mois d'août. Il a
précisé que le ministre l'avait rassuré en lui indiquant,
sur la base des indications fournies par ses services, que les mesures prises
devaient permettre une amélioration sensible par rapport aux deux
étés précédents et que le nombre de lits
fermés ne dépasserait pas 11,6 %.
Revenant sur l'absence, souvent évoquée, de littérature
scientifique disponible en France sur les questions liées au
phénomène de canicule,
M. Patrick Pelloux
a observé
que, pour être rares, ces données n'étaient pas pour autant
inexistantes dans notre pays. Sans revenir sur les crises similaires survenues
à l'étranger, comme à Chicago en 1995, dont le
retentissement international a été important, il a relevé
que trois études mettant en évidence le risque des vagues de
chaleur avaient été réalisées dans notre
pays : l'analyse par le Professeur San-Marco de la canicule de
juillet 1983 à Marseille, les travaux du Professeur Besancenot
ainsi que l'étude réalisée à l'occasion des
Journées mondiales de la jeunesse à Paris en 1997.
Il a ensuite exposé la chronologie des événements depuis
le 28 juillet 2003, date à laquelle il avait fait part, lors d'un
point de presse, de sa divergence d'appréciation avec le ministre de la
santé quant à l'ampleur prévisible des fermetures de lits
dans les hôpitaux au cours du mois d'août 2003. Il a ainsi
souligné que, lors des derniers jours du mois de juillet, les
médecins urgentistes, du fait notamment de leurs contacts quotidiens
avec les sapeurs pompiers et les services de la police, avaient
déjà perçu une forte augmentation des cas de personnes
fragiles en situation de détresse, et ce avant même que
l'affluence aux urgences n'atteigne des sommets à partir du
1
er
août. Il a noté avoir été alors
frappé par la fatigue du personnel soignant dès le matin, ce qui
prouvait que le facteur décisif de cette crise sanitaire pour les
personnes âgées et fragiles, comme pour le reste de la population,
avait été le niveau très élevé des
températures nocturnes ne permettant pas à l'organisme de
récupérer.
M. Patrick Pelloux
a indiqué qu'il avait tenté, dès
le 5 août, de transmettre des messages de prévention en direction
du grand public, en diffusant un ensemble de conseils pratiques, qui seront
repris à 90 reprises par les radios autoroutières et en
demandant à son confrère, le docteur Ariel Cohen, de
répondre à sa place à une demande similaire des
journalistes de TF1. Il a rappelé que les premiers décès
dans le service des urgences de l'hôpital Saint-Antoine avaient
été enregistrés le 6 août, et qu'il en avait
informé le soir même le professeur Carli, directeur du Samu de
Paris.
Il a ensuite déclaré que l'hôpital Saint-Antoine n'avait
plus de lit disponible dès le 7 août, ni même de
brancard pour accueillir les personnes se présentant aux urgences,
tandis que la température à l'intérieur des locaux
dépassait 35 degrés. Constatant le silence de
l'administration centrale, il a indiqué avoir pris alors l'initiative de
téléphoner à la Direction de l'hospitalisation et de
l'offre de soins (DHOS), avant de s'entretenir, une nouvelle fois, avec le
professeur Pierre Carli. Il a précisé qu'à cette occasion,
il avait été convenu entre eux que lui-même poursuivrait
ses contacts avec la DHOS, tandis que le professeur Carli se chargerait de
la Direction générale de la santé (DGS), insistant sur le
fait qu'il ne s'était jamais trouvé en contact avec la DGS
pendant toute la durée de la crise.
M. Patrick Pelloux
a ensuite observé qu'après avoir
rencontré, le vendredi 8 août, un confrère du Samu du
Val-de-Marne, qui lui avait annoncé avoir constaté plus de vingt
décès dans la même journée, il avait envoyé
un courrier électronique à tous ses correspondants
médecins urgentistes pour recenser les difficultés
rencontrées sur l'ensemble du territoire. Il a précisé
qu'en découvrant les réponses de ses interlocuteurs, le lendemain
samedi 9 août, il avait dénombré déjà plus de
50 personnes décédées, réalisant alors que notre
pays traversait une crise majeure. Il a indiqué que des journalistes du
«
Parisien
» » l'avaient contacté
peu de temps après, en l'informant d'une forte mobilisation des pompiers
dans la capitale, que les services de la DGS attribuaient à des
« morts naturelles ». Il a déclaré que c'est
dans ce contexte qu'il avait ainsi été à l'origine de
l'information publiée dans ce quotidien, révélant la crise
au grand public. Il a ajouté qu'il avait voulu par ce moyen donner
l'alerte et s'élever contre l'interprétation de la DGS tendant
à attribuer l'origine de la surmortalité constatée aux
seuls facteurs naturels.
Il a observé qu'il avait remarqué, le lendemain dimanche
10 août, que le ministère de la santé ne
réagissait toujours pas, alors même que l'affluence dans les
services d'urgence et que le nombre des décès ne faisaient que
croître. Il a ensuite indiqué que la réunion qui
s'était tenue le lundi 11 août à l'Assistance Publique -
Hôpitaux de Paris l'avait conduit à supposer que les
sapeurs-pompiers détenaient des informations qu'ils ne souhaitaient pas
communiquer pour ne pas affoler la population. Il a noté, à cet
égard, que les services dépendant du ministère de
l'intérieur centralisaient des informations sans les transmettre
automatiquement à ceux dépendant du ministère de la
santé, ce qui apparaissait particulièrement préjudiciable
dans ce type de situation où le traitement de l'urgence doit primer. Il
a rappelé que, lors de cette même réunion, il avait
demandé en vain le déclenchement immédiat du plan blanc,
précisant que le souci de ne pas affoler la population semblait alors
largement partagé par les différents intervenants. Il a
également indiqué qu'il avait téléphoné le
même jour à Mme Anne Bolot-Gittler, directrice adjointe du cabinet
du ministre de la santé, pour lui expliquer qu'il n'était pas
possible de parler de morts naturelles en évoquant les victimes de la
canicule. Il a fait observer que, le lundi 11 août encore, le
ministère de la santé n'avait toujours pas réagi, laissant
ainsi les acteurs de terrain improviser seuls, chacun de leur
côté, la riposte à la crise sanitaire.
M. Patrick Pelloux
a considéré que la mobilisation de tous
les efforts, notamment après la mise en oeuvre du plan blanc, avait
permis de sauver un certain nombre de victimes de la canicule, y compris parmi
les personnes âgées. Il a également relevé que les
décès enregistrés alors ne se sont pas limités aux
seules personnes âgées ou fragiles, mais ont également
concerné des personnes jeunes ou des chauffeurs routiers
décédés dans leur camion pendant leur sommeil.
Revenant à la chronologie des événements, il a
mentionné qu'il avait participé, le mardi 12 août, en
compagnie du professeur Pierre Carli et de M. Yves Coquin, directeur
adjoint de la DGS, à une émission de «
France
Inter
» et qu'il avait lancé à cette occasion, de
sa propre initiative, un appel aux professionnels de santé, les invitant
à revenir de congés pour faire face à la gravité de
la situation.
Il a indiqué que l'arrivée des bénévoles de la
Croix rouge dans les hôpitaux, le mercredi 13 août au matin, avait
constitué un renfort particulièrement précieux et
efficace, mais que le nombre des décès ne cessait
parallèlement de s'accroître. Il a souligné que certains
directeurs d'hôpitaux commençaient, en outre, à invoquer la
saturation de leur établissement pour refuser de nouveaux patients aux
urgences, ces derniers faisant ainsi l'objet de transferts aléatoires
dans les autres établissements franciliens. Il a observé que le
centre hospitalier intercommunal de Créteil et le centre hospitalier
régional d'Orléans avaient été les seuls, à
ce moment, à déclencher le plan blanc.
M. Patrick Pelloux
a ensuite précisé qu'il avait
été convié à participer à la réunion
interministérielle présidée, ce même jour, par le
Premier ministre, à l'hôtel Matignon. Il a salué la
décision prise alors par M. Jean-Pierre Raffarin, consistant
à généraliser le déclenchement du plan blanc,
celle-ci ayant permis de mieux soigner et plus rapidement les personnes
hospitalisées, et d'humaniser au maximum les soins qui leur
étaient prodigués, même s'il apparaît impossible
d'évaluer le nombre des personnes qui ont pu être ainsi
sauvées.
Il a déclaré en revanche que l'ancien directeur
général de la santé n'avait pas assuré la diffusion
adéquate de mesures de prévention, qu'il ne s'était jamais
véritablement préoccupé des urgences et qu'il n'avait
interrompu ses vacances que tardivement.
Considérant qu'à partir du week-end des 15, 16 et
17 août, la crise avait pu être maîtrisée, il a
estimé que, compte tenu de l'«
effet retard
»
constitué par les nombreux décès de personnes
fragilisées survenus encore au mois de septembre, la fourchette
définitive du nombre des victimes devrait s'établir entre
15 000 et 20 000 personnes.
D'une façon plus générale,
M. Patrick Pelloux
a
affirmé que l'hôpital, dans notre pays, ne vivait pas suffisamment
en symbiose avec le reste de la société.
Après avoir regretté que les élus locaux n'aient pas
été avisés des difficultés rencontrées, il a
déploré que les agences régionales d'hospitalisation (ARH)
n'aient de comptes à rendre à personne. Il a
déclaré que la réforme du système de santé
concernait l'ensemble des citoyens et ne devait pas être seulement
évoquée lors de «
conversations de salon
parisien
» entre les responsables de la santé publique,
dont la formation commune les éloigne des réalités du
terrain, et a vivement regretté que l'InVS n'ait pas pris en compte le
risque de la canicule.
Après avoir rappelé que le professeur Lucien Abenhaïm avait
estimé que l'origine principale du bilan tragique de la crise sanitaire
de cet été résidait dans le défaut de l'alerte face
au risque caniculaire,
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a
interrogé M. Patrick Pelloux sur la position de l'ancien directeur
général de la santé selon laquelle les personnes
transférées dans les services d'urgence ne pouvaient
déjà plus, dans leur majorité, être sauvées.
M. Patrick Pelloux
a jugé que cette appréciation
était fausse.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a ensuite demandé
s'il convenait, comme l'avait fait le rapport Lalande, de mettre en cause
l'absence des médecins libéraux pendant la crise. Elle l'a
également interrogé sur l'encombrement des services d'urgence
ainsi que sur un éventuel «
effet retard
» en
termes de surmortalité pour les personnes fragilisées par la
crise sanitaire de cet été. Elle lui a demandé comment il
lui semblait possible d'améliorer le fonctionnement des services des
urgences, quelle appréciation générale il portait sur leur
fonctionnement dans notre pays, et si la mise en oeuvre des 35 heures
s'était traduite par des difficultés d'organisation dans ces
mêmes services. Elle a en outre souhaité obtenir des
précisions sur les préconisations qu'il souhaiterait formuler en
dehors du domaine des urgences et sur les mesures susceptibles de limiter le
nombre des arrivées aux urgences, en intervenant en amont au niveau de
l'accompagnement des personnes à domicile.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, s'est enquis des relations entre les
services d'urgence et la médecine de ville. Il a également
interrogé M. Patrick Pelloux sur les principaux arguments
développés par M. Lucien Abenhaïm lors de son audition
devant la mission. Il a rappelé ainsi que l'ancien directeur
général de la santé avait estimé que, même si
l'alerte avait pu être donnée quelques jours plus tôt, le
bilan final aurait été peu différent, que le fait de boire
beaucoup était nécessaire mais pas suffisant et que, compte tenu
du niveau des températures enregistrées, la véritable
solution aurait résidé dans le recours
généralisé à la climatisation, ce qui n'aurait pas
été réalisable à court terme dans la mesure
où il aurait fallu en faire bénéficier plus d'un million
de personnes.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a souligné l'intérêt
de l'intervention de M. Patrick Pelloux et lui a demandé quelles
solutions il préconisait pour améliorer l'efficacité
générale de notre système de santé dans ce type de
circonstances dramatiques.
Mme Gisèle Gautier
a considéré que M. Patrick
Pelloux était largement perçu, par les autres acteurs de la crise
de la canicule, comme un homme dérangeant. Elle lui a demandé
s'il aurait été possible de sauver, par des mesures simples, des
personnes à leur domicile, au lieu de les transporter aux urgences. Elle
a, par ailleurs, regretté que les multiples regroupements de services en
cours conduisent à la fermeture de nombreux hôpitaux ruraux, dont
le rôle apparaît pourtant indispensable.
M. Patrick Pelloux
a estimé que la crise avait
résulté d'un défaut d'alerte et aussi des insuffisances de
la prévention, que la DGS aurait précisément dû
assurer. Il a souligné, par ailleurs, que les médecins
libéraux avaient été présents pendant la crise,
mais que la population s'était spontanément adressée aux
hôpitaux, comme toujours dans une situation de ce type. Il a
également jugé irréaliste de remédier à
l'encombrement des services des urgences en limitant l'accès aux
consultations.
Après avoir déploré la faiblesse traditionnelle de la
place dévolue aux urgences dans notre culture hospitalière, il a
estimé que l'impact des 35 heures dans la gestion de la crise de la
canicule avait été nul, dans la mesure où le personnel
n'avait compté ni son temps ni ses efforts.
S'agissant des moyens humains, il a insisté sur la
nécessité d'augmenter les effectifs des écoles
d'infirmières et d'accroître leur rémunération en
fin de carrière. Pour ce qui concerne plus spécifiquement les
urgences, il a souligné le besoin de reconnaissance universitaire de
cette filière.
Il a également considéré, d'une façon plus
générale, que le regroupement des établissements
hospitaliers tendait à susciter une augmentation du recours aux services
d'urgence et que notre système de santé était
pénalisé par sa mauvaise organisation. Il a ajouté que les
réseaux d'information et d'alerte, qu'il faudra créer en France
pour éviter qu'une catastrophe comme celle de la canicule ne se
reproduise, devraient aussi associer l'ensemble des professionnels de
santé, les kinésithérapeutes et les pharmaciens.
M. Patrick Pelloux
a également rappelé qu'avec
13 millions de personnes accueillies chaque année dans les services
d'urgence, la France se situait en dessous des pratiques européennes,
notamment au Portugal et en Italie, où le recours aux urgences est
respectivement deux fois et quatre fois supérieur au regard de leur
population.
Mme Gisèle Gautier
s'est demandé si le bilan final de la
canicule aurait pu être différent si l'alerte avait
été donnée quelques jours plus tôt.
M. Patrick Pelloux
a considéré que le développement
de la climatisation lui apparaissait irréaliste, même dans une
perspective à long terme, et présenterait, de surcroît,
l'inconvénient de rendre plus difficile l'adaptation de l'organisme aux
variations de température.
Il a jugé, par ailleurs, qu'il convenait d'accélérer la
circulation des informations avec les maisons de retraite, de renforcer le lien
entre Météo France et les services d'urgence et d'encourager les
personnels hospitaliers, sur la base du volontariat, à faire preuve de
souplesse quant au choix de leurs dates de congés. Il a également
estimé qu'il fallait tenir compte des enseignements de la canicule pour
remettre en cause certaines normes architecturales privilégiant les
grandes surfaces vitrées.
Il a assuré qu'il n'avait jamais recherché un statut
médiatique et qu'il se félicitait d'avoir rempli son rôle
de citoyen pendant cette crise, en donnant l'alerte et en s'efforçant
d'agir. Il a dit avoir conscience de n'être pas en odeur de
sainteté auprès des « institutionnels et de la
technostructure » du ministère de la santé, en
particulier auprès de la DGS dont il a critiqué l'attitude
pendant cette crise sanitaire, à la différence de celle de la
DHOS.
Il a enfin considéré que les différentes agences
chargées de la prévention et de l'alerte sanitaire étaient
trop nombreuses, que l'organisation de l'Institut de veille sanitaire devrait
être revue et que l'hospitalisation à domicile,
développée sur une grande échelle, n'était pas une
option réaliste comme substitut aux consultations aux urgences.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié M. Patrick
Pelloux pour son intervention très complète et très
directe, en soulignant son importance pour le rapport que la mission commune
d'information sera prochainement amenée à
présenter.
Audition de Mme Claude NAHON,
directrice de
l'environnement et du développement durable
à EDF
(17
décembre 2003)
La
mission a ensuite entendu
Mme Claude Nahon, directrice de l'environnement et
du développement durable à Electricité de France (EDF)
.
Mme Claude Nahon
, chargée du plan « aléas
climatiques » à EDF, a tout d'abord indiqué comment
notre système électrique de production et de distribution avait
été confronté à la canicule de l'été
dernier. Elle a précisé que cet événement
météorologique d'une ampleur exceptionnelle avait
entraîné des perturbations sur l'ensemble des moyens de production
d'électricité. Le faible niveau et la température
élevée des cours d'eau ont notamment posé des
problèmes de refroidissement pour les centrales nucléaires et
thermiques, tandis que l'absence de vent a entraîné l'arrêt
des éoliennes.
Elle a rappelé que les ministères de l'industrie et de
l'écologie et du développement durable avaient pris des
arrêtés dérogatoires autorisant les centrales à
rejeter une eau d'une température supérieure à celle
autorisée. Elle a précisé que seules les centrales
nucléaires de Tricastin et de Golfech avaient usé, pendant
quelques jours, de la faculté ainsi offerte.
Mme Claude Nahon
a ensuite exposé l'ensemble des moyens
utilisés pour assurer la continuité de la fourniture
d'électricité pendant la canicule : diminution de la
consommation d'un certain nombre d'entreprises industrielles, qui ont
décalé dans le temps certaines de leurs activités, achat
-à un prix élevé- d'électricité sur le
marché, recours à des centrales de cogénération,
appel au civisme de la population. Elle a estimé que la crise avait pu
ainsi être gérée de manière satisfaisante et que de
nombreux enseignements pouvaient en être tirés pour l'avenir.
Soulignant la nécessité d'équilibrer en temps réel
la production et la consommation, du fait de l'impossibilité de stocker
l'électricité, elle a souhaité qu'une réflexion
soit engagée sur la définition des périmètres
respectifs du secteur public et du secteur concurrentiel, et sur les
responsabilités des différents acteurs. Elle a souligné le
caractère virtuel du marché de l'électricité, qui
ne permet pas aisément d'assurer cet équilibre en temps
réel, comme l'ont montré les problèmes rencontrés
récemment par l'Italie et les Etats-Unis
Répondant à une remarque de
M. Alain Gournac,
président
, elle a indiqué que des risques de
délestage, certes limités, avaient existé
l'été dernier, les interrogations ayant porté sur
l'évolution de la température des cours d'eau, ainsi que sur
celle de la consommation d'électricité, liée à une
reprise traditionnelle de l'activité économique après le
15 août, qui a été finalement moins forte que
prévue. Elle a noté que la France avait été l'un
des rares pays européens à ne connaître ni
délestage, ni panne sérieuse. Elle a précisé que le
délestage, ultime recours avant le « black-out »,
consistait à prévenir une interruption générale
dans la fourniture d'électricité, en décidant de coupures
préventives. La priorité consiste à maintenir la liaison
entre les différentes unités de production et à
préserver ainsi le réseau, tout en garantissant aux clients
prioritaires la continuité de la fourniture d'électricité,
ce qui nécessite une mise à jour régulière de la
liste de ces clients. Après avoir rappelé qu'aucun
délestage n'avait été mis en oeuvre en France
depuis 1987, elle a estimé nécessaire d'engager une
réflexion sur son organisation et ses modalités, ainsi que de
procéder à des exercices spécifiques dans ce domaine. Elle
a également évoqué la mise en place d'une convention
nationale permettant d'informer les populations prioritaires, notamment les
malades à haut risque vital, et la création d'un groupe de
travail consacré à l'examen de ce problème de
société, EDF n'étant pas seule concernée.
S'agissant de la période hivernale,
Mme Claude Nahon
a
précisé qu'EDF procédait à une remise à jour
de son système d'information interne, à des exercices en temps
réel et qu'elle avait adopté un certain nombre de mesures
concernant la gestion de crise, et notamment des débits. Elle a
indiqué que les récentes crues du Rhône avaient suspendu la
production d'électricité d'origine hydraulique et thermique pour
les centrales concernées, en raison des charriages sur ce fleuve.
Elle a par ailleurs annoncé que le planning de maintenance des centrales
serait modifié, afin de maintenir une diversification de la production
pendant les périodes estivales. L'arrosage extérieur des
centrales s'étant avéré inefficace, des moyens de
réfrigération mobiles des centrales seront mis en oeuvre afin de
permettre leur climatisation. En outre, une étude sur le refroidissement
des eaux de rejet a été engagée.
Elle a indiqué qu'un plan « confort
d'été » serait lancé au printemps prochain, afin
d'évaluer les variations de la consommation d'électricité
en fonction des nouveaux comportements de la population.
Compte tenu des incidents constatés l'été dernier à
Paris sur les câbles électriques souterrains, elle a
précisé que des mesures seraient prises afin de mieux organiser
les interventions en cas de nouvelle canicule. Elle a enfin informé la
mission d'information qu'une étude serait engagée sur les
capacités de résistance du parc de production, ainsi que du
réseau de transport et de distribution, afin de faire face aux
variations climatiques et au développement de nouveaux modes de
consommation.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a demandé si EDF pourrait
faire face à un accroissement de la consommation lié au
développement prévisible de la climatisation, compte tenu de la
récente canicule et du réchauffement climatique. Il a
évoqué, par ailleurs, la frilosité d'EDF pour
développer des énergies renouvelables et a demandé si
l'entreprise était prête à participer à la
diversification du bouquet énergétique de la France.
M. Alain Gournac, président
, s'est interrogé
également sur les conséquences d'une généralisation
de la climatisation sur la consommation d'électricité.
Mme Claude Nahon
a répondu que les moyens de production
d'électricité existants devraient permettre de faire face
à une augmentation de la consommation électrique pendant les
périodes d'été, mais qu'il conviendrait de renforcer
l'équilibre entre la demande et l'offre d'énergie, par le biais,
notamment, de conseils comportementaux et d'une politique d'économie
d'énergie. Elle a précisé qu'EDF participait aux
réflexions menées par les pouvoirs publics et l'Agence de
l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) sur la
climatisation et elle a souhaité qu'EDF, contrairement au principe de
spécialité, ait la possibilité de vendre des services et
des conseils sur les modes de consommation, afin d'assurer une
température « acceptable » en associant isolation,
ventilation, climatisation ou simple système de refroidissement.
Elle a ensuite indiqué que, si EDF avait pu montrer quelque
réticence pour financer le développement de la
cogénération et des énergies renouvelables dans le
passé, ce n'était plus le cas depuis que les charges induites
pour l'entreprise sont compensées par le fonds du service public de
l'électricité. Elle a estimé souhaitable de
développer la cogénération au bois plutôt qu'au gaz,
ce dernier étant émetteur de gaz à effet de serre.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a demandé si les réserves
d'eau permettraient de refroidir les centrales en cas de nouvelle canicule
en 2004. Il a demandé, par ailleurs, s'il était possible de
développer les stations de stockage et de pompage d'eau, telles que
celle de Revin, et si la France risquait de connaître, comme les
Etats-Unis ou l'Italie, des risques de coupure de courant.
Mme Claude Nahon
a indiqué que, compte tenu de la faiblesse des
réserves, il convenait de suivre avec attention l'évolution du
niveau des retenues et des fleuves. Elle a rappelé qu'un dispositif
« sécheresse » était paradoxalement
envisagé lorsqu'est intervenue la récente crue du Rhône et
que le potentiel des stations de pompage d'eau représentait
6 000 mégawatts, le coût de raccordement au
réseau de transport devant cependant être pris en compte. Notant
que notre pays disposait de 14 000 mégawatts de
réserves en puissance instantanée, elle a estimé que la
création de nouvelles stations de pompage ne paraissait pas
nécessaire à l'heure actuelle. Elle a précisé, en
outre, que les prix actuels du marché pénalisaient le
développement de ces moyens. Elle a enfin indiqué que la France
n'était pas à l'abri d'une panne d'électricité,
mais que tout était mis en oeuvre pour l'éviter, avec en
particulier le développement par Réseau de Transport
d'Electricité (RTE) d'un système de délestage automatique.
Elle a insisté sur la nécessité de poser la question des
responsabilités des différents opérateurs en cas de
déséquilibre du marché et de réfléchir
à la notion de service public de production.
M. Alain Gournac, président
, a demandé quelles
seraient les conséquences en cas de crise de l'ouverture totale du
marché de l'électricité à la concurrence. Il s'est
déclaré favorable à cette ouverture, à condition,
cependant, qu'elle ne déstabilise pas l'EDF et que l'entreprise conserve
ses capacités d'intervention.
Mme Gisèle Gautier
s'est interrogée sur les
capacités d'exportation de nos voisins européens vers la France
et sur le message des écologistes, qui préconisent l'abandon de
la production d'électricité d'origine nucléaire et le
développement des énergies alternatives. Elle a noté que
ces dernières s'étaient avérées inefficaces
l'été dernier, compte tenu de l'absence de vent et de la relative
faiblesse du niveau des cours d'eau. Elle a regretté que le débat
sur ce sujet soit faussé et a souhaité que des efforts de
communication soient réalisés à l'égard du grand
public.
Mme Claude Nahon
a indiqué que, compte tenu des
difficultés enregistrées par les pays voisins l'été
dernier, la France n'avait pu importer que de faibles quantités
d'électricité. Elle a précisé que la gestion de la
pénurie, que permet le délestage, constituait la solution en cas
de déséquilibre important, mais qu'il convenait d'en
réviser les modalités, notamment en identifiant les clients
prioritaires et en modulant la durée des coupures de courant.
S'agissant des énergies renouvelables, dont la France est le premier
producteur européen, en particulier pour l'énergie hydraulique,
elle s'est déclarée très favorable au développement
des chauffe-eau solaires et des éoliennes. Elle a jugé
nécessaire de développer la notion de « bouquet
énergétique » afin d'organiser la production, à
partir des différentes sources d'énergie, d'une
électricité à la fois sûre, propre et
compétitive. Elle a souligné que la communication sur le
« mix » à la française était
insuffisante, alors que grâce à nos centrales nucléaires,
la France émet beaucoup moins de gaz à effet de serre que
l'Allemagne et le Danemark, pourtant défenseurs de l'environnement, dont
la production dépend pour une faible part des énergies
renouvelables et pour environ 80 % des énergies fossiles, fortement
émettrices de CO
2
.
Audition de M. Michel MINARD,
directeur
général adjoint des Pompes funèbres
générales
(17 décembre
2003)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
de
M.
Michel Minard, directeur général adjoint des Pompes
funèbres générales (PFG)
. Présentant d'abord
brièvement son entreprise, il a indiqué que celle-ci relevait du
groupe OGF et comportait trois pôles d'activité (services
funéraires, prévoyance funéraire et industrie), qu'elle
était intervenue à l'occasion des grandes catastrophes
collectives depuis une quinzaine d'années et qu'elle avait noué
un partenariat avec le ministère de l'intérieur via la signature
de conventions dans le domaine de la sécurité civile.
Rappelant que la canicule de cet été pouvait être
considérée comme une catastrophe d'une ampleur exceptionnelle en
raison du nombre de victimes, de son étalement dans l'espace et dans le
temps et de la façon dont elle avait été perçue par
l'opinion publique, il a reconnu que la mesure de la catastrophe avait
été prise avec un certain décalage par rapport à
l'événement, du fait de la difficulté à distinguer
un pic d'activité, fréquemment observé dans le secteur
funéraire, d'un véritable cataclysme.
Indiquant que 14 000 obsèques avaient été
organisées en juillet et en août sur l'ensemble du territoire,
soit une augmentation de 40 % par rapport aux années antérieures,
avec une concentration sur la période du 6 au 20 août, et que
l'Ile-de-France avait enregistré 4 200 obsèques,
correspondant à un doublement de l'activité des PFG, il a
précisé que plus de 7 000 défunts avaient
été accueillis dans des maisons funéraires pour des
durées souvent supérieures à six jours, sans que la
qualité du service proposé aux familles ne soit affectée.
Il a souligné que la direction générale du groupe OGF
s'était mobilisée dès le 8 août, en allant sur le
terrain afin d'examiner la situation, en rappelant des salariés partis
en vacances, en suspendant l'activité de prévoyance
funéraire afin d'affecter son personnel vers le service funéraire
proprement dit, en faisant appel aux retraités volontaires, en ouvrant
deux maisons funéraires en région parisienne ainsi que des tentes
mobiles, ou encore en mettant en place, en liaison avec les préfectures
du Val-de-Marne et des Hauts-de-Seine, deux sites funéraires à
Rungis (où 174 défunts ont été accueillis) et
à Nanterre (destiné uniquement au transit des corps).
Il s'est félicité de la bonne coordination de ces actions avec
les services de l'Etat, indiquant que le ministère de l'intérieur
avait permis aux préfectures d'alléger les procédures
funéraires et que le ministère des transports avait
autorisé la circulation des camions chargés du transport des
cercueils le week-end, le ministère des affaires sociales ayant
autorisé le dépassement des horaires de travail
réglementaires.
Estimant que son entreprise avait fait preuve de réactivité et su
faire face à ses missions de service public en mobilisant ses ressources
et en supportant sans contrepartie financière la gestion du site de
Rungis mis à sa disposition par l'Etat, il a souhaité
néanmoins la mise en place d'une cellule de commandement
centralisée susceptible de mieux coordonner l'intervention des divers
acteurs, ainsi qu'une plus grande intégration des pompes funèbres
à la mise en oeuvre du plan Orsec et aux exercices de
sécurité civile. Il a par ailleurs annoncé que son groupe
avait pris des engagements en termes d'investissements afin de gérer
convenablement un nouvel événement de ce type, en ouvrant
prochainement une deuxième chambre funéraire à Paris,
près du cimetière du Père Lachaise, en consacrant
davantage de crédits aux crématoriums et en augmentant le nombre
d'équipements funéraires semi-mobiles.
A
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, qui l'interrogeait sur la date
à laquelle les pompes funèbres avaient eu conscience de la
gravité de la situation et sur une éventuelle alerte de leur part
en direction des autorités sanitaires,
M. Michel Minard
a
répondu que la prise de conscience de l'événement avait eu
lieu le 8 août, date à laquelle les chambres funéraires
étaient saturées en région parisienne, et que des chiffres
sur le nombre de décès avaient été
communiqués par les pompes funèbres à l'Institut de veille
sanitaire à sa demande le 12 août et avaient fait l'objet d'un
communiqué de presse publié le lendemain.
A
Mme Gisèle Gautier, présidente
, qui l'interrogeait sur
l'existence d'un système de suivi permettant de connaître
l'évolution du nombre de défunts de façon quotidienne, sur
le fait que le secteur privé aurait fait preuve d'une plus grande
réactivité que le secteur public et sur sa réaction
à l'émission diffusée par France 2 exposant les
difficultés rencontrées par les services funéraires de la
ville de Paris durant la canicule,
M. Michel Minard
a apporté les
précisions suivantes :
- la mise en place d'un dispositif de suivi du nombre de défunts
est actuellement étudiée pour l'horizon 2005-2006 ;
- le secteur public, même s'il a correctement réagi, n'a
peut-être pas été aussi prompt que le secteur privé,
qui a su mobiliser de nombreux cadres sur le terrain et des relais en province,
même s'il n'a pas bénéficié du relais attendu dans
les médias en ce qui concerne l'appel au personnel alors en
vacances ;
- le groupe OGF a publié un communiqué de presse et a
adressé un courrier à certaines autorités publiques tels
le ministre de l'intérieur ou le maire de Paris pour s'émouvoir,
dans le reportage diffusé, d'une atteinte à la dignité des
défunts.
A
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, qui s'inquiétait de la
proportion de défunts dont les corps n'avaient pas été
réclamés par leur famille,
M. Michel Minard
a
indiqué qu'en avaient été dénombrés 57 sur
Paris et une vingtaine dans sa petite couronne, précisant toutefois que
de telles situations étaient constatées toute l'année.
Enfin, à
Mme Gisèle Gautier, présidente
, qui
l'interrogeait sur une éventuelle coopération plus étroite
entre les pompes funèbres et les services de l'Etat depuis la canicule
pour mieux anticiper un prochain événement de ce type,
M.
Michel Minard
a indiqué qu'une réunion avait eu lieu cette
semaine avec les ministères de l'intérieur, de la santé et
de la justice, ajoutant que le séminaire annuel de son groupe, tenu en
octobre dernier, avait également été consacré en
partie à ce sujet.
Audition de M. Jean-François MATTEI,
ministre
de la santé, de la famille et des personnes handicapées
(6
janvier 2004)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission a procédé à
l'audition
de
M.
Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des
personnes handicapées
.
Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information
commune du Sénat consistait, non pas à conduire une
« chasse aux sorcières », mais à comprendre
ce qui s'était passé lors de la canicule,
M. Jacques
Pelletier, président
, a invité
M. Jean-François Mattei à présenter son
récit de la crise et à exposer les enseignements qui devraient,
à ses yeux, en être tirés.
M. Jean-François Mattei
a tout d'abord souligné que,
derrière les analyses et les chiffres, il n'oubliait pas la tristesse et
le désarroi des familles, qui imposaient d'agir pour qu'une telle
catastrophe ne se reproduise pas. Il a ensuite indiqué qu'il ne
souhaitait pas s'appesantir sur la chronologie des événements,
très largement connue, mais préférait faire part de ses
observations.
Il a relevé que les différents rapports remis depuis la crise de
la canicule permettaient d'avoir aujourd'hui une meilleure appréciation
des faits. En premier lieu, il a observé que la canicule constituait une
catastrophe naturelle, ainsi que l'avaient indiqué les experts du Center
for disease control (CDC) d'Atlanta, doublée d'une crise structurelle.
Il a souligné que cette crise n'était pas une crise sanitaire,
mais une « tornade », et qu'un tel phénomène
n'avait jamais eu lieu auparavant en France.
Il a rappelé que, d'après le rapport de MM. Hémon et
Jougla, 428 décès en surnombre étaient intervenus
dès le 4 août et que 3 907 décès en
surnombre étaient recensés le 8 août, alors même
qu'il y avait toujours des hésitations sur la nature du
phénomène. Il a relevé que
6 541 décès en surnombre étaient survenus
à la date du 10 août, quand le Dr Pelloux
évoquait 50 morts, et que 8 000 décès
étaient enregistrés à la date du 11 août, ce
qui rendait vain le fait de savoir si un mail était arrivé
à son cabinet avant qu'il n'intervienne à la
télévision.
Il a fait valoir que la France était le seul pays en Europe à
avoir réagi en effectuant un inventaire immédiat de la
mortalité et que c'était l'avenir de la santé publique et
de la sécurité sanitaire qui était en jeu. Il a
indiqué que les chiffres des décès liés à la
canicule, dans les autres pays européens, rapportés à leur
population et compte tenu de la situation climatique, étaient proches de
ceux de la France : 6 232 pour l'Espagne, 7 659 en
Italie du nord, 1 400 au Portugal, 1 400 aux Pays-Bas, et
de 3 000 à 7 000 en Allemagne.
M. Jean-François Mattei
a ensuite observé que la crise de
la canicule avait mis en évidence une crise structurelle sous-jacente
concernant l'alerte dans notre système de veille sanitaire, la
permanence des soins et les services d'urgence, ainsi que la prise en charge
des personnes âgées.
Il a ainsi relevé qu'il y avait eu un manque d'anticipation qui avait
été reconnu par M. Gilles Brücker, directeur
général de l'Institut de veille sanitaire. Il a noté que
le Professeur Abenhaïm l'avait également reconnu, mais qu'il
en avait tiré d'autres conclusions, ce qu'il regrettait. Il a
indiqué que l'ampleur des défaillances signifiait que les
systèmes étaient en cause, et non les individus. Il a ainsi
rappelé que la France était un pays tempéré et a
relevé que la sécheresse de 1976 avait entraîné
6 000 décès en surnombre qui étaient
passés totalement inaperçus. Il a de même observé
qu'aucune conclusion n'avait été tirée au plan national de
la canicule de 1983 intervenue à Marseille et que la chaleur n'avait pas
constitué un thème de réflexion au moment de la discussion
de la loi relative à la veille sanitaire en 1998. Il a souligné
que le contrat d'objectifs et de moyens de l'Institut de veille sanitaire ne
comportait rien sur la température et que, lorsqu'en 2003, la direction
générale de la santé avait, dans le cadre de la
préparation du projet de loi relatif à la politique de
santé publique, sollicité 140 experts pour définir
cent objectifs de santé publique, aucun d'eux ne s'était
inquiété de la canicule.
Après avoir noté que le CDC d'Atlanta avait fait valoir que les
personnes étaient toujours prises au dépourvu la première
fois qu'un événement de ce type se produisait,
M. Jean-François Mattei
a observé que notre
système administratif cloisonné était resté
inopérant, aucune information ne venant ni du haut, ni du bas. Il a
remarqué que les cas isolés de décès par
hyperthermie n'avaient jamais été perçus comme tels et
s'est interrogé sur les acteurs qui auraient pu donner l'alerte. Il a
relevé que, à l'exception du Centre hospitalier intercommunal
(CHIC) de Créteil, aucun hôpital n'avait déclenché
le plan « blanc » et que les agences régionales de
l'hospitalisation n'avaient pas signalé de problèmes majeurs, pas
plus que les directions régionales et départementales des
affaires sanitaires et sociales (DRASS et DDASS).
Il a ajouté que les directeurs d'institutions de retraite ne
contactaient pas les DDASS quand le nombre de décès au cours
d'une semaine passait de deux à trois ou de trois à cinq, alors
qu'une telle augmentation avait un effet important sur l'ensemble du nombre de
décès. De même, il a noté qu'aucun maire et qu'aucun
président de conseil général n'avaient alerté qui
que ce soit.
M. Jean-François Mattei
a ensuite relevé que les
médecins libéraux avaient été présents de la
même manière que l'année précédente, mais
avaient été moins sollicités par les personnes de plus de
75 ans et qu'ils n'avaient pas donné l'alerte, pas plus que SOS
Médecins, les services de la sécurité civile ou le Samu.
Il a précisé que la longueur du traitement des certificats de
décès n'avait pas non plus permis d'avoir rapidement une vue
précise de la situation.
Il a indiqué que M. William Dab, alors conseiller technique en
charge des questions de santé publique au sein de son cabinet, avait
envisagé le 6 août les effets possibles de la chaleur mais
qu'il l'avait fait sur la base de connaissances théoriques et
bibliographiques, sans percevoir la réalité de la situation. Il a
relevé qu'il en était de même pour M. Yves Coquin,
chef de service à la direction générale de la
santé, qui se fondait sur des schémas classiques lorsqu'il
évoquait quelques centaines de morts. Il a reconnu que la communication
avait été « décalée » et que
des erreurs avaient été commises, mais que dans les circonstances
d'alors il ne voyait pas ce qui aurait pu changer, 8 000 personnes
étant déjà décédées le
11 août, alors que personne ne le savait. Il a précisé
qu'il était intervenu le 11 août à la
télévision sur la base des éléments dont on l'avait
informé une demi-heure auparavant. Se référant à
son rapport d'information relatif à la crise de la vache folle en 1996,
il a rappelé qu'il avait suggéré de créer un
Institut des hautes études de gestion de crise sur le modèle de
l'Institut des hautes études de la défense nationale.
Il a ensuite indiqué que les leçons de la crise avaient
été tirées et qu'il était dorénavant
tourné vers l'action. Il a souligné qu'il avait, dès son
arrivée au ministère de la santé, souhaité
déposer un projet de loi relatif à la santé publique et
mettre en place une cellule de réflexion sur les urgences, qui s'est
traduite par la publication d'une circulaire en avril et l'annonce d'un plan
« urgences » au mois de septembre.
Il a également fait part de la nécessité de revoir le
dispositif d'alerte. Après avoir indiqué que l'Institut de veille
sanitaire avait fourni un travail remarquable à l'occasion de
l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère
(SRAS) et d'autres problèmes comme la méningite ou la
légionellose, il a relevé que diverses mesures avaient
été prises. Il a ainsi indiqué que l'Institut fournissait
dorénavant au ministère un bulletin quotidien des alertes, ce qui
avait permis une réaction dans les vingt-quatre heures,
lorsqu'étaient apparus des cas de bronchiolite. Il a souligné que
l'Institut devrait disposer de capteurs pertinents auprès des urgences,
de SOS médecins, de la sécurité civile et des pompiers. Il
a ajouté que ses missions devraient inclure une approche
populationnelle, et non pas s'en tenir à une approche par pathologie.
Il a ensuite souligné l'importance de l'informatisation des certificats
de décès, qui permettrait de surveiller l'évolution de la
mortalité en temps réel, et fait valoir que la direction
générale de la santé travaillait à
l'élaboration d'un plan d'alerte et de gestion des crises qui devrait
prendre en compte l'aspect géographique.
Puis il a indiqué que le plan « urgences »
répondait à certains problèmes apparus au cours de la
crise. Il a mis l'accent sur la situation des hôpitaux disposant de
services d'urgences et souligné la nécessité de
généraliser les équipes mobiles de gériatrie et de
créer 15 000 lits de suite en cinq ans. Enfin, il a
indiqué que le plan « dépendance et
solidarité » apportait également des réponses
aux problèmes rencontrés au cours de la crise de la canicule.
Un large débat s'est alors instauré.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a souhaité
connaître l'organisation du cabinet du ministre et les personnes
présentes au cours du mois d'août. Elle a souhaité savoir
si la transmission des dossiers s'était opérée de
manière satisfaisante entre les personnes prenant leurs congés et
celles revenant de vacances.
Elle a ensuite relevé que la communication entre la direction
générale de la santé et la direction de l'hospitalisation
et de l'organisation des soins avait été assez faible au cours de
cette crise et s'est interrogée sur les cloisonnements administratifs et
les mesures envisagées pour pallier ces problèmes.
Puis elle a observé que, lors de son audition devant la mission
d'information, le Dr Pelloux avait relevé que la crise de la
canicule avait mis en évidence le caractère
« inadapté et dépassé » des structures
du ministère de la santé et s'était montré critique
envers la direction générale de la santé. Elle a ainsi
souhaité savoir si des réformes de structures étaient
envisagées.
Elle a enfin désiré connaître l'impact de
« l'effet retard » et savoir si le nombre de
décès résultant de complications ultérieures
à la période circonscrite de la canicule était aujourd'hui
évalué.
M. Jean-François Mattei
a indiqué qu'il avait choisi tous
ses collaborateurs pour leurs qualités et que ceux-ci avaient toute sa
confiance. Il s'est interrogé sur le rôle des cabinets
ministériels en se demandant si un cabinet devait être la
reproduction des administrations centrales. Il a précisé que son
cabinet avait été structuré pour couvrir l'ensemble des
champs de compétences du ministère, en notant que le pôle
santé publique était au moment de la canicule dirigé par
M. William Dab. Il a ajouté que celui-ci était parti en vacances
le 8 août au soir et qu'il lui avait indiqué que son souci
numéro un était à ce moment l'épidémie de
légionellose à Montpellier. Il a précisé que la
permanence au cabinet avait été assurée les 9 et 10
août par M. Cédric Grouchka, médecin de santé
publique, qui avait qualifié le dimanche de « journée
blanche ».
Il a ajouté que Mme Crémieux, conseillère technique au
pôle santé publique et sécurité sanitaire au sein de
son cabinet, s'était entretenue avec les équipes de la direction
générale de la santé le 11 août et qu'elle
s'était sentie suffisamment rassurée pour s'en aller et revenir
le mercredi.
Il a ensuite relevé que Mme Anne Bolot-Gittler, directrice adjointe de
son cabinet, était rentrée de vacances le lundi 11 août et
qu'elle s'était immédiatement saisie de cette question parce que
lui-même l'avait appelée pour avoir des informations et qu'elle
avait été contactée par M. Patrick Pelloux. Il a
noté que le mail de la direction générale de la
santé, envoyé le matin, indiquait que la situation était
maîtrisée.
Il a souligné que le rôle d'un cabinet était d'être
l'interface entre l'administration et le ministre et que son cabinet avait
joué son rôle.
Après avoir indiqué qu'il s'était rendu à Bordeaux
et à Paris le 13 août, il a reconnu que les relations entre la
direction générale de la santé et la direction de
l'hospitalisation et de l'organisation des soins n'étaient pas
« au beau fixe », mais que la situation était
rentrée dans l'ordre avec le changement de directeur
général de la santé. Il s'est toutefois demandé si
une meilleure communication entre les deux directions auraient changé
quelque chose et a relevé que les hôpitaux avaient fait face
à la situation.
Il a estimé que M. Patrick Pelloux, qui s'exprimait souvent mais n'avait
pas toujours raison, n'adoptait pas la méthode de communication la plus
efficace.
Il a ensuite indiqué que l'hypothèse d'une sous-mortalité
du printemps, avec des décès qui seraient intervenus plus tard,
ou d'une anticipation des décès due à la chaleur, avait
été évoquée dès le mois d'août. Il a
précisé que les données chiffrées relatives
à « l'effet retard » lié à la canicule
n'étaient pas encore totalement disponibles et qu'il faudrait attendre
deux ou trois mois pour disposer des données définitives. Il a
toutefois indiqué que le mois de septembre avait été
marqué par un retour à la normale, sans sous-mortalité
évidente.
Puis il a fait part de la difficulté qu'il avait rencontrée
à réagir au moment de la crise dans la mesure où le
chiffre de 3 000 morts, qui avait été évoqué
sur la base des estimations des pompes funèbres, n'avait fait l'objet
d'aucune validation et qu'aucun chiffre officiel n'avait été
publié à ce moment, ce qui avait conduit le Premier ministre
à demander la mise en place de la mission menée par MM.
Hémon et Jougla.
M. Jacques Pelletier, président
, a indiqué qu'il
partageait l'avis du ministre sur les cabinets ministériels, qui ne
devaient être ni des doublons, ni des écrans.
M. François Fortassin
a indiqué que si la mission ne
recherchait pas de boucs émissaires, certaines responsabilités ne
devaient pas être éludées. Il s'est interrogé sur
l'efficacité de notre système de santé et a indiqué
que la population pouvait avoir eu le sentiment d'une volonté de ne pas
dévoiler certains éléments afin d'éviter un
affolement. Il a relevé que, dès les premiers jours d'août,
certains médias avaient alerté sur les risques liés
à la canicule et que les problèmes avaient été
accentués au cours de la crise en raison de l'organisation des vacances.
Il a enfin indiqué qu'il ne pouvait que croire le ministre lorsque
celui-ci dit ne pas avoir été alerté.
M. Jean-François Mattei
a fait observer que la France disposait
d'un des meilleurs systèmes de santé du monde pour les soins,
mais pas pour la prévention, la sécurité sanitaire et la
santé publique, domaines dans lesquels elle reste en retard.
Il a ensuite rappelé que le premier chiffre sur le nombre de morts avait
été communiqué le 13 août à partir des
données des pompes funèbres et s'élevait
à 3 000 décès. Il a précisé
qu'il s'était montré particulièrement transparent puisque
France 2 avait été conviée à la réunion qui
s'est tenue le 13 août à son cabinet. Il a ensuite indiqué
qu'il avait parlé le 14 août au matin de véritable
épidémie, mais s'était montré prudent sur les
chiffres, de même que M. Lucien Abenhaïm dans l'interview
publiée dans
Le Monde
du 15 août. Il a ajouté que
l'Institut de veille sanitaire n'avait fourni aucun chiffre jusqu'au 17
août et que, dans ces conditions, il ne pouvait annoncer de chiffre
officiel.
Il a ensuite fait part des difficultés de communiquer et de faire passer
certaines préconisations simples pour se protéger de la chaleur,
celles-ci ne suscitant pas nécessairement l'intérêt des
médias.
Il a ensuite réaffirmé qu'aucune information n'était
remontée du terrain et relevé que le plan blanc n'avait
été déclenché qu'en Ile-de-France. Revenant
à la situation des médecins libéraux, il a noté que
ceux-ci n'étaient pas plus partis en vacances cette année que les
années précédentes mais qu'ils avaient été
très peu sollicités, ainsi que le montrait une étude de la
caisse nationale d'assurance maladie, confirmée par le rapport de la
mission de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS)
relatif à la permanence des soins libéraux durant
l'été 2003. Il a relevé que les établissements
accueillant des personnes âgées n'avaient pas non plus transmis
d'informations au ministère et a rappelé les propos tenus par
M. Pascal Champvert devant la commission d'enquête de
l'Assemblée nationale, celui-ci ayant indiqué que si les
directeurs d'établissement devaient contacter le ministère
dès qu'un problème se posait, le standard en serait rapidement
saturé. Enfin, il a estimé que la rotation des personnels au
cours des vacances d'été ne semblait pas constituer un
problème.
M. Gilbert Chabroux
a estimé que la situation était
complexe et qu'il n'était pas dans ses intentions de rechercher des
responsabilités individuelles. Il s'est ensuite demandé s'il n'y
avait pas eu une tendance de certains milieux, voire une volonté
délibérée, de minimiser l'étendue de la crise. Puis
il a souhaité savoir quelles solutions seraient apportées d'ici
l'été prochain et si la climatisation des hôpitaux et des
maisons de retraite constituait la solution pertinente à la canicule.
M. Jean-François Mattei
a tout d'abord affirmé que le
gouvernement et lui-même n'avaient jamais cherché à
minimiser la situation. Il a ensuite indiqué que différentes
mesures avaient été, ou seraient prises, pour l'été
prochain. Il a ainsi relevé que l'Institut de veille sanitaire mettait
en place un système d'alerte fondé sur des indicateurs
météorologiques, dans le cadre d'une coopération avec
Météo-France, et fait part des observations des
spécialistes du CDC d'Atlanta, qui avaient indiqué qu'il
n'était pas possible de donner une alerte générale pour
l'ensemble du territoire, mais qu'il fallait tenir compte des facteurs
géographiques.
Il a ensuite estimé que la climatisation constituait la meilleure des
préventions, mais qu'il n'était pas nécessaire de placer
les personnes âgées dans une pièce climatisée en
permanence, dans la mesure où deux à quatre heures par jour
étaient suffisantes pour leur permettre de récupérer de la
chaleur. Il a ainsi indiqué qu'il envisageait de rendre obligatoire
l'existence d'une salle commune climatisée dans chaque maison de
retraite. Il s'est toutefois montré plus réservé dans le
cas des hôpitaux et indiqué qu'il attendait l'avis d'experts, la
climatisation pouvant présenter des risques d'infections.
Puis il a indiqué qu'il avait chargé la direction
générale de la santé d'établir un plan d'alerte et
de gestion de crise en liaison avec le terrain, et en particulier avec les
communes et les établissements publics de coopération
intercommmunale, afin de disposer de listes de personnes âgées. Il
a ensuite affirmé qu'il ne fallait pas cultiver la
déresponsabilisation et s'est dit stupéfait par le nombre de
décès intervenus dans les maisons de retraite, dans lesquelles
les personnes âgées sont prises en charge par des personnes
qualifiées.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait part des
déplacements de la mission d'information et a observé que les
maisons de retraite, dans lesquelles les directeurs et le personnel avaient
pris les mesures adaptées, n'avaient pas connu, ou peu, de
décès supplémentaires.
Mme Monique Papon
a relevé la qualité du système de
soins en France mais s'est interrogée sur la permanence des soins des
médecins libéraux et les services d'urgence. Elle a
souhaité obtenir des précisions sur le plan
« urgences », ainsi que sur les moyens d'informer la
population à propos des gardes assurées par les médecins
généralistes afin d'éviter un engorgement des urgences.
Elle a enfin désiré savoir si la mise en cause des
médecins libéraux apparue après la crise était
justifiée et s'est interrogée sur les moyens de rétablir
le dialogue avec ces médecins, observant que certains d'entre eux
trouvaient insuffisant le forfait attribué pour les permanences.
M. Adrien Gouteyron
s'est félicité que les propos du
ministre confirment les informations qu'il avait recueillies il y a quelques
mois, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, au
cours de son contrôle sur pièces et sur place mené à
l'Institut de veille sanitaire, la direction générale de la
santé, la direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins
et la direction générale de l'action sociale.
Il a attiré l'attention du ministre sur la nécessité de ne
pas sous-estimer l'importance de la coordination entre les différentes
directions du ministère, entre les ministères et entre les
agences de sécurité sanitaire et le ministère de la
santé, coordination qui avait été défaillante au
cours de cette crise. Il a ainsi souhaité savoir quelle action serait
menée pour améliorer la circulation de l'information entre les
différents acteurs et leur coordination.
Il a ensuite estimé que le système de garde en vigueur à
l'Institut de veille sanitaire était sommaire et a désiré
obtenir des précisions sur le nombre de décès au cours des
mois qui ont suivi la période de canicule, afin de pouvoir prendre la
mesure exacte du phénomène.
M. Paul Girod
a rappelé qu'un grand nombre de décès
intervenaient chaque mois en France, ce qui avait pu masquer l'importance du
phénomène et devait être pris en considération.
M. Jean-François Mattei
a précisé que, en moyenne,
48 000 décès survenaient chaque mois.
M. Paul Girod
a regretté que la prévention n'occupe pas
une place plus importante en France, observant qu'il s'agissait d'un
problème général, d'une culture consistant à ne pas
prendre suffisamment en considération les dangers potentiels. Il a
ensuite souhaité obtenir des précisions sur le nombre de
décès de personnes isolées, lesquelles se trouvaient
essentiellement en Ile-de-France, estimant qu'il s'agissait d'un
problème de société.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a estimé que la crise de
l'année 2003 resterait dans les mémoires pour le nombre de
morts et la dilution des responsabilités.
Il a souhaité savoir comment était organisée la
répartition des compétences entre le ministère de la
santé, le secrétariat d'Etat aux personnes âgées et
le ministère des affaires sociales. Il a ensuite relevé que les
agences régionales de l'hospitalisation (ARH) avaient fait l'objet
d'observations devant la mission d'information et désiré avoir
des précisions sur l'articulation entre les ARH et les préfets.
Il a ainsi souhaité connaître les évolutions possibles du
rôle des ARH.
Enfin, il a remarqué que la population s'adressait de plus en plus
directement aux urgences et s'est interrogé sur les conclusions qu'il
fallait en tirer.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, s'est associée
à M. Hilaire Flandre à propos de l'évolution des ARH et
relevé que M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la
sécurité intérieure et des libertés locales, avait
insisté sur ce point devant la mission d'information. Après avoir
remarqué que certains messages de prévention étaient
difficilement lisibles, elle a souhaité connaître les orientations
du ministre en matière de communication et relevé la
difficulté à ne pas banaliser les alertes. Enfin, elle a
noté que les maisons de retraite étaient souvent, du fait de leur
architecture, structurellement inadaptées à la chaleur et a
estimé que des consignes devraient être données à
l'avenir.
Mme Gisèle Gautier
a remercié le ministre pour son
intervention et regretté que sa responsabilité ait
été mise en cause, alors qu'elle n'aurait pas dû
l'être. Elle a estimé nécessaire de mener des
réformes structurelles et souligné l'importance de la
communication et de la formation du personnel, observant que la crise de la
canicule avait fait apparaître un manque de réactivité.
Elle a enfin estimé qu'il conviendrait d'accroître la coordination
des différentes administrations compétentes en matière de
santé aux différents échelons départementaux,
régionaux et nationaux, l'organisation administrative s'apparentant
à un jeu de « poupées russes ».
M. Jacques Pelletier, président
, a remarqué que certaines
régions connaissaient une pénurie de médecins et a
estimé qu'il faudrait relever le numerus clausus. Il s'est
demandé pourquoi les médecins libéraux n'avaient pas
été davantage sollicités au cours de la crise.
Répondant à Mme Monique Papon,
M. Jean-François
Mattei
a observé que les services d'urgence avaient changé de
nature au cours des quinze dernières années et qu'ils
étaient de plus en plus sollicités, notamment du fait d'une
certaine pénurie médicale et de la modification des modes de vie,
qui rendaient les médecins moins disponibles. Il a estimé que les
urgences étaient victimes de leur succès.
Il a affirmé que les urgences, qui étaient le reflet de notre
société, constituaient une activité médicale
à part entière, et aussi noble que les autres, et a
indiqué qu'elles devaient contracter avec les services et
établissements d'aval, susceptibles d'accueillir les patients.
Il a indiqué que le plan « urgences » comportait des
mesures concernant toute la chaîne des urgences, depuis l'amont
jusqu'à l'aval. Concernant l'aval, il a indiqué qu'un grand
nombre de lits de suite seraient nécessaires. Il a déclaré
qu'il n'était pas convaincu de la nécessité de fermer des
hôpitaux mais qu'il fallait les adapter. Il a ensuite mis l'accent sur
l'accueil à l'hôpital et estimé nécessaire de
trouver les moyens pour que le personnel travaillant dans les services
d'urgence soit mieux considéré. Il a ainsi fait part de son
souhait de créer une spécialité
« urgences » et une spécialité
« gériatrie », observant que le travail
auprès des personnes très âgées n'était pas
forcément la spécialité qui attirait le plus.
En amont des services d'urgence, il a rappelé que les médecins
libéraux, en conflit avec les caisses de sécurité sociale,
avaient fait sept mois de grève et qu'ils recherchaient une meilleure
qualité de vie. Il a indiqué que les médecins
libéraux avaient accepté d'assurer les permanences sur la base du
volontariat, en précisant que trois systèmes pouvaient être
envisagés :
- un système de permanences avec astreinte : il a
rappelé que deux décrets et une circulaire avaient
été pris à cet effet et indiqué que les
médecins demandaient 50 euros d'indemnisation de base ainsi que le
paiement des actes ;
- une corégulation dans les centres 15 entre les urgentistes et les
médecins libéraux : il a indiqué que les discussions
financières étaient difficiles, les médecins
libéraux souhaitant un forfait de 60 euros par heure ;
- la création de maisons médicales de garde à
l'entrée de l'hôpital : une quarantaine d'entre elles
fonctionnent déjà et une centaine sont en projet.
Affirmant que le système de permanence des soins serait remis sur pied,
il a précisé que le plan « urgences »
représentait une dépense de 480 millions d'euros sur
cinq ans.
Répondant ensuite à M. Adrien Gouteyron, il a indiqué
qu'il s'efforçait d'accroître la coordination entre les
différentes directions de son ministère et entre les agences et
les directions. Il a à cet égard rappelé que l'Institut de
veille sanitaire était placé sous la tutelle de la direction
générale de la santé, que la coordination entre les
ministères avait également été accrue et qu'il
recevait dorénavant tous les jours le relevé d'intervention des
sapeurs-pompiers. Il a toutefois indiqué que le système de tri
d'informations n'était pas encore totalement réglé.
Il a reconnu que le système de garde en vigueur à l'Institut de
veille sanitaire était faible et qu'il conviendrait de le renforcer et
a, par ailleurs, indiqué que les résultats relatifs à la
mortalité globale de l'année 2003 ne seraient connus que dans
deux à trois mois.
Puis il a rejoint les propos de M. Paul Girod sur l'appréhension du
nombre de décès au regard des chiffres quotidiens de la
mortalité, en indiquant que la canicule avait essentiellement
touché les personnes isolées en région parisienne et qu'il
fallait également prendre en considération l'urbanisation et la
pollution. Il a également reconnu que des erreurs architecturales
avaient été commises.
Puis il a fait part de la difficulté de communiquer en matière de
prévention et de la nécessité de hiérarchiser les
alertes.
Il a ensuite précisé que les personnes âgées en
institution étaient du ressort du ministère des affaires sociales
et du secrétariat d'Etat aux personnes âgées, tandis que
les personnes âgées à l'hôpital étaient du
ressort du ministère de la santé. Concernant les relations avec
le ministère de l'intérieur, il a observé que les
échanges n'avaient pas été institutionnalisés au
moment de la crise et que le ministère de l'intérieur avait
lui-même tardivement réagi.
Il a ensuite rappelé le contexte de création des ARH en 1996 et a
exclu qu'un préfet puisse avoir autorité sur l'ARH. Il a
précisé qu'en cas de crise sanitaire, le préfet
était responsable du déclenchement du « plan
blanc », dès lors que deux hôpitaux étaient
concernés.
Répondant à Mme Gisèle Gautier, il a indiqué qu'il
y avait un besoin de formation des personnels, mais également un besoin
de rétablir le lien social et que les personnes isolées avaient
été plus souvent atteintes par la canicule.
Enfin, il a indiqué que le numerus clausus était
passé de 4 700 à 5 600 au cours des deux
dernières années et qu'il serait porté à 6 000
l'an prochain, mais il a observé que la formation des personnels de
santé était nécessairement longue. Il a ajouté que
des zones sous-médicalisées seraient délimitées et
que des aides incitatives de l'Etat, des collectivités territoriales et
de l'assurance-maladie seraient envisagées afin d'essayer de
répondre à la pénurie de médecins.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié le ministre
pour son intervention très complète et très directe, en
soulignant son importance pour le rapport que la mission commune d'information
sera prochainement amenée à présenter.
Audition de Mme Rose-Marie Van LERBERGHE,
directrice
générale de l'Assistance Publique-Hôpitaux de
Paris
(7 janvier 2004)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission a d'abord procédé à
l'audition
de
Mme
Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l'Assistance
Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP)
.
Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information
commune du Sénat consistait, non pas à conduire une
« chasse aux sorcières », mais à comprendre
ce qui s'était passé lors de la canicule et à en
dégager des conclusions pour l'avenir,
M. Jacques Pelletier,
président
, a invité Mme Rose-Marie Van Lerberghe à
présenter son récit de la crise et à exposer les
enseignements qui devraient, à ses yeux, en être tirés.
Au préalable,
Mme Rose-Marie Van Lerberghe
a tenu à
souligner que le drame humain de l'été dernier, survenu avec une
brutalité inouïe, l'avait profondément marquée et
qu'elle avait été bouleversée par ce qu'elle avait alors
découvert à l'occasion de ses déplacements dans les
différents établissements de l'AP-HP.
Revenant sur la chronologie des événements, elle a rappelé
que la perspective d'une crise sanitaire liée au phénomène
d'hyperthermie n'avait jamais été préalablement
envisagée en France, comme l'atteste d'ailleurs l'exemple des nombreux
patients hospitalisés au début du mois d'août, sur la base
de prescriptions médicales destinées à lutter contre des
infections et une forte fièvre, ou bien encore le fait qu'aucune crainte
relative aux fortes chaleurs n'avait été mentionnée lors
de la réunion de la cellule de veille de l'AP-HP du 5 août 2003.
Elle a considéré, d'une façon générale,
qu'il avait été très difficile pour les décideurs
publics de se rendre compte de ce qui se passait, que cette mauvaise
appréciation de la réalité des choses avait
malheureusement été générale et que celle-ci
expliquait le retard initial pris dans la gestion de la crise.
Elle a également rendu hommage à l'action de M. Pierre Carli,
directeur du Samu de Paris qui, devant l'accumulation de signes laissant
craindre l'apparition d'une crise, a immédiatement effectué des
recherches au cours de la nuit du jeudi 7 août dans la littérature
scientifique disponible sur la canicule survenue à Chicago en 1995. Elle
a précisé que, grâce à cette initiative, ses
services avaient pu préparer, dès le vendredi 8 août au
matin, un protocole de soins destiné à prévenir et faire
face à l'hyperthermie, et que ce document avait été
adressé aux hôpitaux de l'AP-HP comme aux maisons de retraite,
tandis que le secrétaire général préconisait, pour
sa part, des mesures du même type que celles du plan blanc.
Mme Rose-Marie Van Lerberghe
a indiqué qu'elle s'était
rendue en compagnie de M. Pierre Carli, le soir du dimanche 10 août, dans
les services d'urgence de trois hôpitaux parisiens, pour se rendre compte
concrètement de la situation, et qu'elle avait alors ressenti un choc en
découvrant un grand nombre de personnes âgées
dénudées sur des brancards dans les couloirs, et perçu
à quel point le personnel soignant devait surmonter son émotion
pour faire face à une situation dramatique.
Elle a salué le dévouement de l'ensemble des personnels de
l'AP-HP qui avaient mobilisé tous leurs efforts pour venir en aide aux
patients affluant aux urgences. Elle a également remercié ses
services pour avoir pris des initiatives, comme par exemple les personnels
administratifs qui ont, de leur propre chef, recherché tous les
ventilateurs de leurs bureaux pour les installer aux urgences. Elle a
également insisté sur les nombreux cas de personnes
rentrées spontanément de congés.
Mme Rose-Marie Van Lerberghe
a ensuite exposé les quatre
enseignements principaux qui peuvent être tirés de la crise de la
canicule : réorganiser le système d'alerte, prendre en compte le
risque d'hyperthermie dans la conception même des bâtiments,
améliorer la mise en oeuvre de la fermeture des lits pendant la
période estivale et réfléchir à l'effort à
fournir pour faire face au vieillissement de la population.
Elle a insisté, au préalable, sur la nécessité de
ne pas limiter le champ de l'analyse à la seule canicule, afin
d'envisager plus largement les capacités de riposte de l'hôpital
face aux situations exceptionnelles de crise. Elle a ainsi indiqué,
qu'au début de l'année 2003, ses services avaient
particulièrement étudié le risque d'inondation, mais que
l'AP-HP pourrait aussi bien se trouver confrontée à une
épidémie de bronchiolite ou simplement aux conséquences de
la grippe pour la disponibilité du personnel. Rappelant qu'elle avait
réuni, dès le 2 septembre, les responsables des
établissements pour engager une réflexion sur les enseignements
à tirer de la canicule, elle a précisé que l'AP-HP avait
constitué quatre groupes de travail, afin de savoir, à l'avenir,
mieux faire face à l'imprévu.
S'agissant des améliorations à prévoir au niveau de
l'alerte, elle a observé que les relations avec la préfecture de
police de Paris avaient été déjà renforcées
et que l'AP-HP disposait aujourd'hui d'une liaison efficace. Elle a
mentionné l'exemple de la gestion de l'épidémie de
bronchiolite de la fin de l'année 2003 pour illustrer le rôle des
cellules de veille et l'importance de savoir, en permanence, adapter les moyens
disponibles à l'évolution de la situation. Elle a
précisé que ses services disposaient en fait d'une grande
variété de possibilités d'intervention, qui allaient de la
simple mise en commun des moyens jusqu' à la déprogrammation des
actes médicaux destinées à libérer des lits en
urgence.
Elle a considéré, en second lieu, qu'il conviendra aussi,
à l'avenir, de prendre en compte les enseignements de la canicule dans
la construction des futurs hôpitaux et des maisons de retraite, en
évitant en particulier les grandes surfaces vitrées. Elle a
jugé que le développement systématique de la climatisation
ne constituait pas, pour autant, la solution permettant de résoudre
toutes les difficultés rencontrées, dans la mesure où la
généralisation de ces installations serait de nature à
poser d'autres problèmes, à commencer par le risque de
légionellose. Elle a plutôt préconisé la mise en
place, au minimum, d'une salle climatisée.
Mme Rose-Marie Van Lerberghe
a estimé, en troisième lieu,
qu'il convenait de repenser la planification des fermetures de lits
l'été dans les établissements hospitaliers, tout en
reconnaissant la grande complexité de cette tâche. Elle a tout
d'abord considéré que le personnel, en raison de son
dévouement et de sa disponibilité, méritait pleinement ses
vacances, et que la question posée conduisait plutôt à se
demander quels étaient les secteurs prioritaires, dans la mesure
où des fermetures étaient de toute façon
inévitables. Elle a observé qu'il convenait ainsi de donner la
priorité absolue, pendant la période estivale, aux urgences,
à la réanimation et aux soins d'aval, tout en convenant que
l'absence de polyvalence du personnel à l'intérieur de
l'hôpital rendait les transferts entre services difficilement
réalisables en pratique.
Elle a enfin insisté sur la nécessité de tirer toutes les
conséquences du vieillissement de la population française qui
appelle un effort de grande ampleur. Elle a ainsi rappelé qu'une
personne âgée de plus de 75 ans sur deux sera bientôt
hospitalisée chaque année. Elle a également noté
que les établissements de l'AP-HP qui n'ont enregistré aucun
décès lors de la crise de la canicule, ont obtenu ce
résultat grâce à des moyens humains supérieurs
à ceux des maisons de retraite et en raison d'une mobilisation
exceptionnelle : il a fallu pour cela prendre quatre fois par jour la
température des patients et placer systématiquement sous
perfusion ceux atteignant 38 degrés. Elle a indiqué, par
ailleurs, que l'organisation de l'hôpital en diverses
spécialités s'avérait inadaptée pour les nombreuses
personnes âgées souffrant de plusieurs pathologies et qu'il
convenait de prévoir une unité de soins gériatriques par
établissement.
Un large débat s'est alors instauré.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a remercié Mme
Rose-Marie Van Lerberghe pour la richesse de son intervention et a
déclaré partager ses préoccupations, tant en
matière d'organisation des lits d'aval, que de planification des
fermetures estivales de lits et de révision d'ensemble de la
filière gériatrique. Elle a demandé à
Mme Rose-Marie Van Lerberghe son sentiment sur les déclarations de
M. Patrick Pelloux soulignant l'insuffisance des moyens des services
d'urgence. Elle a également estimé que la nécessité
de promouvoir la gériatrie concernait autant le personnel médical
que les infirmières. Elle s'est également interrogée,
d'une part, sur la polémique portant sur le nombre des médecins
libéraux partis en congés lors de la crise et, d'autre part, sur
la forte concentration des départs en vacances du personnel hospitalier
pendant les deux premières semaines du mois d'août.
Mme Rose-Marie Van Lerberghe
a tout d'abord estimé que les
médecins libéraux n'avaient probablement pas été
contactés par les patients, qui se seraient plutôt
spontanément adressés aux services d'urgences des hôpitaux.
Au-delà de la crise de la canicule, elle a jugé que le
développement du recours aux urgences, en lieu et place de la
médecine de proximité, y compris en cas d'affection
bénigne, représentait une tendance de fond et qu'il serait
impossible de lutter contre ce nouveau type de comportement de la population.
Évoquant l'expérience conduite actuellement à
l'hôpital Robert Debré, elle a indiqué qu'une solution
pourrait consister, à l'intérieur même de l'enceinte
hospitalière, à associer aux urgences une structure regroupant
des médecins généralistes pour prendre en charge les
consultations les moins graves.
Elle a également regretté le caractère réducteur
des critiques émises par la presse, soulignant la longueur des
délais d'attente aux urgences, qui pourraient aller jusqu'à 8
heures pour une affection bénigne. Elle a jugé qu'il ne
s'agissait pas d'un dysfonctionnement et que la véritable question
consistait à se demander dans quels délais les urgences vitales
étaient traitées. D'une façon générale, elle
a considéré que la crise de la canicule n'avait pas mis en
évidence la nécessité d'accroître les moyens des
urgences, mais plutôt ceux des structures de lits d'aval.
Rappelant que l'hôpital était soumis à des variations
très fortes de son activité, elle a insisté sur les
déficiences de la gestion des ressources humaines et sur le peu de
souplesse de son organisation, qui ne lui permettaient pas de s'adapter. Elle a
également déploré les conditions de mise en oeuvre des 35
heures et plus particulièrement l'absence de possibilité de
modulation de celles-ci entre les périodes d'hiver et
d'été.
Mme Monique Papon
a estimé que Mme Rose-Marie Van Lerberghe avait
fort justement mis en avant le dévouement des personnels hospitaliers
pendant la crise ainsi que la nécessité de prendre en compte les
enseignements de la canicule dans le domaine de la conception architecturale
des bâtiments. Elle a également noté, qu'outre les
difficultés déjà évoquées, la filière
gériatrique n'était pas perçue comme
« suffisamment noble » et souffrait d'un véritable
problème de reconnaissance.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a considéré que les
structures hospitalières souffraient non seulement de problèmes
architecturaux, mais également de leur localisation en milieu urbain qui
les rendait particulièrement vulnérables aux effets de la
pollution atmosphérique et de la chaleur. Il a par ailleurs jugé
que la longueur des vacances scolaires d'été, devrait normalement
permettre de concilier le besoin de repos du personnel avec les
impératifs de la bonne organisation du service public.
Après avoir salué la qualité de l'intervention de Mme
Rose-Marie Van Lerberghe, dont il a apprécié à la fois la
franchise et le dynamisme,
M. Alain Gournac
a affirmé qu'il
partageait son souci de promouvoir et de rénover la gériatrie en
France.
Mme Rose-Marie Van Lerberghe
a précisé qu'elle attendait
beaucoup, pour revaloriser les métiers de la filière
gériatrique, des nouvelles possibilités de validation des acquis
de l'expérience. S'agissant de la localisation des hôpitaux
évoquée par M. Hilaire Flandre, elle a considéré
que pour n'être souvent pas idéale, elle permettait
néanmoins de faciliter l'accueil et le contact avec les familles des
patients. En ce qui concerne le problème de l'encombrement des urgences,
elle a affirmé que l'expérimentation des centres d'accueil, telle
qu'elle est mise en oeuvre aujourd'hui à l'hôpital Robert
Debré, lui apparaissait comme une solution prometteuse.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié à son
tour Mme Rose-Marie Van Lerberghe pour la qualité de son intervention et
a souligné l'importance, pour préparer l'avenir, de tirer tous
les enseignements de la crise de la canicule.
Audition de MM. William DAB, directeur
général de la santé
et Yves COQUIN, chef de
service
(7 janvier 2004)
La
commission a ensuite procédé à
l'audition
de
M.
William Dab, directeur général de la santé (DGS), et de M.
Yves Coquin, chef de service
.
M. William Dab
a d'abord souligné combien la canicule avait
constitué un événement douloureux pour notre pays, porteur
d'un lourd traumatisme, tant social que sanitaire, et suscitant de graves
interrogations sur la capacité d'un pays développé
à réagir à une telle crise.
Précisant qu'il témoignait en tant que conseiller technique en
charge des problèmes de santé publique auprès du ministre
de la santé, poste qu'il occupait durant la première semaine
d'août, il a ensuite retracé la chronologie de la crise telle
qu'il l'avait vécue :
- le 5 août, il a indiqué avoir pris conscience des risques
sanitaires liés à la canicule, tout en reconnaissant que le sujet
n'avait pas été abordé lors d'une réunion des
services de la direction, celle-ci ayant été consacrée
à l'épidémie de légionellose qui s'était
déclarée à Montpellier ainsi qu'à des cas de
méningite relevés à Saint-Jean-de-Monts, sur la côte
vendéenne ;
- le 6 août, il a déclaré avoir fait le point avec le
sous-directeur en charge des questions de santé environnementale sur
l'épidémie de légionellose, ajoutant lui avoir
donné son accord pour informer la population de la pollution à
l'ozone tout en lui recommandant de préciser les effets de la chaleur
sur la santé. Soulignant qu'il avait été
sensibilisé à la relation entre phénomènes
climatiques et risques de surmortalité lors de ses travaux en tant
qu'épidémiologiste à l'Observatoire régional de
santé à Paris concernant la vague de froid de 1985, qui avait
provoqué 9 000 surdécès, il a indiqué avoir
adressé à la direction générale de la santé
un courrier lui recommandant de communiquer sur les effets sanitaires de la
canicule, tout en convenant avoir agi sur la base de connaissances
théoriques et non pas au vu d'une réalité dont il n'avait
pas alors conscience ;
- le 8 août, il a rappelé que la direction
générale de la santé avait publié un
communiqué de presse, sans encore se rendre compte de l'étendue
de la catastrophe, regrettant qu'il n'ait pas été davantage
repris par les médias alors qu'il évoquait une vague de chaleur
susceptible d'avoir des «
répercussions graves sur la
santé des personnes
» ;
- le 9 août, il a indiqué être parti en vacances
l'esprit tranquille, en ignorant l'existence de 3 800
surdécès, observant que la canicule n'avait jamais
été abordée dans les différents contacts qu'il
avait eus avec le ministre de la santé tout au long de cette semaine. Il
a ajouté avoir informé le responsable du cabinet du ministre de
la santé lors de son départ en vacances des problèmes
liés à l'épidémie de légionellose et lui
avoir mentionné la publication du communiqué du 8
août ;
- le 11 août, il a noté que M. Patrick Pelloux,
président de l'association des médecins urgentistes hospitaliers
de France, avait évoqué une cinquantaine de
surdécès alors qu'en existaient déjà environ
5 000. Déplorant à cet égard qu'une
épidémie de cette ampleur ait pu se développer sans que
les autorités sanitaires ne s'en soient rendues compte, il a reconnu que
les modèles de représentation mis en oeuvre étaient
inadaptés, tout en se demandant dans quelle mesure il aurait
été possible d'anticiper les pics de surmortalité des 11,
12 et 13 août alors que ceux-ci résultaient d'une vague de chaleur
inédite et par conséquent très difficilement
prévisible ;
- le 17 août, il a indiqué avoir été joint sur son
lieu de vacances par le ministre de la santé qui lui a demandé de
se préparer à revenir à son poste, ce qu'il a
déclaré avoir fait le 19 août.
Précisant qu'il témoignait en tant que responsable de la
direction générale de la santé en l'absence de son
titulaire habituel début août,
M. Yves Coquin, chef de service
à la direction générale de la santé
, a
insisté sur le caractère à la fois imprévisible et
silencieux de la canicule, empêchant toute anticipation.
Indiquant avoir reçu des informations sur la pollution à l'ozone
le 4 août, puis un courriel de M. William Dab le 6 août attirant
son attention sur la nécessité de communiquer sur les effets
sanitaires de la canicule, il a précisé avoir perçu les
premiers signaux épidémiologiques de la canicule suite à
deux appels des directions départementales des affaires sanitaires et
sociales (DDASS) du Morbihan et de Paris les 6 et 7 août faisant
état respectivement de trois et un cas de décès
résultant d'hyperthermie. Ajoutant qu'il avait transmis ces
données à l'Institut de veille sanitaire (InVS), il a jugé
qu'il était extrêmement difficile d'interpréter ces signaux
dans la mesure où la France enregistrait environ 1 500
décès par jour en moyenne et du fait que la vague de chaleur
avait débuté dès le mois de juin.
Notant que deux médecins de la DDASS des Hauts-de-Seine et de
l'hôpital de la Pitié-Salpétrière lui avaient fait
part le 8 août d'un nombre anormalement élevé de
décès en institution, il a déclaré avoir pris
contact avec le Samu de Paris, la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et
l'assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) afin de recueillir
des informations, ainsi qu'avec l'InVS pour lui demander de procéder
à des relevés et pour mettre au point un communiqué.
Soulignant que ce dernier, dont il a noté qu'il avait été
élaboré sans connaissance du communiqué de
Météo France du 7 août, avait été très
largement diffusé, tant auprès des DDASS, des préfets, des
administrations et de la presse, il a regretté qu'il n'ait pas
été davantage repris par cette dernière, indiquant qu'il
avait largement insisté sur l'importance de la situation et les
centaines de morts potentiels lors d'une conversation avec un journaliste du
Parisien le 9 août. Affirmant n'avoir obtenu aucune information
particulière de la part de la personne de garde à la direction de
l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) qu'il avait alors
jointe, il a noté avoir répondu à un journaliste de l'AFP
lui signalant l'interview télévisée de Patrick Pelloux ne
pas avoir d'informations particulières à lui transmettre
concernant la canicule.
Rappelant que le courriel qu'il avait transmis le 11 août à la
directrice adjointe du cabinet du ministre de la santé pour l'informer
de la situation et de son évolution chronologique avait fait l'objet de
nombreux commentaires, il a indiqué que le compte rendu d'une
réunion ce même jour à l'AP-HP en présence de la
DHOS et la DRASS Ile-de-France, à laquelle il n'avait pas
participé, n'était pas alarmant, la direction
générale de l'AP-HP ayant estimé qu'elle était en
mesure de faire face à l'afflux de personnes âgées aux
urgences. Il a considéré que la très forte
fréquentation des urgences avait occulté le fait que de
nombreuses personnes décédaient avant d'y parvenir, soit à
domicile, soit en institution. Il a précisé que la journée
du 11 août avait permis de mettre en place un numéro vert
canicule, d'effectuer des recommandations au Samu, d'être informé
par les chambres funéraires de leur saturation et de tenir une
conférence de presse avec la ministre de l'écologie et du
développement durable.
Il a indiqué que la journée du 12 août avait
été marquée par la mise en service du numéro vert
et la formation des personnels y afférents, la tenue d'une
réunion avec EDF pour mettre au point un système de
dérogation sur les rejets d'eau chaude des centrales nucléaires
et une procédure d'alerte sur les risques de délestage pour les
patients à risques, l'élaboration d'un communiqué de
presse avec le ministère de l'intérieur sur les chambres
mortuaires et la participation à l'émission « Le
téléphone sonne », ajoutant avoir rendu compte de ces
diverses mesures au directeur général de la santé.
Il a précisé que s'étaient tenues le 13 août une
nouvelle réunion d'EDF sur la procédure d'alerte concernant les
patients à haut risque en cas de délestage ainsi qu'une
réunion de la DHOS et de l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS) afin
d'éviter toute rupture dans la fourniture par les pharmacies des
produits et instruments permettant d'assurer la perfusion des personnes les
plus fragiles. Reconnaissant avoir alors éprouvé un sentiment
d'impuissance à connaître la réalité de la
situation, il a indiqué avoir effectué des démarches
auprès de la DHOS, de l'AP-HP et des pompes funèbres pour obtenir
des estimations chiffrées et s'être alors rendu compte que le
bilan dépasserait largement un millier de décès. Faisant
état de la réunion de la cellule de crise qui avait eu lieu le
soir, associant la DHOS, la DGS, la direction générale des
affaires sociales (DGAS) et la direction générale de l'AP-HP,
à laquelle avait assisté la presse, il a indiqué que
l'InVS avait à cette occasion avancé le chiffre de 3 000
morts, réévalué depuis à 15 000. Il a
noté pour conclure n'avoir pas reçu d'autres informations ou
signaux provenant d'autres sources.
Un large débat s'est alors engagé.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a interrogé les
intervenants sur les conclusions du rapport Lalande, soulignant que la DGS
s'était « épuisée » à collecter
des informations sans réelle efficacité ; sur les propos
tenus devant la mission par M. Lucien Abenhaïm, directeur
général de la santé durant l'épisode de canicule,
faisant état d'un manque de coordination entre la DGS et l'InVS, mais
aussi avec la DHOS et les directions d'autres ministères ; sur les
propos de M. William Dab lui-même, selon lequel la DGS souffrirait d'une
insuffisance numérique et qualitative en termes de moyens et
éprouverait des difficultés à recruter des personnels
compétents ; ainsi que sur les propos tenus par M. Patrick Pelloux,
estimant que les responsables de la santé publique étaient
excessivement éloignés du terrain.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a demandé aux intervenants
comment il serait possible d'améliorer les capacités de
communication de la DGS, quelle était l'utilité du réseau
d'information d'urgence des médecins de la DGS et quelle avait
été l'utilisation du numéro vert mis en place par celle-ci.
M. Alain Gournac
s'est interrogé sur la réaction des
intervenants face à l'absence de relais médiatique du
communiqué de presse de la DGS, sur les instruments de collecte
d'informations qu'ils utilisent lorsque celles-ci ne sont pas
spontanément transmises par leurs détenteurs et sur l'existence
éventuelle, avant que ne survienne la canicule, de plans d'urgence
permettant de faire face à des risques exceptionnels.
M. Jacques Pelletier, président
, a fait part de sa
perplexité face à l'absence d'émission ou de prise en
compte des signaux d'alerte,
M. Alain Gournac
ajoutant que la vague de
chaleur avait commencé bien avant le mois d'août.
Répondant aux divers intervenants,
M. William Dab
a d'abord
souligné à quel point il était difficile de
déterminer qui pouvait être tenu responsable dans ce type de crise
sanitaire où les responsabilités étaient diluées
entre médecins, établissements de santé,
collectivités, associations, services de l'Etat, agences... Il s'est
félicité à cet égard du fait que le projet de loi
sur la santé publique posait la responsabilité de l'Etat
dès lors que la santé de la population était en cause.
Il a estimé que la répartition des compétences entre la
DGS et l'InVS était claire, le second étant chargé des
investigations épidémiologiques et de l'évaluation des
risques sur le terrain. Reconnaissant que l'InVS ne disposait pas d'outils pour
détecter la crise sanitaire liée à la canicule, il a
considéré qu'elle pourrait les avoir et a indiqué que la
DGS lui avait demandé d'établir un bulletin d'alerte quotidien,
qu'elle publiait désormais depuis le 1er octobre. Rappelant qu'il avait
travaillé il y a une quinzaine d'années à mettre en place
des réseaux d'épidémiologie contre la grippe, il a
jugé qu'il était possible, au vu de cette expérience, de
faire de l'épidémiologie de qualité avec des
données provenant des médecins. Convenant que l'InVS ne disposait
pas de telles données lors de la canicule, il a constaté qu'elle
commençait peu à peu à s'en saisir depuis le mois de
novembre. Il s'est félicité de ce que le projet de loi de
santé publique permettrait la certification des décès et
l'obtention des chiffres quotidiens de mortalité, ajoutant que l'InVS et
l'INSERM bâtissaient un réseau informatisé permettant de
surveiller l'évolution des décès. Il a également
approuvé le fait que le projet prévoie la régionalisation
des missions de santé publique, observant que l'InVS ne pouvait traiter
efficacement au niveau national l'ensemble des signaux d'alerte du fait qu'elle
ne possédait pas les données permettant une interprétation
locale des faits.
Concernant la coordination externe de la DGS, il a reconnu que le
système de décision souffrait de cloisonnements, notamment entre
le secteur des soins et celui de la santé publique, malgré les
tentatives de rapprochement, objet notamment de la future loi de santé
publique. Il a également déploré le cloisonnement existant
entre la médecine de ville et l'hôpital, estimant que le
problème des urgences ne résidait pas en un manque de moyens mais
plutôt en une carence de l'amont. S'agissant de la coordination entre
ministères, il a indiqué avoir obtenu qu'un représentant
de la direction de la sécurité civile soit présent
à la réunion hebdomadaire des responsables des agences sanitaires
et de la DHOS et avoir participé activement à la création
du Conseil national de la sécurité civile.
Il a par ailleurs concédé que n'existait jusqu'alors aucun plan
d'urgence sanitaire portant sur la canicule. Expliquant que les plans d'urgence
(Biotox variole et SRAS) avaient commencé à être
développés en interministériel et en lien avec les
services déconcentrés, les collectivités locales et les
services de Météo France après les attentats du 11
septembre 2001, il a indiqué que 25 de ces plans étaient
aujourd'hui prévus, dont 10 à court terme, concernant des risques
tels que les grands froids, les inondations ou les conséquences des
délestages, et qu'un comité national regroupant la DGAS, la DGS
et la DHOS avait élaboré un tableau renseignant les divers types
de situations exceptionnelles, les populations à risque, les services
devant intervenir et les tâches dont ils devraient se charger.
S'agissant enfin des moyens de la DGS, il a considéré qu'il ne
pouvait pas se prononcer sur leur éventuelle insuffisance, reconnaissant
toutefois qu'une quarantaine de personnes, soit l'effectif d'une
sous-direction, seraient nécessaires pour se consacrer aux crises
sanitaires en actualisant et appliquant les plans d'urgence, indiquant qu'une
demande en ce sens serait adressée prochainement au ministre de la
santé. Il a par ailleurs déclaré que le bureau de l'alerte
serait extrait de la sous-direction à laquelle il appartenait afin
d'améliorer sa réactivité.
Notant que le communiqué de presse du 8 août n'était pas
alarmiste et avait pour objet de donner des conseils pratiques,
M. Yves
Coquin
a indiqué n'avoir cessé durant l'épisode de
canicule de répondre aux questions des journalistes, relevant que
l'alerte avait été reprise dans de nombreux journaux. S'agissant
des plans d'urgence, et précisant qu'une organisation destinée
à les gérer avait été créée en 2000
et modifiée suite aux attentats du 11 septembre 2001, il a
expliqué l'absence de plan canicule par le fait que la trentaine de
plans développés depuis 1997 visaient des pathologies ou des
phénomènes climatiques (cancers, grands froids, inondations,
pollutions...) déjà éprouvés, ce qui n'était
pas le cas de la canicule de cet été, la sécheresse de
1976 ne pouvant lui être comparée.
Audition de M. Claude HURIET,
ancien
sénateur
(7 janvier
2004)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
de
M.
Claude Huriet, ancien sénateur
.
Après avoir souhaité la bienvenue à M. Claude Huriet,
M. Jacques Pelletier, président
, a rappelé que celui-ci
avait été à la pointe du combat mené par le
Sénat pour la sécurité sanitaire, et à l'origine de
la création des diverses agences concernées.
Il lui a ainsi demandé, en sa qualité de rapporteur de la loi du
1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du
contrôle de la sécurité sanitaire des produits
destinés à l'homme, son analyse sur la mise en oeuvre de cette
loi, à la lumière de la crise sanitaire liée à la
canicule de l'été dernier. Il l'a également
interrogé sur la pertinence de la coexistence des six organismes
aujourd'hui chargés d'intervenir dans le domaine de la veille et de la
sécurité sanitaires, cette multiplicité étant
facteur de cloisonnements administratifs : l'Agence française de
sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS),
l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments
(AFSSA), l'Agence française de sécurité sanitaire
environnementale (AFSSE), l'Etablissement français des greffes (EFG),
l'Institut de veille sanitaire (InVS) et l'Agence nationale
d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES).
M. Claude Huriet
a tout d'abord regretté que le Sénat
n'ait pas, à l'occasion de cette crise, rappelé son rôle
majeur et ses prémonitions dans le domaine de la sécurité
sanitaire, dans la mesure où il a été à l'origine
de la loi de 1998.
Il a estimé qu'on ne pouvait imputer à cette dernière les
dysfonctionnements constatés, mais qu'il convenait de rappeler la
responsabilité des autorités de tutelle des organismes
institués par ladite loi.
Il a précisé que ce texte résultait d'une proposition de
loi initiée par le Sénat, sur la base des recommandations
formulées par la mission d'information -présidée par
M. Charles Descours et dont il avait été le rapporteur-
créée par la commission des affaires sociales après une
succession de drames et de crises sanitaires, dont la plus grave avait
concerné le sang contaminé. Cette mission avait
dénoncé la fragilité du système sanitaire
français, ainsi que le caractère illisible et le manque de
cohérence de ce système, le gaspillage des moyens et le
cloisonnement qu'entraînait la multiplicité des organismes (plus
de 50) relevant de divers ministères en charge de ce type de
problèmes, avec des statuts juridiques et des compétences
variées.
M. Claude Huriet
a ensuite rappelé que la loi du 1er juillet 1998
reposait sur trois piliers :
- deux agences compétentes respectivement pour les produits de
santé et les aliments : il s'agit d'outils d'intervention ne
dépossédant pas l'Etat de ses responsabilités ;
- un organisme de veille, l'Institut de veille sanitaire, qui n'a pas
été constitué sous forme d'agence, car il n'a pas vocation
à mener des investigations ou à évaluer les risques.
M. Claude Huriet
a insisté pour que soit rappelée cette
volonté du législateur de créer ainsi une tête de
réseau dans le domaine de la veille sanitaire.
Évoquant ensuite le rapport de la commission des affaires sociales du
Sénat sur la loi de 1998, il a précisé que cette loi
confiait pour mission à l'Institut de veille sanitaire « la
détection et la surveillance de tous les événements,
quelle qu'en soit l'origine, qui sont susceptibles d'affecter la santé
de l'homme ». Il a ainsi souligné le caractère
général des compétences de l'InVS, qui lui permet,
grâce à l'« effet réseau », de
centraliser les signaux en cas d'apparition de faits anormaux isolés et
de les interpréter.
Il a insisté sur le caractère prémonitoire de ce rapport,
qui indiquait qu'«
il doit être du devoir de toute personne
physique ou morale de signaler un événement susceptible
d'affecter la santé de la population
».
S'agissant de la canicule,
M. Claude Huriet
a regretté, en
conséquence, que les sapeurs-pompiers de Paris aient pu être
conduits à s'interroger sur les autorités qu'il convenait
d'informer du caractère anormal de la surmortalité
constatée. Il a estimé que leurs autorités de tutelle
auraient dû, en application de la loi de 1998, organiser la
remontée automatique de telles informations vers l'InVS et la direction
générale de la santé, en regrettant qu'il ait fallu le
drame de cet été pour que les administrations se conforment enfin
à la volonté du législateur.
Il a ensuite rappelé que l'article 7 de la proposition de loi du
Sénat prévoyait la création d'un conseil national de
sécurité sanitaire ; cette structure
interministérielle ne devait pas « dépouiller l'Etat de
ses responsabilités en la matière », mais avait
vocation à coordonner les différentes autorités
chargées de la veille et de la police sanitaires, non seulement pour
gérer les crises, mais aussi et surtout pour les prévenir. Il a
précisé qu'au terme du processus législatif, et à
la demande de l'Assemblée nationale, le Parlement avait
décidé la création d'un comité -et non d'un
conseil-, dont la composition et les attributions étaient
différentes de celles initialement prévues par le Sénat.
Ce comité national est présidé par le ministre
chargé de la santé et permet de rassembler
régulièrement les directeurs des différentes agences et
les directions des ministères concernés.
M. Claude Huriet
a estimé que le dispositif
interministériel prévu par le Sénat aurait permis de
réagir plus rapidement à la canicule.
Il a ensuite attiré l'attention de la mission sur les
« risques de débordement » de l'AFSSE, dont la
création avait résulté d'un difficile compromis politique,
l'Assemblée nationale n'ayant pas retenu le champ de compétences
proposé par le Sénat pour cet organisme (qui comprenait notamment
celles de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques
(INERIS)). Il a cité par ailleurs un article récent du Quotidien
du Médecin qui préconise pour l'AFSSE la rationalisation, autour
de six priorités, du système d'information et d'alerte dans le
domaine de la santé environnementale, ce qui, selon lui, conduirait
à fragiliser l'InVS.
Un débat s'est alors instauré.
Après avoir souligné l'intérêt de cette
intervention,
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a demandé si l'on
pouvait envisager un rapprochement des différentes agences intervenant
dans le domaine de la sécurité sanitaire, afin de réduire
les cloisonnements administratifs. Il a, par ailleurs, sollicité l'avis
de M. Claude Huriet sur le contenu du rapport Lalande concernant le manque
d'anticipation de l'InVS, qui ne lui aurait pas pleinement permis de jouer son
rôle.
M. Alain Gournac
s'est interrogé sur la pertinence et la
lisibilité de la répartition des compétences entre les
différents organismes concernés et a souhaité que l'esprit
qui avait animé le Sénat à l'occasion de l'examen du texte
qui allait donner naissance à la loi du 1er juillet 1998 soit
rappelé et mieux respecté.
Répondant à ces interventions,
M. Claude Huriet
a
relevé le paradoxe qui consiste à reprocher à l'InVS son
manque d'anticipation, alors que cet organisme n'a pas pu jouer son rôle
de « tête de réseau » en raison de l'absence
de coordination de ce réseau et de remontée d'informations. Il a
rappelé qu'en application de la loi de 1998, tant les institutions que
les citoyens ont pour obligation de communiquer à l'InVS les
informations en leur possession concernant la sécurité sanitaire.
S'agissant du regroupement éventuel des agences, il a indiqué
qu'en 1998, plusieurs députés -dont l'actuel ministre de la
santé- avaient défendu la création d'une seule agence
regroupant les compétences de l'AFSSAPS et de l'AFSSA, mais que
plusieurs éléments avaient conduit à y renoncer et ne la
rendaient d'ailleurs pas davantage souhaitable aujourd'hui :
- l'exemple américain de la « Food and Drug
Administration » (FDA) ne s'avère pas pleinement satisfaisant,
en raison notamment de ses délais de réponse ;
- notre culture administrative est très différente selon
qu'il s'agit du contrôle des produits de santé ou des aliments et
les filières concernées ne sont pas identiques ;
- les compétences des deux agences sont différentes :
l'AFSSAPS a des pouvoirs de police et de gestion tandis que l'AFSSA n'a qu'une
fonction d'évaluation, le ministère de tutelle conservant un
pouvoir de gestion.
M. Claude Huriet
a par ailleurs relevé que l'InVS et l'ANAES
s'étaient vu confier des missions spécifiques. Il s'est
également déclaré défavorable au regroupement de
l'ensemble des agences et des autres organismes chargés d'intervenir
dans le domaine de la sécurité sanitaire, qui regroupent au total
3.000 personnes de statut très différent. Il a estimé
qu'il convenait de ne pas avoir un « esprit de
système » en la matière et que la fusion d'organismes
aux vocations différentes reviendrait à reconstituer une
administration, avec sa lourdeur et ses cloisonnements.
M. Jacques Pelletier, président
, a souhaité que le
rapport de la mission rappelle l'esprit de la loi de 1998 et a remercié
l'intervenant pour l'intérêt et le bons sens de ses
réflexions.
Audition de M. Hervé GAYMARD,
ministre de
l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires
rurales
(13 janvier 2004)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
commission a d'abord procédé à
l'audition
de
M.
Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la
pêche et des affaires rurales
.
Rappelant que la canicule avait constitué un événement
d'une ampleur exceptionnelle, il a indiqué, en se référant
à un certain nombre de cartes, que la France avait connu une très
faible pluviométrie au sud d'une diagonale sud est - nord ouest, que les
réserves en eau des sols étaient presque partout
inférieures à la normale et que d'importants déficits de
production fourragère avaient été enregistrés.
Soulignant que les pouvoirs publics s'étaient fortement mobilisés
dans un souci d'anticipation, il a présenté la chronologie des
principales mesures et décisions prises au cours des derniers mois :
- mi-avril : alerte et entrée en veille du réseau des
directions départementales et régionales des affaires rurales et
de la forêt (DDAF - DRAF), s'accompagnant de nombreuses visites du
ministre dans les départements les plus touchés ;
- mai : répit climatique ;
- début juin : confirmation de la sécheresse et
proposition par l'administration centrale au ministre d'un premier
dispositif ;
- 24 juin : saisine de la Commission européenne pour obtenir
l'autorisation du pâturage des
« jachères-PAC », une première demande orale
effectuée à la mi-juin ayant été
refusée ;
- 3 juillet : délivrance par la Commission de cette
autorisation ;
- 8 juillet : réunion au ministère des organisations
professionnelles agricoles, afin de procéder à un bilan des
conséquences du gel et de la sécheresse ;
- 21 juillet : annonce des premières décisions
concernant la sécheresse à l'issue du Conseil des ministres ;
- 22 juillet : envoi d'instructions aux DDAF pour la mise en oeuvre
de la procédure « calamités agricoles » selon
des modalités accélérées, prévoyant
notamment un dispositif d'indemnisation rapide par acompte et la mise en place
d'une cellule nationale sécheresse se réunissant selon un rythme
hebdomadaire ;
- 25 juillet : réunion interministérielle ayant pour
objet de faire un premier point sur les mesures déjà mises en
oeuvre et sur celles envisageables, puis annonce du déblocage d'une
enveloppe de 34 millions d'euros destinée au transport de fourrage,
complétée par la suite à hauteur de 50 millions
d'euros ;
- 31 juillet : instructions aux DDAF sur le transport de
fourrage ;
- 13 août : réunion interministérielle
précisant les autres mesures agricoles à mettre en place et leur
financement ;
- 14 août : accord communautaire sur le versement
anticipé des aides européennes à la surface et de la prime
herbagère, et autorisation d'utiliser les céréales mises
à l'intervention ;
- 22 août : réunion des professionnels agricoles
à Matignon et prise rapide par le gouvernement d'une série de
mesures adaptées ;
- 29 août : première « réunion
sécheresse » de la Commission nationale des calamités
agricoles (CNCA) ;
- 9 septembre : suite à l'avis de la commission, signature des
arrêtés interministériels d'indemnisation par acompte pour
49 départements ;
- 16 septembre : instruction aux DDAF pour la mise en place de
mesures bancaires exceptionnelles en faveur des exploitants
sinistrés ;
- 17 septembre : annonce par le ministre d'une enveloppe
exceptionnelle de 5 millions d'euros pour les élevages hors-sol,
qui ne sont pas éligibles au dispositif d'indemnisation des
calamités agricoles ;
- 30 septembre : deuxième « réunion
sécheresse » de la CNCA ;
- 12 novembre : suite à cette réunion, signature des
arrêtés interministériels d'indemnisation par acompte pour
19 nouveaux départements ;
- 18 novembre : troisième « réunion
sécheresse » de la CNCA ;
- janvier 2004 : suite à cette réunion, signature des
arrêtés interministériels d'indemnisation par acompte pour
10 nouveaux départements.
M. Hervé Gaymard
a ensuite présenté la
procédure « calamités agricoles »,
précisant qu'elle se déroulait en trois grandes étapes,
dont les deuxième et troisième avaient été
fusionnées :
- prise d'un arrêté interministériel de
reconnaissance, suite aux missions d'enquête des comités
départementaux d'expertise (phase locale), au contrôle et à
l'instruction des demandes de reconnaissance par le bureau des calamités
agricoles de la direction des affaires rurales et de la forêt, ainsi
qu'à l'avis de la CNCA sur la reconnaissance (phase centrale) ;
- prise d'un arrêté interministériel d'indemnisation,
après le dépôt et l'instruction des demandes
d'indemnisation par les DDAF (phase locale) et l'avis de la CNCA sur
l'indemnisation (phase centrale) ;
- indemnisations individuelles, suite à la mise en place des
crédits d'indemnisation dans les départements.
Évoquant l'indemnisation des conséquences de la sécheresse
sur les fourrages, il a souligné que la procédure avait
été accélérée par la fusion
précitée des phases de reconnaissance et d'indemnisation, que la
date de la première réunion de la CNCA avait été
avancée, que trois réunions successives de la commission s'en
étaient suivi (29 août, 30 septembre et 18 novembre), qu'avaient
été mis en place des crédits d'acomptes
évalués à 70 % des besoins estimés
après chaque commission, que le versement du solde restant aurait lieu
au début de cette année et que la totalité des
indemnisations serait donc versée moins de six mois après la fin
de la sécheresse.
Insistant sur l'effort de solidarité nationale considérable qui
avait été consenti, il a indiqué que le total des pertes
fourragères indemnisables s'élevait à 1,8 milliard
d'euros, que la réglementation communautaire limitait l'indemnisation
à 50 % du montant total des pertes et qu'en conséquence, le
total des mesures prises, qu'il a détaillées, s'était
élevé à 957,4 millions d'euros :
- indemnisation par le Fonds national de garantie des calamités
agricoles (pertes de fourrages reconnues lors des trois réunions de la
CNCA) : 509,4 millions d'euros ;
- prêts calamités à 1,5 % ou 2,5 % (coût total
de bonification en subvention équivalente) : 150 millions
d'euros ;
- prêts de consolidation à 1,5 % ou 2,5 % (coût total
de bonification en subvention équivalente) : 28 millions
d'euros ;
- Fonds d'allègement des charges (FAC) (prise en charge
d'intérêts) : 20 millions d'euros ;
- aide au transport de fourrage (aide directe octroyée sur
facture) : 50 millions d'euros, mandatés durant une première
phase en été et une seconde en automne qui se poursuivra jusqu'au
31 mars, à travers des enveloppes ajustées selon les besoins
réels de chaque département ;
- exonération de la taxe sur le foncier non bâti (TFNB)
(exonération d'impôt) : 200 millions d'euros ;
- report de cotisations sociales (coût financier des reports),
avancement du paiement d'aides communautaires (coût financier de
l'avance) et échéanciers de paiements d'impôts (coût
financier des reports) : coût non évalué.
Précisant, s'agissant du bilan du transport de fourrages, que 1,5
million de tonnes avait été acheminé jusqu'en
décembre par la SNCF (76 trains complets), l'armée (8 convois
spéciaux) et les transporteurs routiers, il a déclaré que
son ministère maintenait sa vigilance en s'apprêtant à
prendre de nouvelles mesures ;
- réunion de la CNCA le 27 janvier, ayant pour objet
l'indemnisation des pertes non fourragères, le versement du solde de
l'indemnisation des pertes fourragères et le recalibrage des enveloppes
départementales selon les besoins ;
- poursuite des travaux du comité de suivi
« sécheresse » avec la profession agricole à
un rythme bihebdomadaire et de la CNCA ;
- publication prochaine du rapport confié par le Premier ministre
au député Christian Ménard sur les conditions
d'indemnisation liées aux dégâts consécutifs aux
variations climatiques exceptionnelles, qui permettra d'effectuer un
débat sur le retour d'expérience et de toiletter
éventuellement le dispositif d'indemnisation des calamités
agricoles mis en place en 1964 ;
- élaboration en mai d'un bilan consolidé des mesures mises
en oeuvre.
Un large débat s'est alors instauré.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est interrogé sur
l'écart existant entre les prévisions pessimistes en termes de
revenu agricole pour l'année 2003 suite à la canicule et les
premières estimations faisant état de résultats
satisfaisants, sur l'opportunité de rénover le Fonds national de
garantie des calamités agricoles (FNGCA) en ce qui concerne son
financement et son régime d'indemnisation, sur les critiques
émises à l'encontre du transport de fourrages, ainsi que sur la
position du ministère à l'égard d'une éventuelle
extension du système d'assurance-récolte. Il a également
demandé des précisions sur la façon dont ont réagi
à la canicule les autres pays européens et l'existence d'une
concertation à ce sujet, ainsi que sur les variétés de
plants et les pratiques agricoles, notamment en matière d'irrigation,
qu'il serait opportun de privilégier afin de réduire les
conséquences d'une nouvelle sécheresse sur les cultures.
En réponse à ces questions,
M. Hervé Gaymard
a
apporté les précisions suivantes :
- les statistiques sur le revenu agricole 2003, dont on peut certes se
féliciter au regard des conditions météorologiques
difficiles, cachent de fortes disparités et ne sont donc qu'un
témoignage imparfait de la réalité. Si la situation de
certains exploitants agricoles est aujourd'hui difficile, l'action du
gouvernement, en concertation avec les organisations professionnelles, leur a
cependant permis de traverser la crise aussi convenablement que possible ;
- le FNGCA, créé il y a 40 ans, a fonctionné de
façon satisfaisante lors des derniers accidents climatiques (inondations
du sud-est à l'automne 2002, gel du printemps 2003, sécheresse de
l'été 2003 et nouvelles inondations à l'automne 2003).
Couplé avec le Fonds d'allègement des charges (FAC), le
dispositif d'aide aux agriculteurs en difficulté (AGRIDIF) et les aides
au redémarrage de trésorerie inaugurées en septembre 2002,
il offre une panoplie réactive de gestion des calamités
agricoles. Il sera cependant nécessaire, en concertation avec les
organisations professionnelles agricoles et le Parlement, de rénover le
système, en s'inspirant du rapport rendu prochainement par le
député Christian Ménard. L'automaticité de
l'exonération du foncier bâti pourrait notamment être
examinée, du fait que tous les propriétaires ne
répercutent pas ce dégrèvement auprès des
locataires et que ce dispositif mobilise un important volume financier pour
lequel d'autres affectations pourraient être envisagées ;
- les difficultés du transport de fourrages, très
médiatisées, doivent être relativisées dans la
mesure où aucun cheptel n'a souffert de malnutrition, l'acheminement de
la paille s'étant effectué à un rythme acceptable
grâce au concours des organisations professionnelles agricoles, du
ministre des transports et de M. Louis Gallois, président de la SNCF. Si
des problèmes logistiques sont effectivement apparus, du fait de
l'organisation du fret, de la fermeture de nombreuses gares en milieu rural ou
encore de l'inadaptation des wagons, il conviendra de les régler au vu
du retour d'expérience, sans toutefois envisager de recourir à la
réquisition, laquelle relève d'une économie de
guerre ;
- il n'y a pas eu de coordination au niveau européen entre les
Etats membres, sachant toutefois que les ministres de l'agriculture se
rencontrent régulièrement et que la Commission européenne
doit être systématiquement consultée afin de
vérifier que les dispositifs d'aide publics ne portent pas atteinte au
principe de libre concurrence. La France a été
particulièrement touchée car ses régions d'agriculture non
irriguée ont relativement plus souffert que celles irriguées,
phénomène également constaté au niveau
européen où la France et l'Italie du Nord, par exemple, ont
été davantage exposées que l'Espagne ou le Portugal. Il
pourra être utile d'examiner l'expérience de certains Etats
membres qui, telle l'Espagne en matière d'assurance récolte,
possèdent une réelle avance sur notre pays ;
- les problématiques liées à l'hydraulique agricole,
délaissées depuis une quarantaine d'années après
avoir été largement débattues, sont à nouveau
d'actualité avec la multiplication des épisodes de
sécheresse et d'inondation révélant la déficience
des réseaux d'irrigation. Elles devront être
réexaminées en concertation avec le ministère de
l'écologie et du développement durable ;
- la faiblesse des stocks de fourrage avant l'épisode de canicule,
s'expliquant à la fois par une surconsommation due à l'abattage
massif de cohortes résultant de l'épidémie
d'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB), par une économie
à flux tendus et par des trésoreries délicates, rendra
peut-être nécessaire la constitution de stocks-tampons
s'accompagnant d'une gestion financière adaptée.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a estimé qu'il aurait mieux valu
protéger les stocks de paille des intempéries plutôt que de
les transporter aussi rapidement que possible, avant de s'interroger sur
l'utilité qu'il y aurait à privilégier des espèces
végétales consommant moins d'eau et sur la surmortalité
résultant de la concentration des animaux dans les élevages
hors-sol.
En réponse à ces questions,
M. Hervé Gaymard
a tout
d'abord reconnu qu'il était important de développer des
programmes de recherche sur les plantes et leurs besoins en eau. Puis, relatant
un déplacement qu'il avait effectué au mois d'août dans le
Finistère et dans le Morbihan, il a expliqué comment un
éleveur de poulets, dont l'exploitation répondait pourtant aux
normes européennes, avait perdu le tiers de son élevage,
malgré l'intervention des pompiers, du fait de la température qui
avait excédé un certain seuil durant 1h30. Remarquant que de
telles situations étaient exceptionnelles, il a cependant indiqué
que la question serait étudiée dans le cadre du retour
d'expérience.
M. Jacques Pelletier, président
, a insisté sur
l'importance des problématiques liées à l'hydraulique et
à l'irrigation. Rappelant que les experts en climatologie
auditionnés par la mission d'information s'étaient montrés
pessimistes, en prévoyant que les épisodes de canicule se
reproduiraient fréquemment durant le siècle à venir, il
s'est interrogé sur la réponse à apporter aux demandes
d'irrigation des agriculteurs situés dans des zones non irriguées.
Reconnaissant que le sujet était délicat,
M. Hervé
Gaymard
a indiqué avoir étudié la question avec les
organisations professionnelles agricoles et les élus locaux lors d'un
déplacement dans le Gers au mois d'août. Il a
déclaré avoir demandé aux DRAF de coordonner les actions
menées en ce domaine, précisant par ailleurs qu'une mission sur
ce sujet avait été initiée au sein de son ministère
et que ce thème serait largement débattu lors de l'examen
prochain du projet de loi sur l'eau.
Après avoir rendu hommage au ministre pour sa réactivité
face à la canicule,
M. Daniel Eckenspieller
l'a
interrogé sur ses interlocuteurs durant la crise, sur l'existence d'un
effet retard sur les récoltes et sur le niveau des nappes
phréatiques.
En réponse à ces questions,
M. Hervé Gaymard
a
apporté les précisions suivantes :
- l'observation et l'alerte en cas d'événement exceptionnel
ont été le fait des services déconcentrés, et
notamment du département de santé des forêts, qui ont
dès le mois d'avril sensibilisé l'administration centrale, en
liaison avec les services de Météo France, au
phénomène de sécheresse. Les actions proprement dites ont
été gérées par la direction des affaires
financières, dont dépend le secrétariat national du CNCA,
tandis que trois ingénieurs généraux du génie
rural, assurant chacun successivement les fonctions de « Monsieur
sécheresse », ont été chargés de
coordonner les différents intervenants ;
- l'existence d'un effet retard est relativement incertaine, même si
l'on sait aujourd'hui que les forêts ont été gravement
affectées par les incendies, que certaines des productions
végétales et arboricoles pourraient être détruites
entièrement du fait de la succession des épisodes de gel et de
sécheresse, et que les mesures portant sur les fourrages auront des
incidences jusqu'au premier trimestre de cette année au moins ;
- les nappes phréatiques ont connu des situations
contrastées selon les régions et selon les périodes,
étant précisé que la sécheresse de l'année
2003 a été beaucoup moins importante que celle de l'année
1976.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a ajouté que si les
réserves d'eau connaissaient un niveau satisfaisant avant
l'épisode de canicule, elles n'étaient pas encore
reconstituées à l'heure actuelle. Observant qu'il pleuvait en
moyenne 20 m3 d'eau par habitant et par jour, il a estimé qu'un tel
niveau de précipitation était largement suffisant pour satisfaire
les besoins de l'agriculture, à condition d'aménager des
systèmes de retenue et de stockage des eaux appropriés.
Remerciant le ministre d'être venu témoigner devant la mission
d'information,
M. Jacques Pelletier, président
, l'a
félicité pour la rapidité avec laquelle il avait
procédé aux indemnisations.
Audition de M. François FILLON,
ministre des
affaires sociales, du travail et de la solidarité
(7 janvier
2004)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
de
M.
François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la
solidarité
.
A titre liminaire
M. Jacques Pelletier, président
, a
souligné que la mission commune d'information du Sénat avait
souhaité examiner l'ensemble des aspects de la crise de la canicule. Il
a également noté que les experts scientifiques avaient
insisté sur la perspective d'une poursuite du réchauffement de
l'atmosphère, rendant probable que les phénomènes de
canicule se reproduisent fréquemment à l'avenir. Après
avoir estimé que la mission d'information devrait formuler, à
l'issue de ses travaux, des propositions concrètes, il a invité
M. François Fillon à présenter son récit de la
crise et à exposer les enseignements qui devraient, à ses yeux,
en être tirés.
M. François Fillon
a tout d'abord précisé qu'il
souhaitait organiser son intervention autour de trois thèmes : un
rappel de la répartition des compétences au sein du gouvernement
sur les questions relatives à la prise en charge des personnes
âgées ; une analyse de la crise de la canicule au niveau du
ministère des affaires sociales et une présentation des
initiatives déjà prises pour éviter que de tels
événements tragiques ne se renouvellent à l'avenir, avec
au premier chef le plan « vieillissement et
solidarités ».
Il a rappelé que son ministère avait la responsabilité de
l'ensemble des questions sociales touchant les personnes âgées,
tandis que le ministère de la santé, de la famille et des
personnes handicapées était compétent sur le plan des
soins à leur apporter. Il a par ailleurs estimé que la
répartition, au sein même de son ministère, entre la
compétence générale qui est la sienne, et celle du
secrétaire d'Etat aux personnes âgées, M. Hubert Falco,
pour ce qui concerne la mise en oeuvre de cette politique, s'était
avérée à l'expérience très satisfaisante et
avait permis d'éviter les chevauchements de compétences.
S'agissant du déroulement de la crise de la canicule, il a
considéré que si les dispositions qui avaient été
prises avant la crise s'étaient révélées de toute
évidence insuffisantes, il convenait pour autant de signaler que des
initiatives utiles avaient néanmoins été prises, comme
l'attestent les circulaires du secrétariat d'Etat aux personnes
âgées des 12 juillet 2002 et 27 mai 2003 visant à
prévenir respectivement les risques de déshydratation et
d'isolement des personnes âgées. Il a regretté toutefois
que ces préconisations soient restées largement ignorées
ou inappliquées.
Revenant au récit chronologique des événements de
l'été dernier, il a noté que le début de la vague
de chaleur exceptionnelle traversée par notre pays datait du 2
août, mais que, comme l'avait d'ailleurs relevé le rapport
Lalande, la crise n'avait pas été perceptible avant le 8
août, c'est-à-dire lorsque les services d'urgence ont
commencé à enregistrer une hausse des admissions et des demandes
de secours. Il a par ailleurs observé que le premier appel
émanant d'une maison de retraite de Suresnes n'avait été
reçu par la Direction générale de l'action sociale (DGAS)
que le 10 août, c'est-à-dire juste avant que la crise sanitaire
n'atteigne son paroxysme les 11 et 12 août. Il a précisé
que ses services s'étaient alors mobilisés pleinement, avaient
diffusé deux communiqués de presse et publié plusieurs
circulaires destinées à permettre aux services
déconcentrés, les directions régionales (DRASS) et les
directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS),
de faire face aux événements.
Il a observé que ni les DRASS, ni les DDASS, ni les services de soins
infirmiers à domicile (SSIAD), ni les maisons de retraite n'avaient
alerté les administrations centrales de la survenance brutale d'une
situation anormale et tragique. Évoquant les raisons d'un tel constat, a
priori surprenant, il a avancé plusieurs explications possibles :
il a ainsi estimé que les acteurs de terrain avaient eu le sentiment
justifié de faire le maximum, de devoir d'abord faire face à
la crise à leur niveau avant de rendre compte des difficultés
rencontrées, tandis que bon nombre des décès survenaient
au domicile des personnes âgées alors qu'au retard initial au
niveau de l'alerte s'ajoutait, dans la gestion de la crise elle-même, un
décalage permanent par rapport à la réalité. Il en
a conclu que la situation des personnes âgées, sur le plan
individuel, avait dès lors été fonction de leur
état général, des moyens disponibles et de la
faculté d'anticipation des structures dans lesquelles elles se
trouvaient.
S'agissant des initiatives qui ont d'ores et déjà
été prises depuis la crise et des leçons qui ont
été tirées de ce drame,
M. François Fillon
a
tout d'abord rappelé qu'une l'enveloppe exceptionnelle de 40 millions
d'euros avait été dégagée le 15 septembre 2003 pour
compenser les heures supplémentaires effectuées, lors de la
crise, par les personnels ayant la charge des personnes âgées.
D'une façon plus générale, il a observé que le
travail de réflexion engagé à partir du 2 septembre avec
la constitution de six groupes de travail spécialisés, avait
abouti à la présentation par le Premier ministre, le 6 novembre
dernier, du plan « vieillissement et solidarités »
visant à réduire la coupure existant entre le secteur
médical et le secteur social, à assurer une meilleure
coordination des différents intervenants et à promouvoir
l'autonomie des personnes âgées. Il a insisté sur
l'importance des financements nouveaux, 860 millions d'euros par an, qui
devront permettre d'accélérer la médicalisation des
maisons de retraite, de développer l'accueil temporaire et de
créer 100 000 nouvelles places dans les SSIAD d'ici à
l'année 2008. Il a par ailleurs considéré que la mise en
oeuvre de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et
l'institution d'une journée de travail non
rémunérée, accompagnée d'une contribution de
0,3 % à la charge des employeurs publics et privés,
assureront la pérennité de l'ensemble du dispositif.
M. François Fillon
a toutefois estimé que l'analyse de la
crise de la canicule conduisait à aller au-delà et à
traiter les autres problèmes mis en évidence à cette
occasion : le retard au niveau de l'alerte, l'insuffisance de la
coordination gérontologique -sujet sur lequel une mission d'information
a été récemment confiée à l'Inspection
générale des affaires sociales- et la fragmentation du partage
des compétences entre les différents intervenants. Sur ce dernier
point, il a constaté que les communes intervenaient par le biais du
centre communal d'action sociale, les départements dans le cadre de
leurs politiques sociales et de l'Allocation personnalisée d'autonomie,
l'Etat avec les DDASS et les DRASS mais aussi l'assurance maladie et
l'assurance vieillesse. Il a considéré que cette situation
rendait impossible une coordination efficace et un pilotage de
proximité, ce qui avait conduit, dans le cadre du projet de loi relatif
aux responsabilités locales, à confier au département la
responsabilité d'élaborer le schéma départemental
d'organisation sociale et médicosociale.
Un large débat s'est alors instauré.
Tout en relevant l'ampleur de l'effort financier déployé dans le
cadre du plan « vieillissement et solidarités »,
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a demandé à
M. François Fillon quelle était sa réaction à
la prise de position de l'Association des directeurs d'établissement
d'hébergement pour personnes âgées (Adehpa) faisant
état de sommes beaucoup plus importantes, pouvant aller jusqu'à 7
milliards d'euros, pour moderniser le « parc »
français de maisons de retraite. Il s'est également
interrogé sur les moyens de renforcer le taux d'encadrement des
structures d'hébergement accueillant des personnes âgées
ainsi que sur le fait que certaines catégories sociales seront
exemptées de la contribution de 0,3 %.
M. François Fillon
a déclaré que l'action en faveur
des personnes âgées dépendantes ne serait probablement
jamais totalement suffisante, mais que les 850 millions d'euros annoncés
viendront s'ajouter aux 400 millions d'euros supplémentaires
consacrés à l'APA, ce qui constituait un effort d'ensemble
très important, correspondant à une augmentation de 20 % des
moyens financiers et humains.
Il a estimé que les craintes exprimées par le rapporteur quant
à l'insuffisante attractivité des métiers de cette
filière étaient fondées, tout en jugeant qu'une action
volontariste, grâce notamment aux nouvelles possibilités offertes
par la validation des acquis de l'expérience, devrait permettre
d'améliorer la situation.
S'agissant de la réaction négative des quatre présidents
de caisse nationale de sécurité sociale sur le schéma
retenu pour le plan vieillissement et solidarités, il a
réaffirmé que le gouvernement n'entendait pas créer un
cinquième risque, à côté de l'édifice
traditionnel de la sécurité sociale, et il a
considéré que la mission de réflexion récemment
confiée à MM. Raoul Briet et Pierre Jamet sur ce sujet devrait
permettre d'apaiser ces malentendus.
Il a reconnu que trois catégories sociales, les agriculteurs travaillant
sur leur exploitation, les professions indépendantes et les
retraités, ne feraient pas l'objet du prélèvement de
0,3 % et il a justifié ces exceptions par le fait qu'il
était impossible dans leurs cas de compenser cette contribution
supplémentaire par la création d'une journée de travail
supplémentaire.
Mme Françoise Henneron
a évoqué le sort des
personnes âgées qui, pendant la crise de la canicule, sont
décédées dans les services d'urgence, après y avoir
été transportées tardivement de leur domicile dans un
état trop souvent désespéré.
M. François Fillon
a indiqué que les études
réalisées depuis l'été dernier sur les maisons de
retraite avaient montré l'absence de lien entre l'importance des moyens
et le nombre des décès, tout en soulignant par ailleurs qu'il
était normal que les structures d'hébergement les mieux
dotées accueillent les personnes les plus fragiles avec
l'espérance de vie la plus faible.
Évoquant le récent déplacement en Belgique de la mission
commune d'information,
Mme Françoise Henneron
a relevé que
la durée légale du travail pour le personnel des maisons de
retraite dans ce pays, fixée à 38 heures par semaine,
représentait un écart significatif par rapport à la France
et pourrait expliquer nos difficultés à accroître le taux
d'encadrement des établissements accueillant des personnes
âgées.
Mme Monique Papon
a jugé que la catastrophe de
l'été dernier devrait pour le moins contribuer à
l'indispensable prise en compte de la nécessité de tirer toutes
les conséquences du vieillissement de la population française et
de mettre fin, par là même, à un véritable tabou.
Elle a également insisté sur le rôle des centres locaux
d'information et de coordination (CLIC), sur l'importance de la formation des
auxiliaires de vie et sur la nécessité de revaloriser l'ensemble
des métiers de la filière gérontologique. Elle s'est
également interrogée sur la possibilité de remédier
au problème de l'enchevêtrement des compétences des
différents acteurs de la politique menée en faveur des personnes
âgées.
M. François Fillon
a confirmé que la gestion des crises
reposait, d'une part, sur le préfet, s'appuyant pour cela sur les moyens
opérationnels des DDASS et, d'autre part, sur le président du
conseil général qui est chargé d'élaborer le
schéma départemental d'organisation sociale et
médicosociale. Dans cet esprit, il a également
réaffirmé sa conviction de l'efficacité des CLIC et de la
nécessité de promouvoir le maintien à domicile des
personnes âgées. S'agissant du niveau d'encadrement des maisons de
retraite, il a estimé qu'il convenait d'évaluer avec prudence les
données relatives aux pays étrangers qui sont loin d'être
homogènes. Il a également précisé, à ce
titre, que l'augmentation du nombre des places d'infirmières et
d'aides-soignantes, évaluée respectivement à 12 000
et 5 000 par rapport à la période 2001/2002, devrait
permettre d'améliorer la situation.
M. Jacques Pelletier, président
, a indiqué que,
malgré les explications formulées à l'occasion des
différentes auditions de la mission commune d'information, il
était toujours difficile de concevoir qu'aucune structure et
institution, au plan tant national que local, n'ait perçu qu'une
catastrophe de cette ampleur était en passe de se produire, et ce alors
même que les prévisions établies par les services de
Météo France s'étaient avérées exactes. Il a
noté qu'aucun décideur public n'avait pensé à
interroger les entreprises funéraires avant que n'apparaisse le besoin
de réaliser, en catastrophe, une première évaluation du
nombre des victimes. Il a insisté sur le fait que, contrairement
à la ville de Chicago qui, après avoir connu une première
crise sanitaire liée à la canicule en 1991, avait su faire face
à la situation lorsque celle-ci s'est reproduite quatre ans plus tard,
la France n'avait tiré aucun enseignement de l'expérience de
l'année 1976. Il a également observé qu'une meilleure
coordination des acteurs de la politique en faveur des personnes
âgées supposait à la fois d'approfondir les mouvements de
décentralisation et de déconcentration.
M. François Fillon
a déclaré qu'il était
exact qu'une crise de cette ampleur et de cette nature n'avait jamais
été préalablement envisagée et que, contrairement
par exemple au « plan grand froid », le risque
d'hyperthermie n'était tout simplement pas répertorié.
Rappelant que le drame s'était noué en seulement quatre jours, il
a précisé que les ARH avaient pour seules compétences
l'organisation des restructurations hospitalières, la répartition
des moyens et la planification des investissements, et il a confirmé que
les préfets se trouvaient bien en charge des situations de crise. Il a
estimé qu'il ne convenait pas de remettre en cause cette architecture,
sauf transformation des agences régionales d'hospitalisation en agences
régionales de santé.
Après avoir considéré qu'il conviendrait vraisemblablement
de prévoir la mise en place d'une pièce climatisée dans
chaque hôpital et dans chaque maison de retraite,
M. Jacques
Pelletier, président
, a observé que la situation des
personnes âgées isolées en milieu rural posait souvent
problème.
M. François Fillon
a précisé que si la coordination
gérontologique relevait des départements, la mise en oeuvre des
actions de proximité était du ressort des Centres communaux
d'action sociale (CCAS). Il a également insisté sur la
nécessité de concilier l'impératif de recenser les
personnes âgées fragiles avec le respect de la liberté
individuelle et il a fait référence, sur ce point, à
l'avis émis récemment par le Conseil d'Etat sur le projet de loi
relatif au « dispositif de solidarité pour l'autonomie des
personnes âgées et des personnes handicapées ».
M. Paul Girod
a souhaité qu'une campagne d'information soit
organisée avant l'été prochain pour sensibiliser les
familles aux problèmes des personnes âgées. Il a en outre
fait observer que le tragique bilan de la canicule devait également
être évalué par rapport au nombre moyen mensuel de
décès enregistré en France qui est de l'ordre
de 50 000.
Mme Françoise Henneron
a insisté sur l'importance de la
formation des aides-soignantes.
Revenant sur le déplacement de la mission commune d'information en
Belgique,
M. Jacques Pelletier, président
, a fait part de sa
perplexité quant aux tarifs réclamés aux pensionnaires des
maisons de retraite, lesquels semblent être nettement inférieurs
à ceux pratiqués en France.
M. François Fillon
a indiqué que ses services devraient
conduire une étude détaillée sur cette question.
Audition de MM. André MERLIN, directeur de
Réseau de Transport
d'Electricité et Pierre
BORNARD,
directeur de la division « systèmes
électriques »
(14 janvier
2004)
Présidence de M. Jacques PELLETIER, Président
La
mission a d'abord procédé à
l'audition
de
MM.
André Merlin, directeur de Réseau de Transport
d'Electricité (RTE)
et
Pierre Bornard, directeur de la division
« systèmes électriques »
.
M. Jacques Pelletier, président
, a demandé à
M. André Merlin de rappeler les missions de RTE, puis de
présenter les conséquences de la canicule de l'été
dernier pour son secteur et les enseignements qui sont susceptibles d'en
être tirés pour l'avenir.
Après avoir rappelé qu'il avait pris ses fonctions depuis la
création de RTE le 1
er
juillet 2000,
M. André
Merlin
a indiqué que son entreprise avait la responsabilité
de la gestion des flux et du réseau de transport
d'électricité à haute et très haute tension. Il a
précisé qu'en application de la loi du
10 février 2000, RTE était indépendante
d'Electricité de France (EDF) sur les plans comptable, financier et sur
celui du management, mais que son indépendance juridique devrait
être réalisée d'ici au 1er juillet 2004, en
application d'une directive européenne de juin 2003. Il a ensuite
indiqué que la fréquence des canicules pourrait désormais
passer à un rythme décennal et que les gestionnaires de
réseaux de transport d'électricité européens
devront modifier en conséquence leur mode de gestion du système
électrique.
M. Pierre Bornard
a ensuite présenté le retour
d'expérience de RTE suite à la crise de l'été 2003.
Il a indiqué qu'en raison de la situation climatique exceptionnelle,
l'entreprise avait rencontré certaines difficultés pour assurer
l'équilibre entre l'offre électrique et la demande des
consommateurs, en raison des contraintes importantes ayant affecté les
moyens de production, tant français que de nos voisins européens,
lesquelles se sont traduites par une réduction de la production
électrique. Il a souligné l'augmentation, dans le même
temps, de la demande d'électricité liée à la
canicule et donc à l'utilisation accrue de la climatisation, sachant que
toute hausse de la température d'un degré, au-delà
de 25°C, représente 250 à 300 mégawatts
(MW) de consommation supplémentaire, ce qui correspond à la
consommation d'une ville comme Nantes.
Retraçant la chronologie des événements, il a
indiqué que la gestion du réseau de transport
d'électricité au mois de juillet avait été
marquée par plusieurs contraintes, notamment dans le sud-est, rendant
nécessaire le maintien d'une production minimale par les centrales de
Tricastin et de Golfech. Il a ajouté que, compte tenu de la faiblesse de
la production hydro-électrique et éolienne, y compris en
Allemagne et aux Pays-Bas, les marchés électriques
européens se sont quasiment tous trouvés en même temps dans
une situation tendue, cette situation ayant pesé sur les prix. Il a
précisé que l'Allemagne n'avait pu compter que sur une faible
part de sa capacité de production d'électricité d'origine
éolienne, ce taux étant évalué à 15 %
en France pendant la période de canicule, en raison de sa situation
climatique plus contrastée.
M. Pierre Bornard
a ensuite indiqué que le risque d'un
important déséquilibre entre l'offre et la demande
d'électricité, apparu dès le 4 août du fait de
la réduction de la production et de la perspective de la reprise de
l'activité économique à partir du 18 août
était susceptible d'entraîner des délestages,
c'est-à-dire des coupures de courant maîtrisées et avait
conduit RTE à alerter les pouvoirs publics le 7 août. Il a
ajouté qu'en étroite concertation avec EDF et RTE, les pouvoirs
publics avaient pris, le 12 août, des arrêtés
dérogatoires concernant les rejets des centrales thermiques dans les
cours d'eau et que la reprise de l'activité économique
après le 15 août était opportunément intervenue
en même temps que la baisse des températures.
M. Pierre Bornard
a observé que RTE avait pu assurer
pleinement son rôle d'alerte et sa responsabilité en
matière de sûreté de fonctionnement du système
électrique et a souligné l'importance de la coordination et la
réactivité de l'ensemble des acteurs concernés. Outre la
réduction de consommation négociée par EDF avec certains
clients industriels, il a précisé que celle des consommateurs
domestiques à la suite d'un appel à la modération
lancé par les pouvoirs publics, s'était traduite, pour la
journée du 14 août, par une moindre consommation de
300 MW.
Il a ensuite exposé les orientations du plan d'action de RTE :
- amélioration des prévisions en matière de
consommation, sachant que le développement des équipements en
climatisation entraînera un accroissement plus important de la
consommation électrique en cas de fortes chaleurs ;
- renforcement du dispositif d'alerte et poursuite des études
concernant les prévisions à moyen terme, en coordination avec
Météo France ;
- modification du calendrier de maintenance des installations qui se
déroule traditionnellement pendant l'été, et information
d'EDF et des autres producteurs pour que leur programme d'entretien des
centrales ne risque pas de compromettre la production
d'électricité en période de canicule ;
- clarification des responsabilités et des obligations des
différents acteurs du marché, de façon à
éviter que certains fournisseurs soient tentés de
privilégier des arbitrages financiers et commerciaux au détriment
du respect de leurs engagements de fourniture à leurs clients, mettant
RTE dans l'incapacité d'assurer l'équilibre en temps réel
du système et dans l'obligation de procéder à des
délestages. La loi du 10 février 2000 laisse place à
interprétation sur ce point et mériterait d'être
précisée ;
- recherche d'une gestion opérationnelle de crise plus efficace et
clarification des dispositions de l'arrêté ministériel de
1990 fixant les modalités de délestage. Les plans de
délestage actuels étant établis sur la base
d'enquêtes annuelles réalisées en hiver, il convient de
prévoir un volet « été », en liaison
avec les gestionnaires du réseau de distribution, et de contractualiser
avec ces derniers les modalités de mise en oeuvre des délestages,
qu'il s'agisse de leur ampleur, de leur localisation, ou des clients
concernés ;
- mise en place au sein de RTE d'une cellule de crise regroupant les
producteurs, les distributeurs, les commerciaux et organisation d'exercices de
crise ;
- mise en place d'un système d'information et d'alerte du public et
des clients de RTE sur les risques de délestage ;
- établissement de contrats de secours mutuel entre les
gestionnaires des réseaux de transport européens et
développement des interconnexions avec les pays voisins, en particulier
l'Espagne, la Belgique et l'Italie.
Un large débat s'est ensuite instauré.
Soulignant le caractère exhaustif de ces deux interventions,
M. Serge Lepeltier, rapporteur
, a rappelé que notre pays
avait été à la limite du délestage, pendant
quelques jours, et s'est interrogé sur les conséquences d'une
canicule plus longue, sachant que d'après les scientifiques, la France
pourrait connaître au cours du siècle ce type
d'événement climatique extrême en moyenne une fois tous les
trois ans. Il s'est demandé si notre réseau avait
été épargné par les difficultés
rencontrées par nos voisins, par chance ou en raison de sa
qualité. Il a ensuite évoqué la répartition des
sources de production électrique et a suggéré, compte tenu
de l'obligation de la France d'augmenter de 5 % la part des
énergies renouvelables dans son bilan énergétique, le
développement des moyens de production d'électricité
d'origine solaire, les éoliennes ayant été de peu de
secours au cours de l'été. Il a demandé s'il était
possible d'évaluer l'impact du développement de la climatisation
sur l'évolution de la demande d'électricité. Il s'est
enfin interrogé sur les conséquences de l'ouverture du
marché électrique à la concurrence dans la gestion des
périodes de crise et a jugé que le marché ne pouvait
à lui seul permettre de faire face à ces dernières.
M. André Merlin
a estimé que les coupures de courant
auraient pu être évitées en cas de prolongation d'une
semaine de la canicule, grâce aux dérogations accordées aux
centrales concernant leurs rejets dans les cours d'eau. Il a jugé
toutefois nécessaire de réviser les modalités de
maintenance des moyens de production, précisant que 14 des
18 tranches nucléaires des centrales situées en bord de mer
étaient à l'arrêt l'été dernier. Il a
souhaité que la gestion de notre système électrique prenne
mieux en compte les risques.
Il a ensuite indiqué que la France, comme les autres pays,
n'était pas à l'abri d'une panne, mais que tous les moyens
étaient mis en oeuvre pour l'éviter. Il a indiqué que des
plans de délestage adaptés aux périodes
d'été seraient prochainement adoptés.
Il a rappelé que la loi du 10 février 2000 avait chargé
RTE de fournir régulièrement un bilan prévisionnel sur
l'offre et la demande d'électricité à l'horizon de cinq et
dix ans. Le bilan, établi en 2003 avant la canicule, montre la
nécessité de prévoir de nouveaux moyens de production,
d'ici 2008, afin de faire face aux demandes de pointe. Ces moyens, en
particulier les énergies renouvelables et le nouveau réacteur EPR
(European Pressurized Reactor), devraient être développés
prioritairement dans les régions fragiles en bout de réseau,
notamment la Bretagne et le sud-est.
Notant que la consommation d'électricité avait enregistré
une hausse de 4 % en 2003, il a estimé que le
développement des équipements de climatisation entraînerait
une explosion de la demande d'électricité en période
estivale, qui resterait cependant très inférieure aux pointes
hivernales de consommation.
Il a enfin souhaité que la future loi qui organisera
l'indépendance juridique de RTE à l'égard d'EDF
reconnaisse les missions de service public assurées par le gestionnaire
du réseau de transport.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, s'est enquis du type de moyens de
production de pointe pouvant être mis en place dans le court délai
évoqué. Il a suggéré une aggravation des sanctions
financières en cas de non-respect par un fournisseur de ses obligations
de livraison d'électricité.
M. André Merlin
a répondu que l'installation de
petites turbines à gaz (entre 100 et 200 MW) permettrait de
renforcer la sécurité d'approvisionnement dans les zones les plus
fragiles, y compris en région parisienne. En effet, les stations de
pompage, qui ont pour avantage de pouvoir être mises en oeuvre seulement
quelques centaines d'heures par an afin de faire face aux pointes de
consommation, sont très coûteuses et les sites les plus
appropriés sont déjà équipés.
Il a indiqué que les mécanismes de marché permettaient
déjà de sanctionner financièrement le non-respect par un
fournisseur de ses engagements mais que ceux-ci pouvaient se
révéler insuffisants. Il a souhaité que la prochaine loi
transposant la nouvelle directive européenne clarifie les
responsabilités entre les différents acteurs.
M. Alain Gournac
s'est enquis de l'existence éventuelle d'un
plan canicule, avant cet été, et s'est interrogé sur la
mise à jour du plan de délestage, compte tenu de
l'évolution des besoins spécifiques, liés en particulier
au développement de l'hospitalisation à domicile. Il a
demandé quelles seraient les conséquences d'un hiver très
rigoureux sur le réseau de transport et s'est inquiété de
l'impact d'un développement futur des équipements de
refroidissement dans notre pays.
M. André Merlin
a précisé à
M. Alain Gournac qu'aucun plan de délestage n'était
jusqu'à maintenant prévu pour la période estivale, mais
qu'un tel plan était aujourd'hui envisagé, en concertation avec
les gestionnaires des réseaux de distribution.
Il a indiqué que les moyens de production, qui devront être
installés avant 2008, devaient être dimensionnés afin
de prendre en compte le niveau élevé des pointes de consommation
enregistrées en période hivernale. Il a noté que la forte
hausse de consommation entraînée par la baisse des
températures hivernales (1 600 MW par degré), conduira,
comme pour les autres activités industrielles, à accepter une
probabilité de défaillance en cas de situation exceptionnelle,
compte tenu d'un nécessaire compromis entre investissement et risques de
coupures. Il a estimé que le réseau était aujourd'hui
dimensionné de manière satisfaisante pour faire face aux
aléas climatiques courants mais qu'une température exceptionnelle
de l'ordre de - 30°C entraînerait inéluctablement de
telles coupures.
Distinguant ensuite les réseaux de transport et de distribution, il a
indiqué que le maillage du réseau de transport permettait, en cas
de panne, d'utiliser un ouvrage voisin et de faire face à des
aléas climatiques. Il a rappelé à cet égard qu'en
dépit de la mise hors service de 40 ouvrages lors de la
tempête de décembre 1999, l'écroulement complet du
réseau avait pu être évité.
Évoquant le coût élevé des importations
d'électricité pendant la canicule,
Mme Gisèle
Gautier
a préconisé l'établissement en amont de
conventions avec des pays voisins, afin de s'assurer de prix moins
élevés. Elle s'est, par ailleurs, interrogée sur les
possibilités de secours mutuel en cas de crises affectant en même
temps l'ensemble des pays producteurs.
M. André Merlin
a insisté sur la
nécessité de construire de nouvelles lignes électriques
afin de développer les interconnexions avec les pays voisins, pour
permettre un secours mutuel. Il a noté qu'un événement
climatique n'affectait généralement qu'une partie des pays
européens. En sa qualité de président des gestionnaires
des réseaux européens de transport d'électricité,
il a toutefois souhaité qu'un bilan prévisionnel soit
établi au niveau européen, afin de révéler les
risques de fragilité des réseaux.
Il a indiqué que le prix « spot » très
élevé de l'électricité (1.000 euros par KW)
constaté au coeur de la crise d'août 2003 traduisait, pour le
marché, le prix du risque d'une coupure de courant.
M. Jacques Pelletier, président
, a souligné
l'intérêt des deux interventions et a souhaité disposer
d'informations complémentaires sur les difficultés
d'interprétation de la loi
du 10 février 2000.
Audition de M. le Professeur Jean-Louis
SAN-MARCO,
chef de service à l'hôpital de la Timone, professeur
de santé publique
à l'université de
Marseille
(14 janvier 2004)
La
mission a ensuite procédé à
l'audition
du
Professeur Jean-Louis San-Marco, chef de service à l'hôpital de
la Timone, professeur de santé publique à l'université de
Marseille
.
Après avoir rappelé que l'objectif de la mission d'information
commune du Sénat consistait, non pas à conduire une
« chasse aux sorcières », mais à comprendre
ce qui s'était passé lors de la canicule et à en
dégager des conclusions pour l'avenir,
M. Jacques Pelletier,
président
, a invité le professeur à présenter
son récit de la crise et à exposer les enseignements qui
devraient, à ses yeux, en être tirés.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a indiqué qu'il fallait
s'interroger sur les raisons pour lesquelles notre société avait
été en retard d'une bataille au cours de cette crise. Il a
estimé que la première raison tenait au fait que la chaleur
n'était pas considérée comme dangereuse et jouissait d'une
bonne image. Il a ajouté que le seuil à partir duquel la chaleur
devenait dangereuse était difficile à déterminer et
variait selon de nombreux paramètres.
Il a indiqué que la seconde raison tenait au fait que la population
concernée n'était pas clairement définie. Il a
relevé que la plupart des décès constituaient des morts
naturelles -le nombre de décès n'étant en revanche pas
naturel- ce qui explique que les urgences et les pompes funèbres aient
été les premiers acteurs à prendre la mesure de
l'événement. Il a ajouté que, si quelques
« morts de chaleur » avaient été
constatés, l'essentiel des décès étaient
« liés à la chaleur ».
Concernant la gestion de la crise, il a fait valoir que si l'on attendait les
décès ou l'apparition de pathologies, on était toujours en
retard d'une guerre et qu'il fallait travailler en amont et trouver comment se
défendre contre la chaleur. Il a indiqué que la transpiration
constituait le seul système de protection de l'organisme et qu'un danger
existait si le corps transpire de manière excessive, ce qui est le cas
des très jeunes enfants ou des adultes conservant une activité
physique intense, ou s'il ne transpire pas suffisamment, ce qui est le cas des
personnes âgées. Il a indiqué, que pour ces
dernières, si le sujet ne parvenait pas à
récupérer, notamment au cours de nuits plus fraîches, il
risquait d'être « carbonisé » et de
décéder.
Pour faire face à la canicule, il a fait observer qu'il était
possible soit de supprimer l'agression, par la climatisation ou le passage
temporaire dans des lieux plus frais, soit de se défendre contre la
chaleur, en hydratant les enfants et les adultes et en humidifiant
l'épiderme des personnes âgées, par exemple
à l'aide de brumisateurs.
Concernant la crise de cet été, il a indiqué qu'il y avait
eu moins de morts dans le département des Bouches-du-Rhône que
dans les départements voisins. Rappelant que la vague de chaleur de 1983
avait provoqué entre 300 et 500 décès à Marseille
et que des actions avaient été entreprises depuis pour en tirer
les leçons, il a ajouté que cette vague de chaleur de 1983 avait
été considérée comme exotique. Il a relevé
que des conseils avaient été adressés à la
population et au corps médical et que les hôpitaux
des Bouches-du-Rhône avaient enregistré une augmentation de
2 % de l'affluence contre 70 % à Nice.
Il a noté que la sous-déclaration des décès
liés à la chaleur était la règle et a
rappelé que les 6 000 décès en surnombre
survenus en 1976 étaient passés inaperçus et que la vague
de chaleur de 1983 avait entraîné
4 700 décès au total.
Un large débat s'est alors instauré.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, s'est interrogée
sur la politique d'anticipation susceptible d'être mise en place au
niveau national comme au niveau territorial et a souhaité
connaître les préconisations du professeur San Marco en ce domaine.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a indiqué que l'échelon
régional était le plus pertinent, dans la mesure où une
vague de chaleur n'est jamais uniforme sur l'ensemble du pays.
Il a noté qu'un dispositif de veille météorologique avait
été mis en place à Marseille, ajoutant que la connaissance
des prévisions météorologiques laissait deux ou trois
jours pour agir et donner l'alerte. Il a toutefois précisé qu'il
fallait adopter des mesures permanentes et diffuser des informations tout au
long de l'année, sauf à rendre l'alerte inaudible. Il a
noté qu'il fallait se garder de toute banalisation de l'alerte et que le
seuil de déclenchement de celle-ci devait être différent
selon les régions et les objectifs fixés.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a souhaité savoir
si la formation des personnels était adaptée et quels moyens de
repérage des personnes âgées les plus fragiles et
isolées, étaient envisageables.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a relevé la très grande
disparité existant entre les maisons de retraite et estimé que la
formation des personnels soignants devait être
généralisée. Concernant le repérage des personnes
isolées, il a indiqué que, sur Marseille, en croisant les
différentes listes existantes, 25 000 personnes au minimum
échappaient à tout recensement.
Faisant part de son expérience de la vague de chaleur de 1983, il a
regretté que les médecins aient témoigné d'une
indifférence à cette question pendant des années. Il a
relevé que nombre de personnes avaient intégré les
réflexes simples pour se protéger de la chaleur et a
précisé que ses préconisations avaient été
essentiellement, et difficilement, relayées par la presse.
M. Alain Gournac
a observé que la ville de Marseille avait
l'habitude de la chaleur et s'est interrogé sur la
nécessité d'interrompre la prise de certains médicaments
en période de canicule. Il a également souhaité savoir
s'il ne fallait pas habituer les personnes âgées à boire et
a fait part de la visite de la mission dans une maison de retraite belge qui
proposait à ses pensionnaires de l'eau colorée afin de les
inciter à boire davantage.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a indiqué que les psychotropes
et les diurétiques pouvaient constituer un danger mais que des consignes
générales en ce domaine seraient inopportunes.
Il a noté que Marseille connaissait des années plus ou moins
chaudes et que cette ville avait connu d'autres vagues de chaleur que celle de
1983. Il a indiqué que certains établissements marseillais
proposaient de l'eau gélifiée colorée aux personnes
âgées, afin que cette boisson soit plus attractive. Il a, par
ailleurs, noté que toute alerte météorologique devait
être graduée.
Répondant à
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, qui
s'était enquis de la proportion de « morts de
chaleur » et de décès
« liés à la chaleur »,
le Professeur
Jean-Louis San-Marco
a indiqué qu'il était difficile de
connaître cette proportion, réaffirmant que le nombre de
« morts de chaleur » était certainement très
réduit.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a souhaité savoir si le
surcroît de décès de l'été pouvait se
traduire par une sous-mortalité au cours des mois suivants.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a observé qu'un tel
phénomène n'avait pas été enregistré en 1983.
Mme Gisèle Gautier
a demandé à quelle date le
professeur San-Marco avait pris conscience que quelque chose d'anormal se
passait au niveau national et s'il avait eu la possibilité de donner
l'alerte.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a indiqué qu'il avait pris
conscience qu'un phénomène anormal se produisait entre le 3 et le
4 août et qu'il avait essayé d'alerter certaines autorités.
Il a précisé que, en qualité de président du
conseil d'administration de l'Institut national de prévention et
d'éducation pour la santé (INPES), il avait alerté le
directeur général de cet Institut, qui avait lui-même
contacté la direction générale de la santé (DGS).
Il a noté que la DGS avait répondu être au courant et que
la situation était sous contrôle. Précisant que, compte
tenu de ces réponses, il avait décidé, après une
longue réflexion, de ne pas appeler son ancien confrère
marseillais, M. Jean-François Mattei, il a indiqué qu'il
avait ensuite tenté de faire passer des messages dans les médias
mais que ces derniers ne s'étaient pas intéressés à
ce thème jusqu'à l'intervention du Dr Pelloux.
Il a observé que le communiqué de presse émis par la DGS
le 8 août était certes formellement parfait mais qu'il
était « nul » en termes de communication. Il s'est
toutefois demandé si un communiqué plus adapté aurait
servi à quelque chose et a remarqué que les communiqués
transmis en 1983 n'avaient servi à rien, car la population
n'était pas préparée à les recevoir.
Mme Gisèle Gautier
a relevé qu'un « coup de
gueule » d'un médecin urgentiste avait été plus
efficace que les mises en garde des spécialistes de santé
publique.
Le Professeur Jean-Louis San-Marco
a indiqué que les
médias avaient consacré peu de place aux problèmes de
santé publique en août pour privilégier la polémique
politique et une chasse aux sorcières.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié le Professeur
Jean-Louis San-Marco pour la qualité de son intervention et a
souligné l'importance de tirer, pour l'avenir, tous les enseignements de
la crise de la canicule.
Audition du Docteur Michel DUCLOUX,
président
du Conseil national de l'ordre des médecins
et du Docteur Patrick
BOUET,
membre du Conseil national de l'ordre des médecins
(14
janvier 2004)
La
mission a enfin procédé à
l'audition
du
Dr
Michel Ducloux, Président du Conseil national de l'ordre des
médecins
et du
Dr Patrick Bouet, membre du Conseil national de
l'ordre des médecins
.
A titre liminaire
M. Jacques Pelletier, président
, a
rappelé que la mission commune d'information du Sénat
s'était fixée pour objectif d'analyser ce qui s'était
passé lors de la canicule de l'été 2003, de comprendre
pourquoi la crise avait été perçue avec retard et d'en
dégager des conclusions pour l'avenir. Il a souligné que
l'audition du Conseil de l'ordre apparaissait particulièrement
importante, dans la mesure où les médecins libéraux
avaient fait l'objet d'une vive polémique portant sur leur absence
supposée au plus fort de la crise, pour cause de départs en
congés massifs.
Le Docteur Michel Duc
loux a tout d'abord rappelé que les
médecins, comme l'ensemble des Français, avaient
été surpris à la fois par l'ampleur et par la durée
de la vague de chaleur caniculaire de l'été dernier. Il a
déclaré que leur mise en cause lui paraissait profondément
injuste, qu'à aucun moment l'organisation des vacances n'avait
réellement posé problème et que les médecins
avaient bien été présents, mais sans être pour
autant particulièrement sollicités pour lutter contre la
canicule. Rappelant l'exemple du département du Rhône, où
seul l'un des 53 secteurs de garde avait connu des difficultés
transitoires, il a mis en garde contre la généralisation de cas
isolés, tout en soulignant que ces derniers avaient été
réglés par les conseils départementaux de l'ordre.
Il a considéré que la crise de la canicule avait, en revanche,
mis en évidence le manque de coordination entre la médecine
libérale et les organismes et institutions en charge de la santé
publique, tout comme le manque de médecins libéraux dans
certaines parties du territoire touchées, par l'exode rural, et
l'attente préjudiciable de la publication des nouveaux décrets
réorganisant la permanence des soins, finalement intervenue au mois de
septembre dernier.
Il a également observé avec satisfaction que le rapport de
l'Inspection générale des affaires sociales consacré
à la question de « la continuité et de la permanence
des soins libéraux pendant l'été 2003 »,
publié en décembre 2003, avait très largement
témoigné de la présence de la médecine
libérale lors de la crise.
Le Docteur Patrick Bouet
a considéré que là
où les personnes âgées s'étaient trouvées en
contact avec des infirmières et des médecins libéraux, la
crise avait été circonscrite, mais que là où elles
étaient demeurées isolées la situation avait souvent pris
un tour dramatique. Il a préconisé, pour assurer une meilleure
connaissance et un plus grand maillage du territoire, que chaque médecin
établisse, avant de partir en vacances, à l'attention de son
remplaçant, une liste des personnes fragiles parmi l'ensemble de ses
patients.
Un large débat s'est alors instauré.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, s'est interrogée
sur les compétences du Conseil national de l'ordre des
médecins et sur les relations qu'il entretient avec le
ministère de la santé en cas de crise. Elle a rappelé que
le rapport précité de l'IGAS avait également mis en avant
l'insuffisante intégration des médecins libéraux dans les
réseaux d'alerte et la nécessité de mettre en oeuvre les
principes d'organisation de la permanence des soins.
Le Docteur Michel Ducloux
a constaté que, dans la mesure
où le déclenchement de la crise avait été
perçu d'une façon générale avec retard, les
conseils départementaux de l'ordre des médecins s'étaient
mobilisés avant les instances nationales. S'agissant de la
problématique des permanence des soins, il a déclaré
partager le sentiment de Mme Valérie Létard quant
à la nécessité de créer, à
l'intérieur même des enceintes hospitalières, des
structures « ad hoc » accueillant des médecins
généralistes, de façon à soulager l'encombrement
des services d'urgence.
Le Docteur Patrick Bouet
a considéré que si l'institution
ordinale n'avait pas été partie prenante au niveau de l'alerte,
elle avait pris de nombreuses initiatives, ce qui rendait impossible de
formuler un constat de carence. A ce titre, il a cité les exemples du
Rhône et de la Seine-Saint-Denis, où les conseils
départementaux de l'ordre étaient intervenus dès le 16
août pour prendre les dispositions imposées par la crise, tandis
que le conseil national se saisissait de la question trois jours plus tard.
Il a déclaré, par ailleurs, que le travail mené au
quotidien par chacun des médecins libéraux avait au total permis
de sauver plus de vies que l'action des services hospitaliers. Sur la question
de l'opportunité de créer des postes avancés accueillant
des médecins généralistes au sein des hôpitaux, il a
considéré qu'il s'agissait d'une solution intéressante
mais qui ne pouvait pas constituer la seule réponse au problème
de l'engorgement des urgences.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a relevé que nombre de patients
se rendaient directement aux urgences et s'est demandé si la
création de services d'accueil et d'orientation à
côté des urgences constituerait une réponse adaptée.
Le Docteur Michel Ducloux
a indiqué que les urgences
n'étaient pas faites pour accueillir tous les patients et que les
médecins généralistes jouaient un rôle de
sentinelle. Il a précisé qu'une régulation, pouvant
notamment passer par le centre 15, était nécessaire.
M. Jacques Pelletier, président
, s'est interrogé sur les
raisons pour lesquelles les patients se rendent directement aux urgences et a
noté le manque de médecins ainsi que leur souhait légitime
de mener une vie normale.
Le Docteur Michel Ducloux
a relevé que les médecins
voulaient davantage concilier vie familiale et vie professionnelle et que la
féminisation du corps médical devait être prise en compte.
Il a ajouté que les patients se rendaient à l'hôpital en
raison du caractère très complet de l'éventail des soins
qu'ils peuvent y trouver. Il a toutefois précisé que, depuis la
grève des gardes, les patients avaient pris conscience du rôle
indispensable des médecins de famille qui avaient retrouvé toute
leur confiance. Il a estimé que la tendance à se rendre
directement vers les urgences n'était pas irréversible.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a estimé qu'il serait difficile
de changer cette pratique.
M. Alain Gournac
a souhaité obtenir des précisions sur la
responsabilité du Conseil de l'ordre pour ce qui concerne la permanence
des soins. Il a relevé que, dans son département, nombre de
médecins était théoriquement de garde, mais qu'en
pratique, certains répondeurs renvoyaient vers SOS Médecins, et
il a souhaité savoir s'il existait une obligation de trouver un
remplaçant. Il s'est ensuite interrogé sur la possibilité
de mieux gérer les départs en vacances des médecins et a
estimé que ces derniers pouvaient aider à détecter les
personnes les plus faibles.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a rappelé que le médecin
de famille avait une connaissance irremplaçable des malades et
souhaité savoir comment fidéliser les patients.
Le Docteur Patrick Bouet
a indiqué que le rôle du Conseil
de l'ordre avait été modifié par les décrets du 15
septembre 2003. Il a précisé qu'avant cette date, le Conseil de
l'ordre avait la responsabilité de l'organisation du tableau
départemental de permanence des soins. Il a indiqué que, depuis
le mouvement de grève et les décrets du 15 septembre 2003,
la permanence des soins était fondée sur le volontariat, mais que
ses modalités n'en étaient pas connues. Il a
précisé que le Conseil n'était plus depuis cette date
l'organisateur de premier niveau, mais avait un rôle d'incitateur et
d'organisateur de deuxième niveau si le tableau de permanences
était incomplet. Il a ensuite indiqué qu'il n'y avait pas de plan
de vacances des médecins. Concernant l'évolution de la
démographie médicale, il a estimé que des
difficultés se poseraient dans les années à venir et
relevé la féminisation du corps médical, le recul de
l'âge moyen d'installation et que 50 % des médecins auraient
plus de 50 ans en 2012. Il a ajouté que l'augmentation du numerus
clausus ne produirait d'effet qu'à long terme. Concernant la
possibilité de participer à un réseau d'alerte, il a
indiqué que les médecins avaient leur propre système
d'alerte, mais que la mise en place d'un tel système sur le plan
collectif était malaisée, notamment en raison de la règle
du secret médical.
M. Jacques Pelletier, président
, a estimé
nécessaire de mettre en place une liste d'alerte, mais a souligné
les difficultés de sa mise en place.
Mme Valérie Létard, rapporteur
, a souhaité savoir
comment associer les médecins libéraux à la coordination
des acteurs au niveau local.
M. Hilaire Flandre, rapporteur
, a rapporté les propos du
Professeur San-Marco, lequel a indiqué à la mission d'information
que, même en croisant tous les fichiers disponibles, on estimait à
environ 25 000 le nombre de personnes fragiles ne pouvant être
recensées à Marseille. Il a souhaité connaître les
causes du retard d'installation des médecins constaté depuis plus
d'une décennie et s'est interrogé sur l'absence de plan de
vacances.
Le Docteur Patrick Bouet
a indiqué qu'il n'y avait pas de plan de
ce type mais une action permanente pour s'assurer que les médecins sont
présents pour répondre aux besoins de la population. Il a
précisé que les médecins étaient en place mais
qu'ils n'avaient pas été sollicités. Il a expliqué
que le retard d'installation découlait de l'allongement de la
durée des études de médecine. Concernant le
repérage des personnes fragiles, il a indiqué que de nombreux
systèmes existaient déjà mais qu'il n'y avait pas de
regroupement de ces différentes sources d'information.
M. Alain Gournac
a souligné le rôle indispensable des
médecins en ce domaine.
Le Docteur Michel Ducloux
a indiqué que les médecins
étaient partagés entre les impératifs de santé
publique et la nécessaire prise en compte de la liberté
individuelle de leurs patients.
M. Jacques Pelletier, président
, a remercié les
intervenants pour leurs propos, en soulignant leur importance pour le rapport
que la mission commune d'information présentera prochainement.
LA FRANCE ET LES FRANÇAIS FACE À LA CANICULE : LES LEÇONS D'UNE CRISE
L'été dernier, au milieu du mois d'août, les
Français horrifiés ont découvert les effets meurtriers
d'une canicule que nul n'avait prévue, qui a frappé plus
particulièrement les personnes les plus fragiles, et notamment les
personnes âgées aussi bien à leur domicile, que dans les
maisons de retraite et les hôpitaux.
Le 1
er
octobre 2003, le Sénat a autorisé la
création d'une mission commune d'information, dont le champ
d'investigation était ainsi défini : «
La
France et les Français face à la canicule : les
leçons d'une crise
».
Au-delà des conséquences sanitaires tragiques de cet
événement climatique extrême et inédit, le
Sénat a, en effet, souhaité élargir les compétences
de sa mission aux incidences de la canicule et de la sécheresse dans le
domaine économique, énergétique et environnemental.
A l'issue d'un programme de plus de quarante auditions, dont celles des huit
ministres concernés, et de six déplacements, dont un en Belgique,
la mission a pu constater que les effets de la canicule ont été,
en définitive, gérés de manière relativement
satisfaisante en matière économique, énergétique et
environnementale. A l'inverse, nos structures sanitaires et sociales, qui sont
traditionnellement prises de court lorsqu'elles sont confrontées
à des phénomènes inédits, comme l'ont montré
plusieurs crises sanitaires dans un passé récent, ont
révélé leurs faiblesses, en dépit d'une
mobilisation exemplaire des personnels de terrain.
En effet, notre système de veille sanitaire et d'alerte a failli, la
communication en temps de crise reste à inventer, le cloisonnement des
administrations centrales n'a pas permis de prendre conscience en temps utile
de la gravité de la catastrophe, l'imbroglio des compétences des
multiples acteurs au niveau local n'a pas facilité la synthèse de
signaux épars, le recul de la médecine de ville par rapport aux
urgences a contribué à l'engorgement de ces dernières...
La mission préconisera en conséquence une douzaine d'orientations
et des propositions, aussi concrètes que possible, pour prévenir
à l'avenir le renouvellement de telles conséquences tragiques.
Celles-ci prolongent les mesures déjà présentées
par le gouvernement et s'efforcent notamment de tenir compte du vieillissement
inéluctable de la population française, dont les pouvoirs publics
n'ont pas encore pris pleinement la mesure.