D. L'ORGANISATION DE NOTRE SYSTÈME MÉDICAL À REVOIR

La crise sanitaire d'août 2003 est révélatrice de deux tendances lourdes qui affectent le système sanitaire français : l'accroissement très rapide de l'activité des services d'urgence et la désaffection progressive des médecins libéraux à l'égard du système des permanences de garde.

1. Une nouvelle articulation entre médecine libérale et urgences


a) L'évolution de la fréquentation des urgences

L'engorgement des urgences pendant la crise de la canicule conduit à une nécessaire réflexion dans ce domaine.

Les services des urgences sont de plus en plus sollicités. De fait, le nombre annuel des admissions s'établit en effet, pour l'ensemble du territoire, à 13 millions de personnes. La tendance à l'accroissement rapide du recours aux urgences est un phénomène de société très significatif, en particulier dans les grandes agglomérations.

Lors de son audition, Mme Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l'AP-HP n'a pas caché sa préoccupation à ce sujet : « La question qui se pose alors est la suivante : que sont devenues les urgences ? L'hôpital public, en particulier à Paris, se transforme en médecine généraliste de proximité. Il faut donc s'interroger sur la manière de traiter cette évolution de la manière la plus économe pour la collectivité. »

Ce phénomène peut s'expliquer par la conjonction :

- d'un certain consumérisme des patients qui recherchent, pour reprendre les termes employés par le professeur Carli, à être pris tout de suite en charge dans ce qui est désormais perçu comme des « hypermarchés de la santé » ou des « libres-services de la médecine », même en cas d'affection bénigne ;

- d'une certaine désaffection du corps médical pour le système des permanences de garde, en raison d'une augmentation de la moyenne d'âge des médecins, d'une féminisation de plus en plus grande de la profession et d'une recherche, au demeurant légitime, d'une meilleure qualité de vie.

Cette tendance pose néanmoins problème lorsque l'affluence spontanée aux urgences est de nature à perturber le traitement de celles qui sont vitales. Il convient en effet de bien distinguer le cas des urgences vitales de celui des affections bénignes.

Interrogée sur ce point, Mme Rose-Marie Van Lerberghe a apporté les précisions suivantes : « Soit dit en passant, contrairement à ce que la presse véhicule, des temps d'attente longs ne sont pas révélateurs de dysfonctionnements majeurs. Je considère qu'attendre 8 heures pour un petit bobo, parce que l'on aura fait passer, en priorité, les cas urgents, ne peut pas être considéré comme un dysfonctionnement. Je pense qu'il faudrait expliquer aux usagers que s'ils attendent, c'est parce que leur situation n'est pas très grave. Je reconnais que cela est difficile à faire comprendre, mais il est nécessaire de développer la pédagogie sur ce point. »

b) Un système de garde des médecins libéraux en crise

Un constat s'imposait avant même la crise de l'été dernier : l'articulation entre la médecine libérale et les urgences n'était plus satisfaisante. Le rapport de l'IGAS précité notait ainsi, sur un échantillon de dix départements étudiés, que :

- dans certains, comme Paris et la Seine-Saint-Denis, il n'existait plus de tableaux de garde nominatifs et la permanence de soins était assurée exclusivement par les associations de médecins effectuant des visites à domicile 24 heures sur 24 ;

- dans deux autres départements, la Côte-d'Or et l'Isère, les tableaux de garde présentaient une fiabilité satisfaisante, les absences éventuelles étant connues ;

- dans les six autres, la situation était variable selon les secteurs de garde et qu'on y constatait des situations où « les tableaux de garde sont incomplets ou peu fiables, voire inexistants ».

Au-delà de la seule question des permanences, la mission ne peut également que constater une pénurie de médecins libéraux dans certaines parties du territoire, notamment en milieu rural. Les médecins en activité éprouvent en particulier des difficultés pour trouver des remplaçants pendant leurs vacances.

c) Une nécessaire remise à plat

La remise à plat de l'articulation entre la médecine libérale et les urgences passe par tout d'abord par la réforme du système de garde.

Le décret précité du 15 septembre 2003 réformant l'organisation des systèmes de garde des médecins libéraux est le fruit d'une concertation antérieure à la canicule, qui avait été placée sous l'égide de notre ancien collègue, M. Charles Descours.

Il s'agissait d'un préalable indispensable pour remédier à une situation devenue très problématique. Le nouveau système de garde repose sur la base du volontariat et il conviendra de veiller à sa bonne application.

S'agissant des urgences, la solution qui consisterait à restreindre leur accès ne semble pas opportune. Il est toutefois indispensable de réorienter, sous une forme ou sous une autre, une partie des demandes qui relèverait naturellement de la médecine de ville.

Le Professeur Carli a prôné en ce domaine le recours à des cabinets de médecins libéraux qui seraient ouverts, sur la base du volontariat, les jours de fin de semaine.

M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, a indiqué à la mission que plusieurs solutions étaient, à ses yeux, envisageables. Outre la réorganisation des systèmes de garde, il s'est prononcé en faveur de la co-régulation dans les centres 15 entre les urgentistes et les médecins, même si celle-ci semble pour le moment difficile à mettre en place pour des raisons financières, et pour la création de maisons médicales installées à proximité de l'hôpital.

Une telle solution semble recueillir un assez large consensus. Mme Rose-Marie Van Lerberghe a ainsi indiqué à la mission qu'une expérience de ce type était actuellement conduite à l'AP-HP : « A Robert Debré, il se trouve qu'au-dessus des urgences, se trouvent des boxes de consultation pour l'hôpital. Nous avons fait appel à une association qui salarie des médecins et nous lui avons proposé de s'occuper de ces consultations. Lorsque les personnes arrivaient aux urgences, en fonction de leur cas, nous leur proposions de monter à l'étage et de consulter les médecins généralistes de l'association. Nous avons eu très peu de refus. 25 % des flux ont été absorbés de la sorte. »

Le ministre de la santé a estimé lors de son audition que cette solution pourrait être développée largement : « Enfin, la troisième possibilité est celle des maisons médicales que je réclame depuis deux ans en favorisant leur installation juste à côté de l'hôpital. Actuellement, les malades viennent spontanément aux urgences. S'ils sont examinés dès leur arrivée dans une maison médicale, certains n'auront pas besoins d'aller jusqu'à l'hôpital. Cela constituerait une consultation de dispensaire qui éviterait d'embouteiller les urgences. Je pense que nous devons nous diriger vers cette solution. Je ne suis pas pessimiste. Il y a aujourd'hui une centaine de projets de maisons médicales et quarante sites fonctionnent déjà. Je pense que cela va permettre de mettre sur pied un système de permanence de soins. »

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