III. LA NÉCESSITÉ DE TIRER TOUTES LES LEÇONS DE CETTE CRISE
La crise
de la canicule a été vécue, à juste titre, comme un
véritable drame national. Cette tragédie est à l'origine
d'une prise de conscience non seulement des risques sanitaires de
l'hyperthermie et de l'isolement d'une partie des personnes âgées,
mais plus encore de l'importance de l'effort que la nation doit fournir pour
faire face aux défis du vieillissement.
Compte tenu des conditions dans lesquelles notre pays a fait face à la
crise de l'été dernier, il ne peut s'agir que d'une oeuvre de
longue haleine qui concerne chaque Français.
LES
RAPPORTS PUBLIÉS ET LES ÉTUDES RÉALISÉES SUR LA
CANICULE
DEPUIS LE MOIS D'AOÛT 2003
Les
différents aspects de la crise de la canicule ont été
largement traités dans une série de rapports, ouvrages et
études :
le rapport de la mission d'expertise et d'évaluation du
système de santé pendant la canicule 2003, présenté
par le Docteur Françoise Lalande, le Professeur Sylvie Legrain, le
Professeur Alain-Jacques Valleron et le Docteur Dominique Meyniel
;
le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale
sur la crise sanitaire et sociale déclenchée par la
canicule
56
(
*
)
;
le rapport d'étape des docteurs Hémon et Jougla de l'Inserm
intitulé
« Surmortalité liée à la
canicule d'août 2003 - Estimation de la surmortalité et
principales caractéristiques
épidémiologiques »
;
le rapport réalisé par l'Institut de veille sanitaire
(InVS)
« Impact sanitaire de la vague de chaleur d'août
2003 en France : bilan et perspectives ;
le rapport
« continuité et permanence des soins
libéraux pendant l'été 2003 »
de
l'IGAS ;
le rapport de la mission d'enquête de l'IGAS sur les
« fermetures de lits en milieu hospitalier durant l'été
2003 »
;
l'étude de la CNAMTS consacrée à
« l'activité quotidienne des médecins
libéraux durant la canicule d'août 2003 »
;
l'ouvrage du Professeur Lucien Abenhaïm :
«
Canicules
» - novembre 2003 ;
les chiffres mensuels publiées par l'Insee sur le nombre des
décès en France ;
les données relatives à la mortalité dans les autres pays
européens.
Depuis le mois d'août 2003, afin de tirer les enseignements de cette
tragédie sanitaire, de nombreuses initiatives ont
déjà été prises :
• le plan
« vieillissement et
solidarités »
, annoncé au mois de novembre 2003,
vise à accélérer la médicalisation des maisons de
retraite, à développer l'accueil temporaire et à faire
bénéficier 100 000 personnes âgées
supplémentaires du dispositif des services de soins infirmiers à
domicile (SSIAD) d'ici à l'année 2008 ;
• de nouveaux financements pour les personnes âgées,
à hauteur de 850 millions d'euros par an, dans le cadre d'une
caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et l'institution d'une
journée de travail non rémunérée accompagnée
d'une contribution de 0,3 % à la charge des employeurs publics et
privés et d'une contribution de 0,3 % sur les revenus des
placements et les revenus du patrimoine, doivent en assurer la
pérennité ;
• dans le cadre des dispositions du projet de loi relatif aux
responsabilités locales, le département aura la
responsabilité d'élaborer le schéma départemental
d'organisation sociale et médicosociale ;
• le projet de loi de santé publique prévoit la
redéfinition de l'organisation du système d'alerte et des
missions de l'InVS, l'informatisation et la réforme du circuit des
certificats de décès, et le renforcement du dispositif du plan
blanc ;
• la préfecture de police de Paris, en matière de
sécurité civile, a mis en oeuvre, pour l'Ile-de-France, un
dispositif opérationnel plus réactif ;
• les établissements d'hébergement pour personnes
âgées feront l'objet d'un « plan bleu »
sur le modèle du « plan blanc » des
établissements hospitaliers ;
• le
« plan urgence »
du ministre de la
santé permettra, sur les cinq prochaines années, d'affecter 489
millions d'euros à la création de 10 000 postes et
à l'ouverture de 15 000 lits supplémentaires.
Tout en se félicitant de l'ampleur des dispositions du plan
« vieillissement et solidarités », la mission note
qu'il ne peut s'agir que d'une première réponse partielle, au
regard de l'évolution démographique de notre pays. Le nombre des
personnes âgées de plus de 85 ans, dont 26 % sont
hébergées aujourd'hui en maisons de retraite, devrait doubler
entre 2005 (1 055 000) et 2020 (2 099 000). A
tendances inchangées, le besoin de création de places nouvelles
en institution pourrait ainsi atteindre 250 000 en 15 ans.
Les propositions de la mission commune d'information du Sénat tiennent
naturellement compte de cet ensemble de mesures et s'inscrivent dans les
actions déjà engagées.
Mme Rose-Marie Van Lerberghe a parfaitement illustré, lors de son
audition, l'ampleur du défi que représente la couverture des
besoins sanitaires d'une population vieillissante :
« Je me
suis rendue dans deux établissements de personnes âgées,
qui n'ont pas enregistré de morts dues à l'hyperthermie,
Bretonneau et Vaugirard. Pourquoi n'ont-ils pas enregistré de
morts ? Le personnel prenait la température des personnes
âgées 4 fois par jour, au minimum. Dès que la
température dépassait les 38 degrés, les personnes
étaient placées sous perfusion. Je rappelle que seules les
infirmières peuvent poser des perfusions, pas les aides-soignantes.
L'intensité de soins infirmiers à mettre en oeuvre est impossible
pour les maisons de retraites. La collectivité se rend-elle compte de
l'effort demandé ? »
Elle a également estimé qu'il convenait de repenser
l'organisation même de l'hôpital dans notre pays :
« Il faut également se poser la question en termes de
filière. De plus en plus, l'hôpital prend en charge les personnes
âgées. 50 % des personnes de plus de 75 ans iront à
l'hôpital l'année prochaine. Or, notre hôpital est
organisé sur le principe des spécialisations, qui fait que l'on
ne voit qu'une petite partie de la personne. La gériatrie nous apprend
la vision globale. En effet, chez les personnes âgées, il faut
prendre en compte les interactions, les médicaments, etc. Je pense donc
qu'il est indispensable de mettre en place, dans chaque hôpital disposant
d'un service d'accueil des urgences (SAU), une unité de soins de
gériatrie aiguë. Les gériatres pourront ainsi montrer
à leurs collègues ce que signifie la prise en charge de personnes
âgées (problèmes de contention, incontinence, etc).
L'hôpital doit intégrer la culture des soins aux personnes
âgées. Enfin, il faut apprendre à raisonner en termes de
fluidité et d'offre de soins entre les urgences, le premier aval, le
deuxième aval, etc. »
A. UNE NÉCESSAIRE PRÉPARATION AUX RISQUES CLIMATIQUES
Comme il a été indiqué plus haut, cette préparation passe d'abord par une coopération renforcée avec les services météorologiques et par la mise en place d'une chaîne d'alerte entre Météo France, l'Institut de veille sanitaire et la direction générale de la santé.
1. La sensibilisation de la population et des professionnels
La
sensibilisation de la population passe par des conseils pratiques et une action
prolongée de communication en direction du grand public.
Le caractère très simple de la plupart de ces
préconisations apparaît paradoxalement comme un handicap, dans la
mesure où une large partie de la population les considère comme
superflues.
Le Professeur San-Marco a formulé les commentaires suivants lors de son
audition :
« La solution est tout à fait triviale -ce
qui a pu paraître choquant pour certains- : il suffit simplement de
mouiller la peau avec un linge. En outre, à Marseille, nous
préconisons depuis plusieurs années l'utilisation d'un
brumisateur. Nous avons fait le test à un certain nombre de patients, en
les vaporisant sur le visage et sur les parties non couvertes. La sensation est
tellement agréable que les personnes âgées y ont
désormais recours, ne serait-ce que pour le plaisir, accessoirement pour
le confort et très accessoirement pour la survie. »
Les effets de ces mesures simples ont été perceptibles lors de la
crise de l'été 2003, la ville de Marseille et le
département des Bouches-du-Rhône ayant enregistré moins de
décès que les départements voisins. Interrogé sur
les causes de cet écart, le Professeur San-Marco a notamment
mentionné l'importance de la campagne de prévention et de
formation qui a été menée de longue date dans
l'agglomération :
« Les explications sont nombreuses.
Je ne prétends pas que cet état de fait tient seulement à
l'action que nous menons depuis 1983, mais je vais vous en dire quelques
mots. La volonté du Laboratoire, avec le Comité
départemental de l'éducation pour la santé et l'Assistance
publique, a été d'entretenir la mémoire de ce que nous
avions vécu depuis 1983, année où nous avons
recensé entre 300 et 500 morts. Nous avons donc entretenu
cette mémoire et l'avons rendue opératoire en donnant des
conseils à la population, à distance, et au corps médical
général, par la distribution de plaquettes. Un des gisements
importants du corps médical a été représenté
par les maisons de retraite. Avec le Laboratoire de gérontologie, nous
avons organisé des séances destinées aux médecins
et aux personnels administratifs des maisons de retraite, en mentionnant
simplement l'importance de refroidir la peau avec des linges ou des
brumisateurs. »
DES PRÉCONISATIONS DE BASE INSUFFISAMMENT DIFFUSÉES
Les
communiqués de presse diffusés cet été par le
secrétariat d'Etat aux personnes âgées insistaient sur des
préconisations élémentaires comme :
- boire plusieurs fois par jour et augmenter au moins d'un demi-litre par
jour les apports quotidiens en eau estimés à 1,5 litre ;
- consommer une alimentation suffisamment salée ;
- humidifier les parties découvertes du corps, se doucher les
jambes ;
- ne pas sortir sans un chapeau ou entre 10 heures et 17 heures ;
- fermer les volets, bien ventiler et aérer les appartements la nuit.
Au Centre hospitalier régional d'Orléans, où une
délégation de la mission d'information s'est rendue en
décembre 2003, les initiatives prises spontanément pendant la
période caniculaire ont consisté à :
- disposer des draps mouillés aux fenêtres ;
- distribuer un brumisateur à chaque résident ;
- acheter des « sacs à glaçons » ;
- réquisitionner tous les ventilateurs disponibles.
M. Hubert Falco, secrétaire d'Etat aux personnes âgées, a
souligné devant la mission combien, malgré leur utilité,
les circulaires émanant de ses services, le 12 juillet 2002 et
le 27 mai 2003, avaient été alors raillées pour leur
caractère « simpliste ».
Lors de son déplacement en Belgique, la mission a pu constater que les
maisons de retraite avaient spontanément pris des mesures simples,
telles que :
- la distribution de petites bouteilles d'eau de 0,5 litre, au lieu des
bouteilles normales de 1,5 litre, beaucoup moins maniables pour les
pensionnaires ;
- la mise à disposition des personnes âgées d'une eau
colorée, aromatisée à la menthe ou à la grenadine,
différente chaque jour de la semaine pour les inciter à boire...
Le Professeur San-Marco a regretté, devant la mission, qu'il ait fallu
l'expérience de la canicule de l'été 2003 pour
sensibiliser l'opinion à ces problèmes :
« Pendant vingt ans, nous avons mené cette action, avec le
Comité départemental de l'éducation pour la santé
et le Laboratoire de santé publique, quasiment dans
l'indifférence générale. Mes collègues
médecins ont bien rigolé à l'écoute de nos
propositions en faveur de gestes aussi « bêtes ».
Pendant des années, nous sommes passés pour des imbéciles.
Telle fut l'ambiance pendant vingt ans. »
Il a également considéré qu'il était possible de
modifier les comportements de nos concitoyens et de diffuser avec succès
les messages de prévention : «
A contrario,
progressivement, des personnes m'ont dit qu'elles avaient toujours fait cela et
que je n'avais pas besoin de leur faire de recommandations. Cela signifie
qu'elles se sont appropriées ces gestes simples et qu'elles n'ont plus
à nous en remercier. Ces personnes ont retrouvé et donc traduit
les bonnes pratiques séculaires. De ce fait, la mortalité a
diminué. Cela signifie que nous avons réussi à faire
repasser dans les usages un certain nombre de gestes et de précautions.
Par exemple, de moins en moins de personnes nous demandent les
précautions à prendre si elles emmènent leur enfant
à la plage entre 10 heures et 16 heures. Elles savent
aujourd'hui qu'il ne faut pas exposer un enfant sur une plage au milieu de la
journée, mais le matin tôt et le soir tard. »
* 56 Prévoir l'imprévisible, changer de regard sur le vieillissement : deux défis pour demain - Denis Jacquat - n° 1091 - 24 septembre 2003