B. UN MOUVEMENT DE RESTAURATION DU POUVOIR CENTRAL
Arrivé au pouvoir sur un programme de redressement du pays, M. Vladimir Poutine a initié et mis en oeuvre une réforme dite « de restauration de la verticalité du pouvoir », qui vise à réaffirmer l'autorité de l'Etat sur le territoire russe et à contenir l'influence grandissante prise par les régions. Cette réforme s'est notamment traduite par :
- la nomination de sept représentants plénipotentiaires du président (dits « Polpreds ») et donc du pouvoir fédéral, à la tête de sept nouveaux districts fédéraux couvrant l'ensemble du territoire ;
Selon les renseignements recueillis par la délégation lors de son déplacement, les Polpreds avaient, à l'origine, pour principale mission de veiller à la hiérarchie des normes , en faisant en sorte que le droit fédéré respecte bien le droit fédéral. A ce titre, ils exercent leur autorité sur les fonctionnaires du pouvoir central en poste dans les régions, qu'ils peuvent, le cas échéant, destituer. Enfin, ils disposent de pouvoirs militaires et de sécurité exceptionnels.
Pour l'essentiel ex-membres du KGB, les hommes qui occupent ces postes sont issus du même sérail que M. Vladimir Poutine et bénéficient de l'entière confiance de celui-ci.
- la redéfinition du partage des compétences et des ressources entre le pouvoir fédéral, les régions et les municipalités ;
Cette redéfinition a donné lieu, dans le cadre de la réforme fiscale, à l'augmentation (de 50 à 60 %) de la part des recettes fiscales qui revient à l'Etat, au détriment des régions.
- une réforme de l'administration et de l'armée ;
Afin de moderniser le fonctionnement de l'administration, l'accent a été mis sur l'allégement des structures centrales et la déconcentration, ainsi que sur l'adaptation du droit applicable à la fonction publique.
Cependant, force est de reconnaître que la réforme administrative a , pour l'heure , peu avancé . Malgré l'accomplissement d'un travail de recensement des fonctions au sein des différents ministères et agences fédérales, elle reste notamment paralysée par les divergences entre ses différents inspirateurs : administration présidentielle, appareil du Gouvernement, ministères du développement économique et du travail.
Parallèlement a été prévue une réduction des effectifs de l'armée , dont la professionnalisation a été envisagée à plus ou moins long terme. En raison du manque de moyens, le choix d'un système mixte semble pourtant prévaloir à court terme. Ainsi, le programme de réforme adopté en juillet 2003 prévoit un recours prudent et limité à des contractuels à partir de 2007, ainsi que la réduction à un an du service militaire en 2008.
- la rénovation du droit .
Comme l'a rappelé M. Grigory Tomchin, président de la commission des Affaires économiques de la Douma aux membres de la délégation, la Russie était encore dépourvue, il y a douze ans, de tout cadre juridique adapté à une économie libérale et à une société moderne . Dans ce domaine, tout était à reconstruire, tant au plan civil et pénal, que s'agissant des relations commerciales. L'adoption du code civil date seulement de 1995 et son entrée en vigueur de 1997.
L'arrivée de M. Vladimir Poutine marque la volonté de poursuivre ce chantier important, par l'élaboration d'un code de procédure pénale, d'un code de procédure commerciale, mais aussi par l'adoption d'une législation sur les professions de la justice et sur la médiation.
Il convient toutefois de garder à l'esprit que les normes juridiques sont récentes en Russie et que leur application peut encore se montrer hésitante , en particulier lorsque leur interprétation par les juges n'a pas été stabilisée.
M. Vladimir Poutine a accompagné cette rénovation du fonctionnement institutionnel par une action visant à conforter ses bases politiques .
Ainsi, il a structuré dans un parti appelé Edinaïa Rossia (« Russie Unie » ) la majorité pro-présidentielle au sein de la Douma et a favorisé la nomination de ses membres à l'ensemble des présidences des commissions, dont les communistes se sont trouvés évincés en avril 2002.
Les récentes lois sur les partis politiques et sur la lutte contre l'extrémisme visent à mieux contrôler le paysage politique qui se compose, à côté de « Russie Unie », du parti communiste de la Fédération de Russie (PCFR), d'un embryon de parti social-démocrate et de deux partis libéraux : Iabloko et le SPS.
Les élections législatives à la Douma qui se sont déroulées le 7 décembre 2003 ont conforté l'assise politique de M. Vladimir Poutine, son parti « Russie Unie » étant sorti comme le grand vainqueur de ce scrutin avec 37,6 % de suffrages exprimés. Il est vrai que le président russe n'a pas manqué d'user de sa popularité pour soutenir ce parti, donnant ainsi à la campagne un tour quelque peu plébiscitaire.
MODALITÉS DES ÉLECTIONS À LA DOUMA
Elue pour quatre ans, la Douma d'Etat se compose de 450 députés élus selon un mode de scrutin mixte :
- 225 sièges sont pourvus à la proportionnelle selon un scrutin de liste ; pour accéder à cette représentation, un minimum de 5 % des suffrages est exigé ;
- 225 sièges sont pourvus au scrutin uninominal . Le candidat arrivant en tête de sa circonscription électorale est élu à condition d'avoir recueilli au moins 25 % des voix et de ne pas être devancé par le « vote contre tous » (possibilité pour les électeurs d'exprimer leur rejet de l'ensemble des candidats en cochant sur leur bulletin de vote la case « vote contre tous ».)
Ces élections n'en font pas moins suite à une campagne terne sur le plan idéologique , au cours de laquelle le parti présidentiel a occupé le devant de la scène sans vraiment engager le débat avec les partis de l'opposition. Selon certains observateurs internationaux, tels que l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les facilités offertes par l'appareil d'Etat, en particulier sur le plan médiatique, auraient assez sensiblement avantagé le parti « Russie Unie ».
La victoire de celui-ci s'est faite au détriment du parti communiste qui a seulement obtenu 12,6 % des voix (contre 24 % en 1999) et des deux partis libéraux, Iabloko et SPS , qui ne sont pas parvenus à franchir le seuil de 5 % des suffrages exprimés permettant d'être représenté à la Douma. Les libéraux ont particulièrement souffert de l'affaire Youkos qui s'est déroulée en toile de fond de la campagne électorale, dès lors qu'ils ont été identifiés aux intérêts oligarchiques. L'éviction massive des partis libéraux de la Douma est une perte pour la vie politique russe car ils étaient un relais pour les réformes et un contrepoids face aux nationalistes.
Le LDPR , parti nationaliste de M. Vladimir Jirinovski, conforte sa place de troisième force politique (11,5 % des voix).
Enfin, ces élections consacrent l'émergence d'un parti nationaliste de gauche, Rodina (« La Patrie »), qui a recueilli 9 % des suffrages. La naissance de ce parti, quelques mois avant les élections, a été facilitée par le parti présidentiel de « Russie Unie » avec l'idée d'affaiblir les communistes. Compte tenu de son caractère éclectique, Rodina pourrait jouer un rôle pivot dans les équilibres politiques de la nouvelle Douma.
En dépit d'une importante abstention (plus de 43 % des inscrits) qui illustre le désintérêt d'une partie de la société russe à l'égard d'une vie politique peu structurée, ce scrutin laisse augurer favorablement de la victoire de M. Vladimir Poutine à la prochaine élection présidentielle en mars 2004.
Quant au parti présidentiel, s'il acquiert le statut de parti majoritaire, il lui reste toutefois à se doter d'une doctrine politique susceptible d'inspirer l'action gouvernementale.
Les sièges pourvus à l'issue des deux scrutins de ces élections législatives se répartissent comme suit :
Source : Ambassade de France en Russie
Enfin, le Kremlin s'est attaché à réduire l'influence qu'exercent les oligarques sur la vie économique depuis l'ère Eltsine.
Proche du précédent chef de l'Etat, les oligarques sont d'anciens apparatchiks et membres de la nomenklatura, qui ont su profiter des privatisations menées dans les années 1990 pour se retrouver aux postes-clés de l'économie. Mal vus de l'opinion qui leur reproche de s'être accaparés des biens publics, ils constituent une menace de division au sein même du pouvoir, compte tenu de leurs liens étroits avec les milieux politiques.
C'est pour cette raison que M. Vladimir Poutine a choisi de mettre à l'écart les oligarques les plus liés au régime précédent : exil de MM. Berezovski et Goussinski, lutte active contre la corruption par l'intermédiaire de la cour des comptes et de la procuratura, reprise en main des entreprises d'Etat.
Faisant suite à une série d'actions conduites depuis septembre 2003 à l'encontre du groupe pétrolier Youkos , l'arrestation de son patron M. Mikhaïl Khodorkovski , le 25 octobre 2003, paraît s'inscrire dans la droite ligne de cette politique.
L'affaire Youkos : de la chasse aux oligarques à la priorité énergétique
Les chefs d'inculpation officiellement invoqués tournent autour de l'évasion fiscale à grande échelle qu'aurait orchestrée M. Khodorkovski au profit de son groupe. Cependant, son arrestation n'est pas -semble-t-il- sans sanctionner également les velléités politiques du milliardaire (soutien financier aux partis libéraux, manoeuvres à la Douma qui auraient pu déboucher sur une parlementarisation du régime redoutée par M. Vladimir Poutine) et surtout la menace qu'auraient pu représenter les projets de Youkos pour l'indépendance énergétique de la Russie : constitution avec Sibneft d'un géant pétrolier russe prêt à s'allier à des majors anglo-saxonnes, construction d'oléoducs privés en Chine qui mettraient à mal le monopole de la société publique Transneft sur le transport de pétrole, ambition de devenir fournisseur privilégié des Etats-Unis...
Ainsi, l'affaire Youkos a été l'occasion pour le Kremlin de confirmer une orientation stratégique forte qu'il souhaite défendre pour la Russie : faire de la production et de l'exportation des matières énergétiques le socle de son développement économique et le bras armé de sa diplomatie. En témoignent les déclarations faites par M. Sergueï Ivanov, ministre de la défense de la Fédération au moment de l'affaire : « l'Etat ne doit pas perdre le contrôle des secteurs stratégiques de l'économie [...] j'entends , pour le pétrole, le contrôle du niveau de production, des travaux de prospection [...]. Par ailleurs, les ressources naturelles relèvent de la propriété de l'Etat et non privée. »
Cependant, selon certains observateurs, M. Vladimir Poutine pourrait lui-même être tenté de placer systématiquement aux postes-clés de l'administration des membres du FSB (ex-KGB) qui lui sont dévoués (le clan des « s ilovikis »), au risque de reproduire le modèle précédent.
De fait, comme l'analysait la politologue Mme Marie Mendras, co-auteur d'un ouvrage 5 ( * ) récent sur la Russie, dans un article 6 ( * ) paru en décembre dans le quotidien Libération, le régime politique russe ne renvoie pas encore à la démocratie, mais plutôt à un système complexe fait de luttes d'influence entre différents réseaux , de marchandages et de compromis entre des intérêts qui s'opposent.
* 5 « Comment fonctionne la Russie ? Le politique, le bureaucrate et l'oligarque » Marie Mendras, Edition CERI, Autrement, 2003.
* 6 Article publié le 8 décembre 2003, dans Libération.