B. UN DÉCLIN DÉMOGRAPHIQUE AUX ENJEUX MULTIPLES
La Russie compte aujourd'hui 144,9 millions d'habitants, ce qui correspond à une densité très faible de 8,5 habitants par km².
La situation démographique de ce pays se caractérise, en premier lieu, par un phénomène saisissant : la diminution, ces dix dernières années, du nombre de ses habitants . La population russe a diminué de 6 millions de personnes depuis l'effondrement du régime soviétique, alors qu'elle avait augmenté de 10 millions d'habitants entre 1979 et 1989. Chaque année, elle se réduit d'environ 800.000 habitants.
Ce déclin démographique préoccupant s'explique par la faiblesse de la natalité et la progression de la mortalité, dans un contexte marqué par d'importants bouleversements économiques et sociaux et par une dégradation de l'état sanitaire de la population.
La chute du niveau de vie dans les années 1990, les difficultés de logement et le manque de certitude concernant l'avenir ont eu pour conséquence un effondrement de la natalité : le taux de fécondité en 2000 n'est plus que de 1,2 enfant par femme .
L'augmentation de la mortalité est, en revanche, alimentée par l'alcoolisme, les suicides ainsi que par la réapparition d'affections telles que la tuberculose et la diphtérie, liée à la dégradation du système de santé publique.
L'emprise de l'alcool , en particulier de la vodka, est un véritable fléau. La consommation d'alcool pur par habitant en Russie (14,5 litres par an) est la plus élevée du monde. Selon une statistique citée dans un ouvrage récent 3 ( * ) sur la Russie, deux tiers des hommes qui sont décédés entre 20 et 55 ans en 2000 étaient en état d'ivresse.
Cette surmortalité s'accompagne d'un inquiétant recul de l'espérance de vie , surtout chez les hommes, pour qui elle est passée de 64 ans en 1990 à 60 ans aujourd'hui. Pour les femmes, l'espérance de vie s'établit à 72,4 ans.
La diminution de la population est également favorisée par l'émigration des Russes vers les pays étrangers, en particulier l'Union européenne. Quelque 70.000 personnes seraient concernées chaque année. Comme l'a souligné M. Biancardini, Consul adjoint de France à Saint-Pétersbourg aux membres de la délégation, cette émigration est, pour une large part, féminine, les jeunes femmes espérant trouver une autre vie dans les pays occidentaux et n'hésitant pas, pour ce faire, à passer par des agences matrimoniales.
En outre, si le mouvement d'exode rural semble s'être stabilisé, se dessine en revanche une tendance à la concentration démographique dans les régions situées à l'ouest de l'Oural .
L'exode rural a été marqué jusqu'à la fin des années 1980. Entre 1979 et 1989, le taux d'urbanisation est passé de 69 à 73 %. Ce mouvement s'est traduit par une désertion des campagnes vers les centres urbains locaux. A cet égard, il convient de souligner que la Russie compte 13 villes de plus d'un million d'habitants (en France, seul Paris dépasse ce seuil). Moscou compte 9 millions d'habitants et Saint-Pétersbourg 5 millions. Cependant, ce mouvement s'est stabilisé à la faveur de la transition économique, les difficultés rencontrées dans la vie quotidienne étant, sans doute, plus supportables en zone rurale.
On observe, en revanche, un mouvement d'abandon des régions difficiles dont le peuplement avait fait l'objet d'une politique volontariste sous le régime soviétique : l'essentiel de la Sibérie, le nord de la Russie européenne (Nenets, Arkhangelsk, presqu'île de Kola), l'Extrême-Orient russe. La disparition des avantages divers (priorité pour obtenir un logement au retour, bons de vacances, départ plus précoce à la retraite ...), l'aggravation des difficultés d'approvisionnement et l'absence d'un confort minimal incitent aujourd'hui les habitants qui étaient venus en pionniers à retourner vers les régions plus clémentes, même si le coût de ce transfert constitue souvent un frein. Au total, 70 % de l'espace russe serait aujourd'hui un espace d'émigration .
A l'inverse, seul 30 % du territoire apparaît attractif : outre Moscou et Saint-Pétersbourg vers lesquelles les flux sont toutefois limités par le système de la « propiska » (passeport intérieur), il s'agit des riches régions agricoles du sud, comme celle de Krasnodar, des régions du centre et de l'axe de la Volga.
Ce dépeuplement pose question sur le plan stratégique . Comme le soulignait Mme Hélène Carrère-d'Encausse 4 ( * ) , il laisse « un espace vide aux abords d'une Chine surpeuplée ». Un certain nombre de Chinois (entre 5 et 6 millions selon les estimations) serait déjà présent sur le territoire dans les zones frontalières de la Chine. Le dilemme pour l'Etat russe est alors le suivant : accepter que l'Est de la Russie soit le déversoir d'un trop-plein de Chinois avec, comme risques, une sinisation et une perte de contrôle de ces territoires, ou se résoudre à voir mourir des régions qui possèdent des ressources naturelles considérables et dont la mise en valeur est encore largement inachevée.
Plus généralement, le déclin démographique pose le problème de l'immigration en Russie . Certes, la population russe est déjà très diverse puisqu'elle se compose de 134 « nationalités » (Tatars, Ukrainiens, Tchouvaches, Bachkires, Mordroves, Tchétchènes ...). Mais les Russes se montrent très réticents à une ouverture qui risquerait de modifier plus largement les équilibres ethniques. Une certaine immigration existe cependant, en particulier à l'ouest de la Russie. Il s'agit d'émigrants biélorusses ou ukrainiens qui fournissent une main-d'oeuvre bon marché dans les régions frontalières pour les métiers les plus difficiles.
* 3 La Russie, perspectives économiques et sociales, C. Cabanne, E. Tchistiakova, Ed. Armand Colin, Paris, 2002.
* 4 Voir son article publié le 24 mai 2003 dans le Figaro.