b) Vers la fin d'une hiérarchie absurde et nuisible entre les langues ? Redonner du sens à un enseignement peu motivant
(1) Une distinction non pertinente
La
distinction hiérarchisante entre LV1, LV2 ou LV3, déjà
stigmatisée dans le précédent rapport constitue un
obstacle majeur pour une plus grande flexibilité dans l'organisation de
l'enseignement des langues :
- elle est incompatible avec l'objectif d'amener chaque
élève à un niveau comparable dans au moins deux langues
à l'issue de sa scolarité ;
- en outre, servant de critère de répartition des
élèves entre les différents groupes de langues, elle a
pour effet de
créer des classes très
hétérogènes
, handicap à l'efficacité de
l'enseignement, notamment lorsque les effectifs sont pléthoriques.
Le
lien établi artificiellement entre le niveau de compétences
supposé atteint et le moment du début de l'apprentissage n'est en
rien pertinent
. On remarque ainsi que de nombreux élèves
permutent leur LV3 et leur LV2 au bac ;
- enfin, cette hiérarchie est
un facteur de rigidité des
parcours de langues
. La LV1, dont l'apprentissage commence plus tôt,
et désormais dès l'école primaire, est aussi celle sur
lesquels le plus d'efforts sont portés. Cela invite à une
réflexion sur
des modalités de parcours plus souples, tenant
compte en particulier de l'allongement des cursus
du fait de l'introduction
de l'apprentissage précoce des langues, mais aussi tirant des
conclusions d'une
évaluation
digne de ce nom des
compétences des élèves.
(2) Une expérience intéressante mais trop limitée : l'expérimentation des « nouveaux modes d'organisation de l'enseignement des langues vivantes » au lycée
Une voie
alternative s'est néanmoins entrouverte, afin de mettre un terme
à cette hiérarchie : à la rentrée 2001, des
lycées d'enseignement général et technologique volontaires
expérimentent de « nouveaux modes d'organisation de
l'enseignement des langues vivantes »
25
(
*
)
.
Destinée à être conduite pendant deux années
scolaires, l'expérimentation s'est poursuivie et étendue à
la rentrée 2002, selon les lignes directrices suivantes
26
(
*
)
:
- la
globalisation des moyens horaires
en langues vivantes et la
suppression de la différenciation entre LV1, LV2 et,
éventuellement LV3 ; celle-ci doit permettre d'affecter les
élèves dans des groupes de performance ;
- la démarche laisse une
grande latitude aux équipes
éducatives
, chargées de définir les priorités
pédagogiques ;
-
l'évaluation,
placée au coeur du dispositif,
«
permet à la fois de déterminer le niveau
d'exigence à atteindre et de vérifier qu'il a bien
été atteint
».
La diffusion reste néanmoins confidentielle : seuls
30 établissements se sont portés volontaires en 2001, et
60 environ en 2002
, les expériences menées n'ayant
concerné presque exclusivement que des classes de seconde.
A l'occasion d'un
premier bilan
de cette expérimentation
27
(
*
)
, un certain nombre
d'avancées positives ont été mises en lumière, en
particulier le renforcement de la cohésion des équipes
éducatives autour de la définition d'objectifs et de
stratégies de progression des élèves, et
l'implication
des élèves,
qui se sentent engagés dans un processus
d'évolution.
Ils ont en outre permis de souligner les principales difficultés
rencontrées lors de la mise en place des différents projets dans
les établissements volontaires, en premier lieu la question de
l'évaluation, ce qui n'est que le reflet des lacunes de notre
système en ce domaine...
(3) Quelles perspectives ? Prévenir la désaffection pour les langues et rendre l'apprentissage plus efficace
A
l'issue d'un bilan de l'efficacité respective des différents
projets établis par les équipes éducatives des
établissements participants à l'expérimentation
28
(
*
)
, il serait
souhaitable
d'étendre cette expérience prometteuse.
Plusieurs facteurs
plaident en ce sens :
- elle pose clairement le principe selon lequel l'objectif de
l'enseignement des langues se décrit en termes de compétences et
que l'évaluation en est indissociable ;
- elle met fin à la hiérarchie entre LV1 et LV2 pour tendre
à un rapprochement progressif des niveaux de compétences dans les
deux langues ;
- elle ne fige plus les élèves dans des profils de
compétences supposées mais privilégie une
démarche de progression personnalisée, fondée sur
l'évaluation régulière et la définition d'objectifs
précis
; elle apporte une réponse au problème
d'hétérogénéité des classes et à la
faible motivation des élèves pour un enseignement jugé
répétitif ;
- elle peut contribuer à maintenir ou
renforcer la
diversification de l'offre de langues au sein de l'établissement en
permettant des parcours plus souples
et des interactions entre les langues
(passer à une phase d'entretien, possibilité de débuter
une autre langue...) ;
- cette démarche s'inscrit en outre pleinement dans la tendance au
renforcement du principe de l'autonomie des établissements,
réaffirmé par la circulaire de préparation de la
rentrée 2003.
Comme l'affirme M. François Monnanteuil, doyen du groupe Langues
vivantes à l'IGEN, «
il s'agit bien de donner du sens au
regroupement des élèves et au fond, c'est une manière,
trop souvent oubliée, de donner du sens à l'apprentissage des
langues, ce qui est une condition indispensable à l'efficacité de
l'institution scolaire.
»
UN
SIGNE DE LA DÉSAFFECTION POUR LES LANGUES :
LA CHUTE DES
EFFECTIFS À L'UNIVERSITÉ
Sans
réaction, l'enseignement des langues vivantes conservera son
caractère répétitif, peu motivant, dont une des
répercussions inquiétantes est la chute des effectifs dans les
départements de langue des universités, y compris en anglais.
En effet, depuis la rentrée 1994, la filière
« langues » à l'université a perdu, en
2000-2001 plus de 23 000 étudiants, soit 14,5 % de ses
effectifs (138 343 étudiants inscrits en 2000-2001, soit
9,7 % de l'ensemble des étudiants inscrits à
l'université).
Cette diminution régulière affecte surtout le secteur Lettres,
langues et civilisations étrangères (LLCE) : ce secteur
représentait les ¾ des effectifs de la filière langue
en 1994, les 2/3 en 2000, soit une chute de plus de 25 % des
effectifs. La filière langue est composée de trois autres
secteurs : français langue étrangère (6,4 % des
effectifs, en hausse de 60 %), cultures et langues régionales (CLR,
1 % des effectifs, en hausse de 70 %), et langues
étrangères appliquées (environ ¼ des
étudiants, en hausse de 9,1 % de 1994 à 2000). Or, c'est
dans cette filière que se recrute le vivier traditionnel de candidats
aux concours de l'enseignement...
* 25 Note de service n° 2001-158 du 24 août 2001, BO n° 31 du 30 août 2001.
* 26 Lettre du 17 juillet 2002 adressée aux recteurs par la direction de l'enseignement scolaire, visant à encourager les académies à poursuivre et à étendre l'expérimentation engagée en 2001.
* 27 Séminaire organisé par la DESCO et l'IGEN au CIEP de Sèvres le 16 mai 2001, dans le cadre des actions du « Programme national de pilotage ».
* 28 En fonction des objectifs fixés en 2001 par le ministre Jack Lang, il revient à l'Inspection générale de l'Education nationale de dresser ce bilan, à l'issue des deux premières années de l'expérience et de faire des recommandations pour une généralisation des dispositifs les plus performants à la rentrée scolaire 2003.