b) Quand « rationalisation » de la carte des langues vivantes rime avec « resserrement » de l'offre linguistique
Comme le souligne la Cour des comptes dans un rapport d'avril 2003, « Gestion du système éducatif », la gestion de la carte des langues vivantes et des options illustre les contraintes et les limites du pilotage académique de l'offre scolaire . Les marges de manoeuvre des académies sont faibles, et les objectifs à concilier parfois contradictoires : assurer une diversification des enseignements tout en organisant une gestion plus économe des moyens d'enseignement, assurer une rationalisation et une mutualisation de l'offre, tout en limitant les effets de concurrence et de sélection sociale entre les établissements scolaires.
(1) Les fermetures de classes, une hypothèque lourde sur l'avenir des langues à faibles effectifs
La
fixation de
seuils d'effectifs
pour le maintien des classes constitue la
principale menace pour préserver une offre de langues large. Ils varient
d'une académie voire d'une inspection d'académie à
l'autre, mais la politique consiste le plus souvent à faire
disparaître les groupes à faibles effectifs, soit par des
fermetures autoritaires, soit en ne finançant plus les enseignements
correspondants dans le cadre de la dotation horaire allouée à
l'établissement.
Dans l'académie de Paris, depuis la rentrée 2000, un dispositif
d'alerte pour les enseignements à faible effectif (inférieur
à 10 élèves) a été mis en place, ce qui a
conduit à un resserrement de l'offre linguistique : en 2001-2002,
11 fermetures de classes et 47 avertissements en collège,
13 fermetures et 21 avertissements en lycée, ont principalement
affecté les classes de russe et d'allemand...
Or, comme le souligne M. Jean-Michel Hannequart, président de
l'ADEAF
22
(
*
)
, le maillage
relativement dense dont bénéficie encore l'allemand (70 % des
collèges le présentent en LV1, 90 % en LV2) constitue l'un de ses
atouts principaux, mais que «
si ce réseau venait à
disparaître, l'allemand se retrouverait très vite parmi les
langues rares
»...
Dans l'inspection académique du Loiret, pour la rentrée 2003, le
seuil minimal pour un groupe de langue est établi à 15
élèves, seuil en deçà duquel
« le
maintien de l'enseignement doit être
reconsidéré » : « certes, des
regroupements d'élèves appartenant à deux niveaux
différents sont autorisés par les textes (...). Mais pour les
langues ayant une faible audience, la conjugaison des arguments
pédagogiques et des contraintes de gestion justifie des décisions
de suppression. Un maintien ne peut se concevoir que si un objectif de
redressement de la situation est inscrit dans le projet d'établissement,
avec des assurances crédibles dans la
durée
. »
23
(
*
)
Dans d'autres académies, comme à Toulouse ou à Lille,
l'objectif de diversification prime sur celui de rationalisation :
à Toulouse, en italien LV1, près de 70 % des heures sont
assurées devant des effectifs inférieurs à
10 élèves, contre 30 % au niveau national.
La Cour des comptes met en exergue les effets pervers de ces fermetures :
enseignants en sous-service, augmentation des surnombres disciplinaires
(c'est-à-dire le personnel en sureffectif par rapport aux besoins
d'enseignement de leur discipline), phénomènes de
détournement de la carte scolaire, la fermeture d'une option pouvant
renforcer l'effet « ghetto » de certains
établissements...
C'est pourquoi le traitement par les rectorats des
demandes de
dérogation
est un critère déterminant. Or certains
recteurs s'y opposent, voyant dans ces demandes une manière
déguisée d'aller intégrer un lycée élitiste,
ce qui limite les possibilités de recrutement pour les langues à
faibles effectifs et contribue à les précariser davantage.
(2) Les contraintes de la dotation horaire globale : des économies qui coûtent cher
Attribuée pour l'année scolaire par les
autorités académiques, de plus en plus grignotée pour
cause de rigueur budgétaire, la dotation horaire globale (DHG) limite
les marges de manoeuvre dont disposent les chefs d'établissement pour
préserver une offre diversifiée de langues et
conduit aux
arbitrages les plus rentables
: mieux vaut conserver une option
« sciences économiques » regroupant
35 élèves qu'un cours de russe LV3 d'à peine
10 élèves...
Seul un engagement personnel déterminé en faveur des langues peut
aller à l'encontre de telles fatalités. En effet, proposer une
langue rare et réputée difficile peut être utilisé
comme un facteur d'attractivité.
En annonçant, en mars 1997, que seraient pris en compte, pour
établir la DHG de chaque établissement, les besoins
spécifiques nécessaires au maintien des langues les moins
enseignées, M. Claude Allègre avait suscité de
nombreux espoirs. Mais la réalité n'a toujours pas rejoint les
effets de palabres. C'est pourquoi il serait
salutaire et urgent pour
préserver l'offre des langues minoritaires, de plaider à nouveau
pour qu'elles sortent de la DHG et se voient attribuer une enveloppe
séparée
, traitement de faveur qui existe en outre
déjà pour les langues régionales...
* 22 Association pour la Défense de l'Enseignement de l'Allemand en France
* 23 Orientations adressées aux principaux de collège pour la rentrée 2003