Zone méditerranéenne
1. M. Patrice Vulpian, président du comité du foin de Crau
Le comité du foin de Crau est un organisme technique de défense de producteurs, gérant l'appellation d'origine « foin de Crau ». Nous sommes situés dans une zone où les enjeux fonciers sont importants, entre Arles, Marseille, Salon-de-Provence et Fos-sur-Mer.
Nous avons fondé notre démarche sur l'article de la directive Habitats qui préconise la prise en compte des exigences économiques et culturelles, et des particularités locales, de manière à bâtir quelque chose d'harmonieux, enraciné dans le concret.
Voici la motion que les producteurs de foin de Crau ont prise le 17 septembre 1998 :
« Les producteurs de foin de Crau veulent poser leur candidature pour faire partie du réseau Natura 2000, ceci sur des bases contractuelles, individuelles et volontaires. Ils veulent ainsi être des acteurs incontournables de la Crau et participent activement à la rédaction d'un DOCOB préalable à l'inscription définitive. Ils s'appuient dans cette démarche sur la gestion de la quasi-totalité de la Crau verte.
Ils veulent mettre au centre du dispositif l'équilibre économique de leur production qui seul garantit la gestion harmonieuse des espaces. Ils sont certains que l'avenir de leur production et la qualité de vie qui va de pair sont solidaires des soucis du respect de l'environnement soulevés par d'autres, mais ils seront vigilants à ce que soient respectés leurs avis et intérêts ».
Nous sommes allés plus loin que prévu, puisque nous sommes devenus des opérateurs locaux.
Les agriculteurs et éleveurs qui gèrent ce territoire ont bénéficié de mesures agri-environnementales importantes échelonnées au fil des années.
La Crau sèche est un désert de cailloux, un des derniers regs d'Europe et à ce titre la Communauté européenne a fait beaucoup d'efforts pour essayer de la protéger.
La Crau des prairies, quant à elle, est un bocage que l'on est surpris de trouver en cet endroit, mais qui grâce à un arrosage important peut fournir un foin de qualité chaque année.
Le périmètre Natura 2000 couvre pratiquement tout le périmètre de l'AOC « Foin de Crau », soit un total de 31.000 hectares. À l'intérieur de ce périmètre se trouve la zone de protection spéciale (ZPS) que constitue la Crau sèche. C'est le couple éleveurs/producteurs de foin qui assure la valorisation et l'entretien des prairies et de la steppe de Crau. Sur le territoire vivent quelque 105 espèces d'oiseaux, (dont certaines sont relativement rares), de libellules, de chauves-souris ou encore de reptiles.
A cet endroit, l'eau, n'est pas « naturelle » et elle y a été amenée au XVIe siècle pour alimenter des moulins. Aujourd'hui, elle arrose les prairies. La nappe de Crau, indépendante, est alimentée à 70 % par l'arrosage gravitaire des prés. Elle permet également à 200.000 personnes de disposer d'eau potable, et aux activités agricoles et industrielles de prospérer sur la Crau.
Le contrat territorial d'exploitation (CTE) validé sur la Crau en 2002 prenait en compte le document d'objectifs Natura 2000. Aujourd'hui, les montants annoncés par les contrats d'agriculture durable (CAD) ne permettront apparemment pas d'honorer ces engagements. Les agriculteurs et les éleveurs de la Crau ont pris des risques en s'impliquant dans ce réseau écologique européen. Ils bénéficient donc d'un outil supplémentaire pour faire le poids face aux multiples convoitises foncières qui menacent leur territoire. Obtiendront-ils les mesures financières d'accompagnement promises qui leur permettront de continuer leur métier ? Là est la question.
2. M. Gérard Jouve, président de l'Agence publique du massif des Alpilles, maire des Baux-de-Provence
Nous avons aujourd'hui dans les Alpilles deux objectifs : Natura 2000 et l'établissement d'un parc naturel régional. La principale menace envers les Alpilles réside dans la sur-fréquentation touristique alliée à la non-maîtrise du foncier. Nous avons donc opté pour Natura 2000, dans la mesure où nous y voyons un moyen de mieux maîtriser notre territoire. Pour avoir présidé le Parc de Camargue, j'ai connu la manière dont des opérateurs non concertés ont tenté de nous imposer Natura 2000, « à la hussarde ». J'avais ainsi à l'époque tourné le dos au dispositif. Mais les choses ont changé, notamment parce que l'on s'est rendu compte que le bon sens et la connaissance du terrain que manifestent les élus locaux, notamment en zones rurales, sont plus pertinents et efficaces que le travail des opérateurs.
Notre Agence du massif des Alpilles s'est ainsi constituée très naturellement, très spontanément, entre élus responsables et opérateurs de Natura 2000. L'État nous a aidés notamment en nous délégant un chargé de mission, poste subventionné par le ministère de l'Écologie. Nous avons misé sur la conviction des élus, des associations, des agriculteurs et de tous les « utilisateurs » du massif.
Le massif des Alpilles était en perdition, du fait d'un changement subit d'agriculture. Il s'agit pour nous aujourd'hui de reconquérir notre territoire pour donner finalement raison à Natura 2000. Ce sont d'ailleurs les « nouveaux » agriculteurs qui sont à l'origine de la recherche de qualité, notamment à travers les AOC. Nous avons parallèlement découvert que la remise en place du bétail dans les Alpilles s'avère être un excellent moyen d'entretien et de sécurité pour une partie du Massif. Cette réintroduction a permis de réhabiliter certains espaces que nous ne connaissions plus.
Dans la démarche Natura 2000 nous avons demandé deux engagements essentiels. D'une part que le principe de chasse ne soit pas remis en cause, dans la mesure où nous avons affaire à des chasseurs traditionnels qui sont de merveilleux connaisseurs des Alpilles et des espèces qui y vivent. D'autre part, et c'est une volonté que nous souhaitons affirmer clairement, que les agriculteurs soient associés au processus Natura 2000. En effet, ils se sont déjà imposé des contraintes, notamment à travers les AOC, qui respectent la totalité des directives Habitats et Oiseaux.
Ces deux groupes, qui redoutaient le plus l'application de Natura 2000, vont sans doute être ceux qui vont le plus nous aider à constituer et à gérer ce réseau écologique européen. Après quelque cinquante réunions avec les acteurs de la chasse et ceux de l'agriculture, nous avons aujourd'hui des partenaires, ergoteurs, certes, mais aussi particulièrement créatifs sur le DOCOB.
Les seuls qui vont pouvoir porter la directive telle qu'elle est voulue dans la loi, sont ceux qui vivent et résident dans le Massif. Les populations extérieures, que nous accueillons volontiers, témoignent d'une méconnaissance totale du territoire. C'est pour cela que nous avons engagé une démarche de parc naturel régional. Il s'agit de mieux organiser la vie économique et environnementale du Massif, ceci dans le souci d'une ouverture raisonnée et d'un développement durable.