Estuaire de la Seine
1. M. Jean-Pierre Lecomte, président du Port autonome du Havre
Je ne suis pas spécialiste de Natura 2000, mais je suis ici pour témoigner de notre projet, dont l'avenir nous dira s'il est « exemplaire », et de la méthodologie que nous avons retenue. Au début des années 1990, nous avons identifié comme enjeu socio-économique majeur le redéploiement de l'activité portuaire, qui représente un tiers de l'économie de la ville du Havre. Ce point fort aujourd'hui, était alors un point faible en termes de qualité de fonctionnement. Nous avons donc été amenés à mettre en oeuvre un certain nombre de mesures volontaristes, dont la première était la réorganisation du fonctionnement du port, tout comme l'ont fait la plupart des grands ports français, européens et même mondiaux. Nous avons réalisé ainsi ce que d'aucuns appellent « la réforme dockers ».
Le deuxième élément important fut l'investissement. La principale source de valeur ajoutée pour un port tel que celui du Havre est le transport de marchandises en conteneurs et nous avons donc développé ce secteur en ayant comme objectif d'atteindre une dimension véritablement européenne. Ce projet consiste à mettre en place une extension, dont les travaux sont aujourd'hui largement engagés, dans l'estuaire de la Seine. Chaque poste à quai représente un navire de 350 mètres de long, le site devant être le plus homogène possible, c'est-à-dire en correspondance avec le chemin de fer, la route, le fleuve...
Nos terminaux géraient jusqu'en 2000 environ 1,5 million de conteneurs. À l'horizon 2006, nous pensons atteindre les 3,5 millions.
Il s'est avéré que ce projet « Port 2000 » devait être acceptable en termes environnementaux. Ainsi d'autres parties, qui sont depuis devenues nos partenaires, nous ont interpellés pour nous signaler que nous touchions à l'estuaire, zone éminemment fragile, d'ailleurs déjà en partie détruite par les infrastructures portuaires et industrielles implantées sur la vallée de la Seine.
Un deuxième enjeu est donc apparu, à savoir la conservation, voire la réhabilitation, de l'estuaire sur le plan de la faune, de la flore, de l'halieutique, de la chasse.
En 1997 se sont engagées des concertations informelles avec les différents acteurs concernés. Les dispositions de la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l'environnement nous sont apparues très contraignantes, en imposant des débats publics et des enquêtes. Nous avons donc inauguré le débat public avec ce projet entre novembre 1997 et mars 1998. En tant que maître d'ouvrage, le Port autonome a tenu ainsi environ 40 réunions de débat public structurées avec ses partenaires, ceci sur les deux rives de l'estuaire.
Une Maison de l'Estuaire a été créée, dont le président est un ancien universitaire. Dans cette structure sont présentes toutes les parties impliquées : environnementales, économiques et politiques. Le débat public nous a permis de définir un projet bonifié à partir des sept hypothèses qui étaient présentées. Notons que la notion de compensation est rapidement intervenue dans les discussions. Les axes forts des travaux de nos techniciens se sont finalement orientés vers les vasières, l'avifaune et l'halieutique. À chacun de ces axes a été allouée une somme négociée de 45 millions d'euros.
Le projet socio-économique de départ a donc été le déclencheur de quelque chose de beaucoup plus vaste, qui dépasse le domaine portuaire en décidant de la réhabilitation de l'estuaire de la Seine. Cette démarche a débouché aussi sur la mise en oeuvre d'une nouvelle gouvernance, puisque autour de ce projet gravitent des compétences et des bonnes volontés qui s'impliquent progressivement et de manière très naturelle. Elle n'est pas encore très aboutie, mais nous apprenons en marchant.
2. M. Hubert Saint, président du parc naturel régional des boucles de la Seine normande
Notre expérience concerne un site expérimental Natura 2000 sur le Marais Vernier et la vallée de la Risle dans l'estuaire de la Seine. Depuis 4 ans, ce site est régi par un document d'objectifs qui fonctionne, même si les choses n'ont pas toujours été faciles !
De nombreuses terres très humides étaient abandonnées par les agriculteurs, car trop difficiles à exploiter. La plupart étaient reprises par les chasseurs, et d'ailleurs la Fédération départementale de chasse de l'Eure nous a accompagnés dans notre démarche.
Nous avons aussi été amenés à faire face à une sorte de phénomène « d'overdose », car les mairies ont reçu successivement les dossiers concernant la création d'une grande réserve naturelle sur l'estuaire, une extension de ZPS, la mise en oeuvre d'une directive territoriale d'aménagement (DTA), le lancement d'un dossier de classement au titre des sites et paysages... Cette accumulation n'a pas facilité les choses !
Cependant, après concertation, nous sommes arrivés à mettre en place un DOCOB, grâce à la forte implication d'un maire, né sur le site, propriétaire, chasseur, ayant passé toute sa vie professionnelle sur le site, et reconnu par tous. L'aide de la DIREN, financière et technique, a également été très positive puisqu'elle a compris dès le départ qu'il était important que les élus locaux se placent en première ligne, et non l'administration, qui a plus de difficultés à communiquer avec les acteurs de terrain. Le travail de réflexion s'est déroulé dans le cadre de commissions dans lesquelles étaient impliqués tous les gestionnaires du territoire.
Nous constatons aujourd'hui que, si de nombreux aspects sont positifs, nous avons tout de même échoué, en partie au titre de l'agriculture, avec laquelle nous n'avons pas réussi à contractualiser. Il semble que le CAD ne soit pas un outil adapté et q'un outil spécifique Natura 2000 serait sans doute nécessaire vis-à-vis du monde agricole.
3. M. Gilles Ondet, directeur de l'association de chasse du domaine public maritime de la baie de Seine et des pays de Caux
C'est aujourd'hui la première fois que je rencontre M. Jean-Pierre Lecomte, ce qui prouve qu'en matière de débat public les choses peuvent certainement être améliorées !
Je retiendrai ici l'optimisme des uns et des autres concernant la mise en application de Natura 2000. L'estuaire de la Seine couvre 40.000 hectares, mais 40.000 hectares de zones atypiques... Cette zone humide est particulièrement importante du point de vue biologique et écologique.
Les États européens ont par ailleurs signé des conventions internationales de protection de l'environnement, or ces territoires relevant du domaine public maritime ont été affectés au développement économique et donc aux ports, de manière très autonome.
Je crois que si la concertation n'a pas vraiment fonctionné c'est que l'État et les administrations ont considéré pouvoir disposer de ces zones, comme objet de leur prérogative. Le processus Natura 2000, avec la concertation et la réalisation d'un DOCOB, n'a donc pas existé chez nous.
En 1995, nous nous sommes associés aux écologistes pour faire poids dans nos manifestations contre l'urbanisation et l'implantation de la zone industrielle. Un recours a été engagé auprès de la Communauté européenne, à la suite duquel la France a été condamnée pour manquement à la désignation des ZPS et à la protection de ces zones. Nous avons alors réfléchi avec la DIREN pour trouver un statut juridique fort qui permettrait de répondre aux obligations françaises. C'est ainsi que nous avons imaginé utiliser dans le droit français le périmètre juridique important et intéressant intitulé « réserve naturelle ». Celle-ci a été mise en place en 1997. Nous pensions que, dans ce cadre, nous pourrions remplir les conditions imposées par Natura 2000, et débattre d'un plan de gestion qui serait pris en compte comme un DOCOB. Mais c'est la confusion des genres et les choses ne se sont pas passées ainsi. La réserve naturelle existe, mais les négociations concernant Port 2000 n'ont pas été réalisées dans ce cadre. Elles se sont déroulées à un autre niveau, sans que les acteurs directement concernés aient été informés. Quoi qu'il en soit des mesures ont été arrêtées, et ces mesures s'appliquent et s'imposent aujourd'hui à la réserve naturelle.
Si un chasseur ou un utilisateur veut ensemencer 10 m² sur la zone, il est obligé d'utiliser des plantes indigènes, ce qui prouve que la protection de l'environnement est extrêmement pointue !
Lorsque le Port autonome envisage un « méandrement » de l'estuaire de la Seine, il se plie à l'obligation de mener une étude d'incidence qui mentionne que le site est d'un intérêt ornithologique majeur qui connaîtra des perturbations, lourdes de conséquences lors des travaux, alors que ces travaux constituent une mesure compensatoire. Pourtant les travaux se feront et le site ornithologique « majeur » sera détruit, avec l'agrément de la commission européenne !
Tout cela devient difficile à comprendre...
Si en 1995 nous avions su que Natura 2000 allait présenter tant de difficultés, nous nous y serions sans doute opposés de manière beaucoup plus ferme. Nous le regrettons, dans la mesure où nous estimons que ce réseau écologique européen pourrait être bien mieux utilisé, dans l'intérêt de tous, y compris celui des utilisateurs.