8. Audition de l'Office national des forêts (ONF) (6 mai 2003)
En tant qu'établissement public gestionnaire de la forêt domaniale et des forêts des collectivités, sous la double tutelle du ministère en charge de la forêt et de celui en charge de l'environnement, l'Office national des forêts (ONF) a été impliqué dés le début dans la mise en place du réseau Natura 2000. La direction générale a été associée à la délimitation des sites et a apporté son expertise sur la connaissance des espèces et des habitats et les sites « réservés » ont fait l'objet de plusieurs réunions. L'ONF a également été associé à la rédaction des cahiers d'habitats forestiers parus en 2002. Cinquante forêts ont été sélectionnées pour faire l'objet d'études naturalistes, réalisées par des personnels de l'établissement ou sous-traitées, permettant d'avoir des éléments précis sur les richesses en espèces et habitats afin de les intégrer dans le document d'aménagement du massif valable pour 15 à 25 années.
L'ONF a été associé aux groupes de travail nationaux sur les notions de perturbations et de détérioration traitées par l'article 6 de la directive Habitats. Il a recruté un chargé de mission pour le mettre à disposition d'un programme Life « sensibilisation et formation à l'intégration de la biodiversité dans la gestion des habitats forestiers » commun à la France, à la Wallonie et au Luxembourg. Le résultat a été la production de deux classeurs ayant pour objet « gestion forestière et diversité biologique: identification et gestion intégrée des habitats et espèces d'intérêt communautaire » constitué de fiches habitats qui servent de base technique et scientifique à la rédaction des mesures de gestion des DOCOB forestiers.
L'ONF est le premier rédacteur de ces documents d'objectifs et il a identifié les personnels compétents en matière de connaissances naturalistes, d'animation de réunions de concertation ; les emplois-jeunes sont venus compléter ou constituer des équipes dédiées à la rédaction des documents d'objectifs.
Quelques chiffres:
Ensemble des forêts |
Forêts domaniales |
Forêts collectivités |
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TOTAL FORET DE METROPOLE |
en millions d'hectares |
15,534 |
1,780 |
2,674 |
En % du total |
100 |
11,5 |
17,2 |
|
ZICO (285 sites) (directive Oiseaux) 4,431 M ha |
en millions d'hectares |
1,595 |
0,478 |
0,383 |
En % de la catégorie de forêt |
10,3 |
26,9 |
14,3 |
|
P-SIC (1105 sites) (directive «Habitats» 3,273M ha |
en millions d'hectares |
1,395 |
0,329 |
0,289 |
En % de la catégorie de forêt |
8,97 |
18,5 |
10,8 |
Chiffres du Muséum (mai 2001)
En ce qui concerne la transposition des directives en droit interne, on ne peut que regretter que les textes sortent alors que la mise en place des sites est déjà commencée. C'est le cas des documents d'objectifs dont les premiers sortis ne comportent pas les mesures à mettre dans les contrats et qui doivent donc être complétés. De même, pour les cahiers d'habitats dont seuls 3 tomes sont sortis sur les 7 annoncés auxquels il faut rajouter le cahier d'habitats sur les oiseaux, dont la rédaction devrait débuter en 2003. Enfin, les modalités de l'animation des sites ne sont pas connues précisément, en particulier le financement de la structure désignée pour piloter l'animation.
Une autre difficulté provient du fait que certaines contestations relatives à Natura 2000 sont portées directement au niveau communautaire, sans passer par le filtre des textes et juridictions nationales et que les premières réactions européennes connues semblent privilégier une approche beaucoup plus stricte que celle des textes français. Les instances européennes s'en tiennent davantage à la lettre de la directive, là où les textes nationaux en interprètent plutôt l'esprit. C'est le cas, par exemple, de la question des évaluations des impacts environnementaux. Il peut en résulter une certaine insécurité juridique pour les opérateurs.
En ce qui concerne la désignation des zones, la procédure actuelle de consultation (circulaire sur la désignation des sites de novembre 2001) réaffirme le rôle des élus à travers la consultation obligatoire des communes et EPCI, ce qui est une bonne chose, à condition que ces élus puissent disposer d'une information de qualité pour les aider à se prononcer. En revanche, les consultations locales de l'ONF qui étaient initialement obligatoires ne le sont plus. Néanmoins, la circulaire du ministère de l'écologie et du développement durable de juillet 2002 relative aux contrats et à la concertation rappelle aux préfets l'importance de la transparence et de la concertation au niveau de chaque site (comité de pilotage du documents d'objectifs) et au niveau départemental par la réunion d'une instance de concertation et de suivi à définir (commission des sites en formation protection de la nature élargi ou comité départemental Natura 2000 s'il existait déjà). La liste des participants n'est pas fixée mais généralement l'ONF n'est pas oublié. A signaler que l'ONF est consulté par le ministère en charge de l'agriculture dans le cadre de l'examen des propositions de sites en réunion du SGCI avant leur transmission à la Commission européenne.
A propos de l'identification des zones de protection spéciale (ZPS) trois difficultés se cumulent avec une sensibilisation sans doute moins forte des services de l'Etat, qui n'y ont pas accordé, de ce fait, la même priorité que pour la directive Habitats. De plus le zonage préalable en ZICO, nettement plus ancien (1993) que celui de la directive Habitats, n'a pas forcément fait, à l'époque, l'objet du même niveau de concertation ni de moyens financiers suffisants.
L'ONF a affirmé à plusieurs reprises vouloir être moteur dans la proposition de ZPS arguant du fait que les espèces d'oiseaux forestiers ne posent pas de problèmes aussi aigus que les migrateurs oiseaux-gibier anatidés et limicoles, que des actions ont été lancées depuis longtemps pour préserver voire faciliter la réinstallation des espèces les prestigieuses (grand tétras, cigogne noire, balbuzard pêcheur, aigle botté,...) par des actions à l'initiative de l'ONF ou un partenariat dans des actions financées par l'Europe dans le cadre du Life et que pour les espèces «communes» les mesures de gestion préconisées depuis 1993 pour la prise en compte de la biodiversité dans la gestion forestière sont faciles à mettre en oeuvre. L'établissement a ainsi commandé en 1999 une étude à la LPO sur les ZICO « forestières » qui a été rendue en 2000 et 2001. Ces 163 ZICO considérées comme « forestières » par le type de formation végétale prédominante et les espèces d'oiseaux signalées concernent tout type de propriété forestière ; une description en est donnée, ce qui équivaut à une réactualisation des données de l'enquête de 1989-1990 et un classement par valeur de richesse est proposé.
S'agissant de l'élaboration des documents d'objectifs, les orientations proposées sont très variables en fonction des milieux rencontrés et des activités humaines en place. Ces orientations reposent toutes sur l'idée de concilier activités humaines et protection au travers d'un contrat et donc un minimum de « mise sous cloche » par voie réglementaire. Les difficultés rencontrées portent sur le choix de l'échelle pertinente à laquelle il convient d'évaluer l'atteinte ou non des objectifs de la directive Habitats (le site, la région biogéographique, le niveau national ou européen) et la définition, de manière objective et opposable à un tiers, du bon état de conservation d'un habitat. De plus, les DOCOB ont été rédigés dans l'idée que toutes les mesures spécifiques proposées seraient financées. Or, il apparaît probable aujourd'hui que ce ne sera pas le cas. Il conviendra de gérer avec doigté ce qui paraîtra à certains comme une rupture de promesses de l'Union européenne et de l'Etat.
Outre son rôle d'opérateur DOCOB sur environ 1/5 des documents, l'ONF intervient comme sous-traitant de la partie forestière dans d'autres cas (parcs naturels régionaux par exemple). Il s'agit surtout de sites forestiers à dominante de forêts publiques. En plus de cette « vocation à assurer la maîtrise d'oeuvre de l'élaboration du documents d'objectifs lorsque un site est circonscrit à la forêt publique ou que celle-ci y est majoritaire » 29 ( * ) l'établissement, qui est à l'interface de l'élaboration des textes d'application des lois et de la gestion opérationnelle par la mise en oeuvre du régime forestier, peut jouer un rôle de modérateur des conflits entre les populations locales et les naturalistes. C'est ainsi qu'il a été choisi pour piloter l'élaboration du document d'objectifs du site de la plaine des Maures, site où se confrontent la vision protectionniste du WWF et les souhaits d'urbanisation et de développement touristique des collectivités locales ! A signaler que l'Office a rempli l'obligation qui lui était faite de recruter des emplois-jeunes, en intégrant à ses équipes de jeunes diplômés venant de l'université ou de BTS « protection de la nature » qui ont contribué à la rédaction des DOCOB et ont acquis une solide expérience dont il serait regrettable d'avoir à se séparer.
Dans le cas particulier de l'ONF, il faut relever la difficulté à faire reconnaître aux services financiers -TPG et contrôleurs financiers- la légitimité des règles de financement pourtant établies dans le contrat Etat-ONF, selon lesquelles l'ONF est remboursé des frais spécifiquement engagés au titre de la mise en place de Natura 2000.
Les notions de perturbations et de dérangement ont été intégrées au moment de la rédaction des cahiers d'habitats forestiers auxquels l'ONF et la forêt privée ont été associés.
Cela peut se traduire par des restrictions en terme de périodes d'activité ou par des zonages. La chasse n'est -sauf exception- pas interdite, dès lors qu'elle est pratiquée dans une logique de gestion raisonnée des populations de faune gibier : elle est alors, en effet, un élément nécessaire au maintien des grands équilibres écologiques, du fait de l'absence de grands prédateurs naturels.
Il est essentiel, pour la réussite même du projet Natura 2000, que les moyens financiers soient en adéquation avec les objectifs. Il est difficile d'apprécier à ce jour cette adéquation, puisqu'un certain nombre de DOCOB ne sont pas rédigés et que fort peu ont commencé à avoir un début d'application. Toutefois, par analogie avec d'autres procédures existantes, il est vraisemblable qu'on se heurtera plus ou moins rapidement à des problèmes de moyens. D'où la nécessité de fixer très clairement les règles d'éligibilité aux aides et d'adapter en conséquence les DOCOB futurs et ceux déjà rédigés pour éviter les sentiments d'incompréhension déjà évoqués. L'ONF fait partie du comité de pilotage de l'étude en cours sur « l'élaboration de références technico-économiques pour les contrats Natura 2000 en milieux forestiers et associés ».
A ce sujet, l'idée émise par certaines structures associatives de faire financer les surcoûts de gestion induits par Natura 2000 dans les forêts domaniales par les recettes de la production forestière de ces mêmes forêts est, à notre avis, à écarter. En forêt publique le surcoût moyen de gestion a été évalué à 30 euros par ha, mais il s'agit là d'une évaluation très grossière et moyenne, les valeurs extrêmes pouvant être nettement plus élevées.
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* 29 Rappelée dans le paragraphe 2.1 du titre III du contrat d'objectifs Etat-ONF 2001-2006.