4. Audition du Groupe des Neuf26 ( * ) (23 avril 2003)

Depuis 1996, les acteurs du monde rural se sont rassemblés au sein du Groupe des Neuf et proposent une conception commune du réseau Natura 2000. Ensemble, ils sont à l'origine de la mise en place d'instances de concertation, de la préférence accordée à la gestion contractuelle des sites et du principe de compensation de gestion.

Les pouvoirs publics ont reconnu la légitimité de ces demandes, mais le devenir des sites Natura 2000 suscite encore des inquiétudes. Le Groupe des Neuf reste donc mobilisé et souhaite attirer l'attention sur les nombreuses interrogations qui persistent et sur les demandes des acteurs du monde rural.

Les difficultés relatives aux textes législatifs et réglementaires, adoptés pour la mise en oeuvre du réseau Natura 2000, sont liées aux conditions de la concertation préalable à la désignation, à l'absence de véritable information des propriétaires et à l'incertitude quant à la valeur juridique du document d'objectifs (DOCOB).

S'agissant de la procédure de consultation, le Groupe des Neuf a, depuis la parution du décret du 8 novembre 2001, et à plusieurs reprises, déploré que celui-ci n'ait pas prévu la consultation des comités départementaux de suivi et des établissements publics que sont les Chambres d'agriculture et les Centres régionaux de la propriété forestière. Contrairement à la rédaction initiale prévue et débattue au sein du Comité national de suivi, seules les communes et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) sont obligatoirement consultés. Or, cette solution présente plusieurs inconvénients majeurs :

- elle réserve aux seules collectivités le soin de se prononcer par des avis de nature scientifique, avis que bien souvent, elles ne sont pas en mesure de formuler, faute de compétences en ce domaine. Elle oblige alors les autres acteurs du monde rural, notamment les Chambres d'agriculture, à fournir à chaque commune les éléments utiles et nécessaires pour leur permettre d'adopter une position éclairée ;

- elle alourdit considérablement la procédure par des consultations, notamment des EPCI, dont les domaines d'intervention et de compétence ne concernent pas les questions environnementales.

En conséquence, on peut observer, au travers des réponses des communes, que non seulement celles qui répondent sont très minoritaires, mais que, même si les autres répondent majoritairement par la négative, il n'est pratiquement jamais tenu compte de leur avis, celui-ci étant plus souvent un avis d'opportunité qu'un avis scientifique.

La première phase de l'opération de délimitation des sites est en cours depuis onze ans. Elle se poursuit activement encore aujourd'hui. Il est quasi impossible pour des acteurs ruraux, du fait de l'opacité des méthodes, de connaître avec précision le statut exact, actuel et futur, des territoires qu'ils possèdent ou exploitent au regard de Natura 2000.

Par ailleurs, les textes n'ont pas précisé la valeur juridique des documents d'objectifs (DOCOB) et leur opposabilité, notamment dans les documents d'urbanisme et dans les opérations d'aménagement foncier.

Dans le cadre de la désignation des zones Natura 2000, la procédure de consultation des acteurs ruraux est encore loin d'être satisfaisante. Parallèlement, l'information des propriétaires et usagers n'est pas menée de manière efficace. Il manque toujours une publicité foncière pour que la procédure soit véritablement transparente. Il est indispensable qu'une référence au cadastre soit faite pour permettre aux propriétaires et aux locataires-exploitants de déterminer quelles sont les parcelles concernées. Un affichage municipal s'avère également nécessaire pour assurer une égalité de traitement entre les propriétaires. Cette information sur l'affichage en mairie doit également être publiée dans un journal départemental ou local. Par ailleurs, il est souhaitable d'encourager, lorsque cela est possible, une information directe des propriétaires des parcelles, dans un souci d'égalité de traitement.

La qualité de la consultation est par ailleurs variable suivant les sites et les départements. Toutefois, depuis la circulaire du 26 juillet 2002, on assiste à une amélioration générale lorsque les préfets réunissent les comités départementaux de suivi. Dans certains cas, les discussions permettent de dégager un accord et si, dans d'autres, les oppositions persistent, chaque partie a pu néanmoins s'expliquer. Là où les réunions n'ont pas lieu, les acteurs continuent à découvrir l'existence de propositions de sites d'intérêt communautaire (pSIC) au hasard de leurs démarches centrées ou non sur Natura 2000.

Par ailleurs, il convient de relever que les acteurs forestiers et ruraux n'ont absolument pas été informés ni associés à la délimitation des zones de protection spéciales (ZPS). Or, l'émergence de ces ZPS, sous la pression de la Commission européenne, suscite de nombreuses inquiétudes dans le milieu rural. Il est aujourd'hui nécessaire d'anticiper la création de ces ZPS, par une meilleure information et une meilleure concertation, des acteurs concernés, afin d'éviter de reproduire les dysfonctionnement qui sont d'ores et déjà constatés dans les ZSC dans le cadre de la directive Habitats.

Actuellement, quinze Chambres départementales d'agriculture ont été retenues comme opératrices pour la rédaction des DOCOB pour des milieux divers (zones humides, plaines alluviales, périurbain). Par ailleurs, Jeunes Agriculteurs (JA) de la Creuse est opérateur local sur deux sites.

La profession agricole déplore l'absence de publication par l'administration des cahiers d'habitats agro-pastoraux rédigés par l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et achevés depuis le début de l'année 2002. Les cahiers d'habitats doivent en principe constituer une première référence pour la rédaction des documents d'objectifs. Or, seuls certains cahiers d'habitats (forêt, zones humides) ont été publiés par l'administration ignorant les terrains agricoles alors que les terrains agricoles représentent la grande majorité des surfaces concernées par les zones Natura 2000. En l'absence de publication des cahiers d'habitats agro-pastoraux qui représentent plus de 180 fiches, tout le travail technique doit être de nouveau effectué par les acteurs de terrains.

Il existe également des problèmes liés à la volonté de certains acteurs d'aller très largement au-delà des limites de Natura 2000, soit sur l'extension des mesures de protection à d'autres espèces ou habitats, soit sur le choix de mesures allant largement au-delà du maintien en état de conservation des habitats et espèces (futaie irrégulière, débardage à cheval, non gestion). Il est aussi remarquable de constater qu'en matière forestière, aucun contrat Natura 2000 n'a encore été signé.

Enfin, la mise en place des contrats Natura 2000 n'est concevable que dans la mesure où il existe un dispositif d'animation suffisant pour inciter les acteurs ruraux à entrer dans le processus contractuel et pour les assister dans la mise en place du contenu technique et financier du contrat Natura 2000.

Seul un groupe national traitant de la notion de perturbation et de la chasse a été mis en place. Cependant, les conclusions de ce groupe ne semblent pas avoir été suffisamment diffusées au niveau local. Par ailleurs, elles auraient été remises en cause par Bruxelles sans que les acteurs en aient été avisés et sans que le groupe national ait été réuni pour intégrer à ses réflexions les remarques de Bruxelles.

S'agissant des activités agricoles et forestières, aucune réflexion nationale n'a été engagée. En matière de détérioration, cette notion a donné lieu à un document concernant les habitats forestiers, mais celui-ci n'a été validé ni par le comité national de suivi, ni par le ministère, ni par Bruxelles.

La question des détériorations doit en tout état de cause être traitée au niveau de chaque site et principalement lors de la rédaction du document d'objectifs. On peut regretter que les activités agricoles soient toujours évaluées à travers la notion de détériorations sans prendre en compte les externalités positives de ces activités.

La question relative aux conséquences sur le maintien ou la mise en place d'activités dans les zones Natura 2000 est plus large que les notions de détériorations et de dérangement, puisqu'elle concerne également la notion d'incidence qui conduit à exiger des études d'incidence dans et hors des périmètres et à remettre en cause certaines activités. Ainsi l'application des arrêtés ministériels relatifs aux contingentements de plantations de vignes destinées à la production de vins AOC et relatifs à dix-sept parcelles susceptibles d'être identifiées comme des sites d'intérêt communautaire avaient été dans un premier temps suspendue. Si cette décision intervenue à la suite d'un référé a, un an après, été contredite par un arrêt du Conseil d'Etat, statuant au fond, elle révèle néanmoins qu'il existe un « a priori » négatif sur les activités agricoles.

S'agissant de l'étude d'incidences, il serait nécessaire d'envisager :

- une exonération de ces études d'impact hors périmètres pour le monde agricole et forestier ;

- une non-remise en cause des études d'impact existantes en cas de modifications notables de l'activité sur l'installation classée ;

- la prise en compte des analyses réalisées par les autorités qui approuvent les documents de gestion des forêts. En effet, une fois ces documents approuvés, leur application par le sylviculteur à sa forêt vaut garantie de gestion durable de cet espace naturel.

Il existe peu d'exemples de dossiers d'implantation ayant donné lieu à des mesures compensatoires, et il est dès lors délicat d'en tirer des enseignements pour l'avenir.

Exemple 1 : la construction du port autonome du Havre. A la suite d'un jugement de la Cour de justice des Communautés européennes constatant l'insuffisance de mesures de protection, il a été crée une réserve naturelle de 8.500 hectares dans l'estuaire de la Seine avec des obligations de maintien en herbe et de retour en prairies (financé notamment par un fonds d'adaptation des pratiques agricoles prévu par Port 2000).

Exemple 2 : la construction de l'autoroute A 28. Celle-ci a été interrompue par la présence de l'Osmoderma/Pique prune et différentes mesures compensatoires ont été arrêtées, comme le déplacement d'un échangeur de l'autoroute, un remembrement, ou encore l'interdiction d'arrachage d'arbre et des plantations de châtaigniers.

Sur la question du financement, il est indispensable que l'Etat chiffre l'ensemble des besoins financiers de Natura 2000, tel que le prévoit la directive, afin d'optimiser rapidement les sources de financement au plan européen.

Le contrat d'application durable (CAD) n'est pas un moyen adéquat pour financer les zones Natura 2000. Au niveau européen, il faut utiliser un instrument de financement spécifique dédié à Natura 2000, pouvant être également mobilisé par les fonds de l'agriculture. Les avantages d'un tel instrument sont :

- Adéquation des moyens financiers aux objectifs politiques de l'Union européenne : si Natura 2000 est un dossier environnemental prioritaire, son accompagnement financier doit être bien identifié et ne pas s'appuyer uniquement sur le deuxième pilier de la PAC qui poursuit d'autres objectifs ;

- Harmonisation des règles de financement : des règles uniques éviteraient les distorsions de traitement (pour une activité économique donnée) dues aux différences entre les politiques nationales27 ( * ) ;

- Egalité de traitement : un seul fonds, avec une procédure unique pour toutes les catégories de gestionnaires d'un même site, garantirait que des contraintes équivalentes soient rémunérées ou compensées de manière équivalente ;

- Simplification des démarches : un guichet unique éviterait les problèmes d'incompatibilité entre plusieurs fonds et permettrait de prendre en compte les différents types de frais liés à la gestion (investissement, accompagnement, fonctionnement...).

Le problème des financements destinés aux forêts incluses dans des sites Natura 2000 concerne la prise en compte des pertes d'exploitabilité liées à certaines pratiques : interdiction de transformer, même si, en réalité ce point là est à peu près réglé, création de clairières, favoriser des espèces improductives, créer des îlots de vieillissement ou pire des îlots de sénescence, interdiction de procéder à des dégagements...

Dans ces différents cas, l'essentiel de la charge supportée par le propriétaire n'est pas l'opération elle-même (qui peut même avoir un coût nul), mais celui des conséquences pour la gestion et les performances de gestion de la parcelle forestière. En l'absence de financements spécifiques, de telles réalisations ne verront jamais le jour, aucun forestier digne de ce nom ne pouvant supporter les lourds manques à gagner ou charges correspondants.

Tel qu'il est aujourd'hui conçu, le contrat Natura 2000 est une simple demande de subvention à l'investissement assortie de conditions techniques. A aucun moment, il n'est question de rémunérer un service en dépit de l'affichage fort qui est celui du ministère de l'Ecologie sur ce sujet.

Il est remarquable de constater qu'en matière forestière, aucun contrat Natura 2000 n'a encore été signé. Cette situation surprenante est due au fait que les mécanismes financiers ne sont pas encore en place.

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* 26 Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA), Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Jeunes agriculteurs (JA), Centre national professionnel de la propriété forestière (CNPPF), Fédération nationale des chasseurs (FNC), Fédération nationale des communes forestières de France (FNCOFOR), Fédération nationale de la propriété agricole (FNPA), Fédération nationale des syndicats de propriétaires forestiers sylviculteur (FNSPFS), Union nationale pour la pêche en France (UNPF).

* 27 D'importants écarts existent entre les budgets agro-environnementaux des différents Etats de l'UE.

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