TROISIÈME
PARTIE :
LE CHOIX DES OPÉRATIONS EST-IL
JUSTIFIÉ ?
L'utilisation des crédits est fortement critiquée.
Le 15 décembre 1997, le CIADT lui-même estimait : « L'impact, en matière d'aménagement et de développement durable du territoire, des opérations financées par le fonds pourrait être amélioré ».
De même, dans son rapport au président de la République portant sur l'année 2001, la Cour des comptes considère que le FNADT « n'a pas réussi à concentrer ses interventions sur des opérations réellement significatives dans le domaine de l'aménagement du territoire ».
I. LES OBJECTIFS DE LA LOI DU 25 JUIN 1999 SEMBLENT EN PARTIE PERDUS DE VUE
A. L'ÉVOLUTION DES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE DEPUIS LA CRÉATION DU FNADT
La circulaire du 9 novembre 2000 prévoit qu'il convient de s'assurer que l'utilisation qui est faite du FNADT « répond aux orientations » définies par la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire, qui a fixé les « objectifs stratégiques de la politique d'aménagement du territoire ».
1. Un arbitrage entre « efficacité » et « équité » forcément subjectif ?
Comme le souligne un récent rapport du Conseil d'analyse économique 20 ( * ) , la politique d'aménagement du territoire résulte d'un arbitrage, forcément subjectif, entre équité et efficacité économique.
En effet, les villes sont le lieu privilégié du développement économique. Les économistes mettent en évidence l'existence d'effets externes dits « économies d'agglomération », décrits en 1971 par l'économiste américain William Alonso. L'idée est que la réunion en un même lieu d'activités économiques diverses présente divers avantages : économies d'échelle (il est possible de constituer de grandes unités de production, du fait de la proximité d'une main-d'oeuvre en quantité suffisante), échanges plus intenses entre spécialistes d'un secteur donné, etc. Ce phénomène a été souligné, notamment, par le commissariat général du Plan en 1999 21 ( * ) et par le Conseil d'analyse économique dans le rapport précité.
Dès lors, se pose la question de ce que les auteurs appellent « l'arbitrage implicite ou explicite que toute politique d'aménagement de l'espace implique entre les considérations d'efficacité et d'équité ». Certains Etats, prenant en considération le seul objectif d'efficacité, ne disposent ainsi pas de politique d'aménagement du territoire. Comme le rappelle le Conseil d'analyse économique, « l'Administration américaine n'a pas d'agence fédérale ayant une compétence en ce domaine » et « la Grande-Bretagne a abandonné cette politique sous le gouvernement Thatcher ».
En France, cet arbitrage a évolué. Ainsi, si les objectifs de la loi de 1995 correspondaient exclusivement à une logique d'équité, ceux de la loi de 1999 prennent également en compte des considérations d'efficacité économique. Ce compromis se rapproche du scénario dit de « polycentrisme maillé » (ou de « l'équité ») présenté par la DATAR, qui suppose l'émergence de six grands bassins de peuplement, comportant chacun plusieurs pôles urbains dynamiques, intégrés dans des ensembles territoriaux solidaires, eux-mêmes structurés en agglomérations et en pays.
2. La loi de 1995 et l'objectif de « développement équilibré du territoire »
La loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 22 ( * ) , dite « Pasqua-Hoeffel », fixait deux objectifs 23 ( * ) :
- « assurer, à chaque citoyen, l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire et (...) créer les conditions de leur égal accès au savoir » ;
- permettre « la mise en valeur et le développement équilibré du territoire de la République ».
3. La loi de 1999 et la prise en compte, notamment, de considérations d'efficacité économique
L'arbitrage effectué par la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire entre équité et efficacité est plus favorable à cette dernière que celui prévu par celle de 1995.
En effet, comme le souligne le rapport précité du Conseil d'analyse économique (2001), « si le développement local au sein de pays et le soutien des territoires en difficulté figurent parmi [les choix destinées à favoriser l'équité], les deux autres stratégies retenues - renforcement de pôles de développement à vocation européenne et internationale et organisation d'agglomérations - apparaissent plus marquées par la recherche de l'efficacité ».
Ainsi, « un plus grand équilibre entre la réduction des disparités et l'accompagnement des tendances spontanées à la polarisation semble se dessiner ».
a) La confirmation de l'objectif d'équité
L'objectif d'équité est confirmé.
Tout d'abord, la loi fixe l'objectif de « soutien des territoires en difficulté », comprenant « notamment les territoires ruraux en déclin, certains territoires de montagne, les territoires urbains déstructurés ou très dégradés cumulant des handicaps économiques et sociaux, certaines zones littorales, les zones en reconversion, les régions insulaires et les départements d'outre-mer-régions ultrapériphériques françaises ».
Ensuite, elle prévoit de favoriser le « développement local , organisé dans le cadre des bassins d'emploi et fondé sur la complémentarité et la solidarité des territoires ruraux et urbains », dans le cadre de « pays » 24 ( * ) .
b) La recherche d'une plus grande efficacité économique
La loi de 1999 mentionne également des objectifs correspondant à une logique d'efficacité économique.
Tout d'abord, la loi de 1999 fixe un objectif de « le renforcement de pôles de développement à vocation européenne et internationale, susceptibles d'offrir des alternatives à la région parisienne ».
Ensuite, la politique d'aménagement du territoire doit favoriser « l'organisation d'agglomérations favorisant leur développement économique, l'intégration des populations, la solidarité dans la répartition des activités, des services et de la fiscalité locale ainsi que la gestion maîtrisée de l'espace ».
B. LES « OBJECTIFS » DE LA DATAR DESTINÉS À PERMETTRE L'ÉVALUATION DES DÉPENSES NE CORRESPONDENT PAS AUX OBJECTIFS PRÉVUS PAR LA LOI DE 1999
1. De 1995 à 1999, l'imprécision des objectifs fixés par la loi a conduit la DATAR à retenir ses propres objectifs
La loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire présente des objectifs et des moyens en termes très généraux.
Dans ces conditions, les « objectifs » indiqués dans le rapport au Parlement ont longtemps consisté en un simple regroupement thématique des engagements de crédits.
Ainsi, jusqu'en 1999, les objectifs figurant dans le rapport au Parlement étaient les suivants :
- éducation, recherche, culture ;
- développement rural, littoral, massif ;
- aménagement de l'espace ;
- développement économique et emploi ;
- divers.
L'évolution entre 1997 et 1999 des engagements de crédits du FNADT selon cette nomenclature est indiquée par le graphique ci-après.
Objectifs poursuivis par les dépenses du
FNADT,
selon l'ancienne nomenclature de la DATAR
(engagements de crédits, en %)
Sources : rapports au Parlement 1997 et 1999
2. Depuis l'an 2000, les objectifs relativement précis fixés par la loi ne sont qu'imparfaitement pris en compte par la DATAR dans la détermination de ses « objectifs »
Compte tenu des évolutions législatives, la doctrine d'emploi du fonds a été adaptée par la circulaire du Premier ministre du 9 novembre 2000 relative aux interventions du FNADT (qui abroge celle du 15 février 1995).
Cette circulaire prévoit explicitement que « le fonds a vocation à soutenir, en investissement comme en fonctionnement, les actions qui concourent à mettre en oeuvre les choix stratégiques de la politique d'aménagement du territoire, tels qu'ils ont été définis à l'article 2 de la loi d'orientation du 25 juin 1999 » 25 ( * ) .
Dans ses rapports au Parlement, la DATAR utilise une nomenclature - correspondant à celle des composantes de l'agrégat « aménagement et développement du territoire » de son budget - qui présente quelques différences par rapport aux objectifs fixés par la loi de 1999, comme l'indique le tableau ci-après, ce qui complexifie l'évaluation de l'action du FNADT.
Comparaison des objectifs de la loi de 1999 et de ceux retenus par la DATAR depuis 2000
Loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire |
DATAR (rapports au Parlement sur les années 2000 et 2001) |
Objectifs tendant à « l'équité » |
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1. « soutien des territoires en difficulté , notamment les territoires ruraux en déclin, certains territoires de montagne, les territoires urbains déstructurés ou très dégradés cumulant des handicaps économiques et sociaux, certaines zones littorales, les zones en reconversion, les régions insulaires et les départements d'outre - mer - régions ultrapériphériques françaises » |
1. « mise en valeur des espaces », c'est-à-dire développement des espaces sensibles (grandes opérations d'aménagement, politique des massifs, actions en faveur du littoral) |
2. « développement local , organisé dans le cadre des bassins d'emploi et fondé sur la complémentarité et la solidarité des territoires ruraux et urbains. |
2. « aide au développement du territoire » (appui au développement économique local, renforcement du tissu économique, aide à la conversion de territoires) |
3. « structuration du territoire » (recomposition de pays et agglomérations, services publics locaux)
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Objectifs tendant à « l'efficacité économique » |
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3. « organisation d'agglomérations favorisant leur développement économique, l'intégration des populations, la solidarité dans la répartition des activités, des services et de la fiscalité locale ainsi que la gestion maîtrisée de l'espace » |
- |
4. « renforcement de pôles de développement à vocation européenne et internationale , susceptibles d'offrir des alternatives à la région parisienne » |
- |
La nomenclature retenue pour les « agrégats » et leurs composantes ne permet d'identifier aucun des deux objectifs législatifs tendant à « l'efficacité ». Cette lacune est d'autant plus étonnante que le scénario du « polycentrisme maillé », retenu par la DATAR, repose, on l'a vu, sur un compromis entre « équité » et « efficacité ». Elle peut cependant sembler justifiée, si l'on considère que le FNADT n'a pas vocation à financer l'ensemble de la politique d'aménagement du territoire, mais plus particulièrement d'aider au développement des zones en difficulté.
Par ailleurs, l'agrégat « structuration du territoire » regroupe des actions relevant d'une logique d' « équité » (action en faveur des pays, services publics locaux) et d'autres d'une logique d' « efficacité » (action en faveur des agglomérations).
L'agrégat « mise en valeur des espaces » présente le même inconvénient, les « grandes opérations d'aménagement » étant souvent destinées au renforcement des pôles de développement existants. Ainsi, le rapport au Parlement pour l'année 2001 donne comme exemples « le contrat triennal Strasbourg ville européenne 2000-2002 » ou l'opération Euroméditerranée à Marseille ».
Enfin, on peut se demander pourquoi l'aide à la conversion de territoires fait partie de l'agrégat « aide au développement du territoire », et non de celui intitulé « mise en valeur des espaces », dans la mesure où l'objectif législatif correspondant à ce dernier (« soutien des territoires en difficulté ») fait explicitement référence aux « zones en reconversion ».
* 20 Louis-André Gérard-Varet et Michel Mougeot, « L'État et l'aménagement du territoire », in Aménagement du territoire, rapport du Conseil d'analyse économique, 2001.
* 21 Commissariat Général du Plan, Scénario pour une nouvelle géographie économique de l'Europe, rapport du groupe géographie économique présidé par Françoise Maurel,1999.
* 22 Loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.
* 23 Quatre moyens devaient permettre d'atteindre ces objectifs :
- la correction des « inégalités de conditions de vie des citoyens liées à la situation géographique » ;
- la compensation des « handicaps territoriaux » ;
- l'instauration d'une discrimination positive en matière fiscale (la fixation de « dispositions dérogatoires modulant les charges imposées à chacun ») ;
- la réduction des « écarts de ressources entre les collectivités territoriales en tenant compte de leurs charges ».
* 24 « Il favorise au sein de pays présentant une cohésion géographique, historique, culturelle, économique et sociale la mise en valeur des potentialités du territoire en s'appuyant sur une forte coopération intercommunale et sur l'initiative et la participation des acteurs locaux ».
* 25 Elle estime en outre qu' « au regard des objectifs fixés par la loi d'orientation, certains types d'action constituent des champs d'intervention privilégiés pour le fonds » :
- les actions en faveur de l'emploi ;
- les actions qui concourent à accroître l'attractivité des territoires ;
- les actions présentant un caractère innovant ou expérimental dans le domaine de l'aménagement et du développement durable.