2. L'impact de certaines politiques mises en place par le précédent gouvernement
L'aménagement et la réduction du temps de travail ( ARTT ) pour les agents de la police nationale compense le dépassement de la durée légale hebdomadaire de travail, alors que les rythmes d'activité en régime hebdomadaire atteignent 39 heures ou 40 heures 30 par semaine.
Le rapport de la mission interministérielle sur les régimes de service dans la police et la gendarmerie précise le décompte du nombre de « jours d'ARTT » :
« Le dépassement de la durée annuelle de la durée légale de 35 heures par semaine donne droit à un crédit annuel de jours de repos compensateurs dit « jours d'ARTT » (règlement général d'emploi de la police nationale, article 113-15), dont le nombre varie en fonction du temps de travail hebdomadaire et en fonction du corps d'appartenance, et dont au moins trois sont indemnisés. Les fonctionnaires qui sont astreints à 40 heures 30 minutes par semaine bénéficient de 30 jours « d'ARTT » par an, dont six sont indemnisés, ce qui laisse 24 jours à prendre, selon des règles particulières quant aux dates et aux possibilités d'inscription au compte épargne-temps. Ceux qui sont astreints à 39 heures par semaine ont droit à 23 jours « d'ARTT », dont 6 indemnisés, ce qui leur laisse 17 jours à prendre selon les mêmes conditions. Un à quatre jours supplémentaires peuvent être indemnisés, à déduire alors du nombre des jours « d'ARTT à prendre » 31 ( * ) .
Dès l'examen du projet de loi de finances pour 2002, votre rapporteur avait clairement identifié le risque majeur que les « 35 heures » faisaient peser sur l'organisation et les capacités opérationnelles des forces de la police et de la gendarmerie nationales :
« ... Force est de constater que l'aménagement et la réduction du temps de travail (les « 35 heures ») font peser un risque majeur sur la disponibilité des forces de police. Comment, comme l'affirme le ministre de l'Intérieur [du précédent gouvernement], concilier les impératifs de respect de la loi, de maintien des capacités opérationnelles, de satisfaction des attentes des agents, de poursuite de l'extension de la police de proximité ?
« A vrai dire, nul ne peut apporter une réponse satisfaisante à cette question. De même que personne ne peut démentir que, pour éviter qu'une baisse de 10 % de la durée du travail ne se traduise par une baisse de 10 % de la présence policière sur le terrain (soit de l'ordre de 9.000 fonctionnaires de police), il faudra soit recruter bien au-delà des 3.000 créations de postes prévues pour 2002, soit « acheter » le temps de travail des policiers par le biais de repos et d'indemnités, soit utiliser les deux solutions. Votre rapporteur spécial rappellera aussi d'une part que le discours officiel du gouvernement est d'indiquer que le passage aux 35 heures se fera sans créations d'emplois dans la fonction publique, d'autre part que le basculement d'une circonscription de police dans le mécanisme de la police de proximité se traduit par une hausse de 10 % des besoins en hommes.
« Ainsi, les 35 heures se traduiront nécessairement par une réduction de la capacité opérationnelle des forces de police et par l'accumulation des heures supplémentaires. Malgré les propos rassurants du ministre 32 ( * ) , il ne peut en être autrement.
« Par ailleurs, même si tous les fonctionnaires au temps de travail ainsi allégé étaient remplacés en 2002, il faudrait tenir compte des délais nécessaires à leur recrutement, entre l'ouverture d'un concours et le recrutement effectif, et à leur formation... » 33 ( * ) .
En 2002, une réponse à votre rapporteur du ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales avait permis d'évaluer les effets potentiels de l'ARTT à une perte de capacités opérationnelles équivalant à 5.543 emplois équivalents à temps plein .
Le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales souligne le coût qu'a représenté la mise en place de l'ARTT dans la police nationale, du fait de la permanence du service public qu'elle assure.
Les mesures conduites au titre de l'ARTT en 2002 ont représenté 31,3 millions d'euros 34 ( * ) . Un complément de 30 millions d'euros a été obtenu en loi de finances rectificative pour compléter le dispositif de rachat de jours. Les crédits s'élèvent à 13,23 millions d'euros en année pleine pour payer les astreintes qui donnaient lieu jusqu'alors à une compensation en temps, et « 7 jours d'ARTT ont été « rachetés », car ils ont été travaillés, pour tous les policiers, quels que soit leur grade ou leur affectation » 35 ( * ) , l'ARTT conduisant de manière absurde à un rachat de jours travaillés.
A ce coût direct des mesures conduites au titre de l'ARTT dans la police nationale s'est ajoutée en 2002 la création de 1.700 emplois de gradés et gardiens créés en loi de finances initiale pour 2002 afin de maintenir la capacité opérationnelle de la police nationale (soit un coût de 47,54 millions d'euros) et le maintien à terme des surnombres autorisés de gardien de la paix.
Votre rapporteur souligne le caractère structurel de ces dépenses qui alourdissent le coût unitaire dans la police nationale : dans le projet de loi de finances pour 2004, le ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales demande des crédits à hauteur de 9,38 millions d'euros pour la poursuite de mesures mises en place en cours d'année, « une enveloppe supplémentaire de 46,8 millions d'euros pour indemniser les jours supplémentaires pour l'ensemble des corps de maîtrise et d'application et de commandement et d'encadremen t » et 5,79 millions pour transformer en paiement une récupération en temps.
Dans son rapport sur la LOPSI, votre rapporteur soulignait que la gendarmerie était confrontée aux mêmes difficultés :
« Après l'accord national signé le 11 juillet 2001 permettant aux personnels civils du ministère de la défense de bénéficier de l'ARTT, les militaires ont en effet obtenu de disposer, au delà des droits de permission fixés à 45 jours par an, de 15 jours supplémentaires non ouvrés chaque année .
« Pour la seule gendarmerie départementale, cette mesure correspondait mécaniquement à la réduction de ses capacités opérationnelles à hauteur de 4.400 emplois en équivalent-temps plein ».
« C'est pourquoi, le gouvernement a ensuite progressivement décidé de racheter ces jours supplémentaires : en novembre 2001, il a décidé de racheter, sur la base de 85 euros/jour (soit un prix plus élevé que celui du rachat des journées de policier), l'intégralité de ces 15 jours pour la gendarmerie départementale et la Garde républicaine et 7 de ces 15 jours pour les autres unités ; puis le rachat intégral a été étendu à la gendarmerie mobile à la fin de l'année 2001 ; enfin le rachat partiel a été porté de 7 à 8 jours en février 2002.
« Comme pour la police, ces opérations de rachat n'ont pas été correctement prises en compte dans la loi de finances initiale pour 2002 (à hauteur d'une quarantaine de millions d'euros environ) » 36 ( * ) .
La mise en oeuvre du dispositif « nouveaux emplois-emplois jeunes » pour les forces de sécurité intérieure aurait aussi entraîné des difficultés d'organisation, selon les observations recueillies par votre rapporteur lors de ses visites dans les unités de police et de gendarmerie. Certaines unités comptant un faible nombre d'agents auraient ainsi affecté les gendarmes adjoints ou les adjoints de sécurité sur des postes demandant une certaine d'expérience, faute d'effectifs suffisants pour les encadrer et les former.
Ces emplois non statutaires ont apparemment permis de renforcer les effectifs disponibles. Dans la police nationale, les 14.200 adjoints de sécurité au 1 er août 2002 représentaient près de 10 % des effectifs totaux, statutaires et adjoints de sécurité. Dans la gendarmerie nationale, les 13.700 gendarmes adjoints présents fin 2002 représentaient 12 % des effectifs totaux.
Lors de l'examen du projet de loi sur la sécurité intérieure, votre rapporteur avait toutefois déjà souligné « une progression en trompe-l'oeil » des effectifs réels de la police nationale et leurs conséquences sur l'organisation des forces de sécurité intérieure :
«
En effet, les hausses d'effectif ont
principalement concerné les emplois jeunes (adjoints de
sécurité ou gendarmes adjoints) et les volontaires, notamment sur
la période 1997-2000 : ce n'est qu'en toute fin de
législature que le précédent gouvernement a tiré
les leçons qui s'imposaient et infléchi ses priorités en
recrutant des fonctionnaires titulaires supplémentaires qui, compte tenu
de leurs délais de formation, ne sont d'ailleurs pour la plupart pas
encore opérationnels (...).
«
Or,
comme le soulignait récemment une note de la fondation Robert
Schumann
37
(
*
)
:
« le recrutement des emplois-jeunes suscite de nombreuses
difficultés... Même si la durée de formation des adjoints
de sécurité a été portée à quatorze
semaines en septembre 2001, elle reste inférieure à celle
des
fonctionnaires titulaires (un an pour les agents du corps de
maîtrise et d'application). Il en est de même pour les gendarmes
adjoints. Jeunes, inexpérimentés et peu qualifiés, ils
doivent être encadrés de fonctionnaires titulaires ; mais,
concrètement, la multiplication des missions des forces de l'ordre, le
régime de récupération ou le poids des tâches
administratives sont peu compatibles avec l'observation stricte de ce principe.
La question est d'autant plus importante que les emplois-jeunes sont
concentrés dans les départements sensibles qui ont
nécessité des renforts en effectifs
»
38
(
*
)
.
* 31 Ibid., p. 13-14.
* 32 Devant votre commission des finances, M. Daniel Vaillant, alors ministre de l'intérieur, avait expliqué qu'il ne fallait pas que le passage aux 35 heures obère la capacité opérationnelle de la police nationale. De même, dans la réponse au questionnaire budgétaire sur le PLF 2002, le ministère indiquait : « à l'occasion de la réforme de l'ARTT, il conviendra d'une part de tenir compte des spécificités du travail policier, et notamment de sa pénibilité, et d'autre de préserver les importantes réformes engagées dans la police nationale et notamment la police de proximité, qui exige le maintien du potentiel opérationnel de la police nationale ».
* 33 Cf. le rapport du Sénat n° 87, tome III, annexe 28, 2001-2002.
* 34 Ces coûts intègrent le rachat de jours ARTT, la revalorisation du régime indemnitaire des commissaires, la revalorisation de l'indemnité journalière d'absence temporaire et de mise en oeuvre d'un dispositif d'astreinte.
* 35 Source : ministère de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, rapport annuel d'activité 2002, p. 18.
* 36 Rapport du Sénat n° 375, 2001-2002, p. 49-50.
* 37 Cf. « Les moyens de la sécurité publique : éléments d'analyse comparatiste », février 2002.
* 38 Rapport du Sénat n° 375, 2001-2002, p. 45-46.