4. Le contexte créé par le nouveau « Farm Bill »
L'interrogation la plus importante suscitée par la démarche européenne, si l'on se place sous l'angle des négociations commerciales, porte sur le « chassé-croisé » auquel ont semblé se livrer l'Europe et les États-Unis.
Les États-Unis avaient fait un grand pas vers le découplage des aides, en 1996, avec l'« Agricultural Fair Act » : ce texte avait, en effet, choisi de fonder principalement le soutien à l'agriculture sur des aides découplées de la production et calculées à partir de références historiques ; en contrepartie, toute obligation de jachère avait été supprimée. Or, en adoptant, tout juste après la déclaration de Doha, un nouveau « Farm Bill », les États-Unis ont changé d'attitude. Tout d'abord, ce texte prévoit une augmentation sensible des dépenses agricoles, qui s'élèveront à 151,5 milliards de dollars sur six ans (soit une hausse d'environ 40 % par rapport à la période précédente). Ensuite, ce « Farm Bill » aboutit à une répartition très différente des soutiens à l'agriculture : les aides découplées ne représentent plus que 28 % du soutien, les aides couplées en représentant au contraire 72 %.
Ces aides couplées sont de deux types. Le premier est le « marketing loan » ; il représente environ 44 % des aides. Dans ce système, un prix de soutien est arrêté (le « loan rate »). Un exploitant peut obtenir du ministère de l'agriculture un prêt d'un montant égal à la valeur de sa récolte calculée sur la base du prix de soutien. Si le prix de marché est inférieur au prix de soutien, l'exploitant rembourse son prêt sur la base du prix de marché, c'est-à-dire qu'il rembourse moins qu'on ne lui a prêté. L'exploitant peut aussi choisir de ne pas percevoir de prêt et de percevoir un paiement compensatoire égal à la différence entre la valeur de sa récolte sur la base du prix de marché et la valeur de sa récolte sur la base du prix de soutien. Dans ce système, il n'y a pas de stockage public ; l'exploitant américain va donc presque toujours vendre l'essentiel de sa récolte, même si les prix restent très bas, puisque, de toute manière, elle lui sera toujours payée au prix de soutien. C'est donc un système qui incite à produire et qui tend à faire baisser les cours, y compris sur le marché mondial.
Le deuxième type d'aide couplée est le « paiement contra-cyclique », qui représente 28 % des aides. Il repose sur la définition d'un objectif de prix du marché : si les prix tombent en-dessous de cet objectif, une aide d'urgence est apportée sous la forme d'un paiement compensatoire.
En tout état de cause, le total des aides - couplées ou non - que peut recevoir une exploitation est plafonné à 360 000 dollars.
On peut remarquer que, si le « Farm Bill » a suscité beaucoup de réactions, il ne fait en réalité que prolonger l'évolution constatée depuis l'adoption de l'« Agricultural Fair Act » de 1996. Celui-ci avait été bien accueilli au départ par les agriculteurs américains, car les cours étaient à l'époque relativement élevés ; ensuite, les prix ont baissé, ce qui a provoqué une augmentation régulière des dépenses entraînées par le mécanisme du « marketing loan » . Quant aux paiements contra-cycliques, ils officialisent en fait les aides d'urgence périodiquement accordées au cours des dernières années et que le Fair Act n'avait prévues que pour faire face aux calamités naturelles.
Finalement, l'adoption du « Farm Bill » incite à penser que le système des aides découplées n'a pas fait ses preuves puisque, au lieu de le généraliser, les États-Unis sont revenus en arrière et lui accordent désormais une place bien moins grande.
En outre, le « Farm Bill » aura pour effet de stimuler la production américaine et de pousser les prix mondiaux à la baisse. On peut craindre que les producteurs européens, qui n'auront pas de mécanisme comparable au « marketing loan » pour les soutenir, ne perdent beaucoup de terrain.