B. UNE PUISSANCE ÉCONOMIQUE ENCORE NETTEMENT INSUFFISANTE
Trois indicateurs socio-économiques donnent un autre éclairage pour apprécier puissance économique des régions.
La vitalité du tissu productif régional peut s'analyser à partir de la répartition des sièges sociaux des entreprises qui comptent au moins 100 salariés. Ces sociétés sont peu nombreuses mais regroupent la plus grande partie des salariés et contribuent à l'essentiel de la valeur ajoutée. Leur présence contribue au rayonnement métropolitain et à la présence d'emplois qualifiés. Sur 5 855 sièges d'entreprises de plus de 100 salariés, on en recense 3 826 dans la capitale dont l'hypertrophie en la matière se révèle flagrante. A côté, une dizaine d'agglomérations seulement comptent entre 100 et 500 sièges ; il s'agit dans l'ordre décroissant de : Lyon, Lille, Nantes, Marseille, Toulouse, Strasbourg, Rouen, Bordeaux, Saint-Etienne, Rennes, Grenoble.
La mesure de l'emploi dans douze fonctions stratégiques (effectifs de cadres supérieurs ou d'ingénieurs dans des secteurs considérés comme stratégiques : gestion, recherche-industrie, informatique, banque-assurance, télécommunications, transports, commerce de gros ...) est un autre moyen de cerner les forces et faiblesses des villes françaises.
La capitale détient à elle seule 705 000 emplois stratégiques. Lyon vient ensuite avec 60 000 emplois de ce type. Là encore transparaît l'hypertrophie parisienne. Les villes qui comptent entre 10 000 et 40 000 emplois comparables sont dans l'ordre décroissant : Marseille, Toulouse, Lille, Bordeaux, Grenoble, Nantes, Strasbourg, Montpellier, Nice, Rennes, Nancy et Rouen. Soit quatorze cités qui pourraient être classées métropolitaines.
Le dernier indicateur concerne l'équipement des grandes villes. Sont retenues comme villes très bien dotées celles qui disposent de 20 services remarquables dans les transports (tramway ou métro, transports collectifs après 23 heures), dans les services et commerces (foire-exposition, hôtels « 4 étoiles »), dans les loisirs (Palais des congrès, patinoire, terrain de golf) dans le système éducatif (3 e cycle universitaire, Université du 3 e âge ...).
Seulement huit villes en France possèdent la totalité des services de qualité et donc une qualité de vie élevée : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Nantes, Grenoble, Strasbourg. Il s'agit de villes déjà perçues comme métropolitaines.
Qu'ont été durant la même période les trajectoires qualitatives de ces métropoles ?
En premier lieu on observe une rapide tertiarisation, bien que présentant des rythmes contrastées . Certaines d'entre elles, telles Lille, Lyon, Clermont-Ferrand, Besançon ou Rouen, ont effectué des rattrapages spectaculaires dans les activités de services. D'autres sont parties d'un modèle tertiaire traditionnel.
Toutes ont, beaucoup plus intensément que les autres villes de plus de 100 000 habitants, élargi leur portefeuille d'activités en direction des services publics et des services aux entreprises.
Globalement, les capitales de Région se ressemblent beaucoup plus à la fin du XX e siècle qu'elles ne se ressemblaient vers 1960, quand elles ont été désignées capitales de ce qui n'était encore que des circonscriptions d'action régionale.
De façon générale, les grandes villes sont les grandes gagnantes de l'évolution économique . Elles accueillent une part croissante des activités, elles sont les premières à bénéficier de la modernisation des réseaux de communication, et sont reliées aux réseaux de télécommunications les plus modernes. Une petite douzaine d'entre elles peuvent prétendre au titre de métropole, mais aucune ne renverse la hiérarchie.
Elles sont très en retrait vis-à-vis de Paris, qui reste la capitale économique et conserve une suprématie absolue, mais aussi par rapport aux métropoles européennes voisines comme Barcelone, Milan, Stuttgart, Bruxelles ou Genève. Ainsi, si une métropolisation s'esquisse en France, elle demeure incomplète.
La plupart des grandes métropoles régionales ont entre 500 000 et 1 400 000 habitants. Leur aire d'influence est vaste, couvrant ou dépassant le territoire de la région (Bordeaux ou Toulouse). Elles sont souvent des capitales historiques, à la tête d'un réseau bien établi de villes relais, et la régionalisation a accru leur pouvoir. Elles ont bénéficié de la modernisation des voies de communication, LGV et autoroutes, et disposent d'un aéroport avec des relations trans-européennes. Elles ont ainsi renforcé leur position de carrefour régional.
On peut cependant distinguer deux groupes. Les vrais capitales : Marseille, Lyon et Lille avec plus d'un million d'habitants et au centre de régions densément peuplées et urbanisées. Par leur taille, elles tendent à s'apparenter aux autres capitales régionales européennes. Le second groupe est celui des capitales en devenir (Toulouse, Bordeaux, et Nantes), moins peuplées.
Les grandes villes de 100 000 à 500 000 habitants sont constituées par les villes intermédiaires à caractère industriel (Grenoble et Saint-Etienne) et les petite capitales régionales dont les fonctions sont essentiellement tertiaires (Rennes, Limoges ...). Présentant un déséquilibre dans l'une des branches secondaire ou tertiaire, elles seront toutes, à terme, dotées d'établissements d'enseignement supérieur, et développeront des technopôles.
Elles peuvent avoir une aire d'influence sur leur région par leur potentiel commercial (Rouen), universitaire (Poitiers) ou leur presse quotidienne (Rennes avec Ouest-France ). Mais certaines capitales régionales ne polarisent pas l'ensemble de leur région (Limoges ou Orléans) ; leur accessibilité est inégale. Grenoble est la plus importante de ces agglomérations par sa population (500 000 habitants) et par le dynamisme de ses activités.
Armature urbaine et disparition des frontières : les villes françaises étouffées par la suprématie parisienne
« La structure urbaine française marquée par la forte primauté parisienne et le caractère encore insuffisant du développement des métropoles de province ne constituait pas un handicap majeur tant que chaque système économique fonctionnait à l'intérieur de ses frontières nationales. La disparition des frontières transforme les règles du jeu ».
« Des relations interurbaines vont se nouer à l'échelle, non plus seulement des Etats, mais du marché, c'est-à-dire de l'Europe. Dans cette optique c'est la structure urbaine de type italien ou germanique qui apparaît comme la plus efficace, la mieux à même d'assurer conjointement la connexion internationale et la couverture intégrale du territoire ».
« Ce modèle italo-germanique concerne toute l'Europe médiane, de la plaine du Pô à la vallée du Rhin, de Milan à Cologne. La France n'en est pas exclue [...]. Des villes comme Lyon et Strasbourg font partie de cet ensemble. La France dispose donc d'un potentiel urbain de ce type, actuellement sous-utilisé et en partie occulté par la suprématie parisienne ».
Source : F. Damette, J. Scheibling, La France, permanences et mutations, Paris, Hachette Supérieur, 1995.