Rapport d'information n° 35 (2002-2003) de M. Joseph KERGUERIS , fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 29 octobre 2002
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ANNEXE
3 :
COMPTE-RENDU DE L'AUDITION DU 10 SEPTEMBRE 2002,
DE MME
FRANÇOISE GRI, PDG D'IBM FRANCE,
ET DE M. JEAN-PATRICE SAVEREUX,
DIRECTEUR DES RELATIONS EXTÉRIEURES D'IBM FRANCE
Mme Françoise Gri, Président-Directeur Général d'IBM France , a commencé son intervention par une présentation générale de l'entreprise IBM. Leader mondial dans le secteur de l'informatique, IBM a réalisé en 2001 un chiffre d'affaires de plus de 88 milliards de dollars, et emploie 316 000 salariés. La filiale française d'IBM représente un chiffre d'affaires d'environ 4,7 milliards d'euros, dont un quart est réalisé à l'export, et emploie 13 600 salariés sur le territoire national.
L'activité d'IBM a évolué pour s'adapter aux demandes du marché; ainsi, la part des services dans le chiffre d'affaires de l'entreprise est aujourd'hui supérieure à celle de la production et de la vente de matériel informatique. IBM est devenue la première société de services dans le monde, et ses effectifs se sont transformés en conséquence.
L'entreprise a été fortement restructurée après la période difficile qu'elle a connue au début des années 1990. Du fait de l'intensification de la concurrence, la nécessité d'une adaptation permanente de l'entreprise aux évolutions de son marché a été soulignée.
Le siège d'IBM Europe est localisé à Paris. IBM dispose également sur le territoire français d'un centre de recherche, de cinq directions régionales à vocation commerciale, et de deux usines, qui produisent pour le marché européen, et produiront bientôt pour le marché mondial.
Mme Françoise Gri a souligné l'importance des investissements en recherche et développement pour une entreprise de haute technologie comme IBM. Six milliards de dollars sont dépensés chaque année, dans le monde, à ce titre. Le coût élevé de chaque investissement implique une recherche d'optimisation, qui exclut toute redondance; les programmes de recherche initiés dans un pays doivent donc profiter à l'ensemble du groupe.
Mme Françoise Gri a ensuite exposé l'enjeu majeur que représente le recrutement en France de personnels très qualifiés, notamment pour les activités de services. Le risque de délocalisation des activités de services est aujourd'hui une réalité. Pour IBM France, la concurrence provient notamment d'Inde, et des pays d'Europe centrale et orientale. Ces pays disposent d'une main-d'oeuvre qualifiée, et moins coûteuse que la main-d'oeuvre française. La fourniture de prestations intellectuelles devient l'un des enjeux majeurs pour la compétitivité des nations, ce qui pose le problème de l'insertion future sur le marché du travail des travailleurs peu qualifiés.
Mme Françoise Gri a indiqué que les filiales géographiques d'IBM étaient en concurrence pour la captation des missions opérationnelles ou de recherche. A titre d'illustration, l'activité « comptabilité fournisseur », à l'échelle de l'Europe, a récemment été confiée à la filiale allemande du groupe. Ce choix peut surprendre, mais s'explique par la présence d'un centre administratif à Bratislava, piloté par la filiale allemande. M. Joseph Kerguéris, sénateur, rapporteur, a souligné qu'un pays développé pouvait bénéficier, quant à sa capacité à attirer les investissements internationaux, de la proximité de pays à bas coût de main-d'oeuvre.
Mme Françoise Gri a souligné que les PME participaient, indirectement, au mouvement de délocalisation des activités. En effet, ces entreprises font souvent appel à des firmes multinationales, comme IBM, pour la fourniture de prestations de services, au lieu de réaliser ces activités en interne.
Mme Françoise Gri a ensuite passé en revue les principaux éléments pris en considération dans le cadre de l'entreprise au moment de décider de la localisation d'un investissement (les éléments du « business case »).
La répartition des investissements entre filiales est d'abord dépendante des performances commerciales de chaque entreprise sur son marché national. Une filiale qui perd des parts de marché sera désavantagée par rapport aux autres.
Le coût du travail est aussi un déterminant majeur des décisions d'investissement. Mais il ne doit pas être considéré indépendamment de la qualité du personnel. A cet égard, Mme Françoise Gri a indiqué que la qualité du personnel français permettait de compenser l'écart de coût observé entre la France et des pays à plus bas salaires. La fiscalité sur les hauts revenus, plus lourde en France que chez nos voisins, représente une charge. Pour attirer et retenir en France des managers ou des chercheurs de haut niveau, IBM gère, en interne, le différentiel fiscal; autrement dit, l'entreprise garantit à ces salariés un certain niveau de rémunération après impôt, et prend en charge la différence. Un statut fiscal des impatriés permettrait d'améliorer l'attractivité de la France. IBM n'a pas, jusqu'ici, rencontré de difficultés de recrutement de personnel qualifié telles qu'elles l'aient amené à restreindre ses investissements. Mme Françoise Gri a porté un jugement globalement positif sur les performances du système éducatif français, mais a regretté le manque d'ouverture internationale de certaines filières de formation (en économie, en sciences de l'ingénieur), qui oblige l'entreprise à fournir, en interne, une formation complémentaire aux jeunes diplômés, notamment pour leur assurer un bon niveau en langue anglaise. L'enseignement universitaire est jugé encore trop théorique, au regard des besoins des entreprises. Enfin, on ne peut exclure, d'ici une dizaine d'années, un manque de personnel qualifié dans le secteur des technologies de l'information, du fait de l'insuffisance du système français de formation en ce domaine. Les besoins des entreprises risquent de croître plus rapidement que le nombre de diplômés formés à ces technologies nouvelles, si l'on s'en tient aux tendances actuelles.
La flexibilité de l'économie est un autre atout majeur dans la compétition internationale pour attirer les flux d'investissements. Or, à cet égard, investir en France est souvent considéré comme un « piège », en ce sens que les coûts de sortie de l'investissement sont très élevés. Une fois réalisé, l'investissement devient presque irréversible. Le coût et la longueur, supérieure à 200 jours, des procédures de licenciements collectifs sont particulièrement mis en cause. La lenteur des procédures sociales est jugée inadaptée au rythme rapide de la vie des affaires.
Mme Françoise Gri a, par ailleurs, souligné que les éléments objectifs contenus dans le « business case » étaient généralement pondérés par le facteur d'image associé au pays. Cette image, qui n'est pas toujours le reflet fidèle de la réalité, pèse dans les décisions de localisation des investissements. M. Joseph Kerguéris, sénateur, rapporteur, a rappelé que des éléments irrationnels pouvaient influencer les décisions entrepreneuriales. Or, selon les deux intervenants, l'image de la France perçue par les investisseurs étrangers se serait dégradée, du fait notamment de l'introduction des 35 heures, qui vient s'ajouter à une réputation ancienne de forte conflictualité sociale.
M. Joseph Kerguéris, sénateur, rapporteur, a demandé si une délocalisation du siège d'IBM Europe était parfois envisagée. Mme Françoise Gri a alors indiqué que la question centrale était de savoir combien d'emplois étaient en fait attachés au siège. Il est en effet possible de ne conserver au sein du siège qu'un nombre réduit de managers, en délocalisant toutes les fonctions de support. La qualité du cadre de vie est un élément important dans le choix de localisation d'un siège, et, de ce point de vue, Paris est fort bien placé. La fiscalité des personnes physiques peut être un élément de choix, mais, ainsi qu'il a été indiqué plus haut, IBM gère en interne les différences en matière d'imposition du revenu.
Interrogé sur les implications en matière d'impôt sur les sociétés de la localisation du siège à Paris, M. Jean-Patrice Savereux, directeur des relations extérieures d'IBM France, a indiqué qu'il n'y avait pas de consolidation du chiffre d'affaires européen au niveau français. Chaque filiale nationale paie l'impôt sur les bénéfices en fonction des règles d'imposition propres à son Etat d'implantation.
En réponse à une question évoquant un éventuel phénomène de surinvestissement dans le secteur informatique, Mme Françoise Gri a considéré qu'il y avait lieu de distinguer entre les phénomènes boursiers, et les phénomènes réels. Il a y eu incontestablement une « bulle » boursière, liée à l'engouement passager pour la « net-économie », suivie d'une forte chute des cours. Mais il n'y a pas eu de surinvestissement dans la sphère réelle. L'apparition de surcapacités au cours de l'année 2002 résulte d'un brutal retournement du marché. A la fin des années 1990, la demande en matériels et services informatiques progressait à un rythme de 10 % l'an. L'année 2002 marque une rupture, puisque le marché devrait se contracter par rapport à 2001. Ce retournement est le plus fort observé depuis 25 ans, et n'avait pas été anticipé à ce niveau. Il impose à l'entreprise un important effort de réduction de ses coûts de structure.
La croissance du PIB français reste relativement soutenue par rapport à la moyenne européenne, mais les entreprises investissent fort peu, notamment dans le domaine informatique. Mme Françoise Gri y a vu le signe d'un manque persistant de confiance dans l'avenir, de la part des entreprises nationales, résultant d'appréciations sur la situation structurelle du pays.
M. Jean-Patrice Savereux a fait remarquer qu'il était très difficile d'anticiper les retournements du marché, et d'adapter les investissements en conséquence. Et, quand bien même les retournements du marché seraient parfaitement anticipés, l'entreprise manquerait de la flexibilité nécessaire pour adapter ses capacités de production aux nouvelles anticipations dans un délai rapide. Pour réduire le montant de leurs investissements irréversibles, les entreprises externalisent un nombre croissant d'activités. C'est une manière de reporter sur d'autres agents économiques les difficultés et les coûts liés à une restructuration.
A moyen terme, Mme Françoise Gri estime qu'il est peu probable que le marché informatique progresse à nouveau à un rythme de 10 % l'an. L'économie française se caractérise pourtant par un net retard d'investissement en informatique par rapport aux Etats-Unis, ce qui pourrait laisser envisager un phénomène de rattrapage. En réalité, les entreprises françaises cherchent aujourd'hui un investissement informatique efficace et rationalisé. La croissance du marché informatique ne devrait donc pas excéder 5 % par an à l'avenir.
M. Joseph Kerguéris, sénateur, rapporteur, a relevé que les entreprises françaises souffraient aussi d'un retard dans le développement de leurs activités logistiques. M. Jean-Patrice Savereux a confirmé ce point de vue, en indiquant que le retard français en la matière pouvait être évalué à trois ou quatre ans.
Mme Françoise Gri a conclu son intervention en indiquant qu'un engagement clair en faveur de la baisse des dépenses publiques serait un signal apprécié par les investisseurs internationaux. Un tel engagement rendrait en effet crédible la perspective d'une baisse durable des prélèvements obligatoires.