48. Audition de M. Pierre Hérisson, sénateur, président du groupe d'études Postes et Télécommunications du Sénat (24 juillet 2002)

M. Pierre Hérisson - Chers collègues, Mesdames, Messieurs, au nom du groupe d'étude Postes et Télécommunications du Sénat que j'ai l'honneur de présider et de la Commission supérieure du service public des Postes et Télécommunications que je préside par intérim en attendant que l'Assemblée nationale nous permette de réélire un président à la rentrée parlementaire, nous avons essayé d'apporter une contribution de ces deux instances à l'adresse de votre mission d'information. Pour cela, nous vous avons remis des documents, qui répondent à la grille de questions que vous m'avez adressée pour l'audition d'aujourd'hui. Je vous propose de faire un commentaire synthétique et de verser le document de travail que nous avons réalisé, qui apporte un éclairage plus complet et précis, parfois en contradiction avec les informations fournies par la DATAR à la suite du CIADT de Limoges, en particulier en ce qui concerne les études menées sur la couverture territoriale dans les départements montagneux.

Il existe des différences notables entre les mesures de l'Etat et celles qui ont été réalisées. Chaque département a choisi son prestataire et accepte le cahier des charges commun à toutes les conventions. Chacun reconnaît la qualité de cette opération, menée selon une méthode beaucoup plus précise et fiable que celle qui avait été retenue par la DATAR : je parle ici du travail réalisé par l'ADF (Association des départements de France) et l'autorité de régulation des télécommunications (ART). Au sein de ces deux instances, où se concentrent les informations, aucun tri sélectif suffisamment précis n'a été entrepris pour réaliser une synthèse sur les problèmes spécifiques de la montagne. Nous le déplorons. Cela pourrait être un sujet proposé à un étudiant ou à un expert, qui apporterait un complément à l'étude globale.

En effet, la montagne ne peut pas être traitée comme le reste du territoire, en ce qui concerne les couvertures, qui sont liées essentiellement au relief, problème qui ne se pose pas en zone de plaine. Nous pouvons cependant extrapoler sans trop de risque et dire que les stations de ski sont plutôt bien couvertes, à quelques exceptions près, ou le seront rapidement. Il est vrai que les Jeux Olympiques de 1992 ont apporté aux vallées de la Savoie une couverture totale qui était assurée par France Télécom à l'époque. Parallèlement, les sommets qui n'accueillent pas de skieurs sont en « zone blanche ». En fait, ce sont les zones intermédiaires qui posent problèmes, parce qu'elles accueillent les routes à grand trafic et où les facilités sont plus nombreuses pour garantir la couverture. Ailleurs, il est nécessaire de s'appuyer sur les nouvelles mesures de zone blanche pour obtenir une réponse précise.

Chaque département dispose aujourd'hui des moyens, des connaissances et des compétences pour affiner sa carte de couverture à des coûts raisonnables, ces coûts étant correctement maîtrisés dans ce genre d'étude. Les estimations du coût global ont été bâties à partir des chiffres globaux de la DATAR. Le volume global des investissements a été calculé à partir du nombre estimé de pylônes nécessaire pour couvrir la France, en tenant compte d'une disposition imposant l'itinérance locale. Aucune répartition plus fine n'a été affichée. Le rapport remis au gouvernement relevait que la moitié des zones non couvertes se situait au-dessus de 700 mètres d'altitude, ce qui concerne donc les zones de montagne.

Je voudrais également examiner l'impact du changement de gouvernement face à cet écart constaté. Tout est-il remis en cause ? Heureusement, non ! Une volonté a été exprimée, y compris par Monsieur Mer et Madame Fontaine devant la commission des affaires économiques du Sénat, qui vient préciser les choses. Le nouveau gouvernement a confirmé les engagements financiers de l'ancien ; nous aurons sans doute l'occasion d'en reparler. En effet, la loi de finances devra apporter la confirmation des promesses, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.

Comment ont été mises en oeuvre les mesures du CIADT de Limoges s'agissant de la couverture du Massif Central ? Quelle a été la participation des collectivités locales concernées, de l'Etat et des opérateurs ?

Les décisions du CIADT avaient été revues à l'occasion de la révision des modalités d'attribution des licences UMTS. Après avoir été allégés d'une partie du coût des licences UMTS, Orange et SFR ont accepté d'accroître leur participation à la couverture des mobiles mais en contrepartie ont refusé de souscrire à l'obligation d'itinérance, écartant de ce fait le troisième opérateur, Bouygues. En zone de montagne, le problème de Bouygues en matière d'amélioration de la couverture n'est donc pas réglé ; il faudra engager des négociations pour que les trois opérateurs continuent à assurer cette couverture. L'ART a estimé à 5 000 le besoin de relais, contre 1 500 pour le CIADT ; l'approche doit donc être revue, la vérité se situant certainement entre les deux. Le recensement des zones a été achevé à la fin du mois d'avril, avant qu'un schéma définitif ne soit dressé ; les premières conventions d'installation avec les opérateurs devraient être signées à la fin du mois de juin et le programme achevé à la fin 2004. Nous voyons apparaître les premiers pylônes communs entre deux opérateurs. Pour l'avenir, nous devrons parvenir à une mutualisation des pylônes afin d'éviter leur multiplication, plus particulièrement en zone de montagne où le relief impose d'en installer un grand nombre.

Quelle est votre position sur la prise en charge toujours croissante des dépenses d'équipements en télécommunications par les collectivités locales, qu'il s'agisse du mobile ou des réseaux à haut débit ?

Concernant les mobiles, la modification des engagements du CIADT après l'attribution des licences UMTS a conduit à une réduction d'environ de moitié de la charge de la couverture pour les pouvoirs publics. L'accessibilité à la contribution financière des collectivités est donc moins importante que par le passé. J'ai fait des suggestions à Monsieur Mer et Madame Fontaine durant leur audition devant la commission. Je les ai appelés à l'examen de toutes les solutions possibles, y compris le partage du territoire et l'obligation de couverture universelle attribuée à un opérateur qui assurerait l'itinérance pour les autres. En fait, l'opérateur en question s'engagerait, sur un territoire régional donné, à assurer la couverture totale ; il aurait également l'obligation de transmettre et d'assurer la couverture pour les autres opérateurs téléphoniques.

En matière de haut débit, les équipementiers, davantage que les opérateurs, incitent les collectivités à des commandes publiques. J'ai rencontré ce matin Monsieur Gonnet à la CDC sur ce sujet, en vue de la mise en oeuvre des obligations et des propositions qui ont été effectuées dans le cadre du CIADT de Limoges. Nous attendrons les précisions et les textes concernant la clarification des compétences Etat/Région, Département/Collectivités locales, afin de déterminer de quelle manière la cohérence est assurée et comment les équipements sont financés pour assurer la couverture, surtout dans le domaine du haut débit, où il est souhaitable de demander de la patience et de la prudence aux opérateurs locaux. En effet, ces derniers engagent des initiatives qui pourraient être dépassées sur le plan technologique, alors qu'ils devraient rembourser des annuités durant de nombreuses années.

Par ailleurs, j'ai constaté que nous avions enfin pris la mesure du scandale de la non-utilisation des fonds communautaires. Je considère qu'ils peuvent être gérés en région ; j'attends les annonces que le gouvernement devrait faire le 31 juillet, après avoir accepté en conseil des ministres la réforme proposée par Monsieur Delevoye pour accélérer la consommation des fonds européens. En effet, nous constatons aujourd'hui que la zone de montagne, comme les autres, sous-utilise les possibilités d'accession aux fonds européens et n'a pas encore le réflexe de présenter des dossiers pour la couverture du mobile, du haut débit et pour l'accès aux technologies de l'information et de la communication. J'incite les collectivités à être plus performantes, même s'il est vrai que l'interface des services de l'Etat entre les décideurs locaux et les responsables des fonds européens pose un problème, sachant que cette interface n'existe pas dans les autres pays.

Quelle est votre réflexion sur le maintien du service public postal en zone de montagne ?

Dans ce domaine, je pense que nous évoluons vers une réforme importante de La Poste. Dans ma note, je reviens sur les actions menées par l'Association des maires de France et la Commission du service public ; j'évoque également ce que les élus peuvent accepter, ainsi que les obligations qu'ils doivent respecter vis-à-vis des populations locales. Normalement, d'après la directive européenne, au 1 er janvier 2009, les postes européennes ne disposeront plus du monopole concernant le courrier, la concurrence étant ouverte pour l'ensemble du marché, ce qui posera la question de la présence postale sur le territoire. A titre personnel, je pense que nous devrons faire des propositions de présence postale en nous appuyant sur l'intercommunalité et sur des équipements nouveaux. Nous devrons accepter les expérimentations qui pourront être effectuées prochainement par La Poste de mise en place de Points contacts postaux dans les bureaux de tabac, les cafés, les épiceries, les supérettes. Sur les 17 000 bureaux de poste, 12 000 sont de plein exercice, l'objectif des dirigeants de La Poste étant de les ramener à 8 000, les autres devant être transformés en Points de contact, notamment en zone de montagne. Certains élus se sont manifestés auprès de l'AMF, pour faire savoir qu'ils étaient prêts à accepter des expérimentations sur leur territoire : Saint Gervais accepte une expérimentation pour son Point contact postal de Saint Nicolas de Véroce ; Excenevex est prête à accepter une contractualisation avec un commerce local, qui deviendrait le bureau de poste local.

Concernant la modernisation de La Poste, tout reste à faire. L'Association nationale des élus de la montagne est l'une des mieux placées pour être en contact avec le ministre en charge de la poste et les différentes instances, ainsi que pour apporter sa contribution à l'élaboration du contrat de plan Etat/La Poste 2002/2006 ; ceci me semble tout à fait urgent et important. Malheureusement, la période électorale que nous venons de traverser n'a pas permis de nouer ces différents contacts. Pour l'instant, la rédaction du prochain contrat de plan s'est faite uniquement sur la base d'une concertation entre les services de l'Etat et les services publics ; en revanche, les élus n'ont pas été mis à contribution, ce que je déplore. J'espère que des corrections seront apportées très rapidement ; en effet, il n'est pas normal que les associations d'élus n'aient pas pu se manifester jusqu'à maintenant sur le sujet.

Je souhaite mettre en évidence le choix de deux niveaux de centralisation différents. En effet, la montagne, plus encore que les autres zones, a besoin des routes de l'information. Or ces dernières seront plus coûteuses qu'ailleurs. Dans ce cadre, la mutualisation et la solidarité devront s'exprimer de façon à ce que le développement économique ne soit pas à deux vitesses et que les zones de montagne ne constituent pas le parent pauvre de l'aménagement du territoire.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie. En fait, en matière de télécommunications, votre proposition est de privilégier le binôme Etat/Région. Les régions doivent donc être le moteur pour délivrer les licences mais aussi pour financer, éventuellement avec une aide de l'Etat si leurs capacités financières sont insuffisantes.

M. Pierre Hérisson - Plutôt que de distribuer des aides aux opérateurs, il faut aussi mener une réflexion sur un partage au niveau national, en définissant, pour la compagnie opératrice qui se verrait attribuer la licence, une obligation de service universel, c'est-à-dire de couverture totale. Ainsi, dans le Sud-est, Bouygues Télécom aurait l'obligation de la couverture universelle sur le territoire pour lequel elle dispose de la licence mais aussi de l'itinérance (elle serait obligée d'assurer la transmission des autres compagnies). Ensuite, une péréquation pourrait être mise en place dans le cadre de l'ouverture de la boucle locale, comme dans le cas du filaire. Ainsi, il est possible de prendre actuellement un abonnement à Cegetel, sachant que l'acheminement des communications est effectué par le réseau filaire de France Télécom, qui se fait rémunérer sur la base d'un tarif arrêté par l'ART ; France Télécom facture donc Cegetel. Il faudrait évoluer vers un principe de service universel régional. Cela conduirait à recréer une sorte de monopole mais l'ART pourrait fixer les tarifs ; de plus l'opérateur aurait l'obligation de couverture totale sur un territoire donné. En divisant la France et en régionalisant l'obligation de service universel, on peut penser qu'un opérateur serait preneur d'une licence.

M. Jean-Paul Amoudry - Pour le Massif Central, qui est réparti entre cinq ou six régions, l'opérateur ne risque-t-il pas de se heurter à des difficultés du fait du morcellement administratif ?

M. Pierre Hérisson - Il appartiendra à celui qui effectuera le découpage de créer les conditions de l'équilibre financier en réunissant dans la même zone d'obligation de couverture des secteurs rentables et d'autres moins rentables. En fait, il faut mettre en place une certaine mutualisation autour d'un périmètre défini, contenant des zones urbaines suffisamment vastes pour compenser financièrement les zones non rentables. Il ne faut donc pas créer des régions pauvres et des régions riches mais des découpages équilibrés, dont le périmètre ne correspondra absolument pas aux régions administratives existantes. L'exemple de la boucle locale radio pourrait être suivi, même si, pour cette dernière, deux secteurs n'ont fait l'objet d'aucune candidature lors de l'appel d'offres car le mauvais découpage a fait que la zone était réputée non rentable dès le départ ; nous devons éviter de recommencer cette erreur.

M. Jean Boyer - Le rapport présenté est remarquable. Nous constatons que dans certains départements, des initiatives locales ont déjà été lancées. Par ailleurs, concernant La Poste, vous avez évoqué la création de points fixes dans les commerces locaux. Quid de la distribution du courrier dans les hameaux ? Ne sera-t-elle pas remise en cause à terme ?

M. Pierre Hérisson - La distribution quotidienne du courrier, six jours sur sept, est une obligation faite à l'opérateur public. Il nous appartiendra de veiller à ce que l'on ne remette pas en cause ce service public universel au sein du prochain contrat de plan. Aujourd'hui, La Poste bénéficie du monopole sur les courriers jusqu'à 150 grammes, la limite devant passer à 100 grammes au 1 er janvier 2003, à 50 grammes au 1 er janvier 2006, le monopole disparaissant totalement au 1 er janvier 2009, sauf disposition contraire des Etats qui pourraient décider de reporter cette échéance, ce qui est toujours possible. Pour le moment, La Poste doit assurer le service public, six jours sur sept. Malheureusement, faute d'effectifs et de personnel durant les périodes de vacances, nous avons constaté des dysfonctionnements en la matière. En revanche, La Poste n'a aucune obligation d'ouverture des bureaux de poste et des guichets sur le territoire national. En la matière, elle peut se réorganiser comme elle l'entend, sa seule responsabilité étant de faire en sorte que la zone de chalandise soit la plus courte possible autour du bureau de poste (normalement pas plus de 5 kilomètres).

M. Jean Boyer - La Poste a l'obligation de distribuer le courrier mais pas d'apporter un service.

M. Pierre Hérisson - En effet, la seule obligation de La Poste française est de distribuer le courrier six jours sur sept. Les dirigeants de La Poste parlent de zones « à découverts » pour évoquer les congés maternité, les maladies, les carences en matière d'embauche de personnel saisonnier durant les vacances, les conflits sociaux.

Par ailleurs, en matière de télécommunications, il est vrai que certaines initiatives sont prises. Dans ce cadre, la CDC, dont la mission est d'apporter sa contribution de partenaire financier, recommande d'attendre quelques semaines pour savoir comment la décentralisation va se préciser, notamment la régionalisation. Il faut donc rester prudent, d'autant plus que la loi est relativement floue en matière d'initiatives des collectivités, ces dernières pouvant toujours être taxées d'opérateurs, fonction qu'elles n'ont pas le droit d'exercer.

Pour autant, la difficulté est que les maires des communes sont sous pression parce que le conseil d'administration de France Télécom a décidé d'ouvrir le haut débit par le biais de l'ADSL, qui permet d'utiliser les fils existants et d'augmenter le débit de 50 fois. Pour ma part, je pense que ce débit sera rapidement insuffisant par rapport à celui qui sera offert par la fibre optique, la boucle locale radio ou le satellite. Nous ne devons donc pas laisser les collectivités de moins de 3 500 habitants contractualiser dans n'importe quelles conditions financières. Actuellement, la Commission supérieure du service public des Postes et des Télécommunications fait pression sur France Télécom pour que ce dernier retienne un critère économique et non de population. En effet, certaines communes touristiques de 2 000 habitants font l'objet de 50 demandes de raccordements à l'ADSL, alors que des communes de 5 000 habitants en milieu rural ne regroupent pas plus d'une dizaine de demandes.

Par exemple, le lac d'Annecy dispose d'une fibre optique qui longe ses deux rives. Pour autant, France Télécom souhaite imposer le recours à l'ADSL, en demandant une contribution financière aux communes. En fait, certaines entreprises, activités économiques ou certains particuliers seraient raccordables directement à la fibre optique, c'est-à-dire au vrai haut débit ; ils sont obligés d'utiliser l'ADSL, dont le débit est restreint. Cela conduit à mettre les collectivités locales dans une situation très délicate vis-à-vis de leur population.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie, en excusant le Président Jacques Blanc retenu par d'autres obligations.

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