47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet, sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous accueille avec beaucoup de plaisir au Sénat. Je vous prie d'excuser Monsieur Blanc, Président de notre mission, qui est retenu par ailleurs, ainsi que certains de mes collègues sénateurs, dont certains étaient présents ce matin et dont d'autres nous rejoindront cet après-midi. Je vous propose de commencer nos travaux, en vous remerciant d'avoir fait le déplacement depuis La Réunion. Nous sommes heureux de pouvoir échanger sur le thème de la montagne, dans le cadre de cette mission dont je souhaiterais vous dire quelques mots de présentation.

Le Président et le Bureau du Sénat ont accepté la proposition présentée en février dernier par quelques sénateurs, à l'initiative de l'Association nationale des élus de la montagne, de créer une mission d'évaluation de la politique Montagne depuis la loi de 1985 et les textes de la rénovation rurale, qui datent du début des années 70. Ce projet assez ambitieux a consisté, du mois d'avril à aujourd'hui, à auditionner plusieurs dizaines de personnes (élus, responsables socioéconomiques et associatifs), afin de dresser ce bilan et tenter de proposer des orientations et des mesures propres à corriger cette politique. En effet, nous avons conscience que la loi de 1985 n'a donné lieu qu'à des applications imparfaites. De plus, elle a fait l'objet de textes ultérieurs (lois d'orientation et d'aménagement) dans les domaines de la forêt, de l'urbanisme et de l'agriculture ; tous ces textes peuvent présenter des contradictions ou au moins des points d'achoppement. Cette volonté a donné lieu à une étude basée sur trois grands axes : environnement, économique, aménagement.

Nous avons prévu de déposer nos conclusions au début du mois d'octobre, de façon à rester dans le cadre de l'année internationale des montagnes. Nous souhaitons également être présents au rendez-vous de la reprise des travaux parlementaires à l'automne. Nous souhaitons enfin proposer et faire valider nos orientations par certains congrès, assises et rencontres, qui se tiennent traditionnellement à l'automne. En revanche, nous n'aurons pas terminé à temps pour soumettre nos travaux aux Assises des conseillers généraux qui auront lieu à La Réunion, même si les conclusions seront déjà bien avancées ; dans ces conditions, cette question pourra peut-être être abordée à cette occasion.

Nous n'avons pas eu le temps matériel et la possibilité de visiter votre île. Pour autant, le groupe Montagne, qui survivra à notre mission, après la remise du rapport, pourra, si vous l'estimez nécessaire et si nous le jugeons utile, se rendre à La Réunion pour approfondir certains aspects de la problématique Montagne. Je vous invite maintenant à intervenir sur la base des questions que nous vous avons adressées et sans préjudice des autres points que nous pourrions évoquer. Je vous laisse la parole ; je suis heureux de vous entendre et d'échanger avec vous.

Mme Anne-Marie Payet - Je tiens à dire ma joie d'être présente aujourd'hui. En effet, au départ, je pensais que la mission ne portait que sur les départements de métropole puisque j'entendais principalement parler d'accidents de ski et d'avalanches... Lorsque j'ai compris que les thèmes examinés étaient également ceux du tourisme, de l'élevage et de l'agriculture, j'ai tout fait pour inclure La Réunion dans cette mission. Je suis heureuse d'être présente aujourd'hui en compagnie de professionnels réunionnais, que je remercie d'avoir interrompu leurs vacances.

La Réunion offre aux touristes et à ses habitants les plaisirs de la mer et de la montagne : 30 kilomètres à peine séparent l'Océan Indien du Piton des Neiges qui culmine à 3 069 mètres. L'originalité de La Réunion tient à l'existence de ces zones de montagne, aussi vastes que diverses, qui sont des espaces naturels, de vie et de travail. L'article 4 de la loi Montagne de 1985 énonce qu'à La Réunion, les zones de montagne comprennent les communes et parties de communes situées à une altitude de plus de 500 mètres. Par décret du 26 décembre 1994, de nouvelles limites ont été fixées pour les zones de montagne, afin de tenir compte de la présence de handicaps structurels (relief, enclavement) et de nos enjeux de développement pour la mise en valeur de l'espace Montagne.

Finalement, parler des collectivités locales des zones de montagne à La Réunion revient à parler de presque toutes les collectivités puisque 23 communes sur 24 sont concernées. Les zones de montagne, que nous appelons les « Hauts » par opposition aux zones littorales appelées les « Bas », représentent un potentiel important que nous devons valoriser. Il s'agit d'un potentiel d'espace puisque les zones de montagne représentent 2 000 km 2 , soit les quatre cinquièmes de la superficie de l'île pour un cinquième de la population. Il s'agit également d'un potentiel humain : 139 790 habitants sont concernés, soit 20 % de la population. Cette dernière est jeune puisque 50 % a moins de 25 ans, son niveau de formation allant croissant. Le potentiel est également économique puisque les Hauts regroupent 60 % de la surface agricole utile, 90 % du potentiel forestier, 90 % du potentiel d'élevage, 60 % des exploitations agricoles et des zones de production vivrière, maraîchère, horticole et arboricole, toutes complémentaires de celles des Bas.

Ce potentiel est fragile et le mitage des zones agricoles s'accentue. Il faut donc renforcer le tissu économique et social. Aujourd'hui, 10 % seulement des entreprises sont implantées dans les Hauts. Le taux de chômage est préoccupant puisqu'il est de 49 % pour les zones de montagnes, de 55 % à Cilaos, commune où je réside, et de 34 % pour l'ensemble du département. La Réunion compte aujourd'hui plus de 700 000 habitants ; des études récentes ont montré qu'en 2020, la population atteindrait le million de personnes. Face à une zone littorale saturée, l'espace rural représente une alternative pour un développement harmonieux et équilibré du territoire, qui doit se traduire par des orientations politiques fortes : une politique de rattrapage en équipements structurants pour réduire le déséquilibre entre les Hauts et les Bas et une dynamique économique performante qui diversifie et conforte les activités.

Je laisse la parole à Madame Jové, qui va nous présenter le Commissariat à l'aménagement des Hauts, structure équivalente à celle du Comité de massif qui n'existe pas chez nous.

Mme Pascale Jové - L'histoire institutionnelle de l'aménagement des Hauts à La Réunion précède la politique de la montagne et date plutôt du lancement de la rénovation rurale. A La Réunion, le plan d'aménagement des Hauts et la mise en place du Commissariat sont issus d'une volonté politique. Dans les années 60, le constat a été fait d'un déséquilibre social et économique très fort entre la zone des Hauts et la zone des Bas. En 1975, les assemblées régionales (Etablissement public régional agricole et le conseil régional) ont émis le voeu qu'un plan global d'aménagement soit mis en place pour les Hauts, dans le cadre du 7 ième Plan. En 1977, un Comité d'aménagement des Hauts a été créé par arrêté préfectoral, qui préfigure le comité de massif qui n'existe pas à La Réunion puisque la loi ne l'a pas prévu dans les DOM. En 1991, ce comité a été modifié par un nouvel arrêté préfectoral, prévoyant une coprésidence entre l'Etat et les collectivités, ainsi que l'intégration des socioprofessionnels.

En 1978, les Hauts de La Réunion sont délimités par décret comme des zones d'action rurale et représentent 80 % de la superficie de l'île. Le Commissariat à la rénovation rurale des Hauts apparaît en octobre 1978 ; le premier Commissaire est nommé en même temps que la mise en place du plan d'aménagement des Hauts. En 1994, l'ensemble des Hauts est classé en TRVP, ce qui conduit à une augmentation de la zone de massif à La Réunion, ce qui nous vaut de disposer de communes qui vont jusqu'à la mer et qui sont intégrées dans le plan d'aménagement des Hauts. De plus, le classement en TRVP permet une intervention préférentielle du fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) sur la zone.

Le Commissariat d'aménagement des Hauts de La Réunion met en oeuvre le plan d'aménagement des Hauts. Par rapport aux autres commissariats métropolitains, il bénéficie d'une approche partenariale et originale. En effet, s'il s'intègre dans le réseau des commissariats de la DATAR (à sa tête, le commissaire est nommé par la DATAR sous l'autorité du Préfet), depuis sa création en 1978, le Commissariat bénéficie également d'un large partenariat avec les collectivités locales, en particulier le conseil régional et l'Europe. Depuis sa création, le Commissariat, tant pour le fonctionnement des structures de terrain qu'au niveau de ses crédits d'investissement, est entièrement financé par l'Etat, la région, le département et l'Europe.

Le Commissariat et le plan d'aménagement des Hauts ont été mis en place durant une période de fort rattrapage au niveau des équipements et des infrastructures. Plus de 20 ans après, la plupart des défis ont été relevés ou sont en passe de l'être. Ainsi, les efforts ont principalement porté sur les équipements, les infrastructures routières, l'alimentation en eau et en électricité ; de même, les productions agricoles ont été diversifiées, le développement du tourisme, de l'artisanat et des services ayant été également très important. Au fil des ans, l'image des Hauts s'est inversée : celle de la qualité a succédé à celle de retard et de handicaps. Pour autant, des efforts doivent encore être poursuivis, compte tenu du contexte démographique.

En effet, la zone des Hauts voit sa population augmenter, de façon parallèle à celle de l'ensemble de l'île. Or, compte tenu de la saturation du littoral, cette zone de montagne va devoir accueillir d'ici à 2020, une partie des 300 000 habitants nouveaux dont La Réunion disposera. Aujourd'hui, si le rattrapage à effectuer n'est plus aussi important, de nombreux atouts restent à développer.

La zone des Hauts a longtemps constitué un refuge pour les « esclaves marrons » ou les « petits blancs », ce qui en a fait une région préservée, au milieu naturel exceptionnel, tant en termes de paysage que de patrimoine ou de qualité des hommes que l'on y rencontre. Les Hauts peuvent donc contribuer à relever les défis qui se posent à l'ensemble de l'île, notamment en termes de création d'emploi, de protection des espaces naturels, d'occupation maîtrisée du territoire et en matière de cohésion sociale. Pour autant, les Hauts restent fragiles du fait de l'enclavement ; de plus, nous sommes sur une île volcanique, ce qui pose d'importants problèmes d'érosion tant en termes de production agricole que de protection des biens et des personnes. Il s'agit également d'une zone essentiellement agricole, sans pôle urbain structuré. Des efforts doivent donc être effectués pour développer les services, les logements, les équipements publics et pour structurer les bourgs, comme cela a été prévu dans le schéma d'aménagement régional (SAR). Face à ces enjeux, les Hauts possèdent des ressources et des atouts très importants. Ils constituent un réservoir d'espace pour l'accueil de la nouvelle population ; l'agriculture est moderne ; le tourisme rural est en plein essor ; le patrimoine naturel et le cadre de vie sont exceptionnels et doivent continuer à être valorisés.

Le plan d'aménagement des Hauts a été introduit dans le contrat de plan du document unique de programmation (DOCUP) ; il se traduit par 17 mesures spécifiques aux Hauts, en plus des mesures de droit commun qui s'appliquent déjà à La Réunion. Il est prévu une modalité d'intervention spécifique dans les Hauts, sur la base d'un partenariat institutionnel fort entre l'Etat, la Région, le Département et l'Europe. Entre 2000 et 2006, environ 91,5 millions d'euros seront disponibles pour mener des actions spécifiques dans les Hauts. Après la période de rattrapage que nous avons connue en termes d'équipements, d'infrastructures et d'agriculture (l'élevage a été créé de toutes pièces dans les années 70, ce qui a nécessité l'étude des espèces et du fourrage adaptés, des bâtiments d'élevage, des prairies mais aussi la création d'AFP), nous continuons à travailler sur la diversification de l'agriculture. Nous menons des expérimentations, notamment en travaillant sur la mise au point d'une canne à sucre adaptée aux zones d'altitude. Des actions sont aussi menées en matière d'aménagement des terroirs, compte tenu des problèmes importants d'érosion, ainsi que pour la valorisation et la transformation des produits agricoles. Parallèlement, nous menons une action spécifique au niveau du commerce et de l'artisanat, seulement 10 % des artisans étant situés dans les Hauts ; nous avons mis en place une discrimination positive pour les artisans et les commerçants qui souhaitent s'installer ou se diversifier dans les Hauts. Enfin, une action importante est menée en matière de valorisation touristique.

Par ailleurs, les communes mènent une action de structuration des bourgs des Hauts, ainsi qu'une réflexion sur l'habitat, afin d'accueillir les nouvelles populations. Ainsi, le sénateur Virapoullé réfléchit à la création d'une ville nouvelle. Enfin, je dois citer le travail mené sur la protection des habitats et des biens dans les Hauts, du fait de l'érosion constatée. Pour mettre en oeuvre cette politique de partenariat, nous nous appuyons sur l'équipe de six personnes du Commissariat, ainsi que sur l'équipe d'animateurs du plan d'aménagement des Hauts, cofinancée également dans un cadre partenarial, qui, à l'image des animateurs de développement local, met en oeuvre la politique du plan d'aménagement des Hauts sur le terrain.

M. Vincent Le Dolley - Nous ne disposons pas de chiffres spécifiques en ce qui concerne l'agriculture des Hauts, les statistiques s'arrêtant à des sous-communes qui ne recoupent pas nécessairement la limite des Hauts. De plus, cette dernière ne coïncide pas avec la limite de montagne, ce qui complique l'analyse. L'agriculture de La Réunion regroupe 9 400 exploitations, ce qui la situe dans le haut de la fourchette des départements français, la surface moyenne étant en revanche moins élevée. De plus, la répartition des exploitations fait apparaître trois grandes masses à peu près équivalentes : la canne à sucre, les fruits et légumes, l'élevage, ainsi que des cultures traditionnelles comme celle du géranium.

La zone des Hauts n'est pas spécialisée ou marginale, la seule production qui n'est effectuée pratiquement que dans les Hauts étant le géranium, pour des raisons climatiques. Parallèlement, 40 % de la canne à sucre sont produits dans les Hauts, contre 66 % pour les fruits et légumes et 80 % pour l'élevage. Les chiffres ne définissent donc pas les Hauts et les Bas comme coïncidant avec des productions spécifiques. Pour n'être pas spécialisée, la zone des Hauts n'est pas non plus marginale puisqu'elle accueille 60 % des exploitations agricoles. Les Hauts regroupent donc de nombreuses exploitations et font l'objet d'une pression foncière importante.

Par ailleurs, le ministère de l'agriculture a considéré qu'il était justifié de classer l'ensemble de l'île comme une zone à handicap naturel. En effet, même dans les très Bas, on constate l'existence de différences de reliefs, de ravines, de cailloux et de pentes qui justifient tout à fait ce classement au niveau européen. En revanche, au sein de cette grande zone handicapée, il est vrai que les situations sont diverses, ce qui nécessite la mise en place de politiques différenciées. Au sein d'une grande zone où tout le monde est potentiellement éligible, nous essayons de mettre en place des différences de traitement, pour tenir compte des coûts réels de transport, en fonction de la pente, du relief ou de la qualité des sols.

Parallèlement, les politiques nationales s'appliquent, comme l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN), qui concerne l'ensemble de l'île. De plus, les politiques de contrats territoriaux d'exploitation (CTE) sont bien adaptées à notre situation ; ainsi, des CTE collectifs ont été réalisés, à Cilaos et à Salazie, qui tiennent compte des difficultés de ces zones. Une politique a été menée, privilégiant plutôt les Hauts, en termes de quotas, notamment pour l'élevage : l'objectif était d'apporter l'économie dans ces zones et de privilégier la canne là où elle peut pousser.

Par ailleurs, un rééquilibrage des ressources en eau est effectué. En effet, les handicaps naturels de La Réunion ne sont pas uniquement liés au relief mais aussi à la sécheresse ou à l'excès d'eau dans d'autres zones. L'un des grands projets menés a été de transférer les eaux excédentaires vers les zones déficitaires, ce projet faisant suite à d'autres, historiques, notamment à Cilaos. L'autre politique consiste à mener une réflexion pour la mobilisation du foncier. En effet, l'espace n'est pas suffisant pour que les agriculteurs s'installent. Nous sommes donc dans une situation de pression foncière, qui n'est pas courante en métropole, aussi bien dans les Hauts que dans les Bas. Le ministère de l'agriculture et ses partenaires doivent donc développer des politiques pour mobiliser au maximum les terres disponibles (inventaire des zones en friche, politique anti-friche). Les Hauts peuvent être dans certains cas des lieux d'implantations futures, afin d'éviter que tout le monde ne s'installe sur les zones côtières.

En matière d'environnement, nous disposons évidemment d'un patrimoine exceptionnel, qui est préservé en grande partie parce que son statut foncier est domanial, la gestion étant assurée par l'office national de la forêt (ONF) pour le compte des collectivités. Même si l'on peut toujours faire des critiques, ce dispositif a permis la préservation à grande échelle d'un patrimoine exceptionnel, notamment les forêts primaires, qui constituent à la fois la fierté de l'île et un atout touristique indéniable. De plus, une politique d'orientation régionale forestière vient d'être mise en place, comme dans toutes les régions françaises, qui privilégie la conservation des forêts primaires, dans lesquelles la production du bois est donc exclue. Nous disposons également de réserves biologiques et naturelles, ainsi que de sites classés, les ZNIEFF (zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique) couvrant 65 % du territoire, ce qui constitue à la fois la preuve de l'existence de notre patrimoine exceptionnel mais aussi une difficulté ; en effet, tout projet doit fait l'objet d'une étude approfondie de la situation, surtout pour les ZNIEFF de première catégorie, dont les plus nombreuses se situent dans les Hauts. Pour mémoire, le projet de création d'un Parc national dans les Hauts fait l'objet d'un consensus entre la région, l'Etat et le département. Ce parc, qui permettrait de consacrer la qualité exceptionnelle du site, a conduit à la création d'une mission d'expertise. Le premier enjeu en matière d'environnement est donc la protection du patrimoine exceptionnel.

Le deuxième enjeu concerne les risques. En effet, dans les Hauts, la pluie tombe abondamment ; le relief provoque de nombreux éboulements de terrain ou des glissements de terrain. Nous avons donc engagé une politique de Plan de prévention des risques, ce qui n'est pas aisé car nous constatons que les experts sont peu nombreux à pouvoir définir la réalité des risques au niveau de La Réunion. Nous rencontrons donc quelques difficultés ; nous avons le souhait que la politique de restauration des terres en montagne (RTM) puisse nous aider en la matière. Pour l'instant, il n'existe pas de service RTM à La Réunion, sans doute pour des raisons budgétaires ou historiques ; nous souhaiterions pourtant bénéficier d'un appui de la part de ces services.

Le troisième enjeu est celui de la pollution, La Réunion est une zone propre et saine, du moins dans les Hauts. Pour autant, des sous-zones accueillent des élevages de petite dimension, avec très peu de foncier, que nous avons des difficultés à contrôler. De plus, l'épandage est assez délicat car il nécessite le transport du lisier et des fientes, ce qui est particulièrement difficile sur nos routes. Globalement, la question des déchets, agricoles ou urbains, est très importante ; un travail est engagé en la matière, qui est essentiel si nous souhaitons éviter que les touristes soient touchés par certaines nuisances à l'avenir, notamment par la pollution olfactive. Parallèlement, le risque de pollution des nappes phréatiques est relativement faible, du fait des quantités importantes de pluie qui tombent sur notre île.

Enfin, si La Réunion dispose d'un patrimoine exceptionnel et qu'elle est ouverte sur le monde, elle a été envahie en 300 ans par des espèces végétales et animales qui ont tendance à coloniser l'espace et à perturber l'équilibre naturel écologique. Un travail important est donc mené par les services de l'Etat, notamment pour empêcher les importations anormales de plantes ou d'animaux qui seraient susceptibles de nuire à l'équilibre local. Ce sujet est important si nous souhaitons conserver notre forêt primaire dans le même état qu'aujourd'hui.

M. Paul Vergès - Pour La Réunion, le sujet dont s'est emparé le Sénat est décisif. Au nom du conseil régional et de la Chambre de commerce de La Réunion, j'étais en tournée d'investissement dans les Comores ; je suis rentré hier en avance pour assister à cette audition, avant de repartir dès ce soir. En effet, je pense que cette question est décisive et je répondrai évidemment par écrit à toutes les questions posées. Le problème de la montagne des Hauts se pose, en interaction avec le reste de la surface, dans des conditions que nous ne pouvons pas imaginer en métropole. En effet, à La Réunion, tout dépend de la montagne : 80 % de la surface de l'île sont classés en zone de montagne ; 23 communes sur 24 relèvent de la politique de montagne.

Je pense que le premier problème est que La Réunion est une île jeune géologiquement, dont les terrains sont encore instables. D'ailleurs, il y a un peu plus d'un siècle, un village a été enseveli à Grand Sable ; il y a quelques années, un barrage a été emporté par une rivière, ce qui a mis en danger toute l'agglomération de Saint-Joseph. De même, le chantier de basculement de l'eau a été interrompu par un éboulis. Nous possédons également des routes de grande circulation, notamment le long du littoral ; nous allons en construire une troisième car les deux premières se sont révélées dangereuses suite à des chutes de pierres et à des risques de descente de plaques ; le cirque de Cilaos est également souvent isolé par des éboulis. Cette question touche donc tous les secteurs.

Nous sommes également une île tropicale de 2 500 km 2 située en zone cyclonique, comprenant trois cirques montagneux, des hauts plateaux habités de 1 500 à 2 000 mètres, ainsi que des sommets de 1 500 à 3 000 mètres. Du fait des fortes précipitations cycloniques, nous disposons de vastes bassins versants, qui débouchent tous par une seule rivière. Compte tenu de la surface du pays, le parcours des eaux de pluie est particulièrement réduit. Or, en 1948, le cyclone a créé des volumes d'eau comparables à celui du Rhône en crue à Lyon. Nous faisons donc face à un problème considérable. De fait, les pertes en eau sont nombreuses et les morts causées par les cyclones sont provoquées à près de 100 % par l'eau (noyades lors des tentatives de passage des rivières ou dans les maisons emportées).

Dans ce cadre, l'occupation de l'espace a conduit à saturer le littoral. Cela pose des problèmes de protection des villes, des ravines... De plus, tout le littoral est occupé, alors que nous devrons loger entre 250 000 et 300 000 habitants supplémentaires dans les 20 ans qui viennent ; cela ne sera possible que dans les Hauts. Cela pose la question de la sécurité des logements, de la protection des terres agricoles et des infrastructures. Nous construisons actuellement deux lycées tous les trois ans et un collège par an. En fait, un apport de 250 000 habitants supplémentaires correspond à la population totale de La Réunion en 1946 ; 300 000 habitants de plus équivalent à la population de l'île en 1960.

Parallèlement, nous devons prendre en compte l'agriculture, notamment dans le cadre de l'érosion. En effet, La Réunion est l'un des pays du monde les plus gravement atteints en la matière : il s'agit d'une montagne de 50 kilomètres de base et de 3 kilomètres de sommet. Si la canne tient la terre aujourd'hui grâce à son système de racines, la culture du géranium, à une époque où La Réunion était le premier producteur du monde, a conduit à défricher dans les Hauts, ce qui a atteint le couvert forestier.

Par ailleurs, nous nous situons dans la zone où les changements climatiques qui s'annoncent du fait de l'effet de serre vont être les plus rapides et les plus sensibles. La planète se réchauffant, l'évaporation de l'Océan Indien sera plus importante et les cyclones seront donc plus forts et apporteront un plus grand volume de pluie. Nous courons donc au désastre, sachant qu'il faut tenir compte des engrais utilisés dans l'agriculture cannière, des problèmes des eaux d'assainissement, de la pollution des lagons et de l'augmentation des coraux qui commencent à blanchir du fait de la hausse de la température. Il s'agit du même phénomène que celui qui est constaté sur les atolls du Pacifique. A terme, si la barrière de corail meure, la houle passera par-dessus, entraînant ainsi la destruction des plages.

Dans le domaine de l'eau, le choix en termes d'alimentation a toujours dû être effectué par les maires entre le pompage des nappes phréatiques et l'utilisation des eaux de ruissellement, sachant que ces dernières sont plus faciles à utiliser. Toutefois, souvent, nous interrompons ainsi le cycle de l'eau qui va à la mer, alors qu'elle permet à la faune de nos rivières de naître dans cette mer. Si nous captons les rivières, l'eau n'arrive plus à la mer, ce qui interrompt le cycle de la vie et conduit les rivières à être désertifiées ; il s'agit là d'un énorme problème. Pour répondre aux besoins de l'agriculture, aux besoins humains et de l'activité industrielle future, nous devons mieux connaître nos ressources afin de mieux les utiliser. La nappe phréatique doit fournir actuellement environ 53 % de la consommation humaine ; si nous captons les eaux de ruissellement pour l'irrigation, les nappes ne sont plus alimentées. De plus, nous nous demandons pourquoi, pour l'irrigation, nous avons utilisé en priorité les cirques où les volumes d'eau étaient les plus faibles (Cilaos, Les Galets, Salazie). Nous n'avons pas suffisamment exploré les nappes élevées puisque la construction du tunnel de basculement de l'eau de Salazie sur la rivière des Galets est actuellement interrompue : nous avons trouvé une nappe qui diffuse 400 litres d'eau par seconde et qui se répand dans le tunnel ; cette nappe d'eau potable aurait évidemment pu faire l'objet d'une étude préalable. Parallèlement, nous devons déterminer la façon de réutiliser dans l'est le bassin versant le plus arrosé, qui rejette à la mer 500 000 m 3 d'eau par jour, ce qui représente les deux tiers de l'eau nécessaire pour l'irrigation de l'ouest. Avec l'Europe, nous avons dépensé 335 millions d'euros pour basculer une quantité d'eau mais nous en rejetons les deux tiers à la mer.

Le Sénat doit se pencher sur ces questions. D'ailleurs, à l'occasion du Congrès des présidents des conseils généraux, pourquoi nos collègues ne consacreraient-ils pas une journée à la visite des Hauts en hélicoptère ? Cela leur permettrait de prendre conscience des difficultés que nous rencontrons. Il serait ensuite possible de déposer un texte à partir des enseignements tirés, afin d'assurer l'avenir des Réunionnais. De plus, les îles environnantes sont analogues à la nôtre ; toutes les bonnes actions menées chez nous serviront donc d'exemple à l'île Maurice, aux Seychelles, aux Comores ou à Madagascar.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour cet exposé enrichissant qui souligne bien la singularité de l'île par rapport à sa situation climatique, géologique et volcanique. Je souhaite poser la question de la nature des risques. Le service Restauration des terres en montagne ne couvre qu'une partie des territoires montagneux français ; la particularité des risques de l'île de la Réunion mériterait l'installation d'une antenne et l'organisation de formations adaptées.

Mme Anne-Marie Payet - Monsieur Hoareau souhaiterait intervenir sur le tourisme et je souhaiterais présenter la situation des collectivités locales.

M. Axel Hoareau - Dans une île, le tourisme est un moteur économique assez important, d'autant plus que les autres moteurs sont assez peu nombreux, notamment dans les Hauts. Lorsque nous avons lancé le plan d'aménagement des Hauts en 1978, le tourisme était l'un des piliers de l'activité économique, comme l'agriculture. La difficulté que nous rencontrons aujourd'hui est que nous ne pouvons pas vraiment parler de « tourisme de montagne ». Peut-être s'agit-il plutôt de tourisme rural ou d'arrière-pays de littoral ; nous nous interrogeons sur ce type de tourisme. Dans tous les cas, le territoire doit satisfaire à la fois les besoins de loisir des Réunionnais, qui sont captifs, mais aussi ceux des touristes hébergés sur le littoral. D'ailleurs, la plupart des sites visités par les touristes aujourd'hui se situent dans les Hauts de l'île.

Le tourisme en montagne a connu des évolutions contrastées par le passé ; nous sommes passés de la splendeur à la décadence. La splendeur a duré de 1850 à 1900, époque à laquelle la clientèle locale montait prendre le frais dans les Hauts durant quatre à six mois, ce qui apportait de l'économie en matière d'hôtellerie, de guides et de porteurs. La découverte des vertus des eaux thermales a aussi contribué à développer ce type de tourisme, avant que la fréquentation ne se réduise peu à peu.

A partir de 1950, une classe moyenne de fonctionnaires, aux moyens financiers plus importants, est venue profiter des eaux thermales mais aussi du climatisme. En effet, à l'époque, les grandes vacances scolaires duraient du 19 décembre à la fin du mois de mars. La population qui avait les moyens montait donc dans les Hauts prendre le frais pour fuir la chaleur du littoral. Ensuite, l'arrivée de fonctionnaires métropolitains a conduit à une évolution progressive de la demande de la clientèle en direction du littoral ; dans les années 70, le tourisme a donc totalement disparu dans les Hauts.

Entre 1975 et 1978, le plan d'aménagement des Hauts a tenté de relancer le tourisme par une approche volontariste. Des actions ont donc été menées, notamment par la mise en place de gîtes de France, de gîtes ruraux, de chambres d'hôtes ou d'hôtels Logis de France, grâce à des moyens financiers importants apportés par les collectivités locales et l'Etat (ils proviennent aujourd'hui également de l'Europe mais ne financent qu'un quart des aménagements totaux de l'île). Des actions ont été conduites au sein de la filière de restauration par la mise en place de tables d'hôtes, de fermes auberges, d'auberges de campagne et de restaurants, ainsi que pour favoriser la structuration des territoires. Parallèlement, des actions ont été menées sur les loisirs de pleine nature (randonnée pédestre, canyoning, VTT, escalade). Enfin, des actions moins importantes sont conduites au sein de la filière des loisirs culturels et du patrimoine, au sein de laquelle il reste beaucoup à faire, comme pour la filière artisanale et agroalimentaire.

Des initiatives sont également prises en matière de sites et de paysages. En effet, les touristes visitent La Réunion pour la qualité et la beauté de ses sites et de ses paysages. A ce titre, les Hauts de l'île représentent les sept ou huit dixièmes des territoires les plus beaux, que les touristes visitent sur un ou deux jours, en dormant une nuit sur place. Les résultats des différentes politiques sont donc positifs ; le plan marketing mis en place en 1993 et 1998 place les Hauts comme l'une des principales composantes du tourisme de l'île. Sans les Hauts, le tourisme serait donc bien pauvre au sein de l'île puisque nous ne bénéficions pas du même littoral que nos voisins mauriciens ou seychellois.

Trois grandes caractéristiques peuvent être définies : la suprématie de la montagne (paysages érodés et reliefs impressionnants), la puissance de la nature, sa diversité. En fait, nous passons très rapidement d'un site à un autre, du stade minéral au stade végétal, de la forêt primaire au volcan. Cette diversification peut être constatée sur un espace très réduit, ce qui constitue la richesse la plus importante de l'île aujourd'hui. Les Hauts forment l'acceptation la plus forte de l'île ; il faut donc contribuer le plus possible au développement du tourisme.

Pour autant, seulement 12 % des structures d'hébergement se situent dans les Hauts. En fait, la proximité du littoral et des Hauts (1 à 2 heures de trajet) fait que les touristes préfèrent à 80 % dormir sur le littoral et visiter les sites sur la journée. Le littoral constitue un véritable porte-avions duquel les touristes décollent pour la journée, avant de revenir s'y poser tous les soirs. Il est important pour nous de capter une partie de cette clientèle sous forme de retombées économiques (restauration, loisirs, produits artisanaux) ; toutefois, cela nous semble relativement insuffisant pour assurer aux habitants des Hauts un développement durable. Nous essayons donc de faire en sorte que se développent, non pas des séjours sur le littoral, mais des circuits en étape qui fassent fonctionner tous les villages, grâce à la randonnée pédestre ou à la voiture. Nous souhaitons que les touristes y trouvent leur compte : ces séjours leur permettent d'être présents sur les sites le matin de bonne heure, sans être obligés de se lever trop tôt et en évitant les embouteillages ; ils peuvent ainsi profiter des meilleures conditions possible de visite, avant que les nuages ne se développent sur les montagnes. Dans ce cadre, nous avons lancé le concept de villages créoles, qui va nous permettre de valoriser ces villages et de donner à la population tous les outils nécessaires pour accueillir les touristes et leur offrir l'hébergement, la restauration, l'animation le soir et les contacts avec les habitants. Voilà quel est le projet de développement du tourisme dans les Hauts.

Mme Anne-Marie Payet - Avant d'aborder la question des difficultés financières des communes des Hauts, permettez-moi d'apporter quelques précisions en matière de finances locales. Aux recettes fiscales habituelles et aux dotations de l'Etat, s'ajoute l'octroi de mer, taxe sur la plupart des produits importés, qui est principalement reversé aux communes et qui représente une somme de 184 millions d'euros. Une partie de cette taxe, ainsi qu'une taxe additionnelle à l'octroi de mer, alimente aussi le budget de la région pour 46 millions d'euros. L'objectif de cette taxe est aussi de protéger les productions locales. Les critères de répartition de certains crédits ne reflètent pas toujours la réalité et conduisent à des paradoxes. Ainsi, la commune de La Plaine des Palmistes est considérée, du fait de son potentiel fiscal, comme l'une des plus riches, ce qui est faux. Globalement, peu de communes sont endettées à La Réunion ; néanmoins, cinq ont atteint le niveau d'alerte et révèlent un taux d'endettement important. En matière d'aides européennes, La Réunion fait partie de l'Objectif 1 et près d'1,5 milliard d'euros sont inscrits au titre du DOCUP 2 pour la période 2000/2006. Les financements européens sont très présents pour la réalisation des infrastructures, en tout cas plus que la moyenne métropolitaine. Malgré tout, le déblocage de ces fonds est très long et certaines communes peuvent être en situation de rupture de trésorerie, ce qui les oblige parfois à solliciter les banques ou à demander des avances aux autres collectivités locales.

Je souhaite maintenant vous exposer les difficultés que rencontrent les communes les plus éloignées du littoral, qui se situent dans l'ensemble à plus de 1 000 mètres d'altitude. La Plaine des Palmistes, Salazie et Cilaos sont les communes les plus enclavées ; elles trouvent leur origine dans une accumulation de facteurs communs. Le premier est l'absence ou l'insuffisance d'industries. Dans les communes des Hauts, l'industrie est parfois totalement absente ou ne concerne que l'embouteillage des eaux ou quelques petites unités d'industrie laitière. Cela entraîne une faible ressource fiscale pour les communes et une inactivité pour les populations concernées. Le deuxième facteur est le fort taux de chômage, qui confronte la municipalité à une forte demande de contrats aidés. Les charges de personnel représentent 60 % des charges de fonctionnement dans nos communes, contre 40 % pour la moyenne nationale. Le troisième facteur est lié au relief et au climat, les fortes pentes entraînant des frais supplémentaires pour la réalisation des infrastructures, notamment de voirie, les dégâts étant de plus en plus fréquents du fait des glissements de terrain qui se produisent dans des secteurs difficilement accessibles lors des périodes cycloniques.

Par ailleurs, la protection contre les crues des ravines met en évidence un programme important de travaux à réaliser. A La Plaine des Palmistes, ces travaux coûteraient 7,6 millions d'euros ; à peine le quart a été réalisé en 12 ans faute de crédits suffisants, alors que des zones habitées sont menacées. De plus, l'enclavement constitue un frein au développement économique. Ainsi, cette année, la commune de Cilaos a été coupée du monde pendant plus de deux semaines, après que le cyclone Dina ait emporté une partie de la route nationale. Les travaux nécessaires à la consolidation et à la sécurisation de cette unique voie d'accès n'ont toujours pas été réalisés, faute de crédits suffisants, alors que la saison des pluies va reprendre dans quelques mois. Il faut aussi souligner l'absence ou l'insuffisance des structures de loisir, qui pourraient pourtant favoriser les séjours touristiques plus longs.

En conclusion, je tiens à souligner que le relief particulier de notre île induit de nombreuses difficultés, auxquelles les communes des Hauts doivent faire face. Bien qu'aidées par des dispositifs financiers, les communes sont confrontées à des investissements si lourds que beaucoup d'entre elles ne peuvent pas mettre en place dans les délais souhaités les équipements et les infrastructures nécessaires à la protection de la population et au développement économique. Les collectivités réunionnaises ont su prévoir le développement du département mais cela nécessite des moyens financiers très importants. Une aide plus substantielle de la part de l'Europe en faveur des zones de montagne est souhaitable. L'article 1 er de la loi relative au développement et à la protection de la montagne énonce la solidarité de la nation, caractérisée par la promotion d'une démarche de développement local, en valorisant les aptitudes aux productions locales, à la diversification des activités économiques et au développement des capacités d'accueil et de loisir, notamment du thermalisme. Dans ce domaine, je regrette qu'une commune à vocation thermale comme Cilaos ne puisse être classée « station thermale touristique », avec toutes les retombées que cela représenterait, du fait de l'insuffisance du réseau d'assainissement. Cilaos est jumelée à Chamonix et des groupes de sportifs viennent régulièrement participer au cross du Piton des Neiges, les sportifs de Cilaos participant au cross du Mont-Blanc. Des liens d'amitié se sont créés entre les deux villages ; cela me semble très important.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour vos contributions. Je souhaite revenir sur les questions agricoles et foncières. Que représentent les AFP, que vous avez évoquées, en nombre et en surface ? Depuis quand existe-t-elles sur l'île ? Comment fonctionnent-elles ? Face à la pression foncière, avez-vous imaginé la création d'instruments publics fonciers, qui sont prévus par notre dispositif juridique ? Quel type d'élevage vit sur l'île ? Quelles sont les espèces ? Les filières existent-elles et méritent-elles d'être soutenues et animées, par exemple dans le domaine floral, fruitier ou de l'élevage ?

Parallèlement, vous avez évoqué le projet de création d'un parc naturel national. Avez-vous songé à la création d'un parc naturel régional, dont la formule semble plus souple et mieux correspondre aux préoccupations locales pour la plupart des interlocuteurs que nous avons rencontrés jusqu'à présent ?

Par ailleurs, d'où provient l'énergie dont la population de l'île a besoin ? Disposez-vous de sources d'énergie hydroélectrique ? Enfin, les couverts forestiers étant importants, quels sont les types d'exploitations forestières ?

M. Jean Boyer - Peut-on considérer que La Réunion pourrait disposer d'une autonomie, compte tenu de son évolution démographique ? Parviendrait-elle à l'autosuffisance alimentaire et économique ?

Par ailleurs, les structures agricoles sont-elles plutôt individuelles ou collectives ? Quelle est la taille de la surface agricole utile (SAU) ? De plus, je crois savoir que La Réunion est très riche en flore. Existe-t-il un projet de conservatoire en la matière ? L'agriculture réunionnaise subit-elle les mêmes évolutions successives qu'ailleurs dans le domaine technique ?

Enfin, quel est le tourisme le plus attractif entre celui qui concerne les plages et celui qui touche la montagne ?

M. Vincent Le Dolley - Avant d'avoir un établissement public foncier, nous disposions d'une SAFER très dynamique à La Réunion, qui a mené des opérations structurantes de redistribution des terres, lorsqu'il existait des propriétés importantes qui pouvaient donner lieu à l'installation d'agriculteurs ; la SAFER intervient également en matière de terres incultes. Il s'agit donc d'un opérateur foncier majeur. Pour autant, à La Réunion, les questions agricoles sont rarement déconnectées des problèmes généraux ; nous disposons donc d'un d'établissement public foncier, qui va instituer une réserve foncière, en collaboration avec la SAFER. Cela est essentiel si nous souhaitons éviter la concurrence désorganisée en la matière, surtout dans les zones périurbaines ou faciles à construire.

En matière d'élevage, vous devez vous convaincre que les filières réunionnaises sont très modernes, identiques à celles qui existent en métropole. Un grand groupe coopératif fonctionne depuis des années, sur le modèle métropolitain. La difficulté est que l'espace n'est pas très important et que les besoins de l'île ne sont pas couverts en totalité par l'élevage moderne ; nous ne sommes donc pas autosuffisants. Nous produisons des produits haut de gamme (produits frais et labellisés). De plus, on constate une grande solidarité entre les éleveurs, les importateurs et la grande distribution. Ainsi, le président des éleveurs est l'un des responsables de la grande distribution. Il n'y a donc pas d'opposition entre le monde de la production et de la distribution. Parallèlement, un élevage plus traditionnel existe également, notamment destiné à l'abattage rituel.

Concernant les fleurs, les fruits et les légumes, les circuits sont plutôt courts et directs (nous parlons de « bazardiers »), comme dans le midi de la France, les organisations de producteurs étant peu nombreuses. C'est un handicap pour l'exportation, notamment des fleurs, des letchies ou des ananas, qui nécessite des opérateurs plus solides. Des initiatives sont menées dans ces secteurs pour développer l'organisation mais elles restent encore balbutiantes.

M. Jean-Paul Amoudry - Disposez-vous d'abattoirs ?

M. Vincent Le Dolley - Nous disposons d'un abattoir principal pour les ovins et les porcins et de deux abattoirs pour les volailles. Ils sont tous contrôlés et respectent les normes nationales. D'ailleurs, les consommateurs, y compris les touristes, considèrent que les produits réunionnais sont plutôt haut de gamme, tant sur le plan phytosanitaire que qualitatif.

M. Jean Boyer - Quelles sont les races de bovins que vous élevez ?

M. Vincent Le Dolley - Il s'agit essentiellement de blondes d'Aquitaine, des Limousines ou éventuellement croisées avec des races locales africaines. On trouve également quelques charolaises.

Mme Anne-Marie Payet - Je précise que nous n'avons pas été touchés par la crise de la vache folle.

M. Vincent Le Dolley - En matière forestière, pour l'essentiel, l'île est recouverte par une forêt de protection et une forêt de tourisme. Compte tenu de l'importance de la forêt que nous devons protéger en tant que patrimoine de l'humanité (du fait de la présence de nombreuses plantes endémiques), nous ne disposons pas d'un grand espace pour les forêts cultivées. A une époque, nous étions moins attentifs en la matière et des tentatives de déboisement ont eu lieu, ainsi que de plantation d'arbres poussant rapidement, qui sont malheureusement plus fragiles en cas de cyclone. Nous nous posons des questions sur le renouvellement de ces plantations dans le futur ; la tendance est plutôt de privilégier les espèces endémiques, notamment le tamarin, qui est sans doute le plus valorisé culturellement et financièrement par l'artisanat traditionnel. L'économie de la filière bois reste très réduite puisque nous ne produisons que 5 % à 10 % des besoins de la région.

L'objectif n'est pas d'atteindre l'autosuffisance de La Réunion. Pour autant, nous exportons beaucoup de sucre de canne, dont la demande augmente en Europe et sur le plan national. Parallèlement, nous importons des produits qui ont vocation à être fabriqués dans les zones tempérées.

Enfin, la SAU globale est de l'ordre de 30 000 hectares, la moyenne d'une exploitation étant de 6 à 7 hectares ; il s'agit donc de petites exploitations intensives. En fait, l'agriculture réunionnaise fait vivre de nombreuses personnes (de l'ordre de 15.000 personnes).

M. Jean Boyer - Quelle est la surface de La Réunion ?

Mme Anne-Marie Payet - Elle est de 2 500 km2.

M. Vincent Le Dolley - Dans le domaine de l'élevage, la production est très structurée autour de coopératives. Pour la canne à sucre, la production a été le fait historiquement de grandes propriétés, la distribution s'effectuant progressivement. Au fur et à mesure de la redistribution, se sont constituées des coopératives d'utilisation de matériel en commun (CUMA), des SICA avec des structures d'appui. En fait, la structuration du milieu se réalise grâce aux deux grandes usines qui existent sur l'île, l'une dans le nord et l'autre dans le sud. Enfin, la production est plutôt coopérative pour la vanille, les géraniums et toutes les petites cultures.

M. Paul Vergès - L'agriculture a toujours dépendu de marchés extérieurs. Depuis la moitié du 19 ième siècle, nous sommes une île de monoculture cannière, ce qui a été déterminant pour l'implantation. Aujourd'hui, une ceinture de bourgs tombe en déclin et devra être restructurée ; il s'agit des bourgs qui ont été au coeur du déploiement de la surface cannière, depuis le littoral jusqu'à 600 ou 800 mètres. Ils ont donc joué un rôle très important.

De plus, à partir de la récolte de 1932, la production de la canne a été organisée, ce qui a donné lieu à la fixation d'un contingentement et d'un prix. A la sortie de la guerre, il existait de 23 000 à 25 000 petits planteurs de canne à sucre, quelques grandes propriétés et 14 usines sucrières. Il reste aujourd'hui deux usines sucrières, l'une au nord et l'autre au sud, et 5 000 livreurs de canne.

Par ailleurs, nos productions dépendant d'un domaine extérieur influencent l'aménagement du territoire. Pour la canne à sucre, la plantation en fonction des lignes de niveau constitue un moyen efficace de protection des sols. En revanche, à plus de 800 mètres, la plantation de géranium a nécessité la déforestation, entraînant l'érosion et exigeant la plantation et la diffusion des acacias. Nous sommes donc très sensibles à l'environnement extérieur.

Nous sommes entourés de pays qui font partie des « moins avancés » : Madagascar, Les Comores, le Mozambique, la Tanzanie... Or une directive de Bruxelles permet de faire entrer dans l'Union européenne tous les produits agricoles de ces pays, notamment le riz (du Surinam), la banane (des Antilles) et le sucre. C'est pourquoi des délais ont été accordés jusqu'à 2006 et 2009, afin de nous permettre de faire face à ces arrivées de nouveaux produits.

Il faut six à huit ans pour qu'une souche de canne pousse et puisse être récoltée. Le sort du sucre à La Réunion à l'horizon 2006/2009 dépend donc de la confiance des planteurs dans la replantation aujourd'hui. Face à cette situation, il est possible de mettre en avant la spécificité de nos régions et de maintenir la production grâce à des aides et à des subventions. Pour sa part, l'île Maurice a décidé d'acheter 100 000 hectares de concessions de cannes au Mozambique, ce qui représente quatre fois la surface de la canne à La Réunion, et de produire du sucre qui pourra entrer en Europe.

Par ailleurs, il est évident que le développement de n'importe quel pays dépend de l'énergie. Or notre mimétisme avec le monde occidental fait que l'augmentation annuelle de la consommation d'électricité est de 7 % à 8 % (électroménager, logements, climatisation), ce qui nous oblige à doubler notre production dans les dix prochaines années ; cela constitue un pari fou. De plus, nos capacités classiques sont épuisées ; dans le domaine hydraulique, nous avons utilisé les principales possibilités. Il nous reste à avoir recours à la biomasse, c'est-à-dire les résidus du traitement de la canne à sucre, ce qui nous permet d'obtenir 700 000 à 800 000 tonnes de bagasse, qui fermentent, qui sentent mauvais, qui provoquent un rhume saisonnier et qui asphyxient les coraux. La bagasse est utilisée désormais pour la production de l'électricité ; enrichie en charbon, elle permet de satisfaire actuellement 30 % de notre consommation, ce qui est énorme. Nous utilisons également le fioul.

Nous allons tenter d'utiliser d'autres sources. Ainsi, un bilan éolien a été effectué, qui fait apparaître que nous pourrions produire 100 MW. De fait, nous allons commencer à construire des fermes éoliennes sur 15 sites, ce qui nous permettra d'atteindre une production importante, notre objectif ayant été fixé à 30 MW dans les quatre à cinq ans qui viennent.

Parallèlement, pour résoudre le problème de l'électricité, les tarifs EDF font l'objet d'une contribution de la commission de régulation de l'électricité (CRE), d'environ 300 millions, afin que nous bénéficiions des mêmes prix qu'en métropole. Cette somme ne peut qu'augmenter du fait de la demande croissante en raison de l'activité ou de la démographie. Il nous faut, compte tenu de la consommation domestique qui représente les deux tiers de la consommation d'électricité, annuler l'augmentation de 8 %, grâce aux économies d'énergie, à l'installation de chauffe-eau solaires (40 000 l'ont déjà été, 6 000 le sont par an, contre 3 000 en France métropolitaine), à l'électricité solaire par les cellules photovoltaïques (pour laquelle le prix de rachat par EDF est de 0,30 euros le kW). L'objectif est d'utiliser les cellules photovoltaïques pour tous les grands équipements (lycées, écoles, collèges, sièges, zones industrielles...). Cela devrait nous permettre d'enregistrer un retour sur investissement au bout de neuf ans et de compenser l'augmentation annuelle, avant de la réduire si nous équipons l'ensemble des habitations de La Réunion.

Dans quelques mois, une rencontre doit avoir lieu avec les experts français du BRGM, de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis concernant les premières recherches en matière de géothermie. L'objectif serait de reproduire ce que font déjà les Guadeloupéens à Bouillante, mais à une plus grande échelle. Les interprétations des premiers résultats seront effectuées à cette occasion. Nous disposons déjà de l'expérience de Big Island à Hawaï, dont la centrale géothermique permet d'atteindre l'autonomie en matière de production électrique.

Enfin, nous sommes en zone tropicale, entourés par une mer à forte houle, qui frappe sur toute notre côte rocheuse, depuis l'Etang-Salé à Sainte-Rose, et dont nous pourrions capter la force. La région va envoyer une mission dans une île d'Ecosse où le problème a été résolu puisque la houle permet de créer l'électricité par le biais d'une centrale spécifique. Pour éviter l'effet dévastateur de cette houle violente, une surface extrêmement résistante reçoit le choc, qui comprime l'air, ce dernier conservant l'énergie et la transmettant pour faire tourner les turbines. Si nous mettons en oeuvre cette solution, l'autonomie énergétique de La Réunion pourrait être assurée grâce au soleil, au vent, à la houle et, à l'avenir, au volcan. Notre île pourrait alors devenir une base de formation et d'exportation des connaissances pour l'utilisation de ces énergies renouvelables et propres.

M. Jean-Paul Amoudry - Le nucléaire est donc totalement absent de l'île... Cette dernière est soumise à de nombreux phénomènes naturels ; elle constitue un véritable laboratoire.

M. Paul Vergès - Nous disons nous-mêmes que La Réunion doit être un vrai laboratoire pour mettre au point de nouvelles solutions.

M. Jean-Paul Amoudry - Concernant l'eau et les hauts bassins versants, la station touristique de Megève organisera un colloque international en septembre prochain sur les problématiques de la gestion des cours d'eau, des pluies torrentielles et de l'érosion, ainsi que sur les différentes attentes (consommation domestique, usages agricoles, utilisations ludiques, neige de culture). La ressource en eau se réduit actuellement, alors qu'elle fait l'objet de convoitises de plus en plus nombreuses. Si vous êtes de passage ou si ce thème vous intéresse, je vous invite à participer à ce colloque qui accueillera de très grandes sommités.

Je vous remercie pour vos commentaires sur les aspects agricoles et énergétiques. Je pense que nous avons pratiquement épuisé le sujet.

M. Paul Vergès - Pouvons-nous espérer, Monsieur le Président, qu'à l'occasion du Congrès des présidents des conseils généraux, les problématiques de La Réunion soient abordées, par exemple après un survol de l'île ?

M. Jean-Paul Amoudry - Nous n'avons pas compétence pour influencer l'ordre du jour des travaux du Congrès des Présidents de Conseils généraux.

M. Paul Vergès - Nous autorisez-vous à rencontrer le président du conseil général de La Réunion pour qu'il suggère à ses collègues de consacrer une part des travaux du Congrès à la visite des zones montagneuses de l'île et à l'écoute des premières conclusions de la mission ?

M. Jean-Paul Amoudry - En effet. Nous en serons à la phase de présentation de nos propositions, le travail devant être terminé à la fin du mois de septembre.

Je vous remercie pour votre contribution, en regrettant une nouvelle fois de ne pas avoir pu vous rendre visite dans le temps qui nous était imparti ; nous espérons pouvoir le faire dans le cadre des travaux du groupe Montagne du Sénat.

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