47. Audition de M. Paul Vergès, sénateur, président du Conseil régional de La Réunion, et Mme Anne-Marie Payet, sénateur de La Réunion, accompagnés de Mme Pascale Jové, commissaire à l'aménagement des Hauts, et MM. Axel Hoareau, directeur de la Maison de la montagne et Vincent Le Dolley, directeur départemental de l'Agriculture et de la Forêt (24 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry -
Je vous accueille avec beaucoup de plaisir au
Sénat. Je vous prie d'excuser Monsieur Blanc, Président de notre
mission, qui est retenu par ailleurs, ainsi que certains de mes
collègues sénateurs, dont certains étaient présents
ce matin et dont d'autres nous rejoindront cet après-midi. Je vous
propose de commencer nos travaux, en vous remerciant d'avoir fait le
déplacement depuis La Réunion. Nous sommes heureux de pouvoir
échanger sur le thème de la montagne, dans le cadre de cette
mission dont je souhaiterais vous dire quelques mots de présentation.
Le Président et le Bureau du Sénat ont accepté la
proposition présentée en février dernier par quelques
sénateurs, à l'initiative de l'Association nationale des
élus de la montagne, de créer une mission d'évaluation de
la politique Montagne depuis la loi de 1985 et les textes de la
rénovation rurale, qui datent du début des années 70. Ce
projet assez ambitieux a consisté, du mois d'avril à aujourd'hui,
à auditionner plusieurs dizaines de personnes (élus, responsables
socioéconomiques et associatifs), afin de dresser ce bilan et tenter de
proposer des orientations et des mesures propres à corriger cette
politique. En effet, nous avons conscience que la loi de 1985 n'a donné
lieu qu'à des applications imparfaites. De plus, elle a fait l'objet de
textes ultérieurs (lois d'orientation et d'aménagement) dans les
domaines de la forêt, de l'urbanisme et de l'agriculture ; tous ces
textes peuvent présenter des contradictions ou au moins des points
d'achoppement. Cette volonté a donné lieu à une
étude basée sur trois grands axes : environnement,
économique, aménagement.
Nous avons prévu de déposer nos conclusions au début du
mois d'octobre, de façon à rester dans le cadre de l'année
internationale des montagnes. Nous souhaitons également être
présents au rendez-vous de la reprise des travaux parlementaires
à l'automne. Nous souhaitons enfin proposer et faire valider nos
orientations par certains congrès, assises et rencontres, qui se
tiennent traditionnellement à l'automne. En revanche, nous n'aurons pas
terminé à temps pour soumettre nos travaux aux Assises des
conseillers généraux qui auront lieu à La Réunion,
même si les conclusions seront déjà bien
avancées ; dans ces conditions, cette question pourra
peut-être être abordée à cette occasion.
Nous n'avons pas eu le temps matériel et la possibilité de
visiter votre île. Pour autant, le groupe Montagne, qui survivra à
notre mission, après la remise du rapport, pourra, si vous l'estimez
nécessaire et si nous le jugeons utile, se rendre à La
Réunion pour approfondir certains aspects de la problématique
Montagne. Je vous invite maintenant à intervenir sur la base des
questions que nous vous avons adressées et sans préjudice des
autres points que nous pourrions évoquer. Je vous laisse la
parole ; je suis heureux de vous entendre et d'échanger avec vous.
Mme Anne-Marie Payet
- Je tiens à dire ma joie d'être
présente aujourd'hui. En effet, au départ, je pensais que la
mission ne portait que sur les départements de métropole puisque
j'entendais principalement parler d'accidents de ski et d'avalanches... Lorsque
j'ai compris que les thèmes examinés étaient
également ceux du tourisme, de l'élevage et de l'agriculture,
j'ai tout fait pour inclure La Réunion dans cette mission. Je suis
heureuse d'être présente aujourd'hui en compagnie de
professionnels réunionnais, que je remercie d'avoir interrompu leurs
vacances.
La Réunion offre aux touristes et à ses habitants les plaisirs de
la mer et de la montagne : 30 kilomètres à peine
séparent l'Océan Indien du Piton des Neiges qui culmine à
3 069 mètres. L'originalité de La Réunion tient
à l'existence de ces zones de montagne, aussi vastes que diverses, qui
sont des espaces naturels, de vie et de travail. L'article 4 de la loi Montagne
de 1985 énonce qu'à La Réunion, les zones de montagne
comprennent les communes et parties de communes situées à une
altitude de plus de 500 mètres. Par décret du 26 décembre
1994, de nouvelles limites ont été fixées pour les zones
de montagne, afin de tenir compte de la présence de handicaps
structurels (relief, enclavement) et de nos enjeux de développement pour
la mise en valeur de l'espace Montagne.
Finalement, parler des collectivités locales des zones de montagne
à La Réunion revient à parler de presque toutes les
collectivités puisque 23 communes sur 24 sont concernées. Les
zones de montagne, que nous appelons les « Hauts » par
opposition aux zones littorales appelées les
« Bas », représentent un potentiel important que
nous devons valoriser. Il s'agit d'un potentiel d'espace puisque les zones de
montagne représentent 2 000 km
2
, soit les quatre
cinquièmes de la superficie de l'île pour un cinquième de
la population. Il s'agit également d'un potentiel humain :
139 790 habitants sont concernés, soit 20 % de la population.
Cette dernière est jeune puisque 50 % a moins de 25 ans, son niveau
de formation allant croissant. Le potentiel est également
économique puisque les Hauts regroupent 60 % de la surface agricole
utile, 90 % du potentiel forestier, 90 % du potentiel
d'élevage, 60 % des exploitations agricoles et des zones de
production vivrière, maraîchère, horticole et arboricole,
toutes complémentaires de celles des Bas.
Ce potentiel est fragile et le mitage des zones agricoles s'accentue. Il faut
donc renforcer le tissu économique et social. Aujourd'hui, 10 %
seulement des entreprises sont implantées dans les Hauts. Le taux de
chômage est préoccupant puisqu'il est de 49 % pour les
zones de montagnes, de 55 % à Cilaos, commune où je
réside, et de 34 % pour l'ensemble du département. La
Réunion compte aujourd'hui plus de 700 000 habitants ; des
études récentes ont montré qu'en 2020, la population
atteindrait le million de personnes. Face à une zone littorale
saturée, l'espace rural représente une alternative pour un
développement harmonieux et équilibré du territoire, qui
doit se traduire par des orientations politiques fortes : une politique de
rattrapage en équipements structurants pour réduire le
déséquilibre entre les Hauts et les Bas et une dynamique
économique performante qui diversifie et conforte les activités.
Je laisse la parole à Madame Jové, qui va nous présenter
le Commissariat à l'aménagement des Hauts, structure
équivalente à celle du Comité de massif qui n'existe pas
chez nous.
Mme Pascale Jové
- L'histoire institutionnelle de
l'aménagement des Hauts à La Réunion précède
la politique de la montagne et date plutôt du lancement de la
rénovation rurale. A La Réunion, le plan d'aménagement des
Hauts et la mise en place du Commissariat sont issus d'une volonté
politique. Dans les années 60, le constat a été fait d'un
déséquilibre social et économique très fort entre
la zone des Hauts et la zone des Bas. En 1975, les assemblées
régionales (Etablissement public régional agricole et le conseil
régional) ont émis le voeu qu'un plan global d'aménagement
soit mis en place pour les Hauts, dans le cadre du 7
ième
Plan. En 1977, un Comité d'aménagement des Hauts a
été créé par arrêté
préfectoral, qui préfigure le comité de massif qui
n'existe pas à La Réunion puisque la loi ne l'a pas prévu
dans les DOM. En 1991, ce comité a été modifié par
un nouvel arrêté préfectoral, prévoyant une
coprésidence entre l'Etat et les collectivités, ainsi que
l'intégration des socioprofessionnels.
En 1978, les Hauts de La Réunion sont délimités par
décret comme des zones d'action rurale et représentent 80 %
de la superficie de l'île. Le Commissariat à la rénovation
rurale des Hauts apparaît en octobre 1978 ; le premier Commissaire
est nommé en même temps que la mise en place du plan
d'aménagement des Hauts. En 1994, l'ensemble des Hauts est classé
en TRVP, ce qui conduit à une augmentation de la zone de massif à
La Réunion, ce qui nous vaut de disposer de communes qui vont
jusqu'à la mer et qui sont intégrées dans le plan
d'aménagement des Hauts. De plus, le classement en TRVP permet une
intervention préférentielle du fonds national
d'aménagement et de développement du territoire (FNADT) sur la
zone.
Le Commissariat d'aménagement des Hauts de La Réunion met en
oeuvre le plan d'aménagement des Hauts. Par rapport aux autres
commissariats métropolitains, il bénéficie d'une approche
partenariale et originale. En effet, s'il s'intègre dans le
réseau des commissariats de la DATAR (à sa tête, le
commissaire est nommé par la DATAR sous l'autorité du
Préfet), depuis sa création en 1978, le Commissariat
bénéficie également d'un large partenariat avec les
collectivités locales, en particulier le conseil régional et
l'Europe. Depuis sa création, le Commissariat, tant pour le
fonctionnement des structures de terrain qu'au niveau de ses crédits
d'investissement, est entièrement financé par l'Etat, la
région, le département et l'Europe.
Le Commissariat et le plan d'aménagement des Hauts ont été
mis en place durant une période de fort rattrapage au niveau des
équipements et des infrastructures. Plus de 20 ans après, la
plupart des défis ont été relevés ou sont en passe
de l'être. Ainsi, les efforts ont principalement porté sur les
équipements, les infrastructures routières, l'alimentation en eau
et en électricité ; de même, les productions agricoles
ont été diversifiées, le développement du tourisme,
de l'artisanat et des services ayant été également
très important. Au fil des ans, l'image des Hauts s'est
inversée : celle de la qualité a succédé
à celle de retard et de handicaps. Pour autant, des efforts doivent
encore être poursuivis, compte tenu du contexte démographique.
En effet, la zone des Hauts voit sa population augmenter, de façon
parallèle à celle de l'ensemble de l'île. Or, compte tenu
de la saturation du littoral, cette zone de montagne va devoir accueillir d'ici
à 2020, une partie des 300 000 habitants nouveaux dont La Réunion
disposera. Aujourd'hui, si le rattrapage à effectuer n'est plus aussi
important, de nombreux atouts restent à développer.
La zone des Hauts a longtemps constitué un refuge pour les
« esclaves marrons » ou les « petits
blancs », ce qui en a fait une région préservée,
au milieu naturel exceptionnel, tant en termes de paysage que de patrimoine ou
de qualité des hommes que l'on y rencontre. Les Hauts peuvent donc
contribuer à relever les défis qui se posent à l'ensemble
de l'île, notamment en termes de création d'emploi, de protection
des espaces naturels, d'occupation maîtrisée du territoire et en
matière de cohésion sociale. Pour autant, les Hauts restent
fragiles du fait de l'enclavement ; de plus, nous sommes sur une île
volcanique, ce qui pose d'importants problèmes d'érosion tant en
termes de production agricole que de protection des biens et des personnes. Il
s'agit également d'une zone essentiellement agricole, sans pôle
urbain structuré. Des efforts doivent donc être effectués
pour développer les services, les logements, les équipements
publics et pour structurer les bourgs, comme cela a été
prévu dans le schéma d'aménagement régional (SAR).
Face à ces enjeux, les Hauts possèdent des ressources et des
atouts très importants. Ils constituent un réservoir d'espace
pour l'accueil de la nouvelle population ; l'agriculture est
moderne ; le tourisme rural est en plein essor ; le patrimoine
naturel et le cadre de vie sont exceptionnels et doivent continuer à
être valorisés.
Le plan d'aménagement des Hauts a été introduit dans le
contrat de plan du document unique de programmation (DOCUP) ; il se
traduit par 17 mesures spécifiques aux Hauts, en plus des mesures
de droit commun qui s'appliquent déjà à La Réunion.
Il est prévu une modalité d'intervention spécifique dans
les Hauts, sur la base d'un partenariat institutionnel fort entre l'Etat, la
Région, le Département et l'Europe. Entre 2000 et 2006, environ
91,5 millions d'euros seront disponibles pour mener des actions
spécifiques dans les Hauts. Après la période de rattrapage
que nous avons connue en termes d'équipements, d'infrastructures et
d'agriculture (l'élevage a été créé de
toutes pièces dans les années 70, ce qui a
nécessité l'étude des espèces et du fourrage
adaptés, des bâtiments d'élevage, des prairies mais aussi
la création d'AFP), nous continuons à travailler sur la
diversification de l'agriculture. Nous menons des expérimentations,
notamment en travaillant sur la mise au point d'une canne à sucre
adaptée aux zones d'altitude. Des actions sont aussi menées en
matière d'aménagement des terroirs, compte tenu des
problèmes importants d'érosion, ainsi que pour la valorisation et
la transformation des produits agricoles. Parallèlement, nous menons une
action spécifique au niveau du commerce et de l'artisanat, seulement
10 % des artisans étant situés dans les Hauts ; nous
avons mis en place une discrimination positive pour les artisans et les
commerçants qui souhaitent s'installer ou se diversifier dans les Hauts.
Enfin, une action importante est menée en matière de valorisation
touristique.
Par ailleurs, les communes mènent une action de structuration des bourgs
des Hauts, ainsi qu'une réflexion sur l'habitat, afin d'accueillir les
nouvelles populations. Ainsi, le sénateur Virapoullé
réfléchit à la création d'une ville nouvelle.
Enfin, je dois citer le travail mené sur la protection des habitats et
des biens dans les Hauts, du fait de l'érosion constatée. Pour
mettre en oeuvre cette politique de partenariat, nous nous appuyons sur
l'équipe de six personnes du Commissariat, ainsi que sur l'équipe
d'animateurs du plan d'aménagement des Hauts, cofinancée
également dans un cadre partenarial, qui, à l'image des
animateurs de développement local, met en oeuvre la politique du plan
d'aménagement des Hauts sur le terrain.
M. Vincent Le Dolley
- Nous ne disposons pas de chiffres
spécifiques en ce qui concerne l'agriculture des Hauts, les statistiques
s'arrêtant à des sous-communes qui ne recoupent pas
nécessairement la limite des Hauts. De plus, cette dernière ne
coïncide pas avec la limite de montagne, ce qui complique l'analyse.
L'agriculture de La Réunion regroupe 9 400 exploitations, ce
qui la situe dans le haut de la fourchette des départements
français, la surface moyenne étant en revanche moins
élevée. De plus, la répartition des exploitations fait
apparaître trois grandes masses à peu près
équivalentes : la canne à sucre, les fruits et
légumes, l'élevage, ainsi que des cultures traditionnelles comme
celle du géranium.
La zone des Hauts n'est pas spécialisée ou marginale, la seule
production qui n'est effectuée pratiquement que dans les Hauts
étant le géranium, pour des raisons climatiques.
Parallèlement, 40 % de la canne à sucre sont produits dans
les Hauts, contre 66 % pour les fruits et légumes et 80 % pour
l'élevage. Les chiffres ne définissent donc pas les Hauts et les
Bas comme coïncidant avec des productions spécifiques. Pour
n'être pas spécialisée, la zone des Hauts n'est pas non
plus marginale puisqu'elle accueille 60 % des exploitations agricoles. Les
Hauts regroupent donc de nombreuses exploitations et font l'objet d'une
pression foncière importante.
Par ailleurs, le ministère de l'agriculture a considéré
qu'il était justifié de classer l'ensemble de l'île comme
une zone à handicap naturel. En effet, même dans les très
Bas, on constate l'existence de différences de reliefs, de ravines, de
cailloux et de pentes qui justifient tout à fait ce classement au niveau
européen. En revanche, au sein de cette grande zone handicapée,
il est vrai que les situations sont diverses, ce qui nécessite la mise
en place de politiques différenciées. Au sein d'une grande zone
où tout le monde est potentiellement éligible, nous essayons de
mettre en place des différences de traitement, pour tenir compte des
coûts réels de transport, en fonction de la pente, du relief ou de
la qualité des sols.
Parallèlement, les politiques nationales s'appliquent, comme
l'indemnité compensatrice de handicaps naturels (ICHN), qui concerne
l'ensemble de l'île. De plus, les politiques de contrats territoriaux
d'exploitation (CTE) sont bien adaptées à notre situation ;
ainsi, des CTE collectifs ont été réalisés,
à Cilaos et à Salazie, qui tiennent compte des difficultés
de ces zones. Une politique a été menée,
privilégiant plutôt les Hauts, en termes de quotas, notamment pour
l'élevage : l'objectif était d'apporter l'économie
dans ces zones et de privilégier la canne là où elle peut
pousser.
Par ailleurs, un rééquilibrage des ressources en eau est
effectué. En effet, les handicaps naturels de La Réunion ne sont
pas uniquement liés au relief mais aussi à la sécheresse
ou à l'excès d'eau dans d'autres zones. L'un des grands projets
menés a été de transférer les eaux
excédentaires vers les zones déficitaires, ce projet faisant
suite à d'autres, historiques, notamment à Cilaos. L'autre
politique consiste à mener une réflexion pour la mobilisation du
foncier. En effet, l'espace n'est pas suffisant pour que les agriculteurs
s'installent. Nous sommes donc dans une situation de pression foncière,
qui n'est pas courante en métropole, aussi bien dans les Hauts que dans
les Bas. Le ministère de l'agriculture et ses partenaires doivent donc
développer des politiques pour mobiliser au maximum les terres
disponibles (inventaire des zones en friche, politique anti-friche). Les Hauts
peuvent être dans certains cas des lieux d'implantations futures, afin
d'éviter que tout le monde ne s'installe sur les zones
côtières.
En matière d'environnement, nous disposons évidemment d'un
patrimoine exceptionnel, qui est préservé en grande partie parce
que son statut foncier est domanial, la gestion étant assurée par
l'office national de la forêt (ONF) pour le compte des
collectivités. Même si l'on peut toujours faire des critiques, ce
dispositif a permis la préservation à grande échelle d'un
patrimoine exceptionnel, notamment les forêts primaires, qui constituent
à la fois la fierté de l'île et un atout touristique
indéniable. De plus, une politique d'orientation régionale
forestière vient d'être mise en place, comme dans toutes les
régions françaises, qui privilégie la conservation des
forêts primaires, dans lesquelles la production du bois est donc exclue.
Nous disposons également de réserves biologiques et naturelles,
ainsi que de sites classés, les ZNIEFF (zones naturelles
d'intérêt écologique, faunistique et floristique) couvrant
65 % du territoire, ce qui constitue à la fois la preuve de
l'existence de notre patrimoine exceptionnel mais aussi une
difficulté ; en effet, tout projet doit fait l'objet d'une
étude approfondie de la situation, surtout pour les ZNIEFF de
première catégorie, dont les plus nombreuses se situent dans les
Hauts. Pour mémoire, le projet de création d'un Parc national
dans les Hauts fait l'objet d'un consensus entre la région, l'Etat et le
département. Ce parc, qui permettrait de consacrer la qualité
exceptionnelle du site, a conduit à la création d'une mission
d'expertise. Le premier enjeu en matière d'environnement est donc la
protection du patrimoine exceptionnel.
Le deuxième enjeu concerne les risques. En effet, dans les Hauts, la
pluie tombe abondamment ; le relief provoque de nombreux
éboulements de terrain ou des glissements de terrain. Nous avons donc
engagé une politique de Plan de prévention des risques, ce qui
n'est pas aisé car nous constatons que les experts sont peu nombreux
à pouvoir définir la réalité des risques au niveau
de La Réunion. Nous rencontrons donc quelques difficultés ;
nous avons le souhait que la politique de restauration des terres en montagne
(RTM) puisse nous aider en la matière. Pour l'instant, il n'existe pas
de service RTM à La Réunion, sans doute pour des raisons
budgétaires ou historiques ; nous souhaiterions pourtant
bénéficier d'un appui de la part de ces services.
Le troisième enjeu est celui de la pollution, La Réunion est une
zone propre et saine, du moins dans les Hauts. Pour autant, des sous-zones
accueillent des élevages de petite dimension, avec très peu de
foncier, que nous avons des difficultés à contrôler. De
plus, l'épandage est assez délicat car il nécessite le
transport du lisier et des fientes, ce qui est particulièrement
difficile sur nos routes. Globalement, la question des déchets,
agricoles ou urbains, est très importante ; un travail est
engagé en la matière, qui est essentiel si nous souhaitons
éviter que les touristes soient touchés par certaines nuisances
à l'avenir, notamment par la pollution olfactive. Parallèlement,
le risque de pollution des nappes phréatiques est relativement faible,
du fait des quantités importantes de pluie qui tombent sur notre
île.
Enfin, si La Réunion dispose d'un patrimoine exceptionnel et qu'elle est
ouverte sur le monde, elle a été envahie en 300 ans par des
espèces végétales et animales qui ont tendance à
coloniser l'espace et à perturber l'équilibre naturel
écologique. Un travail important est donc mené par les services
de l'Etat, notamment pour empêcher les importations anormales de plantes
ou d'animaux qui seraient susceptibles de nuire à l'équilibre
local. Ce sujet est important si nous souhaitons conserver notre forêt
primaire dans le même état qu'aujourd'hui.
M. Paul Vergès
- Pour La Réunion, le sujet dont s'est
emparé le Sénat est décisif. Au nom du conseil
régional et de la Chambre de commerce de La Réunion,
j'étais en tournée d'investissement dans les Comores ; je
suis rentré hier en avance pour assister à cette audition, avant
de repartir dès ce soir. En effet, je pense que cette question est
décisive et je répondrai évidemment par écrit
à toutes les questions posées. Le problème de la montagne
des Hauts se pose, en interaction avec le reste de la surface, dans des
conditions que nous ne pouvons pas imaginer en métropole. En effet,
à La Réunion, tout dépend de la montagne : 80 %
de la surface de l'île sont classés en zone de montagne ;
23 communes sur 24 relèvent de la politique de montagne.
Je pense que le premier problème est que La Réunion est une
île jeune géologiquement, dont les terrains sont encore instables.
D'ailleurs, il y a un peu plus d'un siècle, un village a
été enseveli à Grand Sable ; il y a quelques
années, un barrage a été emporté par une
rivière, ce qui a mis en danger toute l'agglomération de
Saint-Joseph. De même, le chantier de basculement de l'eau a
été interrompu par un éboulis. Nous possédons
également des routes de grande circulation, notamment le long du
littoral ; nous allons en construire une troisième car les deux
premières se sont révélées dangereuses suite
à des chutes de pierres et à des risques de descente de
plaques ; le cirque de Cilaos est également souvent isolé
par des éboulis. Cette question touche donc tous les secteurs.
Nous sommes également une île tropicale de 2 500
km
2
située en zone cyclonique, comprenant trois cirques
montagneux, des hauts plateaux habités de 1 500 à 2 000
mètres, ainsi que des sommets de 1 500 à 3 000
mètres. Du fait des fortes précipitations cycloniques, nous
disposons de vastes bassins versants, qui débouchent tous par une seule
rivière. Compte tenu de la surface du pays, le parcours des eaux de
pluie est particulièrement réduit. Or, en 1948, le cyclone a
créé des volumes d'eau comparables à celui du Rhône
en crue à Lyon. Nous faisons donc face à un problème
considérable. De fait, les pertes en eau sont nombreuses et les morts
causées par les cyclones sont provoquées à près de
100 % par l'eau (noyades lors des tentatives de passage des
rivières ou dans les maisons emportées).
Dans ce cadre, l'occupation de l'espace a conduit à saturer le littoral.
Cela pose des problèmes de protection des villes, des ravines... De
plus, tout le littoral est occupé, alors que nous devrons loger entre
250 000 et 300 000 habitants supplémentaires dans les 20
ans qui viennent ; cela ne sera possible que dans les Hauts. Cela pose la
question de la sécurité des logements, de la protection des
terres agricoles et des infrastructures. Nous construisons actuellement deux
lycées tous les trois ans et un collège par an. En fait, un
apport de 250 000 habitants supplémentaires correspond à la
population totale de La Réunion en 1946 ; 300 000 habitants de
plus équivalent à la population de l'île en 1960.
Parallèlement, nous devons prendre en compte l'agriculture, notamment
dans le cadre de l'érosion. En effet, La Réunion est l'un des
pays du monde les plus gravement atteints en la matière : il s'agit
d'une montagne de 50 kilomètres de base et de 3 kilomètres de
sommet. Si la canne tient la terre aujourd'hui grâce à son
système de racines, la culture du géranium, à une
époque où La Réunion était le premier producteur du
monde, a conduit à défricher dans les Hauts, ce qui a atteint le
couvert forestier.
Par ailleurs, nous nous situons dans la zone où les changements
climatiques qui s'annoncent du fait de l'effet de serre vont être les
plus rapides et les plus sensibles. La planète se réchauffant,
l'évaporation de l'Océan Indien sera plus importante et les
cyclones seront donc plus forts et apporteront un plus grand volume de pluie.
Nous courons donc au désastre, sachant qu'il faut tenir compte des
engrais utilisés dans l'agriculture cannière, des
problèmes des eaux d'assainissement, de la pollution des lagons et de
l'augmentation des coraux qui commencent à blanchir du fait de la hausse
de la température. Il s'agit du même phénomène que
celui qui est constaté sur les atolls du Pacifique. A terme, si la
barrière de corail meure, la houle passera par-dessus, entraînant
ainsi la destruction des plages.
Dans le domaine de l'eau, le choix en termes d'alimentation a toujours dû
être effectué par les maires entre le pompage des nappes
phréatiques et l'utilisation des eaux de ruissellement, sachant que ces
dernières sont plus faciles à utiliser. Toutefois, souvent, nous
interrompons ainsi le cycle de l'eau qui va à la mer, alors qu'elle
permet à la faune de nos rivières de naître dans cette mer.
Si nous captons les rivières, l'eau n'arrive plus à la mer, ce
qui interrompt le cycle de la vie et conduit les rivières à
être désertifiées ; il s'agit là d'un
énorme problème. Pour répondre aux besoins de
l'agriculture, aux besoins humains et de l'activité industrielle future,
nous devons mieux connaître nos ressources afin de mieux les utiliser. La
nappe phréatique doit fournir actuellement environ 53 % de la
consommation humaine ; si nous captons les eaux de ruissellement pour
l'irrigation, les nappes ne sont plus alimentées. De plus, nous nous
demandons pourquoi, pour l'irrigation, nous avons utilisé en
priorité les cirques où les volumes d'eau étaient les plus
faibles (Cilaos, Les Galets, Salazie). Nous n'avons pas suffisamment
exploré les nappes élevées puisque la construction du
tunnel de basculement de l'eau de Salazie sur la rivière des Galets est
actuellement interrompue : nous avons trouvé une nappe qui diffuse
400 litres d'eau par seconde et qui se répand dans le tunnel ;
cette nappe d'eau potable aurait évidemment pu faire l'objet d'une
étude préalable. Parallèlement, nous devons
déterminer la façon de réutiliser dans l'est le bassin
versant le plus arrosé, qui rejette à la mer
500 000 m
3
d'eau par jour, ce qui représente les
deux tiers de l'eau nécessaire pour l'irrigation de l'ouest. Avec
l'Europe, nous avons dépensé 335 millions d'euros pour
basculer une quantité d'eau mais nous en rejetons les deux tiers
à la mer.
Le Sénat doit se pencher sur ces questions. D'ailleurs, à
l'occasion du Congrès des présidents des conseils
généraux, pourquoi nos collègues ne consacreraient-ils pas
une journée à la visite des Hauts en
hélicoptère ? Cela leur permettrait de prendre conscience
des difficultés que nous rencontrons. Il serait ensuite possible de
déposer un texte à partir des enseignements tirés, afin
d'assurer l'avenir des Réunionnais. De plus, les îles
environnantes sont analogues à la nôtre ; toutes les bonnes
actions menées chez nous serviront donc d'exemple à l'île
Maurice, aux Seychelles, aux Comores ou à Madagascar.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour cet exposé
enrichissant qui souligne bien la singularité de l'île par rapport
à sa situation climatique, géologique et volcanique. Je souhaite
poser la question de la nature des risques. Le service Restauration des terres
en montagne ne couvre qu'une partie des territoires montagneux
français ; la particularité des risques de l'île de la
Réunion mériterait l'installation d'une antenne et l'organisation
de formations adaptées.
Mme Anne-Marie Payet
- Monsieur Hoareau souhaiterait intervenir sur le
tourisme et je souhaiterais présenter la situation des
collectivités locales.
M. Axel Hoareau
- Dans une île, le tourisme est un moteur
économique assez important, d'autant plus que les autres moteurs sont
assez peu nombreux, notamment dans les Hauts. Lorsque nous avons lancé
le plan d'aménagement des Hauts en 1978, le tourisme était l'un
des piliers de l'activité économique, comme l'agriculture. La
difficulté que nous rencontrons aujourd'hui est que nous ne pouvons pas
vraiment parler de « tourisme de montagne ».
Peut-être s'agit-il plutôt de tourisme rural ou
d'arrière-pays de littoral ; nous nous interrogeons sur ce type de
tourisme. Dans tous les cas, le territoire doit satisfaire à la fois les
besoins de loisir des Réunionnais, qui sont captifs, mais aussi ceux des
touristes hébergés sur le littoral. D'ailleurs, la plupart des
sites visités par les touristes aujourd'hui se situent dans les Hauts de
l'île.
Le tourisme en montagne a connu des évolutions contrastées par le
passé ; nous sommes passés de la splendeur à la
décadence. La splendeur a duré de 1850 à 1900,
époque à laquelle la clientèle locale montait prendre le
frais dans les Hauts durant quatre à six mois, ce qui apportait de
l'économie en matière d'hôtellerie, de guides et de
porteurs. La découverte des vertus des eaux thermales a aussi
contribué à développer ce type de tourisme, avant que la
fréquentation ne se réduise peu à peu.
A partir de 1950, une classe moyenne de fonctionnaires, aux moyens financiers
plus importants, est venue profiter des eaux thermales mais aussi du
climatisme. En effet, à l'époque, les grandes vacances scolaires
duraient du 19 décembre à la fin du mois de mars. La population
qui avait les moyens montait donc dans les Hauts prendre le frais pour fuir la
chaleur du littoral. Ensuite, l'arrivée de fonctionnaires
métropolitains a conduit à une évolution progressive de la
demande de la clientèle en direction du littoral ; dans les
années 70, le tourisme a donc totalement disparu dans les Hauts.
Entre 1975 et 1978, le plan d'aménagement des Hauts a tenté de
relancer le tourisme par une approche volontariste. Des actions ont donc
été menées, notamment par la mise en place de gîtes
de France, de gîtes ruraux, de chambres d'hôtes ou d'hôtels
Logis de France, grâce à des moyens financiers importants
apportés par les collectivités locales et l'Etat (ils proviennent
aujourd'hui également de l'Europe mais ne financent qu'un quart des
aménagements totaux de l'île). Des actions ont été
conduites au sein de la filière de restauration par la mise en place de
tables d'hôtes, de fermes auberges, d'auberges de campagne et de
restaurants, ainsi que pour favoriser la structuration des territoires.
Parallèlement, des actions ont été menées sur les
loisirs de pleine nature (randonnée pédestre, canyoning, VTT,
escalade). Enfin, des actions moins importantes sont conduites au sein de la
filière des loisirs culturels et du patrimoine, au sein de laquelle il
reste beaucoup à faire, comme pour la filière artisanale et
agroalimentaire.
Des initiatives sont également prises en matière de sites et de
paysages. En effet, les touristes visitent La Réunion pour la
qualité et la beauté de ses sites et de ses paysages. A ce titre,
les Hauts de l'île représentent les sept ou huit dixièmes
des territoires les plus beaux, que les touristes visitent sur un ou deux
jours, en dormant une nuit sur place. Les résultats des
différentes politiques sont donc positifs ; le plan marketing mis
en place en 1993 et 1998 place les Hauts comme l'une des principales
composantes du tourisme de l'île. Sans les Hauts, le tourisme serait donc
bien pauvre au sein de l'île puisque nous ne bénéficions
pas du même littoral que nos voisins mauriciens ou seychellois.
Trois grandes caractéristiques peuvent être définies :
la suprématie de la montagne (paysages érodés et reliefs
impressionnants), la puissance de la nature, sa diversité. En fait, nous
passons très rapidement d'un site à un autre, du stade
minéral au stade végétal, de la forêt primaire au
volcan. Cette diversification peut être constatée sur un espace
très réduit, ce qui constitue la richesse la plus importante de
l'île aujourd'hui. Les Hauts forment l'acceptation la plus forte de
l'île ; il faut donc contribuer le plus possible au
développement du tourisme.
Pour autant, seulement 12 % des structures d'hébergement se situent
dans les Hauts. En fait, la proximité du littoral et des Hauts (1
à 2 heures de trajet) fait que les touristes préfèrent
à 80 % dormir sur le littoral et visiter les sites sur la
journée. Le littoral constitue un véritable porte-avions duquel
les touristes décollent pour la journée, avant de revenir s'y
poser tous les soirs. Il est important pour nous de capter une partie de cette
clientèle sous forme de retombées économiques
(restauration, loisirs, produits artisanaux) ; toutefois, cela nous semble
relativement insuffisant pour assurer aux habitants des Hauts un
développement durable. Nous essayons donc de faire en sorte que se
développent, non pas des séjours sur le littoral, mais des
circuits en étape qui fassent fonctionner tous les villages, grâce
à la randonnée pédestre ou à la voiture. Nous
souhaitons que les touristes y trouvent leur compte : ces séjours
leur permettent d'être présents sur les sites le matin de bonne
heure, sans être obligés de se lever trop tôt et en
évitant les embouteillages ; ils peuvent ainsi profiter des
meilleures conditions possible de visite, avant que les nuages ne se
développent sur les montagnes. Dans ce cadre, nous avons lancé le
concept de villages créoles, qui va nous permettre de valoriser ces
villages et de donner à la population tous les outils nécessaires
pour accueillir les touristes et leur offrir l'hébergement, la
restauration, l'animation le soir et les contacts avec les habitants.
Voilà quel est le projet de développement du tourisme dans les
Hauts.
Mme Anne-Marie Payet
- Avant d'aborder la question des
difficultés financières des communes des Hauts, permettez-moi
d'apporter quelques précisions en matière de finances locales.
Aux recettes fiscales habituelles et aux dotations de l'Etat, s'ajoute l'octroi
de mer, taxe sur la plupart des produits importés, qui est
principalement reversé aux communes et qui représente une somme
de 184 millions d'euros. Une partie de cette taxe, ainsi qu'une taxe
additionnelle à l'octroi de mer, alimente aussi le budget de la
région pour 46 millions d'euros. L'objectif de cette taxe est aussi de
protéger les productions locales. Les critères de
répartition de certains crédits ne reflètent pas toujours
la réalité et conduisent à des paradoxes. Ainsi, la
commune de La Plaine des Palmistes est considérée, du fait de son
potentiel fiscal, comme l'une des plus riches, ce qui est faux. Globalement,
peu de communes sont endettées à La Réunion ;
néanmoins, cinq ont atteint le niveau d'alerte et révèlent
un taux d'endettement important. En matière d'aides européennes,
La Réunion fait partie de l'Objectif 1 et près d'1,5 milliard
d'euros sont inscrits au titre du DOCUP 2 pour la période 2000/2006. Les
financements européens sont très présents pour la
réalisation des infrastructures, en tout cas plus que la moyenne
métropolitaine. Malgré tout, le déblocage de ces fonds est
très long et certaines communes peuvent être en situation de
rupture de trésorerie, ce qui les oblige parfois à solliciter les
banques ou à demander des avances aux autres collectivités
locales.
Je souhaite maintenant vous exposer les difficultés que rencontrent les
communes les plus éloignées du littoral, qui se situent dans
l'ensemble à plus de 1 000 mètres d'altitude. La Plaine des
Palmistes, Salazie et Cilaos sont les communes les plus enclavées ;
elles trouvent leur origine dans une accumulation de facteurs communs. Le
premier est l'absence ou l'insuffisance d'industries. Dans les communes des
Hauts, l'industrie est parfois totalement absente ou ne concerne que
l'embouteillage des eaux ou quelques petites unités d'industrie
laitière. Cela entraîne une faible ressource fiscale pour les
communes et une inactivité pour les populations concernées. Le
deuxième facteur est le fort taux de chômage, qui confronte la
municipalité à une forte demande de contrats aidés. Les
charges de personnel représentent 60 % des charges de
fonctionnement dans nos communes, contre 40 % pour la moyenne nationale.
Le troisième facteur est lié au relief et au climat, les fortes
pentes entraînant des frais supplémentaires pour la
réalisation des infrastructures, notamment de voirie, les
dégâts étant de plus en plus fréquents du fait des
glissements de terrain qui se produisent dans des secteurs difficilement
accessibles lors des périodes cycloniques.
Par ailleurs, la protection contre les crues des ravines met en évidence
un programme important de travaux à réaliser. A La Plaine des
Palmistes, ces travaux coûteraient 7,6 millions d'euros ;
à peine le quart a été réalisé en
12 ans faute de crédits suffisants, alors que des zones
habitées sont menacées. De plus, l'enclavement constitue un frein
au développement économique. Ainsi, cette année, la
commune de Cilaos a été coupée du monde pendant plus de
deux semaines, après que le cyclone Dina ait emporté une partie
de la route nationale. Les travaux nécessaires à la consolidation
et à la sécurisation de cette unique voie d'accès n'ont
toujours pas été réalisés, faute de crédits
suffisants, alors que la saison des pluies va reprendre dans quelques mois. Il
faut aussi souligner l'absence ou l'insuffisance des structures de loisir, qui
pourraient pourtant favoriser les séjours touristiques plus longs.
En conclusion, je tiens à souligner que le relief particulier de notre
île induit de nombreuses difficultés, auxquelles les communes des
Hauts doivent faire face. Bien qu'aidées par des dispositifs financiers,
les communes sont confrontées à des investissements si lourds que
beaucoup d'entre elles ne peuvent pas mettre en place dans les délais
souhaités les équipements et les infrastructures
nécessaires à la protection de la population et au
développement économique. Les collectivités
réunionnaises ont su prévoir le développement du
département mais cela nécessite des moyens financiers très
importants. Une aide plus substantielle de la part de l'Europe en faveur des
zones de montagne est souhaitable. L'article 1
er
de la loi relative
au développement et à la protection de la montagne énonce
la solidarité de la nation, caractérisée par la promotion
d'une démarche de développement local, en valorisant les
aptitudes aux productions locales, à la diversification des
activités économiques et au développement des
capacités d'accueil et de loisir, notamment du thermalisme. Dans ce
domaine, je regrette qu'une commune à vocation thermale comme Cilaos ne
puisse être classée « station
thermale touristique », avec toutes les retombées que
cela représenterait, du fait de l'insuffisance du réseau
d'assainissement. Cilaos est jumelée à Chamonix et des groupes de
sportifs viennent régulièrement participer au cross du Piton des
Neiges, les sportifs de Cilaos participant au cross du Mont-Blanc. Des liens
d'amitié se sont créés entre les deux villages ; cela
me semble très important.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour vos contributions. Je
souhaite revenir sur les questions agricoles et foncières. Que
représentent les AFP, que vous avez évoquées, en nombre et
en surface ? Depuis quand existe-t-elles sur l'île ? Comment
fonctionnent-elles ? Face à la pression foncière, avez-vous
imaginé la création d'instruments publics fonciers, qui sont
prévus par notre dispositif juridique ? Quel type d'élevage
vit sur l'île ? Quelles sont les espèces ? Les
filières existent-elles et méritent-elles d'être soutenues
et animées, par exemple dans le domaine floral, fruitier ou de
l'élevage ?
Parallèlement, vous avez évoqué le projet de
création d'un parc naturel national. Avez-vous songé à la
création d'un parc naturel régional, dont la formule semble plus
souple et mieux correspondre aux préoccupations locales pour la plupart
des interlocuteurs que nous avons rencontrés jusqu'à
présent ?
Par ailleurs, d'où provient l'énergie dont la population de
l'île a besoin ? Disposez-vous de sources d'énergie
hydroélectrique ? Enfin, les couverts forestiers étant
importants, quels sont les types d'exploitations forestières ?
M. Jean Boyer
- Peut-on considérer que La Réunion pourrait
disposer d'une autonomie, compte tenu de son évolution
démographique ? Parviendrait-elle à l'autosuffisance
alimentaire et économique ?
Par ailleurs, les structures agricoles sont-elles plutôt individuelles ou
collectives ? Quelle est la taille de la surface agricole utile
(SAU) ? De plus, je crois savoir que La Réunion est très
riche en flore. Existe-t-il un projet de conservatoire en la
matière ? L'agriculture réunionnaise subit-elle les
mêmes évolutions successives qu'ailleurs dans le domaine
technique ?
Enfin, quel est le tourisme le plus attractif entre celui qui concerne les
plages et celui qui touche la montagne ?
M. Vincent Le Dolley
- Avant d'avoir un établissement public
foncier, nous disposions d'une SAFER très dynamique à La
Réunion, qui a mené des opérations structurantes de
redistribution des terres, lorsqu'il existait des propriétés
importantes qui pouvaient donner lieu à l'installation
d'agriculteurs ; la SAFER intervient également en matière de
terres incultes. Il s'agit donc d'un opérateur foncier majeur. Pour
autant, à La Réunion, les questions agricoles sont rarement
déconnectées des problèmes généraux ;
nous disposons donc d'un d'établissement public foncier, qui va
instituer une réserve foncière, en collaboration avec la SAFER.
Cela est essentiel si nous souhaitons éviter la concurrence
désorganisée en la matière, surtout dans les zones
périurbaines ou faciles à construire.
En matière d'élevage, vous devez vous convaincre que les
filières réunionnaises sont très modernes, identiques
à celles qui existent en métropole. Un grand groupe
coopératif fonctionne depuis des années, sur le modèle
métropolitain. La difficulté est que l'espace n'est pas
très important et que les besoins de l'île ne sont pas couverts en
totalité par l'élevage moderne ; nous ne sommes donc pas
autosuffisants. Nous produisons des produits haut de gamme (produits frais et
labellisés). De plus, on constate une grande solidarité entre les
éleveurs, les importateurs et la grande distribution. Ainsi, le
président des éleveurs est l'un des responsables de la grande
distribution. Il n'y a donc pas d'opposition entre le monde de la production et
de la distribution. Parallèlement, un élevage plus traditionnel
existe également, notamment destiné à l'abattage rituel.
Concernant les fleurs, les fruits et les légumes, les circuits sont
plutôt courts et directs (nous parlons de
« bazardiers »), comme dans le midi de la France, les
organisations de producteurs étant peu nombreuses. C'est un handicap
pour l'exportation, notamment des fleurs, des letchies ou des ananas, qui
nécessite des opérateurs plus solides. Des initiatives sont
menées dans ces secteurs pour développer l'organisation mais
elles restent encore balbutiantes.
M. Jean-Paul Amoudry
- Disposez-vous d'abattoirs ?
M. Vincent Le Dolley
- Nous disposons d'un abattoir principal pour les
ovins et les porcins et de deux abattoirs pour les volailles. Ils sont tous
contrôlés et respectent les normes nationales. D'ailleurs, les
consommateurs, y compris les touristes, considèrent que les produits
réunionnais sont plutôt haut de gamme, tant sur le plan
phytosanitaire que qualitatif.
M. Jean Boyer
- Quelles sont les races de bovins que vous
élevez ?
M. Vincent Le Dolley
- Il s'agit essentiellement de blondes d'Aquitaine,
des Limousines ou éventuellement croisées avec des races locales
africaines. On trouve également quelques charolaises.
Mme Anne-Marie Payet
- Je précise que nous n'avons pas
été touchés par la crise de la vache folle.
M. Vincent Le Dolley
- En matière forestière, pour
l'essentiel, l'île est recouverte par une forêt de protection et
une forêt de tourisme. Compte tenu de l'importance de la forêt que
nous devons protéger en tant que patrimoine de l'humanité (du
fait de la présence de nombreuses plantes endémiques), nous ne
disposons pas d'un grand espace pour les forêts cultivées. A une
époque, nous étions moins attentifs en la matière et des
tentatives de déboisement ont eu lieu, ainsi que de plantation d'arbres
poussant rapidement, qui sont malheureusement plus fragiles en cas de cyclone.
Nous nous posons des questions sur le renouvellement de ces plantations dans le
futur ; la tendance est plutôt de privilégier les
espèces endémiques, notamment le tamarin, qui est sans doute le
plus valorisé culturellement et financièrement par l'artisanat
traditionnel. L'économie de la filière bois reste très
réduite puisque nous ne produisons que 5 % à 10 % des
besoins de la région.
L'objectif n'est pas d'atteindre l'autosuffisance de La Réunion. Pour
autant, nous exportons beaucoup de sucre de canne, dont la demande augmente en
Europe et sur le plan national. Parallèlement, nous importons des
produits qui ont vocation à être fabriqués dans les zones
tempérées.
Enfin, la SAU globale est de l'ordre de 30 000 hectares, la moyenne d'une
exploitation étant de 6 à 7 hectares ; il s'agit donc
de petites exploitations intensives. En fait, l'agriculture réunionnaise
fait vivre de nombreuses personnes (de l'ordre de 15.000 personnes).
M. Jean Boyer
- Quelle est la surface de La Réunion ?
Mme Anne-Marie Payet
- Elle est de 2 500 km2.
M. Vincent Le Dolley
- Dans le domaine de l'élevage, la
production est très structurée autour de coopératives.
Pour la canne à sucre, la production a été le fait
historiquement de grandes propriétés, la distribution
s'effectuant progressivement. Au fur et à mesure de la redistribution,
se sont constituées des coopératives d'utilisation de
matériel en commun (CUMA), des SICA avec des structures d'appui. En
fait, la structuration du milieu se réalise grâce aux deux grandes
usines qui existent sur l'île, l'une dans le nord et l'autre dans le sud.
Enfin, la production est plutôt coopérative pour la vanille, les
géraniums et toutes les petites cultures.
M. Paul Vergès
- L'agriculture a toujours dépendu de
marchés extérieurs. Depuis la moitié du
19
ième
siècle, nous sommes une île de
monoculture cannière, ce qui a été déterminant pour
l'implantation. Aujourd'hui, une ceinture de bourgs tombe en déclin et
devra être restructurée ; il s'agit des bourgs qui ont
été au coeur du déploiement de la surface cannière,
depuis le littoral jusqu'à 600 ou 800 mètres. Ils ont donc
joué un rôle très important.
De plus, à partir de la récolte de 1932, la production de la
canne a été organisée, ce qui a donné lieu à
la fixation d'un contingentement et d'un prix. A la sortie de la guerre, il
existait de 23 000 à 25 000 petits planteurs de canne
à sucre, quelques grandes propriétés et 14 usines
sucrières. Il reste aujourd'hui deux usines sucrières, l'une au
nord et l'autre au sud, et 5 000 livreurs de canne.
Par ailleurs, nos productions dépendant d'un domaine extérieur
influencent l'aménagement du territoire. Pour la canne à sucre,
la plantation en fonction des lignes de niveau constitue un moyen efficace de
protection des sols. En revanche, à plus de 800 mètres, la
plantation de géranium a nécessité la
déforestation, entraînant l'érosion et exigeant la
plantation et la diffusion des acacias. Nous sommes donc très sensibles
à l'environnement extérieur.
Nous sommes entourés de pays qui font partie des « moins
avancés » : Madagascar, Les Comores, le Mozambique, la
Tanzanie... Or une directive de Bruxelles permet de faire entrer dans l'Union
européenne tous les produits agricoles de ces pays, notamment le riz (du
Surinam), la banane (des Antilles) et le sucre. C'est pourquoi des
délais ont été accordés jusqu'à 2006 et
2009, afin de nous permettre de faire face à ces arrivées de
nouveaux produits.
Il faut six à huit ans pour qu'une souche de canne pousse et puisse
être récoltée. Le sort du sucre à La Réunion
à l'horizon 2006/2009 dépend donc de la confiance des planteurs
dans la replantation aujourd'hui. Face à cette situation, il est
possible de mettre en avant la spécificité de nos régions
et de maintenir la production grâce à des aides et à des
subventions. Pour sa part, l'île Maurice a décidé d'acheter
100 000 hectares de concessions de cannes au Mozambique, ce qui
représente quatre fois la surface de la canne à La
Réunion, et de produire du sucre qui pourra entrer en Europe.
Par ailleurs, il est évident que le développement de n'importe
quel pays dépend de l'énergie. Or notre mimétisme avec le
monde occidental fait que l'augmentation annuelle de la consommation
d'électricité est de 7 % à 8 %
(électroménager, logements, climatisation), ce qui nous oblige
à doubler notre production dans les dix prochaines années ;
cela constitue un pari fou. De plus, nos capacités classiques sont
épuisées ; dans le domaine hydraulique, nous avons
utilisé les principales possibilités. Il nous reste à
avoir recours à la biomasse, c'est-à-dire les résidus du
traitement de la canne à sucre, ce qui nous permet d'obtenir
700 000 à 800 000 tonnes de bagasse, qui fermentent, qui
sentent mauvais, qui provoquent un rhume saisonnier et qui asphyxient les
coraux. La bagasse est utilisée désormais pour la production de
l'électricité ; enrichie en charbon, elle permet de
satisfaire actuellement 30 % de notre consommation, ce qui est
énorme. Nous utilisons également le fioul.
Nous allons tenter d'utiliser d'autres sources. Ainsi, un bilan éolien a
été effectué, qui fait apparaître que nous pourrions
produire 100 MW. De fait, nous allons commencer à construire des fermes
éoliennes sur 15 sites, ce qui nous permettra d'atteindre une production
importante, notre objectif ayant été fixé à 30 MW
dans les quatre à cinq ans qui viennent.
Parallèlement, pour résoudre le problème de
l'électricité, les tarifs EDF font l'objet d'une contribution de
la commission de régulation de l'électricité (CRE),
d'environ 300 millions, afin que nous bénéficiions des
mêmes prix qu'en métropole. Cette somme ne peut qu'augmenter du
fait de la demande croissante en raison de l'activité ou de la
démographie. Il nous faut, compte tenu de la consommation domestique qui
représente les deux tiers de la consommation
d'électricité, annuler l'augmentation de 8 %, grâce
aux économies d'énergie, à l'installation de chauffe-eau
solaires (40 000 l'ont déjà été, 6 000 le
sont par an, contre 3 000 en France métropolitaine), à
l'électricité solaire par les cellules photovoltaïques (pour
laquelle le prix de rachat par EDF est de 0,30 euros le kW). L'objectif est
d'utiliser les cellules photovoltaïques pour tous les grands
équipements (lycées, écoles, collèges,
sièges, zones industrielles...). Cela devrait nous permettre
d'enregistrer un retour sur investissement au bout de neuf ans et de compenser
l'augmentation annuelle, avant de la réduire si nous équipons
l'ensemble des habitations de La Réunion.
Dans quelques mois, une rencontre doit avoir lieu avec les experts
français du BRGM, de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis
concernant les premières recherches en matière de
géothermie. L'objectif serait de reproduire ce que font
déjà les Guadeloupéens à Bouillante, mais à
une plus grande échelle. Les interprétations des premiers
résultats seront effectuées à cette occasion. Nous
disposons déjà de l'expérience de Big Island à
Hawaï, dont la centrale géothermique permet d'atteindre l'autonomie
en matière de production électrique.
Enfin, nous sommes en zone tropicale, entourés par une mer à
forte houle, qui frappe sur toute notre côte rocheuse, depuis
l'Etang-Salé à Sainte-Rose, et dont nous pourrions capter la
force. La région va envoyer une mission dans une île d'Ecosse
où le problème a été résolu puisque la houle
permet de créer l'électricité par le biais d'une centrale
spécifique. Pour éviter l'effet dévastateur de cette houle
violente, une surface extrêmement résistante reçoit le
choc, qui comprime l'air, ce dernier conservant l'énergie et la
transmettant pour faire tourner les turbines. Si nous mettons en oeuvre cette
solution, l'autonomie énergétique de La Réunion pourrait
être assurée grâce au soleil, au vent, à la houle et,
à l'avenir, au volcan. Notre île pourrait alors devenir une base
de formation et d'exportation des connaissances pour l'utilisation de ces
énergies renouvelables et propres.
M. Jean-Paul Amoudry
- Le nucléaire est donc totalement absent de
l'île... Cette dernière est soumise à de nombreux
phénomènes naturels ; elle constitue un véritable
laboratoire.
M. Paul Vergès
- Nous disons nous-mêmes que La
Réunion doit être un vrai laboratoire pour mettre au point de
nouvelles solutions.
M. Jean-Paul Amoudry
- Concernant l'eau et les hauts bassins versants,
la station touristique de Megève organisera un colloque international en
septembre prochain sur les problématiques de la gestion des cours d'eau,
des pluies torrentielles et de l'érosion, ainsi que sur les
différentes attentes (consommation domestique, usages agricoles,
utilisations ludiques, neige de culture). La ressource en eau se réduit
actuellement, alors qu'elle fait l'objet de convoitises de plus en plus
nombreuses. Si vous êtes de passage ou si ce thème vous
intéresse, je vous invite à participer à ce colloque qui
accueillera de très grandes sommités.
Je vous remercie pour vos commentaires sur les aspects agricoles et
énergétiques. Je pense que nous avons pratiquement
épuisé le sujet.
M. Paul Vergès
- Pouvons-nous espérer, Monsieur le
Président, qu'à l'occasion du Congrès des
présidents des conseils généraux, les
problématiques de La Réunion soient abordées, par exemple
après un survol de l'île ?
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous n'avons pas compétence pour
influencer l'ordre du jour des travaux du Congrès des Présidents
de Conseils généraux.
M. Paul Vergès
- Nous autorisez-vous à rencontrer le
président du conseil général de La Réunion pour
qu'il suggère à ses collègues de consacrer une part des
travaux du Congrès à la visite des zones montagneuses de
l'île et à l'écoute des premières conclusions de la
mission ?
M. Jean-Paul Amoudry
- En effet. Nous en serons à la phase de
présentation de nos propositions, le travail devant être
terminé à la fin du mois de septembre.
Je vous remercie pour votre contribution, en regrettant une nouvelle fois de ne
pas avoir pu vous rendre visite dans le temps qui nous était
imparti ; nous espérons pouvoir le faire dans le cadre des travaux
du groupe Montagne du Sénat.