46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse, accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Corse, président de la Chambre départementale d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002)

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous souhaite la bienvenue au Sénat ; je vous remercie de vous être déplacés. Je tiens à excuser le Président Jacques Blanc, qui est retenu ce matin, ainsi que ceux de nos collègues qui travaillent au sein des commissions (Finances, Lois, Affaires économiques...). En effet, le Parlement est en session extraordinaire et les commissions se réunissent traditionnellement le mercredi matin, afin de travailler sur les textes d'actualité et les projets de loi du gouvernement. Il va de soi que nous allons vous écouter avec plaisir.

En introduction, je rappelle que le Sénat, au cours de cette « Année internationale des montagnes », a souhaité, sur la proposition de quelques-uns dont Jacques Blanc, Pierre Jarlier et moi-même, constituer une mission d'information pour tirer parti de la période de l'élection présidentielle du printemps dernier, qui permettait aux sénateurs d'être plus disponibles pour effectuer un travail de terrain et d'enquête. De plus, nous avons souhaité que la loi de 1985, dite « loi Montagne », mais aussi que les textes des années 70 ou les textes plus récents, de lois d'orientation et d'aménagement, puissent faire l'objet d'une analyse sous l'angle des difficultés rencontrées pour leur application concrète. Nous avons pour objectif de déposer un rapport au début du mois d'octobre, afin de fournir au nouveau gouvernement des éléments de modernisation des dispositifs, l'intérêt n'étant pas d'ajouter des textes mais de simplifier, apurer et améliorer notre administration territoriale en zones de montagne.

Je signale que nous avions prévu de nous rendre en Corse au cours du mois de juillet, le mois d'août étant plutôt consacré aux vacances, y compris peut-être pour quelques sénateurs, et le mois de septembre étant réservé à la rédaction du rapport. Si vous l'estimez nécessaire, la mission pourra se rendre en Corse, ou le groupe de travail « Montagne » du Sénat, puisque ce dernier va se prolonger au-delà de la mission, cette dernière disparaissant après la remise du rapport. En effet, Jacques Blanc restera le Président du groupe de travail « Montagne », dont je suis le rapporteur ; dans les prochains mois, nous pourrons donc continuer à travailler, le rapport ne constituant pas une fin en soi mais simplement le démarrage d'un certain nombre d'actions. Nous sommes désolés de ne pas avoir trouvé le temps de vous rendre visite : en fait, le passage du Tour de France dans les Pyrénées nous a obligés, à reporter notre voyage, ce qui a décalé d'autant notre visite dans le Jura.

Merci de vous être déplacés pour passer en revue les problèmes que vous souhaiteriez évoquer. Nous vous avons adressé un questionnaire ; je vous propose que nous commencions par le reprendre.

M. Paul Natali - Je vous remercie pour votre accueil mais aussi de prêter une attention particulière aux zones de montagne, notamment la Corse, qui, pour être « un pain de sucre en mer », n'en rencontre pas moins des difficultés catastrophiques dans sa partie intérieure, qui se vide au profit du littoral. Je pense que le Président régional vous fera un exposé sur ce territoire. Nous vous donnerons des statistiques concernant les communes qui font partie de ce massif. Le Président de la SAFER reviendra sur l'indivision, qui est véritablement catastrophique. Enfin, le Directeur de l'Office de développement agricole et rural, qui coiffe toutes les structures relevant du secteur agricole et montagne, interviendra.

M. Etienne Suzzoni - Je suis responsable professionnel agricole de l'île ; je suis vigneron. Je travaille donc dans un secteur qui, à travers ses sites de qualité, son organisation professionnelle et des productions très typées, tire son épingle du jeu dans un secteur qui est en déprise. En effet, comme le disait le sénateur, le littoral a absorbé les forces vives de la Corse : le littoral représente un cinquième des surfaces de l'île mais aussi 70 % des populations. La Corse est une zone ouverte au tourisme et possède des sites remarquables ; si vous réalisiez une visite sur place, vous pourriez vous rendre compte du potentiel qui existe dans le massif : le GR20, le Parc naturel régional... Malgré tout, l'activité économique n'est pas soutenue.

En tant que professionnels, nous tentons de soumettre à la région nos projets et nos préoccupations. Nous considérons que l'élément essentiel du maintien de la vie à l'intérieur est l'accès à un revenu décent pour les exploitants agricoles. Nos propositions tournent donc autour des produits, qui sont, pour l'élevage, les bovins, les ovins, les caprins et les porcins. Le bovin a connu ses heures de gloire après la mise en place de la prime européenne à la vache allaitante et les CHN. En revanche, le porcin est une filière à l'abandon, qui ne bénéficie pas de soutien européen, alors qu'elle constitue l'une des filières les plus traditionnelles, les châtaigneraies de l'intérieur constituant un support alimentaire de base. Pour sa part, le caprin est en déprise, comme l'ovin, élevé par le passé dans toute la Corse par le biais des estives (entre les zones du littoral l'hiver et les massifs l'été). Les problèmes sont que les réglementations européennes ont évolué et que nos méthodes de production ne se sont pas adaptées. De fait, les exploitants agricoles, qui fabriquent des produits de qualité, sont contraints, par les services de la direction des services vétérinaires, à arrêter leur activité faute de moyens financiers ou de politique d'accompagnement.

Nous connaissons un déficit structurel en matière d'élevage ; en effet, les structures sont très peu nombreuses à être aux normes européennes et nous ne disposons pas d'abattoirs. Pour autant, les professionnels se sont engagés dans des démarches constructives. En effet, les productions sont soumises à des réglementations européennes que nous ne pouvons pas décrier en permanence ; au contraire, nous devons nous y adapter. Pour cela, il faut identifier les productions, les faire reconnaître, notamment leurs spécificités ; c'est le cas pour l'affinage des fromages dans des voûtes en pierre. Si nous ne définissons pas ces productions en rappelant leur identité, les services européens appliquent la même norme aux petits bergers qui traitent 200 litres de lait et aux industriels du nord de l'Europe, qui en traitent 2 à 3 millions.

L'élevage des bovins s'est développé considérablement et la Haute-Corse regroupe actuellement environ 30 000 vaches allaitantes, soit la moitié de toute la Corse et cinq fois plus qu'au siècle dernier. Des rapports européens ont discrédité l'agriculture corse car elle était atypique. Or cet élevage extensif bénéficie de possibilités de reconnaissance en race corse, dont ont déjà bénéficié les porcins, les bovins, les caprins et les ovins. En effet, l'une de nos chèvres possède toutes les caractéristiques pour être reconnue comme race corse. Pour sa part, le bovin possède des caractéristiques très fortes, en termes de rusticité et de qualité des viandes, qui doivent constituer le support des signes de qualité. Pour les porcins, le raisonnement est le même ; ceux qui maîtrisent de façon optimale les conditions de production, proposent des charcuteries peuvent rivaliser avec les meilleurs.

Nous devons définir notre potentiel dans l'urgence et faire en sorte que les réglementations européennes ne le fassent pas disparaître. En effet, dans l'intérieur de la Corse, l'aviculture maintient la vie dans les villages. Nous souhaiterions que ce développement se maintienne. Dans ce cadre, lors du débat à l'Assemblée de Corse, il avait été proposé de reconnaître l'agrotourisme comme un axe fort de l'amélioration des revenus des exploitants, en capitalisant les filières en déprise et en leur permettant de disposer de revenus stables. L'objectif est de faire migrer les flux du littoral vers l'intérieur, de permettre aux populations d'être en contact avec les gens qui viennent de l'extérieur, de s'ouvrir et de prendre conscience que les atouts offerts par la nature constituent une force, dont les touristes ont envie de profiter. Les protecteurs du patrimoine seront d'autant plus efficaces qu'ils retireront un revenu de leur action.

M. Henri Salvat - Dans le cadre de la loi Montagne de 1985 et du décret d'application, le massif corse a été défini comme regroupant les deux départements, la Haute-Corse et la Corse-du-Sud. Toute la Corse est donc considérée comme une zone de montagne.

M. Jean-Paul Amoudry - Cette définition concerne-t-elle toutes les communes, y compris celles du littoral ?

M. Henri Salvat - Oui, y compris Bastia et Ajaccio.

M. Paul Natali -Le littoral fait partie de la zone de montagne.

M. Henri Salvat - Le massif corse comprend les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Au sens de la réglementation européenne de 1974 sur la zone de montagne, la grande majorité des communes est déclarée en zone de montagne, sauf une vingtaine de la côté littorale, d'Aléria au sud de Bastia. Pour cette région, à la demande de la profession, nous avons sollicité un classement en zone défavorisée. Ce dossier a été instruit en Corse et transmis aux services parisiens du ministère de l'agriculture mais n'a pas encore reçu de réponse favorable. Nous attirons votre attention sur ce point ; nous souhaitons le classement de l'ensemble de la Corse en zone défavorisée, au sens de la réglementation européenne.

M. Paul Natali - C'est important.

M. Henri Salvat - Sur les 360 communes de Corse, environ 20 ne sont pas classées en zone défavorisée ou de montagne. Le dossier est en instance auprès du ministère à Paris, qui semble réticent pour répondre favorablement à notre demande.

L'ensemble de la Corse représente 8 700 km 2 , pour une population de 260 000 habitants, ce qui représente la plus faible densité de population de France. De plus, la région Corse est la moins industrialisée de France, l'industrie ne représentant que 6,8 % des emplois, contre 6,1 % pour l'agriculture. Le produit intérieur brut par habitant est de 82 % de la moyenne communautaire, soit 7 % de moins que la moyenne nationale.

Par ailleurs, les difficultés rencontrées du fait de l'insularité ont incité une grande partie de la population à quitter la Corse au cours des décennies précédentes, au détriment de la richesse humaine de la Corse, évolution encore aggravée par les conséquences des deux guerres mondiales au cours desquelles une grande partie de la population active a été décimée.

La population a augmenté entre 1990 et 1999, environ de 4 %, essentiellement du fait du solde migratoire, le solde des naissances et des décès étant pratiquement nul. De plus, la population corse est plus âgée que la moyenne nationale. Les perspectives d'évolution pour les années à venir font que les plus de 60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans en 2010. L'été, l'île accueille plus d'un million de visiteurs, pour un total de 2 millions sur l'ensemble de l'année. Entre 1990 et 1999, le nombre de touristes a augmenté de 37 % ; ces 2 millions représentent 26 millions de nuitées, la majorité étant des touristes continentaux et la durée moyenne d'un séjour de 14 jours.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous avons traditionnellement à l'esprit que la Corse vit du tourisme, de l'agriculture et des services. Quid de l'industrie ?

M. Paul Natali - Il n'y a plus d'industrie, sauf à Ajaccio, en milieu littoral. La Corse est aujourd'hui moins industrielle qu'elle ne l'a été avant guerre. En effet, à l'époque, le bois était très exploité, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Il s'agissait de l'industrie principale, parallèlement aux usines de tannin ; tout a disparu après-guerre. En matière d'aviculture, le cedrat avait permis de créer quelques industries. Aujourd'hui, une seule société subsiste à Ajaccio dans le domaine des composites ; l'activité reste insignifiante. Tout le reste relève du domaine tertiaire, de la prestation de service, du commerce et du tourisme.

M. Henri Salvat - Il existe aussi des industries agroalimentaires, notamment fromagères et charcutières.

M. Paul Natali - Il est vrai que Roquefort est implanté en Corse. Pour le reste, l'absence de labels fait que les productions sont consommées localement.

M. Etienne Suzzoni - Les industries charcutières travaillent sur des carcasses importées.

M. Paul Natali - De Bretagne notamment. Cela permet de donner une image « corse » au produit.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur le plan énergétique, disposez-vous de barrages hydroélectriques ?

M. Paul Natali - Nous avons du retard en la matière. En 1987 et 1988, l'Assemblée de Corse avait conventionné avec EDF la construction de sept barrages, dont un seul a été construit depuis, sa capacité ayant été augmentée pour permettre une utilisation industrielle et agricole ; les autres usines sont thermiques. Nous commençons également à lancer des expériences en matière d'énergie éolienne, cette dernière étant très contestée par les populations.

M. Etienne Suzzoni - En Balagne, le barrage situé près de l'Ile-Rousse est à sec ; nous ne savons pas comment les touristes pourront se laver au mois d'août.

M. Paul Natali - Je pense que l'initiative de l'Office hydraulique, de vider le barrage au mois de mars pour le nettoyer, n'était pas très heureuse.

M. Jean-Paul Amoudry - Peut-être pouvons-nous évoquer le Comité de massif ?

M. Jean Faraud - Le Comité de massif Corse était présidé par le Préfet de région jusqu'à la fin de 2001. Il est composé de cinq représentants de la collectivité territoriale Corse, de deux représentants du Conseil général de Haute-Corse, de deux représentants du Conseil général de Corse-du-Sud, de sept représentants des communes de montagne, de six représentants des établissements publics consulaires (Chambres d'agriculture, des métiers et de commerce), d'un représentant de l'ODARC, d'un représentant de l'Agence de tourisme de Haute-Corse, d'un représentant du Parc naturel régional, de deux représentants d'associations agréées en matière de protection de la nature.

Le bilan du fonctionnement du Comité de massif fait apparaître que son action est circonscrite à l'utilisation des fonds du Fonds National d'aménagement et du territoire (FNADT) Montagne, soit seulement 300 000 euros par an. Ces fonds sont attribués à des projets très ponctuels, notamment d'étude.

A partir de 1999, les membres ont choisi de recentrer l'action du Comité sur des thématiques plus précises, notamment le développement des loisirs en montagne, principalement l'escalade. Nous avons adjoint au contrat de plan une sous-mesure du volet tourisme spécialement consacrée au développement des sports de pleine nature.

Depuis la loi du 22 janvier, le Comité de massif ne dispose plus des mêmes prérogatives. Le président du Comité est maintenant le président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse, cette dernière devant délibérer pour recomposer le Comité de massif. Enfin, le mini-budget de 300 000 euros ne sera plus géré par le Comité de massif mais par la Collectivité territoriale de Corse.

M. Jean-Paul Amoudry - Pensez-vous que les nouvelles dispositions législatives de la loi vont conduire le Comité de massif à ne plus jouer de rôle en matière d'organisation des politiques de l'île ou à conserver sa place aux côtés des assemblées territoriales ? Estimez-vous qu'il s'agit d'un outil intéressant à revitaliser ou estimez-vous que les assemblées décentralisées suffisent largement pour l'émission des politiques ?

M. Jean Faraud - L'existence du Comité de massif est intéressante au niveau consultatif car il est spécialisé sur la zone de montagne. Le Comité de massif représente donc la voix de la montagne et peut donc avoir un vrai rôle consultatif vis-à-vis de l'Assemblée territoriale. En revanche, la question de la gestion des fonds ne constitue pas une nécessité absolue.

M. Jean-Paul Amoudry - La présidence du Comité de massif par le Préfet vous paraissait-elle satisfaisante ?

M. Jean Faraud - La loi stipule que le Comité de massif n'est dorénavant présidé que par le président du Conseil exécutif de la collectivité territoriale.

M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit de l'objectif que nous avons fixé pour la présidence des autres Comités de massif. Nous souhaitons que la présidence soit exercée par un élu local.

M. Henri Salvat - Jusqu'à présent, le Comité de massif corse n'avait qu'un rôle limité à la distribution des crédits. La politique se décidait donc soit au niveau de l'Assemblée de Corse (avant sa mise en oeuvre par le Conseil exécutif), soit au niveau de l'Etat ; les décisions étaient prises dans le cadre du contrat de plan Etat/Région ou dans le cadre du document unique de programmation (DOCUP). Le Comité de massif ne parvenait donc pas à trouver sa véritable place. Le fait que la présidence du Comité revienne au président du Conseil exécutif assure une plus grande cohérence.

M. Paul Natali - De plus, l'enveloppe distribuée par le Comité de massif n'était pas toujours consommée.

M. Henri Salvat - Les financements étaient marginaux.

M. Jean-Paul Amoudry -Vous avez évoqué l'agriculture, l'élevage, l'artisanat et le tourisme. Dans ce dernier domaine, quelle est la situation au niveau des structures d'accueil ? Par ailleurs, comment voyez-vous l'avenir des structures d'accueil hivernal ?

M. Paul Natali - Nous ne disposons d'aucune structure véritable en la matière, même si quelques gîtes communaux et des auberges de montagne ont été construits depuis quatre ou cinq ans ; le tout reste très artisanal et familial, les propriétaires étant en majorité des éleveurs.

Le principal problème est la circulation au sein des villages, qui n'est pas toujours possible pour les autocars par exemple. Plus généralement, nous avons beaucoup de retard en matière de structures autoroutières, comme dans les secteurs de l'eau et de l'assainissement.

Certains villages ne regroupent que 10 à 20 personnes, ce qui conduit à un morcellement des communes très important. Ainsi, le maire du village où habite le président de la SAFER ferme son village durant l'hiver avec des barbelés, afin d'empêcher les vaches d'y accéder. Sur les 186 communes de montagne, 50 environ sont véritablement victimes d'une désertification complète.

M. Jean-Paul Amoudry -Visiblement, aucun village ne dispose de remontées mécaniques.

M. Paul Natali - En effet. Les deux tentatives en la matière ont été rejetées par l'Europe à cause des financements. Au mois de février, les Corses se rendent sur le continent pour skier. A l'intérieur, nous nous situons au niveau le plus bas des régions de montagne du territoire national.

M. Jean-Paul Amoudry - Quid de la collectivité en zone de montagne ?

M. Paul Natali - Nous sentons quelques prémices mais les financements sont encore insignifiants, alors que certaines communes sont exsangues sur le plan financier.

M. Henri Salvat - Dans l'ensemble de la Corse, 20 % des exploitants agricoles exercent une pluri-activité, soit 740 sur les 3 600 que compte l'île.

M. Etienne Suzzoni - Les 3 600 exploitants ne correspondent pas à autant d'unités professionnelles ; il faut donc être prudent en matière de chiffres. En fait, on parle d'unité professionnelle à partir de 3,5 hectares d'agrumes ou d'1,5 hectare de vignes ; dans ces conditions, leur nombre n'est que de 1 800 alors que nous étions 15 000 il y a 25 ou 30 ans. La chute a été vertigineuse. Il faut à tout prix permettre une stabilisation des arrêts des exploitations et une dynamisation de l'installation, grâce à la diversification. Aujourd'hui, le statut d'agriculteur reconnaît difficilement la pluri-activité, même si des évolutions se produisent en la matière.

M. Paul Natali - Il serait important de reconnaître la pluri-activité, notamment sous la forme d'aides.

M. Etienne Suzzoni - Il faut prendre en compte la réalité des chiffres.

M. Jean-Paul Amoudry - Pensez-vous que l'arrêt de la disparition du nombre des exploitations agricoles passe par une aide à l'installation des mono-actifs ou, au contraire, faut-il favoriser la pluri-activité, notamment l'agrotourisme ? Quel est le profil type de l'exploitant pluri-actif ?

M. Etienne Suzzoni - Il s'agit d'une activité de production agricole liée à au tourisme.

M. Jean-Paul Amoudry - Ce sont donc les fermes auberges.

M. Henri Salvat - Certains salariés, commerçants ou professions libérales exercent également une activité agricole. Parallèlement, les agriculteurs qui ont une activité touristique restent agriculteurs en termes d'activité principale, le tourisme n'étant qu'un prolongement de cette dernière (chambres d'hôtes, fermes auberges, gîte rural). L'avenir de la Corse de l'intérieur ne peut se concevoir que si une diversification intervient en matière d'activités touristiques. Il faut que la Corse de l'intérieur puisse profiter des touristes qui ne visitent principalement que le littoral.

M. Jean-Paul Amoudry - Cela passe par une reconnaissance et une amélioration du régime de la pluri-activité.

M. Paul Natali - Oui.

M. Jean-Paul Amoudry - Dans certaines régions de France, la pluri-activité n'est plus fortement demandée, par exemple dans certaines zones de Haute-Savoie, alors que c'était encore le cas il y a dix ou quinze ans. En fait, les agriculteurs ont fait des choix. En revanche, dans d'autres régions, il nous est demandé une reconnaissance du statut du pluri-actif. Nous avons d'ailleurs posé la question à Hervé Gaymard, qui est l'un des plus grands spécialistes de la question. La pluri-activité est donc un élément important, dans le cadre de la diversification, au même titre que le versement d'une aide à l'installation.

M. Etienne Suzzoni - Il s'agit de compléter le revenu de l'agriculteur lorsque la filière ne permet pas de retirer un revenu décent, comme dans le cas de la culture des châtaigniers. L'agriculteur peut ainsi disposer de revenus complémentaires grâce aux services ou à l'agrotourisme. Par exemple, il suffit de capitaliser un exploitant agricole pour qu'il ait les moyens d'héberger et d'obtenir un revenu d'appoint lui permettant de poursuivre son activité agricole. Parallèlement, il existe aussi des personnes qui travaillent dans les services mais qui sont propriétaires d'une châtaigneraie ou d'une oliveraie ; ces personnes peuvent émarger au contrat de plan pour effectuer une rénovation.

M. Paul Natali - Cela reste marginal.

M. Etienne Suzzoni - Personne ne cherche à les exclure mais ces gens ne constituent pas le support d'une véritable activité.

M. Paul Natali - Il s'agit surtout de passionnés.

M. Etienne Suzzoni - Dans certaines filières, la fonction de production ne suffit pas à garantir un revenu décent ; il est donc indispensable de disposer d'un complément pour maintenir l'activité. Ainsi, je pense qu'il faudrait mener une politique de région pour les filières en déclin, comme les châtaigniers ou les caprins. Il faut faire en sorte que les exploitants disposent d'un revenu d'appoint, compatible avec leur métier. Pour l'instant, il n'y a pas d'hébergement possible en montagne, alors que les chambres d'hôtes sont un moyen intéressant pour les touristes d'accéder à un village, de rencontrer un éleveur et de connaître la façon dont il travaille.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous propose d'aborder l'environnement, les paysages et les risques naturels.

M. Henri Salvat - Les priorités retenues en matière de protection de l'environnement sont notamment le traitement des déchets. La collecte sélective est mise en place actuellement, dans le cadre du contrat de plan. Un autre effort doit être poursuivi au niveau de l'assainissement des eaux usées, tant sur le littoral que dans la Corse de l'intérieur.

Par ailleurs, nous devons faire face au problème de la gestion de la ressource en eau. En effet, nous rencontrons des problèmes de stockage de l'eau brute et de transfert, tant pour l'irrigation que pour l'eau potable. Ainsi, cette année, nous avons dû installer une unité de dessalement de l'eau de mer au Cap Corse, cette région n'étant alimentée par aucune source. Nous devons également prendre en compte le problème des incendies.

M. Paul Natali - En matière d'environnement, la matière première de la Corse est constituée par ses richesses en eau et en forêts, zones qui devraient être exploitées et valorisées mais qui sont malheureusement presque abandonnées et livrées aux incendiaires, ce qui entraîne des dégâts très importants au cours de l'été, notamment lorsque les vents soufflent fort. Le pastoralisme n'est pas assez actif dans les zones que nous devrions protéger et valoriser.

M. Etienne Suzzoni - Plus globalement, le problème est celui de la maîtrise du foncier. Dans le système pastoral, le propriétaire terrien entretenait son bien et le mettait à disposition, sur la base de conventions verbales, à des éleveurs transhumants. La société était donc organisée de façon particulièrement précise. Aujourd'hui, l'exode et l'absence d'abattoirs ou de structures de développement conduisent à un élevage extensif non-maîtrisé. La mutualité sociale agricole (MSA) Corse a constaté que l'assise foncière de l'exploitation agricole n'était plus constituée que du cheptel.

En fait, des titres ont été donnés aux agriculteurs ; à l'intérieur de la Corse, la déprise et l'indivision sont telles, qu'il n'est plus possible de retrouver les propriétaires. Pour les zones plus proches du littoral ou les zones urbaines, la valeur foncière des terres agricoles est telle que personne ne souhaite aliéner le bien à un agriculteur car cela entraîne la non-constructibilité de la zone. Nous n'avons pas de définition des zones ; les plans d'urbanisme ne sont pas en place ; nous ne disposons pas de schémas de cohérence territoriaux et encore moins de schéma régional.

Nous faisons face à un problème de politique générale Corse. La résidence secondaire, qui est un levier du développement, notamment dans les zones touristiques, constitue un marché non négligeable, même s'il s'agit parfois d'un sujet de violence au niveau politique. C'est pourquoi il faudrait définir précisément les zones, constructibles ou non.

M. Paul Natali - Nous ne disposons d'aucun schéma d'aménagement.

M. Henri Salvat - Un schéma a été adopté en 1997 mais il est toujours en projet car il n'a jamais été agréé.

M. Etienne Suzzoni - Dans le domaine du foncier, l'indivision pèse sur les zones agricoles en déprise et nous devons aussi faire face au problème de l'urbanisation sur les zones agricoles non définies proches des zones urbaines ou du littoral. Nous avons donc des difficultés à maîtriser le foncier et à donner des assises cohérentes aux exploitations. Les propriétaires qui ne sont plus résidents laissent des espaces considérables en friche, ce qui en fait la proie des flammes l'été et constitue une menace pour les exploitations. De plus, l'impression d'abandon donne une mauvaise image de la Corse aux touristes. Il est donc nécessaire de fixer les choses au travers d'un schéma régional d'aménagement. Nous rejoignons les questions liées à la gestion des paysages : quelle urbanisation souhaitons-nous ?

M. Paul Natali - Tout doit être repris à zéro. Sur le littoral, certaines zones se développent plus que d'autres car elles sont limitrophes des villes, notamment Bastia. Les terrains y ont pris des valeurs très importantes. Auparavant, il s'agissait de zones essentiellement agricoles ; aujourd'hui, seules quelques vignes subsistent. Tout est laissé à l'abandon car les propriétaires souhaitent en tirer profit en vendant ces terrains constructibles.

M. Jean-Paul Amoudry - Pourrions-nous évoquer la viticulture ? Dans ce domaine, il existe des AOC, ce qui nécessite une identification très précise des parcelles concernées. Quel est le nombre d'hectares consacrés à la viticulture ?

M. Etienne Suzzoni - Sur l'ensemble de la Corse, la viticulture représente 8 000 hectares de vignes, dont 2 500 en AOC, les autres étant vinifiés en vin de pays ou vin de table. Le total de la production est de 350 000 hectolitres, pour 100 000 hectolitres d'AOC. La crise que traverse la viticulture nationale touche également la Corse, notamment le vin de pays sur les marchés anglo-saxons. Tous ces produits qui ne disposent pas d'une identité forte liée au terroir rencontrent des problèmes importants, même si l'offre émane de deux grosses coopératives qui maîtrisent les savoir faire. En fait, il suffirait de trouver un marché de 60 000 hectolitres pour que la crise soit réglée. A cet effet, le secteur viticole a demandé à la région d'intervenir pour l'aider à prendre des parts de marché chez un gros faiseur. Pour l'instant, nous n'avons reçu aucune réponse.

M. Paul Natali - Comme d'habitude.

M. Etienne Suzzoni - Dans la viticulture AOC, les fers de lance sont les petits vignerons qui bénéficient d'une très bonne image. Les AOC sont décomposées en neuf appellations d'origine : une générique (Calvi, Sartène, Figari, Cap Corse, Porto-Vecchio), deux appellations locales (Patrimonio et Ajaccio), qui ont des contraintes plus importantes, notamment en matière d'encépagement. Depuis 1993, une nouvelle appellation est apparue, celle de Muscat du Cap Corse. Au sein d'une filière dotée de signes de qualité, les professionnels sont obligés de s'entendre et de maîtriser leur production ; la valeur ajoutée est donc plus importante, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres filières.

M. Jean-Paul Amoudry - La plaine orientale n'accueille-t-elle que des vins de pays et des vins de table ?

M. Etienne Suzzoni - Des AOC y sont aussi produits : 50 % des 100 000 hectolitres sont produits sur la plaine orientale. Parallèlement, le Cap Corse ne regroupe que quatre exploitants qui produisent environ 4 000 hectolitres ; Patrimonio est la deuxième appellation après l'appellation générique et représente 13 000 hectolitres, contre 8 000 pour Calvi, de 7 000 à 8 000 pour Ajaccio, 5 000 pour Sartène, 3 000 pour Figari et 3 000 hectolitres pour Porto-Vecchio.

M. Jean-Paul Amoudry - La crise actuelle frappe-t-elle l'ensemble des vins ?

M. Etienne Suzzoni - Elle touche essentiellement la zone orientale, où sont produits 50 000 hectolitres d'AOC et 250 000 de vin de pays et de vin de table. Le marché insulaire est surprotégé car il bénéficie d'une exonération de TVA pour les produits consommés sur l'île ; la viticulture a pu ainsi rester maître de son marché, qui est de 160 000 hectolitres. Nous sommes quasiment en situation de monopole puisque les touristes qui nous rendent visite souhaitent boire des vins corses.

M. Jean-Paul Amoudry - Etes-vous concernés par la procédure Natura 2000 ?

M. Paul Natali - Oui.

M. Etienne Suzzoni - Dans ce domaine, je reste très réservé sur la part qui est revenue à la Corse. En effet, 54 habitats naturels ont été choisis, sur une soixantaine au niveau national ; la part affectée à la Corse est donc considérable. De fait, nous avons l'impression que l'Europe impose à la nation certains sites en termes de quotas. Je suis sceptique car les contraintes qui sont liées à la procédure sont importantes et pourraient constituer des freins au développement et à la vie dans ces milieux.

M. Paul Natali - Ce sont des zones qui sont constamment incendiées.

M. Etienne Suzzoni - On nous demande de ne pas intervenir sur ces zones du fait de la présence d'espèces animales rares ; or ces espaces brûlent car ils ne sont pas entretenus. La profession agricole est inquiète en la matière.

M. Jean-Paul Amoudry - J'imagine que ces 54 habitats sont répartis largement en montagne.

M. Etienne Suzzoni -Oui, même si certains sont situés sur le littoral. Les maires des petites communes considèrent que cela constitue un avantage.

M. Jean-Paul Amoudry - L'accueil des élus est donc parfois favorable.

M. Etienne Suzzoni - Oui. En revanche, les exploitants agricoles se posent des questions. Peut-être devrons-nous bientôt enlever nos vaches de l'estive ? Il existe une inquiétude dans ce domaine, même si tout le monde se veut rassurant par ailleurs.

M. Jean-Paul Amoudry - Les élus ont-ils eu connaissance des modalités de versement des aides disponibles pour gérer ces espaces ?

M. Etienne Suzzoni - Actuellement, aucune aide n'est versée. C'est la raison de l'inquiétude.

M. Paul Natali - Une enquête a été effectuée sur Natura 2000, qui fait apparaître que, sur 34 communes consultées en Corse-du-Sud et 9 en Haute-Corse, 25 n'ont pas répondu, 5 communes ont répondu favorablement sans réserve, 7 communes ont répondu favorablement avec réserve et 5 communes défavorablement. Les maires ne sont donc pas sensibilisés aux avantages ou aux conséquences de ces classements. Les maires considèrent que le plus important est le développement urbanistique de certaines zones qui avaient été figées. De fait, des propositions de classement ont été effectuées de façon quelque peu cavalière par le directeur de la direction régionale de l'environnement (DIREN). En fait, les réponses favorables à l'enquête ont été apportées pour les zones qui se situent à la périphérie des communes et qui n'ont aucun intérêt particulier.

M. Jean-Paul Amoudry - Comment l'existence du parc naturel régional est-elle vécue ?

M. Paul Natali - Il commence à prendre forme depuis quatre ou cinq ans, après des années au cours desquelles son utilité n'était pas évidente. Pour autant, je pense qu'un important travail doit encore être effectué, notamment pour favoriser le développement touristique : ainsi, le parc gère le GR 20 qui traverse la Corse et qui est fréquenté toute l'année par de nombreux amateurs, qui perçoivent de façon favorable l'existence d'un parc naturel.

M. Henri Salvat -Le Parc régional couvre 350 000 hectares, 143 communes sur un total de 360 et regroupe 27 000 habitants permanents.

M. Paul Natali - Il gère également un parc marin.

M. Henri Salvat - Le parc possède une partie littorale du côté de Porto. Par la suite, la mise en place de parcs marins est prévue entre la Corse et la Sardaigne.

M. Paul Natali - Cela concerne la façade est. J'ai l'impression que la création d'un parc marin international n'est plus d'actualité ; les pêcheurs s'y étaient d'ailleurs opposés car la zone concernée était trop vaste.

M. Jean-Paul Amoudry - Le parc s'occupe du couvert végétal ; dispose-t-il de moyens pour prévenir les incendies de forêt ? Mène-t-il des actions au niveau des châtaigneraies sur le plan économique ? Intervient-il en matière d'urbanisme ? Quelles sont ses grandes missions ?

M. Henri Salvat - Le parc a pour objet de protéger et de valoriser le patrimoine naturel, culturel et paysager, mais aussi de contribuer au développement économique, social et culturel, et de la qualité de vie, ainsi que d'assurer l'accueil, l'éducation et la formation des publics.

En matière d'incendie, la prévention avait été prise en compte par la création, au sein du parc, d'un service « pastoralisme et prévention des incendies ». Depuis 1995, ce service, dont l'objectif était de mettre en oeuvre des moyens pour conseiller les éleveurs et les dissuader d'avoir recours aux feux, a été rattaché à l'ODARC. En effet, la région a considéré que cette action de « pastoralisme » devait s'inscrire en complément des actions de mise en valeur de la Corse. Ce service a pour objet de définir des pratiques culturales, afin que les éleveurs n'utilisent plus la technique du feu.

En la matière, nous nous heurtons à un problème important : en effet, les éleveurs qui utilisent le foncier n'en ont pas la maîtrise et ne peuvent donc pas le mettre en valeur. On considère que 30 % à 40 % des incendies sont d'origine pastorale ; ils couvrent 60 % à 70 % des surfaces brûlées. Le service Pastoralisme mène des expérimentations in situ , afin de diffuser auprès d'éleveurs volontaires de nouvelles techniques culturales, permettant d'éviter la propagation des incendies. L'ODARC intervient également au niveau de la châtaigneraie, afin de financer les exploitants qui souhaitent engager des rénovations, soit pour produire des châtaignes, soit pour alimenter les porcins.

M. Paul Natali - La Corse disposait d'un parc important de châtaigniers. Aujourd'hui, nous avons l'impression que la châtaigneraie est retournée à l'état sauvage.

M. Henri Salvat - A l'origine, la châtaigneraie devait couvrir entre 20 000 et 25 000 hectares. Aujourd'hui, les surfaces sont toujours les mêmes mais une grande partie des châtaigniers a disparu, notamment du fait de maladies. Pour autant, depuis quelques années, nous constatons un intérêt pour la remise en valeur des châtaigneraies par les agriculteurs, même si cela ne permet pas d'atteindre les surfaces initiales.

M. Jean-Paul Amoudry - Un programme existe-il pour la châtaigneraie ?

M. Paul Natali - Un programme européen avait été lancé à une époque.

M. Henri Salvat - Des financements FEOGA ont été versés lors du précédent DOCUP. En fait, le châtaignier peut être considéré comme un arbre forestier ou agricole. Le propriétaire de châtaigneraie, qui n'est pas exploitant agricole, peut donc remettre en valeur la zone en tant que surface forestière ; pour sa part, un exploitant agricole qui récolte les châtaignes pour nourrir ses porcins reçoit les crédits réservés au secteur agricole. Dans tous les cas, nous souhaitons que le propriétaire qui met en valeur sa propriété le fasse en relation étroite avec un agriculteur pour assurer l'exploitation par la suite ; sinon, la démarche est vouée à l'échec.

M. Etienne Suzzoni - Des enveloppes importantes ont été affectées mais elles n'ont pas été consommées car personne ne pouvait déposer de dossier pour mettre en valeur les châtaigneraies, du fait de l'absence de maîtrise du foncier. De plus, les conditions d'accès à ces financements sont souvent telles que personne n'est éligible. Ainsi, il faut posséder une surface minimale de 25 hectares, ce qui n'était le cas de personne. Dans ces zones en déprise, le développement passe par l'animation des territoires, ce qui nécessite que des hommes portent sur leurs épaules des démarches structurantes et fédératrices ; actuellement, nous ne disposons pas de ces acteurs. Les contrats de plan agricole prévoient 50 millions pour s'attaquer au problème du foncier mais rien n'est prévu pour payer des animateurs. Dans tous les cas, pas un centime n'a été engagé à cette heure.

M. Auguste Cazalet - Chez nous, les châtaigniers ont disparu, alors qu'ils constituaient la richesse des exploitations. Nous ramassions les châtaignes sur des terrains qui ne pouvaient pas être utilisés pour une autre exploitation. Ensuite, la maladie du châtaignier est apparue ; nous avons essayé de planter des châtaigniers japonais, qui ont donné mais il n'existe plus aujourd'hui de véritable marché aux châtaignes. En fait, aucun effort n'a été effectué pour enrayer cette chute, sachant que la consommation s'est réduite. Quand j'étais enfant, nous partions à l'école avec une poche de châtaignes. Par ailleurs, il semble que le châtaignier sauvage ne crève pas.

M. Paul Natali - Des pépinières naturelles se créent.

M. Auguste Cazalet - En Corse, il faut que la production soit rentable pour effectuer de nouvelles plantations de châtaigniers.

M. Paul Natali - En Corse, dans certaines régions, certaines populations ont vécu largement grâce à la production de châtaignes (élevage, farine...), par le biais d'industries familiales et artisanales, avant l'exode vers les villes.

M. Auguste Cazalet - Chez nous, nous avions deux catégories de châtaignes, la rouge et la noire. La première était vendue plus cher, à des marchands originaires du Lot-et-Garonne. La châtaigne noire était meilleure à manger ; nous la faisions griller le soir.

M. Paul Natali - En Corse, quelques petits artisans ont créé une industrie du marron glacé, notamment du côté d'Ajaccio. Pour autant, la production reste très réduite et ne peut pas être comparée à celle de l'Ardèche.

M. Auguste Cazalet - Chez nous, la production était de plusieurs tonnes par exploitant durant deux ou trois mois.

M. Paul Natali - Aujourd'hui, la maigre production est livrée aux porcs.

M. Jean-Paul Amoudry - On pourrait considérer que cette filière a tout de même un avenir.

M. Paul Natali - Cet avenir est très limité.

M. Etienne Suzzoni - Il s'agit du coeur de nos productions régionales de montagne. Les châtaigneraies embellissent les villages et constituent un véritable patrimoine, notamment pour le tourisme. De plus, les châtaignes servent à finir l'élevage des porcs coureurs, ce qui nécessite de clôturer les espaces et de les entretenir.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous pourrions aborder le bilan de l'activité touristique en zone de montagne. Avez-vous des éléments à nous livrer en termes de chiffre d'affaires et de population active concernée ?

M. Henri Salvat - Sur les 2 millions de visiteurs dont je parlais précédemment, 5 % à 6 % sont logés à l'intérieur dans les gîtes ruraux et les fermes auberges ; le reste est logé sur le littoral. Pour autant, les personnes qui logent sur le littoral se rendent dans l'intérieur de la Corse pour passer une journée (GR 20, randonnée, visite de villages...). En fait, 37 % à 45 % de la population touristique se rendent à l'intérieur de la Corse.

M. Jean-Paul Amoudry - Les collectivités locales se sont-elles engagées sous différentes formes en la matière ?

M. Henri Salvat - Très peu.

M. Jean-Paul Amoudry -En fait, la situation financière des collectivités locales n'est pas reluisante, comme nous l'a laissé entendre Paul Natali. Il est vrai que des obligations comme l'assainissement sont déjà très lourdes à assumer. Pouvons-nous aborder la politique du conseil régional pour le développement et l'aménagement des zones de montagne ?

M. Jean Faraud - Il n'existe pas de politique spécifique dédiée au massif montagneux, notamment parce que le zonage ne satisfait pas grand monde et que personne ne se l'approprie afin de distinguer les deux zones. En fait, dans l'esprit des politiques, la Corse est scindée en une Corse urbaine (conurbations de Bastia et d'Ajaccio, Calvi, Porto-Vecchio, Corte, l'Ile-Rousse) et une Corse rurale, dont la montagne.

Des atouts liés à la montagne doivent être valorisés ; cela constitue le leitmotiv que l'on retrouve dans tous les documents politiques du conseil régional. Ces atouts sont notamment un potentiel environnemental exceptionnel, un riche écosystème, une ressource en eau abondante et de bonne qualité, un potentiel en matière d'énergies renouvelables, une absence de pollution majeure. Nous disposons donc d'un espace qui bénéficie d'un réel potentiel.

La collectivité a également identifié des leviers de développement à actionner ou des actions à mettre en oeuvre sur les territoires ruraux. Elles concernent le financement des entreprises, les plus petites étant actuellement sous-capitalisées et disposant de fonds propres très réduits. Dans ce contexte, la volonté de la collectivité territoriale est d'apporter une alternative à cette carence de fonds propres, en investissant dans une société de capital risque, par la mise en place de prêts d'honneur et d'un dispositif régional de garanties d'emprunt. La volonté est aussi de mettre au point un réel dispositif d'appui technique en matière d'élaboration de projets d'entreprise, ce qui n'existe pas actuellement.

En matière de soutien au tourisme, la politique de la collectivité repose sur un zonage de la Corse en 20 territoires pertinents et cohérents, l'objectif étant d'associer des territoires de montagne à des territoires littoraux. Il existe également une volonté de faire émerger les dynamiques de développement, en faisant se rencontrer les acteurs sur les territoires, grâce à une animation forte et présente sur le long terme.

En matière touristique, la collectivité souhaite la mise en place de soutiens publics à la création de nouvelles unités d'hébergement mais aussi le développement des activités de loisir en zone de montagne (sports d'eau vive, escalade, randonnées...).

Pour le développement de l'agriculture en zone de montagne, la première des priorités affichées par la collectivité est la résolution du problème de l'accès au foncier des exploitants agricoles. La collectivité souhaite également soutenir significativement les productions identitaires (châtaignes, charcuterie et fromages fermiers). Nous devons nous appuyer sur le lien fort dont nous disposons avec le terroir, c'est-à-dire la montagne. Cette dernière doit devenir le conservatoire de tous ces savoir faire traditionnels, que la collectivité doit aider, grâce à un accompagnement des démarches de certification et de labellisation. Le troisième objectif fort de la collectivité est de faire participer l'activité agricole à la prévention en matière d'incendie, notamment par la gestion des ruminants sur les espaces ouverts.

Par ailleurs, dans le domaine forestier, la collectivité soutient financièrement les investissements en matière d'amélioration des peuplements mais aussi d'équipement des exploitations.

M. Henri Salvat - Dans le cadre de la loi du 22 janvier 2002, toutes les forêts domaniales d'Etat ont été transférées à la collectivité territoriale corse, en propriété gestion.

M. Paul Natali - Il s'agissait d'anciennes propriétés domaniales, qui étaient déjà plus ou moins communales lorsque l'Etat les a reprises. Je ne pense pas que cela soit une bonne affaire pour la collectivité territoriale corse ; je vois mal comment le système va pouvoir fonctionner. Je pense que nous nous faisons trop d'illusions dans ce domaine.

M. Jean-Paul Amoudry - S'agit-il de pins maritimes ?

M. Paul Natali - Il s'agit en partie de pins maritimes, sachant que le bois a une valeur très faible aujourd'hui. A une époque, la Corse regroupait encore 30 ou 40 scieries, qui constituaient une industrie florissante ; aujourd'hui, elles ne sont plus que trois ou quatre sur l'ensemble de la région et travaillent essentiellement du bois importé d'Afrique. Lorsque les Domaines passent des appels d'offres, le bois est pratiquement bradé.

M. Jean-Paul Amoudry - Dans les Vosges, nous avons constaté que des bois qui valaient 53 à 61 euros il y a trois ou quatre ans sont stockés et mouillés et ne valent plus que 4,6 euros le mètre cube.

M. Paul Natali - C'est la raison pour laquelle je pense que l'Etat ne nous a pas fait de cadeau en transférant les forêts domaniales à la collectivité territoriale corse, qui s'est d'ailleurs manifestée avec beaucoup d'enthousiasme pour récupérer ce patrimoine.

M. Jean Faraud - Le Conseil régional mène également une action de réhabilitation des villages de l'intérieur. Enfin, nous constatons qu'il n'y a pas de volet montagne spécifique au sein du contrat de plan.

M. Jean-Paul Amoudry - En fait, le thème de la montagne est réparti au sein du plan.

M. Paul Natali - Je doute de la volonté politique en matière de réhabilitation des villages de l'intérieur ; depuis plusieurs années, nous ne sentons aucune évolution en la matière. D'ailleurs, les maires n'ont plus de moyens : la voirie départementale des villages de l'intérieur est laissée quasiment à l'abandon. De temps en temps, un kilomètre d'enrobé est réalisé avant les élections... De plus, le problème de l'eau est souvent préoccupant au sein des villages, les canalisations étant en très mauvais état. De même, l'assainissement est très réduit, ce qui conduit à des rejets dans les ruisseaux. Globalement, l'intérieur de la Corse nécessite donc un effort considérable de la part de la collectivité territoriale, qui doit permettre, grâce aux réhabilitations, d'effectuer des remises à niveau en matière d'équipements. En effet, ces derniers pourraient inciter une petite part de la population à revenir habiter dans les villages de l'intérieur. Enfin, l'indivision conduit certaines maisons à devenir de véritables ruines ; il faudrait peut-être prévoir une expropriation et un transfert aux communes, financé à 100 %, afin de créer des gîtes communaux ou de petites habitations. Dans nos régions de montagne, la misère est totale.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur ce dernier point, nous avons reçu Jacques Combret, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat et notaire dans l'Aveyron, avec qui j'ai évoqué l'indivision, qui constitue aussi une réalité en Haute-Savoie, conduisant de nombreux bâtiments à être en ruine. Monsieur Combret m'a indiqué que la réponse à ce problème était contenue dans la réforme de la succession sous la forme du droit à interrogation : un co-héritier peut demander aux autres héritiers de se positionner sur la valeur d'un bien, ce qui les empêcherait de bloquer la procédure en ne se manifestant pas. La procédure permettrait à celui qui souhaite sortir de l'indivision d'obliger les autres à se prononcer et de passer outre moyennant le paiement d'une soulte.

M. Paul Natali - Il faut revoir la loi.

M. Jean-Paul Amoudry -Nous connaissons trop de cas de ce type. Nous pourrions donner à un tiers, à la collectivité ou à la SAFER la possibilité de mettre en demeure quelqu'un de se prononcer. Nous reprendrons ces éléments dans notre rapport.

M. Paul Natali - Nous devons faciliter la tâche des communes et des maires, afin qu'ils trouvent des acquéreurs pour ce patrimoine. Aujourd'hui, en Corse, nous sommes ankylosés par le système d'indivision. Le problème ne se pose pas sur le littoral puisque les acheteurs existent et que l'argent est partagé. En revanche, à l'intérieur, les terrains sont à l'abandon, livrés aux éleveurs, ce qui facilite l'action des incendiaires.

M. Jean-Paul Amoudry - La formule des associations foncières agricoles, pastorales ou forestières remporte-t-elle un grand succès ?

M. Paul Natali - Nous n'en sommes qu'aux prémices en la matière ; la question est très complexe.

M. Toussaint Felce - Les éleveurs y sont opposés. En effet, jusqu'à maintenant, ils ne payaient rien.

M. Jean-Paul Amoudry - Je comprends que les propriétaires ne souhaitent pas se lier.

M. Toussaint Felce - Les propriétaires pourraient accepter le principe mais les éleveurs ne le souhaitent pas.

M. Paul Natali - Le raisonnement est le même pour les abattoirs, dont la presse locale annonce l'ouverture tous les mois depuis des décennies ; pour l'instant, aucun abattoir n'a encore été ouvert.

M. Etienne Suzzoni - Il faut que ceux qui souhaitent avancer ne soient pas bloqués par ceux qui le refusent ; c'est pourquoi il faut mettre en place une animation. La SAFER rencontre les plus grandes difficultés à obtenir les crédits nécessaires.

M. Paul Natali - Nous constatons des anomalies grossières.

M. Jean-Paul Amoudry -Certains départements, par exemple dans les Pyrénées-Atlantiques, ne connaissent pas la formule, alors que d'autres, comme l'Ariège ou la Lozère, ont largement développé ce type de formule. Pour ma part, je préside un organisme dont le directeur est un animateur qui a permis de monter une trentaine d'association fruitière pastorale en Haute-Savoie, alors que le contexte est très individualiste ; cela nous a permis de sauver notre alpage. Parfois, il faut aller chercher les propriétaires qui habitent ailleurs et parvenir à résoudre les problèmes qui se posent.

M. Etienne Suzzoni - Nous souhaitons que l'Assemblée de Corse se donne les moyens d'une taxation du foncier à l'abandon. En effet, cela permettrait d'imposer la rénovation au propriétaire, sachant qu'il serait exonéré dans le cas inverse.

M. Jean-Paul Amoudry - La loi prévoit la taxation du foncier non bâti pour tous les biens inclus dans une association foncière pastorale ou agricole. Pour cela, nous devons demander au législateur de renouveler cet avantage, qui avait été consenti dans une loi de finances il y a cinq ans. Dans le rapport « Pastoralisme » que nous allons remettre à Hervé Gaymard dans quelques jours, nous allons renouveler cette demande.

M. Etienne Suzzoni - Aujourd'hui, le propriétaire est déjà exonéré puisque le foncier agricole n'est pas taxé. La taxation ne concerne que les zones qui sont exploitées, ce qui peut sembler paradoxal. Parallèlement, la friche et l'incendie ne sont pas taxés.

M. Paul Natali - La loi « Joxe » avait autorisé la Corse à prélever des sommes sur les trajets effectués entre la Corse et le continent, en avion et en bateau, à raison de 9,15 euros par ticket. Cette enveloppe de 22 850 à 27 500 euros était consacrée à la protection de l'environnement ; depuis, elle a été intégrée au budget général de la collectivité territoriale corse et n'a pas été affectée à l'objectif prévu par la loi, sans que les préfets ne disent quoi que ce soit.

M. Jean-Paul Amoudry - L'assainissement fait également partie de l'environnement. Toutes les communes rurales de montagne ne savent pas financer les dépenses en matière d'environnement dans les délais prévus.

M. Paul Natali - Nous étions classés en Objectif 1 au niveau des crédits européens, avant d'être déclassés en Objectif 2 du fait de reliquats d'utilisation sur les grands programmes d'eau et d'assainissement. Pour autant, la somme prélevée sur les transports qui devait être consacrée à l'environnement était importante. L'agence de l'eau a cofinancé aussi, ainsi que les départements, ce qui permet de boucler un projet à 80 %.

M. Jean-Paul Amoudry - Nous allons étudier toutes vos informations.

M. Paul Natali - Il faut que vous veniez faire une visite en Corse.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour vos contributions verbales et écrites.

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