46. Audition de M. Paul Natali, sénateur de Haute-Corse, accompagné de MM. Henri Salvat, directeur de l'Office de développement agricole de la région Corse (ODARC), Etienne Suzzoni, président de la Chambre régionale d'agriculture de la région Corse, président de la Chambre départementale d'agriculture de Haute Corse, Jean Faraud, conseiller technique et Toussaint Felce, Président de la SAFER (24 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Je vous souhaite la bienvenue au Sénat ; je
vous remercie de vous être déplacés. Je tiens à
excuser le Président Jacques Blanc, qui est retenu ce matin, ainsi que
ceux de nos collègues qui travaillent au sein des commissions (Finances,
Lois, Affaires économiques...). En effet, le Parlement est en session
extraordinaire et les commissions se réunissent traditionnellement le
mercredi matin, afin de travailler sur les textes d'actualité et les
projets de loi du gouvernement. Il va de soi que nous allons vous
écouter avec plaisir.
En introduction, je rappelle que le Sénat, au cours de cette
« Année internationale des montagnes », a
souhaité, sur la proposition de quelques-uns dont Jacques Blanc, Pierre
Jarlier et moi-même, constituer une mission d'information pour tirer
parti de la période de l'élection présidentielle du
printemps dernier, qui permettait aux sénateurs d'être plus
disponibles pour effectuer un travail de terrain et d'enquête. De plus,
nous avons souhaité que la loi de 1985, dite « loi
Montagne », mais aussi que les textes des années 70
ou les textes plus récents, de lois d'orientation et
d'aménagement, puissent faire l'objet d'une analyse sous l'angle des
difficultés rencontrées pour leur application concrète.
Nous avons pour objectif de déposer un rapport au début du mois
d'octobre, afin de fournir au nouveau gouvernement des éléments
de modernisation des dispositifs, l'intérêt n'étant pas
d'ajouter des textes mais de simplifier, apurer et améliorer notre
administration territoriale en zones de montagne.
Je signale que nous avions prévu de nous rendre en Corse au cours du
mois de juillet, le mois d'août étant plutôt consacré
aux vacances, y compris peut-être pour quelques sénateurs, et le
mois de septembre étant réservé à la
rédaction du rapport. Si vous l'estimez nécessaire, la mission
pourra se rendre en Corse, ou le groupe de travail
« Montagne » du Sénat, puisque ce dernier va se
prolonger au-delà de la mission, cette dernière disparaissant
après la remise du rapport. En effet, Jacques Blanc restera le
Président du groupe de travail « Montagne », dont je
suis le rapporteur ; dans les prochains mois, nous pourrons donc continuer
à travailler, le rapport ne constituant pas une fin en soi mais
simplement le démarrage d'un certain nombre d'actions. Nous sommes
désolés de ne pas avoir trouvé le temps de vous rendre
visite : en fait, le passage du Tour de France dans les
Pyrénées nous a obligés, à reporter notre voyage,
ce qui a décalé d'autant notre visite dans le Jura.
Merci de vous être déplacés pour passer en revue les
problèmes que vous souhaiteriez évoquer. Nous vous avons
adressé un questionnaire ; je vous propose que nous commencions par
le reprendre.
M. Paul Natali
- Je vous remercie pour votre accueil mais aussi de
prêter une attention particulière aux zones de montagne, notamment
la Corse, qui, pour être « un pain de sucre en mer »,
n'en rencontre pas moins des difficultés catastrophiques dans sa partie
intérieure, qui se vide au profit du littoral. Je pense que le
Président régional vous fera un exposé sur ce territoire.
Nous vous donnerons des statistiques concernant les communes qui font partie de
ce massif. Le Président de la SAFER reviendra sur l'indivision, qui est
véritablement catastrophique. Enfin, le Directeur de l'Office de
développement agricole et rural, qui coiffe toutes les structures
relevant du secteur agricole et montagne, interviendra.
M. Etienne Suzzoni
- Je suis responsable professionnel agricole de
l'île ; je suis vigneron. Je travaille donc dans un secteur qui,
à travers ses sites de qualité, son organisation professionnelle
et des productions très typées, tire son épingle du jeu
dans un secteur qui est en déprise. En effet, comme le disait le
sénateur, le littoral a absorbé les forces vives de la
Corse : le littoral représente un cinquième des surfaces de
l'île mais aussi 70 % des populations. La Corse est une zone ouverte
au tourisme et possède des sites remarquables ; si vous
réalisiez une visite sur place, vous pourriez vous rendre compte du
potentiel qui existe dans le massif : le GR20, le Parc naturel
régional... Malgré tout, l'activité économique
n'est pas soutenue.
En tant que professionnels, nous tentons de soumettre à la région
nos projets et nos préoccupations. Nous considérons que
l'élément essentiel du maintien de la vie à
l'intérieur est l'accès à un revenu décent pour les
exploitants agricoles. Nos propositions tournent donc autour des produits, qui
sont, pour l'élevage, les bovins, les ovins, les caprins et les porcins.
Le bovin a connu ses heures de gloire après la mise en place de la prime
européenne à la vache allaitante et les CHN. En revanche, le
porcin est une filière à l'abandon, qui ne
bénéficie pas de soutien européen, alors qu'elle constitue
l'une des filières les plus traditionnelles, les châtaigneraies de
l'intérieur constituant un support alimentaire de base. Pour sa part, le
caprin est en déprise, comme l'ovin, élevé par le
passé dans toute la Corse par le biais des estives (entre les zones du
littoral l'hiver et les massifs l'été). Les problèmes sont
que les réglementations européennes ont évolué et
que nos méthodes de production ne se sont pas adaptées. De fait,
les exploitants agricoles, qui fabriquent des produits de qualité, sont
contraints, par les services de la direction des services
vétérinaires, à arrêter leur activité faute
de moyens financiers ou de politique d'accompagnement.
Nous connaissons un déficit structurel en matière
d'élevage ; en effet, les structures sont très peu
nombreuses à être aux normes européennes et nous ne
disposons pas d'abattoirs. Pour autant, les professionnels se sont
engagés dans des démarches constructives. En effet, les
productions sont soumises à des réglementations
européennes que nous ne pouvons pas décrier en permanence ;
au contraire, nous devons nous y adapter. Pour cela, il faut identifier les
productions, les faire reconnaître, notamment leurs
spécificités ; c'est le cas pour l'affinage des fromages
dans des voûtes en pierre. Si nous ne définissons pas ces
productions en rappelant leur identité, les services européens
appliquent la même norme aux petits bergers qui traitent 200 litres de
lait et aux industriels du nord de l'Europe, qui en traitent 2 à 3
millions.
L'élevage des bovins s'est développé
considérablement et la Haute-Corse regroupe actuellement environ
30 000 vaches allaitantes, soit la moitié de toute la Corse et
cinq fois plus qu'au siècle dernier. Des rapports européens ont
discrédité l'agriculture corse car elle était atypique. Or
cet élevage extensif bénéficie de possibilités de
reconnaissance en race corse, dont ont déjà
bénéficié les porcins, les bovins, les caprins et les
ovins. En effet, l'une de nos chèvres possède toutes les
caractéristiques pour être reconnue comme race corse. Pour sa
part, le bovin possède des caractéristiques très fortes,
en termes de rusticité et de qualité des viandes, qui doivent
constituer le support des signes de qualité. Pour les porcins, le
raisonnement est le même ; ceux qui maîtrisent de façon
optimale les conditions de production, proposent des charcuteries peuvent
rivaliser avec les meilleurs.
Nous devons définir notre potentiel dans l'urgence et faire en sorte que
les réglementations européennes ne le fassent pas
disparaître. En effet, dans l'intérieur de la Corse, l'aviculture
maintient la vie dans les villages. Nous souhaiterions que ce
développement se maintienne. Dans ce cadre, lors du débat
à l'Assemblée de Corse, il avait été proposé
de reconnaître l'agrotourisme comme un axe fort de l'amélioration
des revenus des exploitants, en capitalisant les filières en
déprise et en leur permettant de disposer de revenus stables. L'objectif
est de faire migrer les flux du littoral vers l'intérieur, de permettre
aux populations d'être en contact avec les gens qui viennent de
l'extérieur, de s'ouvrir et de prendre conscience que les atouts offerts
par la nature constituent une force, dont les touristes ont envie de profiter.
Les protecteurs du patrimoine seront d'autant plus efficaces qu'ils retireront
un revenu de leur action.
M. Henri Salvat
- Dans le cadre de la loi Montagne de 1985 et du
décret d'application, le massif corse a été défini
comme regroupant les deux départements, la Haute-Corse et la
Corse-du-Sud. Toute la Corse est donc considérée comme une zone
de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry
- Cette définition concerne-t-elle toutes
les communes, y compris celles du littoral ?
M. Henri Salvat
- Oui, y compris Bastia et Ajaccio.
M. Paul Natali
-Le littoral fait partie de la zone de montagne.
M. Henri Salvat
- Le massif corse comprend les deux départements
de Haute-Corse et de Corse-du-Sud. Au sens de la réglementation
européenne de 1974 sur la zone de montagne, la grande majorité
des communes est déclarée en zone de montagne, sauf une vingtaine
de la côté littorale, d'Aléria au sud de Bastia. Pour cette
région, à la demande de la profession, nous avons
sollicité un classement en zone défavorisée. Ce dossier a
été instruit en Corse et transmis aux services parisiens du
ministère de l'agriculture mais n'a pas encore reçu de
réponse favorable. Nous attirons votre attention sur ce point ;
nous souhaitons le classement de l'ensemble de la Corse en zone
défavorisée, au sens de la réglementation
européenne.
M. Paul Natali -
C'est important.
M. Henri Salvat
- Sur les 360 communes de Corse, environ 20 ne sont pas
classées en zone défavorisée ou de montagne. Le dossier
est en instance auprès du ministère à Paris, qui semble
réticent pour répondre favorablement à notre demande.
L'ensemble de la Corse représente 8 700 km
2
, pour une
population de 260 000 habitants, ce qui représente la plus faible
densité de population de France. De plus, la région Corse est la
moins industrialisée de France, l'industrie ne représentant que
6,8 % des emplois, contre 6,1 % pour l'agriculture. Le produit
intérieur brut par habitant est de 82 % de la moyenne
communautaire, soit 7 % de moins que la moyenne nationale.
Par ailleurs, les difficultés rencontrées du fait de
l'insularité ont incité une grande partie de la population
à quitter la Corse au cours des décennies
précédentes, au détriment de la richesse humaine de la
Corse, évolution encore aggravée par les conséquences des
deux guerres mondiales au cours desquelles une grande partie de la population
active a été décimée.
La population a augmenté entre 1990 et 1999, environ de 4 %,
essentiellement du fait du solde migratoire, le solde des naissances et des
décès étant pratiquement nul. De plus, la population corse
est plus âgée que la moyenne nationale. Les perspectives
d'évolution pour les années à venir font que les plus de
60 ans seront plus nombreux que les moins de 20 ans en 2010.
L'été, l'île accueille plus d'un million de visiteurs, pour
un total de 2 millions sur l'ensemble de l'année. Entre 1990 et 1999, le
nombre de touristes a augmenté de 37 % ; ces 2 millions
représentent 26 millions de nuitées, la majorité
étant des touristes continentaux et la durée moyenne d'un
séjour de 14 jours.
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous avons traditionnellement à l'esprit
que la Corse vit du tourisme, de l'agriculture et des services.
Quid
de
l'industrie ?
M. Paul Natali
- Il n'y a plus d'industrie, sauf à Ajaccio, en
milieu littoral. La Corse est aujourd'hui moins industrielle qu'elle ne l'a
été avant guerre. En effet, à l'époque, le bois
était très exploité, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.
Il s'agissait de l'industrie principale, parallèlement aux usines de
tannin ; tout a disparu après-guerre. En matière
d'aviculture, le cedrat avait permis de créer quelques industries.
Aujourd'hui, une seule société subsiste à Ajaccio dans le
domaine des composites ; l'activité reste insignifiante. Tout le
reste relève du domaine tertiaire, de la prestation de service, du
commerce et du tourisme.
M. Henri Salvat
- Il existe aussi des industries agroalimentaires,
notamment fromagères et charcutières.
M. Paul Natali
- Il est vrai que Roquefort est implanté en Corse.
Pour le reste, l'absence de labels fait que les productions sont
consommées localement.
M. Etienne Suzzoni
- Les industries charcutières travaillent sur
des carcasses importées.
M. Paul Natali
- De Bretagne notamment. Cela permet de donner une image
« corse » au produit.
M. Jean-Paul Amoudry
- Sur le plan énergétique,
disposez-vous de barrages hydroélectriques ?
M. Paul Natali
- Nous avons du retard en la matière. En 1987 et
1988, l'Assemblée de Corse avait conventionné avec EDF la
construction de sept barrages, dont un seul a été construit
depuis, sa capacité ayant été augmentée pour
permettre une utilisation industrielle et agricole ; les autres usines
sont thermiques. Nous commençons également à lancer des
expériences en matière d'énergie éolienne, cette
dernière étant très contestée par les populations.
M. Etienne Suzzoni
- En Balagne, le barrage situé près de
l'Ile-Rousse est à sec ; nous ne savons pas comment les touristes
pourront se laver au mois d'août.
M. Paul Natali
- Je pense que l'initiative de l'Office hydraulique, de
vider le barrage au mois de mars pour le nettoyer, n'était pas
très heureuse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Peut-être pouvons-nous évoquer le
Comité de massif ?
M. Jean Faraud
- Le Comité de massif Corse était
présidé par le Préfet de région jusqu'à la
fin de 2001. Il est composé de cinq représentants de la
collectivité territoriale Corse, de deux représentants du Conseil
général de Haute-Corse, de deux représentants du Conseil
général de Corse-du-Sud, de sept représentants des
communes de montagne, de six représentants des établissements
publics consulaires (Chambres d'agriculture, des métiers et de
commerce), d'un représentant de l'ODARC, d'un représentant de
l'Agence de tourisme de Haute-Corse, d'un représentant du Parc naturel
régional, de deux représentants d'associations
agréées en matière de protection de la nature.
Le bilan du fonctionnement du Comité de massif fait apparaître que
son action est circonscrite à l'utilisation des fonds du Fonds National
d'aménagement et du territoire (FNADT) Montagne, soit seulement
300 000 euros par an. Ces fonds sont attribués à des
projets très ponctuels, notamment d'étude.
A partir de 1999, les membres ont choisi de recentrer l'action du Comité
sur des thématiques plus précises, notamment le
développement des loisirs en montagne, principalement l'escalade. Nous
avons adjoint au contrat de plan une sous-mesure du volet tourisme
spécialement consacrée au développement des sports de
pleine nature.
Depuis la loi du 22 janvier, le Comité de massif ne dispose plus des
mêmes prérogatives. Le président du Comité est
maintenant le président du conseil exécutif de la
collectivité territoriale de Corse, cette dernière devant
délibérer pour recomposer le Comité de massif. Enfin, le
mini-budget de 300 000 euros ne sera plus géré par le
Comité de massif mais par la Collectivité territoriale de Corse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pensez-vous que les nouvelles dispositions
législatives de la loi vont conduire le Comité de massif à
ne plus jouer de rôle en matière d'organisation des politiques de
l'île ou à conserver sa place aux côtés des
assemblées territoriales ? Estimez-vous qu'il s'agit d'un outil
intéressant à revitaliser ou estimez-vous que les
assemblées décentralisées suffisent largement pour
l'émission des politiques ?
M. Jean Faraud
- L'existence du Comité de massif est
intéressante au niveau consultatif car il est spécialisé
sur la zone de montagne. Le Comité de massif représente donc la
voix de la montagne et peut donc avoir un vrai rôle consultatif
vis-à-vis de l'Assemblée territoriale. En revanche, la question
de la gestion des fonds ne constitue pas une nécessité absolue.
M. Jean-Paul Amoudry
- La présidence du Comité de massif
par le Préfet vous paraissait-elle satisfaisante ?
M. Jean Faraud
- La loi stipule que le Comité de massif n'est
dorénavant présidé que par le président du Conseil
exécutif de la collectivité territoriale.
M. Jean-Paul Amoudry -
Il s'agit de l'objectif que nous avons
fixé pour la présidence des autres Comités de massif. Nous
souhaitons que la présidence soit exercée par un élu local.
M. Henri Salvat
- Jusqu'à présent, le Comité de
massif corse n'avait qu'un rôle limité à la distribution
des crédits. La politique se décidait donc soit au niveau de
l'Assemblée de Corse (avant sa mise en oeuvre par le Conseil
exécutif), soit au niveau de l'Etat ; les décisions
étaient prises dans le cadre du contrat de plan Etat/Région ou
dans le cadre du document unique de programmation (DOCUP). Le Comité de
massif ne parvenait donc pas à trouver sa véritable place. Le
fait que la présidence du Comité revienne au président du
Conseil exécutif assure une plus grande cohérence.
M. Paul Natali
- De plus, l'enveloppe distribuée par le
Comité de massif n'était pas toujours consommée.
M. Henri Salvat
- Les financements étaient marginaux.
M. Jean-Paul Amoudry
-Vous avez évoqué l'agriculture,
l'élevage, l'artisanat et le tourisme. Dans ce dernier domaine, quelle
est la situation au niveau des structures d'accueil ? Par ailleurs,
comment voyez-vous l'avenir des structures d'accueil hivernal ?
M. Paul Natali -
Nous ne disposons d'aucune structure véritable
en la matière, même si quelques gîtes communaux et des
auberges de montagne ont été construits depuis quatre ou cinq
ans ; le tout reste très artisanal et familial, les
propriétaires étant en majorité des éleveurs.
Le principal problème est la circulation au sein des villages, qui n'est
pas toujours possible pour les autocars par exemple. Plus
généralement, nous avons beaucoup de retard en matière de
structures autoroutières, comme dans les secteurs de l'eau et de
l'assainissement.
Certains villages ne regroupent que 10 à 20 personnes, ce qui conduit
à un morcellement des communes très important. Ainsi, le maire du
village où habite le président de la SAFER ferme son village
durant l'hiver avec des barbelés, afin d'empêcher les vaches d'y
accéder. Sur les 186 communes de montagne, 50 environ sont
véritablement victimes d'une désertification complète.
M. Jean-Paul Amoudry
-Visiblement, aucun village ne dispose de
remontées mécaniques.
M. Paul Natali
- En effet. Les deux tentatives en la matière ont
été rejetées par l'Europe à cause des financements.
Au mois de février, les Corses se rendent sur le continent pour skier. A
l'intérieur, nous nous situons au niveau le plus bas des régions
de montagne du territoire national.
M. Jean-Paul Amoudry
-
Quid
de la collectivité en zone de
montagne ?
M. Paul Natali
- Nous sentons quelques prémices mais les
financements sont encore insignifiants, alors que certaines communes sont
exsangues sur le plan financier.
M. Henri Salvat
- Dans l'ensemble de la Corse, 20 % des exploitants
agricoles exercent une pluri-activité, soit 740 sur les 3 600 que
compte l'île.
M. Etienne Suzzoni
- Les 3 600 exploitants ne correspondent pas
à autant d'unités professionnelles ; il faut donc être
prudent en matière de chiffres. En fait, on parle d'unité
professionnelle à partir de 3,5 hectares d'agrumes ou d'1,5 hectare de
vignes ; dans ces conditions, leur nombre n'est que de 1 800 alors
que nous étions 15 000 il y a 25 ou 30 ans. La chute a
été vertigineuse. Il faut à tout prix permettre une
stabilisation des arrêts des exploitations et une dynamisation de
l'installation, grâce à la diversification. Aujourd'hui, le statut
d'agriculteur reconnaît difficilement la pluri-activité,
même si des évolutions se produisent en la matière.
M. Paul Natali -
Il serait important de reconnaître la
pluri-activité, notamment sous la forme d'aides.
M. Etienne Suzzoni
- Il faut prendre en compte la réalité
des chiffres.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pensez-vous que l'arrêt de la disparition
du nombre des exploitations agricoles passe par une aide à
l'installation des mono-actifs ou, au contraire, faut-il favoriser la
pluri-activité, notamment l'agrotourisme ? Quel est le profil type
de l'exploitant pluri-actif ?
M. Etienne Suzzoni
- Il s'agit d'une activité de production
agricole liée à au tourisme.
M. Jean-Paul Amoudry
- Ce sont donc les fermes auberges.
M. Henri Salvat
- Certains salariés, commerçants ou
professions libérales exercent également une activité
agricole. Parallèlement, les agriculteurs qui ont une activité
touristique restent agriculteurs en termes d'activité principale, le
tourisme n'étant qu'un prolongement de cette dernière (chambres
d'hôtes, fermes auberges, gîte rural). L'avenir de la Corse de
l'intérieur ne peut se concevoir que si une diversification intervient
en matière d'activités touristiques. Il faut que la Corse de
l'intérieur puisse profiter des touristes qui ne visitent principalement
que le littoral.
M. Jean-Paul Amoudry
- Cela passe par une reconnaissance et une
amélioration du régime de la pluri-activité.
M. Paul Natali
- Oui.
M. Jean-Paul Amoudry
- Dans certaines régions de France, la
pluri-activité n'est plus fortement demandée, par exemple dans
certaines zones de Haute-Savoie, alors que c'était encore le cas il y a
dix ou quinze ans. En fait, les agriculteurs ont fait des choix. En revanche,
dans d'autres régions, il nous est demandé une reconnaissance du
statut du pluri-actif. Nous avons d'ailleurs posé la question à
Hervé Gaymard, qui est l'un des plus grands spécialistes de la
question. La pluri-activité est donc un élément
important, dans le cadre de la diversification, au même titre que le
versement d'une aide à l'installation.
M. Etienne Suzzoni
- Il s'agit de compléter le revenu de
l'agriculteur lorsque la filière ne permet pas de retirer un revenu
décent, comme dans le cas de la culture des châtaigniers.
L'agriculteur peut ainsi disposer de revenus complémentaires grâce
aux services ou à l'agrotourisme. Par exemple, il suffit de capitaliser
un exploitant agricole pour qu'il ait les moyens d'héberger et d'obtenir
un revenu d'appoint lui permettant de poursuivre son activité agricole.
Parallèlement, il existe aussi des personnes qui travaillent dans les
services mais qui sont propriétaires d'une châtaigneraie ou d'une
oliveraie ; ces personnes peuvent émarger au contrat de plan pour
effectuer une rénovation.
M. Paul Natali -
Cela reste marginal.
M. Etienne Suzzoni
- Personne ne cherche à les exclure mais ces
gens ne constituent pas le support d'une véritable activité.
M. Paul Natali
- Il s'agit surtout de passionnés.
M. Etienne Suzzoni
- Dans certaines filières, la fonction de
production ne suffit pas à garantir un revenu décent ; il
est donc indispensable de disposer d'un complément pour maintenir
l'activité. Ainsi, je pense qu'il faudrait mener une politique de
région pour les filières en déclin, comme les
châtaigniers ou les caprins. Il faut faire en sorte que les exploitants
disposent d'un revenu d'appoint, compatible avec leur métier. Pour
l'instant, il n'y a pas d'hébergement possible en montagne, alors que
les chambres d'hôtes sont un moyen intéressant pour les touristes
d'accéder à un village, de rencontrer un éleveur et de
connaître la façon dont il travaille.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous propose d'aborder l'environnement, les
paysages et les risques naturels.
M. Henri Salvat
- Les priorités retenues en matière de
protection de l'environnement sont notamment le traitement des déchets.
La collecte sélective est mise en place actuellement, dans le cadre du
contrat de plan. Un autre effort doit être poursuivi au niveau de
l'assainissement des eaux usées, tant sur le littoral que dans la Corse
de l'intérieur.
Par ailleurs, nous devons faire face au problème de la gestion de la
ressource en eau. En effet, nous rencontrons des problèmes de stockage
de l'eau brute et de transfert, tant pour l'irrigation que pour l'eau potable.
Ainsi, cette année, nous avons dû installer une unité de
dessalement de l'eau de mer au Cap Corse, cette région n'étant
alimentée par aucune source. Nous devons également prendre en
compte le problème des incendies.
M. Paul Natali
- En matière d'environnement, la matière
première de la Corse est constituée par ses richesses en eau et
en forêts, zones qui devraient être exploitées et
valorisées mais qui sont malheureusement presque abandonnées et
livrées aux incendiaires, ce qui entraîne des dégâts
très importants au cours de l'été, notamment lorsque les
vents soufflent fort. Le pastoralisme n'est pas assez actif dans les zones que
nous devrions protéger et valoriser.
M. Etienne Suzzoni
- Plus globalement, le problème est celui de
la maîtrise du foncier. Dans le système pastoral, le
propriétaire terrien entretenait son bien et le mettait à
disposition, sur la base de conventions verbales, à des éleveurs
transhumants. La société était donc organisée de
façon particulièrement précise. Aujourd'hui, l'exode et
l'absence d'abattoirs ou de structures de développement conduisent
à un élevage extensif non-maîtrisé. La
mutualité sociale agricole (MSA) Corse a constaté que l'assise
foncière de l'exploitation agricole n'était plus
constituée que du cheptel.
En fait, des titres ont été donnés aux agriculteurs ;
à l'intérieur de la Corse, la déprise et l'indivision sont
telles, qu'il n'est plus possible de retrouver les propriétaires. Pour
les zones plus proches du littoral ou les zones urbaines, la valeur
foncière des terres agricoles est telle que personne ne souhaite
aliéner le bien à un agriculteur car cela entraîne la
non-constructibilité de la zone. Nous n'avons pas de définition
des zones ; les plans d'urbanisme ne sont pas en place ; nous ne
disposons pas de schémas de cohérence territoriaux et encore
moins de schéma régional.
Nous faisons face à un problème de politique
générale Corse. La résidence secondaire, qui est un levier
du développement, notamment dans les zones touristiques, constitue un
marché non négligeable, même s'il s'agit parfois d'un sujet
de violence au niveau politique. C'est pourquoi il faudrait définir
précisément les zones, constructibles ou non.
M. Paul Natali
- Nous ne disposons d'aucun schéma
d'aménagement.
M. Henri Salvat
- Un schéma a été adopté en
1997 mais il est toujours en projet car il n'a jamais été
agréé.
M. Etienne Suzzoni
- Dans le domaine du foncier, l'indivision
pèse sur les zones agricoles en déprise et nous devons aussi
faire face au problème de l'urbanisation sur les zones agricoles non
définies proches des zones urbaines ou du littoral. Nous avons donc des
difficultés à maîtriser le foncier et à donner des
assises cohérentes aux exploitations. Les propriétaires qui ne
sont plus résidents laissent des espaces considérables en friche,
ce qui en fait la proie des flammes l'été et constitue une menace
pour les exploitations. De plus, l'impression d'abandon donne une mauvaise
image de la Corse aux touristes. Il est donc nécessaire de fixer les
choses au travers d'un schéma régional d'aménagement. Nous
rejoignons les questions liées à la gestion des paysages :
quelle urbanisation souhaitons-nous ?
M. Paul Natali
- Tout doit être repris à zéro. Sur
le littoral, certaines zones se développent plus que d'autres car elles
sont limitrophes des villes, notamment Bastia. Les terrains y ont pris des
valeurs très importantes. Auparavant, il s'agissait de zones
essentiellement agricoles ; aujourd'hui, seules quelques vignes
subsistent. Tout est laissé à l'abandon car les
propriétaires souhaitent en tirer profit en vendant ces terrains
constructibles.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pourrions-nous évoquer la
viticulture ? Dans ce domaine, il existe des AOC, ce qui nécessite
une identification très précise des parcelles concernées.
Quel est le nombre d'hectares consacrés à la viticulture ?
M. Etienne Suzzoni
- Sur l'ensemble de la Corse, la viticulture
représente 8 000 hectares de vignes, dont 2 500 en AOC, les
autres étant vinifiés en vin de pays ou vin de table. Le total de
la production est de 350 000 hectolitres, pour 100 000
hectolitres d'AOC. La crise que traverse la viticulture nationale touche
également la Corse, notamment le vin de pays sur les marchés
anglo-saxons. Tous ces produits qui ne disposent pas d'une identité
forte liée au terroir rencontrent des problèmes importants,
même si l'offre émane de deux grosses coopératives qui
maîtrisent les savoir faire. En fait, il suffirait de trouver un
marché de 60 000 hectolitres pour que la crise soit
réglée. A cet effet, le secteur viticole a demandé
à la région d'intervenir pour l'aider à prendre des parts
de marché chez un gros faiseur. Pour l'instant, nous n'avons reçu
aucune réponse.
M. Paul Natali
- Comme d'habitude.
M. Etienne Suzzoni
- Dans la viticulture AOC, les fers de lance sont les
petits vignerons qui bénéficient d'une très bonne image.
Les AOC sont décomposées en neuf appellations d'origine :
une générique (Calvi, Sartène, Figari, Cap Corse,
Porto-Vecchio), deux appellations locales (Patrimonio et Ajaccio), qui ont des
contraintes plus importantes, notamment en matière
d'encépagement. Depuis 1993, une nouvelle appellation est apparue, celle
de Muscat du Cap Corse. Au sein d'une filière dotée de signes de
qualité, les professionnels sont obligés de s'entendre et de
maîtriser leur production ; la valeur ajoutée est donc plus
importante, ce qui n'est pas toujours le cas dans d'autres filières.
M. Jean-Paul Amoudry
- La plaine orientale n'accueille-t-elle que des
vins de pays et des vins de table ?
M. Etienne Suzzoni
- Des AOC y sont aussi produits : 50 % des
100 000 hectolitres sont produits sur la plaine orientale.
Parallèlement, le Cap Corse ne regroupe que quatre exploitants qui
produisent environ 4 000 hectolitres ; Patrimonio est la
deuxième appellation après l'appellation générique
et représente 13 000 hectolitres, contre 8 000 pour Calvi, de
7 000 à 8 000 pour Ajaccio, 5 000 pour Sartène,
3 000 pour Figari et 3 000 hectolitres pour Porto-Vecchio.
M. Jean-Paul Amoudry
- La crise actuelle frappe-t-elle l'ensemble des
vins ?
M. Etienne Suzzoni -
Elle touche essentiellement la zone orientale,
où sont produits 50 000 hectolitres d'AOC et 250 000 de
vin de pays et de vin de table. Le marché insulaire est
surprotégé car il bénéficie d'une
exonération de TVA pour les produits consommés sur
l'île ; la viticulture a pu ainsi rester maître de son
marché, qui est de 160 000 hectolitres. Nous sommes quasiment en
situation de monopole puisque les touristes qui nous rendent visite souhaitent
boire des vins corses.
M. Jean-Paul Amoudry
- Etes-vous concernés par la
procédure Natura 2000 ?
M. Paul Natali
- Oui.
M. Etienne Suzzoni
- Dans ce domaine, je reste très
réservé sur la part qui est revenue à la Corse. En effet,
54 habitats naturels ont été choisis, sur une soixantaine au
niveau national ; la part affectée à la Corse est donc
considérable. De fait, nous avons l'impression que l'Europe impose
à la nation certains sites en termes de quotas. Je suis sceptique car
les contraintes qui sont liées à la procédure sont
importantes et pourraient constituer des freins au développement et
à la vie dans ces milieux.
M. Paul Natali
- Ce sont des zones qui sont constamment
incendiées.
M. Etienne Suzzoni
- On nous demande de ne pas intervenir sur ces zones
du fait de la présence d'espèces animales rares ; or ces
espaces brûlent car ils ne sont pas entretenus. La profession agricole
est inquiète en la matière.
M. Jean-Paul Amoudry
- J'imagine que ces 54 habitats sont
répartis largement en montagne.
M. Etienne Suzzoni
-Oui, même si certains sont situés sur
le littoral. Les maires des petites communes considèrent que cela
constitue un avantage.
M. Jean-Paul Amoudry
- L'accueil des élus est donc parfois
favorable.
M. Etienne Suzzoni
- Oui. En revanche, les exploitants agricoles se
posent des questions. Peut-être devrons-nous bientôt enlever nos
vaches de l'estive ? Il existe une inquiétude dans ce domaine,
même si tout le monde se veut rassurant par ailleurs.
M. Jean-Paul Amoudry
- Les élus ont-ils eu connaissance des
modalités de versement des aides disponibles pour gérer ces
espaces ?
M. Etienne Suzzoni
- Actuellement, aucune aide n'est versée.
C'est la raison de l'inquiétude.
M. Paul Natali
- Une enquête a été effectuée
sur Natura 2000, qui fait apparaître que, sur 34 communes
consultées en Corse-du-Sud et 9 en Haute-Corse, 25 n'ont pas
répondu, 5 communes ont répondu favorablement sans
réserve, 7 communes ont répondu favorablement avec réserve
et 5 communes défavorablement. Les maires ne sont donc pas
sensibilisés aux avantages ou aux conséquences de ces
classements. Les maires considèrent que le plus important est le
développement urbanistique de certaines zones qui avaient
été figées. De fait, des propositions de classement ont
été effectuées de façon quelque peu
cavalière par le directeur de la direction régionale de
l'environnement (DIREN). En fait, les réponses favorables à
l'enquête ont été apportées pour les zones qui se
situent à la périphérie des communes et qui n'ont aucun
intérêt particulier.
M. Jean-Paul Amoudry
- Comment l'existence du parc naturel
régional est-elle vécue ?
M. Paul Natali -
Il commence à prendre forme depuis quatre ou
cinq ans, après des années au cours desquelles son utilité
n'était pas évidente. Pour autant, je pense qu'un important
travail doit encore être effectué, notamment pour favoriser le
développement touristique : ainsi, le parc gère le
GR 20 qui traverse la Corse et qui est fréquenté toute
l'année par de nombreux amateurs, qui perçoivent de façon
favorable l'existence d'un parc naturel.
M. Henri Salvat
-Le Parc régional couvre 350 000 hectares,
143 communes sur un total de 360 et regroupe 27 000 habitants
permanents.
M. Paul Natali
- Il gère également un parc marin.
M. Henri Salvat
- Le parc possède une partie littorale du
côté de Porto. Par la suite, la mise en place de parcs marins est
prévue entre la Corse et la Sardaigne.
M. Paul Natali
- Cela concerne la façade est. J'ai l'impression
que la création d'un parc marin international n'est plus
d'actualité ; les pêcheurs s'y étaient d'ailleurs
opposés car la zone concernée était trop vaste.
M. Jean-Paul Amoudry
- Le parc s'occupe du couvert
végétal ; dispose-t-il de moyens pour prévenir les
incendies de forêt ? Mène-t-il des actions au niveau des
châtaigneraies sur le plan économique ? Intervient-il en
matière d'urbanisme ? Quelles sont ses grandes missions ?
M. Henri Salvat -
Le parc a pour objet de protéger et de
valoriser le patrimoine naturel, culturel et paysager, mais aussi de contribuer
au développement économique, social et culturel, et de la
qualité de vie, ainsi que d'assurer l'accueil, l'éducation et la
formation des publics.
En matière d'incendie, la prévention avait été
prise en compte par la création, au sein du parc, d'un service
« pastoralisme et prévention des incendies ». Depuis
1995, ce service, dont l'objectif était de mettre en oeuvre des moyens
pour conseiller les éleveurs et les dissuader d'avoir recours aux feux,
a été rattaché à l'ODARC. En effet, la
région a considéré que cette action de
« pastoralisme » devait s'inscrire en complément des
actions de mise en valeur de la Corse. Ce service a pour objet de
définir des pratiques culturales, afin que les éleveurs
n'utilisent plus la technique du feu.
En la matière, nous nous heurtons à un problème
important : en effet, les éleveurs qui utilisent le foncier n'en
ont pas la maîtrise et ne peuvent donc pas le mettre en valeur. On
considère que 30 % à 40 % des incendies sont d'origine
pastorale ; ils couvrent 60 % à 70 % des surfaces
brûlées. Le service Pastoralisme mène des
expérimentations
in situ
, afin de diffuser auprès
d'éleveurs volontaires de nouvelles techniques culturales, permettant
d'éviter la propagation des incendies. L'ODARC intervient
également au niveau de la châtaigneraie, afin de financer les
exploitants qui souhaitent engager des rénovations, soit pour produire
des châtaignes, soit pour alimenter les porcins.
M. Paul Natali -
La Corse disposait d'un parc important de
châtaigniers. Aujourd'hui, nous avons l'impression que la
châtaigneraie est retournée à l'état sauvage.
M. Henri Salvat
- A l'origine, la châtaigneraie devait couvrir
entre 20 000 et 25 000 hectares. Aujourd'hui, les surfaces sont toujours
les mêmes mais une grande partie des châtaigniers a disparu,
notamment du fait de maladies. Pour autant, depuis quelques années, nous
constatons un intérêt pour la remise en valeur des
châtaigneraies par les agriculteurs, même si cela ne permet pas
d'atteindre les surfaces initiales.
M. Jean-Paul Amoudry
- Un programme existe-il pour la
châtaigneraie ?
M. Paul Natali
- Un programme européen avait été
lancé à une époque.
M. Henri Salvat
- Des financements FEOGA ont été
versés lors du précédent DOCUP. En fait, le
châtaignier peut être considéré comme un arbre
forestier ou agricole. Le propriétaire de châtaigneraie, qui n'est
pas exploitant agricole, peut donc remettre en valeur la zone en tant que
surface forestière ; pour sa part, un exploitant agricole qui
récolte les châtaignes pour nourrir ses porcins reçoit les
crédits réservés au secteur agricole. Dans tous les cas,
nous souhaitons que le propriétaire qui met en valeur sa
propriété le fasse en relation étroite avec un agriculteur
pour assurer l'exploitation par la suite ; sinon, la démarche est
vouée à l'échec.
M. Etienne Suzzoni
- Des enveloppes importantes ont été
affectées mais elles n'ont pas été consommées car
personne ne pouvait déposer de dossier pour mettre en valeur les
châtaigneraies, du fait de l'absence de maîtrise du foncier. De
plus, les conditions d'accès à ces financements sont souvent
telles que personne n'est éligible. Ainsi, il faut posséder une
surface minimale de 25 hectares, ce qui n'était le cas de personne. Dans
ces zones en déprise, le développement passe par l'animation des
territoires, ce qui nécessite que des hommes portent sur leurs
épaules des démarches structurantes et
fédératrices ; actuellement, nous ne disposons pas de ces
acteurs. Les contrats de plan agricole prévoient 50 millions pour
s'attaquer au problème du foncier mais rien n'est prévu pour
payer des animateurs. Dans tous les cas, pas un centime n'a été
engagé à cette heure.
M. Auguste Cazalet
- Chez nous, les châtaigniers ont disparu,
alors qu'ils constituaient la richesse des exploitations. Nous ramassions les
châtaignes sur des terrains qui ne pouvaient pas être
utilisés pour une autre exploitation. Ensuite, la maladie du
châtaignier est apparue ; nous avons essayé de planter des
châtaigniers japonais, qui ont donné mais il n'existe plus
aujourd'hui de véritable marché aux châtaignes. En fait,
aucun effort n'a été effectué pour enrayer cette chute,
sachant que la consommation s'est réduite. Quand j'étais enfant,
nous partions à l'école avec une poche de châtaignes. Par
ailleurs, il semble que le châtaignier sauvage ne crève pas.
M. Paul Natali
- Des pépinières naturelles se
créent.
M. Auguste Cazalet -
En Corse, il faut que la production soit rentable
pour effectuer de nouvelles plantations de châtaigniers.
M. Paul Natali
- En Corse, dans certaines régions, certaines
populations ont vécu largement grâce à la production de
châtaignes (élevage, farine...), par le biais d'industries
familiales et artisanales, avant l'exode vers les villes.
M. Auguste Cazalet
- Chez nous, nous avions deux catégories de
châtaignes, la rouge et la noire. La première était vendue
plus cher, à des marchands originaires du Lot-et-Garonne. La
châtaigne noire était meilleure à manger ; nous la
faisions griller le soir.
M. Paul Natali
- En Corse, quelques petits artisans ont
créé une industrie du marron glacé, notamment du
côté d'Ajaccio. Pour autant, la production reste très
réduite et ne peut pas être comparée à celle de
l'Ardèche.
M. Auguste Cazalet
- Chez nous, la production était de plusieurs
tonnes par exploitant durant deux ou trois mois.
M. Paul Natali
- Aujourd'hui, la maigre production est livrée aux
porcs.
M. Jean-Paul Amoudry
- On pourrait considérer que cette
filière a tout de même un avenir.
M. Paul Natali
- Cet avenir est très limité.
M. Etienne Suzzoni
- Il s'agit du coeur de nos productions
régionales de montagne. Les châtaigneraies embellissent les
villages et constituent un véritable patrimoine, notamment pour le
tourisme. De plus, les châtaignes servent à finir l'élevage
des porcs coureurs, ce qui nécessite de clôturer les espaces et de
les entretenir.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous pourrions aborder le bilan de
l'activité touristique en zone de montagne. Avez-vous des
éléments à nous livrer en termes de chiffre d'affaires et
de population active concernée ?
M. Henri Salvat
- Sur les 2 millions de visiteurs dont je parlais
précédemment, 5 % à 6 % sont logés
à l'intérieur dans les gîtes ruraux et les fermes
auberges ; le reste est logé sur le littoral. Pour autant, les
personnes qui logent sur le littoral se rendent dans l'intérieur de la
Corse pour passer une journée (GR 20, randonnée, visite de
villages...). En fait, 37 % à 45 % de la population
touristique se rendent à l'intérieur de la Corse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Les collectivités locales se sont-elles
engagées sous différentes formes en la matière ?
M. Henri Salvat
- Très peu.
M. Jean-Paul Amoudry
-En fait, la situation financière des
collectivités locales n'est pas reluisante, comme nous l'a laissé
entendre Paul Natali. Il est vrai que des obligations comme
l'assainissement sont déjà très lourdes à
assumer. Pouvons-nous aborder la politique du conseil régional pour le
développement et l'aménagement des zones de montagne ?
M. Jean Faraud
- Il n'existe pas de politique spécifique
dédiée au massif montagneux, notamment parce que le zonage ne
satisfait pas grand monde et que personne ne se l'approprie afin de distinguer
les deux zones. En fait, dans l'esprit des politiques, la Corse est
scindée en une Corse urbaine (conurbations de Bastia et d'Ajaccio,
Calvi, Porto-Vecchio, Corte, l'Ile-Rousse) et une Corse rurale, dont la
montagne.
Des atouts liés à la montagne doivent être
valorisés ; cela constitue le leitmotiv que l'on retrouve dans tous
les documents politiques du conseil régional. Ces atouts sont notamment
un potentiel environnemental exceptionnel, un riche écosystème,
une ressource en eau abondante et de bonne qualité, un potentiel en
matière d'énergies renouvelables, une absence de pollution
majeure. Nous disposons donc d'un espace qui bénéficie d'un
réel potentiel.
La collectivité a également identifié des leviers de
développement à actionner ou des actions à mettre en
oeuvre sur les territoires ruraux. Elles concernent le financement des
entreprises, les plus petites étant actuellement
sous-capitalisées et disposant de fonds propres très
réduits. Dans ce contexte, la volonté de la collectivité
territoriale est d'apporter une alternative à cette carence de fonds
propres, en investissant dans une société de capital risque, par
la mise en place de prêts d'honneur et d'un dispositif régional de
garanties d'emprunt. La volonté est aussi de mettre au point un
réel dispositif d'appui technique en matière d'élaboration
de projets d'entreprise, ce qui n'existe pas actuellement.
En matière de soutien au tourisme, la politique de la
collectivité repose sur un zonage de la Corse en 20 territoires
pertinents et cohérents, l'objectif étant d'associer des
territoires de montagne à des territoires littoraux. Il existe
également une volonté de faire émerger les dynamiques de
développement, en faisant se rencontrer les acteurs sur les territoires,
grâce à une animation forte et présente sur le long terme.
En matière touristique, la collectivité souhaite la mise en place
de soutiens publics à la création de nouvelles unités
d'hébergement mais aussi le développement des activités de
loisir en zone de montagne (sports d'eau vive, escalade, randonnées...).
Pour le développement de l'agriculture en zone de montagne, la
première des priorités affichées par la
collectivité est la résolution du problème de
l'accès au foncier des exploitants agricoles. La collectivité
souhaite également soutenir significativement les productions
identitaires (châtaignes, charcuterie et fromages fermiers). Nous devons
nous appuyer sur le lien fort dont nous disposons avec le terroir,
c'est-à-dire la montagne. Cette dernière doit devenir le
conservatoire de tous ces savoir faire traditionnels, que la
collectivité doit aider, grâce à un accompagnement des
démarches de certification et de labellisation. Le troisième
objectif fort de la collectivité est de faire participer
l'activité agricole à la prévention en matière
d'incendie, notamment par la gestion des ruminants sur les espaces ouverts.
Par ailleurs, dans le domaine forestier, la collectivité soutient
financièrement les investissements en matière
d'amélioration des peuplements mais aussi d'équipement des
exploitations.
M. Henri Salvat
- Dans le cadre de la loi du 22 janvier 2002, toutes les
forêts domaniales d'Etat ont été transférées
à la collectivité territoriale corse, en propriété
gestion.
M. Paul Natali
- Il s'agissait d'anciennes propriétés
domaniales, qui étaient déjà plus ou moins communales
lorsque l'Etat les a reprises. Je ne pense pas que cela soit une bonne affaire
pour la collectivité territoriale corse ; je vois mal comment le
système va pouvoir fonctionner. Je pense que nous nous faisons trop
d'illusions dans ce domaine.
M. Jean-Paul Amoudry
- S'agit-il de pins maritimes ?
M. Paul Natali
- Il s'agit en partie de pins maritimes, sachant que le
bois a une valeur très faible aujourd'hui. A une époque, la Corse
regroupait encore 30 ou 40 scieries, qui constituaient une industrie
florissante ; aujourd'hui, elles ne sont plus que trois ou quatre sur
l'ensemble de la région et travaillent essentiellement du bois
importé d'Afrique. Lorsque les Domaines passent des appels d'offres, le
bois est pratiquement bradé.
M. Jean-Paul Amoudry
- Dans les Vosges, nous avons constaté que
des bois qui valaient 53 à 61 euros il y a trois ou quatre ans sont
stockés et mouillés et ne valent plus que 4,6 euros le
mètre cube.
M. Paul Natali
- C'est la raison pour laquelle je pense que l'Etat ne
nous a pas fait de cadeau en transférant les forêts domaniales
à la collectivité territoriale corse, qui s'est d'ailleurs
manifestée avec beaucoup d'enthousiasme pour récupérer ce
patrimoine.
M. Jean Faraud
- Le Conseil régional mène également
une action de réhabilitation des villages de l'intérieur. Enfin,
nous constatons qu'il n'y a pas de volet montagne spécifique au sein du
contrat de plan.
M. Jean-Paul Amoudry
- En fait, le thème de la montagne est
réparti au sein du plan.
M. Paul Natali
- Je doute de la volonté politique en
matière de réhabilitation des villages de
l'intérieur ; depuis plusieurs années, nous ne sentons
aucune évolution en la matière. D'ailleurs, les maires n'ont plus
de moyens : la voirie départementale des villages de
l'intérieur est laissée quasiment à l'abandon. De temps en
temps, un kilomètre d'enrobé est réalisé avant les
élections... De plus, le problème de l'eau est souvent
préoccupant au sein des villages, les canalisations étant en
très mauvais état. De même, l'assainissement est
très réduit, ce qui conduit à des rejets dans les
ruisseaux. Globalement, l'intérieur de la Corse nécessite donc un
effort considérable de la part de la collectivité territoriale,
qui doit permettre, grâce aux réhabilitations, d'effectuer des
remises à niveau en matière d'équipements. En effet, ces
derniers pourraient inciter une petite part de la population à revenir
habiter dans les villages de l'intérieur. Enfin, l'indivision conduit
certaines maisons à devenir de véritables ruines ; il
faudrait peut-être prévoir une expropriation et un transfert aux
communes, financé à 100 %, afin de créer des
gîtes communaux ou de petites habitations. Dans nos régions de
montagne, la misère est totale.
M. Jean-Paul Amoudry
- Sur ce dernier point, nous avons reçu
Jacques Combret, président de l'Institut d'études juridiques du
Conseil supérieur du notariat et notaire dans l'Aveyron, avec qui j'ai
évoqué l'indivision, qui constitue aussi une
réalité en Haute-Savoie, conduisant de nombreux bâtiments
à être en ruine. Monsieur Combret m'a indiqué que la
réponse à ce problème était contenue dans la
réforme de la succession sous la forme du droit à
interrogation : un co-héritier peut demander aux autres
héritiers de se positionner sur la valeur d'un bien, ce qui les
empêcherait de bloquer la procédure en ne se manifestant pas. La
procédure permettrait à celui qui souhaite sortir de l'indivision
d'obliger les autres à se prononcer et de passer outre moyennant le
paiement d'une soulte.
M. Paul Natali
- Il faut revoir la loi.
M. Jean-Paul Amoudry
-Nous connaissons trop de cas de ce type. Nous
pourrions donner à un tiers, à la collectivité ou à
la SAFER la possibilité de mettre en demeure quelqu'un de se prononcer.
Nous reprendrons ces éléments dans notre rapport.
M. Paul Natali
- Nous devons faciliter la tâche des communes et
des maires, afin qu'ils trouvent des acquéreurs pour ce patrimoine.
Aujourd'hui, en Corse, nous sommes ankylosés par le système
d'indivision. Le problème ne se pose pas sur le littoral puisque les
acheteurs existent et que l'argent est partagé. En revanche, à
l'intérieur, les terrains sont à l'abandon, livrés aux
éleveurs, ce qui facilite l'action des incendiaires.
M. Jean-Paul Amoudry
- La formule des associations foncières
agricoles, pastorales ou forestières remporte-t-elle un grand
succès ?
M. Paul Natali
- Nous n'en sommes qu'aux prémices en la
matière ; la question est très complexe.
M. Toussaint Felce
- Les éleveurs y sont opposés. En
effet, jusqu'à maintenant, ils ne payaient rien.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je comprends que les propriétaires ne
souhaitent pas se lier.
M. Toussaint Felce
- Les propriétaires pourraient accepter le
principe mais les éleveurs ne le souhaitent pas.
M. Paul Natali
- Le raisonnement est le même pour les abattoirs,
dont la presse locale annonce l'ouverture tous les mois depuis des
décennies ; pour l'instant, aucun abattoir n'a encore
été ouvert.
M. Etienne Suzzoni
- Il faut que ceux qui souhaitent avancer ne soient
pas bloqués par ceux qui le refusent ; c'est pourquoi il faut
mettre en place une animation. La SAFER rencontre les plus grandes
difficultés à obtenir les crédits nécessaires.
M. Paul Natali
- Nous constatons des anomalies grossières.
M. Jean-Paul Amoudry
-Certains départements, par exemple dans les
Pyrénées-Atlantiques, ne connaissent pas la formule, alors que
d'autres, comme l'Ariège ou la Lozère, ont largement
développé ce type de formule. Pour ma part, je préside un
organisme dont le directeur est un animateur qui a permis de monter une
trentaine d'association fruitière pastorale en Haute-Savoie, alors que
le contexte est très individualiste ; cela nous a permis de sauver
notre alpage. Parfois, il faut aller chercher les propriétaires qui
habitent ailleurs et parvenir à résoudre les problèmes qui
se posent.
M. Etienne Suzzoni
- Nous souhaitons que l'Assemblée de Corse se
donne les moyens d'une taxation du foncier à l'abandon. En effet, cela
permettrait d'imposer la rénovation au propriétaire, sachant
qu'il serait exonéré dans le cas inverse.
M. Jean-Paul Amoudry
- La loi prévoit la taxation du foncier non
bâti pour tous les biens inclus dans une association foncière
pastorale ou agricole. Pour cela, nous devons demander au législateur de
renouveler cet avantage, qui avait été consenti dans une loi de
finances il y a cinq ans. Dans le rapport « Pastoralisme »
que nous allons remettre à Hervé Gaymard dans quelques jours,
nous allons renouveler cette demande.
M. Etienne Suzzoni
- Aujourd'hui, le propriétaire est
déjà exonéré puisque le foncier agricole n'est pas
taxé. La taxation ne concerne que les zones qui sont exploitées,
ce qui peut sembler paradoxal. Parallèlement, la friche et l'incendie ne
sont pas taxés.
M. Paul Natali
- La loi « Joxe » avait
autorisé la Corse à prélever des sommes sur les trajets
effectués entre la Corse et le continent, en avion et en bateau,
à raison de 9,15 euros par ticket. Cette enveloppe de 22 850 à
27 500 euros était consacrée à la protection de
l'environnement ; depuis, elle a été intégrée
au budget général de la collectivité territoriale corse et
n'a pas été affectée à l'objectif prévu par
la loi, sans que les préfets ne disent quoi que ce soit.
M. Jean-Paul Amoudry
- L'assainissement fait également partie de
l'environnement. Toutes les communes rurales de montagne ne savent pas financer
les dépenses en matière d'environnement dans les délais
prévus.
M. Paul Natali
- Nous étions classés en Objectif 1 au
niveau des crédits européens, avant d'être
déclassés en Objectif 2 du fait de reliquats d'utilisation
sur les grands programmes d'eau et d'assainissement. Pour autant, la somme
prélevée sur les transports qui devait être
consacrée à l'environnement était importante. L'agence de
l'eau a cofinancé aussi, ainsi que les départements, ce qui
permet de boucler un projet à 80 %.
M. Jean-Paul Amoudry
- Nous allons étudier toutes vos
informations.
M. Paul Natali
- Il faut que vous veniez faire une visite en Corse.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie pour vos contributions verbales
et écrites.