45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (24 juillet 2002)
M.
Jean Paul Amoudry -
Maître Combret, Monsieur le Président de
l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat,
je suis heureux de vous accueillir au Sénat au nom de la Mission
d'information sur la montagne, en vous remerciant de vous être
déplacé à Paris et au Sénat pour apporter votre
contribution à nos travaux. Avant de vous laisser la parole, je voudrais
excuser le Président Jacques Blanc, ainsi que la plupart de mes
collègues qui sont retenus dans d'autres Commissions de travail ce
mercredi matin, chargées de l'examen de textes urgents qui nous sont
soumis dans le cadre de l'agenda politique du gouvernement. Pour autant, je
souhaite évidemment que certains collègues nous rejoignent. Je
vous passe la parole en vous invitant à répondre à la
grille de questions que nous vous avions envoyée à titre
indicatif.
Auparavant, je rappelle que nous achevons pratiquement nos auditions
aujourd'hui. Ces auditions avaient commencé au début du mois
d'avril et leur objectif était, parallèlement aux visites de
terrain effectuées dans différents massifs du pays, d'aboutir
à une analyse de la façon dont les différents textes qui
régissent la montagne ont été appliqués depuis le
début des années 70, pour ce qui concerne la rénovation
rurale, et depuis la loi du 9 janvier 1985, première loi
d'aménagement du territoire. D'autres textes ont également
été appliqués, dont la loi relative à la
solidarité et au renouvellement urbain (SRU), les lois d'orientation sur
les cultures et les forêts ou d'aménagement du territoire ;
tous ces textes gouvernent notre montagne d'une façon un peu
particulière, ce que ressentent les élus et les responsables
locaux, troublés par leur complexité et les difficultés
rencontrées. C'est pourquoi nous souhaitons identifier les
problèmes et apporter des solutions, notamment en simplifiant les
règles.
L'éclairage modeste que je vous propose d'apporter est celui d'un
praticien vivant sur le terrain dans une région particulièrement
concernée par les problèmes dits "de montagne".
Les notaires sont actuellement les seuls juristes encore présents sur la
totalité du territoire français. Cette proximité permet au
notariat d'être particulièrement sensibilisé aux
difficultés de ces régions et donc d'apporter une contribution
à votre réflexion.
Les zones de montagne connaissent d'un côté des difficultés
rencontrées partout ailleurs en zone rurale mais qui se trouvent
exacerbées en zone de montagne et d'autre part quelques
difficultés propres à la montagne. Il est certain qu'un climat
plus rude, une géographie chahutée avec des amplitudes
d'altitudes importantes, un enclavement encore bien trop important ne font que
rendre les conditions de vie plus difficiles en zone de montagne.
Comme convenu, je me limiterai à trois axes principaux: le premier
autour de l'immobilier, le second autour des transmissions d'entreprises, et le
dernier en matière d'aménagement du territoire et plus
particulièrement du maintien et de l'implantation des professions
libérales et indépendantes en zone de montagne.
Concernant l'immobilier, je souhaite évoquer les biens de section que
l'on rencontre en grand nombre dans nos zones de montagne. Dans le cadre de ma
pratique notariale, j'ai relevé à leur sujet plusieurs
difficultés.
La première est souvent d'inventorier les biens de section. Il serait
indispensable, si on doit maintenir la notion de biens de section, de
réaliser un état des lieux par section.
Cela serait un préalable indispensable à la mise en oeuvre
ensuite d'une politique de gestion des biens de section à vocation
agricole.
Cela éviterait les flottements que l'on rencontre aujourd'hui.
On ne sait parfois plus qui exploite, en vertu de quel titre, et à
quelles conditions. Il est de plus en plus difficile de faire
référence aux usages locaux surtout dans les endroits où
la baisse de la population a fait qu'il n'y a pratiquement plus personne pour
transmettre ces usages locaux.
A ce sujet, il serait intéressant de s'interroger sur le suivi juridique
de ces usages locaux.
Depuis combien d'années les recueils d'usages locaux n'ont-ils pas
été réédités? Dans mon département,
sauf erreur de ma part, la dernière édition remonte à
presque un siècle. Qu'est-ce que cela représente lorsqu'il reste
dans une section un ou deux agriculteurs, voire plus d'agriculteur ?
Cette remarque fait ressortir une seconde difficulté ressentie par la
pratique notariale, à savoir dans de nombreux cas la difficulté
de faire juridiquement fonctionner les biens de section et notamment les
commissions syndicales. Tant qu'il ne reste plus qu'un ou deux habitants,
comment faire fonctionner? Quand il y a une majorité d'habitants
non-agriculteurs, notamment titulaires de résidences secondaires,
comment faire raisonnablement fonctionner une section?
Cela amène très directement à se poser la question du
maintien de la notion de biens de section dans de nombreuses communes. Ne
faudrait-il pas encourager, dans de nombreux cas, la suppression des biens de
section pour les intégrer dans le patrimoine communal?
Cette réflexion fait souvent peur car il y a la crainte de perdre des
droits.
Mais il faut distinguer les droits d'exploitation qui pourraient parfaitement
être préservés de la gestion des biens qui pourraient
ressortir directement de la commune. Combien de dossiers traînent ou ne
sont jamais réalisés parce que mettre en place une commission
syndicale pour une toute petite chose est trop lourd pour une petite commune ?
Les notaires font
partie des praticiens qui considèrent que la
lourdeur de toutes les procédures rattachées aux biens de section
est souvent dissuasive pour faire bouger les choses.
Je proposerai de faire un recensement systématique dans chaque commune
des biens de section. Ce recensement systématique devrait
déterminer les utilisateurs actuels mais aussi déterminer des
critères pour des utilisateurs potentiels nouveaux. Cela implique donc
que chaque collectivité ou chaque commission syndicale détermine
des priorités et par suite établisse systématiquement un
cadre pour l'exploitation des biens de section: Qui pourrait être
exploitant ? A quelles conditions ? ... Il faut que l'on en finisse avec
l'à-peu-près, à-peu-près qui, à l'occasion
de successions par exemple, ouvrant un vaste champ aux conflits familiaux ou de
voisinages.
Deuxièmement, je souhaitais dire un mot des difficultés
particulières attachées aux chemins ruraux en zone de montagne et
plus particulièrement dans les secteurs à forte pente. Je pense,
notamment dans ma région, à ce que l'on appelle les travers ou
les "raspes" qui sont ces pentes extrêmement raides entre un plateau et
une vallée profonde.
Les travers sont la plupart du temps aujourd'hui envahis par les taillis. Ils
appartiennent très souvent à des propriétaires
privés.
Mais les petites communes n'ont pas les moyens d'entretenir les chemins ruraux
situés dans ces travers. Ces chemins souffrent plus qu'ailleurs des
difficultés liées à la pente, au climat favorisant
l'érosion. Ils deviennent vite inaccessibles.
Par suite, les terrains sont encore moins exploités qu'ailleurs et les
propriétaires privés s'en désintéressent. On arrive
donc en France à de véritables zones totalement
abandonnées qui peuvent être, notamment dans nos régions,
des foyers extraordinaires pour la propagation d'incendies en période de
sécheresse.
Par suite, une politique forte de soutien des petites communes de zones de
montagne, pour pouvoir entretenir, aménager ou rouvrir les chemins
ruraux afin de faciliter l'accessibilité et l'entretien de ces zones
difficiles, serait indispensable.
Elle permettrait peut-être alors à un certain nombre de
propriétaires privés de s'intéresser à nouveau
à des biens qu'ils ont abandonnés.
Cela m'amène à une autre réflexion issue de la
récente loi sur la Corse. En Corse il y avait un gros problème au
niveau de l'immobilier et des indivisions remontant à des
générations, indivisions jamais régularisées.
On vient de décider de toute une politique destinée à
encourager la régularisation des situations avec des délais pour
réaliser et des avantages fiscaux importants, notamment en
matière de réduction de droits de succession.
Je considère personnellement qu'il n'y a pas qu'en Corse que l'on
rencontre ce type de difficultés.
Je puis attester que dans de nombreuses zones de montagne, et c'est le cas dans
tout le Massif Central, il y a de plus en plus de propriétés
immobilières qui ne sont pas transmises parce qu'elles n'ont plus de
valeur, parce qu'elle sont inaccessibles, parce que parfois on ne sait
même plus où elles sont.
Mon confrère Maître Pottier, Président du Conseil
Général de la Lozère, m'avait communiqué une
délibération du Conseil Général de la Lozère
du 30 janvier 1995 où un conseiller général
lozérien rappelait que dans beaucoup d'endroits où il y avait un
grand morcellement et des zones à réaménager, une des
difficultés était d'arriver à retrouver les
propriétaires.
Dans sa région des Cévennes, il rappelait qu'il y avait des
successions qui attendaient depuis plusieurs générations et
personne ne voulait régulariser la situation car les frais
étaient trop élevés par rapport à des biens sans
valeur.
Je crois que plusieurs des idées avancées pour la Corse
pourraient parfaitement s'appliquer dans de nombreuses zones de montagne.
Au-delà du coût de règlement des successions jugé
trop élevé par rapport à la valeur du patrimoine, il se
pose plus généralement la question du coût de ce que nous
appelons " les petits actes ". Dans nos zones de montagne, les notaires
accomplissent sans doute plus encore qu'ailleurs une mission de service public
en réalisant de nombreux actes portant sur des biens de faible valeur.
Pour eux, il s'agit d'actes réalisés à perte et pourtant
les clients jugent les frais réclamés trop élevés.
Ils ont raison. En raison du coût, de nombreux actes ne sont par suite
jamais réalisés. Certes il existe une aide pour les
échanges ruraux mais tout ne se passe pas par échange!
Plus globalement et plus simplement, ne pourrait-on pas envisager une aide en
défiscalisant plus largement les petits actes (ne pas se limiter
à une exonération de timbres par exemple) voir en aidant par une
prime ou tout autre moyen les frais de ces petits actes?
Un mot en complément pour les chemins ruraux, modifier un tracé
représente un coût élevé pour une
collectivité. En raison de ce coût, soit le projet est
abandonné, soit il est réalisé sur le terrain, mais sans
être suivi d'une régularisation sur le plan juridique avec tous
les risques que cela comporte.
Avant de passer au second sujet, je voudrais également dire un mot d'une
difficulté pratique récente que nous rencontrons:
La loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE) a
imposé une immatriculation de toutes les sociétés civiles
avant le 1
er
novembre 2002.
Faute de le faire, ces sociétés civiles perdront leur
personnalité morale et cela sera source de toute une série de
conséquences juridiques graves.
Les notaires s'inquiètent du caractère systématique de
cette exigence et du bref délai qui a été accordé
pour régulariser.
Ils comprennent et soutiennent l'idée d'immatriculer
systématiquement les sociétés civiles. Mais ils regrettent
que l'on n'ait pas pris en compte toutes les situations.
Cela vise plus particulièrement les zones rurales et notamment les zones
de montagne où l'on a beaucoup de groupements forestiers. Ces
groupements forestiers ont été constitués il y a de
longues années afin de favoriser le regroupement de parcelles de bois
disséminées et difficilement accessibles. Mais il s'agit souvent
de bois sans valeur. ²
Le fonctionnement de ces groupements forestiers est extrêmement
limité et dans de nombreux cas, il n'y a pas de suivi juridique. A
l'occasion de successions ou de donations partages, les clients oublient
l'existence de parts de groupements forestiers et les transmissions
successorales ne sont pas constatées.
Ces groupements forestiers ont souvent été constitués
avant 1978, c'est à dire à une époque où il n'y
avait pas d'immatriculation obligatoire. Aujourd'hui, pour immatriculer, il
faut déposer des statuts à jour.
Mais comment déposer des statuts à jour, c'est à dire avec
une liste complète des associés, quand il y a des dizaines
d'associés, que nombre d'entre eux sont décédés et
que l'on ignore qui sont les héritiers actuels. Il y a là une
difficulté que visiblement le législateur n'a pas
envisagé.
En matière de transmission d'entreprises, les aides, il faut bien
l'avouer, sont relativement limitées et se réduisent à une
réduction des droits de mutation en matière d'acquisition de
fonds de commerce et de clientèle.
La mesure a été appréciée et on peut
considérer que son impact est favorable. Il en est de même pour
les acquisitions d'immeubles ruraux réalisées par les jeunes
agriculteurs. Au delà de quelques aides en matière de
transmission d'entreprises, il y a également des aides en matière
de création d'entreprises, et je pense notamment à certaines
exonérations d'imposition sur les bénéfices en faveur
d'entreprises nouvelles ou d'exonérations temporaires de taxe
professionnelle.
Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Les avantages fiscaux ne font pas
tout. Je prendrai une illustration avec les biens d'habitation. Il est
prévu que, dans les zones de revitalisation rurale, les conseils
généraux peuvent instituer un abattement sur la taxe
départementale. Très peu ont utilisé cette faculté.
Il y avait six départements en 2001 et il n'y en a plus que cinq en l'an
2002, à savoir la Manche, la Marne, la Saône et Loire, le Calvados
et l'Isère. Vous constaterez qu'il n'y en a pas beaucoup en zone de
montagne !
Je comprends parfaitement cette attitude des départements car une baisse
des droits ne fait pas acheter plus. On achète un bien à usage
d'habitation parce que l'on en a besoin. On en a notamment besoin si on a du
travail sur place. Et si l'on parle d'aides aux entreprises, beaucoup trop
d'aides sont liées à la création ou au démarrage,
mais cessent ensuite comme si ensuite les problèmes disparaissaient. Or,
en zone de montagne, les problèmes ne disparaîtront pas. Les
routes resteront ce qu'elles sont. Le climat restera ce qu'il est.
L'enclavement restera ce qu'il est.
Je prendrai pour illustration les tentatives dans de nombreuses petites
communes de mettre en place un multiple rural. On fait de beaux locaux, on
trouve un repreneur, on l'aide au début. Puis on oublie.
Les gens du village qui ont soutenu au départ, reprennent vite les
mauvaises habitudes en allant vers le supermarché le plus proche et ne
va au multiple rural que celui qui ne peut pas faire autrement.
L'affaire tournera mal.
En réalité, si on veut soutenir les entreprises en zone de
montagne, il faut très certainement sortir des schémas classiques
et imaginer des solutions nouvelles. Il y a un rôle social du petit
commerce et du maintien d'une vie locale. Ce rôle social va durer dans le
temps. Il faut donc l'aider dans le temps. Peut-on imaginer l'idée d'une
rémunération minimale ou d'aides pérennisées dans
le temps ?
Plus globalement, sur toutes les questions de vie en zone de montagne, tout ce
qui favorisera une aide étalée dans le temps et à
caractère permanent plutôt que les aides ponctuelles sera à
privilégier.
J'ajouterai un mot sur un handicap plus développé qu'ailleurs en
zone de montagne: celui des cessions d'entreprises locales rachetées par
des groupes nationaux. Cela a des conséquences multiples sur le terrain.
On ne laisse sur place que des exécutants le plus souvent à
faibles revenus. Partent à l'extérieur les pouvoirs
d'administration et de direction avec tout le personnel qui y est
attaché. En outre, dans presque tous les cas, les professionnels locaux
(experts-comptables, notaires, assureurs, banquiers, etc.) perdent le dossier,
alors qu'il s'agissait souvent pour eux de leur « gros dossier » ou
de l'un de leur dossier les plus importants.
En matière d'aménagement du territoire et plus
particulièrement du maintien des implantations des professions
libérales ou indépendantes, le lien est très net avec ce
qui précède. Si on veut encourager le maintien d'une
activité économique en zone de montagne, c'est la totalité
de la structure sociale qui est à soutenir. Je disais au début de
mon intervention que les notaires restaient la seule profession juridique
encore implantée sur l'ensemble du territoire. Mais j'aurai envie de
dire, pour combien de temps ? Nous habitons des départements magnifiques
et pourtant nous avons beaucoup de mal à attirer de jeunes
confrères.
Nous avons encore plus de mal à attirer des collaborateurs
qualifiés. Le phénomène devient véritablement
angoissant. Mais il n'est pas particulier à nous. On le retrouve
également dans toutes les professions médicales. Tout
récemment, j'apprenais qu'à Mur de Barrez (canton du Nord -
Aveyron), le seul chirurgien dentiste était parti et il n'est pas
remplacé. Voilà donc un canton entier isolé qui se trouve
sans chirurgien dentiste. Je pense à tel autre endroit de mon
département où un médecin quitte sa commune et ne trouve
pas de remplaçant. Les exemples sont là encore en train de se
multiplier.
Il y a des raisons qui sont extérieures à nos zones de montagne.
On a tellement limité le nombre de médecins qu'aujourd'hui il n'y
en a pas assez; c'est par priorité dans les zones de montagne qu'ils
sont de moins en moins nombreux. De la même manière, on ne trouve
plus de médecin spécialistes voulant s'installer dans les bourgs
centre des zones de montagne. Ainsi, dans le nord Aveyron, pour trouver un
médecin spécialiste, il faut venir à Rodez qui est souvent
à plus d'une heure de trajet. Et, même à Rodez, on ne
trouve pas de remplaçant pour tous les spécialistes.
Il y a également des motifs liés à nos zones de montagne:
dispersion de la population, longues distances, éloignement des centres:
par exemple, lorsqu'un professionnel libéral recherche un stagiaire, il
a de plus en plus de mal à trouver car les jeunes se trouvent trop loin
des grands centres universitaires. Autre exemple, celui des pharmacies; elles
sont, en zone de montagne, souvent éloignées les unes des autres.
L'organisation des tours de garde a pour conséquence d'obliger des temps
de parcours très long pour atteindre la pharmacie de garde la plus
proche. Tout comme pour les petits artisans ou petits commerçants, il
faut imaginer des incitations pour les professions libérales,
incitations non limitées dans le temps.
A titre d'exemple, il existe dans les communes de moins de 2000 habitants une
possibilité d'exonérer de taxe professionnelle les
médecins et auxiliaires médicaux. Mais, ne peuvent en
bénéficier que les professionnels qui s'installent pour la
première fois. L'exonération est limitée aux deux
années suivant l'installation. Le système encourt un double
reproche
Pourquoi exclure un professionnel qui veut s'installer en zone de montagne au
motif qu'il aurait déjà exercé son activité
ailleurs ?
Pourquoi limiter l'exonération aux deux premières années
alors que les difficultés d'exercice resteront les mêmes ensuite ?
Mais il ne faut pas que cela devienne la course à la prime. Il faut
encourager celui qui acceptera de rester un certain temps. Plusieurs pistes
peuvent être explorées. On peut penser notamment à des
exonérations de cotisations sociales en cas d'embauche d'un jeune
stagiaire sous réserve qu'en contrepartie le salaire soit majoré
afin de faire face aux frais de déplacement engendrés par
l'éloignement des centres universitaires.
Enfin, cette question de l'éloignement des centres universitaires qui
est récurrente serait moins cruciale si le désenclavement des
zones de montagnes s'accélérait. Or, on constate au contraire un
ralentissement à titre d'exemple, la RN 88 reliant Toulouse à
Lyon et traversant toute une partie du Massif Central devait être
aménagée à quatre voies et il s'avère qu'à
chaque plan, les délais annoncés sont plus en plus longs.
M. Jean-Paul Amoudry -
Je vous remercie pour votre contribution. Les
points que vous avez évoqués correspondent à ce que nous
avons ressenti lors de nos visites, notamment dans le Massif Central mais aussi
lors des auditions. Vous pointez de façon pertinente les
problèmes auxquels nous devons apporter les réponses les plus
urgentes, si nous souhaitons mettre fin à l'hémorragie
constatée. En effet, nous vivons une sorte de deuxième exode
rural, qui risque cette fois-ci d'être irréversible. A une
époque, cet exode avait pour cause la recherche de nouveaux modes de
vie, sachant que certains n'avaient évidemment pas le choix ;
aujourd'hui, nous pourrions continuer à vivre dans nos régions.
Le fait que certains ne le fassent pas montre que les pouvoirs publics ne
savent pas apporter de réponses ou mettre en place les conditions du
maintien, du fait d'une absence de prise de conscience politique. A travers
notre rapport, nous nous efforcerons de susciter cette prise de conscience.
Concernant les sections de commune, j'ai noté vos suggestions, notamment
leur suppression sans pour autant faire disparaître les droits qui y sont
attachés. Dans ce domaine, un groupe de travail sur le pastoralisme,
auquel je participe, a commencé à apporter des solutions à
ces problématiques complexes. Le rapport qui sera déposé
dans quelques jours auprès du ministre de l'agriculture, Monsieur
Gaymard, consacre quelques développements à ces sujets. De plus,
une étude sur la question des biens de section a été
diligentée par l'ancien gouvernement, avec le concours de l'Association
des maires de France ; elle doit toujours se situer dans le circuit
interministériel. Il existe donc une actualité de cette question
en termes de réflexion et d'études préalables, ce qui ne
doit pas nous conduire à en dissimuler la complexité.
Par ailleurs, votre exposé a évoqué l'abandon de l'espace
et des territoires, ainsi que de ses conséquences au niveau de votre
profession. Ce sujet est évoqué également au sein du
rapport sur le pastoralisme. Pour votre part, pensez-vous que la mise en place
d'une prescription pourrait être imaginée ? Dans mon village
de montagne, je suis personnellement témoin de l'existence d'une
propriété foncière, immobilière et
forestière, qui est dans une situation d'indivision depuis 1974 :
les bâtiments sont en ruine, la forêt est malade. Personne
n'intervient. Le notaire effectue une gestion très modeste, en
autorisant la coupe d'une ou deux essences de bois malades, et engrange les
produits très faibles de la succession. Les terrains sont
exploités de façon très extensive, ce qui n'est pas
satisfaisant. Je me demandais si, après dix ou vingt ans d'abandon, il
ne serait pas possible d'ouvrir une procédure, conduisant à
l'émission d'un avis aux héritiers connus ou inconnus de bien
vouloir se manifester ; la procédure pourrait alors permettre
d'offrir un prix, afin que le bien entre dans le patrimoine communal,
intercommunal ou départemental. Ainsi, les collectivités
pourraient récupérer la forêt ; les terres pourraient
être proposées à des particuliers par
l'intermédiaire de la SAFER. Cela nous permettrait de ne pas attendre
des décennies, alors que ces biens deviennent dangereux avec le temps,
notamment parce qu'ils peuvent propager des maladies du bois. Pour ma part, je
serais favorable, après un délai raisonnable, à la mise en
place d'une procédure quelque peu interventionniste.
Par ailleurs, dans la loi d'orientation forestière, un amendement a
été déposé pour alléger le prix des actes
des notaires passés dans le cadre des transmissions de parcelles
forestières. Notre réflexion va se rapprocher de celle qui a
été conduite lors de l'adoption de la loi d'orientation
forestière. En tout cas, nous ferons d'autres suggestions en la
matière.
Effectivement, l'hémorragie des professions libérales en milieu
rural me conduit à souligner que, parallèlement au
désenclavement, il se pose la question de l'assouplissement de la loi ou
de la façon de l'appliquer. En effet, dans le département du
Cantal, nous avons pu constater que certains médecins qui font la
démarche de s'installer dans des petits bourgs buttent finalement sur
des règlements d'urbanisme qui leur interdisent de le faire.
L'application rigide de la loi est une sorte de non-sens, voire
d'imbécillité.
Maître Jacques Combret -
Je ne propose pas la suppression globale
des sections. En effet, dans certains cas, de véritables sections
existent, notamment lorsque les communes sont relativement vastes, par exemple
à cheval sur deux vallées ou une vallée et un plateau. En
revanche, lorsque la section est très réduite, nous pouvons la
supprimer, ce qui pourrait conduire toutefois à faire perdre des droits.
Il faut donc déconnecter la notion de section, administrative,
permettant aux habitants d'un village de disposer d'un patrimoine privé
difficile à gérer, de la gestion pratique elle-même, qui
peut faire l'objet d'un cahier des charges et qui peut revenir à la
collectivité.
Lorsque je prépare une transmission rurale, il n'est pas rare que la
propriété se situe en zone non constructible. Certains enfants
sont prêts à laisser leurs frères ou leurs soeurs reprendre
la propriété mais ils souhaitent utiliser une partie du terrain
pour construire une autre maison, ce qu'ils ne peuvent pas faire car ils ne
sont pas agriculteurs. Cela allègerait pourtant la soulte que doit
verser l'attributaire de la propriété. Il est vrai que cela
pourrait ouvrir la porte à la fraude, certains choisissant de revendre
le terrain aussitôt à quelqu'un d'autre. Pour autant, je pense que
dans certains cas, des règlements familiaux ou des installations se
traiteraient plus facilement si des exceptions étaient possibles. (comme
dans votre exemple pour qu'un médecin puisse s'installer dans le
Cantal). La rigueur des textes s'accommode mal de la situation de nos
régions. J'approuve tout à fait votre idée dans le cadre
des règlements familiaux.
Par ailleurs, la prescription ne me semble pas forcément la solution
à adopter. En fait, la piste que vous ouvrez l'a déjà
été dans le cadre du deuxième volet de la réforme
des successions, texte qui est purement technique. Au sein de cette
réforme, une disposition pourrait débloquer quelques cas :
l'action interrogatoire. Actuellement, la succession est souvent bloquée
parce que l'un des héritiers est introuvable ou ne souhaite pas se
prononcer ; pour autant, il est rare que 100 % soient passifs. Or
dans le cadre du droit actuel, je ne peux pas forcer les héritiers
à prendre parti : si quelqu'un souhaite se venger d'un ancien
contentieux familial, il peut très bien le faire en ne prenant pas parti
ou en ne répondant pas au notaire. Dans le projet de réforme des
successions, il est prévu une action interrogatoire : un seul
héritier pourrait demander aux autres de se prononcer, sachant que ces
derniers seraient considérés comme renonçant à la
succession s'ils refusaient de s'exprimer. Je pense que cela permettrait de
résoudre un grand nombre de cas d'indivision. Le notariat appelle donc
de tous ses voeux la concrétisation de cette excellente initiative du
Sénat.
Vous évoquiez le cas d'un notaire qui essayait de faire effectuer
quelques travaux sur une propriété ; on pourrait penser
qu'il a pour cela obtenu l'accord de tous les indivisaires. En
réalité, je pense que cela n'est pas le cas et que ce notaire a
exercé un pouvoir qu'il n'a pas. Dans le deuxième volet de la
réforme sur les successions, il est aussi prévu que le notaire
puisse être investi d'un mandat judiciaire en cas de blocage, afin
éventuellement d'encaisser des sommes et de payer des dépenses,
ce que nous ne pouvons pas faire actuellement.
On pourrait nous objecter l'existence de la procédure des biens vacants
et sans maître. Toutefois, la succession ne peut pas être
considérée comme vacante à partir du moment où les
héritiers sont connus ; de plus, la procédure en question
est extrêmement lourde et les services fiscaux et les Domaines ont
d'autres préoccupations. Elle ne constitue donc sans doute pas le
meilleur moyen pour une collectivité de s'en sortir. Au lieu d'une
prescription, il faudrait donc pouvoir engager une action interrogatoire,
c'est-à-dire donner un pouvoir à la collectivité, afin de
constater qu'une propriété ou une forêt ne sont pas
exploitées, ou qu'une maison menace de s'écrouler. La
collectivité aurait le pouvoir de mettre en demeure les héritiers
connus de s'entendre, en leur rappelant qu'ils risquent sinon de perdre leurs
droits au bout de cinq ans. Cela ne me choquerait pas du tout. En la
matière, une réflexion doit être menée, même
si cela induit une forte évolution du droit de la
propriété.
Enfin, en matière d'associations foncières, la seule
expérience que je connais est celle des groupements forestiers et des
groupements fonciers agricoles que nous avons créés dans les
zones rurales. Dans le sud de l'Aveyron, il y a 25 à 30 ans, nous avions
tenté de créer des groupements fonciers agricoles investisseurs,
en collaboration avec le Crédit Agricole. Des groupements fonciers
agricoles (GFA) viticoles ont fonctionné, un temps seulement ;
aujourd'hui, les personnes qui sont encore au sein de GFA ne parviennent pas
à en sortir. Lorsque les terres sont sans valeur, la mise en commun ne
peut aller que dans le bon sens. Les groupements forestiers ont permis de
mettre en place un plan d'ensemble d'aménagement, avant l'intervention
de l'Office national des forêts, et d'assurer un suivi minimum.
M. Jean-Paul Amoudry
- Quel est votre sentiment d'expert du droit sur
l'application de la loi d'urbanisme ? Dans mon département,
plusieurs communes ont mis en place des plans d'occupation des sols depuis 20
à 25 ans, qui ont été successivement
révisés. Dans le courant ces années 90, le juge
administratif a durci sa manière d'appliquer la loi Montagne, au
prétexte qu'elle n'était pas respectueuse de la loi de 1985. De
fait, certains plans d'occupation des sols ont été annulés
par le juge et les préfets ont été invités à
accompagner les communes dans leurs efforts de retrait de certaines zones
constructibles, en vertu de la proscription du mitage ou de la construction en
discontinu. A la fin des années 90, certains partages familiaux avaient
été réalisés sur la base de plans d'occupation des
sols annulés, lorsque des recours avaient été
déposés. En effet, la plupart des communes ont entrepris ces
révisions, en retirant des droits. Dans certains cas, les partages
familiaux ont été réglés ; les ayant droit se
sont vus reconnaître des droits à construire. Or, lors du
renouvellement du certificat d'urbanisme, les ayant droit ont appris que leur
terrain était devenu inconstructible. Cette situation équivaut
à une forme d'expropriation sans indemnités puisque, dans le
partage, le notaire a acté le prix de chacun des lots, permettant un
équilibre entre tous les héritiers. Quelques années
après, on constate que la ferme a pris de la valeur mais que les
terrains ne valent plus rien. Les situations de ce type sont assez nombreuses.
Il s'agit d'une atteinte au droit le plus essentiel de la
propriété.
J'ai écrit aux autorités administratives, qui ne m'ont pas
répondu sur la notion de spoliation et d'expropriation. Ces
autorités m'ont simplement indiqué que le versement
éventuel d'une indemnité incomberait de toute façon
à la commune, sous l'autorité de laquelle se situe le plan
d'occupation des sols. Je trouve cette lecture invraisemblable puisque le
processus a été enclenché par la loi et les
décisions de justice, sous l'impulsion du préfet ; l'Etat ne
peut donc pas se dérober. Cela constitue un problème très
grave, qui est à la fois pénalisant pour les individus et les
collectivités locales. L'attitude de l'Etat n'est pas qualifiable dans
ce domaine. Quel est votre sentiment sur le plan juridique ?
Maître Jacques Combret
- Vous évoquez une question
sensible. La Haute-Savoie est une terre d'accueil qui gagne de la
population ; le marché du foncier devient effroyablement cher. Or,
sans remettre en cause la beauté des paysages, je pense que nous
pourrions encore trouver des terrains. En matière d'urbanisme, il faut
sans doute arrêter de mettre en place des textes contraignants et
théoriques qui ont un effet contraire à celui qui est
souhaité en matière d'aménagement du territoire. Cela
constitue une véritable difficulté, qui conduit à refuser
à un membre de la famille de construire une maison sur la
propriété au motif qu'il n'est pas agriculteur. Des
évolutions sont possibles en la matière.
Par ailleurs, la position de l'administration ne me surprend pas ; en
effet, les plans d'occupation des sols ne donnent pas de droits acquis. Le
terrain à bâtir aujourd'hui peut donc devenir un terrain
gelé demain, sans que le propriétaire puisse prétendre
à une indemnisation. De plus, il est vrai que la commune doit
payer ; pour autant, cette collectivité n'a pas la liberté
de décider de retirer des droits. Je crains fort que ce problème
soit difficile à résoudre.
Nous pourrions donc plutôt réfléchir à mieux
protéger les droits acquis. Dans tous les cas, il ne faudrait pas que le
terrain devienne inconstructible du jour au lendemain, surtout pour des motifs
qui ne dépendent pas de la collectivité qui avait
décidé au départ de le rendre constructible.
Peut-être pourrions-nous imaginer une expérimentation dans les
zones de montagne, sachant que cette difficulté est également
rencontrée dans d'autres régions et que l'Etat sera toujours
réticent à verser de l'argent.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je conviens que cela serait folie de
considérer que des indemnités doivent être versées.
Pour autant, toute expropriation doit donner lieu à un juste
dédommagement. Dans tous les cas, les droits acquis ayant donné
lieu à des actes authentiques, créateurs de droits, et au
versement d'impôts, assis sur un terrain reconnu constructible, ne
doivent pas conduire à la spoliation. Je considère qu'il s'agit
d'une atteinte majeure aux droits les plus fondamentaux.
Maître Jacques Combret
- Nous pourrions explorer une piste
intermédiaire. Ainsi, nous avons allongé la durée de
validité des certificats d'urbanisme. Nous pourrions garantir la
constructibilité d'un terrain pour dix ans seulement ; cela
inciterait l'héritier à investir. De plus, ce type de pistes ne
coûterait pas cher à l'Etat.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie infiniment pour votre
contribution.