45. Audition de Maître Jacques Combret, notaire à Rodez, président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat (24 juillet 2002)

M. Jean Paul Amoudry - Maître Combret, Monsieur le Président de l'Institut d'études juridiques du Conseil supérieur du notariat, je suis heureux de vous accueillir au Sénat au nom de la Mission d'information sur la montagne, en vous remerciant de vous être déplacé à Paris et au Sénat pour apporter votre contribution à nos travaux. Avant de vous laisser la parole, je voudrais excuser le Président Jacques Blanc, ainsi que la plupart de mes collègues qui sont retenus dans d'autres Commissions de travail ce mercredi matin, chargées de l'examen de textes urgents qui nous sont soumis dans le cadre de l'agenda politique du gouvernement. Pour autant, je souhaite évidemment que certains collègues nous rejoignent. Je vous passe la parole en vous invitant à répondre à la grille de questions que nous vous avions envoyée à titre indicatif.

Auparavant, je rappelle que nous achevons pratiquement nos auditions aujourd'hui. Ces auditions avaient commencé au début du mois d'avril et leur objectif était, parallèlement aux visites de terrain effectuées dans différents massifs du pays, d'aboutir à une analyse de la façon dont les différents textes qui régissent la montagne ont été appliqués depuis le début des années 70, pour ce qui concerne la rénovation rurale, et depuis la loi du 9 janvier 1985, première loi d'aménagement du territoire. D'autres textes ont également été appliqués, dont la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU), les lois d'orientation sur les cultures et les forêts ou d'aménagement du territoire ; tous ces textes gouvernent notre montagne d'une façon un peu particulière, ce que ressentent les élus et les responsables locaux, troublés par leur complexité et les difficultés rencontrées. C'est pourquoi nous souhaitons identifier les problèmes et apporter des solutions, notamment en simplifiant les règles.

L'éclairage modeste que je vous propose d'apporter est celui d'un praticien vivant sur le terrain dans une région particulièrement concernée par les problèmes dits "de montagne".

Les notaires sont actuellement les seuls juristes encore présents sur la totalité du territoire français. Cette proximité permet au notariat d'être particulièrement sensibilisé aux difficultés de ces régions et donc d'apporter une contribution à votre réflexion.

Les zones de montagne connaissent d'un côté des difficultés rencontrées partout ailleurs en zone rurale mais qui se trouvent exacerbées en zone de montagne et d'autre part quelques difficultés propres à la montagne. Il est certain qu'un climat plus rude, une géographie chahutée avec des amplitudes d'altitudes importantes, un enclavement encore bien trop important ne font que rendre les conditions de vie plus difficiles en zone de montagne.

Comme convenu, je me limiterai à trois axes principaux: le premier autour de l'immobilier, le second autour des transmissions d'entreprises, et le dernier en matière d'aménagement du territoire et plus particulièrement du maintien et de l'implantation des professions libérales et indépendantes en zone de montagne.

Concernant l'immobilier, je souhaite évoquer les biens de section que l'on rencontre en grand nombre dans nos zones de montagne. Dans le cadre de ma pratique notariale, j'ai relevé à leur sujet plusieurs difficultés.

La première est souvent d'inventorier les biens de section. Il serait indispensable, si on doit maintenir la notion de biens de section, de réaliser un état des lieux par section.

Cela serait un préalable indispensable à la mise en oeuvre ensuite d'une politique de gestion des biens de section à vocation agricole.

Cela éviterait les flottements que l'on rencontre aujourd'hui.

On ne sait parfois plus qui exploite, en vertu de quel titre, et à quelles conditions. Il est de plus en plus difficile de faire référence aux usages locaux surtout dans les endroits où la baisse de la population a fait qu'il n'y a pratiquement plus personne pour transmettre ces usages locaux.

A ce sujet, il serait intéressant de s'interroger sur le suivi juridique de ces usages locaux.

Depuis combien d'années les recueils d'usages locaux n'ont-ils pas été réédités? Dans mon département, sauf erreur de ma part, la dernière édition remonte à presque un siècle. Qu'est-ce que cela représente lorsqu'il reste dans une section un ou deux agriculteurs, voire plus d'agriculteur ?

Cette remarque fait ressortir une seconde difficulté ressentie par la pratique notariale, à savoir dans de nombreux cas la difficulté de faire juridiquement fonctionner les biens de section et notamment les commissions syndicales. Tant qu'il ne reste plus qu'un ou deux habitants, comment faire fonctionner? Quand il y a une majorité d'habitants non-agriculteurs, notamment titulaires de résidences secondaires, comment faire raisonnablement fonctionner une section?

Cela amène très directement à se poser la question du maintien de la notion de biens de section dans de nombreuses communes. Ne faudrait-il pas encourager, dans de nombreux cas, la suppression des biens de section pour les intégrer dans le patrimoine communal?

Cette réflexion fait souvent peur car il y a la crainte de perdre des droits.

Mais il faut distinguer les droits d'exploitation qui pourraient parfaitement être préservés de la gestion des biens qui pourraient ressortir directement de la commune. Combien de dossiers traînent ou ne sont jamais réalisés parce que mettre en place une commission syndicale pour une toute petite chose est trop lourd pour une petite commune ? Les notaires font partie des praticiens qui considèrent que la lourdeur de toutes les procédures rattachées aux biens de section est souvent dissuasive pour faire bouger les choses.

Je proposerai de faire un recensement systématique dans chaque commune des biens de section. Ce recensement systématique devrait déterminer les utilisateurs actuels mais aussi déterminer des critères pour des utilisateurs potentiels nouveaux. Cela implique donc que chaque collectivité ou chaque commission syndicale détermine des priorités et par suite établisse systématiquement un cadre pour l'exploitation des biens de section: Qui pourrait être exploitant ? A quelles conditions ? ... Il faut que l'on en finisse avec l'à-peu-près, à-peu-près qui, à l'occasion de successions par exemple, ouvrant un vaste champ aux conflits familiaux ou de voisinages.

Deuxièmement, je souhaitais dire un mot des difficultés particulières attachées aux chemins ruraux en zone de montagne et plus particulièrement dans les secteurs à forte pente. Je pense, notamment dans ma région, à ce que l'on appelle les travers ou les "raspes" qui sont ces pentes extrêmement raides entre un plateau et une vallée profonde.

Les travers sont la plupart du temps aujourd'hui envahis par les taillis. Ils appartiennent très souvent à des propriétaires privés.

Mais les petites communes n'ont pas les moyens d'entretenir les chemins ruraux situés dans ces travers. Ces chemins souffrent plus qu'ailleurs des difficultés liées à la pente, au climat favorisant l'érosion. Ils deviennent vite inaccessibles.

Par suite, les terrains sont encore moins exploités qu'ailleurs et les propriétaires privés s'en désintéressent. On arrive donc en France à de véritables zones totalement abandonnées qui peuvent être, notamment dans nos régions, des foyers extraordinaires pour la propagation d'incendies en période de sécheresse.

Par suite, une politique forte de soutien des petites communes de zones de montagne, pour pouvoir entretenir, aménager ou rouvrir les chemins ruraux afin de faciliter l'accessibilité et l'entretien de ces zones difficiles, serait indispensable.

Elle permettrait peut-être alors à un certain nombre de propriétaires privés de s'intéresser à nouveau à des biens qu'ils ont abandonnés.

Cela m'amène à une autre réflexion issue de la récente loi sur la Corse. En Corse il y avait un gros problème au niveau de l'immobilier et des indivisions remontant à des générations, indivisions jamais régularisées.

On vient de décider de toute une politique destinée à encourager la régularisation des situations avec des délais pour réaliser et des avantages fiscaux importants, notamment en matière de réduction de droits de succession.

Je considère personnellement qu'il n'y a pas qu'en Corse que l'on rencontre ce type de difficultés.

Je puis attester que dans de nombreuses zones de montagne, et c'est le cas dans tout le Massif Central, il y a de plus en plus de propriétés immobilières qui ne sont pas transmises parce qu'elles n'ont plus de valeur, parce qu'elle sont inaccessibles, parce que parfois on ne sait même plus où elles sont.

Mon confrère Maître Pottier, Président du Conseil Général de la Lozère, m'avait communiqué une délibération du Conseil Général de la Lozère du 30 janvier 1995 où un conseiller général lozérien rappelait que dans beaucoup d'endroits où il y avait un grand morcellement et des zones à réaménager, une des difficultés était d'arriver à retrouver les propriétaires.

Dans sa région des Cévennes, il rappelait qu'il y avait des successions qui attendaient depuis plusieurs générations et personne ne voulait régulariser la situation car les frais étaient trop élevés par rapport à des biens sans valeur.

Je crois que plusieurs des idées avancées pour la Corse pourraient parfaitement s'appliquer dans de nombreuses zones de montagne.

Au-delà du coût de règlement des successions jugé trop élevé par rapport à la valeur du patrimoine, il se pose plus généralement la question du coût de ce que nous appelons " les petits actes ". Dans nos zones de montagne, les notaires accomplissent sans doute plus encore qu'ailleurs une mission de service public en réalisant de nombreux actes portant sur des biens de faible valeur. Pour eux, il s'agit d'actes réalisés à perte et pourtant les clients jugent les frais réclamés trop élevés. Ils ont raison. En raison du coût, de nombreux actes ne sont par suite jamais réalisés. Certes il existe une aide pour les échanges ruraux mais tout ne se passe pas par échange!

Plus globalement et plus simplement, ne pourrait-on pas envisager une aide en défiscalisant plus largement les petits actes (ne pas se limiter à une exonération de timbres par exemple) voir en aidant par une prime ou tout autre moyen les frais de ces petits actes?

Un mot en complément pour les chemins ruraux, modifier un tracé représente un coût élevé pour une collectivité. En raison de ce coût, soit le projet est abandonné, soit il est réalisé sur le terrain, mais sans être suivi d'une régularisation sur le plan juridique avec tous les risques que cela comporte.

Avant de passer au second sujet, je voudrais également dire un mot d'une difficulté pratique récente que nous rencontrons:

La loi sur les nouvelles régulations économiques (loi NRE) a imposé une immatriculation de toutes les sociétés civiles avant le 1 er novembre 2002.

Faute de le faire, ces sociétés civiles perdront leur personnalité morale et cela sera source de toute une série de conséquences juridiques graves.

Les notaires s'inquiètent du caractère systématique de cette exigence et du bref délai qui a été accordé pour régulariser.

Ils comprennent et soutiennent l'idée d'immatriculer systématiquement les sociétés civiles. Mais ils regrettent que l'on n'ait pas pris en compte toutes les situations.

Cela vise plus particulièrement les zones rurales et notamment les zones de montagne où l'on a beaucoup de groupements forestiers. Ces groupements forestiers ont été constitués il y a de longues années afin de favoriser le regroupement de parcelles de bois disséminées et difficilement accessibles. Mais il s'agit souvent de bois sans valeur. ²

Le fonctionnement de ces groupements forestiers est extrêmement limité et dans de nombreux cas, il n'y a pas de suivi juridique. A l'occasion de successions ou de donations partages, les clients oublient l'existence de parts de groupements forestiers et les transmissions successorales ne sont pas constatées.

Ces groupements forestiers ont souvent été constitués avant 1978, c'est à dire à une époque où il n'y avait pas d'immatriculation obligatoire. Aujourd'hui, pour immatriculer, il faut déposer des statuts à jour.

Mais comment déposer des statuts à jour, c'est à dire avec une liste complète des associés, quand il y a des dizaines d'associés, que nombre d'entre eux sont décédés et que l'on ignore qui sont les héritiers actuels. Il y a là une difficulté que visiblement le législateur n'a pas envisagé.

En matière de transmission d'entreprises, les aides, il faut bien l'avouer, sont relativement limitées et se réduisent à une réduction des droits de mutation en matière d'acquisition de fonds de commerce et de clientèle.

La mesure a été appréciée et on peut considérer que son impact est favorable. Il en est de même pour les acquisitions d'immeubles ruraux réalisées par les jeunes agriculteurs. Au delà de quelques aides en matière de transmission d'entreprises, il y a également des aides en matière de création d'entreprises, et je pense notamment à certaines exonérations d'imposition sur les bénéfices en faveur d'entreprises nouvelles ou d'exonérations temporaires de taxe professionnelle.

Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Les avantages fiscaux ne font pas tout. Je prendrai une illustration avec les biens d'habitation. Il est prévu que, dans les zones de revitalisation rurale, les conseils généraux peuvent instituer un abattement sur la taxe départementale. Très peu ont utilisé cette faculté. Il y avait six départements en 2001 et il n'y en a plus que cinq en l'an 2002, à savoir la Manche, la Marne, la Saône et Loire, le Calvados et l'Isère. Vous constaterez qu'il n'y en a pas beaucoup en zone de montagne !

Je comprends parfaitement cette attitude des départements car une baisse des droits ne fait pas acheter plus. On achète un bien à usage d'habitation parce que l'on en a besoin. On en a notamment besoin si on a du travail sur place. Et si l'on parle d'aides aux entreprises, beaucoup trop d'aides sont liées à la création ou au démarrage, mais cessent ensuite comme si ensuite les problèmes disparaissaient. Or, en zone de montagne, les problèmes ne disparaîtront pas. Les routes resteront ce qu'elles sont. Le climat restera ce qu'il est. L'enclavement restera ce qu'il est.

Je prendrai pour illustration les tentatives dans de nombreuses petites communes de mettre en place un multiple rural. On fait de beaux locaux, on trouve un repreneur, on l'aide au début. Puis on oublie.

Les gens du village qui ont soutenu au départ, reprennent vite les mauvaises habitudes en allant vers le supermarché le plus proche et ne va au multiple rural que celui qui ne peut pas faire autrement.

L'affaire tournera mal.

En réalité, si on veut soutenir les entreprises en zone de montagne, il faut très certainement sortir des schémas classiques et imaginer des solutions nouvelles. Il y a un rôle social du petit commerce et du maintien d'une vie locale. Ce rôle social va durer dans le temps. Il faut donc l'aider dans le temps. Peut-on imaginer l'idée d'une rémunération minimale ou d'aides pérennisées dans le temps ?

Plus globalement, sur toutes les questions de vie en zone de montagne, tout ce qui favorisera une aide étalée dans le temps et à caractère permanent plutôt que les aides ponctuelles sera à privilégier.

J'ajouterai un mot sur un handicap plus développé qu'ailleurs en zone de montagne: celui des cessions d'entreprises locales rachetées par des groupes nationaux. Cela a des conséquences multiples sur le terrain. On ne laisse sur place que des exécutants le plus souvent à faibles revenus. Partent à l'extérieur les pouvoirs d'administration et de direction avec tout le personnel qui y est attaché. En outre, dans presque tous les cas, les professionnels locaux (experts-comptables, notaires, assureurs, banquiers, etc.) perdent le dossier, alors qu'il s'agissait souvent pour eux de leur « gros dossier » ou de l'un de leur dossier les plus importants.

En matière d'aménagement du territoire et plus particulièrement du maintien des implantations des professions libérales ou indépendantes, le lien est très net avec ce qui précède. Si on veut encourager le maintien d'une activité économique en zone de montagne, c'est la totalité de la structure sociale qui est à soutenir. Je disais au début de mon intervention que les notaires restaient la seule profession juridique encore implantée sur l'ensemble du territoire. Mais j'aurai envie de dire, pour combien de temps ? Nous habitons des départements magnifiques et pourtant nous avons beaucoup de mal à attirer de jeunes confrères.

Nous avons encore plus de mal à attirer des collaborateurs qualifiés. Le phénomène devient véritablement angoissant. Mais il n'est pas particulier à nous. On le retrouve également dans toutes les professions médicales. Tout récemment, j'apprenais qu'à Mur de Barrez (canton du Nord - Aveyron), le seul chirurgien dentiste était parti et il n'est pas remplacé. Voilà donc un canton entier isolé qui se trouve sans chirurgien dentiste. Je pense à tel autre endroit de mon département où un médecin quitte sa commune et ne trouve pas de remplaçant. Les exemples sont là encore en train de se multiplier.

Il y a des raisons qui sont extérieures à nos zones de montagne. On a tellement limité le nombre de médecins qu'aujourd'hui il n'y en a pas assez; c'est par priorité dans les zones de montagne qu'ils sont de moins en moins nombreux. De la même manière, on ne trouve plus de médecin spécialistes voulant s'installer dans les bourgs centre des zones de montagne. Ainsi, dans le nord Aveyron, pour trouver un médecin spécialiste, il faut venir à Rodez qui est souvent à plus d'une heure de trajet. Et, même à Rodez, on ne trouve pas de remplaçant pour tous les spécialistes.

Il y a également des motifs liés à nos zones de montagne: dispersion de la population, longues distances, éloignement des centres: par exemple, lorsqu'un professionnel libéral recherche un stagiaire, il a de plus en plus de mal à trouver car les jeunes se trouvent trop loin des grands centres universitaires. Autre exemple, celui des pharmacies; elles sont, en zone de montagne, souvent éloignées les unes des autres. L'organisation des tours de garde a pour conséquence d'obliger des temps de parcours très long pour atteindre la pharmacie de garde la plus proche. Tout comme pour les petits artisans ou petits commerçants, il faut imaginer des incitations pour les professions libérales, incitations non limitées dans le temps.

A titre d'exemple, il existe dans les communes de moins de 2000 habitants une possibilité d'exonérer de taxe professionnelle les médecins et auxiliaires médicaux. Mais, ne peuvent en bénéficier que les professionnels qui s'installent pour la première fois. L'exonération est limitée aux deux années suivant l'installation. Le système encourt un double reproche

Pourquoi exclure un professionnel qui veut s'installer en zone de montagne au motif qu'il aurait déjà exercé son activité ailleurs ?

Pourquoi limiter l'exonération aux deux premières années alors que les difficultés d'exercice resteront les mêmes ensuite ?

Mais il ne faut pas que cela devienne la course à la prime. Il faut encourager celui qui acceptera de rester un certain temps. Plusieurs pistes peuvent être explorées. On peut penser notamment à des exonérations de cotisations sociales en cas d'embauche d'un jeune stagiaire sous réserve qu'en contrepartie le salaire soit majoré afin de faire face aux frais de déplacement engendrés par l'éloignement des centres universitaires.

Enfin, cette question de l'éloignement des centres universitaires qui est récurrente serait moins cruciale si le désenclavement des zones de montagnes s'accélérait. Or, on constate au contraire un ralentissement à titre d'exemple, la RN 88 reliant Toulouse à Lyon et traversant toute une partie du Massif Central devait être aménagée à quatre voies et il s'avère qu'à chaque plan, les délais annoncés sont plus en plus longs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie pour votre contribution. Les points que vous avez évoqués correspondent à ce que nous avons ressenti lors de nos visites, notamment dans le Massif Central mais aussi lors des auditions. Vous pointez de façon pertinente les problèmes auxquels nous devons apporter les réponses les plus urgentes, si nous souhaitons mettre fin à l'hémorragie constatée. En effet, nous vivons une sorte de deuxième exode rural, qui risque cette fois-ci d'être irréversible. A une époque, cet exode avait pour cause la recherche de nouveaux modes de vie, sachant que certains n'avaient évidemment pas le choix ; aujourd'hui, nous pourrions continuer à vivre dans nos régions. Le fait que certains ne le fassent pas montre que les pouvoirs publics ne savent pas apporter de réponses ou mettre en place les conditions du maintien, du fait d'une absence de prise de conscience politique. A travers notre rapport, nous nous efforcerons de susciter cette prise de conscience.

Concernant les sections de commune, j'ai noté vos suggestions, notamment leur suppression sans pour autant faire disparaître les droits qui y sont attachés. Dans ce domaine, un groupe de travail sur le pastoralisme, auquel je participe, a commencé à apporter des solutions à ces problématiques complexes. Le rapport qui sera déposé dans quelques jours auprès du ministre de l'agriculture, Monsieur Gaymard, consacre quelques développements à ces sujets. De plus, une étude sur la question des biens de section a été diligentée par l'ancien gouvernement, avec le concours de l'Association des maires de France ; elle doit toujours se situer dans le circuit interministériel. Il existe donc une actualité de cette question en termes de réflexion et d'études préalables, ce qui ne doit pas nous conduire à en dissimuler la complexité.

Par ailleurs, votre exposé a évoqué l'abandon de l'espace et des territoires, ainsi que de ses conséquences au niveau de votre profession. Ce sujet est évoqué également au sein du rapport sur le pastoralisme. Pour votre part, pensez-vous que la mise en place d'une prescription pourrait être imaginée ? Dans mon village de montagne, je suis personnellement témoin de l'existence d'une propriété foncière, immobilière et forestière, qui est dans une situation d'indivision depuis 1974 : les bâtiments sont en ruine, la forêt est malade. Personne n'intervient. Le notaire effectue une gestion très modeste, en autorisant la coupe d'une ou deux essences de bois malades, et engrange les produits très faibles de la succession. Les terrains sont exploités de façon très extensive, ce qui n'est pas satisfaisant. Je me demandais si, après dix ou vingt ans d'abandon, il ne serait pas possible d'ouvrir une procédure, conduisant à l'émission d'un avis aux héritiers connus ou inconnus de bien vouloir se manifester ; la procédure pourrait alors permettre d'offrir un prix, afin que le bien entre dans le patrimoine communal, intercommunal ou départemental. Ainsi, les collectivités pourraient récupérer la forêt ; les terres pourraient être proposées à des particuliers par l'intermédiaire de la SAFER. Cela nous permettrait de ne pas attendre des décennies, alors que ces biens deviennent dangereux avec le temps, notamment parce qu'ils peuvent propager des maladies du bois. Pour ma part, je serais favorable, après un délai raisonnable, à la mise en place d'une procédure quelque peu interventionniste.

Par ailleurs, dans la loi d'orientation forestière, un amendement a été déposé pour alléger le prix des actes des notaires passés dans le cadre des transmissions de parcelles forestières. Notre réflexion va se rapprocher de celle qui a été conduite lors de l'adoption de la loi d'orientation forestière. En tout cas, nous ferons d'autres suggestions en la matière.

Effectivement, l'hémorragie des professions libérales en milieu rural me conduit à souligner que, parallèlement au désenclavement, il se pose la question de l'assouplissement de la loi ou de la façon de l'appliquer. En effet, dans le département du Cantal, nous avons pu constater que certains médecins qui font la démarche de s'installer dans des petits bourgs buttent finalement sur des règlements d'urbanisme qui leur interdisent de le faire. L'application rigide de la loi est une sorte de non-sens, voire d'imbécillité.

Maître Jacques Combret - Je ne propose pas la suppression globale des sections. En effet, dans certains cas, de véritables sections existent, notamment lorsque les communes sont relativement vastes, par exemple à cheval sur deux vallées ou une vallée et un plateau. En revanche, lorsque la section est très réduite, nous pouvons la supprimer, ce qui pourrait conduire toutefois à faire perdre des droits. Il faut donc déconnecter la notion de section, administrative, permettant aux habitants d'un village de disposer d'un patrimoine privé difficile à gérer, de la gestion pratique elle-même, qui peut faire l'objet d'un cahier des charges et qui peut revenir à la collectivité.

Lorsque je prépare une transmission rurale, il n'est pas rare que la propriété se situe en zone non constructible. Certains enfants sont prêts à laisser leurs frères ou leurs soeurs reprendre la propriété mais ils souhaitent utiliser une partie du terrain pour construire une autre maison, ce qu'ils ne peuvent pas faire car ils ne sont pas agriculteurs. Cela allègerait pourtant la soulte que doit verser l'attributaire de la propriété. Il est vrai que cela pourrait ouvrir la porte à la fraude, certains choisissant de revendre le terrain aussitôt à quelqu'un d'autre. Pour autant, je pense que dans certains cas, des règlements familiaux ou des installations se traiteraient plus facilement si des exceptions étaient possibles. (comme dans votre exemple pour qu'un médecin puisse s'installer dans le Cantal). La rigueur des textes s'accommode mal de la situation de nos régions. J'approuve tout à fait votre idée dans le cadre des règlements familiaux.

Par ailleurs, la prescription ne me semble pas forcément la solution à adopter. En fait, la piste que vous ouvrez l'a déjà été dans le cadre du deuxième volet de la réforme des successions, texte qui est purement technique. Au sein de cette réforme, une disposition pourrait débloquer quelques cas : l'action interrogatoire. Actuellement, la succession est souvent bloquée parce que l'un des héritiers est introuvable ou ne souhaite pas se prononcer ; pour autant, il est rare que 100 % soient passifs. Or dans le cadre du droit actuel, je ne peux pas forcer les héritiers à prendre parti : si quelqu'un souhaite se venger d'un ancien contentieux familial, il peut très bien le faire en ne prenant pas parti ou en ne répondant pas au notaire. Dans le projet de réforme des successions, il est prévu une action interrogatoire : un seul héritier pourrait demander aux autres de se prononcer, sachant que ces derniers seraient considérés comme renonçant à la succession s'ils refusaient de s'exprimer. Je pense que cela permettrait de résoudre un grand nombre de cas d'indivision. Le notariat appelle donc de tous ses voeux la concrétisation de cette excellente initiative du Sénat.

Vous évoquiez le cas d'un notaire qui essayait de faire effectuer quelques travaux sur une propriété ; on pourrait penser qu'il a pour cela obtenu l'accord de tous les indivisaires. En réalité, je pense que cela n'est pas le cas et que ce notaire a exercé un pouvoir qu'il n'a pas. Dans le deuxième volet de la réforme sur les successions, il est aussi prévu que le notaire puisse être investi d'un mandat judiciaire en cas de blocage, afin éventuellement d'encaisser des sommes et de payer des dépenses, ce que nous ne pouvons pas faire actuellement.

On pourrait nous objecter l'existence de la procédure des biens vacants et sans maître. Toutefois, la succession ne peut pas être considérée comme vacante à partir du moment où les héritiers sont connus ; de plus, la procédure en question est extrêmement lourde et les services fiscaux et les Domaines ont d'autres préoccupations. Elle ne constitue donc sans doute pas le meilleur moyen pour une collectivité de s'en sortir. Au lieu d'une prescription, il faudrait donc pouvoir engager une action interrogatoire, c'est-à-dire donner un pouvoir à la collectivité, afin de constater qu'une propriété ou une forêt ne sont pas exploitées, ou qu'une maison menace de s'écrouler. La collectivité aurait le pouvoir de mettre en demeure les héritiers connus de s'entendre, en leur rappelant qu'ils risquent sinon de perdre leurs droits au bout de cinq ans. Cela ne me choquerait pas du tout. En la matière, une réflexion doit être menée, même si cela induit une forte évolution du droit de la propriété.

Enfin, en matière d'associations foncières, la seule expérience que je connais est celle des groupements forestiers et des groupements fonciers agricoles que nous avons créés dans les zones rurales. Dans le sud de l'Aveyron, il y a 25 à 30 ans, nous avions tenté de créer des groupements fonciers agricoles investisseurs, en collaboration avec le Crédit Agricole. Des groupements fonciers agricoles (GFA) viticoles ont fonctionné, un temps seulement ; aujourd'hui, les personnes qui sont encore au sein de GFA ne parviennent pas à en sortir. Lorsque les terres sont sans valeur, la mise en commun ne peut aller que dans le bon sens. Les groupements forestiers ont permis de mettre en place un plan d'ensemble d'aménagement, avant l'intervention de l'Office national des forêts, et d'assurer un suivi minimum.

M. Jean-Paul Amoudry - Quel est votre sentiment d'expert du droit sur l'application de la loi d'urbanisme ? Dans mon département, plusieurs communes ont mis en place des plans d'occupation des sols depuis 20 à 25 ans, qui ont été successivement révisés. Dans le courant ces années 90, le juge administratif a durci sa manière d'appliquer la loi Montagne, au prétexte qu'elle n'était pas respectueuse de la loi de 1985. De fait, certains plans d'occupation des sols ont été annulés par le juge et les préfets ont été invités à accompagner les communes dans leurs efforts de retrait de certaines zones constructibles, en vertu de la proscription du mitage ou de la construction en discontinu. A la fin des années 90, certains partages familiaux avaient été réalisés sur la base de plans d'occupation des sols annulés, lorsque des recours avaient été déposés. En effet, la plupart des communes ont entrepris ces révisions, en retirant des droits. Dans certains cas, les partages familiaux ont été réglés ; les ayant droit se sont vus reconnaître des droits à construire. Or, lors du renouvellement du certificat d'urbanisme, les ayant droit ont appris que leur terrain était devenu inconstructible. Cette situation équivaut à une forme d'expropriation sans indemnités puisque, dans le partage, le notaire a acté le prix de chacun des lots, permettant un équilibre entre tous les héritiers. Quelques années après, on constate que la ferme a pris de la valeur mais que les terrains ne valent plus rien. Les situations de ce type sont assez nombreuses. Il s'agit d'une atteinte au droit le plus essentiel de la propriété.

J'ai écrit aux autorités administratives, qui ne m'ont pas répondu sur la notion de spoliation et d'expropriation. Ces autorités m'ont simplement indiqué que le versement éventuel d'une indemnité incomberait de toute façon à la commune, sous l'autorité de laquelle se situe le plan d'occupation des sols. Je trouve cette lecture invraisemblable puisque le processus a été enclenché par la loi et les décisions de justice, sous l'impulsion du préfet ; l'Etat ne peut donc pas se dérober. Cela constitue un problème très grave, qui est à la fois pénalisant pour les individus et les collectivités locales. L'attitude de l'Etat n'est pas qualifiable dans ce domaine. Quel est votre sentiment sur le plan juridique ?

Maître Jacques Combret - Vous évoquez une question sensible. La Haute-Savoie est une terre d'accueil qui gagne de la population ; le marché du foncier devient effroyablement cher. Or, sans remettre en cause la beauté des paysages, je pense que nous pourrions encore trouver des terrains. En matière d'urbanisme, il faut sans doute arrêter de mettre en place des textes contraignants et théoriques qui ont un effet contraire à celui qui est souhaité en matière d'aménagement du territoire. Cela constitue une véritable difficulté, qui conduit à refuser à un membre de la famille de construire une maison sur la propriété au motif qu'il n'est pas agriculteur. Des évolutions sont possibles en la matière.

Par ailleurs, la position de l'administration ne me surprend pas ; en effet, les plans d'occupation des sols ne donnent pas de droits acquis. Le terrain à bâtir aujourd'hui peut donc devenir un terrain gelé demain, sans que le propriétaire puisse prétendre à une indemnisation. De plus, il est vrai que la commune doit payer ; pour autant, cette collectivité n'a pas la liberté de décider de retirer des droits. Je crains fort que ce problème soit difficile à résoudre.

Nous pourrions donc plutôt réfléchir à mieux protéger les droits acquis. Dans tous les cas, il ne faudrait pas que le terrain devienne inconstructible du jour au lendemain, surtout pour des motifs qui ne dépendent pas de la collectivité qui avait décidé au départ de le rendre constructible.

Peut-être pourrions-nous imaginer une expérimentation dans les zones de montagne, sachant que cette difficulté est également rencontrée dans d'autres régions et que l'Etat sera toujours réticent à verser de l'argent.

M. Jean-Paul Amoudry - Je conviens que cela serait folie de considérer que des indemnités doivent être versées. Pour autant, toute expropriation doit donner lieu à un juste dédommagement. Dans tous les cas, les droits acquis ayant donné lieu à des actes authentiques, créateurs de droits, et au versement d'impôts, assis sur un terrain reconnu constructible, ne doivent pas conduire à la spoliation. Je considère qu'il s'agit d'une atteinte majeure aux droits les plus fondamentaux.

Maître Jacques Combret - Nous pourrions explorer une piste intermédiaire. Ainsi, nous avons allongé la durée de validité des certificats d'urbanisme. Nous pourrions garantir la constructibilité d'un terrain pour dix ans seulement ; cela inciterait l'héritier à investir. De plus, ce type de pistes ne coûterait pas cher à l'Etat.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie infiniment pour votre contribution.

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