40. Audition de M. Robert de Caumont, président de l'Association pour le développement économique de la Haute Durance (ADECOHD), accompagné de Mme Jacqueline Fabre (3 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry, rapporteur -
Monsieur le Président, Madame, je
suis heureux de vous accueillir au Sénat, au nom d'une mission qui, pour
l'heure, est à effectif réduit. Après quelques minutes de
retard dont je vous prie de m'excuser, en raison de la déclaration de
politique générale du Premier Ministre, nous allons commencer nos
travaux avec le souhait qu'un certain nombre de nos collègues puissent
nous rejoindre. Je voudrais tout d'abord excuser le Président Jacques
Blanc, ainsi que les autres collègues, et vous dire le plaisir que nous
avons de faire un point très philosophique et structurant sur la loi
Montagne. Nous avons le privilège, Monsieur de Caumont, de vous
accueillir en tant que Président de l'Association pour le
Développement Economique de la Haute Durance mais aussi et surtout en
tant que co-auteur de la loi Montagne de 1985 au côté de Louis
Besson, de Jean Faure et d'un certain nombre d'autres promoteurs. C'est donc
pour nous un plaisir, un honneur de vous recevoir et de vous écouter en
cette qualité, mais également en votre qualité
d'observateur tout à fait privilégié à l'ANEM,
notamment. Je ne crois pas utile de vous rappeler ici quels sont les objectifs
de notre mission, mission d'évaluation et dont le contenu doit
être synthétisé pour octobre prochain pour que nous
puissions notamment rendre compte de nos travaux et proposer un certain nombre
d'orientations.
Sans plus attendre, en vous renouvelant le plaisir que nous avons à vous
accueillir tous deux, je vais vous laisser la parole, Monsieur de Caumont, sur
la base de la grille de questions que nous vous avons présentée.
Cette liste est bien entendu non exhaustive et vous laissant toute la
liberté de déborder et de nous dire ce que vous désirez
sur la façon dont cette loi a été appliquée, sur
les carences qu'il peut y avoir, sur les compléments qui seraient
nécessaires. Notre vision des choses n'est pas de bouleverser la loi ni
de la remettre en cause mais de lui donner aujourd'hui l'actualité et la
pertinence nécessaire par rapport aux évolutions qui sont
survenues depuis 1985. Vous avez donc la parole pour une heure à une
heure et quart. Nous nous réservons le loisir de vous poser des
questions après votre exposé liminaire.
M. Robert de Caumont
- Monsieur le Président, le plaisir est
partagé par moi d'être présent parmi vous pour aborder
cette problématique de la loi Montagne. Le fait que le Sénat se
soit saisi de ce sujet est pour nous, qui nous sommes consacrés
dès l'origine au suivi de cette loi, une étape importante. Au
bout de 17 ans, le problème est arrivé à maturité
et nous pouvons beaucoup attendre de vos travaux.
Peut-être faudrait-il que je vous dise tout d'abord pourquoi
l'Association pour le Développement Economique de la Haute Durance -
association qui accomplit les fonctions de comité de bassin d'emploi
pour le nord du département des Hautes-Alpes - a un rapport particulier
avec la loi Montagne.
Dès l'élaboration de la loi, il y a eu une longue période
de participation qui a permis l'intervention des forces vives des
différents terroirs de montagne. Il se trouve que ce travail a
été assez intense dans la Haute Durance, comme j'étais
rapporteur de la loi. Peu de temps avant l'adoption de la loi, nous avons
décidé de constituer un outil pour en faire, si j'ose dire, le
service après-vente, et ce fut l'Association Nationale des Elus de
Montagne. Cette association est née de la volonté que cette loi
ne reste pas lettre morte. Elle a eu un destin assez brillant depuis. Il y a
une autre instance dans laquelle je me suis investi dès le
départ, l'Association Européenne de la Montagne, qui est
née de la volonté d'élever les enjeux de la politique de
la montagne au niveau européen. En effet, les enjeux se
déplaçant de plus en plus, il ne servait à rien d'avoir
une politique française de la montagne si l'Europe n'avait pas de
politique de la montagne. L'ADECOHD a constitué dès 1985 une
équipe pour s'occuper des tâches concernant un comité de
bassin d'emplois, mais qui est à chaque fois confrontée à
la spécificité de la montagne, qu'il s'agisse de :
- l'élaboration d'une analyse de territoire et d'un projet de
développement ;
- l'accompagnement des politiques publiques de l'emploi ;
- la création d'entreprises qui a une grande importance dans notre
milieu ;
- l'adaptation des formations aux spécificités de la zone de
montagne et plus particulièrement à la pluriactivité
saisonnière ;
- le partenariat franco-italien -Briançon n'est qu'à treize
kilomètres de la frontière italienne ;
- la recherche appliquée à des domaines qui concernent la
politique de la montagne.
Nous nous sommes - successivement - consacrés à différents
sujets, que je n'énumérerai pas. Le sujet le plus difficile de
tous concerne la pluriactivité et le travail saisonnier. La perception
de ce problème, par les montagnards et par les instances de
décisions nationales a progressé ces derniers temps, notamment
grâce au souci de compétitivité de notre tourisme. C'est la
raison pour laquelle Jacqueline Fabre est ici aujourd'hui. Elle
représente en quelque sorte l'équipe de l'ADECOHD et est une
spécialiste de la pluriactivité saisonnière. En effet,
elle est très compétente pour traiter de la reconnaissance des
spécificités du statut des saisonniers et des pluriactifs, au
regard du droit du travail, de la protection sociale, des aides à la
création d'entreprises, de la formation permanente, etc. Il se trouve
que depuis ce matin elle est aussi collaborateur de député. A ce
titre, elle pourra également apporter sa contribution à vos
collègues de l'Assemblée Nationale sur ce point. Elle est
elle-même pluriactive : diplômée d'un DESS de Droit de
la Montagne et de Gestion des Collectivités Montagnardes, elle conduit
également une remontée mécanique occasionnellement. Auteur
du guide des pluriactifs et des saisonniers - que j'ai tenu à la
disposition de votre commission - c'est en connaissance de cause qu'elle dirige
la maison des saisonniers de Serre-Chevalier (c'est une maison
expérimentale issue du rapport Le Pors).
Nous sommes complètement à votre disposition, au-delà de
cette audition, puisque nous souhaitons vivement, ainsi que toute
l'équipe de l'ADECOHD, le succès de votre entreprise. Nous avons
mis à votre disposition quelques documents dont notamment le texte
définitif et originel de la loi Montagne, le guide des pluriactifs et
des saisonniers, document diffusé dans toute la France, et des
propositions sous forme de 34 fiches « Action sur la
pluriactivité saisonnière », que nous avait
demandées l'Assemblée Nationale suite au rapport Le Pors. Nous
mettons enfin à votre disposition le descriptif de la phase action de
l'expérience sur la pluriactivité. Cette expérience est
née du constat que quatre commissions successives, dirigées par
des hauts fonctionnaires et des parlementaires, ayant fait des analyses
pertinentes et préconisé des mesures judicieuses
généralement admises par tous, n'ont pas nécessairement
débouché sur des mises en oeuvre satisfaisantes. Puisque la loi
montagne le prévoyait, nous avons décidé de faire des
travaux pratiques sous forme de recherche-action. Si cette recherche-action
devait aboutir, cela pourrait servir de point d'appui à des mesures de
caractère général. C'est ainsi qu'est né le guide
des pluriactifs et qu'a été engagée la recherche-action
sur huit critères concernant la pluriactivité dont nous
reparlerons ultérieurement. Nous avons également pu constituer un
réseau national des pluriactifs, des saisonniers et de leurs
partenaires, et organiser une rencontre nationale chaque année. Nous
avons enfin pu bénéficier de la mise en place de la
première maison expérimentale des saisonniers. Il y avait eu des
expériences antérieures en Savoie mais elles n'étaient pas
ouvertes toute l'année, contrairement à l'expérience
conduite à Serre-Chevalier L'activité de la maison des
saisonniers bat en effet son plein entre septembre et décembre pour
préparer la saison d'hiver. Voici donc la présentation que nous
pouvions faire de notre association, qui est également faite dans un
petit dépliant que les gens de l'ANEM connaissent bien, pour l'avoir
reçu lors de la dernière assemblée générale,
et qui s'appelle « saisonniers et pluriactifs, prouver le mouvement
en marchant ». Il y a enfin une plaquette que nous avons
éditée lors des voeux, afin que vous connaissiez les effectifs de
l'ADECOHD ; vous y reconnaîtrez Jacqueline Fabre ici présente.
Vous m'avez questionné sur les principes structurants et les
orientations principales de la loi Montagne. Historiquement, c'est la
première loi française d'aménagement du territoire.
C'est une loi transversale qui, plutôt que d'essayer de traiter un seul
problème sur l'ensemble du territoire, a pour objet de traiter tous les
problèmes d'une partie de la France. Cela ne l'empêche pas pour
autant de porter des mesures de portée générale, avec des
précisions sur ce qui doit se passer en zone de montagne. A titre
d'exemple, la loi Montagne comporte un volet sur les biens indivis, sur les
sections de communes, car le ministère de l'Intérieur nous
l'avait demandé lors de l'élaboration de la loi. Cela nous a
d'ailleurs valu la compréhension du ministre de l'Intérieur de
l'époque, qui n'a pas hésité par la suite à nous
rendre à son tour quelques services. En définitive, c'est une loi
qui a « essuyé les plâtres », de par son
caractère novateur, et qui s'est heurtée au jacobinisme ambiant.
La loi Montagne est une loi transversale, donc interministérielle. Sur
un plan anecdotique, je peux vous dire que nous avons vu tous les ministres que
nous estimions concernés - c'est à dire 24 ministres. Ils nous
ont reçu avec toute la courtoisie qui les caractérise, mais ils
nous ont presque tous demandé pourquoi ils étaient
concernés. En effet, ils ont souvent une approche verticale, qui est
celle de leur ministère. Or, nous avions une approche qui en quelque
sorte quadrillait cette approche verticale. Après le succès de la
loi Montagne, il se trouve que les ministres ont tous, sans exception,
souhaité apposer leur signature au bas du texte. Sauf erreur de ma part,
la loi Montagne a donc été signée par 24 ministres. C'est
une illustration intéressante, me semble-t-il, de la nature même
de la loi Montagne.
C'est, en troisième lieu, une loi d'orientation. Je conversais tout
à l'heure avec un de vos collaborateurs sur ce sujet ; je crois
finalement que nous avons fait le bon choix. C'est une loi-cadre, notamment en
ce qui concerne les articles 1 et 17, s'agissant de la définition d'une
politique générale de montagne et d'une politique agricole de la
montagne. On a fourni aux montagnards un point d'appui pour pouvoir pratiquer
de nouvelles avancées, en invoquant certains articles de la loi
Montagne, comme les articles 8 et 80 sur lesquels nous reviendrons. Les choix
fondamentaux de la loi ont été assez clairement exprimés.
Cependant, encore fallait-il que l'administration d'une part, et les juges
d'autre part, intériorisent en quelque sorte les objectifs de la loi
Montagne, ce qui au départ, et par la suite même, n'était
pas évident. En face, la vigilance des élus et des institutions
dédiées à la montagne est une composante essentielle du
rapport de forces, d'où la place prise par l'ANEM qui a donc joué
un rôle très important dans ce domaine.
La notion d'auto-développement, pas toujours très bien comprise,
que l'on peut opposer un peu artificiellement à la notion d'assistance,
est une autre dominante de la loi Montagne. Autrement dit, quand on essaie de
répondre au critère de région défavorisée,
on demande l'assistance de la collectivité nationale, sans contrepartie,
alors même que la légitimité de la solidarité au
bénéfice de la zone de montagne est évidente. On ne peut
pas dégager les atouts et les éléments qui peuvent
permettre le développement des zones de montagne, si on ne cible pas les
aides publiques sur l'auto-développement, sur un projet de
développement élaboré par les montagnards eux-mêmes.
La participation des montagnards à l'élaboration et à
l'application des décisions qui les concernent, est l'un des ressorts du
développement de leurs régions. Aux niveaux national et
régional, il y a par ailleurs l'obligation d'introduire des dispositions
concernant la montagne dans la planification nationale, et dans les contrats de
plan. On se situe donc dans une forme de démocratie participative pour
les montagnards, susceptible de monter en régime, notamment dans le
cadre de l'actualisation de la loi.
Trop souvent, les montagnards ont eu l'impression que l'on plaquait sur leurs
atouts et leur terroir local des solutions standardisées,
appliquées à toute la France. Ce fut notamment la période
des « Sarcelles sur neige » du premier « plan
montagne ».
Le droit à la différence est une autre caractéristique
fondamentale. C'est la revendication d'un traitement particulier afin d'obtenir
une meilleure adaptation des mesures nationales à une situation locale
spécifique. Il y a donc dans la loi tout un volet sur la reconnaissance
de la spécificité, comme support d'un droit à la
différence. A cet égard, le titre 2 - « Du droit
à la prise en compte des différences et à la
solidarité nationale » contient l'article 8 qui stipule que
« les dispositions de portée générale sont
adaptées, en tant que de besoin à la spécificité de
la montagne...et les dispositions relatives au développement
économique, social et culturel à la protection de la montagne,
sont en outre adaptées à la situation particulière de
chaque massif, ou partie de massif ». A travers la diversité
de la montagne (moyenne montagne, haute montagne...), on se heurte à une
première objection lorsque l'on veut faire un texte propre à ce
milieu. Or, la montagne a quand même des dénominateurs communs qui
justifient la reconnaissance du droit à la différence, afin que
l'on n'applique pas bêtement des dispositions bonnes sur le plan
national, mais inappropriées à ces régions. A titre
d'exemple, l'article 14 concerne la mise en place des crédits du
bâtiment et des travaux publics qui doivent tenir compte des contraintes
saisonnières. Concrètement, cela signifie que les gens qui
conduisent des remontées mécaniques en hiver, doivent pouvoir
conduire leur engin du BTP à la fonte des neiges. On pourrait
décliner, si l'on avait le temps, une trentaine d'exemples similaires.
Tout le monde doit reconnaître que des mesures, justifiées sur le
plan national - comme par exemple la régulation des flux financiers d'un
douzième par mois pour éviter d'avoir des tensions
inflationnistes - ont des effets pervers au plan de la montagne, qui ne
représente que 6 % du chiffre d'affaires. Le bon professionnel des
remontées mécaniques et du bâtiment a alors du mal, si le
carnet de commande se fait attendre, en été, à trouver un
emploi, car les entreprises du BTP subissent la concurrence des entreprises
nationales du secteur qui ont un volant de main d'oeuvre conséquent. Le
potentiel économique de la zone de montagne, où le BTP est
très bien représenté, en est finalement très
affecté.
Il existe une légitimité à revendiquer un droit à
la solidarité nationale. Il s'agit d'un type de solidarité
particulier, lié à l'auto-développement, pour aider la
montagne à prendre elle-même les initiatives propres à son
développement. Cela implique également une reconnaissance du fait
que la montagne apporte beaucoup à la communauté nationale - sur
des plans tels que l'approvisionnement en eau, le social, le culturel, la
fabrication de produits de qualité. Malheureusement, la montagne a de
grands espaces, une faible population au pouvoir d'achat limité, une
fiscalité difficile. Or, elle accueille pendant la saison touristique
une population massive, ce qui doit notamment être compensé par le
surdimensionnement d'un certain nombre d'équipements. Tout ceci est donc
légitime, et ne relève pas d'un quelconque passe-droit.
Je vous rappelle qu'au début des années 80, on sortait à
peine de la période « héroïque » des
stations de sports d'hiver, où l'on a beaucoup construit, souvent de
manière anarchique. Cela a engendré une réaction
écologique avec les excès que l'on connaît, comme la
stérilisation du milieu montagnard. En fait, il y a paradoxalement une
énorme complicité entre l'aménageur ravageur, et
l'écologiste intégriste, car leur affrontement laisse peu de
place pour une démarche synergique, pourtant la meilleure pour la
montagne.
Le développement n'est rien sans la protection qui est la garantie de
notre développement futur. Dans le même temps, la protection ne
peut se faire sans les hommes qui sont capables de protéger et
d'entretenir la nature. Ainsi, conduire à la désertion des fonds
de vallée en posant un certain nombre d'interdits qui s'opposent
à l'installation des jeunes, signifie à la limite saborder son
propre projet écologique. A terme, cela implique que la montagne va
retourner à sa nature sauvage, ce qui n'est en aucun cas synonyme de
défense de la nature.
Il faut donc réaliser une synthèse entre le développement
et la protection, ce que symbolise d'ailleurs l'expression
« développement durable ». L'ANEM porte
également de plus en plus, en complément, la notion de
« développement équitable ».
En zone de montagne, il est important de voir si les choses que l'on teste
fonctionnent. C'est ce que nous sommes en train de faire sur la
pluriactivité saisonnière. Si une expérience donne
satisfaction, on peut alors dans un second temps la transférer au niveau
national ou à celui d'un massif, voire à un niveau plus modeste.
On avait cette disposition en filigrane dans l'article 8. Elle était
aussi, hélas, dans l'article 80, qui a été abrogé.
Celui-ci indiquait, en définissant l'usage du FIAM, le fonds
d'intervention pour l'auto-développement de la montagne :
« le FIAM a pour mission prioritaire et permanente de contribuer
à la valorisation de tous les atouts de la montagne en soutenant la
recherche appliquée, l'expérimentation, l'innovation, l'animation
locale et l'assistance technique, nécessaires à la mise en oeuvre
de projets de développement global, ainsi que la diffusion des
expériences et des techniques adaptées au niveau
montagnard ». Malheureusement, Bercy a tenu à ce que soit
abrogé l'article 80 sur lequel s'appuyait le FIAM, car il a
été décidé de regrouper tous les fonds dans un seul
fonds, le FNADT. L'acuité de la réaction des parlementaires n'a
pas été assez forte pour s'opposer au Ministère des
Finances.
Il y a là, je crois, une erreur à corriger ; c'est la raison
pour laquelle je me permets d'insister sur ce point.
Vous m'avez également questionné sur les oppositions et les
obstacles rencontrés lors de la procédure, et sur les
difficultés d'application et les insuffisances du texte.
Il est important de savoir que la procédure s'est appuyée, au
départ, sur un travail antérieur, à un moment où
les montagnards ne bénéficiaient pas d'une politique
spécifique, sauf en matière agricole. Cela remonte au discours de
Valéry Giscard d'Estaing, à Vallouise, en août 1977. Ce
discours reposait sur une revendication concernant l'environnement pour essayer
de compenser les aménagements excessifs. A partir de ce
moment-là, les différents partis représentés au
parlement ont engagé, chacun de leur côté, des travaux sur
ce sujet. Le discours prononcé en Août a donné lieu
à la directive de Vallouise de Novembre. Ce travail antérieur a
été bénéfique puisqu'il a donné lieu
à la création d'une commission d'enquête le 2 Juillet 1981,
dès le premier jour de la session du parlement. J'ai honte de dire,
vis-à-vis des administrateurs de l'assemblée qu'il s'agissait
d'une sorte de détournement de procédure. En fait, une commission
d'enquête, ce n'est pas fait pour cela. Mais c'est aussi une grande
concentration de moyens de qualité, un délai buttoir, avec la
possibilité d'entendre tout le monde, sous le sceau du secret puisqu'en
principe, les archives sont enfermées au palais de Versailles pendant 50
ans. Cela a représenté l'élément déclenchant
d'un travail très intense qui a conduit au dépôt d'un
rapport de 400 propositions, totalisant 200 pages, que vous possédez
sûrement dans vos archives. A mon sens, on a eu la sagesse de ne pas
vouloir poursuivre sur la démarche d'une proposition de loi, d'une part
parce que l'on aurait eu du mal à l'inscrire à l'agenda
parlementaire, et d'autre part parce qu'elle aurait été
vidée de l'essentiel de ses orientations lors du débat.
On a donc renvoyé l'initiative au gouvernement, où Michel Rocard
était un ministre bien disposé à l'égard de la
montagne. Michel Rocard, qui a d'abord été ministre d'Etat
chargé de l'Aménagement du Territoire, puis Ministre de
l'Agriculture, a suivi la loi Montagne dans ses pérégrinations
ministérielles. Cependant le gouvernement a profondément
déshabillé la loi de ses propositions, comme d'habitude, et quel
que soit le gouvernement, allais-je ajouter. Un certain nombre de dispositions
auxquelles on tenait, ont disparu. Juste après les municipales de 1983,
le gouvernement a consenti à lancer une concertation à la base,
dans toutes les circonscriptions de montagne. Il nous était
demandé ce que nous souhaitions voir apparaître - ou
reparaître - dans la loi Montagne. On a commencé à
rhabiller la loi, jusque dans la seconde moitié de l'année 1984,
avec plus de 1.000 amendements dans le débat parlementaire qui a suivi.
Dans mon groupe, qui disposait à l'époque de la majorité
absolue à l'assemblée nationale, on nous avait demandé de
ne pas obstruer le calendrier parlementaire. On nous avait alors dit :
« puisque nous avons la majorité, faites votre loi, puis nous
la voterons ». Nous avons alors rétorqué qu'il
s'agissait d'une loi pour tous les montagnards ; par conséquent, si
elle était votée à l'unanimité, nous savions tous
qu'elle serait protégée des effets pervers des alternances
successives. Le président de mon groupe a eu la sagesse de
reconnaître que c'était une bonne démarche, et il nous a
laissé le champ libre pour travailler pendant trois ans et demi, du 2
juillet 1981 au 9 janvier 1985, date de la promulgation de la loi. Cela a
permis de donner beaucoup de force à la loi, pour résister aux
changements politiques successifs, car c'est la loi de tous les montagnards -
j'ai d'ailleurs commencé ma première intervention à la
tribune de l'assemblée par un « Montagnards de tous les
partis, unissez vous » , ce qui m'a valu d'être qualifié
de « lobbyiste en chef » par le Monde dans son
édition suivante. J'en suis d'ailleurs fier, car c'est un lobbying dans
l'intérêt de la nation, qui a besoin que sa montagne
prospère. Toutes les archives des débats représentent
plusieurs mètres cubes de documents. Je tiens à votre disposition
tous les articles sur les débats parlementaires, et la façon dont
on les a vécus, et plus particulièrement les tensions que nous
avons connues, et les murs auxquels nous nous sommes heurtés. Nous nous
sommes d'ailleurs opposés au gouvernement pour un certain nombre de
mesures, qui sont peut-être aujourd'hui plus mûres qu'elles ne
l'étaient dans les années 1980.
En commission et en séance, il n'y avait pratiquement que des
montagnards dans la salle, à partir du moment où il s'agissait de
la loi « Montagne ». Dans la plupart des cas, le travail a
été grandement facilité par la proximité des
positions des montagnards de droite comme de gauche.
Les obstacles permanents sont d'abord les oppositions à la loi
proprement dite ; quand la technostructure ne digère pas une loi,
elle attend, embusquée, la meilleure occasion de la remettre en cause.
Il y a également les obstacles qui tiennent à l'application de la
loi. Ainsi, la loi Montagne a été stérilisée dans
un certain nombre de ses articles, car l'administration n'a pas fait de
zèle pour les appliquer, et les élus n'ont peut-être pas
suffisamment fait en sorte que la loi soit appliquée. Les jacobins
n'acceptaient pas qu'un texte ne puisse s'adresser qu'à une partie du
territoire. Je vais ouvrir ici une parenthèse. L'article 8 de la loi
Montagne, d'une certaine manière, préfigurait ce que les Corses
ont réclamé. Or la Corse est presque intégralement en zone
de montagne. Ils ont sans doute souhaité, de même que le
gouvernement, lui donner davantage de solennité, mais l'essentiel
était dans l'article 8 de la loi Montagne.
Toutes les mesures à incidence financière ont plutôt
été mal reçues au départ. Il y avait par exemple le
cas des redevances ski de fond et ski de piste qui fonctionnent à peu
près bien, excepté l'application de la grille d'attribution aux
différents secteurs d'activités montagnardes. Par contre, le FIAM
a été remis en cause, d'ailleurs avec quelques
précautions : pour que les représentants de la montagne ne
réagissent pas trop fort, on a alors annoncé que l'on allait
garder une réserve d'un montant équivalent à celui que
l'on avait consacré au FIAM. Depuis quelques années il est vrai,
cette réserve reste à un niveau stable, mais relativement faible.
Il y a aussi les gens qui étaient contre les lois d'orientation, en
arguant le caractère brouillon de ces textes qui déclarent des
intentions et proclament une politique sans en prévoir tous les moyens.
Les décrets d'application, contrairement à ce que beaucoup ont
dit, ont fini par sortir, et cette querelle s'est apaisée. Au
départ, l'Elysée et le Conseil d'Etat ont manifesté une
certaine hostilité à ce type de loi, ce que l'on peut comprendre
de leur point de vue.
Les organisations professionnelles nationales ont représenté le
dernier obstacle. A cette époque, elles ignoraient la
spécificité montagnarde ou s'en méfiaient, sauf quand
elles étaient dirigées par des hommes de la montagne, comme
M. Debatisse à la FNSEA. Certaines organisations sont
dominées par les exploitations les plus productivistes, dont la logique
s'oppose à celle de la montagne qui repose sur des exigences de
qualité, de respect de l'environnement, de commercialisation directe.
Les choses sont en train de changer, avec la prise de conscience de
l'importance de notions telles que la sécurité alimentaire ou la
qualité des produits de consommation.
Les professionnels, de même que les interprofessionnels, c'est à
dire les organismes sociaux, qui sont des institutions paritaires, ont
opposé une résistance acharnée pendant plusieurs
années. Nous sommes peut-être en train de la surmonter à
travers notre expérience, puisque l'on a tout de même convaincu la
CNAM des Hautes-Alpes de conduire une expérience pilote de guichet
unique et de caisse pivot. Aujourd'hui, il n'existe pas de guichet unique et de
caisse pivot dans la mesure où l'on en donne la définition
suivante :
- le guichet unique est le lieu où l'on rencontre une personne
hautement qualifiée et mandatée par toutes les caisses, capable
de prendre en charge le dossier et de l'acheminer correctement.
- la caisse pivot est un lieu où s'organisent les flux financiers entre
les caisses.
Il y avait précisément sur ce point une opposition fondamentale
entre la CNAM et la MSA qui souhaitait obtenir le régime des
pluriactifs. Aujourd'hui, le directeur de la MSA est devenu directeur de la
CNAM, et le président de la CNAM a accepté de réaliser une
expérience à taille réelle, sur le terrain, en
collaboration avec les autres régimes.
Je souhaiterais à présent revenir sur une anecdote
législative tout à fait représentative de la situation
générale : dans le cadre d'un texte du Ministère de
l'Agriculture, on a cru pouvoir dire que le pluriactif avait le libre choix de
sa caisse pivot ; or, il n'existait pas de caisse pivot. On a alors sorti
un décret d'application, mais il n'y avait toujours pas de caisse pivot.
Monsieur Le Pors a alors déclaré qu'il fallait abroger le
décret et la loi. J'espère donc, à partir de
l'expérience de terrain conduite dans les Hautes-Alpes, que l'on pourra
faire avancer ce dossier, dont Jacqueline est en charge en relation avec des
responsables nationaux de la CNAM et avec la CPAM des Hautes-Alpes.
Des évolutions justifient de modifier le texte en vigueur. Les
institutions européennnes ne sont plus ce qu'elles étaient en
1981 ou en 1985. Les enjeux doivent parallèlement s'élever au
niveau européen, et le travail d'actualisation de la loi Montagne est
également à conduire à ce niveau. Les élections
européennes sont un scrutin à la proportionnelle, ce qui favorise
les concentrations urbaines par rapport au milieu rural diffus et au milieu
montagnard. Or, les concentrations urbaines perçoivent plutôt la
montagne comme un lieu de récréation et de détente. C'est
pourtant également un lieu où les hommes vivent, y compris quand
les touristes ne sont pas là. Il y a encore beaucoup de travail pour
faire comprendre cela au Parlement européen et à la Commission.
Heureusement, Michel Barnier est le commissaire européen à
l'aménagement du territoire, et il y a également,
désormais, Luciano Caveri qui est le Président de la commission
aménagement du territoire et transports du Parlement européen.
Nous disposons donc peut-être de quelques atouts de plus pour faire
progresser les choses au niveau européen dans les temps qui viennent.
J'ajouterai enfin que la montagne, excepté le Massif Central, est
largement située en zones frontalières. D'autre part, faire
progresser l'Europe, y compris à travers la perméabilité
des frontières montagnardes, est important.
Le nouveau député des Hautes-Alpes, dans notre circonscription
frontalière, a voulu envoyer les enfants de ses écoles de
l'Argentière la Bessée au musée égyptien de Turin.
On lui a dit d'accord, sauf pour les enfants d'immigrés qui doivent
rester puisqu'ils ne peuvent pas passer la frontière. Nous sommes
à treize kilomètres de la frontière. L'hôpital de
Briançon est le meilleur jusqu'à Turin ; beaucoup de femmes
italiennes viennent accoucher à l'hôpital de Briançon, mais
les bébés italiens ne sont pas pris en compte dans les
statistiques françaises de l'Agence régionale d'hospitalisation.
Quand on veut que les Ponts et chaussées flèchent Briançon
à partir de Lyon, par le tunnel du Fréjus, on nous dit que c'est
impossible, parce que les enfants vont franchir la frontière deux fois,
et qu'ils courent tous les risques. Pourtant, nous sommes en 2002. Il y a donc
encore du chemin à faire !
La montée en régime de la décentralisation me paraît
être un élément déterminant. Les deux lois sur
l'aménagement du territoire ont fait progresser un certain nombre de
choses en ce qui concerne les services publics et les lois d'urbanisme par
exemple, mais ont en même temps rebanalisé les problèmes de
la montagne, puisqu'elles traitaient les problèmes pour l'ensemble du
territoire. La montée en puissance des communautés de communes,
et l'émergence des pays, par contre, sont autant de cadres pertinents
pour faire monter les enjeux de la politique de la montagne à des
niveaux où ils sont généralement mieux perçus qu'au
plan communal.
Les problèmes de la solidarité nationale et de la
péréquation se posent maintenant, dans une période de
décentralisation des attributions et des moyens, mais aussi dans une
période où l'Europe doit jouer un rôle de
péréquation.
Il y a également la montée en régime de ce que
j'appellerai la nouvelle dépendance de la montagne par rapport à
l'idéologie dominante des « zones
défavorisées », symbolisée par l'idée
suivante. Puisqu'à présent, on cible les zones
défavorisées comme principales bénéficiaires de la
solidarité nationale, pourquoi ne dirait-on pas que la montagne est une
zone défavorisée ? Ce n'est pas vrai. Il existe en montagne,
certes, des zones défavorisées nombreuses qui méritent la
même sollicitude que les autres, mais il existe aussi en montagne des
zones qui ont des chances de développement réel, et qui ne
peuvent toujours pas se saisir de ces moyens. Par conséquent, les zones
défavorisées s'opposent par leur nature même, à la
spécificité montagne. Ce n'était pas une bonne
démarche de souhaiter classer toute les zones de montagne en zone
défavorisée. J'espère que le texte qui proviendra de vos
travaux restera sur le créneau de la « différence
montagne ». Dans nos terroirs de montagne, la stratégie de
développement ne va pas sans la prise en compte des activités
économiques spécifiques à la montagne, et du rôle
moteur des chefs-lieux.
Je vais vous donner un exemple parlant, pour ceux qui connaissent les
Hautes-Alpes. Au cours d'une séance de nuit, on a décidé
que les ZRR se déclineraient au niveau des cantons, ce qui a eu chez
nous des effets ravageurs. La grande station de Serre-Chevalier est en ZRR. Les
deux cantons de Briançon, qui sont pourtant juste à
côté, ne sont pas en ZRR. Or, dans chacun des deux cantons de
Briançon, il y a deux villages de haute montagne isolés,
Névache et Cervières, qui évidemment justifieraient
beaucoup plus que Serre-Chevalier un statut de ZRR. A force de voir les choses
de Paris, par le petit bout de la lorgnette, on en arrive à des
aberrations, très mal ressenties sur le plan local.
En termes de secteurs économiques, le BTP et le tertiaire ne font pas
partie des activités de production ciblées. Or, il ne reste plus
grand chose en zone de montagne si l'on supprime ces deux activités -
sauf dans des zones de tradition industrielle comme la Savoie. Il faut donc que
la zone de montagne soit éligible, sur l'ensemble de ses espaces
fragiles, y compris les chefs-lieux. On ne peut pas demander à des
entreprises de se délocaliser au fin fond d'une vallée, quand
elles ont besoin des services minimum du chef-lieu.
Le tertiaire et les PME sont les deux catégories d'entreprises
susceptibles de créer le plus d'emplois nouveaux. C'est du pain
béni pour la montagne, car elles y sont très bien
représentées. Par conséquent, cela modifie la
problématique de l'aide à la création d'entreprise en zone
montagneuse, en particulier dans le cadre de la pluriactivité
saisonnière. Nous avons reçu en 2001, 170 créateurs
d'entreprises, ce qui a débouché sur la création effective
d'une quarantaine d'entreprises. Sur les 40 mentionnées, au moins quinze
sont en pluriactivité, et les systèmes d'aides leur sont
très mal adaptés.
Les changements climatiques modifient profondément la
problématique des stations. Ils incitent à l'usage de
l'enneigement artificiel, avec les problèmes écologiques que cela
pose parfois, impliquent la nécessité d'une diversification,
d'une modernisation de notre appareil d'accueil, et en particulier du
bâti, tout en pensant au logement des saisonniers, et dans les cas
limites, de la reconversion du potentiel vers des activités
différentes.
Tout cela n'existait pas en 1980. Quand on a glorieusement proposé
d'instaurer une taxe de 5 % sur les remontées mécaniques, on
estimait qu'il était légitime de taxer une activité
prospère, afin de reverser les montants générés aux
activités faibles de la montagne. On avait notamment ciblé l'aide
à l'agriculture de montagne. Quelques années après, ce fut
le début des années sans neige, et ce sont les remontées
mécaniques qui à leur tour ont connu des jours difficiles.
Là encore, il faut adapter la loi à un décor qui a
beaucoup évolué.
Les mutations démographiques ont conduit à une certaine
désertification de certains territoires de montagne, notamment en
moyenne montagne. A contrario, on a assisté à un redressement
démographique très net dans certains pays de haute montagne. Ces
mutations démographiques posent le problème du maintien des
services publics, ce qui nécessite une transversalité,
déjà inscrite en filigrane de l'article 16 de la loi Montagne.
Finalement, si l'on veut conserver les guichets de toutes les administrations
au plus près, il faut avoir une démarche plus globale et
« déverticaliser » les services, dans le cadre de
maisons de service public, d'espaces ruraux emplois formation, de maisons des
saisonniers ou d'autres formules. Dès lors, on arrive à maintenir
les services au public au plus près, au moindre coût. Ce qui
était impliqué dans le cadre de la loi Montagne, doit à
présent s'épanouir, notamment dans le cadre des lois
d'aménagement du territoire qui traitent de ce sujet.
De nouvelles habitudes de consommation alimentaire apparaissent. On assiste
à ce que j'appellerai la montée du « manger
mieux », et des préoccupations en termes de
sécurité sanitaire qui incitent de plus en plus à se
méfier d'un certain nombre de composantes des produits alimentaires. On
cherche de plus en plus l'authenticité, la qualité de la
production et le plaisir gustatif, pas toujours en adéquation avec les
règlements de Bruxelles d'ailleurs. Cet aspect qualité des
produits est le créneau des agriculteurs montagnards. Il est
évident que produire en montagne, où l'on subit les aléas
climatiques, n'a pas la même signification qu'en Brie ou en Beauce
où l'on utilise sans complexe des engrais aux effets secondaires parfois
néfastes. En montagne, c'est le créneau de la qualité, de
la commercialisation directe, et l'on combine l'agriculture avec un tourisme de
découverte de la nature, de l'artisanat et des produits locaux, plus
proche des habitants.
Ce ne fut tout de même pas évident de convaincre les
différents acteurs, notamment les syndicats ouvriers qui avaient du mal
à accepter que l'on puisse être ouvrier pendant six mois, et
patron le reste de l'année et les syndicats agricoles qui ne
considéraient pas comme de véritables agriculteurs ceux qui
pratiquaient un ou plusieurs autres métiers. Vous imaginez le chemin
parcouru, lorsque l'on songe que ce genre d'opposition était dominante
il y a 20 ans.
La montée de la saisonnalité et de la pluriactivité est un
sujet dont nous nous sommes saisis, car il est très important en
montagne, mais existe dans tous le pays, selon toutes sortes de
déclinaisons. La secrétaire de direction qui partage son temps de
travail entre plusieurs patrons est aussi une pluriactive. Ce sujet est
traité par Jacqueline à l'ADECOHD ; nous vous avons
d'ailleurs fourni divers documents très actuels sur la recherche active
que nous menons dans ce domaine.
J'ai déjà évoqué précédemment de
graves insuffisances et défauts d'application de la loi Montagne. Je
pourrais en énumérer beaucoup, mais le temps me manque. Nous
sommes prêts à vous apporter notre contribution sous d'autres
formes.
Les insuffisances sont essentiellement les suivantes :
- l'abrogation de l'article 80 ; qu'il faudrait rétablir ;
- la politique des ZRR, très mal adaptée aux zones de montagne,
comme il a été dit ;
- les mesures environnementales ne tenant pas compte des
spécificités de ces zones, comme l'interdiction de construire
à moins de 75 mètres des axes départementaux et
à 100 mètres des axes nationaux, alors que bien souvent la
falaise surplombe la vallée à une distance
inférieure ;
- des règles d'urbanisme mal comprises par les administrateurs et par
les juges.
Je citerai par exemple le problème des chalets d'alpages. Il est
important que le patrimoine représenté par les chalets d'alpages
soit maintenu avec les matériaux et l'urbanisme traditionnel du pays.
Pour éviter le mitage, il existe une règle qui veut que l'on
construise en continuité et une autre qui veut que l'on préserve
en même temps les meilleures terres agricoles. Il y a contradiction entre
les deux, car les meilleures terres agricoles sont souvent très proches
des habitations. C'est aux élus, aux administrateurs et aux juges
d'appliquer l'esprit de la loi.
Il y a le fameux article 14 sur le BTP qui n'a pas été
appliqué. Le premier secrétaire d'Etat au budget que j'ai
rencontré sur ce sujet était Laurent Fabius. Je lui ai fait part
de ce problème, et il a rédigé une circulaire, que j'ai
retrouvée dans les paniers de la DDE et de la préfecture. Les
gens du BTP et les élus de montagne protestent cycliquement contre cet
état de fait.
Il y a également le problème du foncier agricole, notamment au
niveau de l'installation des jeunes agriculteurs dans les fonds de
vallées. Vous savez que le foncier est souvent l'apanage de gens qui ont
quitté le pays, ou décidé d'y acheter des terres, parfois
dans un but spéculatif.
On ne peut pas fonder des exploitations agricoles dans la continuité
tant qu'il n'y a pas, derrière, la maîtrise du foncier pour
pouvoir constituer le capital d'exploitation. On avait peut-être
donné une réponse à cela dans les articles 39 et 40 du
code rural modifiés par la loi montagne, mais peu de monde s'en est
préoccupé, à commencer par les élus. Les
résidences secondaires abritent aussi des électeurs, parfois
dominants dans certaines communes, et organisés - par un promoteur, par
exemple. On a connu ce problème en Savoie, à Villarambert. S'il y
a bien un terrain sur lequel on a échoué dans le cadre de la loi
Montagne, c'est celui de la limitation de l'électorat des
résidents secondaires. Je reste persuadé que c'est important pour
préserver le droit à l'initiative des montagnards, par rapport
à leur développement économique.
La place de la montagne dans la planification est une lutte de tous les
instants. Au plan national, ce n'est pas évident. C'est également
très inégal dans les contrats de plan selon les régions.
Les schémas spatiaux de massifs n'ont jamais vraiment vu le jour, sauf
peut-être dans certaines régions privilégiées. Le
rôle des comités de massifs et du conseil national de la montagne
est toujours passé par des alternatives d'avancées et de reculs.
Pourtant, la loi est là. Toutes ces instances n'ont pas
l'autorité politique, ni les attributions, ni la capacité
d'auto-saisine nécessaires - elles ne l'avaient pas en tout cas
jusqu'à présent - pour atteindre leur pleine dimension, telle
qu'elle avait été prévue par la loi Montagne.
Enfin, je terminerai avec les mesures financières. Ces mesures
fonctionnent pour le ski de fond ainsi que pour le ski de piste - sauf quand
les exploitants de remontées mécaniques connaissent des
difficultés. En revanche, il faudrait revoir l'ordre de priorité
des huit catégories de bénéficiaires successifs de la
redevance et veiller au respect de ces dispositions. Il faut également
rétablir le FIAM, ce qui ne va pas être facile, même s'il
n'était doté que d'un fonds de 40 millions de francs et n'avait
pas pour but de réaliser des investissements massifs. Enfin, si vous
feuilletez la loi montagne, vous constaterez que des rapports annuels
étaient prévus - je ne les ai jamais vus.
M. Jean-Paul Amoudry -
Merci Monsieur le Président pour cet
exposé très complet. Avant de passer la parole à Madame
Jacqueline Fabre, je voulais saluer l'arrivée de Jean Boyer,
sénateur de Haute-Loire.
Nous avons eu une analyse très complète du texte de la loi, de
son contexte et de ses conditions d'application. Il reste un sujet très
important qui est piloté par Madame Fabre que nous allons
écouter. Je souhaiterais, en vous remerciant à nouveau, Monsieur
de Caumont, que vous nous laissiez vos notes, en particulier sur vos
préconisations pour remédier aux différentes insuffisances
et aux défauts d'application de la loi. Je souhaiterais savoir ce qu'est
devenu le fonds d'intervention pour l'auto développement en montagne,
qui dans l'article 7 accompagnait le FIAM.
M. Robert de Caumont -
Ce fonds a été abrogé avec
l'article 80, mais on nous a dit pour nous rasséréner que l'on
réserverait toujours la même somme à l'intérieur du
FNADT. Le support législatif et sa signification - comme la ratification
d'expériences telles que celle que Jacqueline peut vous présenter
- ont disparu.
Mme Jacqueline Fabre -
J'ai en charge tout ce qui concerne la recherche
action. Je suis donc plus un agent de terrain que Monsieur de Caumont ;
c'est aussi ce qui fait ma force, et c'est la raison pour laquelle
Monsieur de Caumont a précisé que, l'hiver, je suis
également perchwoman, ce qui me permet de bien connaître les
problèmes des saisonniers et des pluriactifs.
Je connais de multiples exemples d'inadaptation des dispositions nationales au
niveau local, notamment concernant l'emploi. Dès que l'on sort du cadre
de l'emploi unique, autour duquel a été construit notre
système législatif social, on se sent perdu. Or, en montagne, on
ne peut pas toujours se permettre d'avoir un travail à l'année,
car le milieu implique une succession de contrats à durée
déterminée pour les saisonniers et les pluriactifs. On parle
beaucoup de la pluriactivité. J'aimerais tout d'abord définir ce
terme. A mon sens, un pluriactif est une personne qui cumule plusieurs emplois
sous un statut social et/ou fiscal différent, au cours d'une même
année. Par exemple, un pisteur secouriste va être salarié
d'une remontée mécanique en hiver, et artisan en
été. Il est donc travailleur indépendant et salarié
au cours d'une même année, ce qui pose beaucoup de
problèmes, notamment au niveau de la protection sociale. Cette
succession d'activités entraîne une cotisation multiple à
deux caisses sociales différentes au moins. Cela implique que la
personne ait deux cartes vitales, deux affiliations différentes. Les
textes sont très difficiles à appliquer, même pour les
professionnels, au niveau des caisses de Sécurité sociale. Autre
inadaptation : les formations. Il arrive souvent que des formations aient
lieu à cheval sur l'été et sur l'hiver, ce qui
empêche les saisonniers pluriactifs d'y assister.
La notion de pluriactivité recouvre aussi celle de
pluri-compétence. En effet, les pluriactifs ont besoin d'être
qualifiés. Au cours d'une étude que nous avons menée
à la demande de la Direction Départementale du Travail, nous
avons constaté que 78 personnes, sur un échantillon de 300,
considéraient que leur formation initiale ne correspondait pas à
l'activité qu'elles occupent aujourd'hui. Il existe une totale
incohérence entre la formation initiale et la formation exercée.
Nous parlions également des travailleurs indépendants, artisans,
commerçants, professions libérales. Beaucoup de personnes
travaillant dans nos massifs sont titulaires d'un brevet d'Etat sportif.
Souvent, l'utilisation de ce brevet d'Etat ne peut se faire qu'à travers
un statut de travailleur indépendant. Or la fonction de travailleur
indépendant implique la création d'entreprises, qui
nécessite elle-même un grand nombre de formalités. Dans ce
domaine, nous avons besoin d'un accompagnement. J'entendais tout à
l'heure Monsieur Raffarin dire qu'il fallait simplifier, limiter le nombre de
projets, de décrets et de lois ; je suis entièrement
d'accord. Certaines créations d'entreprises peuvent être
exonérées des charges sociales, ce que l'on appelle l'ACCRE. Nous
avons constaté que l'ACCRE était souvent refusée aux
créateurs d'entreprises du fait de leur caractère saisonnier.
Dans nos montagnes, les créations d'entreprises sont souvent
saisonnières.
Je suis à votre disposition si vous voulez avoir des informations
complémentaires, notamment sur les maisons de saisonniers.
M. Jean-Paul Amoudry -
J'aimerais revenir sur tout le processus qui fait
qu'aujourd'hui, nous sommes en situation d'échec. Vous avez une
expérience dans les Hautes-Alpes. Pensez-vous que l'expérience
pilote que vous conduisez avec la CNAM sera durable, aura valeur pour
l'ensemble de la montagne ? ou pensez-vous que cette expérience, en
caricaturant, est un alibi, pour prouver que ça ne marche pas ?
Vous savez aussi que suite au rapport Gaymard de 1997, une loi avait
été créée, mais les décrets d'application
n'ont pu voir le jour. Quelles préconisations pourriez-vous nous faire
pour tenter de régler une fois pour toute ce problème ?
M. Robert de Caumont -
Je suis intervenu devant la commission Jean
Gahemynck sur ce sujet, et je ferai,pour vous répondre,
référence à cette expérience.
A travers des démarches telles que la maison des saisonniers, les
actions de formation et de soutien aux créateurs, que nous avons
engagées, une relation de confiance s'est instaurée entre nous,
les pluriactifs et saisonniers. Dans ce contexte, 60 % de ceux que nous
connaissons ont avoué trouver refuge dans le travail au noir, lorsqu'ils
ne sont pas identifiés et qu'ils savent que leur nom ne sera pas
publié. Cette situation, qui représente une évasion
fiscale et sociale, ne fait plaisir ni aux pluriactifs ni aux saisonniers, car
ils préfèreraient s'en tirer autrement, ni aux employeurs de la
concurrence, ni aux élus. Jacqueline Fabre est maintenant en position de
négocier la mise en place d'une personne à plein temps
désignée à Briançon par la CNAM, pour conduire
cette expérience avec une personne du cabinet du Président de la
CNAM, Monsieur Noury.
Nous pouvons fonder des espoirs sur cette expérience. Je comprends et
partage entièrement votre découragement, et c'est pour cela que
nous avons décidé de nous investir dans cette démarche.
Pour illustrer ce découragement, lorsque M. Gahemynck, qui est
aujourd'hui conseiller d'Etat, a demandé aux partenaires sociaux s'ils
étaient d'accord avec mon diagnostic, ils ont répondu par
l'affirmative. Ils ont reconnu qu'il y avait de l'évasion fiscale et
sociale. Mais en réponse à la question « Etes-vous pour
le couple guichet unique - caisse pivot ? », il a obtenu un long
silence. Je n'ai jamais vu de meilleure illustration d'une
société bloquée. Ce sont en principe les partenaires
sociaux, patronat et syndicats ouvriers qui gèrent ces institutions. Or,
ils défendaient leur pré carré, en se disant finalement
que les pluriactifs et les saisonniers étant des contributeurs nets, et
que c'était positif pour résorber le déficit de la
sécurité sociale.
La contre attaque a commencé par l'édition du guide des
pluriactifs et des saisonniers. On s'est aperçu que les saisonniers
ayant tellement de difficultés, au milieu de tous leurs problèmes
de vie quotidienne - concernant l'emploi, le logement, la protection sociale,
la fiscalité, les contrats de travail, l'indemnisation du chômage,
la formation professionnelle, la création d'entreprises, etc. - on ne
pouvait en rester au document de fond fait par la DATAR en 1990. Il fallait
faire quelque chose qui soit à leur portée. Nous avons eu la
chance d'avoir un Conseil Général qui a accepté de
financer la remise gratuite de ce document aux saisonniers et pluriactifs.
C'est parce que Jacqueline Fabre - titulaire d'un DESS de Droit de la Montagne
et de Gestion des Collectivités Montagnardes - conduisait une
remontée mécanique à Orcières Merlette et que ce
document lui a été remis gratuitement grâce au
Président du Conseil Général, qu'elle a
décidé de rejoindre l'ADECOHD pour valoriser cet outil en
l'actualisant chaque année. Il a fallu attendre quinze ans après
la loi « montagne », pour que les saisonniers aient leur
guide. Il y avait bien en Savoie le « tout schuss », mais
c'est un document qui ne va pas aussi loin sur les droits et devoirs des
saisonniers. Le Ministère du Tourisme a pour sa part sorti à
70 000 exemplaires un document d'une légèreté
extraordinaire, au point que beaucoup de personnes n'ont pas souhaité le
diffuser. Cela montre que lorsque l'on aborde les problèmes de
manière technocratique et centralisée, même avec la
meilleure intention du monde, on peut aller à des catastrophes ; il
faut donc être sur le terrain.
M. Jean-Paul Amoudry -
Nous attendons les compléments
écrits que vous jugeriez bon de nous faire passer. Nous vous remercions
pour votre contribution.