41. Audition de Madame Claude Nahon, directeur, déléguée au domaine hydraulique à Electricité de France, accompagnée de M. Alain Véry, directeur de l'unité de production Sud Ouest (3 juillet 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Madame Claude Nahon, Mesdames, Monsieur, je suis
heureux de vous accueillir ici au Sénat au nom de la mission
d'information sénatoriale sur la politique de la montagne. Je vous
remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation, de vous être
déplacés et sans doute d'avoir travaillé sur une grille de
questions que nous nous sommes permis de vous transmettre.
Sur un plan formel, je vous prie d'excuser le Président Jacques Blanc,
sénateur de Lozère, qui préside cette mission et qui m'a
chargé en tant que rapporteur, d'exercer les deux rôles en son
absence. Je souhaite vous présenter Jean Boyer, qui est sénateur
de la Haute-Loire, et également excuser un certain nombre de
collègues qui sont retenus par les obligations liées à
l'ouverture de la session extraordinaire du parlement, qui nous oblige à
reprendre un certain nombre de travaux avec un rythme assez soutenu.
Je voudrais vous dire quelques mots de cette mission, dont les travaux seront
pour l'essentiel achevés à la fin du mois de juillet, ayant
commencé début avril. C'est donc un rythme assez soutenu
d'auditions et de visites de terrain auquel nous nous sommes astreints, pour
faire le point sur la politique qui découle de la loi cadre de 1985 sur
la montagne, loi qui a été modifiée par des textes
ultérieurs. Je pense en particulier aux lois d'aménagement du
territoire, aux lois relatives à l'agriculture, à la forêt,
à l'urbanisme et d'autres. Il y a d'autre part un certain nombre de
phénomènes qui sont survenus, et nous avons en cette année
internationale des montagnes, voulu faire le bilan de l'application de cette
loi de 1985.
Les problèmes liés à l'énergie ne sont
peut-être pas les questions les plus centrales de ce texte, puisque nos
sujets de prédilection sont des questions économiques -
agriculture et tourisme - et des sujets liés à l'environnement,
à la protection des milieux naturels et enfin à
l'aménagement. Ce dernier volet concerne les questions liées au
transport, à la desserte par les nouvelles techniques de l'information,
mais il y a aussi naturellement ce sujet de l'énergie qui figure dans
certaines des dispositions de la loi. C'est la raison pour laquelle nous avons
souhaité vous entendre.
Nous vous avons adressé, comme je le disais, une grille de questions non
exhaustive. Vous pouvez donc nous adresser d'autres messages. Sans plus tarder,
je vais vous laisser la parole, en vous priant de vous présenter en
quelques mots, afin que nous sachions quel est votre rôle dans la grande
entreprise que vous représentez ici.
Mme Claude Nahon
- Merci de nous accueillir. Nous sommes très
heureux et flattés d'être sollicités afin de pouvoir
répondre à vos questions. On a essayé de répondre
du mieux possible à votre grille, et l'on vous remettra un document
papier, que Florence Arnoux-Guisse qui est assise à côté de
moi a pris le soin de rédiger. Alain Véry vous accompagnera sur
le terrain la semaine prochaine. Il assurera donc le lien entre les questions
que vous souhaiteriez nous poser aujourd'hui, et ce qu'il pourra vous
présenter dans le Sud-Ouest.
N'hésitez pas à nous demander des compléments. Il y a un
certain nombre de choses sur lesquelles je serai prudente ; par exemple,
nous ne sommes pas le seul producteur d'hydroélectricité, et nous
n'avons donc pas une connaissance parfaite de ce qui se passe chez nos
concurrents, pour lesquels nous disposons seulement d'estimations.
La production hydraulique en France représente environ 14 % de la
production totale d'électricité. Pour passer à 21 %, il
faut donc faire des efforts significatifs. Il faut être vigilant à
ne pas trop perdre ce que l'on a déjà, et les contraintes
environnementales qui conduisent à une perte d'énergie
hydraulique, doivent peut-être se régler par des méthodes
de compensation.
La France est aujourd'hui le premier pays producteur d'énergies
renouvelables en Europe. EDF compte à peu près 510 centrales
électriques pour une puissance de 20 gigawatts (GW), ce qui
représente environ 20 % du total de nos moyens de production. Quatorze
de ces 20 GW sont disponibles en moins de dix minutes. Cette
caractéristique en fait un des outils indispensables à
l'équilibre électrique, particulièrement dans un
marché dérégulé. Cela a des conséquences
bien-sûr. Toute variation de puissance se traduit par des variations de
débit. Nous avons un fort souci de sécurité en
rivière.
Vous nous aviez demandé de vous dire comment se répartissait la
production par massifs. Ce sont des ordres de grandeur, que vous trouverez dans
le document. Bien-sûr, on trouve en tête les Alpes, avec
près de 70 % de la production d'hydroélectricité. Le
centre de la France représente 23 %, et les Pyrénées
environ 10 %.
Encore une fois, il ne s'agit que d'estimations. On collecte encore aujourd'hui
les informations concernant la Shem, filiale de la SNCF. Pour la Compagnie
Nationale du Rhône (CNR), c'est nous qui exploitons, mais ce sont eux qui
réalisent la commercialisation de la production. Aujourd'hui, la CNR a
environ 16 térawattheures (milliards de kilowattheures). La puissance
est exprimée en giga, et l'énergie en téra. La France fait
à peu près 450 TWh ; le parc total d'EDF est de 70 GW. La
CNR, avec 16 TWh, représente 25 % de la production
hydroélectrique française. La Shem fait environ le dixième
de la CNR. Il y a également toute une myriade de petits producteurs qui
représentent grosso modo deux TWh. Cette année sera une
année difficile pour la production électrique, car c'est une
année de sécheresse. Si nos réservoirs sont à peu
près pleins, c'est parce que nous avons eu une démarche
très prudente, qui représente une estimation de coût de
quelques 100 à 150 millions d'euros pour EDF, en raison des moyens
thermiques qui sont utilisés.
La première caractéristique de la production
hydroélectrique vient du fait qu'il s'agit d'une énergie
renouvelable. C'est une énergie très bien implantée dans
les territoires, et qui à ce titre représente une richesse. Cette
énergie, d'un point de vue électrique possède une
capacité de mobilisation rapide, en dehors de l'énergie au fil de
l'eau que l'on peut avoir sur le Rhin pour EDF, ou sur le Rhône pour la
CNR, production d'électricité qui s'apparente, par sa
qualité, aux centrales nucléaires. Une centrale thermique peut
donner sa pleine puissance en plusieurs heures, à condition qu'elle soit
à son minimum technique. Si elle est complètement à froid,
il lui faut entre huit et 17 heures selon le modèle, pour être
capable de donner sa pleine puissance. Une centrale nucléaire met de 18
à 24 heures ; on voit donc bien que les dix minutes pour les
centrales hydrauliques sont vraiment à part. On a donc un outil qui a
une cinétique très forte. C'est un outil saisonnier, qui
dépend du ciel. Les années de sécheresse, nous produisons
donc beaucoup moins d'hydroélectricité. Plus on a des grands
réservoirs, et plus il est facile de concilier les usages agricoles -
avec l'irrigation notamment - et hydroélectriques.
Les variations de débit conduisent à des risques en
rivière ; c'est le souci principal. On essaie de réduire ces
risques par l'information et la prévention. Nous avons toute une
démarche de certification sur la façon dont nous faisons ces
variations de débit dans les rivières, et de surveillance des
grands ouvrages. Les réflexions en cours sur les risques industriels ne
font que mettre l'accent sur une démarche que nous conduisons depuis
plusieurs années sur la surveillance des ouvrages. Enfin, nous
plaçons également sous l'assurance qualité la gestion des
ouvrages pendant les périodes de crues. Rappelons que nous gérons
nos ouvrages pendant les crues, mais no
us ne gérons pas les rivières.
En ce qui concerne le développement de l'hydroélectricité,
je vais énoncer quelques chiffres que nous avons donnés lors de
l'audition de la programmation pluriannuelle des investissements sur le
potentiel français en hydroélectricité. Il ne faut pas
rêver sur ce potentiel, puisque les grands équipements à
des prix compétitifs sont derrière nous. Si nous faisons des
nouveaux ouvrages, ils seront forcément multi-usages. Je ne crois pas
que l'hydroélectricité seule puisse justifier de faire de
nouveaux équipements, quelle que soit leur taille. La réalisation
de tels équipements est en effet très chère ; le
dernier, le Buëch dans le Hautes-Alpes, a effectivement été
réalisé en multi-usages, avec l'appui du conseil
général et du conseil régional.
Le potentiel sauvage a été évalué par la commission
Pintat à 270 TWh. On ne peut bien-sûr pas tout
équiper, techniquement. On pense que le potentiel techniquement
équipable s'élève à 100 TWh. La France tourne
actuellement autour de 65 TWh. Il reste donc en théorie des choses
à faire, mais il faut bien se rendre compte que si on ne l'a pas fait,
c'est que ce n'était pas économiquement rentable à
l'époque. Que reste-t-il de rentable dans ce qui peut être
équipé ? On estime cela à environ 17 TWh, dont dix
sur un versant méditerranéen, et 7 sur un versant atlantique. Il
s'agit de nos estimations, qui n'engagent que nous ; les petits
producteurs d'hydroélectricité sont plus optimistes que nous. En
fait, on pense aujourd'hui raisonnablement qu`entre un quart (4 TWh) et la
moitié (8 TWh) de ces projets sont économiquement
réalisables. Le potentiel économique est donc
évalué entre 4 et 8 TWh. Mais, avec la prise en compte des
exigences environnementales, équiper de nouveaux sites coûterait
beaucoup plus cher qu'il y a 15 ans.
Si l'on décidait de réaliser des équipements en
éolien, il faudrait mettre de la puissance hydraulique derrière.
Lorsque le vent s'arrête, il faut en effet avoir derrière de la
puissance disponible afin de prendre le relais. Il est bien évident que
la puissance hydroélectrique présente des avantages de
rapidité dans la disponibilité que n'a pas l'énergie
thermique. On nous a donc demandé quel était le potentiel
hydroélectrique de puissance. C'est malheureusement hors de prix, et
tant que l'on ne nous aura pas développé des mesures incitatives
pour ces types d'équipement, on ne risque pas de les construire.
On a un certain nombre de projets en France, comme par exemple sur la Romanche.
Il faut savoir qu'un tel projet n'a pas la rentabilité actuelle des
investissements qu'une entreprise comme EDF est en devoir d'attendre.
L'hydroélectricité n'est pas rémunérée en
France à la hauteur des ambitions de la politique
énergétique. Dans l'état actuel des choses, il nous manque
environ 10 % pour boucler le financement d'un projet de ce type. La
taxation sur l'hydroélectricité reste en France assez
significative. Outre toutes les taxes locales, l'impôt sur les
sociétés et la TVA, il existe une taxe spécifique sur
l'hydroélectricité. Si on regarde en global, le produit final est
taxé à hauteur de 70 ou 80 %. Les taxes représentent 40 %
du coût de production de l'hydroélectricité, ce qui n'est
pas une situation favorable pour le développement des énergies
renouvelables. Nous ne sommes pas les seuls à le dire ; la CNR le
dit encore plus fort que nous. Il n'est guère possible de
développer un produit en le surtaxant.
Les conclusions de la PPI (programmation pluriannuelle des investissements)
sont bien entendu de développer l'hydroélectricité et la
puissance au fur et à mesure du développement de l'éolien.
Pour ce faire, nous attendons les outils incitatifs qui permettront de le
réaliser.
L'amendement Peiro, voté lors du débat sur la loi sur l'eau, est
notamment l'un des principaux freins au développement de
l'hydroélectricité. D'après cet amendement, toute
activité qui demande un lâché d'eau sur un ouvrage de plus
de 15 ans, peut ne pas faire l'objet d'une indemnisation si cette
activité est considérée comme étant
d'intérêt général. C'est d'abord contraire au droit
des concessions, et surtout, cet amendement repose sur une
méconnaissance des durées d'amortissement des ouvrages
hydroélectriques, qui varie entre 40 et 75 ans. Penser qu'au bout de 15
ans tout est amorti, est à mon sens une erreur. C'est au moment de la
discussion sur la durée des concessions que l'on doit statuer sur la
redistribution de la rente hydroélectrique, et pas en cours
d'exploitation. Cela compromet l'intérêt et la confiance que l'on
peut porter au développement d'un ouvrage. Aujourd'hui, les titres qui
sont renouvelés le sont pour une durée de 40 ans. Quinze
années ne représentent en aucun cas une durée assez
longue, compte tenu des coûts très élevés des
travaux de génie civil.
Nous vous avons également préparé une liste de toutes les
règles juridiques relatives à l'implantation des centrales
hydroélectriques, en commençant bien-sûr par la loi de
1919.
-
• la loi sur l'eau de 1992 est aussi extrêmement importante pour
nous ;
• la loi de 1987, sur les risques majeurs ;
• la loi Barnier de 1995 ;
• la loi de 1976 sur la protection de la nature ;
• la loi Montagne de 1985 bien-sûr, celle qui vous préoccupe ;
• la loi Bouchardeau de 1983 sur les enquêtes publiques ;
• la loi pêche de 1984 ;
• le décret de 1994 sur le régime de la concession et sur les instructions ;
• la réglementation en matière domaniale (bornage) ;
• le nouveau cahier des charges type de 1999.
Les retenues hydroélectriques sont de véritables outils de développement durable dans les vallées. J'ai longtemps été dans le midi, où j'ai notamment été responsable d'une unité de production dans le Sud Est. Le lac de Serre-Ponçon est incontestablement un outil incontournable dans l'économie touristique des Hautes-Alpes, représentant 40 % des revenus de l'économie estivale du département.
Bien que ce ne soit pas dans les exigences de nos concessions, on essaie de viser des niveaux hauts au début des saisons estivales, que l'on déstocke au fur et à mesure des demandes liées aux autres usages de l'eau (agricoles), et aux besoins en électricité. Il y a beaucoup de discussions, liées aux problèmes d'accumulation de déchets et de sédiments, de niveaux... Nous essayons de traiter ces problèmes au travers de sortes de commissions locales. C'est ce que l'on fait par exemple à Serre-Ponçon, et il s'agit de l'un des 20 engagements de service public que le Président Roussely a signés.
On va également vous distribuer un petit dépliant sur le canyoning. Dans certains endroits, cette activité n'est possible que parce qu'il y a une retenue d'eau. Nous sommes très liés avec une économie estivale d'une partie de la montagne. Il ne faut également pas oublier de parler aussi des problèmes hivernaux, notamment au niveau des canons à neige. Il m'est par exemple arrivé d'avoir des discussions avec Patrick Ollier, à l'époque président de la société d'économie mixte (SEM) de Serre-Chevalier et de l'ANEM, je crois.
Les sports d'eau vive ont connu une explosion dans les vallées des hautes Alpes. Il faut être extrêmement vigilant. Nous travaillons avec les professionnels, les élus locaux ; beaucoup de choses encore sont devant nous. Nous ne sommes qu'au début de cet engouement. Il faut améliorer, de concert, la connaissance des risques. On travaille beaucoup avec la Fédération française de canöe-kayak (FFCK). Nous avons un partenariat d'accompagnement de championnats. Les prochains championnats à Bourg-en-Bresse par exemple font l'objet d'un accompagnement médiatique et financier de notre part, avec des lâchés d'eau. C'est un partenariat difficile et exigeant, car nos interlocuteurs ne sont intéressés que par des lâchés d`eau ponctuels. C'est cependant un partenariat qui fonctionne depuis plusieurs années. Il est parfois difficile sur le terrain, car il est négocié au niveau national, avec des déclinaisons locales.
Quant au tourisme industriel les dispositions du plan vigipirate nous pénalisent actuellement. Nous avions auparavant un engagement fort avec des journées portes ouvertes et des visites de nos installations. Certains endroits ont fait l'objet de dérogations. Nous espérons tous qu'il y aura un retour à la normale, et que l'on pourra reprendre le rythme de ces visites de sites, où nous avions notamment négocié des partenariats avec les offices du tourisme.
Les crues représentent un souci fort. La présence de nos ouvrages écrête les crues moyennes ; de sorte que les gens ne sont plus habitués aux crues et ne sont désormais confrontés qu'à des crues extrêmes.
Pendant les crues, nous avons deux missions. Nous devons veiller à la sécurité des ouvrages et des personnes. Nous ne lâchons jamais davantage d'eau qu'il n'en arrive. Un barrage qui pourrait retenir toutes les crues serait un barrage vide, et ne pourrait par conséquent pas produire d'hydroélectricité. Nos consignes d'exploitation en période de crues sont validées par les pouvoirs publics, et font aujourd'hui l'objet d'une démarche de certification au niveau des grandes vallées.
S'agissant du développement des autres énergies renouvelables en montagne, nous contribuons, au côté de l'ADEME, à leur développement sur les sites isolés, dans le cadre d'accords négociés. Il s'agit essentiellement de photovoltaïque sur des sites éloignés du réseau, en coopération systématiquement avec les syndicats d'électrification rurale. On a fait de très belles réalisations en photovoltaïque. Dans le cadre des accords ADEME-EDF, EDF a apporté une garantie d'exploitation de ces installations.
Sur le sujet de l'énergie réservée, il faut être prudent. La nouvelle loi sur l'électricité - sur la séparation entre la production, le transport et la distribution - va sans doute modifier la façon dont sont gérées nos relations sur l'énergie réservée. Nous sommes aujourd'hui les fournisseurs d'énergie réservée pour le compte d'autres producteurs. Je ne suis pas sûre que l'on sache exactement ce que l'on fait. Il faut clarifier la répartition des rôles.
M. Jean-Paul Amoudry - Merci Madame la Directrice pour cet exposé très complet, précis et enrichissant.
L'ensemble de la loi Montagne et de la politique de montagne balaye une infinité de sujets, dans lesquels la question des énergies réservées est un point très singulier. Tout ce que vous nous avez dit en dehors de cette question de l'énergie renouvelée est extrêmement précieux. Il faut toutefois que nous revenions sur cette question, encore que sur le sujet des collectivités locales et de leur bilan en termes de création de microcentrales, vous n'êtes peut-être pas les mieux placés à EDF pour y répondre. C'est donc peut-être une question que nous verrons auprès d'autres interlocuteurs. Vous n'avez pas de connaissances directes en la matière ?
Mme Claude Nahon - EDF paye le tarif d'achat aux gens qui peuvent en bénéficier. Mais le recensement est difficile. La question a été posée lors de la programmation pluri-annuelle des investissements, et l'Etat est pratiquement incapable de savoir combien il y a de chutes en France. D'autres acteurs produisent pour leur propre compte.
M. Jean-Paul Amoudry - Le domaine de la production, au sens de la loi de 1919, relève de la responsabilité de l'Etat. Nous sommes donc bien d'accord que le concédant public pour vous, n'est pas les collectivités, mais l'Etat. Vous nous dites que c'est le ministère de l'environnement qui représente l'Etat, et non pas celui de l'industrie.
Mme Claude Nahon - Tout à fait. Vous avez deux régimes, suivant que vous êtes en régime de concessions - qui dépendent du ministère de l'industrie - ou d'autorisations, qui dépendent du ministère de l'environnement, pour les petites puissances inférieures à 4500 KW. Je pense que c'est celles là qui vous intéressent.
M. Jean-Paul Amoudry - Il s'agit donc d'un régime de concessions en direction d'EDF et de la CNR, pour peut-être 98 % de la production, et il y a également une multitude de microcentrales dont la production est marginale, et qui dépendent du régime d'autorisation.
Ces microcentrales, pourtant, sont bien réintégrées dans le circuit transport d'EDF ?
Mme Claude Nahon - Oui, mais je vous redonne les chiffres ; cela doit représenter un TWh éclaté un peu partout. Ce sont des quantités très faibles, réinjectées dans le réseau local et consommées tout de suite.
M. Jean-Paul Amoudry - Vous n'avez donc pas l'inventaire de ces microcentrales ?
Mme Claude Nahon - Non, nous ne l'avons pas, pas plus d'ailleurs que le ministère de l'environnement. Nous avons seulement une estimation.
M. Jean-Paul Amoudry - S'agissant de la question de l'énergie réservée, qu'ont fait les conseils généraux de leurs compétences en la matière ?
Mme Claude Nahon - Sur ce volet non plus, nous ne disposons pas d'analyses complètes. Je n'ai pas encore un bilan de ce qui se passe exactement. On ne peut plus attribuer d'énergie réservée à un client éligible, ce qui nous oblige à être vigilants.
M. Jean-Paul Amoudry - Si j'ai bien compris, cette énergie transite par le réseau EDF. Il y a donc bien une comptabilisation à un moment ou à un autre ?
Mme Claude Nahon - Oui, mais elle est locale, à l'échelle des centres de distribution qui sont en train de se transformer en agences d'accès au réseau de distribution. Il y a un besoin de production, mais nous devons, en tant que producteur, suivre ce qui se passe au niveau des collectivités locales. C'est une prestation que nous effectuons pour le compte des autres producteurs ; nous estimons donc qu'elle va devoir être rémunérée. On va essayer de rassembler ces données au niveau de notre direction nationale. Je ressens exactement le même besoin que vous.
M. Jean-Paul Amoudry - On en ressent le besoin par rapport à la nouvelle loi qui devrait transcrire les orientations qui ont été adoptées à Barcelone.
Mme Claude Nahon - Ce qui nous intéresse n'est pas exactement la même chose. Je suis intéressée par le fait de savoir si l'on fait bien ce que la collectivité locale nous demande de faire, alors que vous êtes intéressés par l'usage même.
M. Jean-Paul Amoudry - J'aimerais que vous puissiez nous dire, peut-être pas ici, quelle est la pertinence des articles 89, 90 et 91 de la loi. Représentent-ils des bases législatives qui ont une vocation importante pour l'avenir, dans le domaine des énergies renouvelables et réservées ? Quel contenu donner à ces bases ? Gardent-elles leur pertinence ? Méritent-elles d'être confortées ?
Nous dressons le bilan de ce texte législatif. C'est un domaine qui est un peu une niche à part. Nous n'avons pas beaucoup d'éléments, les conseils généraux n'en parlent pas. Il y a une réalité technique et économique qui échappe pratiquement à tout le monde.
Si vous voulez bien réfléchir sur ces éléments, vous nous ferez part dans les temps qui viennent de vos sentiments.
Mme Claude Nahon - On vous fera passer une note sur ces deux sujets. Je pense qu'il faut séparer le problème des microcentrales de l'énergie réservée. Les microcentrales représentent un axe qui existe aujourd'hui dans la programmation pluri-annuelle des investissements sur le développement des énergies renouvelables. Mon sentiment personnel est que le jeu n'en vaut pas la chandelle par rapport à l'environnement.
L'énergie réservée est un outil d'aménagement du territoire pour les collectivités territoriales.
M. Jean Boyer - Dans mon département, la Haute-Loire, il y avait plusieurs projets de microcentrales. Comme vous le savez, la faisabilité est liée à la garantie des ressources en hommes, et aussi à la garantie de vendre à EDF, puisque EDF négocie une convention avec le producteur de la microcentrale.
Mme Claude Nahon - Pas tout à fait. La loi sur l'électricité prévoit un fonds de service public de production qui permet à l'Etat d'avoir des interventions pour soutenir sa politique de développement des énergies renouvelables. EDF ne fait - en tant que producteur principal dans le pays - qu'être transparent à un texte d'obligation d'achat qui lui est imposé. On a donc une relation contractuelle qui n'est pas négociée. L'ensemble des consommateurs éligibles et des producteurs vont rémunérer EDF grâce à ce fonds. Ce n'est pas EDF qui paye, mais l'ensemble des consommateurs éligibles et l'ensemble des producteurs.
M. Alain Very - Je voudrais faire une simple précision. La garantie d'achat est assurée par l'Etat. EDF n'est que l'exécutant de cette garantie.
M. Jean Boyer - Le volume de la production d'EDF en microcentrale est très limité, de l'ordre de 2 à 3 %, je crois.
Ne pensez-vous pas, que dans le cadre de l'aménagement du territoire, les micro centrales représentent un palliatif endormant ? Si je vous ai bien suivie, vous pensez qu'elles n'ont que peu d'avenir.
Mme Claude Nahon - Non, pas du tout, mais il est bien évident que ce n'est pas avec des micro centrales ou de l'éolien que l'on pourra remplacer le nucléaire. Il faut être réaliste avec les chiffres du potentiel hydroélectrique français, ou du potentiel de l'éolien.
Par contre, je crois au développement des énergies renouvelables en France, et je crois qu'il y a des espaces pour construire des microcentrales. Nous avons d'ailleurs une filiale qui a pour vocation de développer la petite hydraulique, mais je pense qu'il n'est pas souhaitable - pour des raisons de financement et d'intégration dans les territoires - qu'EDF construise seule. Nous sommes prêts à nous associer à des projets intéressants dans des vallées, mais je ne pense pas qu'il soit souhaitable que nous développions seuls de trop nombreux projets.
M. Alain Very - C'est vrai que l'on a du mal à être nuancé sur ce sujet qui a ses partisans et ses détracteurs. Certains sites peuvent se prêter à un aménagement raisonnable avec un impact limité sur l'environnement. Il faut trouver un juste milieu.
Mme Claude Nahon - Nous ne pouvons pas assurer le développement tout seuls. Je connais mal votre département, mais pour ce qui est des vallées des Hautes-Alpes par exemple, il est édifiant de constater que bien souvent, EDF est la seule industrie. Nous avons donc un vrai rôle au niveau de l'aménagement du territoire. Ce n'est que dans cette logique que nous pourrons envisager des développements, de même pour l'éolien.
M. Jean Boyer - Pour vous donner un ordre d'idées, il y a une vingtaine de micro centrales - dont 18 opérationnelles je crois- dans mon département, sur 500 000 hectares.
Mme Claude Nahon - Nous sommes très intéressés pour travailler avec vous, afin de regarder, si vous le souhaitez, si les centrales qui ne sont pas opérationnelles pourraient le devenir.
M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais revenir sur le problème de la taxation de la production hydroélectrique. Vous avez tout à l'heure parlé de 40 %. Pourriez-vous nous donner le détail ?
Mme Claude Nahon - Je vais essayer de vous le donner de tête. On a une courbe très significative qui montre l'augmentation des taxes, tandis que les coûts d'exploitation baissent. Tout centime que nos exploitants peuvent gagner - Alain Véry est bien placé pour vous en parler - est aujourd'hui compensé par l'augmentation des taxes.
Il y a la taxe locale, des prélèvements de l'agence de l'eau, et la taxe spéciale pour l'hydroélectricité que nous avons héritée de l'époque où l'on cherchait des financements pour le canal Rhin-Rhône. Lorsque l'on a renoncé au canal Rhin-Rhône, on n'a pas renoncé à la taxe. Lorsque l'on a développé l'indépendance de la CNR, la taxe a été répartie sur l'ensemble des aménagements d'EDF.
En rajoutant la TVA et l'impôt sur les sociétés, on arrive à 70 %.
M. Jean-Paul Amoudry - Dans les communes qui ont des barrages, on observe souvent des îlots, qui ressemblent un peu à des Emirats. J'imagine que c'est la taxe professionnelle qui fait la richesse de ces communes.
Mme Claude Nahon - Je connais en effet quelques communes dans les Alpes-de-Haute-Provence ou ailleurs, qui correspondent à la description que vous faites ; je pense à la commune de Demandols par exemple.
Ce n'est pas le cas du nucléaire, où il y a intercommunalité, alors que les communes riveraines des lacs ne bénéficient pas du tout des taxes pour l'hydraulique. Seul le lieu de l'usine ou du barrage perçoit les taxes
M. Jean-Paul Amoudry - Je crois que nous avons épuisé les questions que nous souhaitions vous poser. Nous aurons le plaisir de retrouver Monsieur Véry dans les Pyrénées dans quelques jours.