32. Audition de M. Pierre Rémy, délégué général de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) (26 juin 2002)
Je vous
remercie de nous laisser nous exprimer devant votre mission. L'ANEM attache de
l'importance à votre démarche particulièrement opportune
dans le contexte actuel. La loi montagne a été conçue au
début des années 80 dans le cadre de la mission conduite par
Louis Besson. Les concepts essentiels de cette loi datent de plus de vingt ans.
Depuis le contexte économique et social a évolué, et
malgré les vertus de ce texte et ses capacités d'adaptation, je
pense qu'il y a lieu effectivement d'aborder une réflexion sur son
aggiornamento. Néanmoins je voudrais commencer cette intervention par
une anecdote quelque peu paradoxale concernant la précédente loi
montagne.
La politique de la montagne a été engagée au début
des années 70 à l'initiative des agriculteurs qui, lors d'un
congrès tenu en 1972, dont nous allons fêter cette année le
trentenaire à Clermont-Ferrand, ont promu des concepts fixés
ultérieurement dans le cadre législatif de la loi montagne. Cette
loi, qui à l'époque a suscité de nombreux débats,
s'inscrivait dans la politique de rénovation rurale lancée par
Pompidou en 1968.
Par la suite, l'intérêt autour de ce sujet s'est beaucoup affaibli
du fait de l'existence peut-être de la loi montagne. Nous avons beaucoup
polémiqué à ce sujet avec son rapporteur Robert de
Caumont. Certes, le contexte institutionnel avait changé avec la
décentralisation. Cette situation était décevante.
Peut-être faut-il effectivement aujourd'hui redéfinir les grands
axes d'une politique de la montagne. J'ai constaté au cours de ma
carrière largement consacrée à la montagne qu'en l'absence
d'une politique de la montagne rigoureuse, celle-ci tendait à
s'affaiblir.
La politique de la montagne ne peut s'inscrire dans le cadre d'une politique
globale d'aménagement du territoire. Quand ce fut le cas par exemple au
début des années 1990 à l'instigation de Jacques
Cherèque, la politique de la montagne s'est affaiblie. Je ne souhaite
pas polémiquer sur les instruments mis en place. Mais le manque de
dynamisme aujourd'hui de la loi montagne résulte peut-être du fait
que, à une politique de rééquilibrage territorial, a
été substituée après la loi Pasqua, un certain
nombre d'instruments comme les politiques de pays, d'aides au
développement local qui, s'ils renferment incontestablement des vertus,
pêchent par l'absence de vision globale induite par ces outils.
Peut-être faut-il exclure de cette remarque la DATAR qui envisage les
territoires comme un ensemble de pôles qui doivent être
développés.
Les outils de développement existants sont insuffisants car les
territoires ne sont pas égaux. Certaines régions souffrent d'une
faible densité. Il semble donc difficile de se référer
à des politiques locales comme moyen d'aménagement du territoire.
Le projet que vous conduisez réussira d'autant mieux que vous prenez
garde à impulser une politique de la montagne à portée
plus globale. Je tenais à exprimer cette réflexion
préalable, qu'il faut sans doute nuancer, mais l'observation montre que
nous manquons d'entrain sur ces questions.
Le pouvoir d'aménagement s'est déplacé de l'Etat aux
régions. Or, la montagne ne se retrouve pas dans des approches
régionales car les massifs concernent le plus souvent plusieurs
régions. En ce cas, l'approche transversale est indispensable. Une
remarque : quand un massif est intégralement situé dans une
région, on s'aperçoit que la réflexion est moins
accentuée que si le massif recouvre plusieurs régions. En
attestent les Alpes du Nord où les relations sont difficiles entre les
Alpes et la région : les comités de massif, par exemple, ne
fonctionnent pas.
La montagne doit donc être considérée comme un espace
interrégional. Une manière de développer la politique de
la montagne a notamment été de favoriser cette politique de
massifs et de lui donner corps à travers les conventions
interrégionales de massif. Que peut-on penser des conventions
interrégionales de massif ? Ces outils me paraissent excellents et
doivent être renforcés. Ils favorisent la concertation entre les
régions qu'il s'agisse des circonscriptions administratives ou des
collectivités territoriales. Ces outils pourront faire progresser la
montagne sur le plan européen.
Je pense que vous avez eu des contacts avec la direction de la politique
régionale à Bruxelles. J'ignore s'ils ont parlé librement,
mais peut-être avez-vous senti une forte opposition à
l'émergence d'une politique de la montagne de la part des services de la
commission (et non pas, je le précise, du commissaire chargé de
la politique régionale). Ils considèrent, en effet, que la trop
grande diversité des régions de montagne empêche le
développement d'une politique régionale unitaire. Leur opposer la
notion de massif constitue peut-être le moyen de battre en brèche
leurs objections.
Les instances européennes sont tout à fait conscientes de cette
grande diversité des situations de montagne car leur vision est plus
globale. Pour elles, il n'est pas souhaitable de mettre en oeuvre des
politiques uniques de la montagne. Nous pourrons être entendus si nous
pouvons démontrer que les régions sont capables de porter cette
politique interrégionale au plan européen. Nous nous trouvons
dans une période quasi expérimentale. Les conventions
interrégionales disposent de peu de moyens, mais ces crédits
s'avèrent stratégiques.
Les différences subsistent selon des massifs, mais nous trouvons des
conventions interrégionales bien ficelées, pour lesquelles les
études ont été approfondies au sein des comités de
massifs ou des équipes du commissariat à l'aménagement de
massif. L'utilité de ces crédits a été bien
pensée. Compte tenu de leur faiblesse, ces crédits sont souvent
stratégiques et expérimentaux. Or, souvent ces crédits ont
été considérés comme des crédits d'appoint,
venant en complément des actions déjà menées par
l'Etat ou des régions dans ces massifs. Le premier impératif est
donc d'être capable de définir une stratégie pour le
massif, d'avoir une vision d'ensemble des moyens qui sont mis à l'appui
du développement de ces massifs et de s'interroger sur l'utilisation des
crédits, qui, même modestes, peuvent ouvrir des pistes afin
d'expérimenter et innover.
Ce dernier point est important, car les conventions interrégionales de
massif devaient surtout favoriser l'innovation, n'étant pas soumises
à la pression de la satisfaction des besoins et des demandes, comme le
sont les autres volets des contrats de plan. Les conventions
interrégionales peuvent jouer un rôle important Ces conventions
ont été très largement pilotées par les Commissions
à l'aménagement de massif.
De ce fait, les régions ne se sont pas encore engagées dans cette
procédure. Pour elles, sortir de leur horizon de responsabilité
géographique afin de dégager une vision d'ensemble est un acte
difficile. Il faut amener les régions à des réflexions
permanentes sans attendre la fin des contrats de plan pour engager de nouvelles
discussions. Les régions doivent être plus associées
qu'elles ne le sont actuellement à la réflexion en amont. Elles
ne sont pas suffisamment impliquées dans les commissions de massif.
Enfin, il faut disposer d'un potentiel de matière grise important. Or ce
potentiel, qui s'appuie sur les petites équipes du commissariat à
l'aménagement de massif, est insuffisant aujourd'hui.
Nous ne nous dirigeons pas vers un renforcement du personnel de ces structures,
mais pourquoi, à la manière de l'Union européenne quand
cette dernière considère qu'elle ne dispose pas des
compétences requises, ne pas faire appel à la
société civile, à des bureaux d'étude, lancer des
appels d'offres ?
Il faudrait sortir de notre culture dans laquelle toutes les décisions
sont prises par des fonctionnaires, et être capable de recruter dans un
autre vivier un potentiel de matière grise difficile à mobiliser
pour l'instant.
Vous vous demandez si l'application de la directive habitats "Natura 2000" est
satisfaisante. Il est banal d'affirmer qu'elle ne l'est pas du tout, mais il
est plus s'intéressant de s'interroger sur les raisons de cet
échec.
La directive a été élaborée par un cénacle
au plan européen sans aucune concertation en amont. Et elle a
été adoptée dans l'indifférence totale car peu de
gens se sont rendu compte des enjeux. Aucun débat public n'est apparu
autour de ce texte aussi important. Ce manque de dialogue et le secret autour
de la directive constitue sa première faiblesse comme ce fut le cas pour
la Convention alpine.
De façon générale, se pose le problème du
fonctionnement de l'Europe et de son déficit démocratique.
Remettre en cause les droits de propriété d'une
collectivité sur un territoire sans organiser un débat est
toujours ressenti comme un camouflet. Cette directive ne peut donc être
reprise sauf si elle est mise en oeuvre dans le cadre d'une procédure
relativement différente.
L'ANEM a saisi le Conseil d'Etat pour contester cette directive au moment de sa
transposition dans notre droit lorsque son caractère est encore
réglementaire et non pas législatif. Nos motifs reposaient sur le
manque de concertation empêchant que ce texte soit admis par l'ensemble
des collectivités de montagne. Nous attendons la décision du
Conseil d'Etat, mais sans doute cette directive devra-t-elle être reprise
afin d'obliger l'Union européenne à dialoguer. Les livres blancs
de l'Union européenne sur la gouvernance sont remarquables, mais nous
aimerions qu'elle applique ces principes en associant les populations locales
aux décisions.
Notre souhait est de faire en sorte que le changement des équipes
ministérielles permette de poser ce problème non pas simplement
au plan national mais aussi au niveau de Bruxelles. Sur le fond la question qui
se pose dans la pratique ne concerne pas la protection des espèces mais
la capacité des collectivités locales à négocier,
définir des cahiers des charges au sein des sites, quand elles sont
confrontées à l'administration, c'est-à-dire des
scientifiques ou des techniciens.
De notre part, existe sans doute une carence de la part de ceux qui sont
chargés d'aider les collectivités locales. Les maires ne sont pas
des écologues. Ils n'ont pas passé dix ans au Muséum
d'histoire naturelle. S'ils ont une connaissance pratique du territoire, ils ne
sont pas capables de conduire des discussions techniques sur la conservation
des habitats. Cette carence doit trouver une solution.
En ce qui concerne la péréquation des finances locales et des
charges des collectivités locales de montagne, il faut se rappeler que
dans notre pays, certaines mesures veillaient à éviter à
ce que le seul critère de répartition des crédits soit
celui de la population. L'idée de prise en compte du territoire a
été introduite dans la réforme de la DGM de 1985 et
renforcée dans la loi d'amélioration de la
décentralisation en 1988 au point que nous nous trouvons devant des
critères aberrants: le potentiel fiscal superficiaire.
Comment en effet ramener un potentiel fiscal à un territoire, à
un espace ? Pourtant, il s'agit là du meilleur moyen de prendre en
compte les charges difficilement mesurables liées à
l'étendue du territoire au relief, aux difficultés de
déplacement, aux accidents. La notion de charge territoriale a eu des
effets salutaires au niveau des communes, des départements à
faible densité de population. Mais elle montre ses limites puisque les
réformes de la dotation globale de fonctionnement (DGF) successives ne
l'ont pas reprise ou du moins partiellement dans des dotations moindres comme
celle de la DSR instituée en 1992-1993. Nous nous trouvons devant une
perte des capacités de péréquation.
Réintroduire cette réflexion paraît d'autant plus difficile
que ce débat n'est pas d'actualité. Les marges de manoeuvre sont
faibles en raison de la montée en puissance de
l'intercommunalité. En outre, la capacité de redistribution de la
DGF hors de l'intercommunalité est réduite. Mais,
peut-être, faudrait-il préparer une autre réforme dans deux
ou trois ans, en réfléchissant sur une façon de prendre en
charge directement le territoire et certains éléments
caractéristiques du territoire.
Nous détenons un moyen indirect de saisir le territoire dans le rapport
entre la population et le potentiel fiscal superficiaire ; c'est-à-dire
la population et le territoire. Mais d'autres critères, plus
significatifs aux yeux de l'opinion publique, pourraient être mis en
exergue. Certaines associations de protection de la nature avec lesquelles nous
avions engagé un dialogue pensaient effectuer le calcul selon la surface
toujours en herbe.
Ce critère de qualité de l'environnement est intéressant.
L'idée est d'avancer dès maintenant sur la définition de
nouveaux critères. La prise en compte des aspects environnementaux
devrait permettre d'aider les collectivités de montagne notamment celles
qui connaissent les plus faibles densités démographiques à
supporter des charges relatives au coût de fonctionnement de service
public (et non pas d'infrastructure), qui, ramenées à la
population, s'avèrent extrêmement lourdes. Faut-il transformer les
comités de massif en établissements publics de coopération
intercommunale (EPCI) inter-régionaux ?
Ce sujet n'a pas été beaucoup débattu au sein de notre
association, mais, pour l'instant, cette idée n'apparaît pas comme
la meilleure solution. L'intérêt de créer un
établissement administratif pour remplir une tâche qui ne
s'apparente absolument pas à une mission de gestion, semble contestable.
Le comité de massif et le commissariat de massif qui travaille à
ses côtés sont des administrations plutôt de mission comme
aime à le souligner la DATAR, et non pas de gestion.
Or, si des responsabilités de gestion importantes étaient
déléguées à ces instances, nous risquerions de
tomber dans un fonctionnement administratif qui, de plus, entrerait en
concurrence avec les régions qui verraient d'un très mauvais oeil
cette initiative. Aller dans cette direction me semble inutile. En revanche,
nous pourrions transformer le comité de massif en une instance
animée par un président élu. Nous avons
évoqué la co-présidence, mais ce système
paraît difficile à manier. Nous nous apercevons qu'une commission
permanente, en principe présidée par un seul élu, est
très dynamique.
A l'instigation de Patrick Ollier, notre ancien président qui a mis en
oeuvre à l'époque de la loi d'aménagement du territoire en
1995 la présidence par un seul élu, nous avons réussi
à donner un pouvoir d'incitation à des comités de massifs
qui étaient moribonds. Ces structures paraissaient comme des instruments
lourds, réunis à la convenance du préfet et incapables
d'impulser des réflexions en profondeur. Le comité de massif est
une structure intéressante qui rassemble élus et organismes
socioprofessionnels. Si la présidence était assurée par un
élu disposant de moyens, les comités de massif seraient capables
de jouer un rôle encore plus important qu'ils ne le font actuellement.
Dernier point : faut-il assouplir le droit de l'urbanisme en montagne ? Il faut
revenir aux idées qui ont été à l'origine de ces
dispositions. En 1977, une circulaire anti-mitage prise par Monsieur
Poniatowski visait à éviter que le territoire de la montagne soit
le lieu de constructions anarchiques. Le gouvernement a institué le
principe, non pas d'une interdiction de construire, mais du regroupement des
constructions.
L'idée de continuité est apparue à la même
époque dans notre droit. Ensuite nous assistons à la reprise dans
la loi montagne de ces textes votés par le Parlement. Le système
ainsi mis en place était étonnant. Avant 1985 le système
s'appliquait bien car, paradoxalement, nous étions dans un
système centralisé : le préfet décidait, autrement
dit l'intelligence humaine était en oeuvre, et pas simplement des
textes.
Entre 1977 et 1985, la mise en oeuvre des dispositions d'urbanisme n'a pas
posé de réels problèmes. Mais ensuite, ces dispositions
relevant du domaine législatif, nous sommes donc passés sous
l'influence du juge du contentieux. Le changement de cap a été
radical à cause de l'interprétation restrictive de ces
dispositions : le législateur a considéré qu'il s'agissait
non pas d'organiser autrement les constructions mais de les réduire. Et
l'administration, dans son souci sans doute de bien faire et de respecter le
législateur, a suivi cette jurisprudence.
Aujourd'hui, nous nous trouvons devant des notions de construction en
continuité dont les discussions à ce sujet s'apparentent au
débat sur le sexe des anges. Cette interprétation a bloqué
les possibilités de construire en zone de montagne. Tous les trois ans,
des lois comme la loi Besson, Pasqua, SRU viennent rétablir
l'idée originelle du législateur. Et à ces occasions, les
élus sont souvent la cible de critiques les accusant de permettre les
constructions anarchiques.
Nous essayons donc à chaque fois de revenir à l'esprit initial du
législateur, mais à chaque fois, nous nous apercevons que notre
démarche est pratiquement sans résultat. Tel est le cas
actuellement s'agissant de la loi relative à la solidarité et au
renouvellement urbain (SRU).
On nous oppose alors souvent les possibilités ouvertes par les
prescriptions particulières de massif qui permettraient de mieux
définir les spécificités d'un territoire massif par massif
et aussi les directives territoriales d'aménagement (DTA), lesquelles
semblent un instrument extrêmement technocratique et en tout cas hors de
portée des élus car ceux qui voudraient en suivre
l'élaboration devraient participer à des réunions toutes
les semaines et mobiliser un Etat afin de préparer les dossiers ce qui
semble impossible.
Comment le maire qui découvre les dossiers peut-il lutter à armes
égales avec l'administration dont plusieurs personnes sont
chargées de travailler sur le projet ?
Je me fais d'ailleurs beaucoup de souci concernant les résultats de la
directive d'aménagement territorial des Alpes du Nord. Les prescriptions
particulières de massif restant lettre morte, faut-il essayer de les
personnaliser ? Je crains que nous nous perdions dans des discussions
longues et techniques sur des questions du type : qu'est-ce que la
continuité ici et là-bas ? Car, par exemple, en Savoie, les
constructions sont éclatées en hameaux et cette situation ne se
retrouve pas du tout dans les autres massifs.
Nous nous trouvons donc devant de grandes difficultés. Je me demande si
nous ne devrions pas revenir à des notions plus saines où nous
laisserions une capacité d'adaptation non pas au niveau des massifs car
ce cadre, trop lourd, n'est pas idéal pour régler ces
problèmes, mais à des commissions des sites revues ou
corrigées ou à un groupe de travail de ces commissions des sites
qui conseilleraient les administrations sur la mise en oeuvre des dispositions.
Il n'existe aucune règle qui pourrait s'appliquer sans
considération des territoires. Les redéfinir permet quelques
progrès, mais l'interprétation par les administrations vient
restreindre les possibilités offertes par le législateur.
M. Jean-Paul Amoudry
- J'aimerais vous poser une question sur la
façon dont vous voyez l'évolution des procédures des
unités touristiques nouvelles (UTN).
Une réforme est intervenue dans le cadre de la loi SRU. D'après
les informations que vous détenez, quelle appréciation
faites-vous de l'amendement qui a été élaboré ? Et
quel avenir prévoyez-vous pour cette procédure ? En effet, les
grands projets sont aujourd'hui derrière nous et il faut du
réalisme pour que le remplacement des installations lourdes n'ait pas
forcément toujours lieu selon cette procédure. De plus, nous
avons en moyenne montagne des opérations qui seraient justiciables de
cette procédure mais qui, en tout bon sens, devraient en être
épargnées.
Enfin, pour aller plus loin sur le sujet de la péréquation
financière que vous avez abordé tout à l'heure,
pourriez-vous nous éclairer sur les critères nous permettant de
définir cette notion de potentiel fiscal superficiaire ?
M. Pierre Rémy
- S'agissant des unités touristiques
nouvelles, fallait-il maintenir un régime dérogatoire qui
maintient l'administration dans ses prérogatives antérieures ? La
procédure UTN instituée à la fin des années 1970
alors qu'une grande partie des aménagements était terminée
a été reprise dans la loi montagne. Même si les
parlementaires ne s'y sont pas opposés, un débat est apparu sur
ce sujet car cette procédure dérogeait aux lois d'urbanisme
et de décentralisation et, par ailleurs, laissait à
l'administration le pouvoir de juger. Quel avenir pour cette procédure ?
Nous retombons dans les difficultés que je signalais tout à
l'heure. Comment mettre en oeuvre un outil qui était adapté
à certaines situations, mais se trouve l'être de moins en moins,
le type d'opérations qu'il visait ayant disparu et ne s'adaptant
certainement pas à la moyenne montagne ni à des opérations
réduites. `
N'avons-nous pas alors manqué une occasion de redéfinir une
procédure qui se rapproche davantage du droit commun ? A travers cette
question, je souhaite traduire un certain pessimisme quant au caractère
opérationnel des dispositions qui ont été adoptées.
Que le législateur présent ici m'excuse, mais cet instrument
s'est révélé souvent inadapté et difficile
d'application. Le retour au droit commun avec une loi dont certaines
dispositions pourraient être revues, permettrait de régler
certains problèmes.
Autre point, le potentiel fiscal superficiaire correspond au potentiel fiscal
de la commune ramené à l'ensemble du territoire. Cela joue
partiellement pour la DSR communale et surtout pour les 22 ou
23 départements qui bénéficient d'une dotation de
fonctionnement minimale spéciale. Les effets de cette mesure sont
extrêmement forts quand elle est mise en oeuvre sur des dotations
importantes. Cela n'est pas forcément le cas dans le cadre de la DSR car
cela représente une petite partie de la DGF, puisque celle-ci a
été forfaitisée, et cette disposition qui existait dans
l'ancienne réglementation n'existe plus que pour la partie de la DSR et
pour une faible part dans la rétribution de la DSR.
En revanche la dotation reste importante (environ 152 millions d'euros) pour
la vingtaine de départements qui en bénéficient et se
traduit par une capacité redistributive remarquable.
L'un donne à l'autre puisque le financement de la dotation de
fonctionnement minimal est pour parti prélevé sur les
départements dits riches, c'est-à-dire qui disposent d'un
potentiel fiscal élevé. En dehors de ces aspects délicats
que soulève la source de financement, les effets sur les
départements les plus démunis en taxe professionnelle ont
été importants.
La Lozère ne serait pas aussi bien dotée en équipements
publics si, depuis 1988, cette mesure n'était pas entrée en
vigueur. Dans ce département, le rapport entre cette redistribution et
l'ensemble des autres ressources est très élevé.
Le pouvoir redistributif de ces mécanismes de répartition de la
dotation de fonctionnement minimal, c'est-à-dire le potentiel fiscal
superficiaire, est donc très fort. Je tiens à le souligner car
régulièrement au comité des finances locales, cette mesure
est mise en cause moins par les départements donateurs que par des
représentants du milieu urbain, de départements urbains qui
trouvent cette mesure aberrante. Les critères qui ont été
mis en place pour le calcul de la DSU étaient tout aussi contestables
que le potentiel fiscal superficiaire. D'où l'idée, sans faire
disparaître cette mesure, de chercher d'autres moyens d'apprécier
la capacité, la qualité et l'importance de l'espace et des
coûts liés à la gestion de l'espace qui sont très
importants en zone de montagne.
Un critère avait été suggéré ; l'inverse du
nombre de résidences secondaires ou de logements touristiques par
rapport à une moyenne nationale. Car nous savons que ceux-ci sont
générateurs de revenus relativement importants. Certaines
communes participent à la mission de maintien de l'espace, mais ne
bénéficient pas de la manne des activités touristiques qui
sont absentes de leur territoire. Les charges auxquelles elles sont
confrontées sont considérables.
L'idée qui a été lancée est donc de prendre le
contre-pied d'une donnée caractéristique d'une certaine richesse
afin de l'introduire comme critère de répartition. D'autres
possibilités existent. L'IFEN (Institut français de
l'environnement) a mis au point des mesures de données environnementales
de plus en plus précises au niveau communal par des photos satellite.
Les situations environnementales des communes peuvent donc être connues
très finement. On pourrait ainsi utiliser les données de la
surface en herbe que j'ai évoquées tout à l'heure mais
aussi l'importance de la forêt. Ces critères de qualité
environnementale pourraient être utilisés au profit de la
montagne.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- J'aimerais vous faire réagir
sur la question de la montagne, de l'eau et de l'avant-pays ainsi que sur les
perspectives que nous pouvons entrevoir de la politique d'aide à
l'agriculture dans le nouveau contexte européen.
M. Pierre Rémy
- Nous avons le sentiment que nous sommes à
la veille de tensions très fortes sur le problème de la gestion
de l'eau. Une réunion sur ce thème aura lieu prochainement en
Haute-savoie. Les contestations sont fortes s'agissant de l'utilisation de
l'eau dans le développement des pratiques d'enneigement des cultures.
Nous remarquons de plus en plus que certains massifs des Alpes du sud souffrent
d'un déficit important en eau, au point que l'utilisation traditionnelle
de l'enneigement des cultures tend à être de plus en plus
difficile.
Une réflexion sur ces questions doit être engagée. Nous
allons poursuivre nos discussions au cours de la réunion qui doit se
tenir en octobre prochain.
Le problème de la gestion de l'eau implique d'arbitrer entre les
utilisations rurales et urbaines de l'eau. Cette question ne se pose pas avec
beaucoup d'acuité chez nous, mais peut-être se posera-t-elle dans
les années à venir.
En ce qui concerne l'Europe, je pense qu'il s'agit moins de défendre une
activité que de reconnaître la spécificité de la
montagne ; ce qui est déjà le cas au travers des aides dont elle
bénéficie. Il faut aussi tenter de sauver l'activité
montagne des modifications qui pourraient intervenir dans le cadre de la
réforme de la PAC.
De façon générale, notre attitude doit être beaucoup
plus offensive afin de convaincre de la nécessité d'une politique
territoriale de l'Europe. L'approche de cohésion est en effet
insuffisante.
Les territoires doivent être considérés non seulement sous
l'angle de leur retard par rapport à une moyenne européenne mais
en eux-mêmes, de sorte que soit acceptée l'idée qu'il
puisse exister des politiques différenciées pour un certain
nombre de territoires dont la montagne. De plus, si la notion de handicap a
été utile et se révèle encore indispensable, nous
nous rendons compte qu'il ne faut pas axer la politique de la montagne sur ce
concept.
Il faut développer des idées beaucoup plus positives. D'autant
que, à l'échelle européenne et même en France,
l'image attachée à la montagne ne renvoie pas à
l'idée de handicap. Le massif alpin est plutôt
considéré comme béni des dieux, il en est de même
pour d'autres massifs un peu moins riches.
Si nous parvenons à expliquer ce qu'apporte la montagne à la
société européenne, nous pourrons obtenir des appuis et
peser beaucoup plus lourd. Le soutien des pays du Nord dont le poids est le
plus lourd au sein de l'Union européenne, est le plus important.
Ces pays sont aussi ceux qui ont tendance à axer leur approche de la
montagne sur la protection de l'environnement. Or, nous ne défendons pas
cette vision de la montagne comme un espace voué uniquement à la
protection des espèces, ou aux loisirs.
Nous défendons une montagne dont les activités, extrêmement
diversifiées, fonctionnent toute l'année. Nous défendons
autant l'idée de biodiversité que celle de
socio-diversité, c'est-à-dire le fait de ne pas avoir une
mono-production ou une mono-fonction dans laquelle on tend parfois à
enfermer la montagne.
Au-delà des aspects techniques de défense des mesures
déjà instituées ou des propositions à faire
s'agissant de la réforme de la PAC, il faut mener en direction de l'UE
et à l'aide du Commissaire européen en charge de la politique
régionale, une offensive très forte afin d'encourager
l'élaboration d'une politique régionale
différenciée qui se distingue d'une politique européenne
de développement régional.
Nous avons quelques alliés dans d'autres parties du territoire
européen. Je tiens à m'excuser de ne pas vous avoir
répondu en termes de tactique mais plutôt de stratégie
globale. Mais je pense qu'une telle politique serait en mesure d'aider
l'agriculture de montagne.