31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de Chambéry (26 juin 2002)

Merci de votre accueil. Je suis ravi d'évoquer à nouveau un sujet qui m'avait tenu à coeur avant que, devenant maire d'une ville, je ne m'éloigne un peu de ces préoccupations. Je ne souhaite pas me positionner d'une manière passéiste sur un travail réalisé dans les années 70 et concrétisé au milieu des années 80.

Cela dit, j'aimerais que mon intervention puisse vous aider à comprendre ce qui a été réalisé voici près de vingt ans. Vous m'avez interrogé sur les principales propositions du rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 1982 sur la montagne.

À l'époque, le rapport avait comporté 200 propositions législatives, réglementaires et communautaires, mais nous n'attendions pas qu'un projet de loi renferme autant de propositions, dont la moitié ne relevait d'ailleurs pas du champ législatif. Nous savions qu'il était très difficile qu'un projet de loi d'origine gouvernemental reprenne l'intégralité des propositions de la commission d'enquête. En effet, le projet de loi déposé au Parlement ne comportait plus qu'une quarantaine d'articles.

Mais comme la plupart des membres de la commission spéciale chargés d'examiner le texte, avaient aussi participé à la commission d'enquête, il est évident que, par voie d'amendement, toutes les dispositions législatives qui n'avaient pas été introduites dans le projet de loi l'ont été au cours du débat parlementaire. Ainsi ce projet de loi d'une quarantaine d'articles à son entrée au Parlement en est sorti considérablement étoffé, fort d'une centaine d'articles.

Ce qui n'avait pas été retenu s'expliquait par des difficultés au niveau du travail interministériel s'agissant par exemple du volet organisation du tourisme en montagne avec la maîtrise du manteau neigeux, le conventionnement... En effet, il était extrêmement difficile d'obtenir des points de vue convergents des ministères dont les préoccupations sont différentes.

La rédaction qui n'avait pu être achevée par les cabinets ministériels à cause des difficultés d'arbitrage, l'a été par le Parlement. Par exemple, le ministère de l'intérieur n'était pas favorable à l'octroi de prérogatives spécifiques aux communes de montagne complexifiant le code général des collectivités territoriales, dont le respect est assuré par le préfet.

Le ministère des finances pour sa part était sensible aux moyens de renforcer les sources de devises et le secrétariat d'Etat au tourisme bien sur n'y était pas défavorable. En revanche, le ministère de l'environnement qui se sentait le gardien du décret du 22 novembre 1977 sur les unités touristiques nouvelles (UTN) était au contraire réservé sur la poursuite de l'aménagement du territoire montagnard. Ainsi, les points de vue étaient tellement contradictoires qu'aucun texte arbitré n'a vu le jour pour être inscrit dans le projet de loi adopté par le Conseil des ministres.

Les travaux parlementaires ont eu un rôle essentiel, mais c'est à vous qu'il appartient, bénéficiant d'un recul de 17 années, d'examiner si cette loi a été pertinente. Je n'ai évidemment aucune prétention à vous éclairer sur ce point.

Le deuxième dossier pour lequel le retrait par rapport aux travaux de la commission d'enquête a été flagrant concerne la question délicate de la protection sociale des pluri-actifs.

Nous avions réussi à faire voter en première lecture à l'Assemblée nationale, une disposition établissant que le pluri-actif avait le choix de son régime et une fois la caisse choisie, il était à charge de cette dernière de régler les problèmes de coordination avec les autres caisses. L'ensemble des conseils d'administration des caisses centrales est monté au créneau et a indiqué au ministre de tutelle, qui était le ministre des affaires sociales de l'époque, qu'elles ne respecteraient pas ce texte. Leurs objections reposaient sur des raisons techniques, informatiques.

Chacune développait son logiciel en fonction des caractéristiques spécifiques à chaque régime et donc il n'était pas question pour elles de subir des perturbations afin de satisfaire quelques centaines de millions d'individus qui, à leurs yeux, étaient capables de se débrouiller. Le ministre des affaires sociales disait qu'il ne voyait pas comment contraindre une caisse à gérer à la place de l'assuré la complexité à laquelle était confronté le pluri-actif. Et devant cette position très tranchée, nous avons battu en retraite en nous assurant tout de même d'obtenir une avancée.

De là est né le décret de coordination qui a permis l'addition des durées de cotisation de chaque régime pour le calcul des droits à la couverture de certains risques. Car, en effet, auparavant si les pluri-actifs, c'est-à-dire des individus qui sont, par exemple, moniteur de ski l'hiver, agriculteur à l'intersaison et charpentier l'été, étaient victimes d'un accident du travail, ils se retrouvaient en fauteuil roulant, mais aussi au bureau d'aide sociale. Une année continue de cotisation au même régime était nécessaire pour bénéficier du remboursement des soins, exigence qu'ils ne pouvaient satisfaire en changeant deux ou trois fois de régime au cours de l'année.

Ainsi, ce décret de coordination a constitué une avancée considérable même s'il représentait un recul par rapport au régime simplifié que nous avions souhaité pour les pluri-actifs. Pour mémoire, les caisses avaient accepté le principe d'organiser des permanences pour les pluri-actifs mais ne les ont concrétisées que dans deux localités Moutiers et Saint-Jean-de-Maurienne et je n'ai pas eu connaissance que cette expérience fut étendue ailleurs.

Les caisses se sont refusées à rendre polyvalents leurs agents au point que même lors de ces permanences le régime général envoyait trois représentants. Car chaque branche a ses représentants ce qui crée parfois des situations originales : les agents des diverses caisses qui attendent les clients sont parfois plus nombreux que les clients eux-mêmes.

Nous aurions aimé aller plus loin sur un autre point : la question de la stabilisation des emplois saisonniers. Selon notre analyse, un certain nombre de jeunes pouvaient d'autant plus facilement choisir de s'installer en montagne sur des petites structures qu'ils pouvaient y obtenir des compléments d'emploi stables. Nous avons pu faire passer la disposition permettant aux collectivités locales de titulariser un saisonnier.

La fonction publique d'Etat s'est montrée hostile à l'idée qu'on puisse titulariser un saisonnier. Alors même qu'elle acceptait des contrats à temps partiel répartis sur l'année, elle n'acceptait pas un temps partiel concentré sur une partie de l'année.

Dans une autre question, vous me demandez le jugement que je porte sur les comités de massif. Nous avons été à l'initiative de la création de cette structure ainsi que du Conseil national de la montagne ; ces instances ont été conçues comme des lieux de tribune afin qu'une population très minoritaire dans le pays (de l'ordre de 7 %) puisse bénéficier de l'attention des pouvoirs publics. J'avais été mis en minorité sur l'idée que ces instances puissent être dirigées par des montagnards eux-mêmes choisis par leurs pairs.

Cette proposition a suscité un tollé, certains ayant considéré que j'ouvrais la voie à un désengagement financier de l'Etat. En conséquence, la présidence des instances a classiquement été attribuée à l'Etat et a évolué récemment en co-présidence s'agissant des comités de massif. Ce pas en avant me semble tout à fait positif.

Faut-il changer le statut des comités de massif et les transformer en établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ? Cette approche n'a pas été débattue à l'époque car traditionnellement, les EPCI assument surtout des responsabilités de maîtrise d'ouvrage. Or, il était souhaitable de créer une structure qui soit un lieu d'interface entre la montagne et les décideurs, un lieu de tribune pour les montagnards. Cette hypothèse n'a donc pas été envisagée. Peut-être faut-il, si des actions doivent être conduites à l'échelle des massifs, que des établissements publics interrégionaux voient le jour.

Je ne suis pas sûr qu'il faille pour autant se passer des comités de massif, bien que ces derniers manquent souvent de dynamisme et d'initiative. S'agissant de l'urbanisme en montagne, vous avez d'ailleurs sans doute remarqué que les comités de massif n'ont pas fait usage de leurs prérogatives.

Nous avions parfaitement conscience en rédigeant un chapitre spécifique à la montagne dans le code de l'urbanisme, qu'il était impossible de prévoir toutes les situations susceptibles d'être rencontrées dans des massifs très divers. De plus, il était déjà très difficile de faire admettre aux instances juridiques l'idée que des dispositions législatives spécifiques puissent être mises en oeuvre sur une partie du territoire. Affiner encore les dispositions de telle sorte qu'elles ne soient pas les mêmes dans les Pyrénées que dans les Vosges, dans le Massif central que dans les Alpes semblait difficilement envisageable. En revanche, nous allions trouver une possible réponse à une meilleure prise en compte de la diversité des massifs dans un document de type nouveau que la loi montagne allait créer : la prescription particulière de massif.

Nous attendions que cette prescription soit mise en oeuvre par les acteurs membres des comités de massif. D'autant que, les formes de l'habitat n'étant pas les mêmes selon les massifs, les réponses uniformes n'étaient pas très heureuses. Or, de ce point de vue, nous avons connu une certaine déception car aucune tentative d'élaborer ce type de document ne s'est manifestée. L'article 8 de la loi qui évoquait le droit à la différence n'a pas été utilisé. A l'époque, ce débat avait même été tranché sans aucun veto émanant de républicains sourcilleux qui auraient pu voir la République en péril dans ces déclinaisons de dispositions légales massif par massif.

Paradoxalement, du fait de l'absence de prescriptions particulières, nous n'avons pas retrouvé les distinguos établis dans la directive du 22 novembre 1977, laquelle prenait en compte l'altitude en-deçà ou au-delà de laquelle le régime était différent ; altitude modulée selon les massifs, 1.200 mètres dans les Alpes, 800 mètres dans le Massif Central.

Les prescriptions de massif auraient pu décliner les choses à un niveau infra-régional, mais cela n'a pas été le cas. Ainsi, lorsque la loi sur l'aménagement du territoire de février 1995 a été débattue, aucune voix ne s'est élevée contre l'abrogation de cette disposition, qui, finalement, a été rétablie ensuite dans le cadre de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).

Est-ce que, aujourd'hui, cette disposition aura plus de chance de se voir concrétisée ? En tout cas, je crois que cette question provoquera au sein de votre commission un débat sensible. Quand l'abrogation des prescriptions particulières a été discutée en 1995, l'argument était qu'aucun dispositif de ce type n'avait été mis en oeuvre et qu'il existait d'autre part un nouvel outil d'aménagement du territoire.

Un consensus s'est établi au sein des gouvernements depuis sept ans pour réserver les directives territoriales d'aménagement (DTA) aux zones à fort développement démographique ou aux territoires où les enjeux de maîtrise foncière sont plus forts qu'ailleurs. La carte des DTA prouve que, s'agissant de la montagne, ce dispositif ne touche que les Alpes du Nord et une partie des Alpes maritimes, c'est-à-dire les secteurs soumis à de fortes pressions foncières, où la maîtrise des zones de construction ainsi que la préservation de terrain sont indispensables.

Une complémentarité entre la DTA et la prescription de massif peut donc être envisagée surtout si vous obtenez que soit confirmée la capacité juridique donnée aux prescriptions de massif d'adapter les dispositions d'application et non pas "préciser" comme inscrit dans le texte sur les DTA.

Une complémentarité est donc possible entre ces deux dispositifs d'urbanisme, encore faut-il que vous arriviez à en encadrer le champ de manière à vous protéger du risque d'inconstitutionnalité. Vous avez devant vous un problème délicat sur lequel il faudra travailler. Dernière question : est-il possible d'assouplir le droit de l'urbanisme en zone de montagne ?

Ma réponse est affirmative si cet assouplissement est strictement encadré.

D'autres aménagements sont également possibles à partir des enseignements que vous pourriez obtenir de l'application des dispositions spécifiques de la loi de montagne sur la protection et la constructibilité des secteurs proches des lacs de montagne.

Nous nous heurtions à ce que les techniciens de l'urbanisme appellent l'urbanisme de cutch. A l'aide du double-décimètre, nous vérifiions si nous satisfaisions aux conditions ou pas. Nous étions très souvent pris en défaut d'aberration parce que l'inconstructibilité était systématique sur 300 mètres en bordure des lacs.

Or il se trouve qu'en montagne, aucune zone n'est plate et très souvent l'espace constructible, relativement dissimulé depuis les berges, se situe à 100 ou 200 mètres alors qu'à 300 mètres ou 400 mètres, nous étions complètement revenus en surplomb.

L'esprit d'une interdiction visant à préserver un cadre naturel ne prenait pas en compte la réalité topographique de ces zones. L'urbanisme du double-décimètre n'est pas du tout pertinent dans un secteur de montagne.

Essayer d'introduire un urbanisme intelligent a constitué un de nos axes prioritaires pour les secteurs sensibles de bords de lac. Nous avons accordé quelque souplesse aux communes qui s'étaient dotées d'un document d'urbanisme, ainsi qu'à celles qui acceptaient de mener un travail de réflexion prospective. Enfin les règles étaient assouplies davantage si le même effort de planification de l'espace était conduit dans un cadre intercommunal couvrant la totalité du pourtour du lac.

La combinaison de la souplesse et de la bonne échelle peut faire en sorte que les décisions mises en oeuvre soient considérées comme irréprochables par les grandes fédérations de la nature. Voilà monsieur le président les éléments que je voulais vous apporter sur ce point.

Je me permettrais encore de vous faire part d'une interrogation largement portée à l'époque par la Fédération nationale des producteurs de lait, et que nous n'avions pas tranchée : les modalités de calcul du handicap naturel.

Au début des années 80, s'opposaient les partisans de la méthode française reposant sur le zonage par commune calculé en fonction du différentiel d'altitude entre la partie la plus haute de la commune et la partie la plus basse et les défenseurs de la méthode autrichienne ou suisse telles les organisations agricoles souhaitant calculer le handicap exploitation par exploitation.

Cette dernière méthode ne paraissait pas impossible à mettre en oeuvre, France et Autriche détenant un nombre similaire d'exploitations en montagne. Nous avons finalement fait le choix de nous résigner à la méthode française et la loi montagne est calquée sur les pratiques du ministère de l'agriculture. Vos travaux risquent de susciter un nouveau débat à ce sujet.

Votre commission peut aussi avoir un rôle utile concernant la répartition des ressources nouvelles créées par la loi montagne. Les informations se font rares à ce sujet comme souvent d'ailleurs lorsqu'un système fonctionne bien. Une enquête pourrait être menée.

De même, vous pourriez étudier si une péréquation partielle pourrait s'appliquer afin de favoriser la solidarité entre les différents types de montagne. Enfin il serait intéressant de s'interroger sur l'affectation des ressources opérée par les Conseils généraux. Le Parlement à l'époque s'était contenté d'émettre un ordre d'affectation en mettant une priorité sur le tourisme de montagne mais est ce que les retombées du tourisme de neige sont allées à l'agriculture et dans quelle proportion ? Je me suis rendu compte que dans certaines communes et départements, les ressources étaient très substantielles. Il faudrait étudier cela.

Samedi dernier, lors d'une manifestation en altitude, deux maires comparaient la croissance de leurs ressources depuis la loi montagne ; l'un évoquait la somme de 1,070 million d'euros annuelle et l'autre soulignait qu'il avait reçu 168.000 euros au titre de la taxe sur les remontées mécaniques et 61. 000 euros par une meilleure répartition de la taxe professionnelle sur les prises d'eau des installations hydroélectriques.

Ces sommes obtenues annuellement ne sont pas négligeables ! Une étude approfondie sur ce sujet peut se révéler intéressante...

M. Jean-Paul Amoudry - Merci beaucoup pour cet exposé. J'aimerais vous poser deux questions. Que pensez vous de l'évolution de la dimension européenne de la montagne qui était déjà une réalité en 1985 dans un contexte où d'autres massifs vont rejoindre l'Union européenne avec l'élargissement ? Quelle sera la place de la montagne dans son ensemble au sein de l'Union européenne et particulièrement de la montagne française ? Faut-il revoir le zonage ? Est-il nécessaire de développer d'autres concepts pour aider la montagne et s'adresser à l'exploitation et non plus à une zone géographique ?

Ma deuxième question porte sur un point qui m'a semblé essentiel dans la loi de 1985 : celui de la maîtrise par la collectivité locale de son développement sous la forme d'autorités chargées du transport touristique comme les remontées mécaniques. Par la suite, une loi a obligé à ouvrir la délégation de services publics à la concurrence créant une certaine émotion dans le milieu montagnard car une telle évolution, pour certains, risquerait à terme d'engendrer le dessaisissement des montagnards de leur propre destin. Que devient la vision service public de l'équipement de la montagne ? Que pensez-vous du dessaisissement des montagnards ?

M. Louis Besson - L'ouverture à la concurrence concernant les délégations de services publics ne remet pas forcément en cause la maîtrise communale dans la mesure où le contractant communal demeure. De nouveaux candidats peuvent apparaître : quels sont les effets de cette concurrence ? En 1985 sont apparus des groupes importants comme la Compagnie des Alpes qui, par rachats successifs de concurrents, a pris une importance majeure.

En ce sens, le rapport de force avec le concurrent local peut évoluer. Peut-être faut-il renforcer le pouvoir de l'autorité locale et donner des prérogatives accrues et des garanties complémentaires aux collectivités qui accepteraient de favoriser une approche par vallée. Peut-être faut-il octroyer une prime à l'intercommunalité surtout quand cette dernière est de nature à associer un village plein sud dépourvu de neige au village dont les champs de neige sont situés au nord et qui détient toutes les ressources...

S'agissant du conventionnement, vous allez sans doute auditionner le syndicat national des téléphériques de France (SNTF) qui était à l'époque l'organisation la plus hostile à la démarche de maîtrise communale, critiquant le fait que le dispositif s'étalait sur une période de 18 ans avec la possibilité d'aller à trente années. Un nouvel échange sur ce point avec cette structure serait intéressant afin d'obtenir des renseignements sur la courbe des investissements en matière d'équipement du domaine skiable.

En ce qui concerne la dimension européenne de la montagne, l'harmonisation des modalités de calcul des handicaps, de même que l'uniformisation des pratiques des différents pays membres, la France a toujours souhaité la différenciation entre haute montagne et moyenne montagne, piémont, tandis que les pays les moins montagneux souhaitent que toutes les subventions européennes soient calculées à leur plafond

La France est paradoxalement pénalisée par son souci de justice : la volonté de moduler ces aides en fonction de l'altitude lui fait perdre une partie des rétributions européennes. Ce point mériterait d'être débattu avec les autorités européennes.

Pour le reste, Michel Barnier, Commissaire européen chargé des politiques régionales, a annoncé lors de la Convention européenne de la montagne qui se déroulait en Ecosse le mois dernier, que la montagne devrait être un des territoires éligibles aux aides européennes lesquelles vont prendre de l'importance dans la perspective de l'élargissement. Ainsi, par ce biais, la montagne française pourra-t-elle peut-être éviter de se faire exclure des subsides européens sous le prétexte que le pays est plus riche que la plupart des nouveaux entrants au sein de l'Union européenne. Une politique régionale spécifique sauvera peut-être la montagne.

M. Jean Boyer - Vous avez évoqué la situation des pluri-actifs, ne pensez-vous pas que l'activité principale puisse être une référence afin de déterminer le régime social ? De même, vous avez souligné l'intérêt d'accorder la maîtrise d'ouvrage aux communes, mais comme vous le savez, il s'avère de plus en plus difficile de mettre en place des micro-centrales en raison des prescriptions environnementales ou de la réglementation en matière de pêche. Or, ne pas utiliser cette énergie naturelle serait dommage. Qu'en pensez-vous ?

M. Louis Besson - Les micro-centrales étaient très en vogue au milieu des années 1980, les chocs pétroliers n'étaient pas loin. Et certains investisseurs extérieurs à la montagne venant récupérer les droits d'eau, des communes se trouvaient exclues. Aujourd'hui, les micro-centrales ne sont plus d'actualité car la production correspondante est considérée comme marginale. De plus, les pêcheurs sont montés au créneau et l'atout touristique ne justifiait pas d'assécher les ruisseaux. La menace était forte à l'époque et certains ont bénéficié de fortes rentes de situation et continuent à en vivre puisque l'obligation est faite à EDF de racheter les installations à bon prix.

Concernant la pluri-activité, l'activité principale est-elle la bonne référence ? J'observe que l'hésitation est forte quand il s'agit de définir l'activité principale. Est-ce l'activité à laquelle on consacre le plus de temps ou celle dont provient la majeure partie de ses ressources ? La première génération des agriculteurs s'orientant vers l'agro-tourisme ressent une certaine fierté à se déclarer paysan. Psychologiquement, il est important pour eux de se définir comme agriculteur, même si cette activité ne constitue pas la source principale de leur revenu.

Nous souhaitions instituer le libre choix. Mais la part de retraités étant plus importante que celle des actifs au sein du régime agricole, nous savions aussi qu'il ne fallait pas aggraver encore la situation. A mon sens, l'essentiel est que la montagne puisse avoir une pluri-activité attractive. Là-dessus repose la vitalité de la montagne. Pour cette raison, il ne faut pas pénaliser les pluri-actifs en augmentant les cotisations ou les assurances et les autoriser à choisir leur statut. J'avoue que ce champ de travail est difficile car les interlocuteurs sont puissants.

M. Pierre Jarlier - Nous avons une certaine fierté de poursuivre le travail fondateur que vous avez mené pour la politique de la montagne. Je souhaiterais vous poser trois questions. La première concerne la prescription de massif, la seconde la DATAR et la troisième a trait à la nécessaire prise en compte des concepts de moyenne montagne.

S'agissant des prescriptions de massifs, ce dispositif est un moyen pour nous de faire prévaloir notre droit à la différence, mais quelle est l'échelle souhaitable de cette prescription ? De plus, comment peut-elle être impulsée ? Car, peut-être comme en 1985, cette procédure ne sera-t-elle pas utilisée sans une clarification de son mode d'approche. N'est-il pas nécessaire de rapprocher les prescriptions de massif d'un pilotage général au niveau du comité de massif et surtout de la réflexion au niveau des nouveaux documents d'urbanisme, notamment le SCOT ou du plan local d'urbanisme hors de la carte communale ?

Nous nous rendons compte que l'application de ces mesures nécessite une contractualisation, or cette dernière exige l'identification du maître d'ouvrage qui permet de l'entériner. N'est-ce pas à l'échelle de l'établissement public chargé du schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou de l'intercommunalité chargée d'un plan local d'urbanisme intercommunal d'agir avec la possibilité que le comité de massif chapeaute ces mesures dans un souci de sécurité et d'harmonie ?

Autre question : les services de la DATAR, qui offrent des outils d'appui au développement, sont souvent mal perçus sur le terrain alors que leur rôle est de se constituer comme des partenaires du développement local. Dans la perspective d'évolution des comités de massif, comment pourraient être associés les services de la DATAR en véritables partenaires au côté de décideurs ; les élus par exemple puisque nous nous engageons vers une plus forte décentralisation ?

Enfin, les travaux effectués par la commission jusqu'à présent nous obligent à un constat : les effets de la politique montagne sont contrastés entre la montagne qui dispose de ressources propres liées à la neige, et la moyenne montagne qui vit essentiellement de l'agriculture touchée de plein fouet par la désertification et par d'importantes baisses de revenus.

Vous avez évoqué la solidarité, peut-être un effort doit-il être effectué en faveur de ces régions. Pourquoi ne pas songer à une intervention de l'Union européenne ? Il faudrait faire couvrir l'ensemble des territoires de montagne par les prochains fonds structurels malgré l'élargissement, mais peut-être y a-t-il une nécessité de prendre en compte les spécificités des territoires de montagne afin d'aider des zones en difficulté, comme cela a été fait pour certains territoires compris dans l'objectif 1. Comment prendre en compte ces secteurs défavorisés ?

M. Louis Besson - Je vous remercie de votre propos liminaire et m'autorise une parenthèse. Ce travail que nous avons mené était très collégial, très inter-massifs, très inter-groupes. Je tiens à le rappeler car nous étions l'objet de dérision nous taxant de « parti de la montagne ». Le travail s'est révélé constructif car effectivement, nous nous entendions bien. Le cheminement de nos travaux a été très complexe. Nous avons d'abord ouvert une commission d'enquête, ensuite nous avons arraché un avant-projet de loi sur lequel une mission de consultation nationale a travaillé.

Enfin, une commission spéciale a étudié le texte. Au total, le sujet a nécessité de ma part 3000 heures de travail. Mais, je ne m'en plains pas car ce thème de la montagne était particulièrement intéressant.

Concernant les prescriptions de massif, il semble difficile de penser, alors que le projet parvient au stade législatif, qu'une subdivision du territoire en deçà du massif est possible. Il faut alors, par exemple, trouver une formule de SCOT simplifiée et imaginer que leur coordination puisse exprimer ce que représente une prescription au niveau du massif. Mais sans doute faut-il un document plus simple qu'une directive territoriale d'aménagement (DTA)dans laquelle figurent les enjeux d'explosion démographique, d'implantations économiques... etc !

Concernant les situations très contrastées en montagne, je crois que vous avez raison. Dans le droit-fil de la loi montagne avait été crée le FIAM, le Fonds interministériel d'auto-développement en montagne. L'idée était que le développement local pouvait se trouver facilité par le financement d'appuis techniques en montagne. Lorsque cinq ou six cantons connaissent une situation difficile tant économique que démographique, comment réagir ?

Dans un premier temps, il est nécessaire, sur un périmètre à définir préalablement, de mener un travail d'analyse permettant d'identifier les atouts du territoire. Ces atouts ne reposent quasiment jamais sur l'agriculture. Puis, il s'agit de décider qui, des acteurs publics ou privés, est en mesure de les valoriser et de faire en sorte qu'ils ne s'opposent pas mais, au contraire, se renforcent mutuellement. Enfin, l'approche de la bonne échelle implique une mobilisation du territoire à la fois au niveau des acteurs publics via une structure type communauté de communes ou de pays, et des organisations professionnelles organisées à la même échelle.

Le FIAM devait financer l'agent de développement qui menait cette étude d'identification des atouts, qui aidait à la constitution des structures à même de les mettre en valeur. Cet agent de développement avait besoin du financement de l'Etat tant qu'il n'y avait pas réelle impulsion de la dynamique de développement local. Je ne crois pas que le système ait fonctionné ainsi. Les richesses de certains secteurs sont restées en friche et elles restent aujourd'hui mobilisables. Au-delà du financement de l'assistance technique permise par le FIAM, il faut être éligible à des programmes pour lesquels la montagne ne doit pas être considérée homogène par Bruxelles.

Certains territoires montagnards sont riches, d'autres pas comme, par exemple, les villages situés sur le versant du soleil et qui souffrent de l'absence de neige. Une politique européenne qui appuierait l'effort national et régional serait efficace.

Enfin, s'agissant du champ des productions agricoles plus rémunératrices je pense que l'Europe pourrait aussi nous aider, outre ses subventions, en mettant en place un système de protection des productions de qualité.

Des erreurs monumentales ont été commises dans l'attribution des aides financières. En effet, parfois des zones sont subventionnées par Bruxelles pour créer une concurrence directe à d'autres territoires spécialisés dans une production où les alternatives à cette production n'existent pas. La préoccupation de protéger les productions par une appellation et par une sanction des imitations me semble fondamentale.

Pour répondre à votre question, la grande ambition de la politique de la montagne doit être que les territoires ayant échappé aux retombées positives des efforts passés puissent bénéficier d'une vraie injection de moyens en termes d'assistance technique visant à l'identification des atouts, qu'elle veille aussi à ce que ces zones bénéficient d'une politique régionale active au plan européen avec les appuis nationaux et régionaux que cela peut représenter, enfin que les productions rémunératrices soient privilégiées en les protégeant, ce qui coûte moins cher que soutenir des excédents de production qui surviennent lorsque l'on a favorisé des concurrences malvenues.

Lors de l'élaboration du projet de loi, je me suis rendu trois jours en Suisse afin de comprendre comment ce pays avait organisé sa politique de montagne. Les enseignements furent pour moi considérables. Dans ce pays, le niveau de vie des agriculteurs de montagne est de 2,5 fois et demi plus élevé que celui de leurs homologues français, mais ils ont interdit des dépassements de production via les quotas. En outre, ils ont obligé l'exploitant à vendre sa production à un seul acquéreur. Ils ont interdit l'évolution de toutes les méthodes culturales et de production et finalement, ils sont arrivés à une réalité qui doit nous donner à réfléchir : la Suisse éprouve les mêmes difficultés que nous à trouver des agriculteurs désireux de s'installer en montagne.

La réponse en termes de statut ne semble pas la bonne. Les Suisses ont fait de leurs agriculteurs de montagne des fonctionnaires ; ce que ces derniers ne souhaitent pas devenir. Aujourd'hui, le souhait des jeunes est de savoir que le type de production vers laquelle ils s'orientent a un avenir. Ils veulent entendre que, parce qu'ils font le choix de qualité, leur rémunération sera correcte. Si ces exigences sont satisfaites, un nouveau départ est possible. A l'inverse, si nous nous en éloignons, nous nous dirigeons tout droit vers l'échec.

M. Gérard Bailly - Je voudrais vous dire combien j'apprécie vos déclarations sur le problème des lacs. J'ai vécu la difficulté d'appliquer la réglementation avec un projet au lac du Chalain, connu par ses multiples cités lacustres. Notre souhait était de construire au bord du lac un village lacustre doté d'un musée. Mais ce projet a été mis en cause devant les tribunaux car l'espace des 300 mètres au bord du lac était visé par les constructions. Le tribunal de Besançon a donné raison à une association de nudistes qui se baignaient au bord de ce lac et contestaient le projet.

La proposition que vous faisiez me paraît de ce fait très sage. S'agissant de l'agriculture, en tant que membre d'une mission sénatoriale sur l'élevage : "enjeu territorial, enjeu économique", je suis très pessimiste en parcourant notre pays car aujourd'hui, le nombre d'installations dans les zones difficiles est si faible que nous nous demandons comment nous pourrons entretenir les espaces. L'enfrichement est une des grandes difficultés à laquelle nous sommes confrontés. Vous avez également évoqué la pluri-activité mais actuellement comme les exploitations s'agrandissent en montagne, la pluri-activité me semble en retrait. Faire une table d'hôte ou une auberge nécessite une présence. Or, souvent, les agriculteurs qui avaient une ferme de 30 ou 40 hectares ont préféré reprendre celle du voisin, puis se spécialiser dans une activité.

A mon sens, excepté quelques gîtes ruraux et quelques cas exceptionnels, nous nous dirigeons vers la fin de la pluri-activité agro-tourisme. Des terrains laissés en friche ne sont pas soumis à l'impôt foncier ce qui n'est pas le cas des terrains sur lesquels les paysans se battent pour maintenir une production. Le problème de l'impôt foncier sur des parcelles très peu productives me semble constituer une grande préoccupation.

Le déneigement est un autre point important. Certaines directives qui régissent le déneigement, ont rendu la situation très complexe pour les petites communes rurales. Ces dernières doivent se doter de matériels très sophistiqués et mobiliser des équipes techniques pour quelques jours seulement dans l'année.

Dans le Jura, cette année, le coût du déneigement a augmenté de 40 % alors que le manteau neigeux n'était pas très important cet hiver. Auparavant, les DDE s'occupaient du déneigement dans les communes, mais refusent de le faire aujourd'hui à cause de la réglementation européenne. Les communes s'équipent, cherchent du personnel, mais le coût du déneigement va devenir un réel problème.

Dernier point : la péréquation. L'équipement, l'assainissement, les routes, les NTIC coûtent cher en ces zones de montagne ; ces dépenses accessibles aux grandes stations et à quelques endroits très touristiques, grèvent le budget de certains territoires, qui, par ailleurs, luttent pour conserver une certaine vitalité. Même si des dispositifs d'accompagnement, comme le FIAM, existent, j'ai l'impression que la politique de la montagne n'est plus ce qu'elle était. Partagez-vous mon sentiment ?

M. Louis Besson - Vos observations sont fondées et étayées. Je crois que les situations sont très diverses en montagne. Nous trouvons l'agriculteur qui pense qu'une grande structure lui permettra de survivre. Dans les Pyrénées basques où je me suis rendu récemment, des familles connaissent de vraies difficultés à trouver un arbitrage s'agissant de la succession de la ferme car tous les fils désirent reprendre l'exploitation. Mais cette situation ne se retrouve pas dans les Landes où les structures sont plus grandes et où personne ne souhaite reprendre. De plus en plus, des jeunes aspirent à un certain genre de vie qui n'est pas celui de la performance dans le sens de la compétition économique à tout crin.

De plus en plus, dans les couples dont le mari est agriculteur, les femmes ont leur propre activité professionnelle. Les situations sont diverses, l'essentiel étant d'apporter des réponses qui favorisent les installations en montagne et fixent ces actifs. Car de cela dépend l'avenir de ces territoires.

La péréquation me paraît nécessaire. Je pense que, dans l'appui aux collectivités territoriales, il faudrait privilégier non pas seulement les indicateurs de ressources mais aussi les indicateurs de charge ou du moins confronter les deux.

En effet, à ressources égales, si les charges sont différentes, les capacités de financement diffèrent. A l'occasion de la loi montagne, des modalités d'application de la dotation globale de fonctionnement ont institué le système de doublement de la voirie de montagne comme critère. Mais par la suite, d'autres réformes soucieuses de clarifier les procédures ont supprimé ces mesures qui constituaient un avantage pour les zones en difficulté. Il faudrait de nouveau les faire admettre comme ne conduisant pas à des complications inutiles. Ce point est fondamental car ces ressources régulières sont importantes pour les communes concernées.

M. Jean-Paul Amoudry - Je vous remercie beaucoup, Monsieur le ministre, au nom de tous de nous avoir fait partager votre expérience

M. Louis Besson - Partager ce moment avec vous m'a fait très plaisir et j'espère que votre mission sera très fructueuse.

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