31. Audition de M. Louis Besson, ancien ministre, ancien président de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM), maire de Chambéry (26 juin 2002)
Merci de
votre accueil. Je suis ravi d'évoquer à nouveau un sujet qui
m'avait tenu à coeur avant que, devenant maire d'une ville, je ne
m'éloigne un peu de ces préoccupations. Je ne souhaite pas me
positionner d'une manière passéiste sur un travail
réalisé dans les années 70 et concrétisé au
milieu des années 80.
Cela dit, j'aimerais que mon intervention puisse vous aider à comprendre
ce qui a été réalisé voici près de vingt
ans. Vous m'avez interrogé sur les principales propositions du rapport
de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale de 1982 sur la
montagne.
À l'époque, le rapport avait comporté 200 propositions
législatives, réglementaires et communautaires, mais nous
n'attendions pas qu'un projet de loi renferme autant de propositions, dont la
moitié ne relevait d'ailleurs pas du champ législatif. Nous
savions qu'il était très difficile qu'un projet de loi d'origine
gouvernemental reprenne l'intégralité des propositions de la
commission d'enquête. En effet, le projet de loi déposé au
Parlement ne comportait plus qu'une quarantaine d'articles.
Mais comme la plupart des membres de la commission spéciale
chargés d'examiner le texte, avaient aussi participé à la
commission d'enquête, il est évident que, par voie d'amendement,
toutes les dispositions législatives qui n'avaient pas été
introduites dans le projet de loi l'ont été au cours du
débat parlementaire. Ainsi ce projet de loi d'une quarantaine d'articles
à son entrée au Parlement en est sorti considérablement
étoffé, fort d'une centaine d'articles.
Ce qui n'avait pas été retenu s'expliquait par des
difficultés au niveau du travail interministériel s'agissant par
exemple du volet organisation du tourisme en montagne avec la maîtrise du
manteau neigeux, le conventionnement... En effet, il était
extrêmement difficile d'obtenir des points de vue convergents des
ministères dont les préoccupations sont différentes.
La rédaction qui n'avait pu être achevée par les cabinets
ministériels à cause des difficultés d'arbitrage, l'a
été par le Parlement. Par exemple, le ministère de
l'intérieur n'était pas favorable à l'octroi de
prérogatives spécifiques aux communes de montagne complexifiant
le code général des collectivités territoriales, dont le
respect est assuré par le préfet.
Le ministère des finances pour sa part était sensible aux moyens
de renforcer les sources de devises et le secrétariat d'Etat au tourisme
bien sur n'y était pas défavorable. En revanche, le
ministère de l'environnement qui se sentait le gardien du décret
du 22 novembre 1977 sur les unités touristiques nouvelles (UTN)
était au contraire réservé sur la poursuite de
l'aménagement du territoire montagnard. Ainsi, les points de vue
étaient tellement contradictoires qu'aucun texte arbitré n'a vu
le jour pour être inscrit dans le projet de loi adopté par le
Conseil des ministres.
Les travaux parlementaires ont eu un rôle essentiel, mais c'est à
vous qu'il appartient, bénéficiant d'un recul de 17
années, d'examiner si cette loi a été pertinente. Je n'ai
évidemment aucune prétention à vous éclairer sur ce
point.
Le deuxième dossier pour lequel le retrait par rapport aux travaux de la
commission d'enquête a été flagrant concerne la question
délicate de la protection sociale des pluri-actifs.
Nous avions réussi à faire voter en première lecture
à l'Assemblée nationale, une disposition établissant que
le pluri-actif avait le choix de son régime et une fois la caisse
choisie, il était à charge de cette dernière de
régler les problèmes de coordination avec les autres caisses.
L'ensemble des conseils d'administration des caisses centrales est monté
au créneau et a indiqué au ministre de tutelle, qui était
le ministre des affaires sociales de l'époque, qu'elles ne
respecteraient pas ce texte. Leurs objections reposaient sur des raisons
techniques, informatiques.
Chacune développait son logiciel en fonction des caractéristiques
spécifiques à chaque régime et donc il n'était pas
question pour elles de subir des perturbations afin de satisfaire quelques
centaines de millions d'individus qui, à leurs yeux, étaient
capables de se débrouiller. Le ministre des affaires sociales disait
qu'il ne voyait pas comment contraindre une caisse à gérer
à la place de l'assuré la complexité à laquelle
était confronté le pluri-actif. Et devant cette position
très tranchée, nous avons battu en retraite en nous assurant tout
de même d'obtenir une avancée.
De là est né le décret de coordination qui a permis
l'addition des durées de cotisation de chaque régime pour le
calcul des droits à la couverture de certains risques. Car, en effet,
auparavant si les pluri-actifs, c'est-à-dire des individus qui sont, par
exemple, moniteur de ski l'hiver, agriculteur à l'intersaison et
charpentier l'été, étaient victimes d'un accident du
travail, ils se retrouvaient en fauteuil roulant, mais aussi au bureau d'aide
sociale. Une année continue de cotisation au même régime
était nécessaire pour bénéficier du remboursement
des soins, exigence qu'ils ne pouvaient satisfaire en changeant deux ou trois
fois de régime au cours de l'année.
Ainsi, ce décret de coordination a constitué une avancée
considérable même s'il représentait un recul par rapport au
régime simplifié que nous avions souhaité pour les
pluri-actifs. Pour mémoire, les caisses avaient accepté le
principe d'organiser des permanences pour les pluri-actifs mais ne les ont
concrétisées que dans deux localités Moutiers et
Saint-Jean-de-Maurienne et je n'ai pas eu connaissance que cette
expérience fut étendue ailleurs.
Les caisses se sont refusées à rendre polyvalents leurs agents au
point que même lors de ces permanences le régime
général envoyait trois représentants. Car chaque branche a
ses représentants ce qui crée parfois des situations originales :
les agents des diverses caisses qui attendent les clients sont parfois plus
nombreux que les clients eux-mêmes.
Nous aurions aimé aller plus loin sur un autre point : la question de la
stabilisation des emplois saisonniers. Selon notre analyse, un certain nombre
de jeunes pouvaient d'autant plus facilement choisir de s'installer en montagne
sur des petites structures qu'ils pouvaient y obtenir des compléments
d'emploi stables. Nous avons pu faire passer la disposition permettant aux
collectivités locales de titulariser un saisonnier.
La fonction publique d'Etat s'est montrée hostile à l'idée
qu'on puisse titulariser un saisonnier. Alors même qu'elle acceptait des
contrats à temps partiel répartis sur l'année, elle
n'acceptait pas un temps partiel concentré sur une partie de
l'année.
Dans une autre question, vous me demandez le jugement que je porte sur les
comités de massif. Nous avons été à l'initiative de
la création de cette structure ainsi que du Conseil national de la
montagne ; ces instances ont été conçues comme des lieux
de tribune afin qu'une population très minoritaire dans le pays (de
l'ordre de 7 %) puisse bénéficier de l'attention des pouvoirs
publics. J'avais été mis en minorité sur l'idée que
ces instances puissent être dirigées par des montagnards
eux-mêmes choisis par leurs pairs.
Cette proposition a suscité un tollé, certains ayant
considéré que j'ouvrais la voie à un désengagement
financier de l'Etat. En conséquence, la présidence des instances
a classiquement été attribuée à l'Etat et a
évolué récemment en co-présidence s'agissant des
comités de massif. Ce pas en avant me semble tout à fait positif.
Faut-il changer le statut des comités de massif et les transformer en
établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ?
Cette approche n'a pas été débattue à
l'époque car traditionnellement, les EPCI assument surtout des
responsabilités de maîtrise d'ouvrage. Or, il était
souhaitable de créer une structure qui soit un lieu d'interface entre la
montagne et les décideurs, un lieu de tribune pour les montagnards.
Cette hypothèse n'a donc pas été envisagée.
Peut-être faut-il, si des actions doivent être conduites à
l'échelle des massifs, que des établissements publics
interrégionaux voient le jour.
Je ne suis pas sûr qu'il faille pour autant se passer des comités
de massif, bien que ces derniers manquent souvent de dynamisme et d'initiative.
S'agissant de l'urbanisme en montagne, vous avez d'ailleurs sans doute
remarqué que les comités de massif n'ont pas fait usage de leurs
prérogatives.
Nous avions parfaitement conscience en rédigeant un chapitre
spécifique à la montagne dans le code de l'urbanisme, qu'il
était impossible de prévoir toutes les situations susceptibles
d'être rencontrées dans des massifs très divers. De plus,
il était déjà très difficile de faire admettre aux
instances juridiques l'idée que des dispositions législatives
spécifiques puissent être mises en oeuvre sur une partie du
territoire. Affiner encore les dispositions de telle sorte qu'elles ne soient
pas les mêmes dans les Pyrénées que dans les Vosges, dans
le Massif central que dans les Alpes semblait difficilement envisageable. En
revanche, nous allions trouver une possible réponse à une
meilleure prise en compte de la diversité des massifs dans un document
de type nouveau que la loi montagne allait créer : la prescription
particulière de massif.
Nous attendions que cette prescription soit mise en oeuvre par les acteurs
membres des comités de massif. D'autant que, les formes de l'habitat
n'étant pas les mêmes selon les massifs, les réponses
uniformes n'étaient pas très heureuses. Or, de ce point de vue,
nous avons connu une certaine déception car aucune tentative
d'élaborer ce type de document ne s'est manifestée. L'article 8
de la loi qui évoquait le droit à la différence n'a pas
été utilisé. A l'époque, ce débat avait
même été tranché sans aucun veto émanant de
républicains sourcilleux qui auraient pu voir la République en
péril dans ces déclinaisons de dispositions légales massif
par massif.
Paradoxalement, du fait de l'absence de prescriptions particulières,
nous n'avons pas retrouvé les distinguos établis dans la
directive du 22 novembre 1977, laquelle prenait en compte l'altitude
en-deçà ou au-delà de laquelle le régime
était différent ; altitude modulée selon les massifs,
1.200 mètres dans les Alpes, 800 mètres dans le Massif
Central.
Les prescriptions de massif auraient pu décliner les choses à un
niveau infra-régional, mais cela n'a pas été le cas.
Ainsi, lorsque la loi sur l'aménagement du territoire de février
1995 a été débattue, aucune voix ne s'est
élevée contre l'abrogation de cette disposition, qui, finalement,
a été rétablie ensuite dans le cadre de la loi relative
à la solidarité et au renouvellement urbain (SRU).
Est-ce que, aujourd'hui, cette disposition aura plus de chance de se voir
concrétisée ? En tout cas, je crois que cette question provoquera
au sein de votre commission un débat sensible. Quand l'abrogation des
prescriptions particulières a été discutée en 1995,
l'argument était qu'aucun dispositif de ce type n'avait
été mis en oeuvre et qu'il existait d'autre part un nouvel outil
d'aménagement du territoire.
Un consensus s'est établi au sein des gouvernements depuis sept ans pour
réserver les directives territoriales d'aménagement (DTA) aux
zones à fort développement démographique ou aux
territoires où les enjeux de maîtrise foncière sont plus
forts qu'ailleurs. La carte des DTA prouve que, s'agissant de la montagne, ce
dispositif ne touche que les Alpes du Nord et une partie des Alpes maritimes,
c'est-à-dire les secteurs soumis à de fortes pressions
foncières, où la maîtrise des zones de construction ainsi
que la préservation de terrain sont indispensables.
Une complémentarité entre la DTA et la prescription de massif
peut donc être envisagée surtout si vous obtenez que soit
confirmée la capacité juridique donnée aux prescriptions
de massif d'adapter les dispositions d'application et non pas "préciser"
comme inscrit dans le texte sur les DTA.
Une complémentarité est donc possible entre ces deux dispositifs
d'urbanisme, encore faut-il que vous arriviez à en encadrer le champ de
manière à vous protéger du risque
d'inconstitutionnalité. Vous avez devant vous un problème
délicat sur lequel il faudra travailler. Dernière question :
est-il possible d'assouplir le droit de l'urbanisme en zone de montagne ?
Ma réponse est affirmative si cet assouplissement est strictement
encadré.
D'autres aménagements sont également possibles à partir
des enseignements que vous pourriez obtenir de l'application des dispositions
spécifiques de la loi de montagne sur la protection et la
constructibilité des secteurs proches des lacs de montagne.
Nous nous heurtions à ce que les techniciens de l'urbanisme appellent
l'urbanisme de cutch. A l'aide du double-décimètre, nous
vérifiions si nous satisfaisions aux conditions ou pas. Nous
étions très souvent pris en défaut d'aberration parce que
l'inconstructibilité était systématique sur 300
mètres en bordure des lacs.
Or il se trouve qu'en montagne, aucune zone n'est plate et très souvent
l'espace constructible, relativement dissimulé depuis les berges, se
situe à 100 ou 200 mètres alors qu'à 300
mètres ou 400 mètres, nous étions complètement
revenus en surplomb.
L'esprit d'une interdiction visant à préserver un cadre naturel
ne prenait pas en compte la réalité topographique de ces zones.
L'urbanisme du double-décimètre n'est pas du tout pertinent dans
un secteur de montagne.
Essayer d'introduire un urbanisme intelligent a constitué un de nos axes
prioritaires pour les secteurs sensibles de bords de lac. Nous avons
accordé quelque souplesse aux communes qui s'étaient
dotées d'un document d'urbanisme, ainsi qu'à celles qui
acceptaient de mener un travail de réflexion prospective. Enfin les
règles étaient assouplies davantage si le même effort de
planification de l'espace était conduit dans un cadre intercommunal
couvrant la totalité du pourtour du lac.
La combinaison de la souplesse et de la bonne échelle peut faire en
sorte que les décisions mises en oeuvre soient considérées
comme irréprochables par les grandes fédérations de la
nature. Voilà monsieur le président les éléments
que je voulais vous apporter sur ce point.
Je me permettrais encore de vous faire part d'une interrogation largement
portée à l'époque par la Fédération
nationale des producteurs de lait, et que nous n'avions pas
tranchée : les modalités de calcul du handicap naturel.
Au début des années 80, s'opposaient les partisans de la
méthode française reposant sur le zonage par commune
calculé en fonction du différentiel d'altitude entre la partie la
plus haute de la commune et la partie la plus basse et les défenseurs de
la méthode autrichienne ou suisse telles les organisations agricoles
souhaitant calculer le handicap exploitation par exploitation.
Cette dernière méthode ne paraissait pas impossible à
mettre en oeuvre, France et Autriche détenant un nombre similaire
d'exploitations en montagne. Nous avons finalement fait le choix de nous
résigner à la méthode française et la loi montagne
est calquée sur les pratiques du ministère de l'agriculture. Vos
travaux risquent de susciter un nouveau débat à ce sujet.
Votre commission peut aussi avoir un rôle utile concernant la
répartition des ressources nouvelles créées par la loi
montagne. Les informations se font rares à ce sujet comme souvent
d'ailleurs lorsqu'un système fonctionne bien. Une enquête pourrait
être menée.
De même, vous pourriez étudier si une péréquation
partielle pourrait s'appliquer afin de favoriser la solidarité entre les
différents types de montagne. Enfin il serait intéressant de
s'interroger sur l'affectation des ressources opérée par les
Conseils généraux. Le Parlement à l'époque
s'était contenté d'émettre un ordre d'affectation en
mettant une priorité sur le tourisme de montagne mais est ce que les
retombées du tourisme de neige sont allées à l'agriculture
et dans quelle proportion ? Je me suis rendu compte que dans certaines communes
et départements, les ressources étaient très
substantielles. Il faudrait étudier cela.
Samedi dernier, lors d'une manifestation en altitude, deux maires comparaient
la croissance de leurs ressources depuis la loi montagne ; l'un évoquait
la somme de 1,070 million d'euros annuelle et l'autre soulignait qu'il avait
reçu 168.000 euros au titre de la taxe sur les remontées
mécaniques et 61. 000 euros par une meilleure répartition de
la taxe professionnelle sur les prises d'eau des installations
hydroélectriques.
Ces sommes obtenues annuellement ne sont pas négligeables ! Une
étude approfondie sur ce sujet peut se révéler
intéressante...
M. Jean-Paul Amoudry
- Merci beaucoup pour cet exposé. J'aimerais
vous poser deux questions. Que pensez vous de l'évolution de la
dimension européenne de la montagne qui était déjà
une réalité en 1985 dans un contexte où d'autres massifs
vont rejoindre l'Union européenne avec l'élargissement ? Quelle
sera la place de la montagne dans son ensemble au sein de l'Union
européenne et particulièrement de la montagne française ?
Faut-il revoir le zonage ? Est-il nécessaire de développer
d'autres concepts pour aider la montagne et s'adresser à l'exploitation
et non plus à une zone géographique ?
Ma deuxième question porte sur un point qui m'a semblé essentiel
dans la loi de 1985 : celui de la maîtrise par la collectivité
locale de son développement sous la forme d'autorités
chargées du transport touristique comme les remontées
mécaniques. Par la suite, une loi a obligé à ouvrir la
délégation de services publics à la concurrence
créant une certaine émotion dans le milieu montagnard car une
telle évolution, pour certains, risquerait à terme d'engendrer le
dessaisissement des montagnards de leur propre destin. Que devient la vision
service public de l'équipement de la montagne ? Que pensez-vous du
dessaisissement des montagnards ?
M. Louis Besson
- L'ouverture à la concurrence concernant les
délégations de services publics ne remet pas forcément en
cause la maîtrise communale dans la mesure où le contractant
communal demeure. De nouveaux candidats peuvent apparaître : quels sont
les effets de cette concurrence ? En 1985 sont apparus des groupes importants
comme la Compagnie des Alpes qui, par rachats successifs de concurrents, a pris
une importance majeure.
En ce sens, le rapport de force avec le concurrent local peut évoluer.
Peut-être faut-il renforcer le pouvoir de l'autorité locale et
donner des prérogatives accrues et des garanties complémentaires
aux collectivités qui accepteraient de favoriser une approche par
vallée. Peut-être faut-il octroyer une prime à
l'intercommunalité surtout quand cette dernière est de nature
à associer un village plein sud dépourvu de neige au village dont
les champs de neige sont situés au nord et qui détient toutes les
ressources...
S'agissant du conventionnement, vous allez sans doute auditionner le syndicat
national des téléphériques de France (SNTF) qui
était à l'époque l'organisation la plus hostile à
la démarche de maîtrise communale, critiquant le fait que le
dispositif s'étalait sur une période de 18 ans avec la
possibilité d'aller à trente années. Un nouvel
échange sur ce point avec cette structure serait intéressant afin
d'obtenir des renseignements sur la courbe des investissements en
matière d'équipement du domaine skiable.
En ce qui concerne la dimension européenne de la montagne,
l'harmonisation des modalités de calcul des handicaps, de même que
l'uniformisation des pratiques des différents pays membres, la France a
toujours souhaité la différenciation entre haute montagne et
moyenne montagne, piémont, tandis que les pays les moins montagneux
souhaitent que toutes les subventions européennes soient
calculées à leur plafond
La France est paradoxalement pénalisée par son souci de justice :
la volonté de moduler ces aides en fonction de l'altitude lui fait
perdre une partie des rétributions européennes. Ce point
mériterait d'être débattu avec les autorités
européennes.
Pour le reste, Michel Barnier, Commissaire européen chargé des
politiques régionales, a annoncé lors de la Convention
européenne de la montagne qui se déroulait en Ecosse le mois
dernier, que la montagne devrait être un des territoires éligibles
aux aides européennes lesquelles vont prendre de l'importance dans la
perspective de l'élargissement. Ainsi, par ce biais, la montagne
française pourra-t-elle peut-être éviter de se faire
exclure des subsides européens sous le prétexte que le pays est
plus riche que la plupart des nouveaux entrants au sein de l'Union
européenne. Une politique régionale spécifique sauvera
peut-être la montagne.
M. Jean Boyer
- Vous avez évoqué la situation des
pluri-actifs, ne pensez-vous pas que l'activité principale puisse
être une référence afin de déterminer le
régime social ? De même, vous avez souligné
l'intérêt d'accorder la maîtrise d'ouvrage aux communes,
mais comme vous le savez, il s'avère de plus en plus difficile de mettre
en place des micro-centrales en raison des prescriptions environnementales ou
de la réglementation en matière de pêche. Or, ne pas
utiliser cette énergie naturelle serait dommage. Qu'en pensez-vous ?
M. Louis Besson
- Les micro-centrales étaient très en
vogue au milieu des années 1980, les chocs pétroliers
n'étaient pas loin. Et certains investisseurs extérieurs à
la montagne venant récupérer les droits d'eau, des communes se
trouvaient exclues. Aujourd'hui, les micro-centrales ne sont plus
d'actualité car la production correspondante est
considérée comme marginale. De plus, les pêcheurs sont
montés au créneau et l'atout touristique ne justifiait pas
d'assécher les ruisseaux. La menace était forte à
l'époque et certains ont bénéficié de fortes rentes
de situation et continuent à en vivre puisque l'obligation est faite
à EDF de racheter les installations à bon prix.
Concernant la pluri-activité, l'activité principale est-elle la
bonne référence ? J'observe que l'hésitation est forte
quand il s'agit de définir l'activité principale. Est-ce
l'activité à laquelle on consacre le plus de temps ou celle dont
provient la majeure partie de ses ressources ? La première
génération des agriculteurs s'orientant vers l'agro-tourisme
ressent une certaine fierté à se déclarer paysan.
Psychologiquement, il est important pour eux de se définir comme
agriculteur, même si cette activité ne constitue pas la source
principale de leur revenu.
Nous souhaitions instituer le libre choix. Mais la part de retraités
étant plus importante que celle des actifs au sein du régime
agricole, nous savions aussi qu'il ne fallait pas aggraver encore la situation.
A mon sens, l'essentiel est que la montagne puisse avoir une
pluri-activité attractive. Là-dessus repose la vitalité de
la montagne. Pour cette raison, il ne faut pas pénaliser les
pluri-actifs en augmentant les cotisations ou les assurances et les autoriser
à choisir leur statut. J'avoue que ce champ de travail est difficile car
les interlocuteurs sont puissants.
M. Pierre Jarlier
-
Nous avons une certaine fierté de
poursuivre le travail fondateur que vous avez mené pour la politique de
la montagne. Je souhaiterais vous poser trois questions. La première
concerne la prescription de massif, la seconde la DATAR et la troisième
a trait à la nécessaire prise en compte des concepts de moyenne
montagne.
S'agissant des prescriptions de massifs, ce dispositif est un moyen pour nous
de faire prévaloir notre droit à la différence, mais
quelle est l'échelle souhaitable de cette prescription ? De plus,
comment peut-elle être impulsée ? Car, peut-être comme
en 1985, cette procédure ne sera-t-elle pas utilisée sans une
clarification de son mode d'approche. N'est-il pas nécessaire de
rapprocher les prescriptions de massif d'un pilotage général au
niveau du comité de massif et surtout de la réflexion au niveau
des nouveaux documents d'urbanisme, notamment le SCOT ou du plan local
d'urbanisme hors de la carte communale ?
Nous nous rendons compte que l'application de ces mesures nécessite une
contractualisation, or cette dernière exige l'identification du
maître d'ouvrage qui permet de l'entériner. N'est-ce pas à
l'échelle de l'établissement public chargé du
schéma de cohérence territoriale (SCOT) ou de
l'intercommunalité chargée d'un plan local d'urbanisme
intercommunal d'agir avec la possibilité que le comité de massif
chapeaute ces mesures dans un souci de sécurité et d'harmonie ?
Autre question : les services de la DATAR, qui offrent des outils d'appui
au développement, sont souvent mal perçus sur le terrain alors
que leur rôle est de se constituer comme des partenaires du
développement local. Dans la perspective d'évolution des
comités de massif, comment pourraient être associés les
services de la DATAR en véritables partenaires au côté de
décideurs ; les élus par exemple puisque nous nous engageons vers
une plus forte décentralisation ?
Enfin, les travaux effectués par la commission jusqu'à
présent nous obligent à un constat : les effets de la
politique montagne sont contrastés entre la montagne qui dispose de
ressources propres liées à la neige, et la moyenne montagne qui
vit essentiellement de l'agriculture touchée de plein fouet par la
désertification et par d'importantes baisses de revenus.
Vous avez évoqué la solidarité, peut-être un effort
doit-il être effectué en faveur de ces régions. Pourquoi ne
pas songer à une intervention de l'Union européenne ? Il faudrait
faire couvrir l'ensemble des territoires de montagne par les prochains fonds
structurels malgré l'élargissement, mais peut-être y a-t-il
une nécessité de prendre en compte les spécificités
des territoires de montagne afin d'aider des zones en difficulté, comme
cela a été fait pour certains territoires compris dans l'objectif
1. Comment prendre en compte ces secteurs défavorisés ?
M. Louis Besson
- Je vous remercie de votre propos liminaire et
m'autorise une parenthèse. Ce travail que nous avons mené
était très collégial, très inter-massifs,
très inter-groupes. Je tiens à le rappeler car nous étions
l'objet de dérision nous taxant de « parti de la
montagne ». Le travail s'est révélé constructif
car effectivement, nous nous entendions bien. Le cheminement de nos travaux a
été très complexe. Nous avons d'abord ouvert une
commission d'enquête, ensuite nous avons arraché un avant-projet
de loi sur lequel une mission de consultation nationale a travaillé.
Enfin, une commission spéciale a étudié le texte. Au
total, le sujet a nécessité de ma part 3000 heures de travail.
Mais, je ne m'en plains pas car ce thème de la montagne était
particulièrement intéressant.
Concernant les prescriptions de massif, il semble difficile de penser, alors
que le projet parvient au stade législatif, qu'une subdivision du
territoire en deçà du massif est possible. Il faut alors, par
exemple, trouver une formule de SCOT simplifiée et imaginer que leur
coordination puisse exprimer ce que représente une prescription au
niveau du massif. Mais sans doute faut-il un document plus simple qu'une
directive territoriale d'aménagement (DTA)dans laquelle figurent les
enjeux d'explosion démographique, d'implantations économiques...
etc !
Concernant les situations très contrastées en montagne, je crois
que vous avez raison. Dans le droit-fil de la loi montagne avait
été crée le FIAM, le Fonds interministériel
d'auto-développement en montagne. L'idée était que le
développement local pouvait se trouver facilité par le
financement d'appuis techniques en montagne. Lorsque cinq ou six cantons
connaissent une situation difficile tant économique que
démographique, comment réagir ?
Dans un premier temps, il est nécessaire, sur un périmètre
à définir préalablement, de mener un travail d'analyse
permettant d'identifier les atouts du territoire. Ces atouts ne reposent
quasiment jamais sur l'agriculture. Puis, il s'agit de décider qui, des
acteurs publics ou privés, est en mesure de les valoriser et de faire en
sorte qu'ils ne s'opposent pas mais, au contraire, se renforcent mutuellement.
Enfin, l'approche de la bonne échelle implique une mobilisation du
territoire à la fois au niveau des acteurs publics via une structure
type communauté de communes ou de pays, et des organisations
professionnelles organisées à la même échelle.
Le FIAM devait financer l'agent de développement qui menait cette
étude d'identification des atouts, qui aidait à la constitution
des structures à même de les mettre en valeur. Cet agent de
développement avait besoin du financement de l'Etat tant qu'il n'y avait
pas réelle impulsion de la dynamique de développement local. Je
ne crois pas que le système ait fonctionné ainsi. Les richesses
de certains secteurs sont restées en friche et elles restent aujourd'hui
mobilisables. Au-delà du financement de l'assistance technique permise
par le FIAM, il faut être éligible à des programmes pour
lesquels la montagne ne doit pas être considérée
homogène par Bruxelles.
Certains territoires montagnards sont riches, d'autres pas comme, par exemple,
les villages situés sur le versant du soleil et qui souffrent de
l'absence de neige. Une politique européenne qui appuierait l'effort
national et régional serait efficace.
Enfin, s'agissant du champ des productions agricoles plus
rémunératrices je pense que l'Europe pourrait aussi nous aider,
outre ses subventions, en mettant en place un système de protection des
productions de qualité.
Des erreurs monumentales ont été commises dans l'attribution des
aides financières. En effet, parfois des zones sont
subventionnées par Bruxelles pour créer une concurrence directe
à d'autres territoires spécialisés dans une production
où les alternatives à cette production n'existent pas. La
préoccupation de protéger les productions par une appellation et
par une sanction des imitations me semble fondamentale.
Pour répondre à votre question, la grande ambition de la
politique de la montagne doit être que les territoires ayant
échappé aux retombées positives des efforts passés
puissent bénéficier d'une vraie injection de moyens en termes
d'assistance technique visant à l'identification des atouts, qu'elle
veille aussi à ce que ces zones bénéficient d'une
politique régionale active au plan européen avec les appuis
nationaux et régionaux que cela peut représenter, enfin que les
productions rémunératrices soient privilégiées en
les protégeant, ce qui coûte moins cher que soutenir des
excédents de production qui surviennent lorsque l'on a favorisé
des concurrences malvenues.
Lors de l'élaboration du projet de loi, je me suis rendu trois jours en
Suisse afin de comprendre comment ce pays avait organisé sa politique de
montagne. Les enseignements furent pour moi considérables. Dans ce pays,
le niveau de vie des agriculteurs de montagne est de 2,5 fois et demi plus
élevé que celui de leurs homologues français, mais ils ont
interdit des dépassements de production
via
les quotas. En outre,
ils ont obligé l'exploitant à vendre sa production à un
seul acquéreur. Ils ont interdit l'évolution de toutes les
méthodes culturales et de production et finalement, ils sont
arrivés à une réalité qui doit nous donner à
réfléchir : la Suisse éprouve les mêmes
difficultés que nous à trouver des agriculteurs désireux
de s'installer en montagne.
La réponse en termes de statut ne semble pas la bonne. Les Suisses ont
fait de leurs agriculteurs de montagne des fonctionnaires ; ce que ces derniers
ne souhaitent pas devenir. Aujourd'hui, le souhait des jeunes est de savoir que
le type de production vers laquelle ils s'orientent a un avenir. Ils veulent
entendre que, parce qu'ils font le choix de qualité, leur
rémunération sera correcte. Si ces exigences sont satisfaites, un
nouveau départ est possible. A l'inverse, si nous nous en
éloignons, nous nous dirigeons tout droit vers l'échec.
M. Gérard Bailly
- Je voudrais vous dire combien
j'apprécie vos déclarations sur le problème des lacs. J'ai
vécu la difficulté d'appliquer la réglementation avec un
projet au lac du Chalain, connu par ses multiples cités lacustres. Notre
souhait était de construire au bord du lac un village lacustre
doté d'un musée. Mais ce projet a été mis en cause
devant les tribunaux car l'espace des 300 mètres au bord du lac
était visé par les constructions. Le tribunal de Besançon
a donné raison à une association de nudistes qui se baignaient au
bord de ce lac et contestaient le projet.
La proposition que vous faisiez me paraît de ce fait très sage.
S'agissant de l'agriculture, en tant que membre d'une mission
sénatoriale sur l'élevage : "enjeu territorial, enjeu
économique", je suis très pessimiste en parcourant notre pays car
aujourd'hui, le nombre d'installations dans les zones difficiles est si faible
que nous nous demandons comment nous pourrons entretenir les espaces.
L'enfrichement est une des grandes difficultés à laquelle nous
sommes confrontés. Vous avez également évoqué la
pluri-activité mais actuellement comme les exploitations s'agrandissent
en montagne, la pluri-activité me semble en retrait. Faire une table
d'hôte ou une auberge nécessite une présence. Or, souvent,
les agriculteurs qui avaient une ferme de 30 ou 40 hectares ont
préféré reprendre celle du voisin, puis se
spécialiser dans une activité.
A mon sens, excepté quelques gîtes ruraux et quelques cas
exceptionnels, nous nous dirigeons vers la fin de la pluri-activité
agro-tourisme. Des terrains laissés en friche ne sont pas soumis
à l'impôt foncier ce qui n'est pas le cas des terrains sur
lesquels les paysans se battent pour maintenir une production. Le
problème de l'impôt foncier sur des parcelles très peu
productives me semble constituer une grande préoccupation.
Le déneigement est un autre point important. Certaines directives qui
régissent le déneigement, ont rendu la situation très
complexe pour les petites communes rurales. Ces dernières doivent se
doter de matériels très sophistiqués et mobiliser des
équipes techniques pour quelques jours seulement dans l'année.
Dans le Jura, cette année, le coût du déneigement a
augmenté de 40 % alors que le manteau neigeux n'était pas
très important cet hiver. Auparavant, les DDE s'occupaient du
déneigement dans les communes, mais refusent de le faire aujourd'hui
à cause de la réglementation européenne. Les communes
s'équipent, cherchent du personnel, mais le coût du
déneigement va devenir un réel problème.
Dernier point : la péréquation. L'équipement,
l'assainissement, les routes, les NTIC coûtent cher en ces zones de
montagne ; ces dépenses accessibles aux grandes stations et à
quelques endroits très touristiques, grèvent le budget de
certains territoires, qui, par ailleurs, luttent pour conserver une certaine
vitalité. Même si des dispositifs d'accompagnement, comme le FIAM,
existent, j'ai l'impression que la politique de la montagne n'est plus ce
qu'elle était. Partagez-vous mon sentiment ?
M. Louis Besson
- Vos observations sont fondées et
étayées. Je crois que les situations sont très diverses en
montagne. Nous trouvons l'agriculteur qui pense qu'une grande structure lui
permettra de survivre. Dans les Pyrénées basques où je me
suis rendu récemment, des familles connaissent de vraies
difficultés à trouver un arbitrage s'agissant de la
succession de la ferme car tous les fils désirent reprendre
l'exploitation. Mais cette situation ne se retrouve pas dans les Landes
où les structures sont plus grandes et où personne ne souhaite
reprendre. De plus en plus, des jeunes aspirent à un certain genre de
vie qui n'est pas celui de la performance dans le sens de la compétition
économique à tout crin.
De plus en plus, dans les couples dont le mari est agriculteur, les femmes ont
leur propre activité professionnelle. Les situations sont diverses,
l'essentiel étant d'apporter des réponses qui favorisent les
installations en montagne et fixent ces actifs. Car de cela dépend
l'avenir de ces territoires.
La péréquation me paraît nécessaire. Je pense que,
dans l'appui aux collectivités territoriales, il faudrait
privilégier non pas seulement les indicateurs de ressources mais aussi
les indicateurs de charge ou du moins confronter les deux.
En effet, à ressources égales, si les charges sont
différentes, les capacités de financement diffèrent. A
l'occasion de la loi montagne, des modalités d'application de la
dotation globale de fonctionnement ont institué le système de
doublement de la voirie de montagne comme critère. Mais par la suite,
d'autres réformes soucieuses de clarifier les procédures ont
supprimé ces mesures qui constituaient un avantage pour les zones en
difficulté. Il faudrait de nouveau les faire admettre comme ne
conduisant pas à des complications inutiles. Ce point est fondamental
car ces ressources régulières sont importantes pour les communes
concernées.
M. Jean-Paul Amoudry
- Je vous remercie beaucoup, Monsieur le ministre,
au nom de tous de nous avoir fait partager votre expérience
M. Louis Besson
- Partager ce moment avec vous m'a fait très
plaisir et j'espère que votre mission sera très fructueuse.