33. Audition de M. Gilbert Blanc-Tailleur, président de l'association des maires des stations françaises de sports d'hiver et d'été (AMSFSHE) (26 juin 2002)
M.
Gilbert Blanc-Tailleur
- Vous m'avez demandé si, depuis ces cinq
dernières années, le tourisme est en phase de croissance ou de
stabilisation.
Plusieurs facteurs conditionnent le développement du tourisme en
montagne, été comme hiver : la situation économique
nationale et européenne, le moral des Français, les aléas
climatiques, la réputation d'enneigement des sites, leur niveau
d'équipement, les dates des vacances scolaires européennes ainsi
que le niveau des prix des séjours comparés à des
propositions touristiques concurrentielles de plus en plus alléchantes,
variées et nombreuses.
Désormais, la comparabilité des prix exprimés en euros et
les sites Internet de réservation de dernière minute modifient en
profondeur les conditions de la concurrence, ainsi que les possibilités
de choix des touristes. La performance économique des stations passe par
la recherche de la qualité tant en ce qui concerne les installations de
remontées mécaniques que les services.
Une tendance lourde se dégage depuis quelques années : les
investissements en neige de culture sont désormais au coeur des
priorités des exploitants de remontées mécaniques : ces
installations permettent d'assurer le début et la fin des saisons et
d'assurer le retour dans les stations, skis au pied.
Désormais, même les grandes stations qui montent haut en altitude,
investissent massivement dans de telles installations, alors que la neige
artificielle a longtemps été une préoccupation importante
uniquement pour les stations de basse ou moyenne altitude. A ce sujet,
d'ailleurs, j'attire votre attention sur la nécessité de ne pas
alourdir la réglementation relative à la gestion de l'eau, car le
risque serait grand de ne plus pouvoir réaliser de tels
équipements, désormais indispensables.
Aujourd'hui, même si la montagne reste la première destination de
vacances d'hiver, la fréquentation des stations, depuis dix ans, ne
dépasse pas les 8,9 % des Français qui se rendent à
la montagne en hiver, sur les 36,9 % qui partent en vacances à
cette période. A noter que la fréquentation des franciliens est
tombée très significativement depuis dix ans. La
fréquentation des étrangers stagne aussi, voire régresse
un peu : 1,9 million d'étrangers ont fréquenté nos
stations de sport d'hiver lors de la saison 2000/2001.
A cet égard, l'harmonisation des dates de vacances
européennes semble fondamentale. Le fait que les vacances ne soient
pas harmonisées nous porte en effet préjudice. L'affluence des
Belges vers le 20 janvier jusqu'au 5 ou 6 février ne s'est pas
produit cette année car les vacances en Belgique sont intervenues en
même temps que les vacances parisiennes.
En revanche, on constate une progression de la clientèle des Pays
d'Europe centrale et orientale qui constitue peut-être une perspective.
La fréquentation des stations est plutôt stable avec une
légère croissance. Depuis une période récente, nous
constatons un phénomène nouveau : il peut désormais se
produire une déconnexion entre l'évolution du chiffre d'affaires
des remontées mécaniques et celui de l'hébergement, cette
déconnexion s'effectuant au profit de l'hébergement.
Ceci incite les collectivités locales qui aident les stations à
réfléchir sur les causes de ce phénomène, qui, s'il
devait se poursuivre, serait une source de danger pour l'économie des
stations, dans la mesure ou la valeur ajoutée dégagée par
l'exploitation des remontées mécaniques est la principale source
de richesse collective des stations.
Le point de vue généralement constaté chez tous ceux qui
ont analysé ce phénomène est que, si les vacanciers
viennent à la montagne pendant l'hiver, ce n'est plus
nécessairement pour consommer exclusivement du ski, mais pour
connaître une pause dans leur vie habituelle, pour apprécier l'air
pur, la beauté des paysages, et enfin pour vivre en harmonie familiale.
Autre question : quels sont les perspectives et les gisements à
exploiter ? Les perspectives de développement économique des
stations dépendent de l'importance de leur fréquentation et des
efforts entrepris afin de séduire la clientèle ainsi que de la
nature, de la qualité et de la quantité des équipements de
remontées mécaniques, de la neige de culture et par
conséquent des investissements qui sont consentis par les
opérateurs et/ou par les communes supports.
En ce qui concerne le premier point, les acteurs locaux et leurs
représentations nationales doivent imaginer des formules nouvelles pour
répondre aux attentes de la clientèle française et
étrangère en pleine mutation. En effet, les études,
notamment celle de COFREMCA parue en 2000, montrent que cette clientèle
est de plus en plus exigeante sur la qualité et le coût des
services marchands, et de plus en plus sensible au "non marchand".
Cette clientèle, de surcroît, est attachée aux valeurs de
fond symbolisées par les trois "R" : retrouvailles, ressourcement,
rupture, auxquelles il convient d'apporter une réponse. Les stations ont
compris la nécessité de se lancer dans des programmes de
réhabilitation de l'immobilier de loisir, d'aménagement de
sentiers pour piétons praticables en hiver et d'espaces
réservés à la pratique des nouvelles glisses. Il est
important aussi de veiller à la sécurisation et la normalisation
des domaines skiables, à la construction de piscines, de patinoires, de
centres thermo-ludiques et autres balnéothérapies, de faciliter
l'accès à la pratique de la glisse et au séjour en station
des personnes handicapées, de créer des infrastructures d'accueil
pour les enfants et aussi des lieux de rencontre ludiques pour les familles.
Ceci ne constitue que quelques exemples d'actions à mettre rapidement en
place, sous peine de voir la clientèle chercher ailleurs ce qu'elle ne
trouverait plus dans les stations françaises.
Pour ce qui concerne la pratique de la glisse, de nouvelles inventions doivent
constamment voir le jour. Il s'agit de les adapter aux pratiques des jeunes
urbains, mais aussi d'autres clientèles potentielles comme les
débutants par exemple qui veulent pouvoir accéder rapidement et
facilement aux plaisirs de la glisse. Elles doivent aussi rendre la glisse plus
facile aux "jeunes seniors" qui pratiquent encore le ski, mais moins qu'avant
et qui recherchent la diversité de leurs activités en montagne.
La famille, au sens large du terme, ne doit pas être en reste. Des
infrastructures d'accueil spécifiques doivent être mises en place
pour elles : pistes de ski protégées et "réservées"
pour pouvoir pratiquer tranquillement le ski en famille, des infrastructures
d'accueil pour les plus petits, des écoles de ski performantes pour les
plus grands (enseignement des nouvelles glisses, encadrement toute la
journée, y compris pour les repas...) pendant que les parents skient de
leur côté.
Il faut aussi permettre aux grands-parents, souvent accompagnant,
d'accéder à la neige car ils constituent une niche de
clientèle non-négligeable (bancs déneigés pour
surveiller les petits sur les pistes de luge...).
La perspective de développement des stations de montagne passe aussi par
une relance des départs en classe de neige (les enfants, séduits
par leur séjour en classe de neige et prescripteurs de la destination
vacances de la famille, constituent notre clientèle de demain).
Cependant, de nombreux freins interviennent dans ce domaine : coût
du séjour, responsabilité des accompagnateurs, réticence
des parents, vétusté de certains centres d'hébergement. Il
faut toutefois se rappeler que des établissements, comme Pierre et
Vacances, ne sont fréquentés que pendant certaines semaines
(avant Noël, janvier, après Pâques...) et ne remplissent
qu'à 30 % de leur capacité.
Ne faudrait-il pas lancer un grand programme de découverte de la neige,
en partenariat avec les stations, l'éducation nationale...afin de
relancer massivement les classes de neige ? 50 % des classes de neige ont
disparu ces dernières années selon une étude menée
par la région Rhône-Alpes. Les aménagements et
investissements méritent une promotion accrue afin de faire face
à la concurrence. La campagne nationale Professionnels Associés
de la montagne et son homologue Ski France International pour
l'étranger, les outils de communication mis en place par l'AMSFSHE, Ski
France, les performances du Club les P'tits Montagnards/Ski France,
créé pour mieux répondre aux attentes des familles en
vacances à la montagne ont vraisemblablement besoin d'amplifier leur
action.
Sur cette question, je suis en mesure de vous annoncer aujourd'hui que ces
différents partenaires de la montagne, parmi lesquels se trouvent le
Syndicat national des téléphériques de France et le
Syndicat national des moniteurs de ski, sont sur le point de constituer une
plate-forme commune de moyens, destinée à harmoniser encore
davantage les actions de promotion tout en rationalisant les moyens que chacun
y affecte.
En ce qui concerne le second point, il me semble tout à fait
intéressant que les opérateurs de remontées
mécaniques ne réduisent pas leurs investissements, tant pour les
engins de remontées mécaniques que pour les installations de
neige de culture. Sans revenir sur les arguments et constatations
développées ci-dessus, je voudrais simplement souligner que le
service public du ski est un service public très capitalistique qui
doit, en tant que service public industriel et commercial, trouver son
équilibre par ses propres ressources.
Ces caractéristiques, sur lesquelles reposent tous les programmes de
développement futurs sont très importantes. Du point de vue de la
législation et de la réglementation aujourd'hui applicable par
rapport à cette problématique d'investissement, je souligne que
les maires des stations que je représente aujourd'hui sont très
sensibles à ce qu'il n'y ait pas d'alourdissement des procédures.
La procédure Unités Touristiques Nouvelles leur paraît
suffisante. Celle-ci pourrait être revue selon deux axes.
Elle pourrait être allégée pour les équipements ou
urbanisation de faible ampleur, ou de renouvellement sans extension : le
coût de fabrication des dossiers UTN est élevé (il faut
déposer 42 exemplaires du dossier), et pour les petites stations, il
peut être un vrai problème. Le délai d'instruction est
aussi souvent jugé trop long. D'autre part, la procédure pourrait
inclure davantage d'élus locaux représentant les stations ou les
massifs, et de ce fait, dépendre moins de l'administration.
Dans le même registre, il est de mon point de vue, sans doute utile de
réfléchir sur le contenu et sur la forme des conventions liant la
commune à l'exploitant de son domaine skiable. L'objectif est de
supprimer autant que possible, les flous juridiques, et de permettre aux
communes, dont beaucoup sont petites et ne disposent que de peu de moyens, de
pouvoir assurer correctement le suivi de ces conventions et d'éviter
qu'elles ne se fassent imposer des formules d'investissement qu'elles ne
souhaitent pas.
S'agissant des acteurs de l'aménagement touristique : qui sont les
porteurs de projets ? Les collectivités locales doivent-elles
préférer la concession à la régie directe pour
l'exploitation des remontées mécaniques ? selon le degré
de développement et d'équipement du domaine skiable, ainsi que de
son mode de gestion, l'initiative des projets peut venir, soit de la
collectivité locale support, soit de l'exploitant (s'il est
différent de la collectivité), soit des deux à la fois.
D'une manière générale, la collectivité locale
n'est jamais absente du processus de maturation de projets relatifs au domaine
skiable. En effet, si le mode de gestion est une régie directe, la
commune maîtrise l'ensemble du processus. En cas de
délégation de service public, l'initiative provient
généralement du délégataire, puisque le bon
fonctionnement du domaine skiable est une des obligations contractuelles qu'il
doit assumer. Cependant, le délégant intervient toujours, au
moins par le biais des autorisations administratives qui doivent être
accordées (UTN, permis de construire).
Je remarque également qu'il existe très souvent une phase de
concertation, l'intérêt du délégataire et celui du
déléguant, qui récupère les installations à
la fin du contrat, étant intimement liés. Une seconde tentative
de réponse porte sur une analyse plus financière et repose sur
l'adage populaire "qui paie commande". Suivant cette logique, l'entité
qui détient la responsabilité de l'exploitation et des
investissements corrélatifs détient aussi la
responsabilité d'initier des projets de développement ou
d'amélioration. Cependant, dans la mesure où nous sommes dans un
cadre de service public, la personne responsable de ce service doit toujours
avoir la possibilité minimale d'exprimer son point de vue, voire de
prendre la décision finale à partir de laquelle le projet verra
effectivement le jour. `
Les collectivités locales doivent-elles préférer la
concession à la régie directe pour l'exploitation des
remontées mécaniques ? La concession, ou plus
généralement la délégation de service public, est
un choix souverain revenant aux communes, et à elles seules, en fonction
des dispositions de la loi Montagne.
Ce processus de gestion ancien permet de confier à un tiers choisi
intuitu personae
, en fonction de ses compétences et de ses
capacités financières, la construction et le financement
d'équipement public et leur exploitation, ou bien seulement
l'exploitation de ceux-ci. L'autre mode de gestion possible réside dans
la gestion directe, par le biais d'une régie directe, ou d'une
régie dotée de la personnalité morale et de l'autonomie
financière.
La délégation de service public (DSP) peut être
considérée comme un processus de recherche de financement de
projet. En effet, la collectivité qui souhaite équiper une partie
de son territoire en domaine skiable (remontées mécaniques,
engins de damage, caisses, monétique...) doit faire face à un
montant considérable d'investissements. Le service public du ski est en
effet une activité de loisir à très forte connotation
capitalistique. De plus, les investissements minimaux sont d'emblée
très forts : un étalement est utopique, sauf marginalement.
Peu de collectivités locales sont en mesure d'assurer à elles
seules de tels financements, même si elles bénéficient de
l'appui des établissements financiers. Les communes apportant leur aide
aux stations sont souvent de petites collectivités dont la surface
financière est généralement faible, du moins au
démarrage de la station.
Outre l'aspect purement financier, intervient aussi la question du
savoir-faire, de la maîtrise technique des engins nécessaires. Cet
aspect motive le recours à une délégation de service
public, plutôt qu'à une gestion directe. La
délégation de service public apparaît donc comme un moyen
d'obtenir rapidement les équipements publics souhaités, en ne
sollicitant pas les finances publiques, en s'assurant le concours de
professionnels, tout en ayant la certitude de faire revenir dans le patrimoine
communal les équipements en question, lorsque le contrat de
délégation de service public arrivera à sa fin.
En outre, pendant la durée du contrat, les risques financiers et
commerciaux restent à la charge du délégataire, qui se
rémunère en contrepartie directement auprès des usagers du
service public, qui peuvent être assimilés à des clients.
Ceci n'est évidemment possible que parce que le service public du ski
est assimilé à un transport public de voyageurs et qu'un tel
service public qualifié d'industriel et commercial, doit en tant que
tel, s'équilibrer par sa propre exploitation, sans recours au
contribuable.
Dans un tel contexte, il est difficilement concevable que le
délégataire puisse exprimer ses propres choix en matière
d'investissement et de modalités d'exploitation. C'est pourquoi, entre
la phase de l'envoi du cahier des charges et la signature du contrat final, a
lieu une période de négociation qui permet aux deux parties de
mettre en concordance leurs intérêts respectifs.
Cette phase est fondamentale car elle permet d'affiner l'équilibre
économique de la délégation de service public, de
préciser les modalités de concertation pendant la vie du contrat
et de prévoir in fine les modalités financières de sortie
du contrat. Dans cet esprit, même si l'initiative d'un projet peut
revenir à un délégataire, cette initiative est
nécessairement partagée avec l'autorité organisatrice.
L'essence même de la délégation de service public semble
être le mode de gestion idéal d'un service public comme celui des
remontées mécaniques : externalisation du financement,
définition partagée du programme d'investissements, recours au
savoir-faire de professionnels, externalisation des risques financiers et
commerciaux.
Cependant, la réalité du terrain n'est pas aussi idyllique. En
matière de remontées mécaniques, les tiers ayant la
capacité à devenir délégataires d'une commune pour
ses remontées mécaniques ne sont pas légion. A
côté de la puissante Compagnie des Alpes, ne subsistent que
quelques industriels opérant sur ce marché : STVI, Transmontagne,
Rémy Loisirs, pour l'essentiel. A cet égard, la loi Sapin a
joué un grand rôle dans la création de cette situation
d'oligopole. Et je pense qu'étudier très
précisément cette question est indispensable. S'agissant de la
Compagnie des Alpes, par exemple, sans remettre en cause la compétence
des personnes qui y travaillent, le fait que cette structure soit
financée par des fonds publics (Caisse des dépôts) pose
problème. La situation de quasi-monopole qui s'instaure est en effet
inquiétante.
La compagnie des Alpes est entrée à plus de 50 % du capital d'une
commune par exemple. Elle investit non seulement dans les infrastructures de
remontées mécaniques, mais aussi dans l'hébergement. Il
faut mener une réflexion sur le plan national: ne s'agit-il pas
là d'une nationalisation rampante ?
Est-il normal qu'à l'aide de fonds publics se produise une situation de
quasi-monopole ? A Méribel, Méribel Alpina a mis en place un
carré neige (assurance à la journée qui est vendu avec le
forfait) qui concurrence directement le carré neige mis en place par la
fédération. Le carré neige classique prévoit que
30 % de la somme revient au club de ski local et 70 % à la
fédération. Or, avec le carré neige spécifique
compagnie des Alpes-Alpina, 50 % de la somme est distribué au club local
et rien à la fédération. De tels agissements
entraînent la disparition du tissu associatif local. Cette situation a
fait l'objet d'un courrier de notre association au président de la
Caisse des dépôts.
Nous attendons un arbitrage à ce sujet. Aujourd'hui du fait de cette
situation de quasi-monopole, les communes peuvent se trouver en situation de
faiblesse et se voir imposer des choix d'investissement qui ne correspondent
pas entièrement à leurs projets. Ces opérateurs,
même les plus petits d'entre eux sont très souvent mieux
armés que les communes, non seulement sur le plan financier, mais aussi
sur les plans technique, administratif, procédurier et juridique.
En admettant même que le contrat qui lie la commune à son
délégataire soit parfait, nous pouvons constater que le suivi du
contrat et le contrôle du respect par le délégataire de ses
obligations n'est pas souvent correctement réalisé par les
communes, faute de moyens suffisants et notamment de moyens humains. En outre,
ces contrats étant de longue durée, alors que les
échéances électorales sont courtes, plusieurs
équipes municipales peuvent se succéder empêchant le bon
suivi d'un contrat en cours de validité. D'autant que chaque changement
de municipalité tend à faire disparaître de la
mémoire communale une partie des connaissances et des pratiques
accumulées par l'équipe précédente.
Nous pensons que le suivi d'un contrat de délégation de service
public constitue une véritable responsabilité dont l'exercice
nécessite des connaissances précises et une expertise certaine
sur le plan technique, juridique, administratif et financier. Or,
l'expérience du terrrain montre que ces conditions ne sont que rarement
remplies. L'intervention des services de l'Etat n'est pas à la hauteur
des enjeux. En effet, mis à part les services techniques qui assurent le
contrôle des engins de remontées mécaniques, les services
de l'Etat appelés à intervenir, soit comme conseillers, soit
comme contrôleurs, ne sont pas reconnus comme étant
particulièrement compétents en la matière sauf sur les
questions de procédure.
Tout en ne négligeant pas la procédure, élément
formel de la légalité externe des actes, il faut souligner qu'une
délégation de service public réussie est une
délégation de service public viable sur les plans
économique et financier. Or, sur ce point précisément, les
administrations de l'Etat ne sont pas toujours à la hauteur des attentes
des maires.
Cette difficulté apparaît notamment lorsqu'il s'agit de
définir la durée des contrats. Cette question est très
directement liée à celle de l'étalement des
investissements sur la durée de contrat : on imagine difficilement un
délégataire investir dans les dernières années du
contrat s'il ne dispose pas d'une période suffisamment longue pour
amortir financièrement ses investissements.
En guide de conclusion, je dirais que la délégation de service
public est le mode opératoire qui a permis à de très
nombreuses stations de se développer. Vous pouvez constater sur le
terrain que les domaines skiables exploités en régie directe sont
généralement petits, comportant des équipements
insuffisants et obsolètes, sans perspective d'atteindre un
équilibre économique viable et sans moyens financiers permettant
d'investir.
Dernière question : quels sont les besoins et les solutions en
matière d'aide à la réhabilitation de l'immobilier de
loisir en montagne ? Panorama et appréciation des aides apportées
au tourisme de montagne. Compte tenu du délai court qui m'a
été imparti pour préparer cette audition, je ne vais pas
dresser maintenant un panorama complet des aides existantes par rapport au
tourisme de montagne. Je me réserve cependant la possibilité de
vous communiquer ultérieurement des données
complémentaires. Je me contenterai de quelques développements par
rapport à l'importante question de la rénovation de l'immobilier
de loisir. Cette question a beaucoup préoccupé les maires des
stations. Vous n'ignorez pas que le dispositif législatif dont nous
disposons aujourd'hui est le fruit d'une initiative des élus locaux,
fortement soutenue par le Parlement.
Nous pouvons considérer que ce dispositif est satisfaisant. En revanche,
dans la mesure où il a été conçu comme un cadre
souple adaptable à des réalités différentes sur le
terrain, les communes ont besoin d'une aide méthodologique au
démarrage et d'un soutien financier permettant de lancer
l'opération de réhabilitation avec de bonnes chances de
succès. L'AMSFSHE, l'ANEM et les associations des stations
classées ont pris au début de cette année l'initiative de
réaliser un guide national méthodologique de
réhabilitation de l'immobilier de loisir. Ce guide est sur le point de
paraître.
Outre ce guide, ces associations d'élus ont décidé de
mettre en place un service d'appui pour les collectivités locales qui en
éprouveraient le besoin. Cette cellule devrait être
opérationnelle avant la fin de l'année. Du point de vue
méthodologique, nous avons fait ce que nous avons estimé
nécessaire. Par contre, sur le plan financier, peu de choses ont
été réalisées. Les expérimentations
initiées par la Direction du tourisme, l'Association française de
l'ingénierie touristique (AFIT) et la Caisse des dépôts et
consignations ne se sont pas révélées très
efficaces sur le terrain.
Ainsi, il serait souhaitable que l'Etat établisse une vraie politique
d'aide financière au démarrage des opérations de
réhabilitation. Il me semble qu'une telle action est du ressort des
pouvoirs publics, compte tenu de son intérêt
général.
Enfin très rapidement, j'aimerais évoquer d'autres
problèmes auxquels les communes sont confrontées. S'agissant de
la dotation globale de fonctionnement, ne pourrait-on pas mettre en place une
rétribution particulière aux communes de montagne dont l'effort
de protection du patrimoine et grand ? Une autre préoccupation
réside dans le financement des budgets annexes qui concerne toutes les
stations. Il faudrait réfléchir à cette question.
Pour ce qui concerne la pluri-activité, il faudrait reposer le
problème de la caisse pivot. Ce problème doit être
résolu afin de fixer des emplois en montagne et développer des
activités.
Dernier point : la gestion foncière. Nous nous heurtons aux droits de
préemption de la SAFER. Ne devrait-on pas décentraliser la
gestion des terres et octroyer un pouvoir d'intervention aux élus quand
de jeunes agriculteurs sont désireux de s'installer ? Nous
rencontrons les difficultés les plus importantes dans les zones
d'appellation.
Enfin, je souhaitais exprimer combien les relations qu'entretiennent les
collectivités avec les responsables des parcs sont détestables.
Simplement parce que les responsables des parcs sont des fonctionnaires.
Aujourd'hui il n'existe plus aucune concertation, aucun dialogue, mais, plus
grave, ces entités ne manifestent aucune volonté à
associer les acteurs locaux aux décisions. De plus, leur adage semble
être: ce qui est bon pour les autres ne l'est pas pour nous. En effet,
les règles sanitaires s'agissant des refuges ne sont pas
respectées.
Continuer ainsi est impossible. Leur seul souci semble être de supprimer
toute activité en montagne et de faire en sorte que les montagnes
deviennent des sanctuaires.
M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur
- J'aimerais vous poser quelques
questions. Quelles solutions pouvons-nous trouver à la situation de
quasi-monopole de certaines entreprises en montagne que vous avez
évoquée en l'illustrant par l'exemple de la Compagnie des Alpes ?
Faut-il imaginer des amendements à la loi Sapin ?
Deuxième question : s'agissant de la réhabilitation de
l'immobilier de loisir, vous avez dit que le dispositif ORIL (opération
de réhabilitation de l'immobilier de loisirs), loi Demessine
était convenable. Pourtant, tous les départements n'ont pas
conduit une politique de réhabilitation. Comment l'expliquer ? le
problème vient-il des préfets? de la collectivité
départementale ? La cherté des prix en montagne est-elle une
fatalité ?
Alors que la montagne était la deuxième destination, elle est
passée au quatrième rang après la ville et la campagne.
Cette situation est très inquiétante pour nos montagnes et assez
souvent sont évoqués le problème du prix et de la
concurrence du soleil. Que peut-on faire ?
Enfin, nous avons été interrogés par des exploitants de
remontées mécaniques sur la concurrence au niveau
européen, notamment italienne, suisse et autrichienne. Certains
responsables affirment se trouver dans une situation de concurrence
déloyale car, dans les pays voisins, les infrastructures de
remontées sont aidées au niveau des emprunts, du rendement et de
la neige de culture. Quel est votre sentiment ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- Sur la concurrence au niveau des
remontées mécaniques, les Dolomites, par exemple, ont mis en
place en 5 ou 7 ans, un réseau d'enneigement artificiel
impressionnant. Aujourd'hui, une saison dans les Dolomites dure du 15
décembre au 5-6 avril, quelles que soient les conditions climatiques. Ce
dispositif bénéficie du financement de la région à
hauteur de 50 %.
En France, la situation est inverse. Les maires doivent déposer
rapidement les dossiers d'enneigement artificiel car, dans deux ans, recourir
à la neige de culture ne sera plus autorisé en raison de la
levée de boucliers de la part de l'administration et des associations de
protection de la nature. L'administration, sous divers prétextes,
gèle les programmes de retenue d'eau. Un dossier de La Plagne qui
traînait depuis deux ans vient de passer en force.
Une saison sans neige est catastrophique non seulement pour les stations mais
pour toute la vallée. A mon sens, il faut permettre la
réalisation de ces équipements qui doit se faire dans les normes
en respectant l'environnement. S'agissant des prix, il semble y avoir un
problème de communication. Un studio Pierre et vacances de 37 m2
à la montagne coûte 183 euros la semaine, 223 euros en
décembre et janvier. Néanmoins, l'idée qu'un séjour
à la montagne coûte cher subsiste dans les esprits.
Or, une semaine à la montagne n'est pas plus onéreuse qu'un
séjour à la mer. Même à Chamonix, vous avez tous les
prix. Le phénomène de la concentration capitalistique en montagne
me semble beaucoup plus ardu à résoudre. Je n'ai pas de
réponse à apporter.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pourriez-vous nous communiquer l'évolution
de la progression de la Compagnie des Alpes sur les sites de montagne au cours
des cinq dernières années ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- Elle est impressionnante au cours des trois
dernières années. Un exemple : les magasins de sport. La
Compagnie des Alpes a racheté sur Tignes et Val d'Isère un
réseau de sept/huit magasins. Le risque est de mettre de
côté un tissu économique qui était pourtant
intéressant, dynamique localement.
M. Jean-Paul Amoudry
- Pensez-vous que la loi ayant institué
l'ouverture de la délégation de service public à la
concurrence soit la seule cause ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- Oui, car elle a ouvert une brèche.
M. Jean-Paul Amoudry
- Existe-t-il d'autres causes (conditions de vie en
montagne par exemple, problèmes liés à l'application de la
législation sur le temps de travail, à la fiscalité) qui
font qu'un exploitant de remontées mécaniques ou un
propriétaire responsable de magasins de sport ou de restaurants
d'altitude préfère vendre son bien au groupe en question
plutôt que de le transmettre à ses enfants ?
Ou la cause repose-t-elle d'abord dans la mise en concurrence des
délégations de service public ?
M. Gilbert Blanc-Tailleur
- La cause repose d'abord sur la mise en
concurrence des délégations de service public. Le danger est de
créer des situations de monopole où les gens ne seront plus que
des employés comme aux Arcs. Il ne faut surtout pas accepter cette
situation de monopole. Des initiatives privées doivent pouvoir se
développer surtout dans des milieux comme ceux de la montagne. Car si
les perspectives, pour les jeunes se limitent à être
embauchés dans des remontées mécaniques, ils vont
déserter la montagne
M. Jean-Paul Amoudry
- Et tout ceci s'effectue en plein paradoxe, avec
de l'argent public et sous couvert d'une délégation de service
public. Il faut méditer cela. Merci président.