28. Audition de MM. Alain Griset, président de l'Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM), Jacques Grassi, président de la Chambre des métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM au sein de l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) et Jean Vaquié, président de la Chambre des métiers de l'Aude (25 juin 2002)

M. Jean-Paul Amoudry, rapporteur - Mes chers collègues, Messieurs les Présidents, avec la permission du Président de séance, j'ouvre cette nouvelle audition en remerciant les intervenants de leur présence au Sénat pour les besoins de la Mission commune d'information sur la montagne. Les auditions se poursuivront jusqu'au mois de juillet. La Mission présentera ses conclusions au mois d'octobre. Nous avons déjà passablement travaillé, mais nous sommes heureux de vous accueillir pour entendre le témoignage d'hommes de terrain. Avant de vous laisser la parole pour répondre aux questions que nous vous avons posées, je souhaiterais que vous vous présentiez aux membres de notre mission.

M. Alain Griset - Monsieur le Rapporteur, Messieurs les Sénateurs, je vous remercie d'avoir invité les représentants des chambres des métiers de France et donc des 845 000 entreprises artisanales de France à cette audition sur la loi Montagne. Je suis Président de l'Assemblée Permanente des Chambres de Métiers, et par ailleurs Président de la Chambre des métiers du Nord, qui n'est pas tout à fait un territoire de montagne. Aussi ai-je demandé à de véritables spécialistes des départements de montagne de m'accompagner. Avant de donner la parole à mes collègues, je souhaite rappeler qu'un chapitre de la loi Montagne était relatif au commerce et à l'artisanat en zone de montagne. Ce texte comprenait trois articles qui reconnaissaient le rôle nécessaire et les spécificités de l'artisanat dans ces zones. Or dix-sept ans après le vote de la loi, il apparaît que les mesures prévues à l'origine n'ont pas été mises en application, ou n'ont pas donné les résultats escomptés.

Les articles 56 et 58 prévoyaient la mise en place d'évaluations et de rapports sur les dispositifs relatifs au commerce et à l'artisanat. A l'heure actuelle, ces dispositions n'ont pas été appliquées. J'insiste sur le fait que nous considérons la présence d'un artisanat fort comme indispensable à la vie dans ces territoires au même titre que l'agriculture ou les services publics. Nous nous accorderons tous pour considérer comme inimaginable que de très grandes industries puissent prochainement venir revivifier ces territoires sur le plan économique. Au contraire, le tissu des petites entreprises, en particulier des entreprises artisanales, peut seul permettre le développement économique équilibré des territoires en favorisant des créations d'emplois.

En effet, au cours des dix dernières années, l'artisanat a contribué à la création de 1,6 million d'emplois en solde net sur l'ensemble du territoire. Naturellement, ce phénomène s'est également vérifié dans les zones de montagne. Nous considérons donc qu'aux côtés de l'agriculture et des services publics, l'artisanat représente le troisième pilier de création d'emplois dans ces territoires. En outre, l'artisanat permet d'apporter les services de proximité attendus par les habitants, par exemple dans le secteur de l'alimentation. Il s'agit là d'un point essentiel. En effet, notre secteur comprend, entre autres professions, les boulangers, les bouchers ou les charcutiers, qui représentent un gros potentiel économique. Sont également concernés les services aux personnes, comme les garagistes, coiffeurs, photographes ou taxis, ainsi que les activités du bâtiment nécessaires à l'entretien du patrimoine et des habitations. Ces 250 métiers regroupés au sein de l'artisanat apparaissent nécessaires, en termes de proximité, pour maintenir les populations dans ces territoires et leur garantir une certaine qualité de vie. A cet égard, dans le cadre de l'activité touristique, nos entreprises peuvent apporter un certain nombre d'atouts. En effet, l'artisanat comprend également des entreprises spécialisées dans ces activités.

Nous considérons que la loi de 1985 aurait pu apporter plus de satisfaction et de moyens pour ces régions. Nous pensons néanmoins qu'un certain nombre de mesures pourrait favoriser, dans les mois ou les années à venir, une nouvelle dynamique permettant aux entreprises déjà existantes de demeurer implantées sur ces territoires. Mes collègues évoqueront l'intérêt que nous portons à la transmission d'entreprise, problème commun à l'ensemble de la France, mais qui se pose de manière cruciale dans les régions de montagne où toute entreprise non transmise a vocation à disparaître. Cette situation appelle des mesures adéquates afin de conserver des activités sur place. Je passe maintenant la parole à mes collègues. Naturellement, nous restons à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous souhaiteriez nous poser.

M. Jacques Grassi - Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs, je suis Président de la Chambre de métiers des Hautes-Pyrénées, représentant de l'APCM à la commission permanente du Conseil National de la Montagne, et à l'Association nationale des élus de la montagne. Je suis également membre de la Commission permanente du massif des Pyrénées. Enfin, j'habite en zone de montagne car je réside à Bagnères-de-Bigorre. Je suis par ailleurs artisan charpentier. Pour compléter les propos d'Alain Griset, je dois dire que les chambres de métiers, en dépit de certaines déficiences de la loi Montagne, ont néanmoins accompagné et aidé les entreprises à s'installer et à se développer dans les zones de montagne. Je m'attacherai maintenant à répondre aux questions que vous nous avez fait parvenir.

A votre interrogation relative à l'existence de données permettant d'élaborer un bilan statistique de l'artisanat en zone de montagne, je ne peux qu'apporter une réponse négative. Il n'existe en effet aucun bilan statistique sur ce point. De même n'existe-t-il pas de données statistiques continues sur l'artisanat par massifs. Des tentatives de création de systèmes globaux d'observation sont apparues, notamment par l'INSEE au cours des années 1985 et 1986. Ces tentatives n'ayant pas abouti, nous manquons actuellement de statistiques, à tel point que certaines chambres de métiers, comme la Haute-Savoie et les Pyrénées-Atlantiques, ont créé leurs propres observatoires sur l'artisanat afin de suivre l'évolution des entreprises en zone de montagne. Cependant, les moyens demeurent restreints. Ainsi, l'observatoire mis en place dans les Pyrénées-Atlantiques est financé temporairement par le Conseil général ; je crois que c'est également le cas en Haute-Savoie. J'ignore en revanche si ces aides perdureront. Nous parvenons cependant à délivrer un diagnostic général sur les entreprises de montagne.

Je ne vous apprendrai rien en vous disant que les zones de montagne ne constituent pas des espaces homogènes. En effet, d'un massif à un autre, voire au sein d'un même massif, les conditions de développement se révèlent très diverses. La moyenne montagne se trouve souvent en déclin, alors que la haute montagne, qui bénéficie de l'apport des sports d'hiver, connaît un essor. Parmi ces massifs, les Pyrénées, que je connais bien, se composent de vallées parallèles, toutes axées nord-sud, et constituent un patchwork de diversité quant aux situations cantonales allant du grand tourisme confirmé au site industriel en déclin en passant par des zones agricoles en crise. L'interprétation générale s'avère donc délicate.

Vous noterez dans un second temps que les observations sur le terrain font apparaître à l'évidence, que le commerce et l'artisanat de montagne subissent des surcoûts économiques, fiscaux et sociaux. Vous demandez s'il est possible de chiffrer les handicaps qui pèsent sur les activités artisanales en montagne. En effet, de même qu'un particulier qui se déplace en montagne sait qu'existe un surcoût concernant les véhicules et le temps nécessaire, il existe des handicaps lorsque l'on travaille en montagne. Se posent en particulier des difficultés pendant les périodes hivernales pour se rendre d'un point à un autre. Lorsque l'on se rend en montagne pour les vacances, il est ennuyeux de perdre trois ou quatre heures dans des bouchons pour accéder à la zone de loisir. Cependant, ceci est encore plus gênant lorsque l'on se déplace pour le travail. Une estimation en heures ou journées perdues pourrait être réalisée. Toutefois, la diversité des situations rend difficile le chiffrage de ces surcoûts. Il est en revanche certain que pour les entreprises travaillant dans des zones à forte activité touristique, il s'agit là d'un surcoût. En effet, les prix varient en fonction de la basse et de la haute saison, au cours de laquelle l'effet neige entraîne une augmentation des prix. Ce surcoût existe donc de manière incontestable, mais reste difficile à évaluer.

M. Jean Vaquié - Permettez-moi de me présenter. Je suis Président de la Chambre des métiers de l'Aude et de la Conférence de l'artisanat pyrénéen, ainsi que Secrétaire adjoint de l'Assemblée Permanente des Chambres de Métiers. Je travaille dans l'agroalimentaire ; en effet, je suis charcutier traiteur. Je réside dans l'Aude, qui se situe dans la région Languedoc-Roussillon. Ce département présente une spécificité forte. En effet, l'Aude est encadrée par deux montagnes, les Pyrénées au sud et le Massif central au nord. Cette situation géographique constitue un point crucial à prendre en compte lorsqu'il s'agit de parler de l'artisanat.

Dans le Languedoc-Roussillon, nous bénéficions d'aides directes aux entreprises, qui doivent être maintenues. Il ne s'agit toutefois pas d'aides spécifiques à la montagne. En effet, ces subventions sont attribuées aux zones 2 et 5B. A cet égard, le nouveau zonage tend à nous desservir. Aussi serait-il pertinent de maintenir les zones de montagne et de moyenne montagne, en particulier pour la Lozère, qui se situe entièrement en montagne, ainsi que pour les autres départements du Languedoc-Roussillon, notamment l'Aude.

L'artisanat veut se maintenir et se développer dans nos régions. Il ne pourra cependant le faire que dans un environnement porteur. C'est pourquoi plusieurs orientations peuvent être proposées. J'ai déjà parlé des aides directes à l'entreprise. A ces aides pourraient utilement s'ajouter des mesures d'accompagnement pour l'artisanat, permettant leur intégration dans une démarche collective. Il apparaît en effet certain que les artisans qui demeureront isolés ne pourront se développer. Malgré nos efforts en ce sens, il s'avère impossible de mettre en oeuvre des groupements d'employeurs. En outre, l'application effective des 35 heures dans le monde rural et de l'artisanat apparaît rigoureusement impossible.

J'insiste sur le fait que l'artisanat ne souhaite pas tomber dans l'assistanat, mais au contraire bénéficier de « coups de pouce » afin de permettre à son économie d'avancer. Je citerai plusieurs exemples d'aides possibles en direction des zones de montagne. Ainsi, les professionnels des métiers de bouche, par exemple les bouchers ou les charcutiers, disposent d'un outil de travail qui leur permet de servir le client. En développant leur activité dans le respect des normes d'hygiène et de sécurité, ces professionnels pourront réaliser une production plus importante et procéder à son exportation. Plusieurs professionnels ont déjà été aidés par la région, l'Etat, les conseils généraux, et ont bénéficié de l'appui des chambres de métiers. En effet, l'appui technique des chambres de métiers est indispensable pour aider en pratique les bonnes volontés, les mettre sur les rails, permettre aux artisans d'avancer, les inciter à rester ou à venir au pays.

Je crois qu'une erreur fondamentale a été commise lors du vote de la loi Montagne. Il aurait en effet été nécessaire de procéder par une loi plus générale, concernant le monde rural dans son ensemble. En effet, si les artisans disparaissent, l'agriculture en viendra à connaître de nombreuses difficultés, et le monde rural n'aura plus droit à la vie. Je vous citerai également l'exemple du boulanger, qui est également un artisan. L'exercice de cette profession est difficile dans le monde rural ; il l'est plus encore en zone de montagne.

L'Assemblée générale de notre chambre des métiers a ainsi souligné récemment que le boulanger, qui desservait 14 communes rurales, devait remplacer les pneus avant du véhicule de tournée chaque mois, et les pneus arrière tous les cinq mois. Par ailleurs, le temps nécessaire à la tournée s'avère très long. S'ajoutent encore les normes d'hygiène et de sécurité, qui entraînent un coût supplémentaire. En l'absence d'aides, pas seulement financières, les artisans se décourageront. En effet, quelle que soit la localisation géographique, le prix du pain à la vente demeure le même pour le boulanger. Vous comprendrez qu'un artisan ne peut fournir un produit à son détriment, sauf à devoir cesser son activité. En Languedoc-Roussillon, les aides départementales, régionales et d'Etat ne comportent pas de subvention pour le matériel roulant. Ainsi, le boucher reçoit une aide uniquement pour la boutique se situant à l'intérieur de son camion, mais non pour le véhicule lui-même. En revanche, nous fournissons dans les Pyrénées-Atlantiques une aide technologique qui a vocation à être étendue à l'ensemble de la chaîne pyrénéenne.

M. Jacques Grassi - Plusieurs aides financières et mesures de simplification ont été mises en place au bénéfice des artisans et commerçants installés en zone de montagne. Dans certaines régions, comme le Languedoc-Roussillon, existe une aide aux artisans, qui n'est toutefois pas spécifique aux zones de montagne. En revanche, dans les Alpes-de-Haute-Provence, une aide spécifique a été mise en place. Il s'agit du FODAM, Fonds d'aide à la modernisation, dont le financement relève de l'Union européenne et des départements. Le FODAM s'attache à favoriser le maintien des services de proximité dans les communes de moins de 2000 habitants. Cette aide constitue une sous mesure du programme européen « objectif 2 ».

Au total, peu d'aides financières ont donc été recensées. En revanche, en Midi-Pyrénées, la signature de nouveaux contrats de plan Etat région a permis, pour la première fois, la mise en place d'aides financières spécifiques ciblées sur la montagne. Le contrat interrégional de massif comprend les trois régions Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées et Aquitaine. Le préfet coordonnateur se trouve à Toulouse. Ce contrat concerne donc en tout six départements. Au sein du contrat de plan Etat région, des aides financières ont été ciblées pour la montagne. Naturellement, nous pourrons en bénéficier.

Le quatrième point relatif à la nécessité de maintenir des services de proximité appelle une réponse affirmative. Il s'agit là d'un point essentiel pour les personnes vivant en montagne. Il faut, selon nous, conserver et soutenir l'existant, et aider les personnes à continuer à vivre dans les zones où elles habitent. Jean Vaquié a insisté sur les problèmes relatifs aux tournées. En effet, le véhicule de tournée constitue un élément essentiel de la vie rurale en général, dont l'importance se trouve encore accrue dans les zones de montagne. Aussi certaines opérations soulèvent-elles des difficultés de financement de ce véhicule. En effet, le véhicule de tournée peut être vu comme un élément de service au public, qui doit absolument être maintenu. De même est-il nécessaire d'aider des jeunes à s'installer ou à reprendre des entreprises. En effet, une entreprise artisanale, même située dans un petit bourg ou un village de montagne, représente un emploi ou un apprentissage. Aussi la présence des artisans est-elle susceptible de favoriser la vie du village, où l'on trouve généralement un boulanger et un maçon ou un charpentier qui répondent aux besoins de la population.

Plus encore, il est nécessaire de conserver les services publics en zone de montagne. Dans le cas contraire, il est en effet impossible d'inciter des entreprises à s'y installer et à y travailler. Ainsi, en l'absence d'école ou de services publics de proximité - bien qu'il existe aujourd'hui des regroupements scolaires bien organisés - un jeune couple ne viendra pas s'installer. A l'heure actuelle, il existe une forte demande de la part des maires de communes rurales de montagne pour obtenir des aides à l'installation de multiservices. Un grand groupe de distribution s'intéresse aujourd'hui à cette question. Je dirai que ce groupe fait du social, car il n'entre pas dans l'intérêt d'une grande surface d'en financer une petite. Or les multiservices répondent à des besoins réels de la population : l'on peut en effet y trouver une photocopieuse, un fax, ainsi que la plupart des services attendus.

Il serait également nécessaire de modérer l'implantation des grandes surfaces dans les zones de piémont. Je sais que chacun a droit aux prix pratiqués dans les grandes surfaces. Cependant, l'extension des super- et hypermarchés conduit à vider les vallées de toute leur substance. Par conséquent, les personnes habitant loin ne disposent plus de services de première nécessité. Il apparaît donc absolument nécessaire de modérer l'extension des grandes surfaces, surtout en zone de piémont. Il est en effet indispensable de laisser vivre les gens dans les vallées. Si l'épicerie, le distributeur de journaux ou le multiservice leur sont ôtés, la vie du village disparaît.

La pluriactivité peut se révéler obligatoire en zone de montagne lorsque les conditions climatiques ou de transport contraignent les personnes à exercer une autre activité. Ainsi, en été, la première activité peut être celle d'agriculteur. En revanche, en hiver, une seconde activité est souvent liée aux remontées mécaniques et au développement des sports d'hiver.

Il existe en outre, comme nous le découvrons dans les Pyrénées, une pluriactivité voulue, découlant d'un choix de vie des personnes. Il est caractéristique que les deux tiers des personnes exerçant une double activité ne relèvent pas de l'agriculture, contrairement à ce que l'on pourrait penser. Par ailleurs, 86 % des pluriactifs associent salariat et activité non salariée. Ainsi, certains artisans, par passion, exercent-ils une activité de montagne, comme moniteurs de ski pendant l'hiver ou accompagnateurs en été.

Ces personnes sont confrontées à de nombreuses difficultés au regard des régimes sociaux. En effet, dans la mesure où certaines caisses soumettent l'immatriculation à un minimum de 1200 heures de travail, l'exercice de deux ou trois activités différentes au cours de l'année soulève plusieurs problèmes. Parmi les actions de simplification, des tentatives de mise en place d'un guichet unique ont été menées, notamment en Savoie, dès 1985, sans aide financière spécifique. De tels exemples demeurent toutefois relativement rares. Par ailleurs, l'égal accès de tous les citoyens aux administrations sur l'ensemble du territoire, préconisé par la loi Montagne, n'est toujours pas d'actualité. En effet, si nous nous référons à la loi de 1985, cette disposition est encore loin d'avoir reçu une application effective.

Enfin, les groupements d'employeurs n'ont pas fonctionné dans les zones de montagne car la main d'oeuvre qualifiée y est rare et le nombre d'entreprises utilisatrices est trop faible. La diversité de nos métiers constitue également une source de difficultés. Il est évident qu'il est malaisé de réaliser l'adéquation entre le potentiel d'entreprises utilisatrices et le potentiel de personnes polyvalentes en zone de montagne. En revanche, dans les zones plus urbaines ou plus proches des villes, les groupements d'employeurs fonctionnent.

M. Jacques Blanc - Le statut des femmes et du conjoint collaborateur figure dans la dernière question. Je la cite simplement pour mémoire. Je vous propose de passer maintenant aux questions de mes collègues. Dans la mesure de vos possibilités, il nous serait très utile d'obtenir à l'appui de vos interventions des notes écrites, pas nécessairement aujourd'hui.

M. André Rouvière - Je souhaiterais vous poser deux questions. Nous avons implanté dans le Gard des points multiservices qui rendent de nombreux services à la population. Nous peinons en revanche à trouver des solutions sur deux points. Il s'agit en premier lieu des stations-service, qui ont quasiment disparu. Nous ne savons comment régler cette question. Ma seconde remarque est relative aux relais pour les téléphones portables. Ce point, bien qu'en voie de règlement, n'est pas encore totalement réglé.

M. Jacques Grassi - Au niveau du massif pyrénéen, une mission de la DATAR est en place avec l'appui du Conseil régional. Nous avons la chance de vivre dans un département dont 90 % du territoire se situe dans une zone blanche. En revanche, un département comme l'Ariège se trouve en zone noire sur des secteurs très importants. Il y a là un important travail à mener. Les opérateurs s'étaient engagés à couvrir 90 % de la population, mais non, malheureusement, 90 % du territoire. Aussi certaines zones de montagne ne sont-elles pas couvertes. En région Midi-Pyrénées, un important travail a été entrepris. Nous espérons qu'il portera ses fruits sur l'ensemble de ces départements, notamment l'Ariège.

Par ailleurs, les stations-services, qui ont fermé les unes après les autres, constituent un problème important. J'ignore comment nous pourrions le régler. En effet, il est souvent nécessaire de parcourir vingt ou trente kilomètres dans les vallées pour pouvoir se ravitailler.

M. Alain Griset - Si les stations-service ne relèvent pas directement de notre compétence, de nombreuses activités reposent en réalité sur la pluriactivité. Il nous faut être réaliste : nous nous situons dans une économie de marché, où l'entreprise, quelle que soit sa taille, doit faire des bénéfices. Dès lors, il n'est pas envisageable d'ouvrir une station-service en sachant que le nombre de clients dans la journée sera modeste et que l'on ne dégagera pas de bénéfices. En revanche, le cumul de cette activité avec d'autres peut permettre d'atteindre une surface suffisante pour pouvoir « gagner sa vie ».

La pluriactivité cumulant activité salariée et non-salariée constitue toutefois un véritable parcours du combattant, en particulier s'agissant du rattachement aux caisses. Comme l'a souligné Jacques Grassi, certaines caisses demandent en effet de justifier de 1200 heures pour calculer le rattachement à la caisse principale, ce qui, compte tenu du passage aux 35 heures, pose aujourd'hui de nombreux problèmes. Dès lors, l'exercice de plusieurs activités sur des régimes différents, régime salarié, agricole et artisanal, soulève des questions de détermination du régime d'appartenance en cas de maladie ou de retraite. Le législateur pourrait donc s'attacher à simplifier le choix du régime social pour le pluri-actif. Peut-être serait-il possible pour l'assuré de choisir lui-même le régime auquel il souhaite être affilié. Ceci simplifierait la vie des personnes et ouvrirait de nombreuses perspectives, aujourd'hui bloquées par la complexité des procédures administratives.

M. Pierre Jarlier - Je souhaiterais avoir votre avis sur les procédures menées au titre des appuis du Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC) et de l'Europe. Il existe aujourd'hui en particulier des procédures liées aux projets territoriaux intercommunaux qui présentent un volet fort en termes de maintien de l'artisanat, par exemple dans le cadre d'opérations « coeur de pays » ou « coeur de ville ». J'aimerais savoir comment ces actions sont vécues par les chambres de métiers, quels sont les partenariats envisagés, et dans quelle mesure ces procédures pourraient être encore améliorées. Je souhaiterais en particulier savoir ce que vous en attendez exactement. Ce travail de terrain mené en concertation avec l'Etat et les collectivités a permis d'obtenir des résultats intéressants sur certains territoires. De nombreux organismes consulaires ont également émis l'idée d'une instauration de nouvelles zones franches rurales dans les secteurs en difficulté. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur ce point .

M. Alain Griset -
Plusieurs points sont ici abordés. Je tenterai d'y répondre successivement.

Le FISAC constitue une structure gérée - pour le moment - au niveau national, qui est financièrement alimentée par la taxe additionnelle au commerce et à l'artisanat (TACA). Je tiens à souligner que la TACA, qui constitue une taxe parafiscale appliquée à la grande distribution, n'est pas utilisée aujourd'hui comme nous le souhaiterions pleinement. En effet, le budget de l'Etat prélève chaque année en moyenne environ 50 millions d'euros sur le produit de cette taxe. L'administration gérant la TACA a donc pour objectif de ne pas l'utiliser en totalité afin d'en réintégrer une partie au budget de l'Etat.

De mémoire, au titre de l'année 2001, le budget de l'Etat a dû reprendre pour son fonctionnement habituel environ 100 millions d'euros à la taxe. Nous souhaiterions naturellement que la totalité du produit de la TACA revienne à sa finalité première, c'est-à-dire la dynamisation du commerce et de l'artisanat. La TACA, payée par la grande distribution, alimente donc en partie le FISAC. Le produit de la TACA se situe à environ 150 millions d'euros par an, et le budget du FISAC s'élève à 80 millions par an. Il existe donc là une marge qui permettrait certainement d'obtenir des moyens plus importants pour favoriser le commerce et l'artisanat, en particulier en zone de montagne. Des fonds pourraient donc être disponibles à cette fin.

Nous souhaiterions vivement par ailleurs que la gestion du FISAC soit plus décentralisée qu'elle ne l'est actuellement. En effet, il appartient à une commission nationale de décider de l'attribution des dossiers FISAC alors que, au contraire, dans un premier temps, ces dossiers sont étudiés au niveau local. Aussi une commission régionale, alliant des élus et des parlementaires, des conseillers généraux, des maires et des représentants consulaires, serait-elle mieux à même de voir les attentes du terrain. La commission nationale pourrait gérer une partie des fonds. Néanmoins, selon nous, la majeure partie de ces fonds devrait relever du niveau régional, qui apparaît adéquat pour la gestion d'une telle structure.

Des pays et des structures intercommunales sont actuellement en cours de création. Une réunion organisée au Sénat par l'Institut supérieur des Métiers s'est attachée au positionnement de l'artisanat au sein de ces structures intercommunales. Je peux déjà vous annoncer que les établissements consulaires nationaux, chambres de commerce, de métiers et d'agriculture, envisagent d'organiser, à la fin de l'année 2002, les premières rencontres interconsulaires du développement local. Nous souhaitons indiquer par là combien nos établissements publics sont concernés par ces structures de territoire et veulent s'y impliquer. Nous rencontrons cependant plusieurs difficultés sur ce point. Un exemple, dans le Nord, où la Communauté urbaine de Lille a créé un comité de développement. Si cette initiative devait être approuvée, le comité comporterait alors 103 personnes. Un tel comité en deviendrait totalement inefficace. En outre, alors que la chambre de métiers du Nord représente 22.000 entreprises, il existe plus de 90 associations représentant chacune 10 ou 15 personnes. Il devient donc impossible de s'orienter et de coordonner les actions des différents intervenants.

Naturellement, les chambres de métiers ne souhaitent pas ôter aux élus leurs prérogatives. Nous voudrions néanmoins, au sein des structures intercommunales, que les établissements publics consulaires, chambres de métiers, mais aussi chambres de commerce et d'agriculture, bénéficient d'une place à part entière dans le développement des territoires de montagne et puissent apporter leur contribution à leur économie. En effet, lorsque les trois établissements consulaires travaillent sur l'ensemble du territoire, ils représentent 99,5 % de l'économie. Il nous paraît donc logique qu'ils bénéficient de lieux de représentation afin d'apporter nos contributions à ces structures.

Nous constatons par ailleurs que de nombreuses structures administratives se mettent en place aujourd'hui - par exemple dans les pays. Nous préférerions que celles-ci utilisent plutôt l'existant et notamment les compétences des établissements consulaires, qui, à cet égard, ont une forte volonté d'être associés aux pays, communautés urbaines ou communautés de communes. Naturellement, selon la loi, ces structures sont composées par les élus, et nous ne souhaitons pas jouer un rôle politique. En revanche, nous souhaitons être présents sur le plan économique. Vous aviez également évoqué la possibilité de créer des zones franches. Nos collègues des territoires de montagne considèrent que la mise en place de zones franches spécifiques en milieu de montagne, calquées sur le modèle des zones franches pour quartiers difficiles, pourrait constituer une mesure favorable. Le dossier que nous avons constitué propose quelques critères pour la mise en place de ces zones franches. Celles-ci devraient bénéficier de soutiens fiscaux et sociaux, mais également de mesures quant à l'aménagement de locaux pour l'installation. Ces dispositions permettraient ainsi d'attirer de nouvelles entreprises.

M. Auguste Cazalet - En tant que maire, j'avais négocié avec la région Aquitaine l'obtention d'aides du FISAC. Il apparaît donc que les procédures ont de nouveau été centralisées au niveau national.

M. Alain Griset - Le FISAC fonctionne selon le principe suivant : une municipalité, en partenariat avec un établissement consulaire, étudie un dossier. La demande est alors transmise à une commission nationale qui attribue l'aide. La commission est donc décisionnaire quant à l'appui financier apporté au dossier. La commission du FISAC est par ailleurs composée pour l'essentiel de fonctionnaires d'Etat.

M. Auguste Cazalet - Je souhaiterais dire à Monsieur Grassi, que je découvre être mon voisin, que ma localité n'a pas la chance de bénéficier du Pic du Midi, qui n'est pas assez haut pour nous desservir. Aussi rencontrons-nous de grosses difficultés quant à la couverture des téléphones portables.

M. Jacques Blanc - L'émergence de l'artisanat devrait être soulignée comme facteur d'aménagement de la montagne. Pendant longtemps, l'on s'est exclusivement préoccupé du secteur de l'agriculture. Aujourd'hui, nous avons pris la mesure des enjeux de la présence et du développement de l'artisanat sous toutes ses formes et dans ses différents secteurs. En effet, lorsque les artisans quittent le village, la mort s'y installe. Se posent donc à la fois des problèmes d'installation et de transmission des entreprises artisanales. Aussi la question des successions mériterait-elle d'être encore mieux traitée en zone de montagne.

En outre, j'espère que l'on parviendra à faire reconnaître une véritable exigence de politique de montagne au sein des programmes européens. En effet, dans les programmes, de type « objectif 2 », il est nécessaire de mieux prendre en compte les initiatives de l'artisanat, qui permettent de créer des dynamiques. Enfin, les artisans se situent au coeur de la rencontre entre l'agriculture et le tourisme. Aussi peuvent-ils favoriser le développement de chacun de ces secteurs et représenter un facteur de synthèse dans l'utilisation des sols et la compétition des activités économiques. Dans ce mouvement général d'intercommunalité, il convient de laisser une place importante aux artisans qui font vivre la montagne. L'apport des chambres des métiers est à cet égard décisif.

M. Jean Boyer - Les chambres des métiers ont-elles réfléchi à une dotation spécifique lors de l'installation en zone de montagne, comme il en existe pour l'agriculture ? En effet, une dotation d'installation dans une commune rurale constituerait déjà un premier point. Une réflexion sur la modération des dépenses et la réduction des surcoûts a-t-elle été engagée ? A titre de comparaison, les agriculteurs bénéficient du fioul rouge pour circuler. Avez-vous donc demandé des dérogations en ce sens ? Par ailleurs, dans la mesure où les distances à couvrir sont importantes, il serait judicieux, à côté du fioul rouge, qui constituerait une première économie, de mettre en place un forfait kilométrage. Ce forfait pourrait par exemple être compensé par la TACA. De même, lors de l'arrivée d'une grande surface, il n'apparaît pas invraisemblable de lier l'autorisation d'installation à l'obligation d'assurer un service public minimal. Il s'agit là d'exemples très concrets. J'insiste sur le fait que la loi Montagne, la loi d'orientation et la PAC ne permettent pas de saisir dans leur globalité le commerce, l'artisanat et l'agriculture.

M. Jacques Blanc - Dans la mesure où la PAC évoluera, nous souhaitons un passage plus important de crédits du premier pilier, qui constitue un soutien aux produits, au second pilier, dit de développement rural. Nous voudrions donc, au sein de ce second pilier, bénéficier d'interventions européennes financières spécifiques pour la montagne susceptibles d'intéresser à la fois le secteur de l'artisanat et le développement plus général de ces zones.

M. Alain Griset - Nous considérons que le service public, l'agriculture et l'artisanat constituent les trois piliers indispensables à la vie économique des territoires de montagne. Un point nous apparaît fondamental : il s'agit d'appliquer les mêmes droits et les mêmes devoirs aux différents intervenants, quelles que soient les mesures envisagées. Lorsque vous parlez d'aides spécifiques à l'agriculture que devraient revendiquer les artisans, nous demandons plutôt l'application de ce principe sur l'ensemble des dispositifs. Ainsi, s'il existe des exonérations fiscales pour l'agriculture afin de vendre certains produits, l'artisanat doit bénéficier des mêmes droits. En effet, en situation de concurrence, il est nécessaire de traiter à égalité les entreprises sur l'ensemble d'un même territoire.

Il importe également que les pouvoirs publics ne complexifient pas la gestion des fonds européens. En effet, les critères européens apparaissent déjà en eux-mêmes suffisamment contraignants. Cependant, des pays comme l'Irlande, l'Espagne et le Portugal, qui ont su pleinement utiliser les aides européennes, ont fortement progressé. Or en France, faute d'avoir su utiliser leurs subventions, les régions renvoient ces aides. Il est ainsi extrêmement difficile pour nos entreprises d'obtenir des fonds européens. Les chefs d'entreprises font alors appel à nos établissements publics. Je demande donc à ce que les chambres de métiers des départements de montagne puissent bénéficier de soutiens financiers de la part des pouvoirs publics afin d'être en mesure d'accompagner les projets collectifs des artisans.

Des aides spécifiques doivent également être apportées à l'installation. Il faut en outre veiller à ce qu'une aide ponctuelle, sur un ou deux ans, n'entraîne pas une concurrence déstabilisatrice. A cet égard, un régime global est préférable. Comme l'a rappelé le Premier Ministre, en France, une entreprise qui se crée commence par payer des charges avant même de réaliser le premier euro de chiffre d'affaires.

En tant que sénateurs, vous serez prochainement sollicités dans le cadre d'une loi d'orientation pour l'artisanat, dépassant le cas des territoires de montagne. Nous souhaiterions que soient traités les problèmes du conjoint de l'artisan, de la formation et de la transmission de l'entreprise. Une attention particulière devra en outre être portée au statut de l'entrepreneur individuel, aujourd'hui contraint à constituer une société fictive. Nous souhaitons à cet égard que la possibilité de l'échec lui soit laissée et que l'ensemble de ses biens ne soient pas saisis en cas de faillite. Ces points doivent faire l'objet d'une loi globale. Ces dispositions législatives trouveront naturellement matière à s'appliquer à la montagne, mais devront également, pour traiter notre secteur avec équité, concerner l'ensemble des entreprises du territoire national.

M. Jean Vaquié - Nous avons en effet besoin de l'appui des sénateurs pour faire passer cette loi sur l'artisanat. S'agissant des critères pour la mise en place de zones franches en montagne, la Lozère a remis un dossier complet, qui vous sera transmis. Pour la transmission et la reprise, les CIFA (contrat installation à formation artisanale) avaient été mis en place. Aujourd'hui, l'on assiste à une importante vente de fonds dans les métiers de bouche. Un jeune ne disposant pas des fonds nécessaires ne pourra reprendre ce commerce. En revanche, l'artisan-boucher pourrait former un apprenti qui, le moment venu, prendrait sa succession.

M. Jacques Blanc - Je vous remercie de vos interventions.

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