27. Audition de M. Michel Badré, directeur général adjoint de l'Office national des forêts (25 juin 2002)

M. Michel Moreigne - Mes chers collègues, nous poursuivons les auditions dans le cadre de la Mission commune d'information sur la montagne. Je donne la parole à Monsieur Michel Badré, Directeur général adjoint de l'Office National des Forêts.

M. Michel Badré - Monsieur le Sénateur, je vous remercie. Une partie de mes réponses sera probablement plus imprécise que je ne l'aurais souhaité. Je vous prie donc de bien vouloir m'en excuser à l'avance. En effet, à la suite des tempêtes de 1999, l'Office National des Forêts s'est engagé dans une profonde réforme interne. En revanche, une documentation présentant les principaux chiffres vous sera ultérieurement communiquée. Je vais maintenant m'attacher à répondre aux questions qui m'ont été transmises.

L'ONF a établi un tableau détaillant l'étendue des espaces boisés par région et par département. Ce document distingue les forêts domaniales et les forêts appartenant à des collectivités publiques. Au sein de celles-ci, les communes constituent la majeure partie des propriétaires de forêts. En effet, à l'exception des sections de communes en Auvergne, les autres collectivités possèdent rarement des espaces boisés.

Parler de forêt de montagne implique d'opérer une distinction nette entre moyenne et haute montagne. En effet, la moyenne montagne, correspondant aux massifs vosgien et jurassien ainsi qu'au Massif Central, constitue un espace très favorable à la forêt. Dès lors, le terme de « handicap montagne » présente peu de signification pour ces zones, à l'exception de sites très particuliers. En revanche, les zones de haute montagne font apparaître des conditions d'exploitation comportant des difficultés objectives importantes. La haute montagne correspond aux Alpes du Nord et du Sud, pour une part importante, ainsi à qu'une grande partie du massif pyrénéen.

Il convient de souligner que les forêts situées en zone montagneuse présentent une caractéristique forte. En effet, la forêt communale est fortement représentée dans les massifs montagneux, constituant 80 % des espaces boisés contre 20 % de forêts domaniales. Par comparaison, nous gérons sur la France entière, toutes régions confondues, environ 1,7 million d'hectares de forêts domaniales et 2,5 millions d'hectares de forêts communales, soit une proportion d'environ 40 à 60 % pour ces dernières.

Par conséquent, la situation socio-économique se révèle très particulière. En effet, dans la mesure où les forêts appartiennent aux collectivités, celles-ci exercent naturellement leur pouvoir de décision. Nous sommes donc gestionnaires de ces forêts, mais nous ne représentons pas le propriétaire. Il existe toutefois une exception notable qui concerne les propriétés domaniales en zone de haute montagne. Ces forêts ont été majoritairement acquises à la fin du XIX ème siècle au titre de la restauration des terrains afin de lutter contre l'érosion.

Vous avez auditionné, il y quelques semaines de cela, Yves Cassayre, Délégué national aux actions de restauration de terrains en montagne, qui vous aura informés des travaux engagés en matière de lutte contre l'érosion. Dans la mesure où l'expertise relative aux risques naturels a déjà été traitée, je m'attacherai plus à l'aspect de la gestion des espaces boisés. A cet égard, nous avons en charge environ 300 000 hectares de forêts domaniales, issues de telles acquisitions, qui se situent majoritairement dans les Alpes du Sud. Les forêts de massifs montagneux dont nous assurons la gestion présentent un équilibre d'environ deux tiers de résineux et d'un tiers de feuillus. Cette proportion est inversée sur la France entière. Parmi les résineux de montagne prédominent le sapin et l'épicéa. Il s'agit là d'une richesse économique très importante pour les Vosges, le Jura et le Massif central.

Dans les Vosges, le Jura, ainsi que les départements de la Franche-Comté et de l'Ain, les forêts publiques, sous maîtrise communale pour l'essentiel, représentent couramment plus de la moitié de la totalité des espaces boisés. Cette proportion est d'environ un tiers sur l'ensemble de la France. Cette emprise forestière présente donc une forte importance territoriale. En revanche, les statistiques font apparaître pour les zones de haute montagne d'importantes surfaces non boisées, pour l'essentiel sous propriété et maîtrise foncière communale. Ces alpages et terrains, situés au-delà de la limite de la végétation forestière, sont inclus dans les statistiques, sans toutefois produire de bois. Cette situation comporte des conséquences importantes en matière d'aménagement du territoire. Enfin, les données relatives à la forêt privée située en zones de montagne pourront être trouvées auprès du ministère de l'agriculture à partir de l'inventaire forestier national.

Le premier réflexe quant à l'état des forêts est de penser que dans la mesure où la gestion de l'ONF est exemplaire, les forêts sont également en bonne santé. Tel est globalement le cas.

En reprenant la distinction entre massifs de moyenne et de haute montagne, il apparaît que les forêts des Vosges en premier lieu, ainsi que du Jura, dans le Haut Doubs et le Haut Jura, ont été très sévèrement affectées par les tempêtes de 1999. Les cicatrices seront donc longues à disparaître. En particulier, dans la partie montagneuse du département des Vosges, plus de la moitié - et parfois près des deux tiers des surfaces boisées - a été plus ou moins sévèrement endommagée. L'équivalent de dix récoltes annuelles a ainsi été perdu. Il sera donc nécessaire de réviser l'ensemble des aménagements forestiers et des plans de gestion. Ainsi, nous revoyons actuellement la totalité des plans de gestion des forêts du département des Vosges, alors que la rotation normale s'étale sur vingt ans. Il s'agit là d'un point essentiel à court terme dans la question de la santé des espaces forestiers.

Les massifs alpins et pyrénéens ont été en revanche faiblement affectés par les tempêtes. Dans le Massif central, ce sont les forêts privées qui ont été les plus touchées. Il en va ainsi du Limousin où, la forêt publique étant faiblement représentée, les forêts privées ont été très fortement abîmées. L'Auvergne a été moins sévèrement atteinte.

En dehors de ces éléments climatiques exceptionnels, de fortes inquiétudes étaient apparues au début des années 80 quant à l'état de santé à moyen terme des massifs forestiers, en particulier en moyenne montagne. Ce débat portait sur les « pluies acides », comme il a été dit de manière simplificatrice. Des informations très alarmistes - doublées d'une certaine manipulation - se sont alors fait jour. La collectivité forestière a donc mis en place, avec le soutien de l'Union européenne, un dispositif de suivi. Ce système, qui est effectif depuis vingt ans, permet d'évaluer la santé des forêts grâce à des observations sur l'état du feuillage, sur un réseau de placettes de mesure. Il est complété depuis quelques années par un dispositif plus lourd de mesure de teneur en composants chimiques des sols et de recueil puis d'analyse de la pluie ruisselant sur les feuilles des arbres.

La communauté scientifique forestière s'accorde désormais pour considérer que cette grosse alerte était en réalité la conséquence de deux ou trois années de sécheresse exceptionnelle à la fin des années 70. Nous avons donc assisté, cinq ou six ans après, au contrecoup - classique en forêt - de cette sécheresse. En revanche, depuis vingt ans, aucune dégradation significative n'est à noter dans la santé des massifs de moyenne montagne. Toutefois, les tendances de très long terme font apparaître de manière significative une augmentation de la production ligneuse dans les forêts. Ce phénomène est probablement corrélé à l'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère. Cette accélération de la photosynthèse peut entraîner un appauvrissement de la composition des sols à laquelle il faut être vigilant.

Parmi les éléments globaux de la santé des espaces forestiers de montagne, un point technique particulier est à signaler quant aux surfaces acquises au titre de la restauration en montagne. Certaines acquisitions ont été consacrées à des travaux de génie civil ou à des fins de lutte contre l'érosion active. D'autres, d'une superficie plus importante, ont donné lieu à reboisement afin de protéger les sols. Il s'agit là de boisements en essences rustiques - pin noir pour l'essentiel. Ces arbres arrivent maintenant à l'âge auquel ils doivent être régénérés. Se posent donc des problèmes techniques de recomposition d'une forêt plus diversifiée qui permette de reconstituer progressivement le sol.

Il s'agit ici de ne pas se retrouver dans une situation similaire à celle du siècle passé, où les terrains étaient soumis à un risque d'érosion. L'ONF s'efforce donc actuellement de gérer au mieux cette question technique de massifs arrivés à une centaine d'années. Par ailleurs, de nombreuses interrogations se posent quant à la diversification des essences et à l'évolution vers la constitution de peuplements plus mélangés. Les tempêtes de 1999 nous ont amenés à accélérer nos réflexions sur ces points afin de déterminer des méthodes sylvicoles permettant de limiter ces risques. Si un vent passe dans une forêt à la vitesse de 180 kilomètres/heure, il causera inévitablement des dégâts importants, quel que soit le type de peuplement. En revanche, un peuplement adéquat peut résister à un vent de 100 kilomètres/heure. L'enjeu actuel consiste donc à identifier le type de gestion le mieux adapté à la protection de ces espaces.

M. Michel Moreigne - Pouvez-vous nous fournir des indications quant aux insectes xylophages qui sont présents dans les zones montagneuses du Limousin et de l'Auvergne ?

M. Michel Badré - Je dois dire que cette situation, en effet préoccupante, était prévisible. En effet, après les tempêtes de 1982 qui avaient fortement frappé le Massif central, nous avions assisté à d'importantes attaques d'insectes xylophages. De tels phénomènes s'expliquent pour des raisons à la fois techniques et économiques. En effet, tout produit susceptible de valorisation économique - pour l'essentiel les gros bois et les grumes - est sorti de la forêt. Demeure donc un important volume de bois qui ne peut être sorti, sauf à débourser des sommes considérables. Ce bois mort resté en forêt constitue un biotope idéal pour les insectes xylophages et cela d'autant plus que le temps est chaud et sec. A cet égard, l'année 2000 a été très mauvaise pour le tourisme et donc bonne pour la forêt, ce qui a permis de différer temporairement ce problème. En revanche, ces attaques importantes se produisent aujourd'hui, avec un an de retard.

En matière forestière, l'on estime couramment qu'à la suite d'une tempête abattant un volume de 100, l'on récolte, dans les trois ou quatre ans suivants, un volume de 30 à 50 lié à ces dégâts d'insectes. Il s'agit là d'un volume très important. Le volume total de chablis de 1999 était compris entre 100 et 130 millions de mètres cubes, toutes forêts confondues, dont près de 45 millions pour la seule forêt publique. Aussi nous attendons-nous à récolter au cours des années 2001, 2002, 2003, voire 2004, une quinzaine de millions de mètres cubes, soit plus qu'une récolte annuelle normale de bois atteint par le bostryche. La seule parade consiste à récolter les bois le plus rapidement possible afin d'éviter la propagation des insectes. Cette solution apparaît plus facile à mettre en oeuvre dans les espaces gérés par nos services qu'en forêt privée, où certains propriétaires, absents, ignorent les attaques de parasites dans leurs forêts. Nous ne possédons pas de données quant à la ventilation par massifs de l'épidémie de xylophages. Nous pourrons néanmoins vous communiquer ultérieurement les volumes de bois atteints par le bostryche et récoltés massif par massif.

Dans la mesure où la biodiversité soulève des problèmes d'échelle, il est difficile d'apporter une réponse tranchée à la question de la protection de la biodiversité en forêt de montagne. En effet, les spécialistes naturalistes et la communauté scientifique s'interrogent quant à savoir s'il convient de raisonner sur quelques mètres carrés, sur une parcelle ou encore sur un massif. Notre approche de gestionnaires nous permet de constater que le gouvernement a mis en place toute une série de mesures de protection de la biodiversité. Le nombre d'outils utilisés à cette fin rend le dispositif un peu complexe.

Il apparaît que le pourcentage d'espaces protégés est toujours supérieur en zones de montagne. En effet, dans la mesure où ces zones sont faiblement peuplées, il est plus aisé de prendre des mesures de protection dans le Mercantour qu'en forêt de Fontainebleau. Les zones de haute montagne, dans les Alpes et les Pyrénées, renferment de nombreux sites présentant un intérêt majeur quant à la protection de la biodiversité. Il s'agit là d'une réalité scientifique. Aussi l'Office National des Forêts a-t-il mis en place un nombre important de mesures. Ainsi, les réserves biologiques domaniales permettent de définir un plan de gestion spéciale afin de protéger une espèce ou un espace donnés. Dans le cadre des directives « habitat » et « oiseaux », nous avons largement contribué à l'implantation de zones spéciales de conservation ou de protection. Ces sites sont respectivement plus représentés en forêt domaniale que communale, et plus en forêt communale que dans les territoires privés.

L'ONF contribue également à un certain nombre de programmes spécifiques de protection d'espèces inféodées à la forêt et emblématiques, tel l'ours pour les Pyrénées. Des programmes de protection du grand tétras sont menés à la fois dans les Vosges et le massif jurassien. Par ailleurs, plusieurs opérations de protection concernent le gypaète barbu, présent dans les massifs montagneux. C'est volontairement que je n'ai pas cité le loup, qui n'entre pas dans la catégorie des animaux inféodés à la forêt.

L'ours et le grand tétras constituent des exemples très différents de sauvegarde de la biodiversité en forêt de montagne. En effet, le programme de protection de l'ours relève pour partie d'une opération de communication menée depuis désormais vingt ans. Les scientifiques semblent en effet s'accorder pour reconnaître que la protection d'une dizaine de spécimens, voire moins, intervient trop tardivement pour pouvoir protéger l'espèce d'un point de vue écologique.

Au contraire, la protection du grand tétras - coq de bruyère forestier en voie de disparition, se comptant en quelques centaines dans les massifs des Vosges et du Jura, mais en plus grand nombre dans les Pyrénées - présente un intérêt écologique dépassant largement l'espèce elle-même. En effet, le grand tétras constitue une espèce dite « parapluie ». Cela signifie que la protection de cette espèce amène à prendre des mesures plus générales de gestion de l'espace, permettant ainsi de protéger d'autres espèces inféodées au même type de milieu. La mise en place de programmes de protection du grand tétras permettra donc tout à la fois de sauvegarder cette espèce et, à long terme, de favoriser la biodiversité. En tant qu'acteurs économiques locaux, les services de l'ONF participent à ces deux opérations. La protection de l'ours semble en revanche relever plus d'une question socio-politique que véritablement technique.

Pour conclure sur la spécificité de notre politique en forêt de montagne, je dirais que celle-ci est imposée à la fois par le cadre et les conditions locales. Aussi nous efforçons-nous de développer une politique multifonctionnelle. En effet, notre politique ne doit pas se limiter à la seule production de bois, mais également participer au développement de services et préserver d'autres fonctions, telle la biodiversité dans les zones de montagne. Actuellement, les massifs forestiers de montagne ne se trouvent pas dans une situation de grande menace comme cela était le cas à la fin du siècle dernier du fait des excès du pâturage. Ce choix de société possédait une certaine logique : en effet, le pâturage était à l'époque indispensable à la vie et à l'économie montagnardes. Toutefois, cette pratique s'exerçait au prix de très graves menaces sur la forêt. Aujourd'hui, l'évolution démographique et économique constatée sur l'ensemble des massifs de montagnes fait clairement apparaître que cette menace n'existe plus en tant que telle. Notre vigilance se reporte sur d'autres sujets : conditions techniques et économiques d'exploitation en haute montagne, protection de certaines espèces menacées, régénération de peuplements fragiles.

La détermination des conditions économiques d'exploitation des forêts impose de garder présente à l'esprit la distinction entre les deux grandes catégories de massifs : moyenne montagne d'une part, avec les Vosges, le Jura et le Massif central, haute montagne d'autre part avec les Alpes et les Pyrénées.

Pour le premier groupe, il apparaît, de manière simplifiée, que les conditions d'exploitation forestières sont similaires à celles constatées sur le reste du territoire. Il s'agit donc des conditions normales d'exploitation, à l'exception de quelques sites très spécifiques et marginaux, comme des vallées particulièrement escarpées ou pentues. Aucune mesure spéciale ne s'avère donc nécessaire en direction de ces massifs. En revanche, les massifs de haute montagne, alpins et pyrénéens, donnent une idée assez précise de ce que recouvre le « handicap montagne ».

Pour donner quelques ordres de grandeur du simple point de vue de l'exploitation forestière, je rappellerai que la production économique de ces massifs se compose pour l'essentiel de sapin et d'épicéa. Ainsi, le prix d'une grume d'épicéa en bord de route est compris, en fonction de sa qualité, entre 46 et 76 euros au mètre cube. Il s'agit là du bois exploité. En zone de moyenne montagne, le coût d'exploitation, incluant le salaire des bûcherons et le coût du tracteur pour amener le bois en bord de route, s'avère à peine supérieur à celui constaté en plaine. Ainsi, dans les Vosges ou dans les parties à faible relief du Jura ou du Massif central, en conditions normales, ces coûts varient entre un minimum d'une quinzaine d'euros et un maximum de 23 euros au mètre cube. Reste donc une valeur nette du bois, en valeur « sur pied », se situant entre 23 euros et 46 euros par mètre cube.

En revanche, en haute montagne, les surcoûts de bûcheronnage ou de débardage s'élèvent fréquemment à 7,62 ou 15 euros par mètre cube. Les valeurs résiduelles s'en trouvent donc abaissées à 7,62 euros. Il peut apparaître nécessaire de passer à des solutions comme le débardage par câble, portant le coût total de récolte entre 46 et 60 euros par mètre cube. Ces coûts étant égaux à la valeur du bois en bord de route, l'on aboutit alors à une valeur nette sur pied nulle. De même, le coût du recours au débardage par hélicoptère étant nettement supérieur à 46 euros, la valeur nette sur pied en devient négative. Ceci signifie donc qu'il est nécessaire de payer pour sortir le bois. Aussi l'hélicoptère est-il réservé à des situations extrêmes, où l'exploitation est rendue obligatoire, par exemple pour des motifs de sécurité. Ces chiffres sont aujourd'hui bien connus ; ils varient à la marge en fonction des conditions locales.

L'ensemble des acteurs locaux a désormais clairement connaissance de ce type de contraintes. Le câble a fait l'objet de différentes expérimentations afin de développer son utilisation. Ainsi, dans certains pays, comme en Autriche, il s'agit d'un mode de débardage très fréquemment employé. En France, dans les Alpes et les Pyrénées, différentes opérations ont été menées à cet égard. Ainsi, des dispositifs d'aides publiques, nécessaires à la pérennisation de ce système, ont été mis en place depuis une dizaine d'années, par exemple avec le programme « compétitivité plus ». Ces programmes se poursuivent actuellement dans le cadre du Plan de développement rural national (PDRN). Par ailleurs, plusieurs dispositifs de subvention à l'exploitation et au débardage de bois par câble ont été développés. Ces mécanismes peuvent prendre la forme d'aides au mètre cube sorti, ce qui implique alors un décompte complexe, ou de subventions à l'installation du câble, dont la gestion est plus simple. De même, la formule actuelle du PDRN prévoit dans certains cas des formules d'aides à l'hectare. L'idée commune sous-jacente consiste à réduire le handicap économique incontestable dû aux conditions d'exploitation en zone de haute montagne.

L'Office National des Forêts ne représente pas l'interlocuteur le plus compétent pour vous renseigner sur la question de la filière « forêt-bois » dans les massifs de montagne. Aussi le ministère de l'agriculture, qui bénéficie d'une vue d'ensemble, sera-t-il mieux à même de vous communiquer les renseignements relatifs à la première et à la deuxième transformation. En effet, l'ONF ne dispose sur ces points que d'informations de seconde main.

Les difficultés rencontrées par la filière « forêt-bois » renvoient à la problématique plus générale de la compétitivité mondiale de l'industrie du bois résineux. Là encore, il convient de ne pas perdre de vue la distinction entre haute et moyenne montagne, en particulier les Vosges et le Jura pour les massifs de moyenne montagne.

Depuis une vingtaine d'années, l'on assiste à une évolution extrêmement forte qui a abouti à une concentration forte et à une compétition mondiale accrue. Le marché apparaît ainsi entièrement déterminé par les grands pays producteurs - Canada, Finlande, Suède et Russie - et les pays fortement consommateurs - Etats-Unis, Japon et Europe de l'Ouest, en particulier la Grande-Bretagne, l'Allemagne, et, dans une moindre mesure, la France. Cette compétition économique aiguë se traduit par des conséquences très pratiques. Ainsi, le massif vosgien comporte aujourd'hui deux scieries qui produisent chacune environ 500 000 mètres cubes par an. Les deux leaders entraînent les autres, lesquels sont donc contraints à adapter leur activité et leurs prix. A titre comparatif, quinze ans plus tôt, la production de la plus grosse scierie du massif vosgien était inférieure à 100 000 mètres cubes par an. De même, dans les années 70, environ une centaine de scieries demeurait en activité.

L'évolution a été similaire dans le massif jurassien, quoique décalée dans le temps. Les Alpes et les Pyrénées connaissent en revanche des situations différentes. En effet, en raison de l'existence de conditions locales spécifiques, les entreprises bénéficient de certaines « niches ». Elles se heurtent toutefois à de nombreuses difficultés pour se situer sur le marché mondial. Cette évolution spectaculaire, engagée depuis une quinzaine d'années, devra conduire à une réflexion en matière d'aménagement du territoire afin d'identifier les moyens de survie d'industries du bois « de proximité », reposant sur des scieries de taille moyenne mais néanmoins compétitives.

Il a été dit que les chartes forestières de territoire, mises en place par la loi d'orientation forestière du 9 juillet 2001, constituent des outils destinés à résoudre un problème, avec un groupe d'acteurs, dans un espace géographique.

La loi forestière se propose d'aider ou d'améliorer, par des aides publiques ou des prêts à des taux plus intéressants que ceux du marché, des projets qui se mettraient en place dans les espaces forestiers. Actuellement, une vingtaine de projets de chartes forestières est en cours d'élaboration. Deux chartes ont été signées à ce jour, l'une concerne le Cantal, l'autre le massif des Bauges, à la limite de la Savoie et la Haute-Savoie. Au sein de ces zones de montagne, les chartes ont établi des listes d'opérations jugées intéressantes par les acteurs locaux. Ces actions sont ciblées à la fois sur le développement économique de la filière bois, le développement du tourisme et de l'accueil du public dans les forêts. Par ailleurs, une quinzaine d'autres projets est actuellement en cours d'élaboration. Si tous ne sont pas relatifs à des espaces de montagne, l'on peut cependant dénombrer 10 ou 12 projets concernant de telles zones. Les grands axes de ces projets s'articulent autour de thèmes similaires à ceux des chartes. Cet outil très intéressant n'en est toutefois qu'à ses balbutiements. Aussi serons-nous mieux à même de procéder à son évaluation d'ici quelques années.

M. Michel Moreigne
- Monsieur le Délégué général, je vous remercie pour vos précisions sur les chartes forestières. Vous avez en outre répondu très précisément aux questions que nous souhaitions vous poser. La question de la restauration des terrains de montagne a en effet été largement abordée avec le Délégué national aux actions de restauration.

M. Jean-Paul Amoudry - Je souhaiterais vous poser deux questions. Pouvez-vous nous fournir, plus globalement, une vision d'ensemble des pathologies du bois en haute montagne et des remèdes susceptibles d'y être apportés ? En effet, sur le terrain, les propriétaires comme les élus locaux ont noté une forte dégradation de la situation. La seconde interrogation est relative au séchage du bois et à son conditionnement afin de permettre à notre industrie du bois d'être concurrentielle. Il apparaît en effet que notre économie et nos pouvoirs publics n'ont pas su répondre entièrement à ces problèmes.

M. Michel Badré - La question des pathologies du bois nécessite une compétence d'expert que je n'ai pas. M'autoriseriez-vous donc, Monsieur le président et Monsieur le rapporteur, à vous fournir une réponse écrite sur ce point ?

Le séchage du bois se situe en aval de nos propres interventions. Signalons toutefois que cette question économique est entièrement liée au phénomène de concentration des scieries. En effet, l'investissement nécessaire au séchage ne peut être amorti que sur un volume de production de sciage suffisant.

En zones de montagne, particulièrement en haute montagne, le regroupement de scieries apparaît moins aisé du fait de conditions de transport et d'approvisionnement plus complexes. La réalisation d'une scierie importante pouvant justifier l'amortissement d'une installation de séchage y est donc particulièrement difficile. Dans les Vosges, il est possible d'alimenter dans un proche rayon une scierie de 100 000 mètres cubes. En revanche, il n'existe pas de situation similaire en Haute-Savoie. Pour vous citer quelques chiffres de mémoire, dans une scierie de taille suffisante, le coût du séchage est compris entre 15 et 23 euros le mètre cube. Par rapport à un prix du mètre cube scié d'environ 152 euros, la valeur ajoutée en est d'autant augmentée. Il devient ainsi possible de se placer sur un marché demandeur de ce type de produits. Mais une petite scierie, dont l'activité oscille entre 4.000 et 5.000 mètres cubes, n'a pratiquement aucun espoir de pouvoir se lancer dans ce type d'opération. En effet, l'amortissement de l'investissement en séchoir sur un volume aussi faible conduit à un coût du séchage prohibitif.

Certaines scieries ont procédé à des opérations de séchage collectif. Peut-être est-ce là la solution vers laquelle il convient de s'orienter. Rappelons cependant que les produits du bois résineux présentent par eux-mêmes une faible valeur, comprise entre 60 et 76 euros par mètre cube en bord de route. Le prix s'élève à 152 euros pour le bois scié. Dans tous les cas, le transport avec une rupture de charge, un départ et une arrivée, entraîne un coût supplémentaire de 6 à 7,6 euros par mètres cubes. Aussi est-il impossible d'introduire plusieurs ruptures de charge pour regrouper les grumes, les scier, les emmener au séchoir et en repartir. Une conception générale efficace doit donc intégrer à la fois le coût du transport et du regroupement.

M. André Rouvière - Je souhaiterais à mon tour vous faire part de deux questions.

Ma première interrogation est relative au transport du bois. Dans le Gard, en dépit de nombreuses rencontres avec les décideurs du chemin de fer, je n'ai pu obtenir pour un scieur le transport de bois par chemin de fer, alors même que la voie ferrée fonctionne. Il s'agissait, dans cette affaire, de bois en provenance des Landes qui était amené jusqu'au nord d'Alès, dans le Gard. Seule restait une dizaine de kilomètres à parcourir. La voie ferroviaire existe et fonctionne, mais transporte uniquement des voyageurs. Les autorités de la SNCF ont donc refusé que les locomotives utilisent une voie prévue pour les voyageurs mais non pour le fret.

Les modalités de transport en ont été rendues plus complexes pour la scierie, qui a dû accepter des ruptures de charge, entraînant par là un surcoût de fonctionnement. Dans la mesure où des aides ont été prévues pour sortir le bois, serait-il possible d'établir une meilleure coopération avec le chemin de fer dès lors que les voies existent ? Dans le cas qui m'a été soumis, je reconnais néanmoins que le chemin de fer aurait donné son accord si plusieurs trains complets avaient existé. Or en l'espèce, la SNCF disposait seulement de quelques wagons par mois, ce qui était donc peu pratique. Ce type de transport aurait été à la fois commode pour la scierie et avantageux pour la région. Il serait donc judicieux de pouvoir engager un dialogue au niveau national avec les responsables de la SNCF afin de déterminer si, parmi les aides mobilisables, certaines pourraient faire appel à leur compréhension.

La seconde question est relative à la politique de lutte contre les incendies de forêt, point que vous n'avez pu traiter. Force est de constater que, dans ma région, de nombreux efforts ont été engagés par l'ONF pour lutter contre les incendies par la construction de pistes forestières, qui, par la suite, deviennent bien souvent des pistes « défense de la forêt contre les incendies » (DFCI). Je souhaiterais émettre deux observations concernant des problèmes qui deviennent de plus en plus aigus et difficiles à traiter.

Ma première remarque est relative à l'entretien de ces pistes. En effet, l'ONF a permis la création de nombreuses pistes. Il apparaît toutefois que l'obtention des crédits d'entretien s'avère de plus en plus complexe. Il est donc regrettable d'assister à la dégradation de certaines pistes. Dès lors, j'aimerais savoir si l'ONF sollicite des crédits plus importants pour l'entretien de ces pistes.

Ma seconde remarque concerne la question de la propriété du sol. En effet, de nombreuses pistes nécessaires à la préservation des forêts domaniales ou communales sous régime forestier traversent souvent des propriétés privées. Vous avez obtenu l'autorisation de passage, mais non la propriété des sols, ce qui soulève de nombreuses difficultés. En effet, si certains propriétaires se montrent compréhensifs, d'autres barrent le passage. Il semble donc nécessaire d'essayer de régulariser cette situation afin qu'une piste réalisée avec le soutien de fonds publics soit établie sur un sol qui devienne également propriété publique. En effet, de nombreux problèmes se posent sur le terrain, en particulier lors de changement de propriétaire ou de transmission successorale.

M. Jean-Paul Amoudry - J'aurais encore deux questions. Ma première question est relative à l'organisation de l'ONF sur les territoires de moyenne montagne. Aujourd'hui, en dépit d'une réorganisation très utile, se posent des problèmes de taille critique et de coûts : apparaissent donc des regroupements, principalement au niveau régional. S'agissant des départements, l'ONF est aujourd'hui présente dans les seuls chefs-lieux. Ceci ne soulève pas de difficultés si le chef-lieu du département se situe en zone de montagne, mais est problématique lorsqu'il se situe en plaine où se trouve une faible proportion de forêts relevant de l'ONF. Il m'apparaît dommage que l'ONF ne demeure pas au coeur de son activité dans chaque département.

Ma seconde question est relative à la commercialisation du bois. Vous avez clairement mis en exergue la différence entre l'amont et l'aval. En effet, aujourd'hui, à l'exception des massifs de haute montagne, où la multiplicité des scieries demeure, seules deux grandes scieries sont présentes dans les massifs vosgien et jurassien. Serait-il donc possible d'envisager une commercialisation à la hauteur de ces partenaires situés en aval ? Il existe rarement, au plan territorial, des structures sous l'égide de l'ONF permettant de commercialiser durablement des volumes de bois significatifs avec les industriels, plutôt que d'agir au coup par coup. En effet, il existe d'un côté une approche de distribution industrielle et de l'autre, un aspect qui demeure lié à l'économie de production, quoique vieux de 200 ans. Les deux aspects se rejoignent avec difficulté dans le carrefour de la commercialisation. La loi forestière avait souhaité aborder ce problème, qui n'est toutefois pas encore réglé. Il sera donc nécessaire de créer des établissements publics de taille suffisante afin de pouvoir amener des volumes sur le marché. Tel n'a pas été le cas dans le département de l'Ain.

M. Auguste Cazalet - Monsieur le Délégué général, pouvez-vous nous rappeler jusqu'à quelle altitude pousse le bois ?

M. Michel Badré - Pour simplifier, cela dépend à la fois de la latitude et du versant. Dans le massif alpin du nord comme du sud, la limite se situe autour de 2000 mètres. La végétation forestière pousse un peu au-delà pour les versants frais exposés vers le nord, un peu en deçà pour les versants chauds exposés au sud. Dans les Alpes du sud, la forêt monte jusqu'à 2 500, parfois 2 700 mètres d'altitude. La moyenne, du point de vue biologique, se situe donc entre 2 000 et 2 500 mètres selon le versant et la fraîcheur.

M. Auguste Cazalet - J'ai beaucoup apprécié votre exposé sur l'ours, avec lequel je suis entièrement d'accord. Il est en effet aujourd'hui trop tard pour sauver l'espèce. Je n'ai jamais compris pourquoi l'on s'est attaché à introduire des ours slovènes plutôt que d'essayer de les croiser avec les ours des Asturies. En revanche, la protection des autres espèces est susceptible de poser plusieurs difficultés. Actuellement, les agriculteurs se plaignent fortement de l'invasion des vautours. Autrefois, le vautour ne s'attaquait qu'aux bêtes mortes et constituait le nettoyeur des montagnes. Aujourd'hui, il n'est plus possible de laisser dehors une vache mettant bas ou de jeunes veaux. J'ai en effet pu constater dans ma localité, à dix kilomètres de la chaîne du Piémont, l'arrivée de vautours affamés. Ces animaux, qui ont été trop protégés, s'attaquent désormais aux bêtes vivantes, et créent un déséquilibre. Les isards posent des problèmes similaires de sur protection.

M. Michel Badré - Au risque de paraître paradoxal, je me permettrai de regrouper les trois questions, concernant à la fois les chemins de fer, l'entretien des pistes DFCI et l'organisation de l'ONF dans l'Ain.

La SNCF, au même titre que l'ONF, constitue un organisme public. Je me permettrai simplement de relater une anecdote. A la suite des tempêtes, nous avons été confrontés à un problème similaire à celui que soulevait Monsieur le Sénateur. En effet, nous disposions de 40 millions de mètres cubes de bois à vendre dans des zones où les acheteurs étaient prêts à en acheter seulement 5 ou 6 millions. La seule solution consistait donc à évacuer le bois. Nous avons rencontré des difficultés identiques aux vôtres à l'égard de la SNCF. Notre directeur général connaissant personnellement Monsieur Gallois, nous l'avons rencontré et lui avons exposé nos problèmes. En dépit de son intérêt pour cette question, Monsieur Gallois nous a indiqué que le transport du bois, dont la valeur se situe environ à 46 euros par mètre cube, n'était pas rentable. En outre, dans la mesure où la longueur des quais doit être prolongée, le transport aurait également nécessité la réouverture de gares depuis longtemps fermées

Ces travaux complexes doivent être mis en perspective avec une faible rentabilité. Comme l'a indiqué Monsieur Gallois, nous nous situons là au coeur de la difficulté. Nous avons néanmoins monté nous-mêmes des opérations de vente de bois rendu en gare d'arrivée. Ainsi, au lieu d'être commercialisé dans les Vosges, le bois était vendu à Gap ou à Briançon. Ces opérations n'ont cependant concerné que quelques milliers de mètres cubes, soit une quantité tout à fait marginale.

Je rappelle que dans la mesure où l'ONF est un service public, l'Etat, qui représente la société, et les contribuables nous demandent, comme à la SNCF, d'équilibrer nos comptes. Ces demandes peuvent apparaître en totale contradiction. Comme l'a souligné Monsieur le Sénateur, les pistes DFCI doivent être entretenues. Cette dépense est prise en compte sur notre budget. Toutefois, cela ne nous permet pas de récolter un seul mètre cube de bois en plus pour équilibrer nos comptes. Naturellement, cet entretien relève de notre mission : si les forêts brûlent, il nous sera reproché de ne pas avoir répondu à nos missions.

Il nous est également demandé de disposer d'une organisation performante. Ainsi, le contrat conclu entre l'Etat et l'ONF fixe des gains de productivité de 30 % en six ans, ce qui est important pour une entreprise de services. Il nous est en même temps demandé de ne supprimer aucun poste en zone rurale, de conserver les personnels là où ils se trouvent, ainsi que des équipes administratives de deux personnes dans les chefs-lieux de canton, alors que chacun sait que la taille critique de fonctionnement n'est pas atteinte partout.

Nous nous efforçons donc de gérer ces contradictions et d'aboutir à des compromis. Je rappelle simplement qu'il est rare que les compromis satisfassent l'ensemble des attentes. Nous avons tenté d'instaurer une collaboration avec la SNCF. Les solutions envisagées n'ont toutefois pas permis de répondre entièrement au problème, mais je crois que c'est parce que la SNCF, comme l'ONF, est soumise à des contraintes de coût et à des objectifs de qualité dont la compatibilité n'est pas toujours évidente. Toute la réflexion sur la modernisation du service public, dans laquelle l'Office est engagé résolument, doit pourtant en tenir compte.

M. Michel Moreigne - Je vous remercie à nouveau et vous invite à nous transmettre par écrit les compléments de réponse aux dernières questions.

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