25. Audition de Mme Marie Guittard , adjointe au directeur des politiques économiques et internationales, chef de la production et des marchés au ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales (19 juin 2002)

M. Jacques Blanc - Nous accueillons donc Madame Guittard, que nous sommes heureux de retrouver. La montagne a besoin pour vivre de produits reconnus et de qualité, et d'agriculteurs authentiques. Monsieur le Rapporteur, que souhaitiez-vous préciser ?

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais simplement souhaiter la bienvenue à nos invitées. Vous avez là effectivement une grille de questions que nous vous avons adressée pour vous permettre de structurer votre propos et les réponses que nous attendons de vous.

Mme Marie Guittard - Merci monsieur le Président, merci monsieur le Rapporteur, merci messieurs les sénateurs, de nous avoir conviés à cette audition. Effectivement, nous avons reçu une grille de questions.

Vous souhaitiez avoir un éclairage sur le droit applicable au terme montagne et un bilan de l'application de la réglementation en vigueur. Actuellement, le décret du 15 décembre 2000, pris en application de la LOA (loi d'orientation agricole de juillet 1999) précise les conditions d'utilisation du terme montagne. Ce décret est l'aboutissement d'un long processus qui débute avec la loi montagne de 1985 et se poursuit avec le décret en application, qui a été remis en cause par un arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes en mai 1997. En effet, ce décret prévoyait un dispositif d'autorisation pour les seuls produits fabriqués sur le territoire national français et issus de matières premières françaises. Au nom de la libre circulation des produits, la Cour de Justice nous a demandé de modifier les conditions d'utilisation du terme montagne en France. Nous avons donc utilisé l'occasion de la LOA en 1999 pour que soit précisées les conditions d'utilisation de la dénomination montagne. Au terme d'une période où nous avons consulté les professionnels et la commission du projet de décret, nous avons abouti à un décret en décembre 2000 qui a reçu un avis favorable de la commission, mais un avis mitigé de certaines composantes professionnelles. En effet, par rapport à ce qu'ils auraient souhaité, la vigilance de la commission sur notre projet était telle que nous ne pouvions pas appliquer un dispositif d'autorisation pour des produits de zones de montagne d'autres pays de l'Union européenne. Nous avons été contraints de limiter notre dispositif aux produits élaborés en France avec une matière première venant de France ou d'ailleurs. Les professionnels, et notamment les producteurs de porc de montagne, ont craint que soit galvaudé le terme montagne et qu'arrivent des matières premières d'autres pays qui ne correspondent pas à l'idée que se faisaient ces producteurs d'un produit de montagne.

Cette difficulté n'est pas la seule. Le positionnement des produits de montagne par rapport à notre dispositif de signes officiels de qualité pose aussi problème. Nous avons des signes de qualité qui traduisent des caractéristiques qualitatives des produits. C'est le cas de l'AOC, qui est un produit qui répond à un cahier des charges, à une localisation de la production, à un savoir-faire des producteurs, qui garantit une typicité du produit et surtout une impossibilité de le dupliquer. Ce produit est ce qu'il est parce qu'il a été fabriqué dans un lieu donné et par des personnes données, avec du matériel végétal ou animal donné. Quant aux labels rouges, ce sont des produits qui tirent leur qualité supérieure du respect d'un cahier des charges qui garantit avant tout la qualité supérieure du produit par rapport au produit de base. Il a fait l'objet d'un examen organoleptique. Il a donc démontré que le cahier des charges lui conférait des caractéristiques supérieures au produit de base. Enfin, les certifications de conformité produit permettent à certains produits de se distinguer des produits standard parce qu'ils disent ce qu'ils sont et répondent à un cahier des charges avec des caractéristiques identifiées. Ils ne sont pas d'une qualité supérieure comme le label rouge, mais sont distincts des autres. Enfin, le dispositif d'agriculture biologique ne dit rien sur la qualité du produit mais dit que ce produit a été élaboré dans des conditions respectueuses des équilibres naturels.

La dénomination montagne, au sens de la LOA et au sens de ce que nous a laissé faire la Commission européenne, est un signe de provenance. Dans le paysage des signes officiels de qualité et des indications de provenance, le produit montagne est soumis à l'autorisation administrative parce qu'il répond à des critères d'origine. Le cahier des charges qualitatif n'est pas encadré. Ce n'est donc pas un produit de qualité supérieure, ni un produit typique au sens de l'AOC, ni un produit identifié par des caractéristiques quelconques. Il dit seulement qu'il est intégralement de provenance montagne, mais sans dire laquelle.

M. Jean Boyer - En Haute-Loire, nous avons voulu mettre en place une filière de porcs de montagne. La traçabilité était assurée puisque l'éleveur devait respecter un cahier des charges et l'origine de l'alimentation était connue : avoine de Haute-Loire, pommes de terre issues de zone de montagne. Le conseil général avait mis en place une action favorisant la transformation des aliments du bétail produits en Haute-Loire. Donc la traçabilité n'était pas seulement liée à la situation géographique. Nous sommes déçus aujourd'hui que la seule référence géographique soit mentionnée alors que le cahier des charges garantissait la traçabilité.

M. Jacques Blanc - La signature montagne n'est donc pas assimilée à une appellation d'origine ni même à une indication géographique protégée (IGP). Dans une IGP, vous avez à la fois la géographie et des méthodes de production. Il faudrait donc essayer d'avoir une appellation d'origine. Est-ce que vous pensez que nous pouvons sortir du décret ou l'améliorer ?

Mme Marie Guittard - Le décret tel qu'il existe aujourd'hui est, à mon sens, peu susceptible d'évoluer. En effet, il se heurtera toujours à l'absence de volonté des pays de l'Union européenne et notamment de ceux du nord de l'Europe. A cet égard, l'élargissement va accentuer cette séparation entre deux types de pays : nous allons sans doute avoir des intérêts communs avec la Slovaquie, par exemple, comme avec d'autres pays du sud de l'Europe qui ont des montagnes. Mais la Pologne et la Hongrie seront sans doute moins tentées par des législations. Que nous soyons quinze ou vingt-cinq, l'élargissement ne va donc rien changer au rapport de forces. Le décret est donc peu susceptible de changer. Par contre il ne me paraît pas incompatible avec la notion de signe officiel de qualité : rien n'interdit, a priori , qu'un produit de montagne soit également une AOC, une IGP, ou bio.

M. Jacques Blanc - Mais il est banalisé après. Le même qualificatif peut être utilisé en zone de plaine. Or notre objectif est de montrer que la montagne dispose d'une richesse supplémentaire.

Mme Marie Guittard - Je reprendrai les termes du président Valadier, qui est président du Comité national des Produits laitiers, un des quatre comités nationaux de l'Institut national des Appellations d'Origine. Lors de la dernière réunion du Conseil permanent de l'INAO, il a dit qu'il craignait que la montagne ne fasse pas la qualité des produits, que l'altitude ne faisait pas la qualité des produits.

M. Jacques Blanc - C'est parce qu'ils ont des difficultés pour définir le terme montagne dans l'Aveyron. Certaines zones ne sont pas classées montagne. Donc le président Valadier reste prudent !

Mme Marie Guittard - Il y a quand même une difficulté. Si nous mettons de côté l'axiome « montagne = qualité », il faut vivre la montagne comme une indication de provenance du produit et chercher des voies de progrès à travers des cahiers des charges qui vont conférer le label AOC, le label rouge, la certification de conformité ou la certification bio. Il me semble qu'à moyen et long terme, deux types de produits émergeront : les produits qui seront de montagne comme d'autres produits seront de la plaine, et des produits de montagne labellisés au titre d'une AOC ou d'autre chose.

M. Jacques Blanc - Vous ne pensez pas que nous pourrions réserver le label montagne aux produits qui sont élaborés et transformés dans la même montagne ?

Mme Marie Guittard - C'est justement la difficulté. Aujourd'hui les zones de montagne sont définies dans le contexte communautaire. A partir du moment où ce que vous dites est sur une étiquette, ce n'est plus une allégation. Donc au regard de tous les systèmes de contrôle, et notamment la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes française (DGCCRF), vous ne pouvez pas interdire ce qui est une vérité et non une allégation. C'est le droit à l'information du consommateur. Le souci d'une valorisation d'une production locale se heurte au droit à l'information du consommateur. A ce propos, il y a toujours une certaine ambiguïté lorsque nous réservons le droit de faire une mention valorisante aux produits qui respectent des cahiers des charges. Voyez le débat récent sur la possibilité de mentionner des cépages et les millésimes sur les vins de table. Dans les pays non-producteurs, des représentants demandaient pourquoi nous allions réserver aux consommateurs qui ont les moyens de s'offrir des vins AOC ou des vins de pays le droit de connaître le millésime et le cépage du vin qu'ils buvaient. Ils disaient qu'à partir du moment où un vin de table assure la traçabilité, il n'y a aucune raison de réserver les mentions aux vins AOC. Finalement, le problème s'est arrangé. Mais je pense que c'est la dernière fois, parce que nous allons avoir de plus en plus de pays porteurs de cette synergie nécessaire entre identification du produit et accès au maximum d'informations, à partir du moment où ce ne sont pas des allégations.

Du moment que la traçabilité du produit est garantie, il n'y a aucune raison pour que le bénéfice de l'information soit réservé aux consommateurs dont les revenus leur permettent de consommer les produits plus onéreux. Le souci des signes officiels de qualité est que les produis soient reconnus et qu'ils soient crédibles grâce au respect d'un cahier des charges validé par les pouvoirs publics.

M. Jacques Blanc - En Haute-Savoie et en Savoie, nous avons été saisis du problème suivant : la crainte que la signature montagne permette à des produits venant de n'importe quelle autre montagne d'Europe d'être traités sur une autre montagne. Il y aurait alors un recul par rapport à ce que nous pouvions espérer. Des grandes entreprises pourraient contribuer à ce mouvement. Nous devons trouver des solutions à ce problème.

M. Jean Boyer - Je voudrais vous donner un exemple très concret de reconnaissance nationale. Il y a l'altitude, mais aussi le sol et le produit du sol. Ce sol est reconnu. En zone de montagne, les références des primes aux céréales sont trois fois plus faibles que dans les plaines, parce qu'il est sous-entendu que l'utilisation d'azote est en moyenne de 40 unités à l'hectare tandis que la moyenne française est de 160 ou 170 unités. Il y a quand même une reconnaissance que l'utilisation de pesticides, d'herbicides et d'engrais azotés est bien plus faible en montagne. Donc ce n'est pas seulement une référence géographique, mais une réalité du sol. S'il n'y a pas de rémanence d'azote dans le sol, il n'y en a pas dans le produit non plus. Nous avons donc des références d'emploi rationnel d'azote.

Mme Marie Guittard - Il n'est pas question de nier qu' a priori , les zones de montagne disposent de conditions climatiques et de production qui leur permettent de prétendre, dans des conditions plus favorables que celles d'autres zones, à faire émerger des produits AOC ou IGP. Il est indéniable que les pratiques agricoles dans les zones de montagne sont plus favorables à l'émergence de produits qui sauront répondre à des cahiers des charges extrêmement sévères. L'idée est de dire que demain, ces produits de montagne répondront à des cahiers des charges. Je peux prendre quelques exemples. Le beaufort a existé avant la mise en oeuvre de la politique montagne. L'AOC Beaufort est aujourd'hui un fleuron. Elle a atteint ses objectifs en termes de rémunération des producteurs. Ce produit tire sa notoriété et la durabilité de sa notoriété du fait de sa qualité et d'un cahier des charges AOC plutôt que du fait qu'il est un produit du Beaufortin.

M. Jacques Blanc - Mais le décret permettra à n'importe quelle grande entreprise de produire du lait ou du fromage sans respecter les cahiers des charges et d'utiliser quand même le terme montagne.

Mme Marie Guittard - Cela pourrait être le cas si le décret montagne ne contenait pas des dispositions relatives à l'élaboration de règlements techniques. Il est prévu que l'ensemble des phases de production ait lieu en zone de montagne. Nous avons également prévu des dérogations, car il est évident que des accidents économiques ou des calamités agricoles peuvent justifier des approvisionnements de matières premières hors zone de montagne. Il me semble que les filières qui craignent que n'importe quel produit puisse devenir un produit de montagne doivent élaborer des règlements techniques afin d'encadrer, autant qu'ils le souhaitent, les dérogations à l'utilisation du terme montagne permettant que l'intégralité du processus de production ait lieu dans une zone de montagne. Prenons l'exemple du lait de montagne. Il est envisageable que seule la phase d'embouteillage ait lieu en montagne tandis que le lait pourrait venir d'ailleurs, en prévoyant des dérogations très larges. Mais il est possible aussi, comme le fait la filière des porcs de montagne, qu'il ne soit pas possible de se prévaloir de cette caractéristique dans n'importe quelle condition.

Les règlements techniques sont donc l'unique moyen de verrouiller et de minimiser les risques de dilution de la notion de montagne. Actuellement, nous travaillons à l'élaboration du règlement technique pour le porc de montagne et nous voyons bien que la production peut être canalisée et limitée quantitativement, et va donc pouvoir s'adjoindre un signe officiel de qualité. Pour l'instant, c'est une certification de conformité produit mais cela pourrait aboutir à un label rouge. Le porc de montagne pourrait donc se prévaloir, notamment sur le plan de la communication avec le consommateur, d'un règlement technique qui encadre de façon stricte les dérogations possibles, et d'un signe officiel de qualité. Il tirerait sa spécificité d'autre chose que sa provenance géographique, d'autant plus que cette provenance est extrêmement répandue dans l'Union Européenne. Nous suivons une stratégie de long terme. Le décret date de décembre 2000 donc il est difficile de tirer un bilan de son application en juin 2002, mais je vous demande de relire le texte et de faire en sorte que l'ensemble de la panoplie prévue et notamment les règlements techniques servent à encadrer les dérogations. Il faut que les professionnels se rendent compte que ce sont ces règlements techniques qui leur permettront d'atteindre un signe officiel de qualité et de faire en sorte que les produits de montagne ne puissent pas être élaborés n'importe comment. Je suis d'accord avec vous qu'ils sont tout à fait capables de le faire.

M. Jean Boyer - Ne pensez-vous pas que nous sommes victimes d'une inflation de signes officiels de qualité ou de signes d'attachement au terroir ? La ménagère a de quoi en perdre son latin lorsqu'elle va dans une grande surface. Les truies de Hollande sont abattues en zone de montagne et le saucisson est appelé montagnard alors que ce sont des coches, qui ont donné naissance à un grand nombre de porcelets. Or la ménagère voit « le montagnard ». C'est quand même très déconcertant.

M. Jacques Blanc - Nous débouchons, en réalité, sur le besoin d'avoir des signes de qualité. La signature montagne ne va pas au bout de ce signe de qualité parce qu'il n'existe aucun accrochage à telle montagne en tant qu'origine du produit, où la transformation s'opère. Vous nous dites que des mesures de réglementation imposées par les professionnels eux-mêmes sur les méthodes de production permettraient d'éviter les risques de dérapage. La question est de savoir si nous ne pouvons pas exiger qu'en plus de la localisation en montagne s'ajoute un signe officiel de qualité. C'est possible si la réglementation est respectée. Mais il faut que les consommateurs soient preneurs.

M. Jean-Paul Amoudry - Je voudrais poser une question subsidiaire et complémentaire. Vous avez évoqué le beaufort, qui est une région géographique. A l'origine, le beaufort n'est pas un signe de qualité, c'est un massif. Les efforts des producteurs de la région en ont fait un produit dont la saveur et le sérieux de fabrication font que son évocation est synonyme de qualité. Avons-nous le droit de faire un fromage dont l'étiquette dira « montagne du Beaufortin » et non « beaufort » ? Cela risque aussi de semer le trouble dans l'esprit des consommateurs. Ce serait l'appropriation d'un nom géographique devenu signe d'une qualité. Il existe d'autres exemples de massifs devenus synonymes de qualité parce que des personnes y ont créé des produits de qualité. Nous aurons du mal à nous protéger contre ces phénomènes et de permettre qu'un différentiel de prix assez fort existe entre les produits traditionnels et les produits de montagne. Ce sera un sérieux problème sur le terrain.

Mme Marie Guittard - Nous en revenons de manière très prosaïque à l'étiquetage et la protection des AOC. Notre dispositif prévoit que le mot beaufort est protégé à partir du moment où l'AOC Beaufort existe. Le mot Beaufort ne peut pas être utilisé pour des produits comparables si ces derniers ne respectent pas les cahiers des charges. Il est prévu aussi qu'il est protégé dans le cadre d'une utilisation confusionnelle pour le consommateur. Il est évident, me semble-t-il, qu'un fromage X se prétendant produit de montagne du Beaufortin rentrerait dans ce cadre et créerait une confusion chez le consommateur. Donc cet étiquetage ne pourrait être accepté ni par la DGCCRF ni par l'INAO. Même s'il passait au travers des mailles de la DGCCRF, le service juridique de l'INAO intenterait immédiatement un procès pour usage abusif et tentative de désinformation et de confusion des consommateurs au détriment de l'appellation.

M. Auguste Cazalet - Je voudrais obtenir une précision. Il y a quelques années, plusieurs ramassages de lait avaient lieu pour la fabrication du roquefort dans les Pyrénées-Atlantiques. Le roquefort était le même que maintenant. Est-ce que ça existe encore ? J'ai souvent visité les laiteries du Pays Basque et du Béarn qui s'appelaient les usines de roquefort autrefois. Ensuite le lait partait dans l'Aveyron.

M. Jacques Blanc - Roquefort est une AOC mais dans cette appellation, le terrain de production n'est pas mentionné. Par contre, l'affinage et le passage dans les caves de Roquefort est une condition. Il existait donc du roquefort dont le lait provenait de Corse, des Pyrénées, de la Lozère, de l'Aveyron ou du Tarn. Ils ont ramené leur aire de production mais la définition de l'AOC n'exclut pas que le lait vienne d'autres territoires que ceux autour de Roquefort.

Mme Marie Guittard - Toutes proportions gardées, c'est le même problème que pour le beaufort, mais l'histoire est différente. Il est évident que tout le fromage de beaufort ne vient pas de la commune de Beaufort. Mais le fromage s'appelle beaufort. De façon similaire, tout le vin de Bordeaux ne vient pas de la commune de Bordeaux, mais d'une zone qui entoure Bordeaux. Tout le lait nécessaire à l'élaboration du roquefort ne vient pas de la commune de Roquefort. Il est certain que l'AOC Roquefort a bénéficié, parce qu'elle est très ancienne, de la possibilité d'un bassin de production de lait gigantesque. Donc il est apparu que certaines de nos appellations avaient des zones de production trop larges si nous voulions, sur le plan communautaire et international, défendre la notion d'AOC. La notion de terroir nécessite quand même une certaine homogénéité. Or le bassin de collecte de lait de roquefort était énorme et pouvait donc prêter à la critique. Nous avons donc travaillé à un recentrage de la collecte de lait. Elle reste vaste mais ce qui sautait le plus aux yeux a disparu.

M. Jacques Blanc - Néanmoins, ils sont plus protégés que le beaufort parce que l'AOC exige que l'affinage ait lieu dans les caves. Les producteurs de beaufort étaient inquiets de voir que le ramassage de lait pourrait avoir lieu dans toutes les montagnes d'Europe et que l'implantation et la transformation aurait lieu dans le Beaufortin.

Les IGP ne répondent pas aux mêmes règles que les AOC mais sont quand même reconnues sur le plan européen. La feta est un problème. Est-ce que la feta est un nom générique ou une IGP ?

Mme Marie Guittard - Pour l'instant, les Grecs souhaitent que ce soit une AOC. Nous aurions aimé que les Grecs fassent avec la feta ce que nous avons fait avec le camembert. La production de feta est énorme et répartie au Danemark, en Nouvelle-Zélande, dans tous les pays du monde qui sont des grands producteurs de lait, puisque c'est, avec le gruyère, un des seuls fromages, je pense, qui fasse l'objet d'un marché mondial. C'est énormément consommé dans les pays d'Afrique du Nord. La production grecque n'est donc pas capable de couvrir la demande de feta .

Nous aurions souhaité que subsistent deux produits : un produit sous une norme codex alimentarius comme il existe une norme camembert codex alimentarius , qui signifie que tout le monde peut en faire sous réserve de respecter un cahier des charges minimal ; et un produit similaire au camembert de Normandie AOC, c'est-à-dire un produit sous signe officiel de qualité et dont les conditions de production et le cahier des charges serré lui confèrent une typicité. La feta issue de Grèce deviendrait par rapport à la feta produite partout dans le monde l'équivalent du camembert de Normandie par rapport à ce qu'est le camembert codex alimentarius , qui peut être vendu dans des boîtes métalliques, etc. Les Grecs ne se sont pas rangés à cette idée parce qu'ils considèrent que la feta n'est pas un produit générique. Contrairement au camembert, elle n'est pas devenue un produit générique et n'est pas une recette. Donc c'est au produit qui fait l'objet d'un commerce international de changer de nom. Voilà la position de la Grèce. Ils ont aussi cette spécificité qui est que les fromages issus de lait de vache ou mixte ne peuvent pas porter le nom de feta , qui est produite, en Grèce, à partir de lait de brebis. Ils se battent donc pour l'exclusivité du terme feta comme les Italiens se battent pour la disparition du terme parmesan, confondu avec le terme parmigiano .

M. Jacques Blanc - C'est vrai qu'en ce qui concerne la montagne, nous avons le sentiment aujourd'hui que ce sont surtout des accrochages montagne versus AOC et montagne versus IGP qui ont lieu, comme c'est le cas pour la Fleur d'Aubrac. Les montagnards ont un peu peur. Nous devons donc procéder à une modification du décret ou à une utilisation des règlements techniques permis par le décret.

M. Jean-Paul Amoudry - Sur ce point, je souhaiterais que vous nous précisiez, par une note, les conditions dans lesquelles l'application de ce règlement technique fait la distinction entre la protection des AOC et IGP d'une part, et d'autre part les conditions dans lesquelles ce décret n'est pas de nature à nuire à l'acquis. Pour ma part, la notion de dérogation que vous avez utilisée ne m'apparaît pas très clairement. Cela permettrait à notre rapport d'être le plus précis possible. Nous pourrions alors apporter à nos interlocuteurs des différentes provinces et régions des réponses qui puissent les rassurer.

Mme Marie Guittard - Pour terminer sur ce point, je dirais que ce décret, par rapport au décret précédent en application de la loi de montagne, a plutôt déçu les professionnels. Néanmoins, ils commencent à comprendre l'usage qu'il est possible de faire du décret si nous le regardons dans son exhaustivité et non pas seulement par rapport aux pertes de substance en comparaison avec le décret précédent. L'ensemble du dispositif semble être une architecture plus complexe. Il interfère dans le débat sur la lisibilité de tous ces signes, qui est un débat fondamental. Mais les produits de montagne ne sont pas inéluctablement condamnés.

M. Jean Boyer - Il faut essayer de nous comprendre. La montagne est utilisée par l'extérieur, y compris par l'extérieur de la France, pour valoriser des produits. Les produits de montagne français sont banalisés parce que le terme montagne est trop vulgarisé. Le problème est le même pour les lentilles. Les subtilités d'empaquetage et de production font que la ménagère n'y comprend rien. La montagne est banalisée tandis que les producteurs de montagne ne trouvent pas la valorisation nécessaire.

M. Jacques Blanc - En réalité, le mot « montagne » ne suffit pas aujourd'hui. Il faut voir comment nous pouvons éviter que cela se retourne contre les produits de montagne, en associant la montagne à des signes lisibles de qualité. Est-ce que vous pouvez nous renseigner sur le marché de la viande et sur la question de l'agriculture biologique ?

Mme Marie Guittard - En quelques mots, je dirais qu'il n'y a pas pour nous de marché de la viande de montagne comme il y aurait de la viande de plaine. Il y a un secteur qui a été frappé par la crise de la vache folle et qui retrouve petit à petit ses équilibres. Nous n'avons pas de politique spécifique pour la viande bovine de montagne. Le marché du porc connaît aussi ses cycles. La faiblesse de l'organisation commune de marché, à la demande de certains pays, ne lui bénéficie pas. Par contre, il fait l'objet, depuis quinze ans maintenant, d'une aide spécifique par l'Office national interprofessionnel des viandes, de l'élevage et de l'aviculture (OFIVAL). Elle est, bon an mal an, de 6,098 millions d'euros. C'est une aide qui ressemble à celle accordée au lait de montagne : elle est conçue comme une aide compensatrice de handicap naturel (les surcoûts). Grossièrement, elle consistait à donner X euros par tête de porc de montagne vendue et X centimes au litre de lait collecté en zone de montagne.

Or ces deux dispositifs sont complètement anti-communautaires, car ils sont couplés à une production qui devrait tirer d'un revenu amélioré le comblement de ses coûts supplémentaires de production. L'aide permet donc d'entretenir des producteurs dans un système subventionné qui n'a rien à voir avec une politique de qualité. Nous sommes donc conscients, avec les producteurs, que ces aides sont appelées à évoluer comme elles ont déjà commencé à le faire, car la Commission nous a épinglés sur ces deux aides de 6,098 millions d'euros depuis plusieurs années. Pour ce qui est du lait, nous avons réussi à présenter à la Commission quelque chose qui ressemble à des aides à l'appui technique et au suivi qualitatif des produits. Mais in fine , même si c'est savamment réparti entre les opérateurs, cela revient au même. Nous avons plus de difficultés pour le porc. Les démarches sont en cours. De toute manière, ces aides sont appelées à disparaître progressivement. Nous n'avons pas de difficulté majeure dans ce domaine.

Par contre, nous avons des difficultés, par rapport à la réglementation européenne, avec l'agriculture biologique de montagne, notamment dans certains secteurs. Nous avons deux difficultés particulières. L'une est l'interdiction de l'attache des bovins, prévue dans la réglementation européenne relative à l'agriculture biologique, qui prévoit, en période hivernale, sous réserve d'un accès à l'extérieur deux fois par semaine, la possibilité d'attacher les animaux. Or nous ne savons pas le faire en zone de montagne. Le deuxième problème est le principe du lien de l'alimentation à l'exploitation, c'est-à-dire que l'alimentation doit être produite dans l'exploitation qui a le cheptel. Ces deux facteurs sont extrêmement limitants pour la production biologique animale en montagne.

M. Jacques Blanc - Il n'est pas possible d'utiliser une alimentation identifiable et provenant de zone de montagne ?

Mme Marie Guittard - Face à ces deux difficultés, nous avons introduit des demandes à la Commission pour que la réglementation évolue. Jusqu'à présent, nos démarches n'ont pas abouti parce que certaines personnes ont une conception du respect des équilibres et de la possibilité de produire en zone non apte à le faire extrêmement stricte. Selon eux, si la production céréalière adéquate pour nourrir les animaux n'existe pas dans un endroit donné, les animaux n'ont pas à être là. Ils inversent donc la démarche. Nous disons que nous pourrions mettre en place une traçabilité, mais ils ne l'acceptent pas.

M. Jacques Blanc - En réalité, ils veulent que nous restions des producteurs de maigre et que des vocations naissent ailleurs pour l'engraissement. Mais cela enlève des possibilités d'avoir des productions de produits finis. Nous l'avons vu avec l'IGP Fleur d'Aubrac, qui crée vraiment une valorisation du produit. Mais chez nous, en montagne, certaines personnes qui font du bio sont embêtés maintenant.

M. Jean-Paul Amoudry - C`est la réglementation européenne qui oblige à attacher les animaux deux fois par jour au moins ?

Mme Marie Guittard - C'est le principe de l'interdiction de l'attache des animaux.

M. Jacques Blanc - Comme vous, nous demandons à ce qu'il y ait une évolution de la réglementation, ou du moins une adaptation aux conditions de production en montagne. Tout le monde sait qu'il est impossible de sortir les animaux deux fois par semaine en montagne en période de tempête !

Mme Marie Guittard - Plusieurs écoles se sont développées sur le bio. Le respect des équilibres naturels signifie, pour l'école minimaliste, de faire sur un territoire donné ce que l'on peut faire. Mais ce qui a prévalu au niveau communautaire est l'école qui prône la composante « bien-être animal ». En effet, l'interdiction d'attache des animaux n'a rien à voir avec l'équilibre des territoires. C'est une composante « bien-être animal ».

M. Jean Boyer - C'est un bio élargi à l'élevage. Il ne concerne pas que l'alimentation.

Mme Marie Guittard - Effectivement, dans cette optique, le respect des équilibres inclut le respect des animaux.

M. Jacques Blanc - Ne pourrions-nous pas, dans le cadre de cette réglementation, avoir une signature montagne en exigeant que le complément d'alimentation consiste en des protéines végétales garanties non génétiquement modifiées ? Car le problème des organismes génétiquement modifiés va sûrement surgir. Je me disais que pour terminer les animaux en montagne, cette signature rejoindrait le besoin de compléter le territoire par une garantie relative à l'alimentation. Tout le monde sait qu'en montagne il n'y aura jamais l'alimentation suffisante pour finir les animaux. C'est pourquoi il y a plus de maigres. Nous retrouvons la notion de filière globale et des abattoirs de montagne qu'il faut maintenir.

Mme Marie Guittard - Ce sont des sujets qui vont être sur le devant de l'actualité. Deux préoccupations majeures interviennent. De nombreux producteurs sous signes officiels de qualité, et aussi de produits de montagne, veulent deux choses : s'interdire les OGM et s'interdire l'épandage des boues et gadoues. Cela pose d'énormes problèmes de contrôle. Nous ne souhaitons pas qu'à moyen terme cet avantage soit à double tranchant et que la contrôlabilité ne soit pas assurée. En effet, ce qui fait la force des AOC et des labels rouges, c'est qu'il n'y a rien d'incantatoire. Il est évident que les produits montagne vont nous proposer, à l'INAO, dans leurs cahiers des charges, l'interdiction des boues et gadoues et l'interdiction des OGM. Et nous ne saurons pas comment le contrôler.

M. Jacques Blanc - Il est possible de contrôler les protéines végétales. Le tout est de savoir jusqu'où nous pouvons aller. Et il faut négocier avec les Américains, parce qu'il est impossible de donner des garanties sur tout ce qui est importé. Cette question est posée dans les accords nouveaux pour autoriser les protéines végétales.

Mme Marie Guittard - Nous savons détecter les OGM quand elles sont autorisées mais pas quand nous ne savons pas ce que nous cherchons. Nous ne risquons pas de les trouver dans ce cas.

M. Jacques Blanc - Je vous remercie beaucoup. Ce sont des sujets très intéressants.

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