24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du génie rural des eaux et forêts de l'inspection générale de l'Environnement (19 juin 2002)

M. Jacques Blanc, Président - Je suis heureux de vous accueillir. Vous savez quelle ambition nous a amenés, avec monsieur le Rapporteur, nos collègues sénateurs et tous les élus de montagne, à demander la mise en place d'une mission, dans le cadre de l'année internationale des montagnes, pour faire le point et voir ce que nous pouvons proposer pour faire avancer les choses. J'ai le sentiment que nous avons peut-être une opportunité de ce côté puisque le nouveau ministre de l'agriculture a quelques racines de montagne.

M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur - Messieurs les ingénieurs généraux, bienvenue au Sénat. Merci de votre présence. J'ai besoin de vous dire, en quelques mots et pour compléter les propos du président Blanc, que nous avons commencé nos travaux d'information - selon le terme approprié ici au Sénat - début avril et que nous les avons interrompus quelques semaines, à la veille des élections présidentielles et législatives, pour permettre aux uns et aux autres de faire leur devoir sur le terrain. Nous allons à nouveau les interrompre en août. Nous terminons nos auditions et nos visites de terrain fin juillet. Tout ceci est mené assez diligemment car nous voulons synthétiser, dès la fin août ou début septembre, ce rapport qui doit être déposé début octobre. La raison en est que, dans le cadre de cette année internationale des montagnes, nous voulons boucler cette entreprise et surtout présenter des conclusions lors des congrès et rencontres qui auront lieu en fin d'année. Vous savez que nous avons plusieurs rendez-vous : celui de Bruxelles, de l'ANEM, etc. Il est donc important que le Sénat manifeste de la diligence et de l'efficacité dans ce domaine.

Partant de la loi de 1985, nous avons dessiné trois grandes entrées à cette étude : une entrée « aménagement », une entrée « environnement » et une entrée « économie », sans hiérarchie quelconque bien entendu. Nous en sommes, à ce jour, à la moitié de nos auditions. Nous avons visité les Alpes et le Massif central. Il nous reste à visiter le Jura, les Vosges et les Pyrénées. Des problèmes de calendrier nous empêcheront de nous rendre en Corse et à la Réunion. Dans la mesure du possible, notre groupe montagne complètera par des visites dans ces îles les travaux qu'il a menés cette année.

Nous vous avons adressé un questionnaire extrêmement bref. Vous êtes les représentants, au plus haut niveau, de l'environnement. Nous vous avons donc interrogés sur les parcs naturels et la politique des risques naturels en montagne. Cette liste n'est pas exhaustive. Nous pourrons intégrer vos messages dans votre rapport.

M. Philippe Huet - Merci monsieur le Président, merci monsieur le Rapporteur. Je vous propose de parler des risques. Mon collègue Bernard Glass parlera du patrimoine naturel. Ensuite nous pourrons répondre à vos questions.

Au préalable, je voudrais dire que nous donnons le point de vue de l'Inspection générale de l'Environnement où nous travaillons tous les deux. En ce qui concerne les risques, je crois que vous avez entendu Yves Cassayre, qui est le délégué national restauration des terrains de montagne. Je ne pense pas que vous ayez entendu Pascal Douard, qui est le délégué adjoint aux risques naturels majeurs à la Direction de la Prévention et des Risques. A vous de voir si cela peut être utile.

L'éclairage que je vais essayer de donner résulte des missions de retour d'expérience que nous faisons depuis 1995 sur les catastrophes et les accidents dans la montagne et ailleurs. Nous essayons d'en tirer des enseignements à portée générale. Il nous paraît particulièrement vrai, pour ce qui concerne le territoire montagnard, de dire que l'aménagement et le développement durable sont la rencontre et la prise en compte de plusieurs aspects : les risques naturels, la gestion des ressources naturelles et les activités socio-économiques.

Les événements de l'hiver 1998-1999 ont touché l'ensemble de l'arc alpin. De même, nos voisins ont tous été touchés par les catastrophes, malgré les systèmes de prévention très différents dont ils disposent. Il y a eu plusieurs dizaines de morts dans l'arc alpin. De notre côté, nous avons vécu l'accident de Montroc à Chamonix, pour lequel nous avons été missionnés, avec des collègues des Ponts. Nous avons établi un rapport, qui pourra vous être fourni, avec des recommandations. Je vous signale au passage que la Direction de la Prévention des Risques nous a confirmé que les recommandations qui y sont consignées constituent bien sa ligne de conduite sur la prise en compte des risques en montagne. Les mouvements de terrain ont aussi posé problème. Monsieur Blanc connaît bien l'affaire de Barjac, et plus généralement le problème des chutes de bloc dans les vallées de ces régions. En plaine, la saison 1994-1995 a été la plus dévastatrice, avec les grandes inondations du Rhône et de la Meuse. Mais en 1999-2001 aussi, les inondations de l'Aude, de la Somme et de la Bretagne ont causé des catastrophes. L'Aude est concernée au premier chef par vos travaux puisque les catastrophes ont touché des régions montagnardes. Nous pourrions d'ailleurs comparer les enseignements des catastrophes en montagne et sur le reste du territoire.

La caractéristique de la politique française de prévention des risques naturels est sa centralisation. Nous sommes une exception en Europe. Chez nos voisins, les autorités cantonales et régionales sont responsables de la prise en compte des risques. La loi française est une exception. A ce sujet, vous trouverez, dans le rapport de Montroc, un tableau comparant les régimes institutionnels de prise en compte des risques dans les pays de l'arc alpin. Pour nous c'est une vraie question. Ceci étant dit, le dispositif législatif français paraît assez complet. Ce sont les trois lois que vous connaissez : loi d'indemnisation de 1982, loi d'information de 1987 et loi d'aménagement du territoire, dite loi Barnier, de 1995, qui crée les plans de prévention des risques. Des lois annexes, dont la loi montagne et son article 78, prescrivent que les risques naturels doivent être pris en compte dans les aménagements. Cette rédaction est très générale et peut-être faudrait-il prévoir des décrets d'application qui permettraient aux services de l'Etat et des collectivités d'être mieux calés dans leurs expertises. Il y a aussi la loi de démocratie de proximité, qui contient, curieusement, un article sur les effondrements, et la loi « solidarité et renouvellement urbain » (SRU), qui recommande aussi la prise en compte des risques.

Nous pouvons retenir ceci de la période 1998-2002 : il y a eu une forte activité en France sur la politique de prévention des risques. Le Parlement, à travers votre collègue M. Dauge, a conduit une mission sur les problèmes de gestion des inondations qui a eu un certain retentissement dans l'administration. Votre collègue M. Galley a présidé une commission d'enquête sur les inondations. Il y a aussi eu une commission du Sénat sur la Somme. Des recommandations ont vu le jour, traduites dans la petite loi sur l'eau concernant la prévention des inondations, y compris donc dans les zones de montagne. La loi risques technologiques et la loi modernisation de la sécurité civile, qui concernent aussi les risques, n'ont pas encore été débattues. Il existe donc une forte activité législative et pré-législative dans ces domaines.

Les administrations de l'Etat ont fait beaucoup de choses entre 1998 et 2002. Plusieurs groupes de concertation et d'expertise, notamment, ont été mis en place. La commission interministérielle pour la prévention des risques naturels majeurs a été créée par décret. Des élus y participent et elle dispose d'un conseil d'orientation. C'est sans doute la plus importante. Il faut s'assurer que les élus de montagne y participent effectivement.

Une instance de conseil et d'appui technique a aussi été créée. Elle donne aux préfets qui le demandent des avis sur les cas difficiles. Nous en avons déjà donné deux concernant les avalanches de Saint-Hilaire-du-Touvet, en Isère, et les chutes de blocs de Barjac. Plus d'une dizaine de rapports et de retours d'expérience ont aussi été élaborés. Parallèlement, les budgets ont été augmentés. Les budgets d'étude des plans de prévention des risques (PPR) ont été triplés au moins en quatre ans. Les budgets de travaux ont été significativement augmentés suite à la décision de vos assemblées. Un effort d'information a également été consenti. Le nombre de documents communaux simplifiés - les documents élaborés par les préfets portés à la connaissance des maires - a été multiplié par trois en quatre ans. Nous pourrions discuter de leur impact. Quant à la politique d'indemnisation, 3 000 communes par an sont déclarées CATNAT. Les indemnisations varient d'une année à l'autre. Elles étaient de 250 millions d'euros il y a quatre ans, elles sont de 400 millions en 2000. Plusieurs programmes de recherche ont été initiés par l'Etat, en particulier sur les risques naturels. Enfin, suite aux catastrophes, des programmes de travaux significatifs ont été déclenchés, même s'ils concernent la plaine bien plus que la montagne. L'Aude, la Somme et la Bretagne ont reçu 228,700 millions d'euros mobilisés par l'Etat et les collectivités. Après les événements de Montroc, un programme important de remise à niveau et de restauration d'ouvrages de protection et du bâti aurait pu être envisagé, mais l'accent a été mis sur la rénovation des techniques de cartographie du risque.

Les collectivités ont aussi déployé une forte activité dans ce domaine à travers les contrats de plan. Nous constatons aussi l'émergence du secteur associatif en faveur des victimes et des sinistrés récemment organisé en association nationale. Suite à la Décennie internationale de prévention des catastrophes naturelles, l'Association française de prévention des catastrophes naturelles a été créée et elle est active. Elle est présidée par votre collègue M. Dauge et compte plusieurs sénateurs dans ses rangs. De façon similaire, le trentième anniversaire de l'association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches (ANENA) a été l'occasion d'un bilan de 30 ans de prévention des risques en montagne.

Depuis peu, nous constatons aussi un réveil des assureurs et des professionnels. Sur le modèle allemand, les assureurs mènent des travaux intéressants sur les possibilités de rendre les travaux de cartographie des risques directement utilisables par leur profession.

Je souhaiterais donner quelques axes de réflexion. Le premier concerne l'équilibre des responsabilités entre l'Etat, les collectivités et les citoyens. En France, suite à la loi Barnier de 1995, l'Etat a la responsabilité première de dire le risque. C'est une exception. Il faudrait peut-être réfléchir à un équilibre mieux réparti entre l'Etat et les collectivités. Votre collègue, M. Dauge, avait proposé de mettre en place des commissions de concertation sur les PPR. L'idée est que le risque concerne d'abord les personnes qui habitent sur place. Pour ma part, je suis convaincu qu'elles sont les premières à devoir être interrogées. L'Etat décide, certes, mais il faut d'abord qu'ait lieu ce débat local sur le risque, qui fixe le niveau de risque acceptable. A mon sens, ce n'est pas assez bien organisé dans notre pays. Les préfets et l'Etat sont amenés à dire qu'il faut retenir l'événement centennal, ou le plus grand événement historique, alors qu'il n'y a pas de raison solide et objective aujourd'hui pour étayer ce raisonnement. Tout dépend du type de risque et d'enjeu auquel nous avons affaire. Tout dépend aussi de la culture de risque des populations locales. L'appréciation du risque dépend fortement d'une culture locale. De là doit découler une forte responsabilité locale. Je crois que nous n'avons pas mené une réflexion assez profonde dans ce domaine. L'exemple de nos voisins de l'arc alpin pourrait, dans ce cadre, nous être utile. Les citoyens pourraient aussi être mieux informés. Le système réglementaire de la loi de 1987 est efficace quantitativement mais son impact local ne l'est pas. La plupart du temps, lorsque nous demandons un document communal simplifié au maire pour un retour d'expérience, le maire avoue ne pas savoir ce que c'est ou le confond avec le PPR. Toute une pédagogie est à faire et la DPPR en est consciente.

Deuxièmement, la chaîne de prévention n'est pas homogène. La chaîne de prévention est composée des maillons suivants : connaissance du risque et de l'enjeu, gestion de l'occupation des sols et des ouvrages de protection, technique constructive, gestion des milieux, surveillance et alerte, mise en place d'un plan de secours, y compris conditions d'évacuation. Certains maillons sont très bien étudiés mais d'autres le sont moins. Des dangers existent donc. Par exemple, il existe aujourd'hui en France un déficit important en termes de connaissance de la vulnérabilité. Qui aujourd'hui sait comment bien construire en zone inondable ou en zone avalancheuse ? Il faudrait aussi mieux connaître l'état des ouvrages de protection, dont la moitié n'appartiennent pas à l'Etat. Ils demandent un entretien annuel. Qui en est responsable ? Quel budget est prévu ?

Finalement, en termes de politique d'objectifs, je dirai ceci. La loi organique que vous avez votée pour la présentation du budget de l'Etat à partir de 2005 oblige à présenter les actions publiques en termes d'objectifs. Tous les ministres ont voulu que la France soit couverte par des plans de prévention des risques. L'objectif quantitatif ambitieux qui avait été fixé - 5 000 PPR en 2005 - sera respecté. En effet, nous en sommes déjà à 3 200 alors que nous en étions à moins de la moitié il y a quatre ans.

Au-delà de ces objectifs quantitatifs, il nous paraît important de revenir aux questions qualitatives, car les PPR ne règlent pas la question de l'existant, de ces constructions et infrastructures mal protégées ou mal conçues vis-à-vis du risque. Il faudrait peut-être lancer une action de remise aux normes. Ca coûtera très cher, mais cela peut être fait progressivement.

Troisièmement, il faut prendre en compte les spécificités territoriales. En montagne par exemple, il faut prendre en compte les surcoûts. Un PPR coûte en moyenne entre 15.250 et 23.000 euros. Or, dans le Val d'Aoste, cela coûte environ 152.000 euros. Pourquoi ? La raison est que nos voisins font beaucoup plus d'études que nous. Ils se sont créé des obligations et ont passé des lois régionales. Le budget de la Suisse pour la prévention des risques, comme celui du Val d'Aoste, est bien supérieur au nôtre. Nous n'avons pas encore tout à fait admis le surcoût de la montagne.

Enfin, pour terminer, voici sans ordre, quelques remarques.

Nous devons aussi procéder à des simulations montrant ce que pourrait causer un événement extrême en montagne, et notamment en montagne enneigée. En France nous redoutons trois grands types de problèmes : un séisme aux Antilles, une grande inondation sur les bassins de la Loire, du Rhône ou de la Garonne, ou une longue période de grand mauvais temps en montagne en période touristique. Il faudrait au moins que les citoyens, les collectivités et l'Etat mettent en place un exercice complet de sécurité civile.

La prévision météorologique devrait se développer beaucoup plus en montagne. Des démarches ont commencé avec Météo-France mais il reste du chemin à parcourir. Enfin, il faut maintenir une expertise publique et privée spécifique aux risques montagnards. Nous avons la chance d'avoir un service RTM reconnu. Le problème du renouvellement et de l'extension des compétences techniques se pose à la fois dans les collectivités et dans les bureaux d'études privés. Ces compétences sont difficiles à trouver.

M. Bernard Glass - Mon propos se limitera au cas des parcs nationaux qui constituent l'outil privilégié de l'Etat pour aborder en montagne les problèmes liés au patrimoine naturel. L'Inspection générale de l'Environnement, après une série d'audits menés par le Conseil général du génie rural des eaux et fôrets (GREF) et le Conseil général des Ponts, se mobilise pour effectuer des inspections périodiques des parcs nationaux, afin d'évaluer la mise en oeuvre, établissement par établissement, des objectifs assignés aux parcs. Des outils de préservation sont nécessaires pour conserver un patrimoine naturel particulièrement riche, notamment en montagne, en termes d'habitats, d'espèces végétales et animales. En ce qui concerne la politique des parcs nationaux, il faut en rappeler d'abord les fondements. Deuxièmement, je ferai un état des lieux, pour montrer ce qui caractérise les parcs nationaux dans le patrimoine montagnard français. Troisièmement, je donnerai une vision plus critique du dispositif. Enfin, nous verrons quelles évolutions du système sont envisageables.

Les parcs nationaux existent depuis une quarantaine d'années. Ils répondent à l'impulsion donnée par le gouvernement De Gaulle, qui est à l'origine de la loi de 1960 les instaurant. Celle-ci est un monument législatif qui a le mérite de la souplesse et de la simplicité. En effet, elle pose comme objectif prioritaire - suivant le modèle états-unien dont le premier parc national, Yellowstone, voit le jour en 1872 - de préserver le patrimoine naturel, et de le soustraire, dans la mesure du possible, aux interventions qui peuvent le dégrader, qu'elles soient naturelles ou anthropiques (sous l'effet de l'action humaine). L'organisme de gestion du parc peut être un établissement public. La loi pose aussi l'objectif du développement en périphérie et envisage donc la création de zones périphériques. Dans cette zone, un ensemble de réalisations économiques, culturelles et sociales peut conforter l'objectif de protection assigné à la zone centrale.

Il faut se souvenir que le ministère de l'agriculture a hérité de l'élaboration de la loi après des arbitrages qui l'opposaient au ministère de la construction et au ministère de la culture. C'est un élément important pour comprendre l'état des lieux. Par la suite, deux ministères, l'agriculture et la construction ont été chargés de mettre oeuvre une politique concertée de développement des zones périphériques. M. Pisani, en 1965, après sa réforme du ministère de l'agriculture, a été le ministre de l'équipement qui a intégré la construction à l'équipement. C'est pourquoi la prise en compte des objectifs de développement est aujourd'hui moindre dans la zone périphérique.

La mise en oeuvre de cette loi a fait l'objet du décret de 1961 qui porte règlement d'administration publique et précise que l'établissement public gestionnaire d'un parc national est à caractère national et administratif. Tous les parcs créés à partir de ce RAP répondent à cette organisation juridique. La mise en oeuvre a été progressive. Aucun parc national ne s'est créé dans l'euphorie. Il y a toujours eu des conflits révélés par les enquêtes publiques. En toile de fond, la forte identité des sociétés montagnardes - qui ont toujours vu d'un mauvais oeil l'intrusion de l'Etat dans la vie locale - a été un facteur d'opposition. En effet, les montagnards considéraient qu'ils avaient façonné le patrimoine naturel dont ils sont légitimement les seuls dépositaires. Les intérêts des chasseurs étaient aussi très puissants dans tous les parcs nationaux de montagne.

Des ajustements juridiques sont intervenus. Il faut signaler la prise de position du premier ministre M. Barre en 1979. Il a voulu montrer, à travers une circulaire, l'attachement de l'Etat à deux outils portant le nom de parc naturel : parcs nationaux et parcs régionaux. La création de ces derniers avait été stimulée dès 1967 pour montrer qu'il pouvait exister une alternative dans une démarche de protection et de développement, en essayant d'être au plus près des préoccupations locales. Leur ambition était de rapprocher la ville de la campagne. Cette volonté de développer des solutions alternatives a donc existé dès 1967. Dans son prolongement, la loi de 1985 fait explicitement allusion au rôle que les parcs naturels nationaux et régionaux peuvent assurer au côté des collectivités territoriales en vue du double objectif de préservation et de développement.

L'état des lieux est celui-ci. Sur les sept parcs nationaux existants, six intéressent le patrimoine montagnard, y compris celui de la Guadeloupe, le dernier créé. Sur les 40 parcs régionaux, 16 intéressent le patrimoine montagnard français. Je rappelle que les parcs nationaux sont un des 36 outils qui interviennent dans la protection du patrimoine naturel en France. D'autres outils existent qui ont des fondements juridiques plus ou moins solides, puisque la position du Ministère aujourd'hui est de privilégier le contractuel par rapport au réglementaire. Le démarche Natura 2000 avec son réseau européen en est un exemple.

Les six parcs nationaux de montagne ont été créés entre 1963 et 1989. La création d'un parc national s'inscrit dans la durée puisqu'il prend entre quatre et dix ans. Il y a donc eu six réussites mais il y aussi eu trois échecs : l'Ariège, le Mont-Blanc et les Pyrénées Orientales. Sur les six parcs existants, les zones centrales fortement préservées représentent moins de 1 % du territoire national (zone périphérique : moins de 2 %) ou moins de 4 % du territoire montagnard français (zone périphérique : moins de 8 %). C'est donc relativement modeste. La population concernée est de moins de 200 000 habitants, soit 0,4 % de la population totale. Sur les six parcs nationaux, trois sont entièrement englobés dans le territoire français, tandis que trois sont frontaliers. Pour ces derniers, la zone périphérique a donc une signification moindre, puisque tributaires de ce qui se passe de l'autre côté de la frontière. Des démarches de jumelage et de préservation concertée y remédient.

Les effectifs budgétaires en 2002 sont de 375 agents titularisés. Ils viennent d'être regroupés avec d'autres personnels de la garderie : Conseil supérieur de la Pêche et Office national de la Chasse et de la Faune sauvage. Le budget global est de 30 millions d'euros - soit environ 200 millions de francs - pour le fonctionnement, et de 9 millions d'euros - soit 60 millions de francs - pour l'investissement. Environ 40 millions d'euros sont donc attribués. Cela représente à peine trois kilomètres d'autoroute en terrain difficile. C'est un ordre de grandeur utile pour situer l'incidence budgétaire de la politique des parcs nationaux de montagne. Cinq présidents de parcs de montagne sont des élus locaux.

En toile de fond, après la circulaire Barre et la loi montagne, des réflexions ont été conduites par certains hommes politiques. M. Pisani a produit, en 1983, un rapport sur le réseau des espaces naturels français. Il avait conclu à l'intérêt de fédérer les politiques résultant des nombreux outils de protection et de gestion existants. Sur les 36 outils existants, une dizaine seulement ont un réel impact territorial. Il avait donc préconisé, au moment de la décentralisation, la mise en réseau de ces outils pour déterminer ce qui relève du national et de l'international, dont les parcs nationaux, en respectant le contexte de la décentralisation. Il a donc préconisé un institut national du patrimoine national qui fédère tout ce qui est institutionnalisé pour protéger et gérer l'espace au nom de l'Etat. Une réflexion d'économie d'échelle devrait être menée pour voir si nous ne pouvons pas mieux valoriser les activités des établissements publics qui convergent sur le patrimoine naturel. C'est d'autant plus nécessaire que certaines organisations ou institutions risquent de connaître des problèmes d'existence suite à une diminution des recettes : ceux de la chasse, de la pêche, des forêts. Les parcs nationaux font donc partie de cette famille d'établissements publics s'intéressant au patrimoine naturel français.

Ma vision plus critique est fondée sur les cinq audits réalisés par le Conseil général des Ponts et le Conseil général des Eaux et Forêts. Le seul parc qui n'a pas été audité est celui des Pyrénées. Celui de la Guadeloupe est en cours d'audit.

Il y a trois objectifs, dont un est assigné par la loi et deux relèvent de l'exposé des motifs : la préservation, le développement et l'aménagement du territoire. L'objectif prioritaire, assigné par la loi, est la préservation du patrimoine naturel. L'esprit de la loi concerne l'ouverture au public, accompagné d'une pédagogie appropriée, et le développement durable en zone périphérique. Toutefois, les textes de loi ne sont pas assez explicites pour que nous puissions parler d'une politique concertée de préservation, de développement et d'aménagement du territoire.

Sur ces trois objectifs, le bilan est le suivant. Les parcs nationaux sont performants dans la protection. Les chasseurs partagent désormais ce point de vue après avoir campé sur une position critique. Ils considèrent par exemple que la protection de la faune chassable se traduit, depuis la création des parcs nationaux, par des tableaux de chasse plus intéressants en périphérie. L'exception à ce bilan positif de l'effort de protection est la disparition de l'ours des Pyrénées, dont la population est trop faible pour qu'elle puisse être sauvée. Les parcs de montagne ont accueilli, après leur ouverture au public, entre huit et dix millions de visiteurs. C'est un chiffre important. Les sondages partiels montrent des degrés de satisfaction variables selon les établissements. La contribution au développement local, de même, est variable.

Globalement, les retombées économiques constituées au niveau d'un parc national ne sont pas toujours évaluées. Le parc national des Ecrins reste la référence. En tant qu'élu local et président de la conférence des présidents de parcs nationaux, Patrick Ollier a montré le rôle que pouvait avoir cet établissement public. Parmi les points négatifs, il apparaît que le portage politique des parcs nationaux n'est pas à la hauteur de ce qu'il pourrait être. L'histoire spécifique et le contexte local de chaque parc national ont abouti à des portages plus ou moins marqués. Le système des zones périphériques est encore faible car l'articulation de la politique zone centrale / zone périphérique est souvent insuffisante. Par ailleurs, il reste des difficultés dans l'évaluation des performances des établissements publics dans ce domaine. Cela relève d'un partenariat. Nous constatons une évolution dans la reconnaissance locale que l'image nationale et internationale des parcs nationaux est payante. Les parcs nationaux français entrent dans la famille des parcs nationaux de la planète à travers une labellisation internationale dont l'union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN) est responsable. Ceci constitue un élément prioritaire pour le futur des parcs nationaux français. Il apparaît aussi de plus en plus nécessaire que les textes fondateurs soient révisés, actualisés en partie, en particulier pour garantir la mise en oeuvre d'une politique de développement en zone périphérique. Monsieur Ollier avait demandé une refondation de la politique des parcs nationaux. Cette démarche est engagée mais elle suppose un pilotage politique élargi à l'ensemble des outils de préservation des espaces naturels.

M. Jacques Blanc - Je me permets de dire que lorsqu'un parc se permet de poser un recours contre un permis de construire, alors que ce dernier a été accordé par le préfet et soutenu par tous les élus, au sujet d'un patrimoine qui a été abandonné et ensuite racheté pour le faire vivre, nous en avons assez de le défendre. Ces comportements font qu'au lieu de faire adhérer les gens à une défense du patrimoine, cela devient insupportable.

M. Jean-Paul Amoudry - J'ai relevé un certain nombre de points. J'aimerais que nous puissions échanger nos point de vues sur la question de l'exception française et sur cette politique centralisée des risques. Si d'aventure vous aviez des observations ou disposiez d'une étude de droit comparé, nous pourrions l'étudier et faire des observations afin de mieux connaître ce qui se fait à l'extérieur. Nous avons compris que vous êtes favorable à une évolution ou à un rapprochement de la décision et de l'évaluation, et à un équilibre mieux garanti entre l'Etat, les collectivités et la population locale.

M. Philippe Huet - La direction des risques est peut-être plus jacobine que les fonctionnaires de l'inspection que nous sommes. Nous ne ratons pas une occasion de dire ce que je vous ai dit. Nous l'avons écrit dans le rapport de Montroc et dans d'autres rapports qui nous ont été commandés.

Sur le point précis des risques naturels, il existe des problèmes de responsabilité pénale. Le jeu avec les élus est complexe. Dans la mesure où les élus assurent la responsabilité des plans d'occupation des sols, n'est-il pas possible que les responsabilités soient mieux partagées en termes de servitude attachée à ces plans ? 77 préfets ont été mis au « tourniquet » depuis 1982 sur ce type de sujet entre autres. Cinq seulement ont été condamnés. C'est quand même très désagréable pour tout le monde. De même, des ingénieurs d'Etat ont eu des comptes à rendre à la justice. Cela fait du bruit dans la corporation. Je pense qu'un travail commun des élus et des administrations doit être fait. Je suis convaincu qu'il faut un esprit nouveau. Une douzaine de parlementaires, députés-maires ou sénateurs-maires, ont participé à la commission de votre collègue M. Dauge. Ils ont souvent dit qu'ils ne signeraient jamais tout seuls. Or, actuellement, c'est nous qui signons tout seuls. Une cosignature serait déjà un progrès. Dans tous les cas, il faudrait que notre signature soit précédée d'un débat où chacun est responsable de ce qu'il a dit, comme dans vos commissions, où c'est enregistré. Il faudrait quelque chose de plus formalisé qui responsabilise les participants.

M. Jean-Paul Amoudry - Vous avez compris le contexte de notre mission. Nous n'allons pas régler ce problème dans notre rapport. Nous allons le signaler, quitte à reprendre le fil de nos discussions dans le cadre de notre groupe montagne au Sénat. C'est un travail qui demande un effort de longue haleine. Je le signale comme un des objectifs pour l'après octobre prochain. Comme Jacques Blanc vient de le dire, c'est un problème de culture administrative.

Dans ce même esprit, je voudrais pointer deux ou trois autres questions. Vous avez parlé de la gestion de l'entretien des ouvrages de protection en montagne et du fait qu'après Montroc, rien n'avait été concrètement entrepris en matière de travaux. Est-ce qu'il est possible de connaître l'état de ces ouvrages, qui mériteraient que nous nous y intéresserions, afin que nous puissions vérifier de façon plus rigoureuse la qualité de la protection qu'ils sont censés assurer ?

Deuxièmement, vous avez abordé le sujet de l'information et de la responsabilisation. Vous savez que la loi montagne a lancé l'idée d'une responsabilisation par l'argent et que la loi démocratie de proximité, sous l'impulsion de notre collègue Jean Faure, a repris l'idée d'une responsabilisation par le remboursement en tout ou partie des frais d'intervention, et d'une nécessaire information de cette responsabilité. Est-ce que vous pensez qu'il serait opportun et utile de joindre les deux ? Une meilleure information sur les risques ne passe-t-elle pas par une meilleure information par l'argent ? C'est peut-être un peu trivial et un peu bas mais c'est ce qui attire l'attention de nos concitoyens.

Enfin, au sujet de l'existant soumis au risque, est-ce que vous pourriez nous donner quelques exemples et nous dire si un travail de recherche préalable serait nécessaire ? Cela nous permettrait d'y voir plus clair et d'apporter des solutions. M. Glass, vous avez parlé de 36 outils de protection. J'aimerais que vous nous précisiez si ce sont des outils juridiques ou si ce sont des organismes, des institutions ou des associations qui participent à la protection. Est-ce qu'il ne serait pas possible de simplifier l'ensemble de ces outils, d'aller vers quelque chose de plus lisible et de plus explicable pour les acteurs du terrain que sont les chasseurs, les agriculteurs, les artisans et les élus ?

M. Jean Boyer - En ce qui concerne les inondations, la Haute-Loire est un département qui connaît malheureusement ces problèmes. Il y a eu neuf morts en 1981. Aujourd'hui, nous nous demandons si les priorités environnementales ne priment pas sur la mise en place d'ouvrages de sécurité. C'est tout un problème. Ce qui se fait en amont bénéficie à l'aval. Je pense qu'il y a un troisième décideur, à part l'Etat et l'élu. Ce n'est pas le pouvoir de la rue, mais il y a un peu de ça. Qu'en pensez-vous et comment pouvons-nous modifier cet état d'esprit ?

M. Philippe Huet - Chacun connaît le drame de Brives-Charensac. Certains souhaitent un barrage pour contrôler la rivière tandis que les autres souhaitent laisser la rivière vivre sa vie en évitant de se mettre sur son passage. Tout d'abord, je pense qu'il n'existe aucun exemple montrant qu'il est possible de maîtriser complètement les phénomènes par l'installation d'un barrage. Regardez Serre-Ponçon. Nous travaillons sur la Durance avec EDF notamment. Tout le monde pensait que nous allions assister à la fin de la Durance dévastatrice. C'était en 1955. Pendant un demi-siècle, nous pensions avoir gagné. Or en 1994, une crue a fait des dégâts tout à fait considérables.

Le barrage n'est pas en mesure de contrôler des crues extrêmes. Il domine les crues moyennes. L'effet pervers est que nous oublions le danger. C'est vrai partout, y compris sur les barrages de la région parisienne. Deuxièmement, cela relève du débat public. Si vous ne voulez pas d'ouvrages de protection, ou si vous voulez vous installer en zone inondable, il faut vous préparer, le jour où une catastrophe arrive, à en payer le prix. Ça doit être un débat public : nous prenons le risque collectivement et de façon consciente. Auparavant, les ingénieurs parlaient de crue centennale parce qu'on ne vivait pas longtemps et que l'on n'avait pas une grande chance de la revoir. Mais aujourd'hui il est possible d'en voir deux ou trois en une vie. Un débat public doit éclairer l'opinion.

Je voudrais faire une remarque sur un autre sujet : par le jeu des concessions, EDF est devenue de fait quasi propriétaire de rivières de montagne. Aujourd'hui où les enjeux de société évoluent, il y a sans doute d'autres impératifs que l'énergie à considérer.

Votre mission pourrait-elle aborder la question ?

M. Jacques Blanc - Nous vous remercions.

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