24. Audition de MM. Philippe Huet et Bernard Glass, ingénieurs du génie rural des eaux et forêts de l'inspection générale de l'Environnement (19 juin 2002)
M.
Jacques Blanc, Président -
Je suis heureux de vous accueillir. Vous
savez quelle ambition nous a amenés, avec monsieur le Rapporteur, nos
collègues sénateurs et tous les élus de montagne, à
demander la mise en place d'une mission, dans le cadre de l'année
internationale des montagnes, pour faire le point et voir ce que nous pouvons
proposer pour faire avancer les choses. J'ai le sentiment que nous avons
peut-être une opportunité de ce côté puisque le
nouveau ministre de l'agriculture a quelques racines de montagne.
M. Jean-Paul Amoudry, Rapporteur -
Messieurs les ingénieurs
généraux, bienvenue au Sénat. Merci de votre
présence. J'ai besoin de vous dire, en quelques mots et pour
compléter les propos du président Blanc, que nous avons
commencé nos travaux d'information - selon le terme approprié ici
au Sénat - début avril et que nous les avons interrompus quelques
semaines, à la veille des élections présidentielles et
législatives, pour permettre aux uns et aux autres de faire leur devoir
sur le terrain. Nous allons à nouveau les interrompre en août.
Nous terminons nos auditions et nos visites de terrain fin juillet. Tout ceci
est mené assez diligemment car nous voulons synthétiser,
dès la fin août ou début septembre, ce rapport qui doit
être déposé début octobre. La raison en est que,
dans le cadre de cette année internationale des montagnes, nous voulons
boucler cette entreprise et surtout présenter des conclusions lors des
congrès et rencontres qui auront lieu en fin d'année. Vous savez
que nous avons plusieurs rendez-vous : celui de Bruxelles, de l'ANEM, etc.
Il est donc important que le Sénat manifeste de la diligence et de
l'efficacité dans ce domaine.
Partant de la loi de 1985, nous avons dessiné trois grandes
entrées à cette étude : une entrée
« aménagement », une entrée
« environnement » et une entrée
« économie », sans hiérarchie quelconque bien
entendu. Nous en sommes, à ce jour, à la moitié de nos
auditions. Nous avons visité les Alpes et le Massif central. Il nous
reste à visiter le Jura, les Vosges et les Pyrénées. Des
problèmes de calendrier nous empêcheront de nous rendre en Corse
et à la Réunion. Dans la mesure du possible, notre groupe
montagne complètera par des visites dans ces îles les travaux
qu'il a menés cette année.
Nous vous avons adressé un questionnaire extrêmement bref. Vous
êtes les représentants, au plus haut niveau, de l'environnement.
Nous vous avons donc interrogés sur les parcs naturels et la politique
des risques naturels en montagne. Cette liste n'est pas exhaustive. Nous
pourrons intégrer vos messages dans votre rapport.
M. Philippe Huet -
Merci monsieur le Président, merci monsieur le
Rapporteur. Je vous propose de parler des risques. Mon collègue Bernard
Glass parlera du patrimoine naturel. Ensuite nous pourrons répondre
à vos questions.
Au préalable, je voudrais dire que nous donnons le point de vue de
l'Inspection générale de l'Environnement où nous
travaillons tous les deux. En ce qui concerne les risques, je crois que vous
avez entendu Yves Cassayre, qui est le délégué national
restauration des terrains de montagne. Je ne pense pas que vous ayez entendu
Pascal Douard, qui est le délégué adjoint aux risques
naturels majeurs à la Direction de la Prévention et des Risques.
A vous de voir si cela peut être utile.
L'éclairage que je vais essayer de donner résulte des missions de
retour d'expérience que nous faisons depuis 1995 sur les catastrophes et
les accidents dans la montagne et ailleurs. Nous essayons d'en tirer des
enseignements à portée générale. Il nous
paraît particulièrement vrai, pour ce qui concerne le territoire
montagnard, de dire que l'aménagement et le développement durable
sont la rencontre et la prise en compte de plusieurs aspects : les risques
naturels, la gestion des ressources naturelles et les activités
socio-économiques.
Les événements de l'hiver 1998-1999 ont touché l'ensemble
de l'arc alpin. De même, nos voisins ont tous été
touchés par les catastrophes, malgré les systèmes de
prévention très différents dont ils disposent. Il y a eu
plusieurs dizaines de morts dans l'arc alpin. De notre côté, nous
avons vécu l'accident de Montroc à Chamonix, pour lequel nous
avons été missionnés, avec des collègues des Ponts.
Nous avons établi un rapport, qui pourra vous être fourni, avec
des recommandations. Je vous signale au passage que la Direction de la
Prévention des Risques nous a confirmé que les recommandations
qui y sont consignées constituent bien sa ligne de conduite sur la prise
en compte des risques en montagne. Les mouvements de terrain ont aussi
posé problème. Monsieur Blanc connaît bien l'affaire de
Barjac, et plus généralement le problème des chutes de
bloc dans les vallées de ces régions. En plaine, la saison
1994-1995 a été la plus dévastatrice, avec les grandes
inondations du Rhône et de la Meuse. Mais en 1999-2001 aussi, les
inondations de l'Aude, de la Somme et de la Bretagne ont causé des
catastrophes. L'Aude est concernée au premier chef par vos travaux
puisque les catastrophes ont touché des régions montagnardes.
Nous pourrions d'ailleurs comparer les enseignements des catastrophes en
montagne et sur le reste du territoire.
La caractéristique de la politique française de prévention
des risques naturels est sa centralisation. Nous sommes une exception en
Europe. Chez nos voisins, les autorités cantonales et régionales
sont responsables de la prise en compte des risques. La loi française
est une exception. A ce sujet, vous trouverez, dans le rapport de Montroc, un
tableau comparant les régimes institutionnels de prise en compte des
risques dans les pays de l'arc alpin. Pour nous c'est une vraie question. Ceci
étant dit, le dispositif législatif français paraît
assez complet. Ce sont les trois lois que vous connaissez : loi
d'indemnisation de 1982, loi d'information de 1987 et loi d'aménagement
du territoire, dite loi Barnier, de 1995, qui crée les plans de
prévention des risques. Des lois annexes, dont la loi montagne et son
article 78, prescrivent que les risques naturels doivent être pris en
compte dans les aménagements. Cette rédaction est très
générale et peut-être faudrait-il prévoir des
décrets d'application qui permettraient aux services de l'Etat et des
collectivités d'être mieux calés dans leurs expertises. Il
y a aussi la loi de démocratie de proximité, qui contient,
curieusement, un article sur les effondrements, et la loi
« solidarité et renouvellement urbain » (SRU), qui
recommande aussi la prise en compte des risques.
Nous pouvons retenir ceci de la période 1998-2002 : il y a eu une
forte activité en France sur la politique de prévention des
risques. Le Parlement, à travers votre collègue M. Dauge, a
conduit une mission sur les problèmes de gestion des inondations qui a
eu un certain retentissement dans l'administration. Votre collègue
M. Galley a présidé une commission d'enquête sur les
inondations. Il y a aussi eu une commission du Sénat sur la Somme. Des
recommandations ont vu le jour, traduites dans la petite loi sur l'eau
concernant la prévention des inondations, y compris donc dans les zones
de montagne. La loi risques technologiques et la loi modernisation de la
sécurité civile, qui concernent aussi les risques, n'ont pas
encore été débattues. Il existe donc une forte
activité législative et pré-législative dans ces
domaines.
Les administrations de l'Etat ont fait beaucoup de choses entre 1998 et 2002.
Plusieurs groupes de concertation et d'expertise, notamment, ont
été mis en place. La commission interministérielle pour la
prévention des risques naturels majeurs a été
créée par décret. Des élus y participent et elle
dispose d'un conseil d'orientation. C'est sans doute la plus importante. Il
faut s'assurer que les élus de montagne y participent effectivement.
Une instance de conseil et d'appui technique a aussi été
créée. Elle donne aux préfets qui le demandent des avis
sur les cas difficiles. Nous en avons déjà donné deux
concernant les avalanches de Saint-Hilaire-du-Touvet, en Isère, et les
chutes de blocs de Barjac. Plus d'une dizaine de rapports et de retours
d'expérience ont aussi été élaborés.
Parallèlement, les budgets ont été augmentés. Les
budgets d'étude des plans de prévention des risques (PPR) ont
été triplés au moins en quatre ans. Les budgets de travaux
ont été significativement augmentés suite à la
décision de vos assemblées. Un effort d'information a
également été consenti. Le nombre de documents communaux
simplifiés - les documents élaborés par les préfets
portés à la connaissance des maires - a été
multiplié par trois en quatre ans. Nous pourrions discuter de leur
impact. Quant à la politique d'indemnisation, 3 000 communes par an sont
déclarées CATNAT. Les indemnisations varient d'une année
à l'autre. Elles étaient de 250 millions d'euros il y a quatre
ans, elles sont de 400 millions en 2000. Plusieurs programmes de recherche
ont été initiés par l'Etat, en particulier sur les risques
naturels. Enfin, suite aux catastrophes, des programmes de travaux
significatifs ont été déclenchés, même s'ils
concernent la plaine bien plus que la montagne. L'Aude, la Somme et la Bretagne
ont reçu 228,700 millions d'euros mobilisés par l'Etat et les
collectivités. Après les événements de Montroc, un
programme important de remise à niveau et de restauration d'ouvrages de
protection et du bâti aurait pu être envisagé, mais l'accent
a été mis sur la rénovation des techniques de cartographie
du risque.
Les collectivités ont aussi déployé une forte
activité dans ce domaine à travers les contrats de plan. Nous
constatons aussi l'émergence du secteur associatif en faveur des
victimes et des sinistrés récemment organisé en
association nationale. Suite à la Décennie internationale de
prévention des catastrophes naturelles, l'Association française
de prévention des catastrophes naturelles a été
créée et elle est active. Elle est présidée par
votre collègue M. Dauge et compte plusieurs sénateurs dans ses
rangs. De façon similaire, le trentième anniversaire de
l'association nationale pour l'étude de la neige et des avalanches
(ANENA) a été l'occasion d'un bilan de 30 ans de
prévention des risques en montagne.
Depuis peu, nous constatons aussi un réveil des assureurs et des
professionnels. Sur le modèle allemand, les assureurs mènent des
travaux intéressants sur les possibilités de rendre les travaux
de cartographie des risques directement utilisables par leur profession.
Je souhaiterais donner quelques axes de réflexion. Le premier concerne
l'équilibre des responsabilités entre l'Etat, les
collectivités et les citoyens. En France, suite à la loi Barnier
de 1995, l'Etat a la responsabilité première de dire le risque.
C'est une exception. Il faudrait peut-être réfléchir
à un équilibre mieux réparti entre l'Etat et les
collectivités. Votre collègue, M. Dauge, avait proposé
de mettre en place des commissions de concertation sur les PPR. L'idée
est que le risque concerne d'abord les personnes qui habitent sur place. Pour
ma part, je suis convaincu qu'elles sont les premières à devoir
être interrogées. L'Etat décide, certes, mais il faut
d'abord qu'ait lieu ce débat local sur le risque, qui fixe le niveau de
risque acceptable. A mon sens, ce n'est pas assez bien organisé dans
notre pays. Les préfets et l'Etat sont amenés à dire qu'il
faut retenir l'événement centennal, ou le plus grand
événement historique, alors qu'il n'y a pas de raison solide et
objective aujourd'hui pour étayer ce raisonnement. Tout dépend du
type de risque et d'enjeu auquel nous avons affaire. Tout dépend aussi
de la culture de risque des populations locales. L'appréciation du
risque dépend fortement d'une culture locale. De là doit
découler une forte responsabilité locale. Je crois que nous
n'avons pas mené une réflexion assez profonde dans ce domaine.
L'exemple de nos voisins de l'arc alpin pourrait, dans ce cadre, nous
être utile. Les citoyens pourraient aussi être mieux
informés. Le système réglementaire de la loi de 1987 est
efficace quantitativement mais son impact local ne l'est pas. La plupart du
temps, lorsque nous demandons un document communal simplifié au maire
pour un retour d'expérience, le maire avoue ne pas savoir ce que c'est
ou le confond avec le PPR. Toute une pédagogie est à faire et la
DPPR en est consciente.
Deuxièmement, la chaîne de prévention n'est pas
homogène. La chaîne de prévention est composée des
maillons suivants : connaissance du risque et de l'enjeu, gestion de
l'occupation des sols et des ouvrages de protection, technique constructive,
gestion des milieux, surveillance et alerte, mise en place d'un plan de
secours, y compris conditions d'évacuation. Certains maillons sont
très bien étudiés mais d'autres le sont moins. Des dangers
existent donc. Par exemple, il existe aujourd'hui en France un déficit
important en termes de connaissance de la vulnérabilité. Qui
aujourd'hui sait comment bien construire en zone inondable ou en zone
avalancheuse ? Il faudrait aussi mieux connaître l'état des
ouvrages de protection, dont la moitié n'appartiennent pas à
l'Etat. Ils demandent un entretien annuel. Qui en est responsable ? Quel
budget est prévu ?
Finalement, en termes de politique d'objectifs, je dirai ceci. La loi organique
que vous avez votée pour la présentation du budget de l'Etat
à partir de 2005 oblige à présenter les actions publiques
en termes d'objectifs. Tous les ministres ont voulu que la France soit couverte
par des plans de prévention des risques. L'objectif quantitatif
ambitieux qui avait été fixé - 5 000 PPR en 2005 - sera
respecté. En effet, nous en sommes déjà à 3 200
alors que nous en étions à moins de la moitié il y a
quatre ans.
Au-delà de ces objectifs quantitatifs, il nous paraît important de
revenir aux questions qualitatives, car les PPR ne règlent pas la
question de l'existant, de ces constructions et infrastructures mal
protégées ou mal conçues vis-à-vis du risque. Il
faudrait peut-être lancer une action de remise aux normes. Ca
coûtera très cher, mais cela peut être fait progressivement.
Troisièmement, il faut prendre en compte les spécificités
territoriales. En montagne par exemple, il faut prendre en compte les
surcoûts. Un PPR coûte en moyenne entre 15.250 et 23.000 euros. Or,
dans le Val d'Aoste, cela coûte environ 152.000 euros. Pourquoi ? La
raison est que nos voisins font beaucoup plus d'études que nous. Ils se
sont créé des obligations et ont passé des lois
régionales. Le budget de la Suisse pour la prévention des
risques, comme celui du Val d'Aoste, est bien supérieur au nôtre.
Nous n'avons pas encore tout à fait admis le surcoût de la
montagne.
Enfin, pour terminer, voici sans ordre, quelques remarques.
Nous devons aussi procéder à des simulations montrant ce que
pourrait causer un événement extrême en montagne, et
notamment en montagne enneigée. En France nous redoutons trois grands
types de problèmes : un séisme aux Antilles, une grande
inondation sur les bassins de la Loire, du Rhône ou de la Garonne, ou une
longue période de grand mauvais temps en montagne en période
touristique. Il faudrait au moins que les citoyens, les collectivités et
l'Etat mettent en place un exercice complet de sécurité civile.
La prévision météorologique devrait se développer
beaucoup plus en montagne. Des démarches ont commencé avec
Météo-France mais il reste du chemin à parcourir. Enfin,
il faut maintenir une expertise publique et privée spécifique aux
risques montagnards. Nous avons la chance d'avoir un service RTM reconnu. Le
problème du renouvellement et de l'extension des compétences
techniques se pose à la fois dans les collectivités et dans les
bureaux d'études privés. Ces compétences sont difficiles
à trouver.
M. Bernard Glass -
Mon propos se limitera au cas des parcs nationaux qui
constituent l'outil privilégié de l'Etat pour aborder en montagne
les problèmes liés au patrimoine naturel. L'Inspection
générale de l'Environnement, après une série
d'audits menés par le Conseil général du génie
rural des eaux et fôrets (GREF) et le Conseil général des
Ponts, se mobilise pour effectuer des inspections périodiques des parcs
nationaux, afin d'évaluer la mise en oeuvre, établissement par
établissement, des objectifs assignés aux parcs. Des outils de
préservation sont nécessaires pour conserver un patrimoine
naturel particulièrement riche, notamment en montagne, en termes
d'habitats, d'espèces végétales et animales. En ce qui
concerne la politique des parcs nationaux, il faut en rappeler d'abord les
fondements. Deuxièmement, je ferai un état des lieux, pour
montrer ce qui caractérise les parcs nationaux dans le patrimoine
montagnard français. Troisièmement, je donnerai une vision plus
critique du dispositif. Enfin, nous verrons quelles évolutions du
système sont envisageables.
Les parcs nationaux existent depuis une quarantaine d'années. Ils
répondent à l'impulsion donnée par le gouvernement De
Gaulle, qui est à l'origine de la loi de 1960 les instaurant. Celle-ci
est un monument législatif qui a le mérite de la souplesse et de
la simplicité. En effet, elle pose comme objectif prioritaire - suivant
le modèle états-unien dont le premier parc national, Yellowstone,
voit le jour en 1872 - de préserver le patrimoine naturel, et de le
soustraire, dans la mesure du possible, aux interventions qui peuvent le
dégrader, qu'elles soient naturelles ou anthropiques (sous l'effet de
l'action humaine). L'organisme de gestion du parc peut être un
établissement public. La loi pose aussi l'objectif du
développement en périphérie et envisage donc la
création de zones périphériques. Dans cette zone, un
ensemble de réalisations économiques, culturelles et sociales
peut conforter l'objectif de protection assigné à la zone
centrale.
Il faut se souvenir que le ministère de l'agriculture a
hérité de l'élaboration de la loi après des
arbitrages qui l'opposaient au ministère de la construction et au
ministère de la culture. C'est un élément important pour
comprendre l'état des lieux. Par la suite, deux ministères,
l'agriculture et la construction ont été chargés de mettre
oeuvre une politique concertée de développement des zones
périphériques. M. Pisani, en 1965, après sa réforme
du ministère de l'agriculture, a été le ministre de
l'équipement qui a intégré la construction à
l'équipement. C'est pourquoi la prise en compte des objectifs de
développement est aujourd'hui moindre dans la zone
périphérique.
La mise en oeuvre de cette loi a fait l'objet du décret de 1961 qui
porte règlement d'administration publique et précise que
l'établissement public gestionnaire d'un parc national est à
caractère national et administratif. Tous les parcs créés
à partir de ce RAP répondent à cette organisation
juridique. La mise en oeuvre a été progressive. Aucun parc
national ne s'est créé dans l'euphorie. Il y a toujours eu des
conflits révélés par les enquêtes publiques. En
toile de fond, la forte identité des sociétés montagnardes
- qui ont toujours vu d'un mauvais oeil l'intrusion de l'Etat dans la vie
locale - a été un facteur d'opposition. En effet, les montagnards
considéraient qu'ils avaient façonné le patrimoine naturel
dont ils sont légitimement les seuls dépositaires. Les
intérêts des chasseurs étaient aussi très puissants
dans tous les parcs nationaux de montagne.
Des ajustements juridiques sont intervenus. Il faut signaler la prise de
position du premier ministre M. Barre en 1979. Il a voulu montrer, à
travers une circulaire, l'attachement de l'Etat à deux outils portant le
nom de parc naturel : parcs nationaux et parcs régionaux. La
création de ces derniers avait été stimulée
dès 1967 pour montrer qu'il pouvait exister une alternative dans une
démarche de protection et de développement, en essayant
d'être au plus près des préoccupations locales. Leur
ambition était de rapprocher la ville de la campagne. Cette
volonté de développer des solutions alternatives a donc
existé dès 1967. Dans son prolongement, la loi de 1985 fait
explicitement allusion au rôle que les parcs naturels nationaux et
régionaux peuvent assurer au côté des collectivités
territoriales en vue du double objectif de préservation et de
développement.
L'état des lieux est celui-ci. Sur les sept parcs nationaux existants,
six intéressent le patrimoine montagnard, y compris celui de la
Guadeloupe, le dernier créé. Sur les 40 parcs régionaux,
16 intéressent le patrimoine montagnard français. Je rappelle que
les parcs nationaux sont un des 36 outils qui interviennent dans la protection
du patrimoine naturel en France. D'autres outils existent qui ont des
fondements juridiques plus ou moins solides, puisque la position du
Ministère aujourd'hui est de privilégier le contractuel par
rapport au réglementaire. Le démarche Natura 2000 avec son
réseau européen en est un exemple.
Les six parcs nationaux de montagne ont été créés
entre 1963 et 1989. La création d'un parc national s'inscrit dans la
durée puisqu'il prend entre quatre et dix ans. Il y a donc eu six
réussites mais il y aussi eu trois échecs : l'Ariège,
le Mont-Blanc et les Pyrénées Orientales. Sur les six parcs
existants, les zones centrales fortement préservées
représentent moins de 1 % du territoire national (zone
périphérique : moins de 2 %) ou moins de 4 % du
territoire montagnard français (zone périphérique :
moins de 8 %). C'est donc relativement modeste. La population
concernée est de moins de 200 000 habitants, soit 0,4 %
de la population totale. Sur les six parcs nationaux, trois sont
entièrement englobés dans le territoire français, tandis
que trois sont frontaliers. Pour ces derniers, la zone
périphérique a donc une signification moindre, puisque
tributaires de ce qui se passe de l'autre côté de la
frontière. Des démarches de jumelage et de préservation
concertée y remédient.
Les effectifs budgétaires en 2002 sont de 375 agents titularisés.
Ils viennent d'être regroupés avec d'autres personnels de la
garderie : Conseil supérieur de la Pêche et Office national
de la Chasse et de la Faune sauvage. Le budget global est de 30 millions
d'euros - soit environ 200 millions de francs - pour le fonctionnement, et de 9
millions d'euros - soit 60 millions de francs - pour l'investissement. Environ
40 millions d'euros sont donc attribués. Cela représente à
peine trois kilomètres d'autoroute en terrain difficile. C'est un ordre
de grandeur utile pour situer l'incidence budgétaire de la politique des
parcs nationaux de montagne. Cinq présidents de parcs de montagne sont
des élus locaux.
En toile de fond, après la circulaire Barre et la loi montagne, des
réflexions ont été conduites par certains hommes
politiques. M. Pisani a produit, en 1983, un rapport sur le réseau des
espaces naturels français. Il avait conclu à
l'intérêt de fédérer les politiques résultant
des nombreux outils de protection et de gestion existants. Sur les 36 outils
existants, une dizaine seulement ont un réel impact territorial. Il
avait donc préconisé, au moment de la décentralisation, la
mise en réseau de ces outils pour déterminer ce qui relève
du national et de l'international, dont les parcs nationaux, en respectant le
contexte de la décentralisation. Il a donc préconisé un
institut national du patrimoine national qui fédère tout ce qui
est institutionnalisé pour protéger et gérer l'espace au
nom de l'Etat. Une réflexion d'économie d'échelle devrait
être menée pour voir si nous ne pouvons pas mieux valoriser les
activités des établissements publics qui convergent sur le
patrimoine naturel. C'est d'autant plus nécessaire que certaines
organisations ou institutions risquent de connaître des problèmes
d'existence suite à une diminution des recettes : ceux de la
chasse, de la pêche, des forêts. Les parcs nationaux font donc
partie de cette famille d'établissements publics s'intéressant au
patrimoine naturel français.
Ma vision plus critique est fondée sur les cinq audits
réalisés par le Conseil général des Ponts et le
Conseil général des Eaux et Forêts. Le seul parc qui n'a
pas été audité est celui des Pyrénées. Celui
de la Guadeloupe est en cours d'audit.
Il y a trois objectifs, dont un est assigné par la loi et deux
relèvent de l'exposé des motifs : la préservation, le
développement et l'aménagement du territoire. L'objectif
prioritaire, assigné par la loi, est la préservation du
patrimoine naturel. L'esprit de la loi concerne l'ouverture au public,
accompagné d'une pédagogie appropriée, et le
développement durable en zone périphérique. Toutefois, les
textes de loi ne sont pas assez explicites pour que nous puissions parler d'une
politique concertée de préservation, de développement et
d'aménagement du territoire.
Sur ces trois objectifs, le bilan est le suivant. Les parcs nationaux sont
performants dans la protection. Les chasseurs partagent désormais ce
point de vue après avoir campé sur une position critique. Ils
considèrent par exemple que la protection de la faune chassable se
traduit, depuis la création des parcs nationaux, par des tableaux de
chasse plus intéressants en périphérie. L'exception
à ce bilan positif de l'effort de protection est la disparition de
l'ours des Pyrénées, dont la population est trop faible pour
qu'elle puisse être sauvée. Les parcs de montagne ont accueilli,
après leur ouverture au public, entre huit et dix millions de visiteurs.
C'est un chiffre important. Les sondages partiels montrent des degrés de
satisfaction variables selon les établissements. La contribution au
développement local, de même, est variable.
Globalement, les retombées économiques constituées au
niveau d'un parc national ne sont pas toujours évaluées. Le parc
national des Ecrins reste la référence. En tant qu'élu
local et président de la conférence des présidents de
parcs nationaux, Patrick Ollier a montré le rôle que pouvait avoir
cet établissement public. Parmi les points négatifs, il
apparaît que le portage politique des parcs nationaux n'est pas à
la hauteur de ce qu'il pourrait être. L'histoire spécifique et le
contexte local de chaque parc national ont abouti à des portages plus ou
moins marqués. Le système des zones périphériques
est encore faible car l'articulation de la politique zone centrale / zone
périphérique est souvent insuffisante. Par ailleurs, il reste des
difficultés dans l'évaluation des performances des
établissements publics dans ce domaine. Cela relève d'un
partenariat. Nous constatons une évolution dans la reconnaissance locale
que l'image nationale et internationale des parcs nationaux est payante. Les
parcs nationaux français entrent dans la famille des parcs nationaux de
la planète à travers une labellisation internationale dont
l'union internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources
(UICN) est responsable. Ceci constitue un élément prioritaire
pour le futur des parcs nationaux français. Il apparaît aussi de
plus en plus nécessaire que les textes fondateurs soient
révisés, actualisés en partie, en particulier pour
garantir la mise en oeuvre d'une politique de développement en zone
périphérique. Monsieur Ollier avait demandé une
refondation de la politique des parcs nationaux. Cette démarche est
engagée mais elle suppose un pilotage politique élargi à
l'ensemble des outils de préservation des espaces naturels.
M. Jacques Blanc -
Je me permets de dire que lorsqu'un parc se permet de
poser un recours contre un permis de construire, alors que ce dernier a
été accordé par le préfet et soutenu par tous les
élus, au sujet d'un patrimoine qui a été abandonné
et ensuite racheté pour le faire vivre, nous en avons assez de le
défendre. Ces comportements font qu'au lieu de faire adhérer les
gens à une défense du patrimoine, cela devient insupportable.
M. Jean-Paul Amoudry
-
J'ai relevé un certain nombre de
points. J'aimerais que nous puissions échanger nos point de vues sur la
question de l'exception française et sur cette politique
centralisée des risques. Si d'aventure vous aviez des observations ou
disposiez d'une étude de droit comparé, nous pourrions
l'étudier et faire des observations afin de mieux connaître ce qui
se fait à l'extérieur. Nous avons compris que vous êtes
favorable à une évolution ou à un rapprochement de la
décision et de l'évaluation, et à un équilibre
mieux garanti entre l'Etat, les collectivités et la population locale.
M. Philippe Huet
-
La direction des risques est peut-être
plus jacobine que les fonctionnaires de l'inspection que nous sommes. Nous ne
ratons pas une occasion de dire ce que je vous ai dit. Nous l'avons
écrit dans le rapport de Montroc et dans d'autres rapports qui nous ont
été commandés.
Sur le point précis des risques naturels, il existe des problèmes
de responsabilité pénale. Le jeu avec les élus est
complexe. Dans la mesure où les élus assurent la
responsabilité des plans d'occupation des sols, n'est-il pas possible
que les responsabilités soient mieux partagées en termes de
servitude attachée à ces plans ? 77 préfets ont
été mis au « tourniquet » depuis 1982 sur ce
type de sujet entre autres. Cinq seulement ont été
condamnés. C'est quand même très désagréable
pour tout le monde. De même, des ingénieurs d'Etat ont eu des
comptes à rendre à la justice. Cela fait du bruit dans la
corporation. Je pense qu'un travail commun des élus et des
administrations doit être fait. Je suis convaincu qu'il faut un esprit
nouveau. Une douzaine de parlementaires, députés-maires ou
sénateurs-maires, ont participé à la commission de votre
collègue M. Dauge. Ils ont souvent dit qu'ils ne signeraient jamais tout
seuls. Or, actuellement, c'est nous qui signons tout seuls. Une cosignature
serait déjà un progrès. Dans tous les cas, il faudrait que
notre signature soit précédée d'un débat où
chacun est responsable de ce qu'il a dit, comme dans vos commissions, où
c'est enregistré. Il faudrait quelque chose de plus formalisé qui
responsabilise les participants.
M. Jean-Paul Amoudry -
Vous avez compris le contexte de notre mission.
Nous n'allons pas régler ce problème dans notre rapport. Nous
allons le signaler, quitte à reprendre le fil de nos discussions dans le
cadre de notre groupe montagne au Sénat. C'est un travail qui demande un
effort de longue haleine. Je le signale comme un des objectifs pour
l'après octobre prochain. Comme Jacques Blanc vient de le dire, c'est un
problème de culture administrative.
Dans ce même esprit, je voudrais pointer deux ou trois autres questions.
Vous avez parlé de la gestion de l'entretien des ouvrages de protection
en montagne et du fait qu'après Montroc, rien n'avait été
concrètement entrepris en matière de travaux. Est-ce qu'il est
possible de connaître l'état de ces ouvrages, qui
mériteraient que nous nous y intéresserions, afin que nous
puissions vérifier de façon plus rigoureuse la qualité de
la protection qu'ils sont censés assurer ?
Deuxièmement, vous avez abordé le sujet de l'information et de la
responsabilisation. Vous savez que la loi montagne a lancé l'idée
d'une responsabilisation par l'argent et que la loi démocratie de
proximité, sous l'impulsion de notre collègue Jean Faure, a
repris l'idée d'une responsabilisation par le remboursement en tout ou
partie des frais d'intervention, et d'une nécessaire information de
cette responsabilité. Est-ce que vous pensez qu'il serait opportun et
utile de joindre les deux ? Une meilleure information sur les risques ne
passe-t-elle pas par une meilleure information par l'argent ? C'est
peut-être un peu trivial et un peu bas mais c'est ce qui attire
l'attention de nos concitoyens.
Enfin, au sujet de l'existant soumis au risque, est-ce que vous pourriez nous
donner quelques exemples et nous dire si un travail de recherche
préalable serait nécessaire ? Cela nous permettrait d'y voir
plus clair et d'apporter des solutions. M. Glass, vous avez parlé de
36 outils de protection. J'aimerais que vous nous précisiez si ce
sont des outils juridiques ou si ce sont des organismes, des institutions ou
des associations qui participent à la protection. Est-ce qu'il ne serait
pas possible de simplifier l'ensemble de ces outils, d'aller vers quelque chose
de plus lisible et de plus explicable pour les acteurs du terrain que sont les
chasseurs, les agriculteurs, les artisans et les élus ?
M. Jean Boyer -
En ce qui concerne les inondations, la Haute-Loire est
un département qui connaît malheureusement ces problèmes.
Il y a eu neuf morts en 1981. Aujourd'hui, nous nous demandons si les
priorités environnementales ne priment pas sur la mise en place
d'ouvrages de sécurité. C'est tout un problème. Ce qui se
fait en amont bénéficie à l'aval. Je pense qu'il y a un
troisième décideur, à part l'Etat et l'élu. Ce
n'est pas le pouvoir de la rue, mais il y a un peu de ça. Qu'en
pensez-vous et comment pouvons-nous modifier cet état d'esprit ?
M. Philippe Huet -
Chacun connaît le drame de Brives-Charensac.
Certains souhaitent un barrage pour contrôler la rivière tandis
que les autres souhaitent laisser la rivière vivre sa vie en
évitant de se mettre sur son passage. Tout d'abord, je pense qu'il
n'existe aucun exemple montrant qu'il est possible de maîtriser
complètement les phénomènes par l'installation d'un
barrage. Regardez Serre-Ponçon. Nous travaillons sur la Durance avec EDF
notamment. Tout le monde pensait que nous allions assister à la fin de
la Durance dévastatrice. C'était en 1955. Pendant un
demi-siècle, nous pensions avoir gagné. Or en 1994, une crue a
fait des dégâts tout à fait considérables.
Le barrage n'est pas en mesure de contrôler des crues extrêmes. Il
domine les crues moyennes. L'effet pervers est que nous oublions le danger.
C'est vrai partout, y compris sur les barrages de la région parisienne.
Deuxièmement, cela relève du débat public. Si vous ne
voulez pas d'ouvrages de protection, ou si vous voulez vous installer en zone
inondable, il faut vous préparer, le jour où une catastrophe
arrive, à en payer le prix. Ça doit être un débat
public : nous prenons le risque collectivement et de façon
consciente. Auparavant, les ingénieurs parlaient de crue centennale
parce qu'on ne vivait pas longtemps et que l'on n'avait pas une grande chance
de la revoir. Mais aujourd'hui il est possible d'en voir deux ou trois en une
vie. Un débat public doit éclairer l'opinion.
Je voudrais faire une remarque sur un autre sujet : par le jeu des
concessions, EDF est devenue de fait quasi propriétaire de
rivières de montagne. Aujourd'hui où les enjeux de
société évoluent, il y a sans doute d'autres
impératifs que l'énergie à considérer.
Votre mission pourrait-elle aborder la question ?
M. Jacques Blanc -
Nous vous remercions.