22. Audition de M. Dominique Cairol, ingénieur général du génie rural des eaux et forêts (CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des territoires » (18 juin 2002)
M.
Jean-Paul Amoudry
- Nous recevons M. Dominique Cairol, ingénieur
général du génie rural des eaux et forêts
(CEMAGREF), adjoint au chef du département « gestion des
territoires » qui a bien voulu nous remettre une note en
réponse à nos questions.
M. Dominique Cairol -
Un de nos axes de recherche sur les espaces
à dominante rurale est basé sur la gestion de l'espace et les
fonctions non marchandes liées à l'agriculture et à la
forêt. Nous travaillons dessus dans une perspective de recherche et
d'appui à l'action publique compte tenu du fait de la structure
particulière du CEMAGREF. Il a en effet une double vocation de recherche
et d'expertise affirmée.
Lorsque j'ai reçu la commande, j'ai relu l'évaluation de la
politique montagne et ai vu que les conclusions de celle-ci se focalisent sur
la gestion de l'espace dans le domaine agricole. Pour nous, cette question est
au coeur de nos problématiques.
Dans la première question, vision et perspectives de l'agriculture de
montagne, les travaux que nous menons sont focalisés sur quelques points
précis et ne me donnent pas le recul nécessaire à une
appréciation globale affinée. Mais en raison de notre
participation à des projets de recherche et d'expertise
européens, nous avons un certain nombre d'idées dans ce domaine.
Dans le domaine de l'agriculture durable, nous sommes en partenariat avec la
plupart des institutions de recherche, d'expertise et de développement
de l'arc alpin en analysant une approche de l'agriculture durable
articulée avec le développement rural.
Pour ce qui concerne l'aspect environnement, et plus particulièrement
l'enfrichement, la prime à l'herbe a été favorable
à l'extensification, c'est-à-dire au maintien de l'élevage
dans les zones de montagne, où les aspects intensifs, eux, ont
reculé. Cela a permis d'assurer la gestion de l'espace.
Pour lutter contre l'enfrichement en Lozère, les cahiers des charges mis
au point ont conduit à supprimer des parcours, à faire des
rotations, des enclos, permettant ainsi de mieux maîtriser la
végétation. La connaissance que l'on a du fonctionnement des
exploitations permet de voir si ces mesures environnementales sont adaptables
à d'autres exploitations. Par exemple, un projet paysager pour lutter
contre l'enfrichement a eu lieu dans le Jura. Il ne tenait pas compte du
fonctionnement des exploitations, sa pérennisation fut mauvaise.
Nous avons également conduit des travaux sur l'enfrichement en
Tarentaise qui ont montré que celui-ci était
généralisé sur les zones de pente exploitées autant
par les grandes exploitations que par les petites.
M. Jacques Blanc -
L'enfrichement est le mouvement spontané par
lequel la friche apparaît et envahit. Notre préoccupation est de
savoir quelles sont les méthodes permettant de lutter contre ce
phénomène de dégradation des sols.
Avant, nous avions des reconnaissances territoriales, de montagne par exemple,
de type article 19. A ce moment-là, nous faisions des montages avec des
financements européens et régionaux ou départementaux.
Aujourd'hui, l'article 19 n'existe plus. Plus exactement, les crédits
qui finançaient l'article 19 financent le plan national durable et
passent par le ministère.
Jusqu'à quelques jours, ces crédits ne pouvaient être
véhiculés vers ces opérations que s'il y avait des
contrats territoriaux d'exploitation (CTE), ce qui revenait à ne pas
pouvoir consommer les crédits. Les opérations comme celles que
vous évoquez, qui étaient portées par des groupements
d'agriculteurs ou par des associations syndicales, ne peuvent plus être
portées de la même manière aujourd'hui.
Dans le cadre de la montagne, nous cherchons à faire des propositions
pour pouvoir reprendre les expérimentations de lutte contre
l'enfrichement, de restauration des terres incultes. Cela va permettre de
récupérer de la terre. En cas de capitalisation foncière,
cela soulèvera un problème de réorganisation.
Ne serait-il pas souhaitable qu'il y ait des propositions d'actions
territoriales en montagne pour lutter contre la friche avec des techniques
agricoles telles que la viticulture héroïque qui consiste à
récupérer les terrasses, à planter des vignes et ainsi
à lutter contre les incendies ?
Que ce soit dans ce domaine ou dans celui de l'élevage avec la
réorganisation des pâturages, on aborde le problème du
foncier et des sections, souvent abordées dans le Cantal. On aborde
également les mesures scientifiques que le CEMAGREF a
expérimentées dans le cadre de ses opérations et qui
pourraient servir de base aux orientations d'actions nouvelles en montagne.
M. Dominique Cairol -
Le politique est un aspect sur lequel je ne peux
me prononcer. Mais on a démontré que les mesures d'aide
agri-environnementale de l'article 19 et de l'article 20 étaient un
moyen de maîtriser l'enfrichement, bénéficiant aux
populations et ayant un réel impact sur le paysage.
Le gardiennage électronique : à l'aide d'un fil
émetteur posé par terre, le collier récepteur au cou du
bovin émet une courte décharge électrique qui indique
à son porteur la limite de terrain à ne pas franchir. Cette
solution est intéressante car elle permet d'éviter la
construction de parcs qui sont coûteux en réalisation.
L'organisation du travail permet de mieux maîtriser la gestion de
l'espace. Nous conduisons actuellement des travaux dans ce domaine en relation
avec la gestion territoriale. En effet, dans la mesure où les
exploitations agricoles ont de plus en plus de mal à avoir des actifs
dans leur exploitation, l'optimisation de la gestion du travail est
stratégique. En fonction de l'option que l'agriculteur prend,
l'utilisation de l'espace peut ne pas être la même.
L'agritourisme n'est pas une reconversion des agriculteurs vers le tourisme,
c'est relier l'exploitation agricole et le tourisme. On constate une baisse de
la fréquentation touristique en montagne, il faut donc trouver de
nouvelles solutions comme celle-ci.
Dans l'agritourisme, on est souvent dans une logique de réponse à
la demande. L'autre logique à aborder est celle de l'offre. Dans des
zones considérées jusqu'alors comme peu touristiques, l'adoption
de cette logique a permis de dynamiser la région par l'accent qu'elle a
mis sur l'authenticité.
Poser la question des aménités rurales, c'est proposer un contrat
entre l'espace rural et la ville, mais pas dans une logique d'affrontement. La
multifonctionalité peut générer cette
ambiguïté quand on est dans une logique d'offre pour obtenir en
contrepartie des subventions.
Les aménités rurales peuvent être au service de la ville,
car les citoyens ont des attentes vis-à-vis de l'espace rural. Elles
sont aussi en relation avec les territoires. Les aménités sont
des attributs matériels ou immatériels qui contribuent à
ce qu'un territoire fasse l'objet d'une appréciation positive par des
individus, des groupes sociaux indépendamment ou parallèlement
à des aspects utilitaires. Généralement, ces attributs
sont non-délocalisables.
Des travaux sont conduits dans ce domaine des exploitations agricoles et des
enjeux environnementaux. Ils déterminent dans quelles conditions
l'agriculture peut favoriser le développement d'aménités.
Mais faciliter la production de ces aménités nécessite la
mise au point de dispositifs d'organisation qui favorisent la coordination
entre les différents acteurs.
Plusieurs problèmes se posent toutefois.
- comment évaluer ces aménités ? c'est-à-dire,
comment évaluer la valeur de la modification d'un paysage ?
- comment faire émerger un paysage qui soit reconnu ?
Nous travaillons actuellement sur ces points et conduisons également
d'autres travaux, nous interrogeant en particulier sur les mesures dans
lesquelles les aménités permettent un développement
territorial.
Qu'est-ce qu'une agriculture réussie ? Ne faut-il pas
s'intéresser à l'analyse de processus qui conduisent à
résoudre un certain nombre de problèmes ?
Je cite le cas du Groupement d'Intérêt Scientifique (G.I.S.) Alpes
du Nord qui me semble être une réussite de l'ensemble des acteurs
pour que les paysages et des produits de qualité soient reconnus,
rendant ainsi cette zone attractive. Cela est plus difficile pour les zones
disposant de moins d'atouts naturels ou éloignées des zones
urbaines. Cette opération a toutefois fait des émules, puisqu'il
s'est constitué dans le Massif Central un GIS des territoires ruraux
sensibles qui regroupe l'Auvergne et le Limousin.
Le problème est la durée de cette mise en oeuvre compte tenu du
fait que le GIS Alpes du Nord a été créé voici une
vingtaine d'années. Cette dynamique nécessite d'être
persévérant.
A l'étranger, je pourrais citer la Suisse et l'Autriche comme
expériences réussies, mais l'analyse serait biaisée, dans
la mesure où au moins 60 % de leur territoire est constitué
de montagnes. Nous ne pouvons précisément en identifier les
causes.
Les processus qui mènent à des réussites sont plus
facilement identifiables. Ils mettent souvent en place la participation
conjointe de plusieurs organismes publics et privés dont les instituts
de recherche.
M. Jacques Blanc -
J'ai quelques interrogations dans le cadre de notre
démarche. Quels sont les financements possibles pour ces
opérations ?
Il existait auparavant la prime à l'herbe qui offrait certaines
latitudes, les crédits européens qui permettaient de financer
certaines démarches que nous avons évoquées. Aujourd'hui,
il s'agit d'une nouvelle mécanique.
Nous devrions proposer que dans le cadre des programmes nationaux ruraux que
j'espère décentralisés, soient prises en compte au titre
de mesures agri-environnementales, par des financements européens et
nationaux, ces opérations qui débouchent sur :
- la valorisation de leur potentiel ;
- la lutte contre la friche ;
- les techniques de production ou d'élevage qui soient respectueuses de
notre environnement et qui conviennent au droit public.
M. Jean-Pierre Amoudry -
Je voudrais tout d'abord faire appel à
une expérience qui m'est connue pour savoir si elle faisait partie de
vos travaux de recherche et si elle tendait à être
généralisée. Certaines régions de montagne
pratiquent la transhumance hivernale consistant à délocaliser de
jeunes bêtes de régions enneigées vers des régions
sèches, là où la friche avance. Des centaines d'animaux
ont ainsi été transférés des Alpes du Nord vers les
zones montagneuses de Méditerranée pour entretenir des pare-feux.
Cette expérience qui se heurte à de nombreuses difficultés
car demandant tout de même quelques crédits publics, est
intéressante aussi bien pour :
- les espèces animales, plus heureuses dans la nature que dans un
silo ;
- les agriculteurs, dégagés pour un temps du souci d'un troupeau ;
- les espaces qui accueillent ces bêtes, pour l'entretien, le point de
vue de la sécurité et de l'utilité naturelle.
Or il semble que l'outil administratif français ne parvienne pas
à prendre ces expériences en compte.
Vos études ont-elles déjà concerné ce type
d'expériences, soit pour estimer qu'elles ne sont pas capables de
gérer nos problèmes d'enfrichement, soit pour au contraire dire
qu'elles sont bonnes sur le plan technique et qu'il faudrait alors soutenir
financièrement leur développement ?
Pourriez-vous enrichir vos rapports à destination des administrateurs
d'incitations à ce type d'initiatives pour mieux lutter contre
l'enfrichement ?
M. Jacques Blanc -
Nous avons entendu dire que dans les Alpes, plus de
terre avait été perdue par le déboisement spontané
que par le développement des constructions. En Cévennes, la
situation était plus avancée et la restauration des sols fut
réussie grâce à la présence de chèvres et
à la viticulture héroïque.
Nous devrions affirmer que la nature livrée à elle-même se
dégrade plus que par l'action des agriculteurs.
M. Dominique Cairol -
Sur la question de transhumance, nous n'avons pas
de travaux en cours.
Vous pouvez nous solliciter via le Ministère de l'Agriculture. En effet,
nous avons des conventions avec la Direction de l'Espace Rural et avec la
Direction des Exploitations, de la Politique Sociale et de l'Emploi (DEPSE).
Comme nous avons un programme sur un certain nombre de thématiques, si
celle-ci est mise en priorité, le CEMAGREF réalisera certainement
ce type de travail.
M. Jacques Blanc -
Le CEMAGREF pourrait nous fournir certains
éléments, mais il faudrait payer ?! Le CEMAGREF n'est-il pas
pourtant un établissement public ?
M. Dominique Cairol -
Nous nous sommes mal compris. Rassurez-vous, nos
documents sont publics. J'expliquais juste que nous ne disposions pas
d'étude sur la question de la transhumance. Pour tous les
éléments déjà publiés et qui vous
intéressent, je serai ravi de vous les faire parvenir.
M. Jacques Blanc -
La politique en montagne a besoin en permanence de
personnes qui cherchent et trouvent des solutions aux problèmes de nos
agriculteurs, de nos montagnards. Si on laisse faire spontanément les
choses, la montagne s'autodétruira. On peut constater une convergence
des intérêts économiques et des intérêts
environnementaux.
Je crois qu'il est capital que notre rapport fasse mention de l'obligation
d'études et de mise en oeuvre des programmes. Ces programmes ne doivent
pas concerner exclusivement une exploitation. Ils ne doivent pas être
enfermés, quel que soit le jugement que l'on porte sur les CTE. L'heure
est venue de refinancer la mise en culture. Il est donc important de mobiliser
les crédits européens véhiculés aujourd'hui par le
plan national rural et qui n'arrivent pas sur le terrain pour des raisons de
contraintes administratives françaises comme les CTE.
Si nous avions une politique décentralisée à ce niveau, on
pourrait favoriser l'éclosion de tels projets. Les exemples des travaux
évoqués tout à l'heure prouvent que cela fonctionne.
En conclusion, nous travaillons sur la lutte contre l'enfrichement mais
également sur les dynamiques des accrus. Nous essayons de prévoir
en fonction d'une pression de l'utilisation de l'espace et de la pression de la
forêt, comment va se développer le front forestier.