2. La perspective d'une chronologie compliquée
Je voudrais surtout aujourd'hui attirer votre attention sur les conséquences de ce calendrier. En effet, l'élargissement va interférer avec les réformes institutionnelles de l'Union. Je dis « les » réformes institutionnelles de l'Union dans la mesure où il va interférer, d'une part, avec la ratification du traité de Nice et, d'autre part, avec le grand débat qui va s'engager l'an prochain au niveau de l'Union et qui devrait trouver son terme en 2004.
a) L'interaction entre le calendrier de l'élargissement et celui de la ratification du traité de Nice
Aujourd'hui, on peut considérer que dix États membres ont ratifié ou sont sur le point de ratifier ce traité dans les jours qui viennent. Deux autres États devraient avoir achevé la procédure de ratification d'ici la fin de l'année. La Grèce devrait y parvenir au début de l'année prochaine. En queue de peloton, pour des raisons institutionnelles, la Belgique qui doit procéder à la ratification du traité de Nice par sept assemblées parlementaires puisque interviennent à la fois le niveau fédéral, les communautés et les régions. On peut espérer cependant que la Belgique parvienne à terminer la procédure de ratification pour la fin du premier semestre 2002. A ce stade, il ne demeurera donc plus que le problème posé par l'Irlande car il va de soi que le traité de Nice ne peut entrer en application tant que l'Irlande ne l'a pas ratifié. Dès lors, une question vient à l'esprit : est-il possible de conclure les négociations relatives à l'adhésion de dix nouveaux membres dans l'Union européenne sans savoir si le traité de Nice reste ou non valable et s'il a une chance ou non d'entrer en application ?
À mon sentiment, la réponse est clairement négative. Si le traité de Nice ne doit jamais entrer en application, faute d'une ratification par l'Irlande, certains de ces éléments devront en effet être intégrés dans le traité d'adhésion des nouveaux pays candidats. Je citerai simplement quelques-uns des points qui devraient alors nécessairement être intégrés dans les traités d'adhésion :
- pour la Commission, le fait qu'il n'y aura plus qu'un commissaire pour chacun des grands États, la procédure de nomination du président et du collège à la majorité qualifiée par le Conseil, ainsi que les pouvoirs du président sur les commissaires ;
- pour le Conseil, le rééquilibrage de la pondération des votes et le champ d'application du vote à la majorité qualifiée ;
- pour la Cour de Justice, la réforme de la juridiction communautaire ;
- enfin, les nouvelles dispositions relatives aux coopérations renforcées.
b) L'interaction entre le calendrier de l'élargissement et celui de la réforme de l'Union qui doit être engagée à la suite de la déclaration de Laeken
On peut s'attendre à ce que la Convention qui va être mise en place commence ses travaux vers la fin du mois de février ou le début du mois de mars de l'année prochaine. Elle devrait se réunir environ pendant un an et donc arriver au terme de sa mission, au plus tard, à la fin du premier semestre 2003.
Les États membres ont fait connaître leur accord pour que les pays candidats, comme nous l'avons souhaité nous-mêmes, participent à la Convention avec le même nombre de représentants que les États membres. La seule question qui reste ouverte est celle de la formation du consensus au sein de la Convention. Pour obtenir un consensus, doit-on prendre en compte ou non l'opinion des représentants des pays candidats ? Je ne suis pas sûr que cette question ait une importance fondamentale dans la mesure où la Convention sera amenée, dans un certain nombre de cas, à présenter des options et non un texte unique. La participation des pays candidats exigera sans doute une grande habileté de la part de la présidence de la Convention, mais il ne semble pas qu'il y ait des difficultés insurmontables.
La question est toutefois beaucoup plus délicate dès lors que l'on aborde la phase de la Conférence intergouvernementale qui succèdera à la Convention.
Le traité de Nice prévoit que cette Conférence intergouvernementale (CIG) devrait être convoquée en 2004. Le Parlement européen et la Commission ont fait connaître leur souhait que le processus soit accéléré et que la CIG soit convoquée en 2003 en sorte que l'ensemble du processus atteigne son terme avant les élections au Parlement européen, c'est-à-dire avant la fin du premier semestre de 2004. D'autres voix, parmi les États membres, se sont fait entendre pour demander, au contraire, qu'il y ait un délai suffisant entre la fin de la Convention et la réunion de la CIG afin que les deux étapes soient nettement différenciées.
Jusqu'à présent, je n'ai lu aucune observation sur les problèmes qui peuvent apparaître à ce sujet du fait du calendrier de l'élargissement. Et pourtant il faudra bien déterminer le statut des pays candidats au sein de la CIG. A priori, il ne paraît pas possible qu'ils y participent à part entière tant qu'ils ne seront pas membres de l'Union européenne, c'est-à-dire tant que le traité d'adhésion n'aura pas été ratifié tout à la fois par le pays concerné et par les quinze États membres. Par ailleurs, nous devons garder à l'esprit que les nouveaux membres de l'Union devront eux-mêmes ratifier ce nouveau traité puisque cette réforme de l'Union devra s'appliquer tout à la fois aux quinze États membres actuels et à ceux qui les rejoignent. Est-il concevable que l'on demande à ces pays de ratifier cette réforme sans qu'il aient pu participer à son élaboration au sein d'une CIG ? Et ne serions-nous pas placés devant un redoutable imbroglio si certains des nouveaux États membres, après avoir ratifié le traité d'adhésion, refusaient la ratification du traité réformant l'Union européenne ?
Nous ne devons pas non plus négliger les conséquences des débats qui se tiendront au sein de la CIG sur les opinions publiques des pays candidats. Pour des raisons constitutionnelles ou politiques, la plupart des pays candidats procèderont par référendum pour ratifier le traité d'adhésion. On peut imaginer les conséquences désastreuses que pourrait avoir la tenue d'une CIG n'incluant pas les pays candidats au moment même où se dérouleraient les campagnes référendaires dans ces pays ! Et je vous laisse imaginer les conséquences de négociations, à ce moment précis, sur la réforme de la politique agricole commune ou de la politique régionale.
Je suis surpris de n'avoir jamais entendu jusqu'ici de déclarations relatives à la combinaison de ces calendriers. Pour ma part, il me paraît clair qu'il ne serait ni réaliste ni raisonnable de convoquer la CIG relative à la réforme de l'Union tant que la procédure de ratification des traités d'adhésion n'aura pas atteint son terme . A ce moment-là, en effet, mais à ce moment-là seulement, nous saurons combien d'États membres composent l'Union et la CIG pourra se réunir avec des représentants de tous ces États membres.
Voilà les quelques réflexions que je souhaitais formuler aujourd'hui devant vous afin que nous puissions avoir à ce sujet un échange de vues.