CHAPITRE III
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PRIVATISATION :
NI QUESTION D'ACTUALITÉ, NI TABOU
Surprise ! Le 15 janvier 2002, au cours d'un débat télévisé organisé par le Cercle des économistes, M. Laurent Fabius -ministre occupant le premier rang dans le Gouvernement de Lionel Jospin- s'est déclaré en faveur d'une ouverture de France Télécom, n'excluant pas le passage sous le seuil des 50 % fixé par la loi Fillon/Juppé de 1996 37 ( * ) .
Cette prise de position brise certes l'interdit idéologique qui, au sein de la majorité plurielle, frappait jusqu'alors les réflexions sur cette question ; elle élargit donc le champ du débat politique et on ne peut que s'en féliciter. Elle n'en marque pas moins un revirement spectaculaire : M. Laurent Fabius n'était-il pas, en 1996, le premier signataire tout à la fois de la motion de censure contre le Gouvernement Juppé sur la réforme de France Télécom et du recours au Conseil constitutionnel contre cette même loi, qui organisait la sociétisation de France Télécom mais en interdisait la privatisation ?
D'aucuns ont soutenu qu'une telle déclaration n'est sans doute pas exempte de toute arrière-pensée politique ou budgétaire : la recherche d'expédients pour combler les déficits peut conduire à certains renoncements !
Mais, peu importe les motivations : ce qui compte, c'est la pertinence de la proposition. Or de ce point de vue, votre commission estime que :
Privatiser France Télécom serait, aujourd'hui, une erreur.
L'évolution de son actuel statut public n'apparaît ni une priorité, ni une fatalité.
Ce statut ne constitue toutefois pas un tabou.
Mais sa transformation ne peut s'envisager que fondée sur un projet d'entreprise et un pacte social forts.
Elle ne pourrait survenir que dans le respect des règles constitutionnelles et avec le maintien d'une solide présence de l'Etat.
Elle devrait être assortie d'une condition impérative : que les droits des personnels, notamment fonctionnaires, soient garantis.
Pour votre commission et votre groupe d'étude « Poste et Télécommunications », la question première est de savoir si un désengagement de l'Etat pourrait être nécessaire à notre opérateur national et si, dans cette hypothèse, il peut s'envisager sans atteintes au statut public de la majorité de ses salariés, la parole donnée en 1996 interdisant toute transformation qui ne maintiendrait pas ce statut.
I. LE STATUT PUBLIC DE L'ENTREPRISE : UN DÉBAT ACTUELLEMENT SANS PERTINENCE, À ABORDER SANS A PRIORI
A. PAS DE CHANGEMENT MAINTENANT
Si l'Etat renonçait aujourd'hui à détenir la majorité du capital de France Télécom, il commettrait une double erreur : il exposerait l'entreprise à des risques inconsidérés et il prendrait une mauvaise décision patrimoniale.
1. Ce serait contraire à l'intérêt de France Télécom
Actionnaire majoritaire de France Télécom, l'Etat est un pôle de stabilité dans les turbulences financières que traverse actuellement l'opérateur.
Compte tenu des dépréciations d'actifs et de l'endettement de ce dernier, l'Etat majoritaire, qui garantit le paiement des dettes, rassure. Il joue en quelque sorte un rôle protecteur.
Dans le contexte actuel, une diminution de sa participation serait donc de nature à favoriser des spéculations négatives et à alimenter des baisses de cours accroissant tant les difficultés boursières de l'entreprise que les inquiétudes de ses salariés.
En outre, alors que les cours de bourse historiquement bas des opérateurs de télécommunications pourraient favoriser des attaques boursières, la présence de l'Etat au capital empêche une prise de contrôle hostile par voie d'offre publique d'achat.
Enfin, une baisse de la part de l'Etat aurait probablement pour effet, eu égard au volume des dettes, une dégradation de la notation de France Télécom par les grandes agences internationales de notation 38 ( * ) . Ceci entraînerait un renchérissement des taux d'intérêt accordés et une augmentation corrélative de la charge de sa dette (qui représente chaque année 4 milliards d'euros de frais financiers), notamment parce qu'une partie de cette dette doit être refinancée à l'horizon 2003-2004.
Quoiqu'il puisse en déplaire à ceux qui prônent une privatisation à tout prix, tout ceci amène votre rapporteur à conclure que s'il y a une question concernant France Télécom qui ne justifie pas d'être débattue aujourd'hui, c'est bien celle du caractère public de son statut.
Bien plus, en évoquer publiquement la perspective maintenant peut engendrer des effets pervers puisque les phénomènes d'anticipation régissant les marchés boursiers sont de nature à éroder en partie la confiance qu'inspire la présence majoritaire de l'Etat.
Pour votre rapporteur, faire du statut public de France Télécom un enjeu des campagnes électorales engagées serait donc une faute vis-à-vis de l'entreprise.
* 37 Très exactement, après avoir jugé que « une entreprise comme Gaz de France doit voir sa structure ouverte et que c'est également le cas, même si l'Etat doit rester majoritaire, pour EDF », M. Fabius a considéré que « des marges d'ouverture plus grandes existaient pour France Télécom ».
Cette analyse était quelque peu différente de celle figurant dans la motion de censure déposé, en juin 1996, contre le projet de transformation de France Télécom en société anonyme, à majorité d'Etat, et dont M. Fabius était le signataire. Le texte de cette motion de censure estimait notamment que : « le changement de statut de France Télécom conduira cette entreprise à la privatisation au détriment des usagers, fragilisera son avance technologique et sa capacité industrielle, compromettra l'emploi de ses salariés et négligera dangereusement ses missions de service public ».
* 38 Déjà en février 2002, l'agence de notation Moody's Investors a modifié de « stable » à « négative » sa perspective pour la note sur la dette à long terme de France Télécom et de sa filiale Orange, actuellement notées « BAA1 ».
En septembre 2001, cette même agence de même que Standard & Poor's avaient placé sous surveillance avec implication négative leurs notes à long terme des mêmes sociétés.