CHAPITRE IER -
LA REFORME DU
STATUT :
UNE HISTOIRE RICHE EN
REBONDISSEMENTS
I. LA LOI DE 1996 : UNE RÉFORME INDISPENSABLE MAIS D'ABORD CRITIQUÉE...
A. DE 1990 À 1996, UNE LENTE MATURATION
1. La loi « Quilès », un premier pas dans la bonne direction
Dès 1990, à l'occasion de la discussion de la loi relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications 2 ( * ) , plusieurs voix s'étaient fait entendre pour estimer que cette importante transformation de France Télécom -et de La Poste-, d'administration d'État en établissements publics autonomes, n'était qu'une étape provisoire sur le chemin de leur modernisation.
Votre rapporteur était de ceux pour qui la réforme initiée par Paul Quilès était un premier pas, utile, mais en appelant d'autres. Votre rapporteur avait notamment exprimé ce point de vue dans un article paru sous le titre « Une réforme à achever » dans le journal Le Quotidien de Paris le 26 mars 1993, avant les élections législatives. Il y écrivait qu'il fallait « refuser de succomber aux tentations de l'immobilisme et de l'isolement (...). Les deux établissements publics [La Poste et France Télécom] doivent savoir s'ouvrir encore (...). » Son propos restait toutefois nuancé : « Accepter le vent vivifiant de la compétition est une chose, se résigner aux tempêtes que produirait une déréglementation hâtive en est une autre ».
2. Un dossier réouvert en 1993
Après les élections législatives de 1993, puis présidentielles de 1995, les gouvernements successifs (et notamment leurs ministres de l'industrie Gérard Longuet puis Frank Borotra) reprirent la réflexion sur la modernisation du statut de France Télécom. Avec un rapport d'information 3 ( * ) paru au printemps 1996 et intitulé « L'avenir de France Télécom : un défi national », votre commission a contribué à cette réflexion.
a) Le rapport « L'avenir de France Télécom : un défi national »
Constatant, à l'époque, que France Télécom, grande entreprise française, était, du fait des changements technologiques et de l'ouverture à la concurrence programmée à Bruxelles, à un moment clef de son destin, votre commission estimait que l'opérateur aurait, à un horizon de quelques mois, à s'imposer sur un marché de plus en plus international et de plus en plus concurrentiel, où la rapidité de réaction serait un facteur décisif de succès.
Le rapport concluait que France Télécom disposerait des moyens de réussir son adaptation à la nouvelle donne du marché des télécommunications, si des mesures législatives adaptées étaient prises sans tarder : « au regard de l'enjeu national que recouvre ce dossier, l'État doit agir sans retard en tenant le langage de la vérité et du courage politique » , était-il affirmé. Car les résistances au changement, réelles, ne devaient pas masquer l'urgence de l'adaptation.
Les propositions détaillées que la Commission des Affaires économiques avançait en ce sens reposaient sur des principes clairs :
- définition, avant la fin du premier semestre 1996, en application des directives européennes, de règles de concurrence équilibrées assurant tant la préservation du service public des télécommunications, dans sa double dimension sociale et d'aménagement du territoire, qu'une amélioration des droits et libertés du consommateur ;
- « sociétisation » de France Télécom -c'est-à-dire transformation en société anonyme détenue majoritairement par l'État- avant la fin de l'année 1996 , dans des conditions garantissant, d'une part, de manière pérenne le statut et l'emploi des personnels de l'entreprise publique, tout en leur ouvrant de nouveaux droits.
« Sociétisation » , ce néologisme, forgé pour la circonstance, résumait la position de votre rapporteur : moderniser l'entreprise, en la dotant des fonds propres nécessaires notamment à sa projection internationale , tout en laissant à l'État, garant du service public et de l'aménagement du territoire, la première place dans son capital. Cette opération rendait ainsi possible -ce que votre rapporteur appelait de ses voeux- un échange de participation stratégique en capital avec Deutsche Telekom, confirmant et confortant l'alliance émergente -à l'époque- entre les deux opérateurs. Le statut de France Télécom -seul des vingt premiers opérateurs mondiaux à ne pas être constitué sous forme de société anonyme- serait ainsi harmonisé, dans le concert européen et mondial des grands opérateurs de télécommunications.
Cette proposition ne faisait pas l'objet d'un consensus. C'est le moins que l'on puisse dire. Néanmoins, au sein de la majorité de l'époque, ce qui suscitait le plus de discussions ce n'était pas le principe de la sociétisation, c'était la date « butoir » fixée pour la réaliser : avant la fin 1996. Même à l'intérieur du Gouvernement, les opinions étaient partagées. D'aucuns soutenaient qu'il convenait plutôt d'engager la réforme après les élections législatives prévues en 1998 !
Pour parfaire la réforme préconisée, et éviter toute distorsion de concurrence, il était recommandé d'aligner les cotisations de retraite de France Télécom sur les prélèvements sociaux de droit commun, sans changer les droits ouverts par le régime de retraites spécifique à France Télécom.
Il était également soutenu que le respect des droits du personnel devait être placé au coeur de l'opération de sociétisation, par le maintien solennel du statut de fonctionnaire des personnels. Le maintien de ce statut fut d'ailleurs, avant même d'être inscrit dans la loi, un engagement solennel du Premier Ministre Alain Juppé auprès des personnels, manifesté par une lettre envoyée à chacun des employés de l'entreprise. Car, le Gouvernement comme votre rapporteur en étaient convaincus : la réussite de France Télécom reposait sur l'adhésion à un projet d'entreprise global et cohérent des hommes et des femmes composant son personnel.
Afin d'assurer une transition douce entre les deux régimes statutaires de l'opérateur, le rapport « L'avenir de France Télécom : un défi national » préconisait de laisser à l'entreprise la liberté de continuer à recruter des fonctionnaires, tout en l'incitant à conclure, dans l'optique d'une croissance prévisible du nombre de salariés sous statut de droit privé, une convention collective de groupe et de branche.
Une forte préoccupation sociale inspirait, en effet, les positions de votre Commission. Cela l'amenait notamment à préconiser de développer la participation des salariés aux résultats de l'entreprise, de réserver une part significative de toute éventuelle opération d'ouverture partielle du capital aux personnels et d'instituer un régime exceptionnel de retraite anticipée pour les personnels fonctionnaires 4 ( * ) . Il était aussi affirmé la nécessité de transférer la charge des retraites des personnels fonctionnaires vers l'État en contrepartie du versement d'un prélèvement libératoire par l'entreprise, ce qui fut mis en oeuvre ensuite par la loi.
Parallèlement, le Gouvernement lançait une grande consultation publique auprès de tous les acteurs concernés sur, notamment, la refonte du cadre réglementaire du secteur dans la perspective de l'ouverture à la concurrence programmée par les directives européennes.
Ces réflexions aboutirent au dépôt, dans un premier temps, d'un projet de loi de réglementation des télécommunications 5 ( * ) (instaurant un nouveau cadre concurrentiel), puis, dans un deuxième temps, du projet de loi relatif à l'entreprise nationale France Télécom, sur le Bureau du Sénat, le 29 mai 1996.
Deux faces d'une même médaille, le Premier Ministre Alain Juppé avait arbitré : pour lui comme pour votre Commission les deux réformes devaient aller de pair. La loi de réglementation des télécommunications, organisant le secteur des télécommunications dans la perspective de son ouverture complète à la concurrence au 1 er janvier 1998, était en passe de fixer un cadre totalement nouveau auquel devrait s'adapter France Télécom. Cette ouverture de son monopole séculaire constituait un défi nouveau pour l'entreprise, chargée, par cette loi, de continuer à assurer le service public des télécommunications. Ne pas la préparer au choc concurrentiel, en assouplissant son statut, revenait à lui demander de quitter les « starting blocks » de la concurrence européenne avec des semelles de plomb !
* 2 Loi du 2 juillet 1990.
* 3 n° 260, Sénat - 1995-1996.
* 4 Possibilité alors interdite aux fonctionnaires de France Télécom qui n'avaient pas droit aux régimes de préretraite des salariés du privé, en raison des règles budgétaires régissant les emplois publics. Mais cette proposition fut suivie d'effets puisque la loi instaura un congé de fin de carrière, retenant les principes avancés par la Commission des Affaires économiques.
* 5 La loi fut promulguée le 26 juillet 1996, après avoir été référée au Conseil Constitutionnel.